Ensuite, il dit : “Ces gardeurs de chèvres et de moutons crurent en un seul Dieu Très-Haut, Adonaï, Ouranos, Sabaoth, ou tout autre nom qu’ils se plaisent à donner à ce monde, et ils n’en savent pas davantage”. Il ajoute ensuite : “Il n’importe en rien qu’on appelle le Dieu suprême « Zeus » du nom qu’il a chez les Grecs, ou « un tel » comme par exemple chez les Indiens, ou « un tel » comme chez les Egyptiens”. Il faut répondre que ce sujet touche à la question profonde et mystérieuse de la nature des noms. Sont-ils, comme croît Aristote, conventionnels ? ou, suivant l’opinion des Stoïciens, tires de la nature les premiers vocables imitant les objets qui sont à l’origine des noms, — vue selon laquelle ils proposent certains principes d’étymologie ? Ou bien, suivant l’enseignement d’Épicure, différent de l’opinion du Portique, les noms existent-ils naturellement, les premiers hommes ayant émis des vocables conformes aux choses ? Si nous pouvions, dans la question présente, établir la nature des noms « efficaces », dont certains sont en usage chez les sages d’Egypte, les doctes parmi les mages de Perse, les Brahmanes ou les Samanéens parmi les philosophes de l’Inde, et ainsi de suite pour chaque peuple , si nous étions capables de prouver que ce qu’on nomme la magie n’est pas, comme le pensent les disciples d’Épicure et d’Aristote, une pratique entièrement incohérente, mais, comme le démontrent les gens experts en cet art, un système cohérent, dont très peu connaissent les principes nous dirions alors que le nom de Sabaoth, d’Adonai, et tous les autres transmis chez les Hébreux avec une grande vénération, ne sont pas donnés d’après des réalités communes ou créées, mais d’après une mystérieuse science divine qui est attribuée au Créateur de l’univers Pour cette raison, ces noms ont de l’effet quand on les dit dans un enchaînement particulier qui les entrelace, de même encore d’autres noms prononcés en langue égyptienne à l’adresse de certains démons qui ont de l’effet dans tel domaine, ou d’autres en dialecte perse à l’adresse d’autres puissances, et ainsi dans chaque peuple. Et on trouverait de même que les noms des démons terrestres qui ont en partage des régions différentes sont prononcés de la façon qui convient au dialecte du lieu et du peuple. Celui donc qui possède de tout cela une plus noble compréhension, fut-elle restreinte, prendra soin d’adapter exactement chaque nom à chaque réalité, afin d’éviter toujours le malheur de ceux qui appliquent à faux le nom de Dieu à la matière inanimée, ou qui ravalent l’appellation du Bien, de la Cause première, de la vertu ou de la beauté à la richesse aveugle, à l’équilibre de la chair, du sang et des os qui font la santé et le bien-être, ou à ce qu’on regarde comme la noblesse de naissance. LIVRE I
Je voudrais dire à Celse quand il met en scène un Juif admettant d’une certaine manière Jean comme un baptiste baptisant Jésus l’existence de Jean-Baptiste qui baptisait pour la rémission des pèches est relatée par un de ceux qui ont vécu peu après Jean et Jésus. Dans le dix-huitième livre de “l’Antiquité des Juifs”, en effet, Josèphe a témoigne que Jean baptisait en promettant la purification aux baptisés. Et le même auteur, bien que ne croyant pas que Jésus fût le Christ, cherche la cause de la chute de Jérusalem et de la ruine du temple. Il aurait dû dire que l’attentat contre Jésus avait été la cause de ces malheurs pour le peuple, parce qu’on avait mis à mort le Christ annoncé par les prophètes. Mais, comme malgré lui, il n’est pas loin de la vérité quand il affirme que ces catastrophes arrivèrent aux Juifs pour venger Jacques le Juste, frère de Jésus appelé le Christ, parce qu’ils l’avaient tué en dépit de son éclatante justice. Ce Jacques, Paul le véritable disciple de Jésus dit l’avoir vu, et il l’appelle « frère du Seigneur », moins pour leur parente de sang ou leur éducation commune que pour ses moeurs et sa doctrine. Si donc Josèphe dit que les malheurs de la dévastation de Jérusalem sont arrivés aux Juifs à cause de Jacques, combien n’eut-il pas été plus raisonnable d’affirmer qu’ils survinrent à cause de Jésus-Christ , lui dont la divinité est attestée par tant d’églises, composées d’hommes qui se sont détournes du débordement des vices, attachés au Créateur et qui rapportent tout a son bon plaisir LIVRE I
A la suite de ces remarques, le Juif de Celse dit à Jésus : “Pourquoi donc fallait-il, alors que tu étais encore enfant, te transporter en Egypte pour te faire échapper au massacre ? Il ne convenait pas qu’un Dieu craignît la mort ! Mais un ange vint du ciel pour t’ordonner à toi et aux tiens de fuir de peur qu’on ne vous surprît et qu’on ne vous mît a mort. A te garder sur place, toi son propre fils, le grand Dieu qui avait déjà envoyé deux anges a cause de toi était-il donc impuissant ? ” Celse pense ici que pour nous il n’y a rien de divin dans le corps humain et l’âme de Jésus, et même que son corps ne fut pas de cette nature qu’imaginent les mythes d’Homère. Raillant donc le sang de Jésus répandu sur la croix, il dit que ce n’était pas l’« ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ». Mais nous, nous croyons en Jésus lui-même, aussi bien quand il dit de la divinité qui est en lui « Je suis la voie, la vérité, la vie » et autres paroles semblables, que lorsqu’il déclare, parce qu’il était dans un corps humain « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité », et nous affirmons qu’il a été une sorte d’être composé. Prenant soin de venir à la vie comme un homme, il fallait qu’il ne s’exposât point à contretemps au péril de mort. Ainsi devait-il être conduit par ses parents dirigés par un ange de Dieu Le messager dit d’abord « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » , et, ensuite « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » Ce qui est écrit là ne me paraît pas le moins du monde extraordinaire. C’est en songe que l’ange a ainsi parlé à Joseph, comme l’attestent les deux passages de l’Écriture or, la révélation faite en songe à certaines personnes sur la conduite à tenir est arrivée à