Du mouvement proprement iconoclaste, il n’est pas aisé de saisir les différents aspects ; toutes les œuvres des iconoclastes (décrets impériaux, actes des Conciles iconoclastes de 753-54 et de 815, traités théologiques) ayant été détruits, lors du triomphe de leurs adversaires, nous sommes réduits à quelques fragments et à des informations indirectes fournies par les réfutations des orthodoxes. Nous ne pouvons pas certes douter de ce qui faisait le fond de l’iconoclasme, mais ce sont les nuances, les développements et variations, la richesse des arguments qui nous font défaut. Tout d’abord, il n’est pas sans intérêt de signaler que l’iconoclasme existait avant la lettre ; saint Épiphane déjà (Ve siècle) s’était élevé contre les icônes. Les Empereurs iconoclastes avec la conviction sincère qu’ils travaillaient à l’amélioration de l’Église et à la purification du christianisme se mirent à la tête du mouvement iconoclaste. L’iconoclasme dénonce avec indignation les excès idolâtriques des adorateurs des reliques et des images, et le décret du Concile iconoclaste de 754 appelle a art maudit », l’art des peintres. Autant dire qu’il n’était pas permis à l’art de dépeindre le monde surnaturel et à l’artiste de représenter par ses œuvres les saints et Jésus-Christ. On ne peut s’empêcher de noter sous ces traits des influences juives et musulmanes, surtout si l’on pense à l’origine orientale des Empereurs iconoclastes et au fait qu’ils furent suivis par les provinces orientales, alors que la Grèce, les îles et l’Italie se déclarèrent en faveur des icônes, réhabilitées finalement par deux femmes, les impératrices Irène et Théodore, deux Grecques. Les Musulmans, les Syriens surtout, furent, en effet, les premiers à s’exprimer contre les images, parce qu’ils sentaient que les icones blessaient le sens profond qu’ils avaient de la toute-puissance et de l’infini de Dieu, dont ils avaient trouvé une expression plus adéquate dans l’ornementation symbolique qui fut pour eux un langage métaphysique. Vu de ce biais l’iconoclasme, peut paraître comme un retour offensif contre l’humanisme byzantin ; le culte des images ne trahit-il pas au fond une certaine humanisation du surnaturel ? D’autre part, ce qui fait l’essentiel delà question débattue, c’est encore la question christologique. Peindre le Christ, dit l’empereur Constantin V, c’est circonscrire la nature divine incirconscriptible ; de toute façon, résume-t-il, le culte des images, quant à Jésus, ruine le dogme de l’asugkutos henosis. Quant à la Vierge et aux saints, les images sont un opprobre pour eux ; c’est mettre dans une matière vile ceux qui sont dans la gloire ; c’est ternir leur gloire que de les représenter dans une matière inerte et morte. Leur rationalisme intransigeant empêche les iconoclastes de voir dans les images une expression nécessaire à l’âme qui croit, un symbole, et nous fait penser au rationalisme de même qualité des monophysites, quand, pour garder à la nature divine toute sa pureté, ils ne voulaient voir en Jésus que le divin.
Ce fut saint Germain le patriarche de Constantinople, qui pressé par l’empereur Léon l’Isaurien de se déclarer contre les images, exposa l’essentiel de l’iconologie traditionnelle en réfutant la thèse iconoclaste1. Il procède à une fine analyse du culte et de l’acte extérieur de l’adoration des icônes. Il distingue le culte, en culte absolu, réservé à Dieu (P. G., 177, 168-169) seul et se subdivisant en lâtrie et en doulie, et en culte relatif, le culte que reçoivent les images ; il est relatif, car c’est un moyen pour obtenir une fin, pour s’élever à la latrie de Dieu seul ; en deuxième lieu la matière de l’image n’est pour rien dans l’honneur offert à la figure représentée. L’Église, par conséquent, ne s’est pas éloignée du précepte du Décalogue qui défend l’adoration des idoles, le précepte visant les images, qui sont censés représenter la nature divine. Même en ce qui est de Jésus « nous retraçons, dit-il, sa figure d’homme et l’image de sa forme humaine selon la chair, et non de sa divinité incompréhensible et invisible»2. De toute façon il ne faut pas, de la similitude des attitudes extérieures, que prennent les fidèles devant les images, avec celles des païens devant les idoles, conclure à la similitude du culte. Ce qui importe ce n’est pas l’action extérieure, mais le sentiment intérieur quila dicte (P. G., 98, 180-181). Par ces distinctions Germain, en même temps qu’il confère au culte des images toute la spiritualité chrétienne, trace aussi la manière d’éviter le danger d’idolâtrie, qui guette toujours au fond le culte de l’image, nourri par sa matérialité.
Un autre écrit de Germain offre plus d’intérêt philosophique, celui qui porte sur le terme de la vie, De vitæ termino (O. c., 98, 92-129), justification de la Providence divine, — plus spécialement en ce qui concerne la vie de l’homme —, en forme de dialogue entre un rationaliste et un fidèle à la tradition religieuse. Le rationaliste pose que tout est effet du hasard et refuse de se soumettre à l’autorité de qui que ce soit ; il demande un développement méthodique du sujet et des arguments. Le dissentiment se dessine nettement dès le début à l’occasion d’un texte de saint Basile disant que la mort vient au moment où sont remplis les termes de la vie que Dieu a dès le commencement fixés pour chacun par son jugement droit et juste (O. c., 98, 96). Le rationaliste pose que saint Basile n’a pas en vue le moment de la mort de chacun, mais le retour général de l’homme à la terre. A quoi le fidèle répond que saint Basile parle de la mort de chacun de nous, prédestinée par Dieu en vue de ce qui est bon pour chacun. Le premier donne une interprétation physique au texte et à la question débattue, le second y oppose une interprétation métaphysique, eschatologique. Le fidèle finit par persuader au rationaliste que la prédestination est absolue (O. c., 98, 128). Comment poser sans elle l’omniscience divine (O. c., 98, 109) ? Toutefois il ne s’ensuit pas que prescience et prédestination soient identiques, la prescience menant à la position des termes de la vie de chacun, qui tous sont présents à Dieu. Ce qu’est à l’homme la vue pour les objets qui sont devant lui, la prescience de l’avenir l’est à Dieu (O. c., 98, 113). L’homme tout prédestiné qu’il est ne cesse pas d’être libre, puisqu’il est libre de choisir entre le mal et le bien ; c’est autre chose si, dans le plan de la création le choix est déjà prédestiné (P. G. 98, 105). Le criminel ne cesse pas d’être responsable de son crime, parce que prédestiné, car il n’est pas jugé par rapport à l’issue de ce qu’il a fait, mais par rapport à la disposition dont il a fait preuve, en faisant ce qu’il a fait (O. c., 98, 129). Il y a là un effort remarquable d’intériorisation de l’acte moral, pour échapper au fatalisme impliqué par la prédestination. Il faut toutefois noter que Germain n’arrive pas à établir d’une manière claire et suffisante la différence qu’il y a entre la prescience et la prédestination divine, et la justification du libre arbitre malgré la prédestination.
Germain a fait aussi des scolies à des écrits du pseudo-Denys, attribués à tort jusqu’ici à saint Maxime ; mais son rôle de scoliaste n’est pas encore suffisamment fixé.