signe (Orígenes)

Admettons que telle âme, pour des motifs mystérieux, méritant d’habiter le corps non d’un être totalement dépourvu de raison, ni non plus d’un être purement raisonnable, revête un corps monstrueux où la raison ne peut s’épanouir dans l’être ainsi conformé, à la tête disproportionnée au reste du corps et bien trop petite ; admettons que telle autre reçoive un corps lui permettant d’être un peu plus raisonnable que la précédente, et une autre mieux encore, la nature du corps faisant plus ou moins obstacle à l’emprise de la raison : pourquoi n’y aurait-il pas aussi une âme qui recevrait un corps totalement miraculeux, avec quelque chose de commun aux hommes afin de pouvoir vivre parmi eux, mais aussi quelque chose d’exceptionnel afin de pouvoir demeurer exempte de péché ? Admettons qu’il y ait du vrai dans la doctrine des physiognomonistes Zopyros, Loxos, Polémon, et de tous ceux qui ont écrit sur le sujet, se targuant d’un savoir étonnant sur la parenté de chaque corps avec le caractère de son âme : dès lors à cette âme, destinée à vivre miraculeusement et à accomplir de grandes actions, il fallait un corps, non pas comme le croit Celse, né d’un adultère entre Panthère et la Vierge, car d’une union aussi impure aurait dû plutôt sortir un fou nuisible aux hommes, maître d’intempérance, d’injustice et des autres vices, et non pas de maîtrise de soi, de justice et des autres vertus. Mais, comme l’ont encore prédit les prophètes, il fallait un corps né d’une Vierge, enfantant, suivant l’annonce du signe, l’enfant dont le nom qualifierait l’oeuvre, montrant qu’à sa naissance Dieu serait avec les hommes. LIVRE I

C’est bien le moment, me semble-t-il, d’opposer aux paroles fictives du Juif la prophétie d’Isaïe que l’Emmanuel naîtrait d’une vierge. Celse ne l’a pas citée, soit qu’il l’ignorât, lui qui proclame tout savoir, soit qu’il l’ait lue mais volontairement passée sous silence pour ne point sembler établir malgré lui la doctrine contraire à son propos. Voici le passage : « Et le Seigneur s’adressa de nouveau à Achaz et lui dit : Demande pour toi au Seigneur ton Dieu un signe dans la profondeur ou sur la hauteur. Achaz répondit : Non, je ne demanderai pas, je ne mettrai pas le Seigneur au défi. Ecoutez donc, maison de David : ne vous suffit-il pas de contrarier les hommes, que vous veniez à contrarier le Seigneur ? C’est donc le Seigneur lui-même qui va vous donner un signe. Voici : la vierge va concevoir et enfanter un fils qu’elle appellera du nom d’Emmanuel », nom qui se traduit : « Dieu avec nous. » Mais c’est par déloyauté que Celse n’a pas cité la prophétie : la preuve en est qu’il a mentionné plusieurs passages de l’Evangile selon Matthieu, comme “l’astre qui s’est levé à la naissance de Jésus”, et d’autres miracles, mais n’a pas fait la moindre allusion à celui-là. Et si un Juif veut chicaner sur l’expression et prétend que la leçon n’est pas : «Voici : la Vierge…», mais «Voici : la jeune fille…», je lui répliquerai : le terme « Aalma » que les Septante ont traduit par « la vierge », et d’autres par « la jeune fille », se trouve encore, ils l’avouent, dans le Deutéronome, et à propos d’une vierge. Le voici : « Si une jeune vierge est fiancée à un homme, et qu’un autre la rencontre dans la ville et couche avec elle, vous les conduirez tous deux à la porte de cette ville et vous les lapiderez jusqu’à ce que mort s’ensuive : la jeune fille, pour ce motif qu’elle n’a pas appelé au secours dans la ville, et l’homme, pour ce motif qu’il a humilié la femme de son prochain. » Et ensuite : « Mais si c’est dans la campagne que l’homme a rencontré la jeune fille fiancée, qu’il l’a violentée et a couché avec elle, tuez l’homme qui a couché avec elle et lui seul ; vous ne ferez rien à la jeune fille, il n’y a pas pour elle de faute digne de mort. » (Deut. 22, 25) LIVRE I

Mais ne donnons pas l’impression de dépendre d’un mot hébreu pour apporter à ceux qui ne savent pas s’il faut ou non l’admettre, la persuasion que le prophète a bien dit : d’une vierge sera enfanté celui à la naissance duquel il est dit : « Dieu avec nous ». Essayons de fonder notre conviction sur le sens même de la phrase. Le Seigneur, est-il écrit, dit à Achaz : « Demande pour toi au Seigneur ton Dieu un signe dans la profondeur ou sur la hauteur. LIVRE I