bien d’autres, que l’âme reçoive des impressions d’un ange ou d’un autre être Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que, une fois entre dans la nature humaine, Jésus fût également dirigé suivant la conduite humaine pour éviter les dangers, non qu’une autre méthode ait été impossible, mais parce qu’il fallait recourir aux moyens et aux dispositions humaines pour assurer sa sauvegarde. Et même il valait mieux que l’enfant Jésus évitât le complot d’Hérode et partît avec ses parents en Egypte jusqu’à la mort de l’auteur du complot, et que la providence veillant sur Jésus n’empêchât point la liberté d’Hérode de vouloir tuer l’enfant, ou encore ne plaçât autour de Jésus « le casque d’Hades » des poètes ou quelque chose de semblable, ou bien ne frappât comme les gens de Sodome ceux qui venaient le tuer. Car un mode tout à fait extraordinaire et trop éclatant de le secourir eût fait obstacle à son dessein d’enseigner comme un homme recevant de Dieu le témoignage que, dans l’homme paraissant aux regards, il y avait quelque chose de divin ; et c’était au sens propre le Fils de Dieu, Dieu Logos, puissance de Dieu et sagesse de Dieu, celui qu’on appelle le Christ. Mais ce n’est pas le moment de traiter de l’être composé et des éléments dont était formé Jésus fait homme, ce point donnant matière, pour ainsi dire, à un débat de famille entre croyants. LIVRE I
Ensuite qu’il ait été livré par ceux qu’il appelait ses disciples, le Juif de Celse l’a appris des Evangiles, bien qu’il désigne comme plusieurs disciples le seul Judas, afin de paraître corser l’accusation. Mais il n’a pas sérieusement examiné tout ce qui est écrit de Judas : Judas était tiraillé par des jugements opposés et contradictoires, il ne mit pas toute son âme à être hostile à Jésus, ni toute son âme à garder le respect d’un disciple envers son maître. Car, à la troupe venue pour s’emparer de Jésus, « le traître avait donné ce signe : Celui que je baiserai, c’est lui, arrêtez-le. » Il gardait un reste de respect envers son maître, sinon, il l’aurait livré ouvertement, sans baiser hypocrite. N’est-ce donc point suffisant pour persuader tout le monde que, dans sa détermination, Judas, avec l’avarice et la décision perverse de livrer son maître, avait dans son âme quelque chose de mêlé, suscité en lui par les paroles de Jésus, et qui ressemblait, pour ainsi dire, à un reste de bonté ? Car il est écrit « Alors Judas qui l’avait livré, voyant que Jésus avait été condamné, fut pris de remords et rapporta les trente pièces d’argent aux grands-prêtres et aux anciens « J’ai péché, dit-il, en livrant un sang juste » Ceux-ci répondirent « Que nous importe ? A toi de voir ! » Jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre “. Mais si Judas, qui était avare et volait ce qu’on jetait dans la bourse pour le compte des pauvres, « pris de remords, rapporta les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens », il est clair que les enseignements de Jésus avaient pu susciter en lui quelque remords, et que le traître ne les avait pas totalement méprisés et rejetés. Bien plus le « J’ai péché en livrant un sang innocent » était l’aveu public du péché commis. Vois donc la véhémence et l’excès du chagrin que lui donna le remords de ses péchés il ne pouvait plus supporter de vivre, mais, après avoir jeté les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre. En se faisant justice, il montra combien avait eu de puissance l’enseignement de Jésus même dans un pécheur comme Judas, voleur et traître, incapable de mépriser totalement ce qu’il avait appris de Jésus. Les partisans de Celse diront-ils que ces preuves manifestes que l’apostasie de Judas ne fut pas totale, en dépit même de ce qu’il osa contre son maître, ne sont que des fictions, tandis que le seul fait avéré est la trahison d’un des disciples, et ajouteront-ils au récit qu’il l’a encore trahi de toute son âme ? Ce qui est sans force persuasive, c’est, à partir des mêmes textes, de tout faire en esprit de haine, soit donner sa créance, soit la refuser. LIVRE II
Pour faire comprendre ce point, je citerai, de l’Écriture, les prophéties qui concernent Judas et la prescience que notre Sauveur avait de sa trahison, et, de l’histoire grecque, la réponse de l’oracle a Laios, en admettant son authenticité pour l’instant, puisqu’elle n’affecte pas le raisonnement. Or, à propos de Judas, le Sauveur est représenté, dans le psaume cent-huitième, disant « O dieu, ne cesse de parler à ma louange, car la bouche du méchant et la bouche du trompeur s’est ouverte contre moi ». Précisément, si l’on considère la teneur du psaume, on découvrira que Judas connu d’avance comme celui qui trahirait le Sauveur, l’est également comme responsable de la trahison et digne, par sa méchanceté, des malédictions que contient la prophétie. Qu’il les encoure, en effet, dit le Psaume, « parce qu’il oublia d’exercer la miséricorde, et persécuta le pauvre et l’indigent ». Donc, il aurait pu se souvenir « d’exercer la miséricorde » et de ne pas persécuter celui qu’il persécuta , mais bien qu’il l’ait pu, loin de le faire, il a trahi, en sorte qu’il mérite les malédictions que la prophétie contient contre lui. Et, à l’adresse des Grecs, je citerai l’oracle à Laios, rendu de la manière suivante, que le poète tragique le rapporte littéralement ou d’une façon équivalente , voici donc ce que lui dit l’homme qui a prévu l’avenir « Garde-toi d’ensemencer, malgré les dieux, le sillon générateur ! Si tu procrées un fils, cet enfant te tuera et ta maison entière s’abîmera dans le sang ». Là encore donc il est clair qu’il était possible à Laios de ne pas ensemencer « le sillon générateur » car l’oracle ne lui aurait pas ordonne une chose impossible. Mais il était possible également d’ensemencer Et ni l’un ni l’autre ne s’imposait nécessairement Et parce qu’il ne s’est point garde d’ensemencer « le sillon générateur », le résultat fut que pour avoir ensemencé, il souffrit les désastres tragiques d’?dipe, de Jocaste et de leurs enfants. LIVRE II
