Tertullien: La patience préserve du péché.

C5. Pour le dire en un mot, tout péché vient de l’impatience. Le mal n’est que l’impatience et l’aversion du bien. La pureté est insupportable à l’impudique, la probité au scélérat, la piété à l’impie, le repos à un esprit inquiet. On devient mauvais, parce qu’on ne peut persévérer dans le bien… 7. Maintenant si nous voulons parcourir les sujets d’impatience, nous trouverons à chacun un précepte qui y répond. Etes-vous ému de la perte de vos biens? Le Seigneur vous avertit en mille endroits de ses Ecritures de mépriser le siècle ; et nulle exhortation au mépris de l’argent n’est plus efficace que de voir le Seigneur entièrement détaché des richesses. Toujours il justifie les pauvres et condamne les riches. Ainsi nous enseigne-t-il la patience en nous apprenant à supporter la perte de nos biens, à mépriser les richesses, et cela en montrant que, puisqu’il faut renoncer aux richesses, on doit compter pour rien leur diminution. Ce que nous n’avons pas à convoiter, parce que le Seigneur ne l’a pas convoité lui-même, nous devons en accepter sans peine la diminution ou même la perte. «La cupidité est la source de tous les maux» [1 Tim 6, 10], nous a déclaré le Saint-Esprit par la bouche de l’Apôtre. Mais ne nous imaginons pas que cette cupidité consiste seulement à désirer le bien de notre prochain. Ce que nous croyons être a nous n’est pas même à nous. Nous n’avons rien : tout est à Dieu, et nous lui appartenons aussi. Si donc ayant fait quelque perte, nous la supportons avec impatience, nous nous révélons coupables de cupidité, puisque nous nous plaignons d’avoir perdu ce qui n’est pas à nous. C’est désirer le bien d’autrui que de s’affliger d’avoir perdu ce qui est à autrui. Celui qui, préférant les biens terrestres aux biens du ciel, ne supporte pas de perdre les premiers, celui-là pèche directement contre Dieu. En effet pour l’amour d’une chose temporelle il avilit cette âme qu’il a reçue du Seigneur Renonçons donc volontiers aux choses de la terre, contemplons les biens célestes. Que tout le monde périsse, peu importe, pourvu que nous devenions riches en patience. D’autre part, je demande si celui qui souffre impatiemment la perte de quelque bien, soit par vol, soit par violence, soit par négligence, saura aisément, et même avec courage, se priver lui-même de ce bien pour en faire l’aumône. Celui qui ne veut pas se laisser tuer par un autre a-t-il le goût de se tuer lui-même? La patience dans les détriments qu’on subit est le meilleur apprentissage pour être généreux et donner aux autres. Celui qui ne craint pas de perdre ne se fâche pas de donner. En effet comment un homme qui a deux habits en donnerait-il un à un pauvre, s’il n’est pas dans la disposition d’offrir son manteau à celui qui lui aurait enlevé sa tunique? Comment nous ferons-nous des amis avec nos richesses, si nous y attachons tellement notre cœur que leur perte nous soit insupportable? Nous périrons avec ce que nous perdons. Que pouvons-nous trouver ici-bas où nous devons un jour tout perdre ? S’abandonner à l’impatience dans les disgrâces, c’est le propre des gentils, parce que sans doute ils font plus de cas de leurs richesses que de leur âme. Ils le montrent effectivement lorsque, pour l’amour du bien, ils affrontent les périls de la mer en vue de commerces lucratifs ; lorsque, pour gagner de l’argent, ils ne craignent pas de plaider en public des causes que les coupables trembleraient de soutenir eux-mêmes ; lorsqu’ils se louent à quelque gladiateur ou à quelque milice ; lorsqu’ils se jettent, comme des bêtes, sur les passants pour les dépouiller. Pour nous, qui sommes si différents d’eux, nous devons sacrifier non l’âme pour l’argent, mais l’argent pour l’âme, soit en donnant de bon gré, soit en perdant avec patience.