Et ensuite, le signe est donné : « Voici : la Vierge va concevoir et enfanter un fils. » Or, quel signe y aurait-il si c’était une jeune fille non vierge qui enfante ? Et à laquelle sied-il mieux d’enfanter Emmanuel, Dieu avec nous : à la femme qui a eu des relations sexuelles et qui a conçu par passion féminine, ou à celle qui est encore pure, sainte et vierge ? C’est à celle-ci, bien sûr, qu’il convient d’enfanter un enfant à la naissance duquel il soit dit : « Dieu avec nous ». Et si, même dans ce cas, on continue à chicaner en disant que c’est à Achaz que s’adresseraient les mots : « Demande pour toi au Seigneur un signe », je répliquerai : Qui donc est né au temps d’Achaz, à la naissance duquel il soit dit « Emmanuel », « Dieu avec nous » ? Si l’on ne trouve personne, il est évident que la parole dite à Achaz l’est à la maison de David, car le Seigneur, d’après l’Écriture, est né « de la postérité de David selon la chair ». De plus, ce signe est dit être « dans la profondeur ou sur la hauteur », puisque « Celui qui est descendu, c’est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses ». Voilà ce que je dis à l’adresse du Juif qui donne son adhésion à la prophétie. A Celse ou à l’un de ses adeptes de dire dans quel état d’esprit le prophète fait du futur cette prédiction ou d’autres, écrites dans les prophéties : est-ce bien en prévoyant le futur, oui ou non ? Si c’est en prévoyant le futur, les prophètes avaient un esprit divin ; si ce n’est pas en prévoyant le futur, qu’il explique l’état d’esprit de celui qui ose parler de l’avenir et que les Juifs admirent pour sa prophétie ! LIVRE I

Je dirai donc aux Grecs : les mages ont commerce avec les démons et les invoquent selon leur art et leurs desseins. Ils réussissent tant que rien de plus divin et de plus puissant que les démons et l’incantation qui les évoque n’apparaît pas ou n’est pas prononcée. Mais s’il survient une manifestation plus divine, sont détruites les puissances des démons, incapables de résister à la lumière de la divinité. Il est donc vraisemblable aussi qu’à la naissance de Jésus, lorsqu’« une troupe nombreuse de l’armée céleste », ainsi que l’écrivit Luc et que j’en suis persuadé, loua Dieu et dit : « Gloire à Dieu dans les hauteurs, paix sur la terre, et bienveillance divine chez les hommes » ! », de ce fait, les démons perdirent leur vigueur et leur force ; leur magie fut confondue et leur pouvoir cessa ; ils furent ruinés non seulement par la venue des anges à l’entoure de la terre pour la naissance de Jésus, mais encore par l’âme de Jésus et la divinité présente en lui. Aussi les mages, voulant accomplir comme auparavant leurs habituelles incantations et sorcelleries et n’y parvenant pas, en recherchèrent-ils la cause dont ils comprenaient l’importance. A la vue du signe céleste, ils désirèrent voir ce qu’il signalait. A mon sens donc, en possession des prophéties de Balaam rapportées par Moïse, lui aussi expert en cet art, ils y trouvèrent à propos de l’étoile ces mots : « Je lui montrerai, mais non maintenant ; je le félicite, mais il n’approchera pas. » Ils conjecturèrent que l’homme prédit avec l’étoile était venu à la vie, et, l’accueillant comme supérieur à tous les démons et aux êtres qui d’habitude leur apparaissaient et manifestaient leur puissance, ils voulurent « l’adorer ». Ils vinrent donc en Judée parce qu’ils étaient persuadés qu’un roi était né, mais sans savoir la nature de sa royauté, et parce qu’ils connaissaient le pays où il naîtrait. Ils apportaient « des présents » qu’ils offrirent comme à quelqu’un qui tienne à la fois, pour ainsi dire, de Dieu et de l’homme mortel, et des présents symboliques : l’or comme à un roi, la myrrhe comme à un être mortel, l’encens comme à un Dieu ; ils les « offrirent » après s’être informés du lieu de sa naissance. Mais puisqu’il était Dieu, ce Sauveur du genre humain élevé bien au-dessus des anges qui secourent les hommes, un ange récompensa la piété des mages à adorer Jésus, et les avertit de ne pas aller vers Hérode, mais de retourner chez eux par un autre chemin. LIVRE I