A sa question ” Pourquoi donc, s’il ne l’a pas fait avant, du moins maintenant ne manifeste-t-il pas quelque chose de divin, ne se lave-t-il pas de cette honte, ne se venge-t-il de ceux qui l’outragent lui et son Père ? “, il faut répondre que c’est équivalemment poser aux Grecs qui admettent la Providence et acceptent l’existence de signes divins, la question : pourquoi enfin Dieu ne punit-il pas ceux qui outragent la divinité et qui nient la Providence ? Car si les Grecs ont une réponse à cette objection, nous aussi nous en aurons une semblable et même supérieure. Mais il y eut bien un signe divin venu du ciel, l’éclipse de soleil, et les autres miracles . preuves que le crucifié avait quelque chose de divin et de supérieur au commun des hommes. Celse continue :” Que déclare-t-il même lorsque son corps est fixé à la croix ? Son sang est-il l’ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ? “. Le voilà donc qui badine. Mais nous, grâce aux Evangiles qui, quoi que prétende Celse, sont des écrits sérieux, nous établirons ceci l’ichôr de la fable et d’Homère ne s’écoula point de son corps, mais, alors qu’il était déjà mort, « l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côte, et il sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu en rend témoignage, son témoignage est véridique, et il sait qu’il dit vrai » Or, pour les autres cadavres, le sang est coagulé, et il ne peut couler d’eau pure , mais pour le cadavre de Jésus, le miracle était que même de son cadavre « du sang et de l’eau » se soient écoulés du côte. Mais Celse, qui tire des griefs contre Jésus et les chrétiens de textes évangéliques qu’il ne sait même pas interpréter correctement et tait ce qui établit la divinité de Jésus, veut-il se rendre attentif aux manifestations divines ? Qu’il lise alors l’Évangile et qu’il y voie entre autres ce passage « Le centurion et les hommes qui gardaient Jésus avec lui, témoins du séisme et des prodiges survenus, furent saisis d’une grande frayeur et dirent Celui-là était Fils de Dieu ! » Ensuite, extrayant de l’Évangile les passages qu’il ose lui opposer, il reproche à Jésus son ” avidité à boire le fiel et le vinaigre, sans savoir dominer une soif que même le premier venu domine d’ordinaire “. Ce texte, pris a part, comporte une interprétation allégorique , mais ici on peut donner une réponse plus commune aux objections : même cela les prophéties l’ont prédit. Il est écrit en effet dans le psaume soixante-huitième cette parole rapportée au Christ : « Pour me nourrir, ils m’ont donné du fiel, pour apaiser ma soif, fait boire du vinaigre. » C’est aux Juifs de dire qui le prophète fait parler de la sorte et d’établir, d’après l’histoire, qui a reçu du fiel en nourriture et du vinaigre pour boisson. Ou s’ils se hasardent à dire qu’il est question du Christ dont ils croient la venue future, alors je répondrai : qu’est-ce qui empêche la prophétie d’être déjà réalisée ? Le fait que cela ait été dit si longtemps d’avance, avec les autres prévisions des prophètes, si l’on fait un examen judicieux de toute la question, est capable d’amener à reconnaître Jésus comme le Christ prophétisé et le Fils de Dieu. LIVRE II
La signification de l’ensevelissement, du tombeau, de celui qui l’ensevelit, je l’expliquerai d’une manière plus opportune et plus développée en d’autres écrits qui auront pour but essentiel d’en traiter. Pour l’instant, il suffit de mentionner le linceul pur où il fallait que le corps pur de Jésus fût enveloppé, et le sépulcre neuf que Joseph « avait taillé dans le roc, où personne n’avait encore été déposé », ou bien comme dit Jean, « dans lequel personne n’avait encore été placé ». Considère si l’accord des trois Evangélistes n’est pas impressionnant ! Ils ont pris la peine de noter le fait que le tombeau était taillé ou creusé dans le roc, pour qu’en examinant les paroles de la Bible, on puisse contempler là encore un aspect qui mérite réflexion, soit le caractère neuf du tombeau que Matthieu et Jean ont noté, soit d’après Luc et Jean, le fait que personne n’y eût été mis. Il fallait, en effet, que Celui qui n’était pas semblable aux autres morts, ayant montré jusque dans son état de mort des signes de vie dans l’eau et le sang, et qui, pour ainsi dire, était un mort d’un genre nouveau, fût déposé dans un tombeau neuf et pur. Ainsi, comme sa naissance avait été plus pure que toute autre, provenant non d’une union des sexes, mais d’une vierge, son tombeau aurait aussi la pureté symbolisée par la déposition de son corps dans un tombeau resté neuf, non point construit de pierres ramassées, dépourvues d’unité naturelle, mais taillé ou creusé dans un seul roc, tout d’une pièce. LIVRE II
Les Égyptiens, formés au culte d’Antinoos, supporteraient qu’on lui compare Apollon ou Zeus, car c’est l’honorer que le mettre au même rang. Il y a donc, pour Celse, un mensonge manifeste à dire : Ils ne supporteraient pas qu’on lui compare Apollon ou Zeus. Les chrétiens ont appris que la vie éternelle consistait pour eux à connaître « le seul véritable Dieu » suprême, et « Celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ » ; ils savent que « tous les dieux des païens sont des démons » avides, rôdant autour des victimes, du sang et des exhalaisons des sacrifices, pour tromper ceux qui ne cherchent pas refuge auprès du Dieu suprême ; ils savent que les anges de Dieu, au contraire, divins et saints, sont de tout autre nature et caractère que les démons de la terre, et sont connus du très petit nombre de ceux qui ont fait de la question une étude intelligente et approfondie : ils ne supporteraient pas une telle comparaison avec Apollon, Zeus, ou tout autre qu’on adore par le fumet de la graisse, le sang et les victimes. Certains dans leur grande simplicité ne savent pas rendre raison de leur conduite, bien qu’ils gardent judicieusement le dépôt qu’ils ont reçu. Mais d’autres le font avec des raisons non pas insignifiantes mais profondes ou, dirait un Grec, ésotériques et époptiques. Elles contiennent une ample doctrine sur Dieu, sur les êtres auxquels Dieu fait l’honneur, par son Logos, Fils unique de Dieu, de participer à sa divinité et par le fait