Mais, nouveau motif d’étonnement : d’où vient que les disciples de Jésus, qui, au dire de ses détracteurs, ne l’auraient pas vu ressuscité des morts et n’auraient pas été convaincus qu’il était un être divin, n’ont pas craint d’endurer les mêmes souffrances que leur maître, d’affronter le danger, d’abandonner leurs patries pour enseigner, de par la volonté de Jésus, la doctrine qu’il leur avait transmise ? Car je ne pense pas qu’un examen judicieux des faits permette de dire que ces hommes se seraient voués à une existence précaire pour cet enseignement de Jésus, s’il n’avait produit en eux une conviction profonde en leur enseignant non seulement à vivre en conformité avec ses préceptes, mais encore à y disposer les autres, et cela, alors que la perte, concernant la vie humaine, est en perspective pour quiconque a l’audace de présenter partout et à tous des opinions nouvelles et de ne conserver son amitié à personne qui s’en tiendrait aux doctrines et aux moeurs anciennes. Est-ce donc que les disciples de Jésus ne virent pas ce péril, dans leur audace à prouver non seulement aux Juifs, d’après les paroles des prophètes, qu’il était Celui qu’elles prédisaient, mais encore aux autres peuples que Celui qui avait été si récemment mis en croix avait accepte de son plein gré cette mort pour le salut du genre humain, comme ceux qui meurent pour leur patrie en vue d’arrêter épidémies de peste, stérilités du sol, risques de la mer ? Car il y a sans doute dans la nature des choses, pour des raisons mystérieuses et inaccessibles à la foule, cette disposition naturelle qu’un seul juste qui meurt volontairement pour le salut de la communauté détourne par son sacrifice les mauvais démons qui causent pestes, stérilités, risques et autres fléaux analogues. LIVRE I
Mais il a échappé à Celse, à son Juif, à tous ceux qui ne croient pas en Jésus, que les prophètes parlent de deux avènements du Christ : le premier, tout de souffrances humaines et d’humilité, permettant au Christ, vivant au milieu des hommes, d’enseigner la route qui mène à Dieu, sans laisser à personne, durant la vie, l’excuse qu’il ignore le jugement à venir ; le second, uniquement glorieux et divin, sans aucun mélange d’infirmité humaine à sa divinité. Il serait trop long de citer les prophéties ; il suffira pour l’instant du psaume quarante-quatrième, qui, entre autres choses, porte le titre de « chant du bien-aimé ». Le Christ y est manifestement proclamé Dieu dans ces paroles : « La grâce a été répandue sur tes lèvres, c’est pourquoi Dieu t’a béni à jamais. Ceins ton épée sur ta cuisse, héros, dans ta jeunesse et ta beauté élance-toi, avance avec succès et règne, pour la vérité, la douceur et la justice, et ta droite t’ouvrira une voie miraculeuse. Tes traits sont aiguisés, héros, les peuples tomberont au-dessous de toi dans le coeur des ennemis du roi. » Mais observe avec soin la suite où Dieu est nommé : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours et à jamais ; le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture. Tu as aimé la justice et haï l’iniquité ; c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction de l’huile d’allégresse, comme à nul de tes compagnons. » Note que le prophète s’adresse à un Dieu dont « le trône est pour toujours et à jamais » et que « le sceptre de sa royauté est un sceptre de droiture » ; il déclare que ce Dieu a reçu l’onction d’un Dieu qui était son Dieu et qui lui a donné l’onction parce que, « plus que ses compagnons », « il a aimé la justice et haï l’iniquité ». Et je me rappelle même avoir, par cette parole, mis dans une grande difficulté le Juif considéré comme savant. Embarrassé pour donner une réponse en harmonie avec son judaïsme, il dit : c’est au Dieu de l’univers que s’adressent : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours et à jamais, et le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture », mais au Christ : « Tu as aimé la justice et haï l’iniquité, c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction » etc. LIVRE I
Qu’est-ce donc que Jésus « a promis » et n’a pas accompli ? Que Celse l’établisse et le prouve ! Mais il en sera bien incapable : pour la raison majeure qu’il croit tirer ses arguments contre Jésus et contre nous soit d’histoires mal comprises, soit même de lectures évangéliques, soit de récits juifs. De plus, puisque le Juif répète : « Nous l’avons convaincu, condamné, jugé digne du supplice », qu’on nous montre comment ceux qui cherchaient à établir de faux témoignages contre lui l’ont convaincu ! A moins peut-être que la grande charge contre Jésus ne fût cette déposition des accusateurs : « Cet homme a affirmé : Je puis détruire le temple de Dieu et le rebâtir en trois jours » ? Mais « il parlait du temple de son corps ». Tandis qu’ils croyaient, ne sachant l’interpréter au sens de son auteur, que le propos concernait le temple de pierre, plus honoré chez les Juifs que Celui qu’il aurait fallu honorer comme le véritable temple du Dieu Logos, de la Sagesse, de la Vérité. Et que l’on dise comment Jésus « s’est caché et a fui de la manière la plus honteuse » ! Qu’on y montre une conduite digne de blâme ! Il affirme encore qu’« il fut pris ». Je pourrais répliquer : si « être pris » implique que c’était contre son gré, Jésus ne fut pas pris. De lui-même, au moment voulu, il ne s’est pas gardé de tomber aux mains des hommes, comme « Agneau de Dieu », afin « d’ôter le péché du monde ». « Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! C’est moi ! leur dit-il. Judas, qui le livrait se tenait là avec eux. Quand Jésus leur eut dit : C’est moi ! ils reculèrent et tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-là. » De plus, à celui qui, voulant le secourir, frappa le serviteur du grand-prêtre et lui coupa l’oreille, il dit : « Remets ton glaive au fourreau ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu que je ne puisse faire appel à mon Père qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? Comment alors s’accompliraient les Écritures, d’après lesquelles il devait en être ainsi ? » Fiction des évangélistes que tout cela, croira-t-on ? Pourquoi la fiction ne serait-elle pas plutôt dans les paroles inspirées par l’hostilité et la haine contre le Christ et les chrétiens, et la vérité, dans le témoignage de ceux qui ont prouvé la sincérité de leur attachement à Jésus en supportant pour ses paroles toutes sortes de peines ? Les disciples de Jésus auraient-ils reçu une telle patience et constance à résister jusqu’à la mort, s’ils avaient été disposés à des inventions mensongères au sujet de leur maître ?