Après cela, le Juif de Celse déclare, comme un Grec ami du savoir et instruit de la littérature grecque : “Les anciens mythes qui ont attribué à Persée, Amphion, Eaque et Minos une naissance divine — et nous ne les avons même pas crus — étalent du moins avec complaisance leurs oeuvres grandes, admirables et véritablement surhumaines, pour ne point paraître indignes de foi. Mais toi, qu’as-tu présenté de beau ou d’admirable en oeuvres ou en paroles ? Tu ne saurais rien nous montrer malgré la sommation qu’on te fit dans le temple de fournir un signe manifeste que tu es Fils de Dieu”. A cela il faut répondre : que les Grecs nous montrent, de l’un de ceux qui viennent d’être énumérés, une oeuvre utile à la vie, éclatante, dont l’influence s’étendit à la postérité et qui soit capable de donner une vraisemblance au mythe qui leur attribue une naissance divine ! Mais en fait, ils ne montreront sur les héros dont ils ont écrit l’histoire rien qui approche même de loin les exploits accomplis par Jésus. A moins par hasard que les Grecs nous renvoient à leurs mythes et à leurs récits, et nous veuillent, là, déraisonnablement crédules, et ici, en dépit d’une évidence flagrante, incrédules. Or nous, nous affirmons : l’oeuvre de Jésus, toute la terre des hommes la porte, où résident grâce à Jésus, les églises de Dieu composées d’hommes convertis de péchés innombrables. De plus, le nom de Jésus chasse encore des hommes les égarements d’esprit, les démons et, aujourd’hui encore, les maladies ; et il fait naître merveilleusement douceur, modération de caractère, sentiment d’humanité, bonté, mansuétude chez ceux qui ne feignent pas d’accepter, pour des avantages ou des nécessités de la vie, mais acceptent véritablement la doctrine sur Dieu, le Christ et le jugement à venir. LIVRE I

Il était bien logique que ceux qui étaient envoyés aux circoncis ne s’écartent pas des coutumes juives, quand « ceux que l’on considérait comme des colonnes donnèrent en signe de communion la main » à Paul et à Barnabé, et partirent « eux vers les circoncis », afin que les autres aillent prêcher aux Gentils. Mais, que dis-je, ceux qui prêchent aux circoncis se retiraient des Gentils et se tenaient à l’écart ? Paul lui-même se fit « Juif pour gagner les Juifs ». C’est la raison pour laquelle, comme il est encore écrit dans les Actes des Apôtres, il présenta même une oblation à l’autel, afin de persuader les Juifs qu’il n’était point un apostat de la loi. Si Celse avait su tout cela, il n’aurait pas mis en scène un Juif qui dit aux croyants issus du judaïsme : “Quel malheur vous est donc survenu, mes compatriotes, que vous ayez abandonné la loi de nos pères, et que, séduits par celui avec qui je discutais tout à l’heure, vous ayez été bernés de la plus ridicule façon, et nous ayez désertés pour changer de nom et de genre de vie ?” Puisque j’en suis à parler de Pierre et de ceux qui ont enseigné le christianisme aux circoncis, je ne crois pas hors de propos de citer une déclaration de Jésus, tirée de l’Évangile selon Jean, et de l’expliquer. Voici donc ce qu’il dit d’après l’Écriture : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entendra, il le dira. » La question est de savoir quel était ce « grand nombre de choses » que Jésus avait à dire à ses disciples, mais qu’ils n’étaient pas encore en état de porter. Je réponds : parce que les apôtres étaient des Juifs, instruits de la loi de Moïse prise à la lettre, il avait peut-être à dire quelle était la loi véritable, de quelles « réalités célestes » le culte des Juifs était l’accomplissement « en figure et en image », quels étaient les « biens à venir » dont l’ombre était contenue dans la loi sur les aliments, les boissons, les fêtes, les nouvelles lunes et les sabbats. Voilà « le grand nombre de choses » qu’il avait à leur dire. Mais il voyait l’extrême difficulté d’arracher de l’âme des opinions pour ainsi dire congénitales et développées jusqu’à l’âge mûr, ayant laissé ceux qui les avaient reçues persuadés qu’elles étaient divines et qu’il était impie de les en dépouiller. Il voyait la difficulté de prouver, jusqu’à en persuader les auditeurs, qu’en comparaison de la suréminence de la « connaissance » selon le Christ, c’est-à-dire selon la vérité, elle n’étaient que « déchets » et « dommages ». Il remit donc cette tâche à une occasion plus favorable, après sa passion et sa résurrection. Et en effet, il était vraiment hors de propos d’apporter du secours à ceux qui n’étaient pas encore capables de le recevoir ; cela pouvait détruire l’impression, qu’ils avaient déjà reçue, que Jésus était le Christ, le Fils du Dieu vivant. Considère s’il n’y a pas un sens respectable à entendre ainsi le passage : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant » : par un grand nombre de choses, il entendait la méthode d’explication et d’éclaircissement de la loi dans un sens spirituel ; et les disciples ne pouvaient en quelque sorte les porter, parce qu’ils étaient nés et avaient été jusqu’alors élevés parmi les Juifs. Et, je pense, c’est parce que les pratiques légales étaient une figure, et que la vérité était ce que le Saint-Esprit allait leur enseigner, qu’il a été dit : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière » ; comme s’il disait : vers la vérité intégrale des réalités dont, ne possédant que les figures, vous croyiez adorer Dieu de l’adoration véritable. Conformément à la promesse de Jésus, l’Esprit de vérité vint sur Pierre et lui dit, à propos des quadrupèdes et des reptiles de la terre et des oiseaux du ciel : « Debout, Pierre, immole et mange ! » Il vint à lui, bien qu’il fût encore imbu de superstition, car même à la voix divine il répond : « Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. » Et il lui enseigna la doctrine sur les aliments véritables et spirituels par ces mots : « Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé. » Et après cette vision, l’Esprit de vérité, conduisant Pierre « vers la vérité tout entière », lui dit « le grand nombre de choses » qu’il ne pouvait pas « porter » alors que Jésus lui était encore présent selon la chair. LIVRE II