même à son nom ; une ample doctrine également sur les anges divins et sur ceux qui sont ennemis de la vérité pour s’être trompés et, par suite de leur erreur, se sont proclamés dieux, anges de Dieu, bons démons, héros qui doivent leur existence à la métamorphose de bonnes âmes humaines. Ces chrétiens établiront aussi que, comme en philosophie beaucoup se figurent être dans le vrai pour s’être laissés abuser par des raisons spécieuses ou avoir adhéré avec précipitation aux raisons, présentées ou découvertes par d’autres, de même parmi les âmes sorties des corps, les anges et les dénions, certains furent entraînés pour des raisons spécieuses à se proclamer dieux. Et parce que ces doctrines, chez les hommes, ne peuvent être découvertes avec une parfaite exactitude, il a été jugé sûr pour l’homme de ne se confier à personne comme à Dieu, sauf au seul Jésus-Christ modérateur suprême qui a contemplé ces très profonds secrets, et les communique à un petit nombre. LIVRE III
Puisqu’il n’est rien de stable dans la nature humaine, il était fatal que même ce régime peu à peu en vînt à dégénérer et à se corrompre. Mais la Providence, ayant apporté au vénérable système de leur doctrine les changements qu’il fallait pour l’adapter comme il convient aux gens de tous les pays, accorda à tous les croyants de l’univers, à la place de celle des Juifs, la vénérable religion de Jésus. Et Jésus, gratifié non seulement d’intelligence, mais encore d’une condition divine, abolit la doctrine sur les démons terrestres qui prennent plaisir à l’encens, aux exhalaisons de la graisse et au sang, et qui, comme les Titans et les Géants de la fable, détournaient les hommes de la notion de Dieu. Lui, sans souci de leurs menées, surtout dirigées contre les meilleurs, il a donné des lois qui assurent la félicité de ceux qui y conforment leur vie, s’abstiennent à tout prix de flatter les démons par des sacrifices et les méprisent absolument grâce au Logos de Dieu qui secourt ceux qui lèvent leurs regards vers Dieu. Et puisque Dieu voulait que la doctrine de Jésus prévalût parmi les hommes, les démons ont perdu tout pouvoir, bien qu’ils aient mis en branle toutes les influences pour anéantir les chrétiens. Rois, Sénat, gouverneurs de chaque contrée, peuple même, inconscients des menées déraisonnables et perverses de ces démons, ils ont tout soulevé contre le Logos et ceux qui croient en Lui. Mais la Parole de Dieu est plus puissante qu’eux tous, et malgré les obstacles, se faisant des obstacles comme une nourriture pour croître, elle a poursuivi sa marche, et récolté un nombre croissant d’âmes : car telle était la volonté de Dieu. LIVRE IV
« Dieu donne donc à chacun un corps à son gré » : aux plantes ainsi semées, comme aux êtres qui sont pour ainsi dire semés dans la mort et qui reçoivent en temps opportun, de ce qui est semé, le corps assigné par Dieu à chacun selon son mérite. Nous entendons aussi l’Écriture qui enseigne longuement la différence entre le corps pour ainsi dire semé et celui qui en est comme ressuscité. Elle dit : « Semé dans la corruption, il ressuscite incorruptible ; semé dans l’abjection, il ressuscite glorieux ; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force ; semé corps psychique, il ressuscite corps spirituel. » A celui qui le peut, de savoir encore sa pensée dans ce passage : « Tel le terrestre, tels seront aussi les terrestres, tel le céleste, tels seront aussi les célestes. Et comme nous avons porté l’image du terrestre, de même nous porterons l’image du céleste. » Cependant l’Apôtre veut laisser caché le sens mystérieux du passage, qui ne convient pas aux simples et à l’entendement commun de ceux que la foi suffît à amender. Il est néanmoins forcé ensuite, pour nous éviter des méprises sur le sens des ses paroles, de compléter l’expression : « Nous porterons l’image du céleste » par celle-ci : « Je l’affirme, frères : la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l’incorruptibilité1. » Et sachant bien le mystérieux sens caché qu’il y avait dans ce passage, comme il convient à un auteur laissant par écrit à la postérité l’expression de sa pensée, il ajoute : «Voici que je vais vous dire un mystère. » C’est précisément la formule d’introduction aux doctrines profondes et mystérieuses, justement cachées à la foule. Ainsi encore il est écrit dans le livre de Tobie : « Il est bon de tenir caché le secret du roi » ; puis, à l’égard de ce qui est glorieux et adapté à la foule, en dosant la vérité : « Il est bon de révéler les oeuvres de Dieu pour sa gloire. » Dès lors notre espérance n’est pas celle des vers et notre âme ne regrette pas le corps putréfié ; sans doute a-t-elle besoin d’un corps pour passer d’un lieu à un autre ; mais, ayant médité la sagesse selon la parole : « La bouche méditera la sagesse », elle sait qu’il y a une différence entre l’habitation terrestre où se trouve la tente et qui est vouée à la destruction, et la tente où les justes gémissent accablés, non parce qu’ils veulent se dévêtir de la tente, mais « pardessus elle se revêtir » (d’une autre) afin que, ainsi revêtus, « ce qu’il y a de mortel soit englouti par la vie ». « Il faut en effet », toute la nature corporelle étant corruptible, que cette tente « corruptible revête l’incorruptibilité », et que d’autre part, ce qui est « mortel » et destiné à la mort, conséquence immédiate du péché, « revête l’immortalité ». Ainsi, quand « cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité et cet être mortel l’immortalité, alors s’accomplira » l’antique prédiction des prophètes, la fin du triomphe de la mort qui dans son triomphe nous avait soumis à elle, et la perte de l’aiguillon dont elle pique l’âme incomplètement protégée, lui infligeant les blessures qui viennent du péché. LIVRE V
