Le combat avec l’Ange [JTTL]

Au retour de Paddân-Aram intervient en effet le célèber combat du Patriarche avec l’Ange du Seigneur.

Nous nous trouvons alors au chapitre XXXII de la Genèse. Jacob est en marche vers Sichem avec ses femmes et leurs servantes, ses serviteurs, ses enfants et ses troupeaux. Après avoir franchi le gué de Yabok, il lutte jusqu’à l’aurore avec ce quelqu’un », l’Ange de Dieu, sans être vaincu par lui. L’Ange le « touche » à la hanche, en refusant de lui livrer son nom :

« Un inconnu (ou quelqu’un) lutta avec lui jusqu’au lever de l’aurore. Voyant qu’il ne pouvait le vaincre, il le toucha à l’articulation de la hanche et l’articulation de la hanche de Jacob se démit pendant qu’il luttait avec lui. Et il dit à Jacob : « Laisse-moi aller car l’aurore se lève. » Jacob répondit : « Je ne te laisserai point aller que tu ne m’aies béni. » Il lui dit : « Quel est ton nom ?» Il répondit « Jacob ». Et il dit : « Ton nom ne sera plus Jacob mais Israël… c’est pourquoi les enfants d’Israël ne mangent point jusqu’à ce jour le grand nerf qui est à l’articulation de la hanche, parce que Dieu a touché l’articulation de la hanche de Jacob au grand nerf » (Genèse XXXII – 25 – 33).

Jacob nomme la terre du combat Phanuel ou Péniêl ou Pénonel, car, dit-il, « j’ai vu un être divin face à face et ma vie a été sauvée ».

L’emplacement du combat n’est plus à Louz-Bethel, comme on pourrait le penser en rapprochant du chapitre XXXII de la Genèse les indications données au chapitre XXXV lorsque l’Etemel confirme sa bénédiction en cet endroit où Jacob dressa un mémorial.

M. le Grand Rabbin Gougenheim a bien voulu nous préciser que les deux lieux, Bethel et Péniêl, ne sont pas identiques. Péniêl est situé au Yabok, alors que Bethel est au sud-ouest de là, au-delà de Sichem et correspond, à peu près, au Ramallah actuel.

Mais le complémentarisme des deux « moments » de l’itinéraire patriarcal garde toute sa valeur et cette remarque a déjà été faite par les docteurs et écrivains du judaïsme. Un extrait de la lettre de M. le Grand Rabbin Gougenheim peut du reste appuyer notre démonstration :

« C’est la solitude de Jacob, marquée par ces deux événements, l’un sa rencontre avec Dieu, l’autre sa lutte avec l’inconnu, lutte décisive qui montre bien que le destin de Jacob-Israël ne peut être atteint qu’au prix d’une lutte. La bénédiction promise par Dieu à Jacob, lors de la unit du Beth-El, ne pouvait se confirmer que dans le corps à corps farouche et pathétique de la nuit de Péniêl. »

A défaut d’identité de lieux, il existe une réciprocité symbolique dans ces deux événements, ainsi :
-*Le combat avec l’ange intervient au retour de Jacob chez les siens, donc à l’occasion d’un mouvement de « recentrement », centripète pourrait-on dire ;
-*il s’effectue de nuit, comme eut lieu pendant la nuit la vision de l’échelle ;
-*il s’opère « éveillé » et non plus en songe.

C’est véritablement un acte conscient de « violence » sur tous les plans, animique, corporel et spirituel, une union dans le corps à corps entre sujet et objet, un acte « opératif » dont il reste une conséquence a corporelle » : le déhanchement du patriarche.

On notera qu’il existe entre les notions de « combat » et de « vision », un complémentarisme lié à la dualité « opératif » (l’agir) et « spéculatif » (la réflexion du miroir-speculum), bipartition qui peut être rapprochée des termes « prière » et « incantation » titrant l’un des chapitres des Aperçus sur l’initiation de René Guénon.

L’idée de « mesure » apparaît en outre très clairement dans le combat opposant l’inconnu au fils d’Isaac. L’un et l’autre se « mesurent ».

On ne triomphe pas de Dieu, aussi l’inconnu s’identifie-t-il à la « mesure » de Jacob qui, dans l’affrontement, vérifie l’adéquation des middoth de l’homme-élu à celles de l’envoyé divin. L’ange « touche » alors Jacob à la hanche, et le mot est à retenir car il évoque le verbe latin tangere et la tangente prise à ce niveau corporel où s’effectuent certains mouvements rituels de balancements incantatoires. A partir de la ligne des hanches, le corps humain se plie en équerre, dans un geste d’adoration et dans une posture géométrique qui n’est pas étrangère à l’initiation des constructeurs et à certains rites de la Maçonnerie de l’Arche.