… Qu’ils aient été convaincus de la vérité de ce qu’ils ont écrit ressort, avec une évidence manifeste pour tout bon esprit, des cruelles et multiples souffrances qu’ils ont supportées pour celui qu’ils croyaient être Fils de Dieu. LIVRE II
Il ajoute cette remarque tout à fait sotte : “Les disciples ont écrit cela de Jésus pour affaiblir les charges qui pesaient sur lui. C’est comme si, pour dire qu’un homme est juste, on montrait qu’il a commis des injustices; pour dire qu’il est saint, on montrait qu’il tue; pour dire qu’il est immortel, on montrait qu’il est mort, ajoutant à tout cela qu’il l’avait prédit”. Son exemple est évidemment hors de propos : il n’y a rien d’absurde à ce que Celui qui allait être parmi les hommes l’idéal de la manière dont on doit vivre, ait entrepris de donner l’exemple de la manière dont on doit mourir pour la religion ; sans compter le bien qu’a tiré l’univers de sa mort pour les hommes, comme je l’ai montré dans le livre précédent. Il croit ensuite que l’aveu sans ambages de la passion, loin de la détruire, renforce l’accusation : il ignorait à son sujet toutes les réflexions philosophiques de Paul, et les prédictions des prophètes Et il lui a échappé qu’un des hérétiques a dit que Jésus a enduré ces souffrances en apparence, non en réalité. S’il l’avait connu, il n’aurait pas dit ” Car vous n’alléguez même pas qu’il semblait bien, aux yeux de ces impies, endurer ces souffrances, mais qu’il ne les endurait pas vraiment vous avouez bonnement qu’il souffrait “. Mais nous, nous ne substituons pas l’apparence a la réalité de sa souffrance, pour que sa résurrection non plus ne soit pas un mensonge, mais une réalité. Car celui qui est réellement mort, s’il ressuscite, ressuscite réellement, mais celui qui ne meurt qu’en apparence ne ressuscite pas réellement. LIVRE II
Après cela, il dit : ” S’il avait pris cette décision, et si c’est par obéissance à son Père qu’il a été puni, il est évident que, puisqu’il était Dieu et qu’il le voulait, les traitements spontanément voulus pouvaient ne lui causer ni douleurs ni peines “. Et il n’a même pas vu la contradiction où il s’empêtre ! Car s’il accorde que Jésus a été puni parce qu’il en avait pris la décision, et qu’il s’est livré par obéissance à son Père, il est clair que Jésus a été puni et qu’il lui était impossible d’éviter les douleurs que lui infligent les bourreaux ; car la douleur échappe au contrôle de la volonté. Si au contraire, puisqu’il le voulait, les traitements ne pouvaient lui causer ni douleurs ni peines, comment Celse a-t-il accordé qu’il a été puni ? C’est qu’il n’a pas vu que Jésus, ayant une fois pris un corps par sa naissance, il l’a pris exposé aux souffrances et aux peines qui arrivent aux corps, si par peine on entend ce qui échappe à la volonté. Donc, de même qu’il l’a voulu et qu’il a pris un corps dont la nature n’est pas du tout différente de la chair des hommes, ainsi avec ce corps il a pris les douleurs et les peines ; et il n’était pas maître de ne pas les éprouver, cela dépendait des hommes disposés à lui infliger ces douleurs et ces peines. J’ai déjà expliqué plus haut que s’il n’avait pas voulu tomber entre les mains des hommes, il ne serait pas venu. Mais il est venu parce qu’il le voulait pour la raison déjà expliquée : le bien que retirerait tout le genre humain de sa mort pour les hommes. Ensuite il veut prouver que ce qui lui arrivait lui causait douleurs et peines, et qu’il lui était impossible, l’eut-il voulu, d’empêcher qu’il en fût ainsi, et il dit : ” Pourquoi dès lors exhale-t-il des plaintes et des gémissements et fait-il, pour échapper à la crainte de la mort, cette sorte de prière : «Père, si ce calice pouvait s’éloigner»? ” En ce point encore, vois la déloyauté de Celse. Il refuse d’admettre la sincérité des évangélistes, qui auraient pu taire ce qui, dans la pensée de Celse, est motif d’accusation, mais ne l’ont pas fait pour bien des raisons que pourra donner opportunément l’exégèse de l’Évangile ; et il accuse le texte évangélique au moyen d’exagérations emphatiques et de citations controuvées. On n’y rencontre pas que Jésus exhale des gémissements. Il altère le texte original : « Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne. » Et il ne cite pas, au delà, la manifestation immédiate de sa piété envers son Père et de sa grandeur d’âme, qui est ensuite notée en ces termes : « Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux. » Et même la docilité de Jésus à la volonté de son Père dans les souffrances auxquelles il était condamné, manifestée dans la parole , « Si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » il affecte ne de pas l’avoir lue. Il partage l’attitude des impies qui entendent les divines Écritures avec perfidie et « profèrent des impiétés contre le ciel » Ces gens semblent bien avoir entendu l’expression « Je ferai mourir », et ils nous en font souvent un reproche , ils ne se souviennent plus de l’expression « Je ferai