Les Juifs, il est vrai, s’enorgueillissent de leur circoncision, la distinguant non seulement de celle des Colchidiens et des Égyptiens, mais encore de celle des Arabes Ismaélites, bien qu’Ismaël soit fils d’Abraham leur ancêtre et ait été circoncis avec lui. D’après les Juifs, la circoncision principale est celle qui se fait le huitième jour et il n’en est pas de même pour celle qui est due aux circonstances. Peut-être était-elle pratiquée à cause d’un ange ennemi de la nation des Juifs, capable de nuire à ceux d’entre eux qui étaient incirconcis, mais sans pouvoir contre les circoncis. Voilà, dirait-on, ce que montre le passage de l’Exode où l’ange, avant la circoncision d’Éléazar pouvait agir contre Moïse, mais après qu’il fut circoncis n’eut plus de force. Et parce qu’elle le savait, « Séphora prit une pierre tranchante et circoncit » son fils en disant, au témoignage des leçons communes des copies : « Le sang de la circoncision de mon fils est arrêté », mais selon le texte hébreu lui-même : « Tu es pour moi un époux de sang » ; car elle savait l’histoire de cet ange qui avait un pouvoir avant l’effusion du sang, pouvoir que lui fit perdre le sang de la circoncision : voilà pourquoi elle lui dit : « Tu es pour moi un époux de sang. » LIVRE V
Ensuite, comme si le reproche atteignait les chrétiens, quand il accuse ceux qui appellent Dieu maudit le Dieu de Moïse et de sa loi, et s’imagine que ceux qui le disent sont des chrétiens, il ajoute : Peut-il y avoir sottise plus délirante que cette sagesse stupide ? Quelle erreur a donc commise le législateur des Juifs ? D’où vient alors que tu adoptes, grâce, dis-tu, à une allégorie sommaire, sa cosmogonie ou la loi des Juifs et que tu loues bien malgré loi, ô très impie, le Créateur du monde, celui qui a tout promis aux Juifs, annonçant que leur race se multiplierait jusqu’aux extrémités de la terre et ressusciterait d’entre les morts avec la même chair et le même sang, et celui qui inspirait les prophètes; et qu’en même temps tu l’injuries ? Cependant, lorsque les Juifs le pressent, tu reconnais que tu adores le même Dieu; mais quand ton maître Jésus, et Moise, le maître des Juifs, établissent des lois contraires, tu cherches un autre dieu à la place de celui-ci, le Père. LIVRE VI
Dans nos discussions avec les Juifs aussi bien qu’entre nous, nous savons qu’il n’y a qu’un seul Dieu, celui-là même que les Juifs adoraient autrefois et encore maintenant font profession d’adorer, et nous sommes purs de toute impiété à son égard. Nous ne disons pas non plus que Dieu ressuscitera les hommes d’entre les morts avec la même chair et le même sang, comme on l’a vu plus haut ; nous disons que ce qui a été semé « dans la corruption, dans l’abjection, dans la faiblesse corps psychique » ne ressuscite pas dans l’état où il a été semé. Mais j’en ai déjà convenablement traité plus haut. LIVRE VI
Bien plus, à en croire non seulement les chrétiens et les Juifs mais encore beaucoup d’autres Grecs et barbares, l’âme humaine vit et subsiste après sa séparation d’avec le corps ; et il est établi par la raison que l’âme pure et non alourdie par les masses de plomb du vice s’élève jusqu’aux régions des corps purs et éthérés, abandonnant ici-bas les corps épais et leurs souillures ; au contraire l’âme méchante, tirée à terre par ses péchés et incapable de reprendre haleine, erre ici-bas et vagabonde, celle-ci autour « des tombeaux » où l’on voit « les fantômes » des âmes comme des ombres, celle-là simplement autour de la terre. Quelle nature faut-il attribuer à des esprits enchaînés à longueur de siècles, pour ainsi dire, à des édifices et à des lieux, soit par des incantations, soit à cause de leur perversité ? Evidemment la raison exige de juger pervers ces êtres qui emploient la puissance divinatrice, par elle-même indifférente, à tromper les hommes et à les détourner de la piété pure envers Dieu. Une autre preuve de cette perversité est qu’ils nourrissent leurs corps de la fumée des sacrifices, des exhalaisons du sang et de la chair des holocaustes ; qu’ils y prennent plaisir comme pour assouvir leur amour de la vie, à la façon des hommes corrompus, sans attrait pour la vie pure détachée du corps, qui, désireux des plaisirs corporels, s’attachent à la vie du corps terrestre. LIVRE VI
Car nous savons que ce sont des démons qui se nourrissent de graisses, de sang et de fumées des sacrifices, ainsi fixés dans les prisons construites par leur convoitise. Les Grecs y ont vu des temples de divinités, mais nous savons qu’il n’y a là que des habitations de démons imposteurs. LIVRE VI
Le reproche adressé à Jésus d’avoir eu une mort très lamentable pourrait aussi être formulé à propos de Socrate, d’Anaxarque qu’il a mentionné un peu plus haut, et d’une infinité d’autres. Si la mort de Jésus fut très lamentable, la leur ne l’a-t-elle pas été ? Ou si la leur ne fut pas très lamentable, la sienne l’a-t-elle été ? Tu vois bien, là encore, que Celse visait à injurier grossièrement Jésus, à l’instigation, je pense, d’un esprit que Jésus avait vaincu et chassé, pour l’empêcher de trouver sa nourriture dans le fumet de graisses et le sang et de continuer à tromper ceux qui cherchent Dieu dans les statues terrestres au lieu de lever les yeux vers le véritable Dieu suprême. LIVRE VI
L’honneur qu’on rend au Fils de Dieu, et au même titre celui qu’on rend à Dieu le Père, consiste dans une vie honnête. N’est-ce pas ce que nous enseigne la parole : « Toi qui te glorifies dans la loi, en transgressant cette loi, c’est Dieu que tu déshonores », et cette autre : « De quel châtiment bien plus grave ne pensez-vous pas que sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, tenu pour profane le sang de l’alliance dans lequel il a été sanctifié, et outragé l’Esprit de la grâce ? » Si transgresser la loi c’est outrager Dieu par cette transgression même, si refuser l’Évangile c’est fouler aux pieds le Fils de Dieu, il est clair qu’observer la loi c’est honorer Dieu, qu’être orné de la parole de Dieu et de ses oeuvres c’est adorer Dieu. Si Celse avait connu ceux qui appartiennent à Dieu, et il n’en est pas d’autres que les sages, s’il avait connu ceux qui lui sont étrangers, et ce sont tous les hommes méchants qui n’ont aucun souci d’acquérir la vertu, il aurait compris le vrai sens de la parole : L’honneur et l’adoration rendus à tous ceux qui appartiennent à Dieu ne peuvent le chagriner, puisqu’ils sont tous à lui. LIVRE VIII
