Il convient de noter ici que Maxime fut avant tout fécond dans la théologie ascétique et mystique. De sa mystique se dégage un souffle puissant qui vivifie sa pensée et ses actes, exalte sa vie et sanctifie son martyre et sa mort. Ce souffle constitue son originalité dans ce domaine et lui permet de ne pas être un scolastique aride. Son ascétisme est commandé, à l’exemple de Méthode d’Olympe, par un optimisme, qui vient de sa confiance en la nature humaine régénérée et en l’action des meilleures * âmes, les âmes vierges et pures qui saisissent l’esprit du christianisme. Devenir juste et saint, s’unir à Dieu dans la clarté de l’esprit, voilà où vise l’ascétisme maximien faisant penser au thème platonicien du Phédon, c’est-à-dire à la divinisation de l’âme qui par une purification des passions s’unit par la contemplation à Dieu. L’ascèse n’est donc pas le martyre de la chair, supposée impure, mais la purification de l’esprit et de l’âme pour s’unir à Dieu, un Dieu tout esprit et vérité. A côté de ces traits, qui ont leur source dans la pensée grecque, il y a des traits bibliques. L’image adamique déborde la nature spirituelle de l’âme et s’étend au corps lui-même, dont elle exige l’immortalité. Mais la réalisation parfaite de la nature humaine requiert l’autre don préternaturel, l’impassibilité, une impassibilité qui soit l’impeccabilité de fait et non de droit. Pour y arriver, l’homme doit laisser un libre essor au désir que Je Créateur alluma dans son âme envers Celui dont il lui donna une connaissance infuse. Ce saint désir est un pouvoir, qui permet à l’homme de réaliser sa béatitude, de recouvrer la nature adamique. Maxime, au milieu de la misère qui l’entoure, rêve souvent la béatitude originelle ; il a la nostalgie du paradis perdu. Adam, type de la nature humaine, devint après la chute le type de la nature déchue ; car il détourna ses facultés de leur mouvement naturel vers Dieu et, soumettant son esprit à la sensation, chercha le bonheur dans les êtres sensibles. Par suite de ce péché originel l’homme perdit l’harmonie intérieure, qui venait de l’unité entre le sujet (l’homme) et l’objet (Dieu). A la place de l’harmonie, le désordre, à la place de Dieu, la sensation, suivie de tous les dangers et de toutes les erreurs qui en découlent. Au lieu de prendre le chemin vers le haut, l’homme prit le chemin vers le bas. Ici encore le mouvement de la pensée est nettement platonicien. Mais la restauration s’est faite par Jésus, devenu homme, hormis le péché, pour nous faire Dieux, hormis l’identité. Après avoir donc recouvré la nature intègre, la nature adamique, reste à gagner, par le moyen de la vie active, — l’ascèse et la contemplation — la déification. A l’assimilation de Dieu à la nature humaine doit répondre notre assimilation à la nature divine. Ainsi l’homme, créé à l’image parfaite de Dieu et à sa ressemblance commencée, peut élever celle-ci à une ressemblance parfaite. Ce n’est donc pas au-dedans de lui que l’homme découvrira Dieu ; il n’y trouvera que sa propre nature dans son intégrité originelle et les instincts spirituels pour l’acquisition de la déification. Cette déification, venant couronner une longue ascèse, s’opère d’une manière ineffable et mystique. Si nous rappelons que Dieu est la vérité et le bien, nous comprenons à quel point Maxime spiritualise la nature humaine.
La comparaison suivante, que nous trouvons aussi chez saint Irénée et saint Augustin, montre bien l’attitude mystique de Maxime. Vous priez, dit-il, dans l’atrium, quand vous vous abandonnez contre nature à la connaissance sensible ; vous sacrifiez dans le temple, si vous allez à la vérité, ainsi qu’il convient à notre nature, au moyen de l’âme, de la raison, de l’intelligence ; vous adorez, enfin, dans le sanctuaire, si vous vous livrez exclusivement à l’activité supranaturelle de l’intelligence. Cette conscience de l’insuffisance du processus logique pour arriver à Dieu, et, en même temps, l’aspiration à l’union avec Dieu constituent la base du mysticisme de Maxime.
Son mysticisme est manifeste aussi dans ses commentaires, où il adopte la méthode allégorique plus convenable à son tempérament enthousiaste et intuitif. Maxime ne cherche dans les textes qu’une expression objectivée de ce que lui-même a saisi par intuition ; le texte n’a, pour ainsi dire, rien à lui apprendre. Ainsi l’allégorie, au lieu d’être une méthode scientifique d’interprétation, devient un principe philosophique, car Maxime n’a pas appliqué l’allégorie seulement aux Écritures, mais aux écrits des Pères de l’Église aussi, à la vie humaine, et, encore plus loin, aux phénomènes de la nature. Dès lors suivre ses allégories c’est faire le tour de ses méditations au sujet de l’univers. La pensée maîtresse de l’interprétation qu’il en fait c’est la définition que Denys donne de la hiérarchie : « L’ornementation des êtres, dit Denys, et leurs relations réciproques s’appelle hiérarchie. » Un exemple mettra en relief ce que tira Maxime de l’allégorie et l’étendue qu’il lui donna. Voici ce que la Sainte-Église symbolise d’après lui : elle est d’abord image et type de Dieu, elle est aussi l’image de l’univers constitué des substances visibles et invisibles, elle peut être l’image seulement du monde sensible, elle est l’image symbolique de l’homme, elle est aussi image et type de l’âme, prise absolument, représentant par le sanctuaire l’intelligence, par le temple la raison, et unifiant tout dans le mystère de l’autel. Quiconque sait s’initier d’une manière sage et claire, en vérité, fait de son âme une Église de Dieu. L’homme est, en effet, une Église mystique. L’Écriture, d’autre part, symbolise l’homme ; le Vieux Testament en est le corps et le Nouveau en est l’âme, l’esprit, l’intelligence ; ou autrement, la lettre historique de toute l’Écriture symbolise le corps, alors que le sens de ce qui est écrit et la fin à laquelle il tend symbolise l’âme. Comme l’homme est mortel, quant à sa partie visible et immortel, quant à sa partie invisible, de même l’Écriture sainte, quant à sa partie visible, la lettre, est quelque chose qui périt, mais quant à l’esprit caché dans la lettre elle est éternelle. Une telle attitude ne saurait être hostile à l’arithmologie; la triade, la tétrade et la décade ont un contenu mystique. Maxime suit de près le traité de la hiérarchie ecclésiastique de Denys ; il avoue d’ailleurs que son maître est Denys et que lui-même ne touche qu’aux sujets faciles de la mystique n’osant pas s’occuper des questions plus mystiques et plus difficiles, pour lesquelles il renvoie à son maître. Il ne fait d’ailleurs, dit-il, que répéter ce qu’il apprit de lui et il avoue n’exposer que ce qu’il retient de lui, dans la mesure insuffisamment claire où il a pu le saisir et encore moins claire où il peut l’exposer. S’il en parle c’est pour rendre, autant que cela est possible, clairs et remettre aux générations futures les verbes divins de son maître vénéré. Maxime servit de pont à Denys pour son introduction à la mystique chrétienne et sut infuser à l’exposé aride de son maître la profonde émotion de son âme, tout en évitant, comme nous allons le voir, les pentes dangereuses pour le christianisme qu’impliquait le néoplatonisme de Denys.