vivre » Mais le passage tout entier montre que ceux dont la vie est ouvertement mauvaise et la conduite vicieuse sont mis à mort par Dieu, mais qu’est introduite en eux une vie supérieure, celle que Dieu peut donner à ceux qui sont morts au péché. De même, ils ont entendu « Je frapperai », mais ils ne voient plus « C’est moi qui guérirai » expression semblable à celle d’un médecin qui a incisé des corps, leur a fait des blessures pénibles pour leur enlever ce qui nuit et fait obstacle à la santé, et qui ne se borne pas aux souffrances et à l’incision, mais rétablit par ce traitement les corps dans la santé qu’il avait en vue. De plus, ils n’ont pas entendu dans son entier la parole « Car il fait la blessure et puis il la bande », mais seulement « il fait la blessure ». C’est bien ainsi que le Juif de Celse cite « Père, si ce calice pouvait s’éloigner », mais non la suite, qui a prouve la préparation de Jésus a sa passion et sa fermeté Et c’est même là une matière offrant un vaste champ d’explication par la sagesse de Dieu, qu’on pourrait avec raison transmettre à ceux que Paul a nommes « parfaits » quand il dit « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits » , mais, la remettant à une occasion favorable, je rappelle ce qui est utile à la question présente. Je disais donc déjà plus haut il y a certaines paroles de celui qui est en Jésus le premier-né de toute créature, comme « Je suis la voie, la vérité, la vie » et celles de même nature, et d’autres, de l’homme que l’esprit discerne en lui, telles que « Mais vous cherchez à me faire mourir, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de mon Père » Dés lors, ici même, il exprime dans sa nature humaine et la faiblesse de la chair humaine et la promptitude de l’esprit la faiblesse, « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi » , la promptitude de l’esprit, « cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » De plus, s’il faut être attentif a l’ordre des paroles, observe qu’est d’abord mentionnée celle qui, pourrait-on dire, se rapporte a la faiblesse de la chair, et qui est unique , et ensuite, celles qui se rapportent à la promptitude de l’esprit, et qui sont multiples. Voici l’exemple unique « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi ». Voici les exemples multiples « Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux », et « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » Il faut noter aussi qu’il n’a pas dit « Que ce calice s’éloigne de moi », mais que c’est cet ensemble qui a été dit pieusement et avec révérence : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi. » Je sais bien qu’il y a une interprétation du passage dans le sens que voici : Le Sauveur, à la vue des malheurs que souffriraient le peuple et Jérusalem en punition des actes que les Juifs ont osé commettre contre lui, voulut, uniquement par amour pour eux, écarter du peuple les maux qui le menaçaient, et dit : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi », comme pour dire : puisque je ne peux boire ce calice du châtiment sans que tout le peuple soit abandonné de toi, je te demande, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi, afin que la part de ton héritage ne soit pas, pour ce qu’elle a osé contre moi, entièrement abandonné de toi. » Mais encore si, comme l’assure Celse, ce qui est arrivé en ce temps n’a causé à Jésus ni douleur, ni peine, comment ceux qui vinrent après auraient-ils pu proposer Jésus comme modèle de patience à supporter les persécutions religieuses, si au lieu d’éprouver des souffrances humaines il avait seulement semblé souffrir ? Le Juif de Celse s’adresse encore aux disciples de Jésus comme s’ils avaient inventé tout cela : ” En dépit de vos mensonges, vous n’avez pu dissimuler vos fictions d’une manière plausible.” A quoi la réplique sera : il y avait un moyen facile de dissimuler les faits de ce genre : n’en rien écrire du tout ! Car si elles n’étaient contenues dans les Evangiles, qui donc aurait pu nous faire un reproche des paroles que Jésus prononça au temps de l’Incarnation ? Celse n’a pas compris qu’il était impossible que les mêmes hommes, d’une part aient été dupes sur Jésus qu’ils croyaient Dieu et prédit par les prophètes, et de l’autre aient sur lui inventé des fictions qu’ils savaient évidemment n’être pas vraies ! Donc, ou bien ils ne les ont pas inventées, mais les croyaient telles et les ont écrites sans mentir , ou bien ils mentaient en les écrivant, ne les croyaient pas authentiques et n’étaient point dupés par l’idée qu’il était Dieu. LIVRE II
D’où donc, Celse, l’as-tu appris, sinon des Evangiles ? Y verrais-tu des motifs de reproches, toi ? Ceux qui les ont notes n’avaient pas idée que tu en rirais ainsi que tes pareils, mais que d’autres prendraient Celui qui est généreusement mort pour la religion en exemple de la manière de mépriser ceux qui rient et se moquent d’elle. Admire donc plutôt la sincérité de ces auteurs et la sublimité de Celui qui a volontairement enduré ces souffrances pour les hommes et les a supportées avec une résignation et une grandeur d’âmes totales ! Car il n’est pas écrit qu’à sa condamnation il se soit lamenté ou qu’il ait eu une pensée ou une parole sans noblesse. LIVRE II