S’il faut ajouter encore une autre raison, je dirai que, même cela les prophètes l’ont prédit. Isaïe du moins dit clairement : « Vous entendrez de votre oreille et vous ne comprendrez pas, vous regarderez de vos yeux et vous ne verrez pas. Car le coer de ce peuple s’est épaissi », etc. Qu’on nous dise alors pourquoi il est prédit aux Juifs que malgré le témoignage de leurs oreilles et de leurs yeux, ils ne comprendraient pas les paroles ni ne verraient le spectacle de la manière qu’il fallait. De toute évidence, voyant Jésus ils n’ont pas vu qui il était, l’entendant ils n’ont pas compris à ses paroles la divinité qui était en lui et qui allait transférer aux Gentils qui avaient foi en lui la sollicitude de Dieu jusqu’alors réservée aux Juifs. Aussi peut-on voir, après l’avènement de Jésus, les Juifs entièrement abandonnés, ne possédant rien de ce qui autrefois leur paraissait sacré, pas même un signe de la présence de la divinité parmi eux. Car ils n’ont plus de prophètes ni de prodiges ; tandis qu’on en trouve des traces d’une certaine importance chez les chrétiens, oui et même, « de plus grands » ; et si je suis digne de créance, moi aussi j’en ai vus. Le Juif de Celse dit : “Pourquoi aurions-nous indignement traité celui que nous avons publiquement prédit ? Dans le but d’être punis plus que les autres ? ” A cela aussi on peut répondre : les Juifs plus que les autres, pour leur manque de foi en Jésus et combien d’autres outrages qu’ils lui ont faits, non seulement souffriront du jugement auquel nous croyons, mais encore en ont déjà souffert. Quel peuple en effet est-il banni de sa propre capitale et du lieu réservé au culte traditionnel sinon les seuls Juifs ? Voilà ce qu’ils ont souffert dans leur profonde indignité, moins pour aucun de leurs nombreux autres péchés, que pour ce qu’ils ont osé contre notre Jésus. LIVRE II

