Paul a bien vu que la philosophie grecque contient des raisons non négligeables, plausibles aux yeux du grand public, qui présentent le mensonge comme vérité. Il dit à leur sujet : « Prenez garde que personne ne vous réduise en esclavage par la philosophie et une vaine séduction, selon la TRADITION des hommes, selon les éléments du monde, et non selon le Christ. » Et parce qu’il voyait dans les discours de la sagesse du monde se manifester une certaine grandeur, il a dit que les discours des philosophes étaient « selon les éléments du monde ». Mais tout homme sensé nierait que les écrits de Celse soient de même « selon les éléments du monde ». Ceux-là ont quelque chose de séduisant, et Paul a parlé d’une vaine séduction peut-être pour la distinguer d’une séduction qui n’est pas vaine, celle qu’avait en vue Jérémie quand il eut l’audace de dire à Dieu : « Tu m’as séduit, Seigneur, et j’ai été séduit, tu as été plus fort que moi et plus puissant. » Mais ceux de Celse me paraissent n’avoir aucune séduction du tout, donc même pas la vaine séduction qu’offrent ceux des fondateurs d’écoles philosophiques, doués en ces matières d’une intelligence peu commune. Et de même que dans les spéculations géométriques, une faute banale ne peut être appelée « une donnée faussée », ou encore être proposée pour un exercice à partir de telles données, ainsi faut-il que ressemblent aux pensées des fondateurs d’écoles philosophiques celles qu’on pourrait qualifier comme les leurs de vaine séduction « selon la TRADITION des hommes, selon les éléments du monde ». PRÉFACE
Quel ramassis attirons-nous, quels contes terrifiants forgeons-nous, comme Celse l’écrit sans preuve, le montre qui voudra ! A moins que par contes terrifiants que nous forgeons Celse ne veuille entendre cet enseignement : que Dieu est juge et que les hommes sont jugés sur toutes leurs actions, ce que l’on établit d’une manière variée, à la fois par les Écritures et le raisonnement plausible. Il est vrai cependant, car j’aime la vérité, que Celse déclare vers la fin : « Dieu nous garde, eux, moi, et tout autre homme, de rejeter la doctrine que les injustes seront punis et les justes jugés dignes de récompense. » Or si l’on excepte la doctrine du jugement, quels sont donc ces contes terrifiants que nous forgeons pour attirer les hommes ? De plus, puisqu’il dit que, forgeant les déformations de l’antique TRADITION, nous commençons par étourdir les hommes aux sons de la flûte et de la musique, comme ceux qui battent du tambour autour gens qu’on initie aux rites des Corybantes, je lui répondrai : les déformations de quelle antique TRADITION ? De la TRADITION grecque, qui a enseigné aussi l’existence de tribunaux sous la terre ? De la TRADITION juive, qui a prédit entre autres l’existence d’une vie qui suit la vie présente ? je serait bien incapable de prouver que nous déformons la vérité, nous tous du moins qui nous efforçons d’avoir une foi réfléchie, quand nous accordons notre vie à de telles doctrines. LIVRE III
Celse ajoute encore :” C’est donc le même Dieu qu’ont les Juifs et ces gens-là, ” évidemment les chrétiens. Et comme s’il tirait une conclusion qu’on ne saurait lui accorder, il dit :” C’est bien ce que reconnaissent ouvertement ceux de la grande Église qui reçoivent pour véridique la TRADITION courante parmi les Juifs sur la création du monde, par exemple sur les six jours et sur le septième. Ce jour-là,” dit l’Écriture, ” Dieu arrêta ses travaux, se retirant dans la contemplation de lui-même. Celse, ne remarquant pas ou ne comprenant pas ce qui est écrit, traduit se reposa, ce qui n’est pas écrit. Mais la création du monde et le repos sabbatique réservé après elle au peuple de Dieu offrent matière à une doctrine ample, profonde et difficile à expliquer. Il me paraît ensuite gonfler son livre et lui donner quelque importance en ajoutant des traits au hasard, par exemple l’histoire du premier homme que nous disons identique à celui que nommèrent les Juifs; et la généalogie de ses descendants que nous déterminons comme eux. Quant au complot que les frères ont ourdi l’un contre l’autre, je l’ignore. Je connais celui de Caïn contre Abel et celui d’Esaü contre Jacob. Mais il n’y en eut pas d’Abel contre Caïn, ni de Jacob contre Esaü. S’il y en avait eu, Celse aurait raison de dire que nous racontons après les Juifs les mêmes complots que les frères ont ourdis l’un contre l’autre. Accordons encore que nous parlons, eux et nous, de la même descente en Egypte, et du même exode de ce pays, et non pas d’une fuite comme pense Celse. Y a-t-il là de quoi fonder une accusation contre nous ou contre les Juifs ? Quand il pensait nous ridiculiser par l’histoire des Hébreux, il parlait de