Après cela, le Juif nous dit encore : ” Nous reprochez-vous donc, gens d’une crédulité extrême, de ne pas le considérer comme Dieu, et de ne pas convenir avec vous qu’il ait enduré ces souffrances pour le bien de l’humanité, afin que nous aussi nous puissions mépriser les supplices ?” Voici notre réponse. Nous reprochons aux Juifs, nourris de la loi et des prophètes qui annoncent d’avance le Christ, de ne pas réfuter les preuves que nous leur donnons qu’il est vraiment le Christ, bien qu’ils allèguent cette réfutation pour justifier leur incrédulité, et, malgré l’absence de réfutation, de ne pas croire en celui qui avait été prédit. Mais Jésus a prouvé de manière éclatante, en ceux qui ont été ses disciples même après le temps de son incarnation, qu’il avait enduré ces souffrances pour le bien de l’humanité. Le but de son premier avènement ne fut pas de juger les actions des hommes avant de leur avoir donné l’enseignement et l’exemple du devoir, ni de punir les méchants et sauver les bons, mais de répandre miraculeusement sa doctrine avec une puissance divine à travers tout le genre humain, comme l’avaient aussi montré les prophètes. Nous leur reprochons encore d’avoir refusé de croire à la manifestation de la puissance dont il disposait, mais d’avoir dit que c’était par Beelzébul prince des démons qu’il chassait les démons des âmes des hommes. Nous leur reprochons de calomnier même son amour pour les hommes et, alors qu’il ne dédaigna ni une ville, ni même un village de la Judée, pour annoncer partout le règne de Dieu, de l’accuser calomnieusement d’avoir été un vagabond menant une vie errante et inquiète dans un corps sans noblesse. Ce n’est pas sans noblesse qu’il endura tant de fatigues pour l’utilité de ceux qui, en tout lieu, étaient capables de comprendre. LIVRE II
Mais comment n’est-ce pas un mensonge flagrant que l’assertion du Juif de Celse : ” De toute sa vie, n’ayant persuadé personne, pas même ses disciples, il fut châtié et endura ces souffrances ! ” Car d’où vient la haine excitée contre lui par les grands-prêtres, les anciens et les scribes, sinon de ce que les foules étaient persuadées de le suivre jusqu’aux déserts, conquises non seulement par la logique de ses discours, toujours adaptés à ses auditeurs, mais encore par ses miracles qui frappaient d’étonnement ceux qui ne croyaient pas à la logique de son discours ? Comment n’est-ce pas un mensonge flagrant de dire qu’il ne persuada pas même ses disciples. Ils ont bien ressenti alors une lâcheté tout humaine, car ils n’étaient pas encore d’un courage éprouvé, mais sans toutefois se départir de leur conviction qu’il était le Christ. Car Pierre, aussitôt après son reniement, eut conscience de la gravité de sa chute, et «sortant dehors, il pleura amèrement» » ; les autres, bien que frappés de découragement à son sujet, car ils l’admiraient encore, furent affermis par son apparition à croire qu’il était Fils de Dieu d’une foi encore plus vive et plus ferme qu’auparavant. Par un sentiment indigne d’un philosophe, Celse imagine que la supériorité de Jésus sur les hommes ne consistait pas dans sa doctrine du salut et la pureté de ses moers. Il aurait dû agir contrairement au caractère du rôle qu’il avait assumé : ayant assumé une nature mortelle, il aurait dû ne pas mourir ; ou il devait mourir, mais non d’une mort qui pût servir d’exemple aux hommes : car cet acte leur apprendrait à mourir pour la religion, et à en faire hardiment profession en face de ceux qui sont dans l’erreur en matière de piété et d’impiété et qui tiennent les gens pieux pour très impies, et pour très pieux ceux qui, fourvoyés dans leurs idées sur Dieu, appliquent à tout plutôt qu’à Dieu la juste notion qu’ils ont de lui ; et leur erreur est au comble quand ils massacrent avec fureur ceux qui, saisis par l’évidence de l’unique Dieu suprême, se sont consacrés de toute leur âme jusqu’à la mort. Celse met dans la bouche du Juif un autre reproche contre Jésus :” Il ne s’est pas montré pur de tout mal.” De quel mal Jésus ne s’est-il pas montré pur ? Que le lettré de Celse le dise ! S’il entend que Jésus ne s’est pas montré pur du mal au sens strict, qu’il fasse clairement la preuve d’un acte mauvais accompli par lui ! Si, au contraire, il entend par mal la pauvreté, la croix, la conspiration d’hommes insensés, il est évident qu’on peut dire que du mal est arrivé aussi à Socrate, qui n’a pas pu prouver qu’il était pur de ce mal. Mais qu’il est nombreux chez les Grecs le choeur des philosophes qui furent pauvres et d’une pauvreté volontairement choisie ! La plupart des Grecs le connaissent par leurs histoires : Démocrite laissa son bien abandonné en pâturage aux brebis ; Cratès se libéra en gratifiant les Thébains de l’argent que lui avait procuré la vente de tout ce qu’il possédait ; de plus, Diogène, par exagération de pauvreté, vivait dans un tonneau, et nulle personne d’intelligence même modérée n’en conclut que Diogène vivait dans le mal. De plus, puisque Celse veut que ” Jésus n’ait pas même été irréprochable,” c’est à lui de montrer lequel de ceux qui ont adhéré à sa doctrine a rapporté de Jésus quoi que ce soit de vraiment répréhensible. Ou bien, si ce n’est pas d’après eux qu’il l’accuse d’être répréhensible, qu’il montre d’après quelle source il a pu dire qu’il n’était pas irréprochable. Jésus a tenu ses promesses en faisant du bien à ceux qui se sont attachés à lui. Et en voyant sans cesse accomplis les événements qu’il avait prédits avant qu’ils arrivent, l’Évangile prêché dans le monde entier, ses disciples partis annoncer sa doctrine à toutes les nations, en outre, leur procès devant gouverneurs et rois sans autre motif que son enseignement, nous sommes remplis d’admiration pour lui et nous fortifions chaque jour notre foi en lui. Mais je ne sais pas de quelles preuves plus fortes et plus évidentes Celse voudrait qu’il ait confirmé ses prédictions ; à moins peut-être qu’ignorant, à ce qu’il semble, que le Logos est devenu l’homme Jésus, il eût voulu qu’il n’éprouvât rien d’humain et ne devînt pas pour les hommes un noble exemple de la manière de supporter l’adversité. Mais peut-être celle-ci apparaît-elle à Celse lamentable et des plus répréhensibles, puisqu’il regarde la peine comme le plus grand des maux et le plaisir comme le bien parfait : ce qui n’est accepté par aucun des philosophes qui admettent la Providence, et qui conviennent que le courage est une vertu ainsi que l’endurance et la grandeur d’âme. Ainsi, par les souffrances qu’il a supportées, Jésus n’a pas discrédité la foi en sa personne, mais il l’a fortifiée plutôt dans ceux qui veulent admettre le courage, et dans ceux qui ont appris de lui que la vie heureuse au sens propre et véritable n’est point ici-bas, mais dans ce qu’il appelle « le siècle à venir », tandis que la vie dans « le siècle présent » est un malheur, la première et la plus grande lutte à mener par l’âme. LIVRE II
