Scholem (CHKC:19-20) – Início da Cabala Cristã

C’EST en règle générale au comte Pic de la Mirandole que l’on fait remonter les débuts de la « Kabbale chrétienne », c’est-à-dire de l’interprétation des thèses kabbalistiques dans le sens du christianisme (et plus précisément du catholicisme), ou encore de l’interprétation des dogmes chrétiens à l’aide des méthodes et des démarches intellectuelles de la Kabbale. Lorsque Pic — alors âgé de 23 ans — présenta en 1486 ses 900 Conclusions ou Thèses au sujet d’un syncrétisme chrétien de toutes les religions et sciences, il avait en effet inclus dans cette œuvre la Kabbale, dont il avait fait le sujet d’un grand nombre de propositions qu’il entendait soumettre, à Rome, à une discussion générale. L’extraordinaire aplomb avec lequel ces thèses étaient présentées par Pic, leur caractère paradoxal voire parfois incompréhensible, n’étaient pas plus étonnants, nous semble-t-il, que l’affirmation soutenue dans celles-ci, pour la première fois, à l’intention des humanistes et des théologiens : à savoir que, au fond, le judaïsme ésotérique s’identifiait au christianisme. Cette affirmation, certes, ne saurait être prise pour une preuve d’une affinité fondamentale et authentique entre ces deux domaines, bien qu’elle ait été par la suite assez fréquemment considérée comme telle, non seulement par un certain nombre de chrétiens qui s’en réjouissaient hautement, mais également par des penseurs juifs — hostiles à la Kabbale — qui en tiraient satisfaction pour des motifs diamétralement inverses : cette thèse des kabbalistes chrétiens allait leur permettre, en effet, de dénoncer le caractère « non juif » de la Kabbale. Même à l’époque actuelle, on rencontre encore de tels jugements dans les écrits de certains savants juifs. En réalité, cependant, cette affirmation de Pic de la Mirandole et de ses héritiers spirituels n’était qu’une variante, appliquée à la Kabbale, d’une idée exprimée déjà au treizième siècle, dans le contexte de la propagande missionnaire du catholicisme, par Raymond Martini dans son volumineux traité Pugio Fidei : selon cette idée, l’Aggada talmudique, et d’une manière générale le Midrash, portaient déjà la marque du christianisme. Il est curieux de noter à ce propos que Raymond Martini vécut précisément dans le pays (la Catalogne) et à l’époque où eut lieu la première cristallisation de la littérature kabbalistique au sein du cercle de penseurs juifs qui entourait Nahhmanide (1194 — env. 1270), et que néanmoins il ignorait tout de l’existence de la Kabbale (bien que, dans l’intérêt de son activité missionnaire, il eût fait confisquer tous les livres appartenant aux communautés juives de Catalogne). Il lui fallait donc s’en tenir au Talmud pour faire jouer à celui-ci le rôle de témoin capital de la doctrine chrétienne — un rôle historique pour lequel le Talmud était manifestement aussi peu fait que la Kabbale, choisie plus tard, pour tenir ce même rôle, par Pic de la Mirandole et ses héritiers. [CHKC:19-20]