Ensuite qu’il ait été livré par ceux qu’il appelait ses disciples, le Juif de Celse l’a appris des Evangiles, bien qu’il désigne comme plusieurs disciples le seul Judas, afin de paraître corser l’accusation. Mais il n’a pas sérieusement examiné tout ce qui est écrit de Judas : Judas était tiraillé par des jugements opposés et contradictoires, il ne mit pas toute son âme à être hostile à Jésus, ni toute son âme à garder le respect d’un disciple envers son maître. Car, à la troupe venue pour s’emparer de Jésus, « le traître avait donné ce signe : Celui que je baiserai, c’est lui, arrêtez-le. » Il gardait un reste de respect envers son maître, sinon, il l’aurait livré ouvertement, sans baiser hypocrite. N’est-ce donc point suffisant pour persuader tout le monde que, dans sa détermination, Judas, avec l’avarice et la décision perverse de livrer son maître, avait dans son âme quelque chose de mêlé, suscité en lui par les paroles de Jésus, et qui ressemblait, pour ainsi dire, à un reste de bonté ? Car il est écrit « Alors Judas qui l’avait livré, voyant que Jésus avait été condamné, fut pris de remords et rapporta les trente pièces d’argent aux grands-prêtres et aux anciens « J’ai péché, dit-il, en livrant un sang juste » Ceux-ci répondirent « Que nous importe ? A toi de voir ! » Jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre “. Mais si Judas, qui était avare et volait ce qu’on jetait dans la bourse pour le compte des pauvres, « pris de remords, rapporta les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens », il est clair que les enseignements de Jésus avaient pu susciter en lui quelque remords, et que le traître ne les avait pas totalement méprisés et rejetés. Bien plus le « J’ai péché en livrant un sang innocent » était l’aveu public du péché commis. Vois donc la véhémence et l’excès du chagrin que lui donna le remords de ses péchés il ne pouvait plus supporter de vivre, mais, après avoir jeté les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre. En se faisant justice, il montra combien avait eu de puissance l’enseignement de Jésus même dans un pécheur comme Judas, voleur et traître, incapable de mépriser totalement ce qu’il avait appris de Jésus. Les partisans de Celse diront-ils que ces preuves manifestes que l’apostasie de Judas ne fut pas totale, en dépit même de ce qu’il osa contre son maître, ne sont que des fictions, tandis que le seul fait avéré est la trahison d’un des disciples, et ajouteront-ils au récit qu’il l’a encore trahi de toute son âme ? Ce qui est sans force persuasive, c’est, à partir des mêmes textes, de tout faire en esprit de haine, soit donner sa créance, soit la refuser. LIVRE II

A sa question ” Pourquoi donc, s’il ne l’a pas fait avant, du moins maintenant ne manifeste-t-il pas quelque chose de divin, ne se lave-t-il pas de cette honte, ne se venge-t-il de ceux qui l’outragent lui et son Père ? “, il faut répondre que c’est équivalemment poser aux Grecs qui admettent la Providence et acceptent l’existence de signes divins, la question : pourquoi enfin Dieu ne punit-il pas ceux qui outragent la divinité et qui nient la Providence ? Car si les Grecs ont une réponse à cette objection, nous aussi nous en aurons une semblable et même supérieure. Mais il y eut bien un signe divin venu du ciel, l’éclipse de soleil, et les autres miracles . preuves que le crucifié avait quelque chose de divin et de supérieur au commun des hommes. Celse continue :” Que déclare-t-il même lorsque son corps est fixé à la croix ? Son sang est-il l’ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ? “. Le voilà donc qui badine. Mais nous, grâce aux Evangiles qui, quoi que prétende Celse, sont des écrits sérieux, nous établirons ceci l’ichôr de la fable et d’Homère ne s’écoula point de son corps, mais, alors qu’il était déjà mort, « l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côte, et il sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu en rend témoignage, son témoignage est véridique, et il sait qu’il dit vrai » Or, pour les autres cadavres, le sang est coagulé, et il ne peut couler d’eau pure , mais pour le cadavre de Jésus, le miracle était que même de son cadavre « du sang et de l’eau » se soient écoulés du côte. Mais Celse, qui tire des griefs contre Jésus et les chrétiens de textes évangéliques qu’il ne sait même pas interpréter correctement et tait ce qui établit la divinité de Jésus, veut-il se rendre attentif aux manifestations divines ? Qu’il lise alors l’Évangile et qu’il y voie entre autres ce passage « Le centurion et les hommes qui gardaient Jésus avec lui, témoins du séisme et des prodiges survenus, furent saisis d’une grande frayeur et dirent Celui-là était Fils de Dieu ! » Ensuite, extrayant de l’Évangile les passages qu’il ose lui opposer, il reproche à Jésus son ” avidité à boire le fiel et le vinaigre, sans savoir dominer une soif que même le premier venu domine d’ordinaire “. Ce texte, pris a part, comporte une interprétation allégorique , mais ici on peut donner une réponse plus commune aux objections : même cela les prophéties l’ont prédit. Il est écrit en effet dans le psaume soixante-huitième cette parole rapportée au Christ : « Pour me nourrir, ils m’ont donné du fiel, pour apaiser ma soif, fait boire du vinaigre. » C’est aux Juifs de dire qui le prophète fait parler de la sorte et d’établir, d’après l’histoire, qui a reçu du fiel en nourriture et du vinaigre pour boisson. Ou s’ils se hasardent à dire qu’il est question du Christ dont ils croient la venue future, alors je répondrai : qu’est-ce qui empêche la prophétie d’être déjà réalisée ? Le fait que cela ait été dit si longtemps d’avance, avec les autres prévisions des prophètes, si l’on fait un examen judicieux de toute la question, est capable d’amener à reconnaître Jésus comme le Christ prophétisé et le Fils de Dieu. LIVRE II