Après cela, je ne sais pour quelle raison, il ajoute cette remarque fort niaise :” Si, en forgeant des justifications absurdes à ce qui vous a ridiculement abusés, vous croyez offrir une justification valable, qu’est-ce qui empêche de penser que tous les autres qui ont été condamnés et ont disparu d’une manière plus misérable encore sont des messagers plus grands et plus divins que lui ? ” Mais il est d’une évidence manifeste et claire à tout homme que Jésus, dans les souffrances qui sont rapportées, n’a rien de comparable a ceux qui ont disparu d’une manière plus misérable encore, à cause de leur magie ou de quelque autre grief que ce soit. Car personne ne peut montrer qu’une pratique de sorcellerie ait converti les âmes de la multitude des pèches qui règnent parmi les hommes et du débordement de vice. Et le Juif de Celse, assimilant Jésus aux brigands, déclare ” On pourrait dire avec une égale impudence d’un brigand et d’un assassin mis au supplice ce n’était pas un brigand, mais un Dieu, car il a prédit à ses complices qu’il souffrirait le genre de supplice qu’il a souffert “.Mais d’abord on peut dire ce n’est pas du fait qu’il a prédit ce qu’il souffrirait que nous avons de tels sentiments sur Jésus, comme par exemple lorsque nous professons sincèrement et hardiment qu’il est venu de Dieu à nous , ensuite, nous disons que cette assimilation même est prédite en quelque sorte dans les Evangiles, puisque Jésus « fut compte parmi les malfaiteurs » par des malfaiteurs car ils ont préféré qu’un brigand, emprisonné « pour sédition et meurtre », fût mis en liberté, et que Jésus soit crucifié, et ils le crucifièrent entre deux brigands. De plus, sans cesse, dans la personne de ses disciples véritables et qui rendent témoignage à la vérité, Jésus est crucifié avec des brigands et souffre la même condamnation qu’eux parmi les hommes. Nous disons dans la mesure ou il y a une analogie entre des brigands et ceux qui, pour leur piété envers le Créateur qu’ils veulent garder intacte et pure comme l’enseigna Jésus acceptent tous les genres d’outrages et de morts, il est clair que Celse a quelque raison de comparer aux chefs de brigands Jésus, l’initiateur de cet enseignement sublime. Mais ni Jésus qui meurt pour le salut de tous, ni ceux qui endurent ces souffrances à cause de leur piété, seuls de tous les hommes à être persécutés pour la manière dont ils croient devoir honorer Dieu, ne sont mis à mort sans injustice, et Jésus ne fut pas persécuté sans impiété. Note aussi le caractère superficiel de ce qu’il dit de ceux qui furent alors les disciples de Jésus : “Alors les compagnons de sa vie, qui entendaient sa voix, l’avaient pour maître, quand ils le virent torturé et mourant, ne voulurent ni mourir avec lui ni mourir pour lui, et, loin de consentir à mépriser des supplices, ils nièrent qu’ils fussent ses disciples. Et vous, maintenant, voulez mourir avec lui”. Ici donc Celse, pour attaquer notre doctrine, ajoute foi au péché commis par les disciples encore débutants et imparfaits, que rapportent les Evangiles. Mais leur redressement après leur faute, leur assurance à prêcher devant les Juifs, les maux sans nombre endurés de leur part, leur mort enfin pour l’enseignement de Jésus, il n’en dit mot. C’est qu’il n’a pas voulu considérer la prédiction de Jésus à Pierre « Vieilli, tu étendras les mains… » etc. ; à quoi l’Écriture ajoute « Il indiquait ainsi la mort par laquelle il rendrait gloire à Dieu » , ni considérer la mort par le glaive au temps d’Hérode, pour la doctrine du Christ, de Jacques frère de Jean, apôtre et frère d’apôtre , ni considérer non plus tous les exploits de Pierre et des autres apôtres dans leur intrépide prédication de l’Évangile, et comment ils s’en allèrent du Sanhédrin après leur flagellation, « tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour son nom », surpassant de loin tout ce que les Grecs racontent de l’endurance et du courage des philosophes. Des l’origine donc, prévalait chez les auditeurs de Jésus cette leçon capitale de son enseignement le mépris de la vie recherchée par la foule et l’empressement à mener une vie semblable à celle de Dieu. Et comment n’est-ce pas un mensonge que la parole du Juif de Celse “Au cours de sa vie, il ne gagna qu’une dizaine de mariniers et publicains des plus perdus, et encore pas tous ?” Il est bien clair, même des Juifs en conviendraient, qu’il à gagné non seulement dix hommes, ni cent, ni mille, mais en bloc tantôt cinq mille, tantôt quatre mille» , et gagné au point qu’ils le suivaient jusqu’aux déserts, seuls capables de contenir la multitude assemblée de ceux qui croyaient en Dieu par Jésus, et ou il leur présentait non seulement ses discours mais ses actes. Par ses redites, Celse me force à l’imiter puisque j’évite avec soin de paraître négliger l’un quelconque de ses griefs. Sur ce point donc, suivant l’ordre de son écrit, il déclare “Alors que de son vivant il n’a persuadé personne, après sa mort ceux qui en ont le désir persuadent des multitudes n’est-ce point le comble de l’absurde. Il aurait dû dire, pour garder la logique si, après sa mort ceux qui en ont, pas simplement le désir, mais le désir et la puissance, persuadent des multitudes, combien est-il plus vraisemblable que pendant sa vie il en ait persuadé bien davantage par sa puissante parole et par ses actes. LIVRE II