Certains des justes donc sont de l’escarboucle, d’autres du saphir, d’autres du rubis, d’autres du cristal ; et ainsi les justes forment l’ensemble des pierres choisies et précieuses. Mais ce n’est pas ici le lieu d’expliquer la signification des pierres, la doctrine concernant leur nature, les catégories d’âmes auxquelles on peut attribuer le nom de chaque pierre précieuse. Il suffisait de rappeler brièvement le sens que nous donnons aux temples et celui de l’unique temple de Dieu fait de pierres précieuses. En effet, si les habitants de chaque cité se vantaient de leurs prétendus temples par comparaison avec les autres, dans leur fierté d’avoir des temples plus précieux, ils vanteraient l’excellence des leurs pour prouver l’infériorité des autres. Ainsi, pour répondre à ceux qui critiquent notre refus d’adorer la divinité dans des temples insensibles, nous opposons à ceux-ci les temples tels que nous les concevons ; et nous montrons, à ceux du moins qui ne sont pas insensibles et semblables à leurs dieux insensibles, qu’il n’y a aucune comparaison possible : ni entre nos statues et les statues des nations ; ni entre nos autels et les parfums, si l’on peut dire, qui montent de leurs autels et les graisses et le sang qui y sont offerts ; ni même entre les temples que nous avons indiqués et les temples des êtres insensibles qu’admirent des hommes insensibles qui n’ont pas la moindre idée du sens divin par lequel on atteint Dieu, ses statues, les temples et les autels qui conviennent à Dieu. Ce n’est donc point pour observer un mot d’ordre convenu de notre association secrète et mystérieuse que nous évitons d’édifier des autels, des statues et des temples ; mais parce que nous avons trouvé, grâce à l’enseignement de Jésus, la forme de la piété envers la divinité, nous évitons les attitudes qui sous l’apparence de la piété rendent impies ceux qui s’éloignent de la piété qui a pour médiateur Jésus-Christ : Lui seul est la voie de la piété, puisqu’il dit avec vérité : « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie. » LIVRE VIII
Voyons les paroles de Celse qui nous exhorte à manger des viandes offertes aux idoles et à participer aux sacrifices publics au cours des fêtes publiques. Les voici : Si ces idoles ne sont rien, quel danger y a-t-il à prendre part au festin? Et si elles sont des démons, il est évident qu’eux aussi appartiennent à Dieu, qu’il faut croire en eux et leur offrir selon les lois des sacrifices et des prières pour les rendre bienveillants. En réponse, il sera utile de prendre en main la Première aux Corinthiens et d’expliquer tout le raisonnement de Paul sur les idolothytes. Là, contre l’opinion qu’une idole n’est rien dans le monde, il établit le préjudice causé par les idolothytes. Il montre à ceux qui sont capables d’entendre ses paroles que recevoir une part des idolothytes est un acte tout aussi criminel que de verser le sang, car c’est faire périr des frères pour lesquels le Christ est mort. Ensuite, posant le principe que les victimes des sacrifices sont offertes aux démons, il déclare que participer à la table des démons est entrer en communion avec les démons et il affirme l’impossibilité « d’avoir part en même temps à la table du Seigneur et à la table des démons. » Mais comme l’explication détaillée de ces points de l’épître aux Corinthiens demanderait tout un traité d’amples discussions, je me contenterai de ces brèves remarques. A bien les examiner, on verra que même si les idoles ne sont rien, il n’en est pas moins dangereux de prendre part au festin des idoles. J’ai suffisamment prouvé aussi que même si les sacrifices sont offerts à des démons, nous ne devons pas y prendre part, nous qui savons la différence qu’il y a entre la table du Seigneur et celle des démons et qui, le sachant, faisons tout pour avoir toujours part à la table du Seigneur, mais évitons de toute manière d’avoir jamais part à la table des démons. LIVRE VIII
Il faut pourtant savoir que les Juifs, pensant comprendre la loi de Moïse, veillent attentivement à n’user que des aliments considérés comme purs et à s’abstenir des impurs et, en outre, à ne pas faire entrer dans leur nourriture ni le sang des animaux ni les animaux saisis par les fauves et bien d’autres : matière d’une ample doctrine qu’il n’est donc pas opportun d’examiner ici. Mais Jésus dans son enseignement voulait amener tous les hommes à la pure adoration de Dieu et éviter qu’une législation trop sévère sur les aliments n’écartât un grand nombre de gens dont les m?urs pourraient être améliorées par le christianisme. LIVRE VIII
Aussi déclara-t-il : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur, mais ce qui sort de la bouche… Car, ce qui entre dans la bouche passe dans le ventre pour être jeté aux lieux d’aisances, mais ce qui sort de la bouche, ce sont pensées perverses qu’on exprime, meurtres, adultères, fornications, vols, faux témoignages, diffamations.» Paul dit de même : « Ce n’est pas un aliment qui nous vaudra la faveur de Dieu. Si nous en mangeons, nous n’avons rien de plus, si nous n’en mangeons pas, nous n’avons rien de moins. » Ensuite, comme il y avait là quelque obscurité exigeant une précision, « il fut décidé par les apôtres de Jésus et les anciens » qui étaient rassemblés à Antioche, et comme ils le dirent eux-mêmes, « par le Saint-Esprit », d’adresser aux fidèles venus de la gentilité une lettre leur interdisant de manger seulement ce dont ils déclarèrent nécessaire de s’abstenir : c’est-à-dire les idolothytes, les viandes étouffées et le sang. LIVRE VIII