Et comme c’est un Juif qui tient ces propos chez Celse, on pourrait lui dire et toi donc, mon brave, pourquoi enfin cette différence tu croîs divines les oevres que d’après tes Écritures Dieu accomplit par Moïse, et tu tâches de les justifier contre ceux qui les calomnient comme des effets de la sorcellerie, analogues à ceux qu’accomplissent les sages d’Egypte ; tandis que celles de Jésus dont tu reconnais l’existence, suivant l’exemple des Egyptiens qui te critiquent, tu les accuses de n’être pas divines ? Si en effet le résultat final, la nation entière constituée par les prodiges de Moïse, prouve évidemment que c’était Dieu l’auteur de ces miracles au temps de Moïse, comment cet argument ne sera-t-il pas plus démonstratif pour le cas de Jésus, auteur d’une plus grande oevre que celle de Moïse ? Car Moïse a pris ceux de la nation formée de la postérité d’Abraham qui avaient gardé le rite traditionnel de la circoncision, observateurs décidés des usages d’Abraham, et il les conduisit hors d’Egypte en leur imposant les lois que tu croîs divines. Jésus, avec une autre hardiesse, substitua au régime antérieur, aux habitudes ancestrales, aux manières de vivre d’après les lois établies, le régime de l’Évangile. Et, tout comme les miracles que Moïse fit d’après les Écritures étaient nécessaires pour lui obtenir l’audience non seulement de l’assemblée des Anciens, mais encore du peuple, pourquoi Jésus lui aussi, pour gagner la foi d’un peuple qui avait appris à demander des signes et des prodiges, n’aurait-il pas eu besoin de miracles capables, par leur grandeur et leur caractère divin supérieurs si on les compare à ceux de Moïse, de les détourner des fables juives et de leurs traditions humaines, et de leur faire accepter que l’auteur de cette doctrine et de ces prodiges était plus grand que les prophètes ? Comment donc n’était-il pas plus grand que les prophètes, lui que les prophètes proclament Christ et Sauveur du genre humain ? Bien plus, toutes les attaques du Juif de Celse contre ceux qui croient en Jésus peuvent se retourner en accusation contre Moïse , en sorte qu’il n’y a pas ou presque pas de différence à parler de la sorcellerie de Jésus et de celle de Moïse, tous deux pouvant, à s’en tenir a l’expression du Juif de Celse, être l’objet des mêmes critiques. Par exemple le Juif de Celse dit a propos du Christ « O lumière et vérité ! De sa propre voix, il annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers ». Mais a propos de Moïse, celui qui ne croît pas à ses miracles, qu’il soit d’Egypte ou de n’importe ou, pourrait dire au Juif « O lumière et vérité ! De sa propre voix, Moïse annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers » Car il est écrit dans votre loi : « Que surgisse en toi un prophète ou un faiseur de songes qui te propose un signe ou un prodige, et qu’ensuite ce signe ou ce prodige annoncé arrive, s’il te dit alors « Allons suivre d’autres dieux que vous ne connaissez pas et servons les », vous n’écouterez pas les paroles de ce prophète ni les songes de ce songeur » etc… L’un, dans sa critique des paroles de Jésus, dit encore « Et il nomme un certain Satan, habile à contrefaire ces prodiges » L’autre, dans l’application de ce trait à Moïse, dira « Et il nomme un prophète faiseur de songes habile à contrefaire ces prodiges ». Et de même que le Juif de Celse dit de Jésus : « Il ne nie pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » , ainsi, qui ne croît pas aux miracles de Moïse lui dira la même chose en citant la phrase précédente « Il ne nie même pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » Et ainsi fera-t-il pour cette parole « Sous la contrainte de la vérité, Moïse a en même temps démasqué la conduite des autres et confondu la sienne ». Et quand le Juif déclare « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la divinité de l’un et a la sorcellerie des autres ? » on pourrait lui répondre à cause des paroles de Moïse déjà citées « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la qualité de prophète et serviteur de Dieu de l’un et a la sorcellerie des autres ? » Mais insistant davantage, Celse ajoute aux comparaisons que j’ai citées « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à leur méchanceté plutôt qu’à la sienne sur son propre témoignage ? » On ajoutera à ce qui était dit « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à la méchanceté des gens auxquels Moïse défend de croire malgré leur étalage de signes et de prodiges, et non plutôt à la méchanceté de Moïse, quand il attaque les autres pour leurs signes et leurs prodiges ? » Il multiplie les paroles dans le même sens pour avoir l’air d’amplifier sa brève argumentation : « Elles sont en fait, et lui-même en convint, des signes distinctifs non d’une nature divine, mais de gens trompeurs et fort méchants. » Qui donc désigne ce « lui-même » ? Toi, Juif, tu dis que c’est Jésus ; mais celui qui t’accuse comme sujet aux mêmes critiques rapportera ce « lui-même » à Moïse. LIVRE II