Que Celse donc, et ceux qui se plaisent à ses attaques contre nous le disent : quel rapport y a-t-il entre l’ombre d’un âne et le fait que les prophètes juifs ont prédit le lieu de naissance du futur chef de ceux à qui leur vie vertueuse mériterait d’être appelés « la part d’héritage » de Dieu ; qu’une vierge concevrait l’Emmanuel ; que tels signes et prodiges seraient accomplis par le personnage prédit et que « sa parole courrait si vite » que la voix de ses apôtres « parviendrait à toute la terre » ; quelles souffrances il subirait après sa condamnation par les Juifs et comment il ressusciterait ? Peut-on voir en ces paroles un effet du hasard sans qu’aucun motif plausible incitât les prophètes non seulement à les prononcer mais à les juger dignes d’être notées ? Est-ce que la puissante nation des Juifs qui s’était emparée depuis longtemps d’une contrée particulière pour l’habiter, n’avait pas de motif plausible pour proclamer certains d’entre eux prophètes et rejeter les autres comme faux prophètes ? Est-ce que rien ne les engageait à joindre aux livres de Moïse qu’ils tenaient pour sacrés les discours de ceux que dans la suite ils ont considérés comme des prophètes ? Et peuvent-ils nous prouver, ceux qui reprochent leur sottise aux Juifs et aux chrétiens, que la nation juive aurait pu subsister sans qu’il y ait eu chez elle aucune annonce d’événements connus d’avance ? Les nations dont elle était environnée croyaient chacune selon ses traditions recevoir des oracles et des divinations de ceux qu’elles vénéraient comme dieux ; eux au contraire avaient été élevés dans le mépris de tous ceux que les nations tenaient pour dieux et y voyaient non pas des dieux mais des démons puisque leurs prophètes disaient : « Tous les dieux des nations sont des démons » : auraient-ils été les seuls à n’avoir personne qui fît profession de prédire et fût capable de retenir ceux qui, par désir de prévision des événements futurs, voulaient s’en aller vers les démons des autres nations ? Juge, dès lors, s’il n’était pas nécessaire qu’une nation entière, élevée dans le mépris pour les dieux des autres nations, eût en abondance des prophètes manifestant d’emblée leur excellence et leur supériorité sur les oracles de tout pays. LIVRE III
Mais l’être descendu vers les hommes existait auparavant « en forme de Dieu », et c’est par amour pour les hommes qu’« il s’est anéanti », afin de pouvoir être reçu par les hommes. Non point certes qu’il ait subi un changement du bien au mal, car « il n’a pas fait de péché », ni de la beauté à la laideur, car « il n’a pas connu de péché » ; et il n’est pas venu de la félicité à l’infortune, mais « il s’est humilié lui-même » et n’en était pas moins heureux même lorsque pour le bienfait de notre race il s’humiliait lui-même. De plus, il ne subit pas de changement de l’état le meilleur au pire, car en quel sens la bonté et l’amour pour l’homme seraient-elles ce qu’il y a de pire ? Autant dire alors qu’à voir des horreurs et à toucher des choses répugnantes afin de guérir les malades, le médecin va du bien au mal, de la beauté à la laideur, de la félicité à l’infortune. Et encore le médecin qui voit des horreurs et touche des choses répugnantes n’évite-t-il pas absolument la possibilité de contracter le même mal. Mais celui qui guérit les blessures de nos âmes par le Logos de Dieu présent en lui était lui-même hors d’atteinte de tout mal. Même si, en prenant un corps mortel et une âme d’homme, le Logos, Dieu immortel, paraît à Celse se changer et se transformer, qu’il apprenne que le Logos, qui reste Logos par son essence, ne souffre rien des souffrances du corps ou de l’âme. Mais il condescend parfois à la faiblesse de celui qui ne peut voir l’éclat et la splendeur de sa divinité et il se fait pour ainsi dire « chair », est exprimé corporellement, permettant à celui qui l’a reçu sous cette forme, rapidement élevé par le Logos, de pouvoir contempler aussi, pour ainsi dire, sa forme principale. LIVRE IV
Mais quand parfois ils ont semblé abandonnés à cause de leur péché, néanmoins ils ont été visités, et, de retour chez eux, ont recouvré leurs biens et pratiqué sans obstacles leurs rites traditionnels. Et c’est encore une preuve de la divinité et de la sainteté de Jésus que le nombre et la gravité des malheurs subis par les Juifs depuis si longtemps à cause de lui. Et je dirai hardiment qu’il n’y aura pas pour eux de restauration. Car ils ont commis le plus impie de tous les forfaits en tramant ce complot contre le Sauveur du genre humain dans la ville où ils offraient à Dieu des sacrifices traditionnels, symboles de profonds mystères. C’est pourquoi il a fallu que cette ville où Jésus a enduré ces souffrances fût détruite de fond en comble et que la nation juive fût chassée de son pays ; et que l’appel de Dieu à la béatitude passât à d’autres, je veux dire les chrétiens, auxquels est parvenu l’enseignement d’une piété pure et sainte : ils ont reçu des lois nouvelles convenant à une communauté établie en tous lieux, car les anciennes lois données à une seule nation gouvernée par des chefs de même race et de mêmes moeurs ne pourraient plus toutes être observées de nos jours. LIVRE IV