En effet, l’idolothyte est offerte aux démons et il ne faut pas que l’homme de Dieu participe à la table des démons. Les viandes étouffées, parce que le sang n’en est point séparé et qu’on le présente comme la nourriture des démons qui se repaissent de ses exhalaisons, l’Écriture les interdit, ne voulant pas que nous ayons la même nourriture que les démons ; car peut-être, si nous prenions des viandes étouffées, certains d’entre eux s’en nourriraient en même temps que nous. Et ce qui vient d’être dit des viandes étouffées peut montrer clairement pourquoi on s’abstient du sang. De plus, il ne serait pas pour moi hors de propos de mentionner la très belle maxime que lisent d’ailleurs la plupart des chrétiens dans les Maximes de Sextus : « Manger la chair des animaux est chose indifférente ; s’en abstenir est plus raisonnable. » Ce n’est donc pas simplement par respect d’une tradition que nous nous abstenons de ce qu’on suppose avoir été des victimes sacrifiées aux prétendus dieux, héros ou démons, mais pour bien des raisons dont je viens de rapporter quelques-unes. En outre, s’il faut s’abstenir de toute chair animale, ce n’est point à la manière dont on s’abstient du péché et de ses conséquences. Il faut s’abstenir non seulement de chair animale, mais encore de toute autre nourriture si son usage implique le péché et ses conséquences ; car il faut s’abstenir de manger par gloutonnerie, ou d’y être amené par l’attrait du plaisir en faisant abstraction de la santé du corps et du soin à lui donner. LIVRE VIII
Aussi nous ne nions pas qu’il y ait beaucoup de démons sur terre. Au contraire nous affirmons leur existence, leur pouvoir sur les méchants à cause de la malice de ceux-ci, leur totale impuissance contre ceux qui sont revêtus de « l’armure de Dieu », qui ont reçu la force pour résister « aux artifices du diable » et qui s’exercent à lutter sans cesse contre eux, parce qu’ils savent que « nous n’avons point à lutter contre le sang et la chair, mais contre les principautés et contre les puissances, contre les dominations de ce monde de ténèbres, contre les esprits mauvais répandus dans les espaces du ciel. » LIVRE VIII
Après cela, croyant que nous appelons Dieu le corps de Jésus torturé et crucifié et non la divinité qui est en lui, et que nous l’avons regardé comme Dieu quand il était torturé et crucifié, il dit : Ton Dieu, on l’a torturé et crucifié en personne et les auteurs de ce forfait n’ont rien souffert. Gomme j’ai longuement parlé plus haut de ce qu’il a souffert dans son humanité, j’omets d’en parler ici à dessein pour ne point paraître me répéter. Puisqu’il ajoute que ceux qui ont torturé Jésus n’ont rien eu à souffrir, pas même dans la suite de leur vie, voici ce que je lui montrerai ainsi qu’à qui veut l’apprendre : la ville dans laquelle le peuple juif a condamné Jésus à être crucifié en criant : « Crucifie, crucifie-le !» – car ils préférèrent que fût délivré ce brigand jeté en prison pour sédition et meurtre et que Jésus qu’on avait livré par envie fût crucifié – cette ville peu de temps après fut attaquée et subit un si long siège qu’elle fut ruinée de fond en comble et dévastée, Dieu jugeant indignes d’avoir part à la vie en communauté ceux qui habitaient ces lieux. Et même il les épargnait, si j’ose employer cette expression étrange, lorsque, les voyant incapables d’une guérison salutaire et destinés à croître de jour en jour dans le flot de leur malice, il les livra à leurs ennemis. Et cela est arrivé à cause du sang de Jésus qui a été répandu par leur complot sur leur terre désormais incapable de supporter ceux qui avaient osé ce forfait contre Jésus. LIVRE VIII
Celse en tout cas devine qu’il de la connaissance de ces pratiques à la magie et, conscient du dommage qui en résulterait pour ses auditeurs, il dit : Il faut toutefois, quand on s’unit à ces démons, prendre garde qu’on ne soit absorbé par le culte à leur rendre et que par amour du corps on ne se détourne des biens supérieurs et on ne soit retenu loin d’eux en les oubliant. Peut-être ne faut-il pas refuser de croire les sages : ils disent que la plupart des démons terrestres, absorbés dans la génération, rivés au sang et au fumet de graisse, liés par des incantations et d’autres pratiques de ce genre, ne peuvent rien de mieux que de guérir les corps, prédire leur destinée prochaine d l’individu et à la cité, et que leur science et leur puissance ne s’étendent qu’aux activités mortelles. LIVRE VIII
Puisqu’au témoignage même de cet ennemi de la vérité de Dieu il y a un tel risque en cette matière, combien vaut-il mieux écarter tout soupçon d’être absorbé par de tels démons, d’aimer le corps, de nous détourner des biens supérieurs, d’être retenu loin des biens supérieurs en les oubliant ; mais bien nous confier plutôt au Dieu suprême par Jésus-Christ qui nous présente un enseignement si admirable. On doit lui demander tout le secours et toute la protection de ses anges saints et justes, pour qu’ils nous arrachent aux démons terrestres absorbés dans la génération, rivés au sang et au fumet de graisse, attirés par des incantations étranges, liés aux choses de ce genre. De l’aveu unanime, au dire de Celse, ils ne peuvent rien de mieux que guérir le corps. Moi, je dirais qu’il n’est même pas évident que ces démons, quel que soit le culte qu’on leur rende, puissent guérir les corps. Il faut, pour la guérison des corps, si on l’entend de la vie simple et commune, l’usage de la médecine ; et si on aspire à une vie supérieure à celle de la multitude, il y faut la piété envers le Dieu suprême et les prières qu’on lui adresse. LIVRE VIII
Considère toi-même la disposition qui agréera davantage au Dieu suprême dont la puissance est inégalable en tout ordre de choses, spécialement pour répandre sur les hommes les bienfaits de l’âme, du corps, des biens extérieurs. Sera-ce la consécration totale de soi-même à Dieu, ou la minutieuse recherche des noms, des pouvoirs, des activités des démons, des incantations, des plantes particulières aux démons, des pierres avec leurs inscriptions correspondant aux formes traditionnelles des démons symboliquement ou de tout autre manière ? Il est évident, même à une réflexion sommaire, que la disposition simple et sans vaine curiosité qui, de ce fait, se consacre au Dieu suprême, sera agréée de Dieu et de tous ses familiers. Au contraire, pour la santé physique, l’amour du corps, la réussite dans les choses indifférentes, se préoccuper des noms des démons, chercher comment charmer les dénions par des incantations, c’est vouloir être abandonné par Dieu, comme un être mauvais, impie et démoniaque plutôt qu’humain, aux démons qu’on choisit en prononçant ces formules, pour être tourmenté soit par les pensées que chacun d’eux suggère, soit par d’autres malheurs. Car il est vraisemblable que ces êtres, étant mauvais et, comme l’avoue Celse, rivés au sang, au fumet de graisse, aux incantations et autres choses de ce genre, ne gardent, même envers ceux qui leur offrent ces jouissances, ni leur foi ni, si l’on peut dire, leurs engagements. Car, que d’autres les invoquent contre ceux qui leur ont rendu un culte et qu’ils achètent leur service avec plus de sang, de fumet de graisse et de ce culte qu’ils exigent, ils peuvent s’en prendre à qui hier leur rendait un culte et leur donnait une part de ce festin qui leur est cher. LIVRE VIII