Puisque l’auteur de tels propos est Juif, nous lui répondrons comme à un Juif pour défendre notre Jésus, appliquant encore son argument à Moïse : combien d’autres usent de ces contes merveilleux comme le fit Moïse pour persuader leurs auditeurs naïfs et tirer profit de l’imposture. L’évocation de Zamolxis, de Pythagore et de leurs contes merveilleux conviendrait mieux à quelqu’un qui ne croit pas à Moïse qu’à un Juif, pas précisément curieux des histoires grecques. Mais l’Égyptien même incrédule aux miracles de Moïse citerait vraisemblablement l’exemple de Rhampsinite en disant : l’histoire de sa descente chez Hadès, du jeu de dés avec Déméter, de la serviette lamée d’or conquise sur elle pour montrer un signe de sa descente chez Hadès et de sa remontée, est bien plus vraisemblable que celle de Moïse écrivant qu’« il était entré dans la nuée où était Dieu » et que seul il approcha de Dieu à l’exclusion des autres ; car voici ce qu’il a écrit : « Moïse seul s’approchera de Dieu, les autres ne s’approcheront pas. » En conséquence, au Juif qui tient ces propos, nous, disciples du Christ, nous dirons : Défends-toi donc, toi qui incrimines notre foi en Jésus, dis ce que tu répondras à l’Égyptien et aux Grecs sur les accusations que tu portes contre notre Jésus, mais qui peuvent d’abord s’appliquer à Moïse. Même si tu luttes fortement pour défendre Moïse, comme assurément son histoire peut recevoir une justification impressionnante et manifeste, à ton insu, dans ton apologie de Moïse, tu prouveras malgré toi que Jésus est plus divin que lui. LIVRE II

D’ailleurs des miracles s’opéraient partout, ou du moins en beaucoup d’endroits, et Celse lui-même mentionne ensuite Asclépios qui accordait des guérisons et des prédictions de l’avenir à toutes les villes à lui consacrées comme Trikkè, Épidaure, Cos, Pergame, Aristéas de Proconnèse, le héros de Clazomène, et Cléomède d’Astypalée.” Et chez les seuls Juifs, affirmant leur consécration au Dieu de l’univers, il n’y aurait eu aucun signe ou prodige pour aider et affermir leur foi au Créateur de l’univers et leur espérance d’une autre vie meilleure ? Mais comment eût-ce été possible ? Ils auraient aussitôt passé au culte des démons diseurs d’oracles et guérisseurs et auraient abandonné le Dieu au secours duquel théoriquement on avait foi, mais qui ne leur eût pas donné la moindre manifestation de lui-même. Et puisqu’il n’en est rien, qu’au contraire ils ont enduré des maux sans nombre plutôt que de désavouer le judaïsme et sa loi, et souffert en Syrie, en Perse, sous Antiochus, comment n’est-ce pas la démonstration plausible pour ceux qui refusent de croire aux récits de miracles et aux prophéties, qu’il n’y a point là de fictions, mais au contraire qu’un esprit divin résidait dans les âmes pures des prophètes qui ont accepté toutes les peines pour la défense de la vertu, et les incitait à prédire certaines choses pour leurs contemporains, d’autres pour la postérité, mais spécialement la venue future d’un Sauveur au genre humain ? LIVRE III