Faute d’avoir compris les textes relatifs à la colère de Dieu, il ajoute : N’est-il pas ridicule en effet qu’un homme, dans sa colère contre les Juifs, extermine tous leurs jeunes gens, brûle leurs villes et les anéantisse: et que le Dieu très grand, à les entendre, se fâche, s’irrite, menace et envoie son Fils, et que celui-ci souffre à ce point? Mais en fait, le massacre de toute la jeunesse des Juifs, l’incendie de leurs villes, après le traitement qu’ils ont osé infliger à Jésus, toutes ces souffrances ne sont que le trésor de colère qu’ils s’étaient amassé : le jugement de Dieu porté contre eux par disposition divine, que l’usage traditionnel des Hébreux désigne du nom de colère. Mais le Fils du Dieu Très-Haut a souffert, parce qu’il l’a voulu, pour le salut des hommes, ainsi qu’on l’a, au mieux, déclaré plus haut. Il poursuit : Cependant, pour que la discussion ne porte pas sur les seuls Juifs, car tel n’est pas mon propos, mais sur la nature entière, comme je l’ai promis, je vais expliquer plus clairement ce que je viens de dire. A ces mots quel lecteur modeste et conscient de la faiblesse humaine ne serait pas choqué par l’outrecuidant qui promet de rendre raison de l’ensemble de la nature, avec la même forfanterie qui apparaît dans le titre qu’il osa donner à son livre ? Voyons donc cette discussion et cet éclaircissement promis sur toute la nature. LIVRE IV
Il poursuit : Dira-t-on que cela pousse pour les hommes – évidemment les plantes, les arbres, les herbes, les épines – ? Pourquoi prétendre que cela pousse davantage pour les hommes que pour les plus sauvages des animaux sans raison ? Que Celse le dise clairement : la grande diversité de ce qui pousse sur le sol n’est pas l’oeuvre de la Providence, mais un choc fortuit d’atomes a produit ces qualités si diverses ; de ce choc fortuit résulte que tant d’espèces de plantes, d’arbres et d’herbes sont semblables entre elles ; aucune raison ordonnatrice ne les a posées dans l’existence, et elles ne tiennent pas leur origine d’un esprit qui surpasse toute admiration. Mais nous, chrétiens, consacrés au seul Dieu qui a créé toutes ces choses, pour elles aussi nous rendons grâce à leur Créateur à elles aussi d’avoir ordonné pour nous, et à cause de nous, pour les animaux à notre service, un si vaste foyer : « Celui qui fait germer l’herbe pour le bétail et les plantes au service des hommes pour qu’ils tirent le pain de la terre, et pour que le vin réjouisse le coeur de l’homme, pour que l’huile égaie son visage, et que le pain fortifie le coeur de l’homme. » Quoi d’étonnant à ce qu’il ait aussi préparé des nourritures aux plus sauvages des animaux ? Car même ces animaux, d’autres philosophes encore les ont dit créés pour exercer les forces de l’animal raisonnable. Et l’un de nos sages dit quelque part : « Ne dis pas : qu’est ceci ? pourquoi cela ? Car toute chose a été créée pour son usage. Ne dis pas : qu’est ceci? pourquoi cela? Car toute chose sera cherchée en son temps. » Ensuite Celse en vient à nier que la Providence ait fait les produits du sol plutôt pour nous que pour les plus sauvages des animaux, et il dit : Nous autres, au prix de fatigues et de souffrances continuelles, nous assurons à grand-peine notre nourriture; pour eux, tout pousse sans semailles ni labours. Il ne voit pas que Dieu, voulant que l’intelligence humaine s’exerce sous tous les rapports pour ne pas rester oisive et ignorante des arts, a créé l’homme indigent : ainsi son besoin même le contraindrait à inventer des arts, les uns pour se nourrir, les autres pour se protéger. Pour ceux qui n’étudieraient pas les mystères divins ni la philosophie, il valait mieux être dans le besoin afin d’employer leur intelligence à l’invention des arts, car l’abondance eût fait négliger entièrement l’intelligence. Le besoin de ce qui est nécessaire à la vie a donc produit la culture des champs, celle de la vigne, le jardinage, la technique du bois et celle du fer, qui fabriquent des outils pour les arts servant à l’acquisition de la nourriture. Le besoin de se protéger a introduit le tissage après le cardage et le filage, l’art de construire, et ainsi l’intelligence s’est élevée jusqu’à l’architecture. Le besoin du nécessaire a fait transporter, par la navigation et le pilotage, les produits de certaines régions vers celles qui ne les possédaient pas. Autant d’autres raisons d’admirer la Providence qui, pour son avantage, a créé l’être raisonnable démuni, par rapport aux animaux sans raison. Les animaux sans raison, parce que sans aptitude aux arts, ont leur nourriture toute prête ; et ils ont une protection naturelle, étant pourvus de poils, de plumes, d’écaillés, de coquilles. Cela suffit pour répondre à la parole de Celse : Nous autres, c’est au prix de fatigues et de souffrances continuelles que nous assurons à grand-peine notre nourriture ; pour eux, tout pousse sans semailles ni labours. LIVRE IV
Il y a donc, à parler en général, deux lois : l’une, la loi de la nature, dont on peut dire que Dieu est l’auteur ; l’autre, la loi écrite des cités. Il est bon, quand la loi écrite ne contredit pas celle de Dieu, de ne pas troubler les citoyens par des lois étrangères. Mais quand la loi de la nature, c’est-à-dire de Dieu, ordonne le contraire de la loi écrite, vois si la raison n’impose pas de congédier les textes et l’intention des législateurs, pour se donner au Dieu Législateur et choisir une vie conforme à son Logos, dut-on affronter des risques, mille souffrances, la mort et l’infamie. Quand les actions qui plaisent à Dieu sont contraires à celles qui plaisent à certaines lois des cités, et qu’il est impossible de plaire à Dieu et à ceux qui veillent à l’application de ces lois, il serait absurde de mépriser les actions par lesquelles on plairait au Créateur de l’univers et de choisir celles par lesquelles on déplaira à Dieu tout en donnant satisfaction aux lois qui ne sont pas des lois et à ceux qui les aiment. S’il est raisonnable de préférer sur les autres points la loi de la nature, qui est la loi de Dieu, à celle qui est écrite et promulguée par les hommes en contradiction avec la loi de Dieu, combien plus ne le sera-t-il pas quand il s’agit de lois sur le culte à rendre à Dieu ? Aussi