fuite ; mais quand il s’agissait d’examiner l’histoire des plaies que Dieu infligea à l’Egypte, il a préféré se taire. S’il faut préciser ma réponse à Celse, pour qui nous avons les mêmes opinions que les Juifs sur ces questions, je dirai : nous reconnaissons comme eux que ces livres ont été écrits par inspiration divine, mais nous ne sommes plus d’accord sur l’interprétation de leur contenu. Nous ne vivons pas comme les Juifs, car nous pensons que le sens de la législation dépasse l’interprétation littérale des lois. Et nous disons : « Toutes les fois que Moïse est lu, un voile est étendu sur leur c?ur », car l’intention de la loi de Moïse est cachée à ceux qui ne sont pas engagés avec ardeur sur la voie indiquée par Jésus-Christ. Nous savons que, « quand on se convertit au Seigneur – et le Seigneur c’est l’Esprit -, le voile » tombe ; l’on réfléchit pour ainsi dire comme en un miroir « à visage découvert la gloire du Seigneur » qui est dans les pensées cachées sous la lettre, et l’on participe pour sa propre gloire à ce qu’on appelle la gloire divine. Le mot visage, employé au figuré, est tout simplement ce qu’on pourrait dire entendement, et tel est le visage « selon l’homme intérieur », rempli de lumière et de gloire par la vérité contenue dans ces lois. LIVRE V
Et puis après cela, comme s’il avait entendu parler de la doctrine de l’humilité sans avoir pris soin de la comprendre, Celse veut décrier la nôtre. Il croit que c’est une contrefaçon de ce que Platon dit quelque part dans les Lois : « Voici que Dieu, suivant l’antique TRADITION, tient en mains le commencement, la fin et le milieu de tout ce qui est et, par la droite voie de Nature, en achève le cycle. LIVRE VI
Citons encore le passage suivant et examinons-le de notre mieux : Si c’est par respect a une TRADITION qu’ils s’abstiennent de victimes de ce genre, ils devraient complètement s’abstenir de toute chair animale, comme faisait Pythagore dans son respect de l’âme et de ses organes. Mais si, comme ils disent, c’est pour ne pas festoyer avec les démons, je les félicite pour leur sagesse de comprendre tardivement qu’ils ne cessent d’être les commensaux des démons3. Mais ils n’y prennent garde qu’en voyant une victime immolée. Et cependant le pain qu’ils mangent, le vin qu’ils boivent, les fruits qu’ils goûtent, l’eau même qu’ils boivent et l’air même qu’ils respirent ne sont-ils pas autant de présents des démons qui ont chacun pour une part la charge de leur administration ? Je ne vois pas comment, en cette matière, l’obligation pour eux de s’abstenir de toute chair animale lui semble la conséquence logique du fait qu’ils s’abstiennent de certaines victimes par respect d’une TRADITION. Nous le nions, car la divine Écriture ne nous suggère rien de pareil. Mais pour rendre notre vie plus forte et plus pure, elle nous dit : « Il est bon de ne pas manger de viande, de ne pas boire de vin, de ne rien faire qui scandalise ton frère » ; « Garde-toi, avec tes aliments de faire périr celui pour qui le Christ est mort » ; « Quand une viande cause la chute de mon frère, que je me passe à tout jamais de pareille viande afin de ne pas faire tomber mon frère ! » LIVRE VIII
En effet, l’idolothyte est offerte aux démons et il ne faut pas que l’homme de Dieu participe à la table des démons. Les viandes étouffées, parce que le sang n’en est point séparé et qu’on le présente comme la nourriture des démons qui se repaissent de ses exhalaisons, l’Écriture les interdit, ne voulant pas que nous ayons la même nourriture que les démons ; car peut-être, si nous prenions des viandes étouffées, certains d’entre eux s’en nourriraient en même temps que nous. Et ce qui vient d’être dit des viandes étouffées peut montrer clairement pourquoi on s’abstient du sang. De plus, il ne serait pas pour moi hors de propos de mentionner la très belle maxime que lisent d’ailleurs la plupart des chrétiens dans les Maximes de Sextus : « Manger la chair des animaux est chose indifférente ; s’en abstenir est plus raisonnable. » Ce n’est donc pas simplement par respect d’une TRADITION que nous nous abstenons de ce qu’on suppose avoir été des victimes sacrifiées aux prétendus dieux, héros ou démons, mais pour bien des raisons dont je viens de rapporter quelques-unes. En outre, s’il faut s’abstenir de toute chair animale, ce n’est point à la manière dont on s’abstient du péché et de ses conséquences. Il faut s’abstenir non seulement de chair animale, mais encore de toute autre nourriture si son usage implique le péché et ses conséquences ; car il faut s’abstenir de manger par gloutonnerie, ou d’y être amené par l’attrait du plaisir en faisant abstraction de la santé du corps et du soin à lui donner. LIVRE VIII