Citons un bel écrit du Père Zosime sur l’union des cœurs :
A ceux qui se sont réunis et unis en Dieu, qui, par la vertu de la grâce, se sont liés entre eux en une alliance de saint amour et de concorde, il ne convient pas d’avoir un partage en quoi que ce soit, nourriture, vêtements, ou autre chose. Comme saint Basile le Grand le dit, il faut que jamais n’apparaisse le pécule suggéré par l’esprit malin, c’est-à-dire le tien et le mien. Il faut viser plutôt à ce que non seulement les biens matériels, mais le salut et les péchés soient considérés comme communs, de sorte qu’en esprit de vraie charité mutuelle nous nous occupions de tout cœur de la correction et du progrès de nos frères, comme de notre propre amendement et progrès.
Les vertus deviennent communes, parce que personne ne se laissera emporter par sa suffisance en s’estimant meilleur que les autres, ni tomber dans la pusillanimité et le désespoir en restant par fatigue en arrière. Car tous ceux qui s’exercent dans les vertus et travaillent, doivent penser et croire que toutes leurs bonnes actions et fatigues s’accomplissent avec l’aide des prières de la fraternité, surtout celles de leur père et maître spirituel ; de cette sorte, la récompense est commune à tous. Et ceux qui sont à bout de forces, en se voyant entraînés ou tomber, non par paresse et négligence, mais par leur faiblesse, s’humilient avec componction. Or, la vraie humilité est grande devant Dieu, même sans actions. Ainsi, eux aussi ne seront pas privés de la récompense et du salut assignés à tous, comme les ouvriers qui n’ont travaillé qu’une heure et ont reçu le même salaire que les ouvriers de la journée entière.
Les péchés et les manquements deviennent communs de la façon suivante : ceux qui ont fait des progrès et sont affermis et perfectionnés dans la charité, invoquent le Seigneur avec compassion pour les pécheurs et les faibles. Ils disent : « Seigneur, si tu as pitié de lui, pardonne-lui ; sinon, efface-moi aussi du livre de vie » ; ou encore : « Seigneur, fais-nous payer sa chute et pardonne au frère faible, ne le punis pas. » Et ils ajoutent labeurs à labeurs, hauts faits à hauts faits, en s’exténuant et en s’épuisant pour les péchés d’un frère, comme si c’étaient leurs propres péchés. Par des veilles de toute la nuit et des larmes, ils disposent Dieu à lui remettre ses péchés. Ils demandent pour lui secours et amendement par la grâce divine.
Le frère faible et déréglé, se reconnaissant pécheur et de mauvaise vie, peine, souffre et s’attriste. Humblement il supplie le père spirituel et la communauté de ne pas l’abandonner. Il prie la communauté de l’observer, de le dénoncer sans pitié, de l’instruire, de parler de lui au starets. Le père spirituel et la communauté acceptent cette fervente demande et se chargent d’avoir soin de lui sans cesse. De son côté, il les estime grandement, il a pour eux vénération et reconnaissance, car ils l’aident à se sauver. Pour cette raison il a envers eux un grand amour, il préfère perdre la vie plutôt que de se séparer de ses confrères, qui l’aiment comme des amis. Et le Seigneur lui-même, notre Dieu, se réjouit grandement en voyant ces confrères si unanimes, si unis entre eux par un amour spirituel indissoluble. Car, en esprit d’humilité, chacun d’eux trouve les autres meilleurs que lui-même ; il est prévenant à l’égard des autres et croit n’être rien lui-même. Dieu les considère avec bienveillance, pardonne leurs péchés et par sa grâce, reste en eux sans jamais les quitter. Car lui-même a dit : « Où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis parmi eux « (Matth., XVIII, 20). Bien davantage en serait-il ainsi d’une multitude unie dans l’unanimité ; sans aucun doute, elle possède sans interruption le Seigneur lui-même qui, selon sa miséricordieuse promesse, dans la vie éternelle, ne privera pas de sa présence de tels frères. (41)