n’irons-nous pas comme les Égyptiens habitant les alentours de Méroé, adorer les seuls Zeus et Dionysos comme il leur plaît de faire, ni accorder le moindre honneur aux dieux d’Ethiopie à la manière éthiopienne ; ni comme les Arabes penser qu’Uranie et Dionysos soient les seuls dieux, ni même du tout admettre qu’ils sont des dieux en qui on honore les sexes masculin et féminin, car les Arabes adorent Uranie comme femelle et Dionysos comme mâle ; ni non plus comme tous les Égyptiens regarder Osiris et Isis comme des dieux, ni leur joindre Athéné suivant l’opinion des Saïtes. Et même si les Naucratites autrefois décidèrent d’adorer d’autres dieux, et ont commencé hier ou avant-hier à vénérer Sérapis qui n’avait jamais été dieu, nous n’irons pas pour autant faire un nouveau dieu de celui qui auparavant n’était pas dieu, et n’était pas même connu des hommes. Mais le Fils de Dieu, « Premier-né de toute créature », bien qu’il ait paru s’être fait homme récemment, n’en est pas du tout nouveau pour cela. Les divines Écritures le savent bien antérieur à toutes les créatures : c’est à lui que Dieu, lors de la création de l’homme, adressa la parole : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » LIVRE V
Il revient ensuite au système de Marcion déjà maintes fois abordé, et en donne un exposé en partie fidèle, en partie déformé. Il n’est pas nécessaire d’y répondre ou même de le réfuter. Il reprend à sa guise les arguments pour et contre Marcion, disant : Ils échappent à certaines critiques, mais tombent sous d’autres. Et quand il veut appuyer la doctrine affirmant que Jésus a été prédit, pour attaquer Marcion et ses disciples il déclare sans ambages : Comment prouverait-on, après qu’il a enduré de pareils supplices, qu’il est le Fils de Dieu, à moins que ses souffrances n’aient été prédites ? LIVRE VI
J’ignore comment il a pu dire de Dieu : Bien qu’omniscient, il n’a pas su qu’il envoyait son Fils à des méchants qui allaient pécher et le punir. Il semble oublier ici volontairement notre doctrine, qui tient que toutes les souffrances qu’endurerait le Christ Jésus, les prophètes de Dieu les ont vues d’avance par l’Esprit divin et les ont prédites. Ce que contredit son propos : Dieu n’a pas su qu’il envoyait son Fils à des méchants qui allaient pécher et le punir. Cependant il ajoute aussitôt que notre défense consiste à dire : Depuis longtemps c’était prédit. LIVRE VI
Pourquoi serait-ce là des choses très abominables et très impures, comme le dit Celse ? Cependant il semblera enseigner comment les souffrances qu’il a endurées étaient très abominables et très impures quand il dit : Pour un Dieu se nourrir de chair de brebis, boire du fiel ou du vinaigre, était-ce autre chose que de manger des excréments ? Mais d’après nous, Dieu n’a pas mangé de la chair de brebis ; quand il semble qu’il mangeait, c’était Jésus qui mangeait parce qu’il avait un corps. Par ailleurs, sur le fiel et le vinaigre prédits par le prophète : « Ils m’ont donné pour nourriture du fiel et dans ma soif ils m’ont fait boire du vinaigre », bien qu’on en ait parlé plus haut, Celse me contraint aux redites. Ceux qui conspirent contre l’Évangile de la vérité présentent sans cesse au Christ de Dieu le fiel de leur malice et le vinaigre de leur perversité ; et lui, « après avoir goûté, refuse d’en boire ». LIVRE VI
Mais ce qu’on a admis dans l’hypothèse n’a rien de comparable aux prophéties concernant Jésus. Les prophéties n’ont pas prédit que Dieu serait crucifié, elles qui disent de celui qui allait subir la mort : « Nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté, mais sa forme était méprisable, inférieure aux enfants des hommes ; homme plongé dans l’affliction et la peine, sachant porter l’infirmité. » Vois donc comme ils ont dit clairement que celui qui a enduré des souffrances humaines était un homme. Et Jésus lui-même, sachant avec précision que ce qui mourrait c’était l’homme, déclare à ceux qui complotent contre lui : « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu. » S’il y avait quelque chose de divin dans l’homme que l’esprit discerne en lui, c’était le Fils unique de Dieu, le Premier-né de toute créature, celui qui dit : « Je suis la Vérité, je suis la Vie, je suis la Porte, je suis la Voie, je suis le Pain vivant descendu du ciel. » Le raisonnement sur cet être et son essence est tout autre que celui qui concerne l’homme que l’esprit discerne en Jésus. LIVRE VI
En conséquence, nous n’insultons pas les démons d’ici-bas, mais nous condamnons leurs activités qui visent la perte du genre humain, car leur dessein est, sous prétexte d’oracles et de guérisons des corps et d’autres prodiges, de séparer de Dieu l’âme qui est tombée dans « le corps de misère ». Ceux qui ont compris cette misère s’écrient : « Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps de mort ? » Il n’est pas vrai non plus que nous livrons en vain notre corps à la torture et au supplice. On ne leur livre pas en vain son corps quand, parce qu’on refuse de proclamer dieux les démons qui entourent la terre, on est en butte à leurs attaques et à celles de leurs dévots. Il nous a même paru raisonnable de croire que c’est plaire à Dieu que se livrer à la torture pour la vertu, au supplice pour la piété, et à la mort pour la sainteté. Car « elle est précieuse aux yeux du Seigneur la mort de ses saints. » Et nous affirmons qu’il est bon de ne pas aimer la vie. Mais Celse nous compare aux malfaiteurs qui méritent bien les souffrances qu’on leur inflige pour leur brigandage, et il ne rougit pas d’assimiler notre si beau dessein à celui des brigands. Par ces propos il est bien le frère de ceux qui comptèrent Jésus au nombre des scélérats, accomplissant l’oracle de l’Écriture : « Il a été mis au nombre des scélérats. » LIVRE VIII