De nouveau, lorsqu’on dit d’Asclépios qu’une grande foule d’hommes, Grecs et barbares, reconnaît l’avoir vu souvent et le voir encore, non comme un fantôme, mais en train de guérir, de faire du bien, de prédire l’avenir, Celse nous demande de le croire, et il ne nous blâme pas comme fidèles de Jésus quand nous croyons à ces témoignages. Mais quand c’est aux disciples de Jésus, témoins de ses prodiges, qui ont manifesté clairement la pureté de leur conscience, que nous accordons notre foi parce que nous voyons leur franchise, autant qu’il est possible de juger d’une conscience d’après des écrits, Celse nous traite de sots. Il est d’ailleurs bien incapable de montrer, comme il dit, l’innombrable foule d’hommes, Grecs et barbares, qui reconnaissent Asclépios. Nous pouvons, nous, s’il y attache de l’importance, montrer clairement la foule innombrable d’hommes, Grecs et barbares, qui reconnaissent Jésus. Et certains manifestent, dans les guérisons qu’ils opèrent, le signe qu’ils ont reçu, grâce à leur foi, un pouvoir miraculeux, vu qu’ils n’invoquent sur ceux qui demandent la guérison que le Dieu suprême et le nom de Jésus en y joignant son histoire. Par eux, moi aussi j’ai vu bien des gens délivrés de graves maladies, d’égarements d’esprit, de démences et d’une infinité d’autres maux que ni hommes ni démons n’avaient pu guérir. LIVRE III

De plus, supposons que les oiseaux aient entre eux des combats, et que, comme dit Celse, les oiseaux divinateurs et les autres animaux sans raison aient une nature divine et des notions de la divinité, et une prévision de l’avenir : ils le prédiraient aux autres. Alors, le passereau dont parle Homère ne ferait pas son nid là où le dragon va le dévorer lui et ses petits, et le serpent du même poète aurait évité d’être pris par l’aigle. Voici le passage de l’admirable Homère sur le premier : « Alors nous apparut un terrible présage. Un serpent au dos rutilant, effroyable, appelé à la lumière par le Dieu même de l’Olympe, jaillissant de dessous un autel s’élança vers le platane. Une couvée était là, de tout petits passereaux, juchés sur la plus haute branche et blottis sous le feuillage – huit petits ; neuf, en comptant la mère dont ils étaient nés. Le serpent les mangea tous malgré leurs pauvres petits cris. Autour de lui la mère voletait, se lamentant sur sa couvée. Il se love et soudain la saisit par l’aile, toute piaillante. Mais, à peine eut-il mangé les petits passereaux et leur mère avec eux, que le dieu qui l’avait fait paraître en fit un signe mémorable : le fils de Cronos le Fourbe l’avait soudain changé en pierre. Nous restions immobiles, à admirer l’événement, comment de si terribles monstres étaient venus troubler l’hécatombe des dieux. » Et sur le second : « Un présage leur vient d’apparaître quand ils brûlaient de le franchir (le fossé) : un aigle, volant haut, qui laisse l’armée sur sa gauche. Il porte dans ses serres un serpent rouge, énorme, qui vit, qui palpite encore et qui n’a pas renoncé à la lutte. A l’oiseau qui le tient, il porte un coup à la poitrine, près du cou, en se repliant soudain en arrière. L’autre alors le jette loin de lui à terre : saisi par la douleur, il le laisse tomber au milieu de la foule, et avec un cri s’envole, lui, dans les souffles du vent. Les Troyens frissonnent à voir à terre, au milieu d’eux, le serpent qui se tord, présage de Zeus porte-égide. » LIVRE IV

Celse croit qu’on s’acquitte du culte dû en cette vie, jusqu’à ce que les hommes soient délivrés de leurs liens, quand on offre des sacrifices d’après les coutumes des peuples à chacun des dieux reconnus dans chaque cité. C’est méconnaître le véritable devoir exigé par la piété authentique. Nous, nous disons qu’on s’acquitte du culte de façon convenable en cette vie quand, en se souvenant du Créateur et des actes qui lui sont agréables, on fait tout pour plaire à Dieu. Celse veut encore que nous ne soyons pas ingrats envers les démons d’ici-bas, croyant qu’on leur doit des sacrifices d’action de grâce. Mais nous, en élucidant la doctrine de l’action de grâce, nous disons qu’à refuser de sacrifier à des êtres qui ne nous font aucun bien, mais se dressent contre nous, il n’y a pas d’ingratitude de notre part. Nous refusons seulement d’être ingrats envers Dieu qui nous comble de bienfaits, puisque nous sommes ses créatures, objets de sa Providence, quel que soit le sort dont elle nous a jugés dignes, et que nous attendons, après cette vie, l’accomplissement des espérances qu’il nous a données. Nous avons même comme signe de notre gratitude envers Dieu le pain nommé « Eucharistie ». LIVRE VIII