Après en avoir tant dit dans les pages qui précèdent, nous avoir conduits aux sanctuaires des oracles et à leurs prédictions dont l’origine serait divine, voici que Celse a pris un meilleur parti : il avoue que la prédiction à l’individu et à la cité de leur destinée prochaine et l’intérêt porté aux choses mortelles est le propre des démons terrestres qui sont absorbés dans la génération, rivés au sang, au fumet de graisse, liés par des incantations et d’autres pratiques de ce genre, et ne peuvent rien faire de mieux. Il est probable que lorsque nous nous élevons contre la prétention de Celse à parler de Dieu au sujet des oracles et du culte en l’honneur des prétendus dieux, on nous soupçonne d’impiété parce que nous y voyons l’oeuvre des dénions qui ravalent les âmes humaines à ce qui concerne la génération. Eh bien ! que celui qui a eu de tels soupçons à notre égard soit persuadé que les déclarations chrétiennes sont exactes, à voir que même l’auteur d’un livre contre les chrétiens en vienne à cette conclusion comme s’il était vaincu par l’Esprit de la vérité. LIVRE VIII
Celse a beau dire : Il faut donc rendre des honneurs religieux à ces êtres dans la mesure où c’est notre intérêt, car la raison n’exige pas de le faire sans réserve. Non, il ne faut pas rendre des honneurs aux démons rivés au fumet de graisse et au sang, mais tout faire pour éviter de profaner la divinité en la rabaissant jusqu’aux démons pervers. S’il avait eu une notion exacte de notre intérêt et vu que notre intérêt au sens propre c’est la vertu et l’action conforme à la vertu, Celse n’eût point usé de l’expression « dans la mesure où c’est notre intérêt » à propos de tels êtres en qui lui-même voit des démons. Pour nous, même si le culte de tels démons nous octroie la santé et la réussite temporelle, nous préférons subir la maladie et l’échec temporel avec la conscience d’une religion pure envers le Dieu de l’univers, plutôt que jouir de la santé du corps et de la réussite temporelle dues à la séparation et à la chute loin de Dieu, et finalement la maladie et la misère de l’âme. En somme, c’est à Celui qui n’éprouve nul besoin de rien sinon du salut des hommes et de tout être raisonnable, de préférence à ceux qui aspirent au fumet de graisse et au sang, qu’on doit s’attacher. LIVRE VIII
Celse, me semble-t-il, après toutes ces paroles sur le besoin qu’auraient les démons de fumet de graisse et de sang, paraît en venir à une médiocre palinodie et déclare : Il faut plutôt croire que les démons ne désirent rien, n’ont besoin de rien mais se complaisent en ceux qui leur rendent ces devoirs de piété. LIVRE VIII
S’il avait cru cette considération vraie, il aurait dû ne pas proposer l’autre, ou alors effacer celle-ci. En fait, la nature humaine n’est pas laissée par Dieu et par la Vérité qui est son Fils unique dans un abandon total. Aussi même Celse a dit la vérité sur le besoin qu’ont les démons du fumet de graisse et de sang. Mais, par sa faute, il s’est encore laissé glisser dans le mensonge en comparant les démons aux hommes qui s’acquittent parfaitement de leurs devoirs de justice même si nul ne leur en sait gré, et qui comblent de biens ceux qui manifestent en retour de la reconnaissance. LIVRE VIII
Il n’y a que le Dieu suprême dont on doive chercher la faveur et qu’on doive prier d’être propice, en cherchant sa faveur par la piété et toutes les vertus. Et si Celse veut, après le Dieu suprême, se rendre favorables d’autres protecteurs, il doit comprendre que, comme le corps qui se déplace est suivi du mouvement de son ombre, ainsi la faveur du Dieu suprême entraîne la bienveillance de tous ceux qui l’aiment : anges, âmes, esprits. Ils connaissent ceux qui méritent la faveur de Dieu, et non contents d’accorder leur bienveillance à ceux qui ont ce mérite, ils collaborent avec ceux qui veulent rendre un culte au Dieu suprême ; remplis de bienveillance, avec eux ils prient et ils intercèdent. En conséquence nous osons dire : quand des hommes aspirent de tout leur coeur aux meilleurs biens et offrent à Dieu leur prière, une foule de saintes puissances, même sans être invoquées, prient avec eux et assistent notre race périssable. Et, si j’ose dire, elles combattent à nos côtés, à cause des démons qu’elles voient combattre et lutter contre le salut de ceux-là surtout qui se vouent à Dieu et qui dédaignent la haine des démons, quelle que soit leur fureur contre l’homme qui évite de leur rendre un culte au moyen du fumet de graisse et de sang, mais s’applique de toute manière, par ses paroles et ses actions, à vivre dans la familiarité et l’union avec le Dieu suprême, grâce à Jésus : car Jésus a causé la défaite d’un nombre infini de démons quand il allait partout « guérissant et convertissant ceux qui étaient tombés au pouvoir du diable. » LIVRE VIII
A quoi il faut répondre : quand l’occasion s’en présente, nous apportons aux empereurs un secours divin, pour ainsi dire, en nous revêtant de « l’armure de Dieu. » Nous le faisons pour obéir à la voix de l’Apôtre qui dit : « Je vous recommande donc avant tout de faire des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâce pour tous les hommes, pour les rois et tous les dépositaires de l’autorité. » Et plus on a de piété, plus on secourt efficacement ceux qui règnent, bien mieux que les soldats qui vont aux combats et tuent autant d’ennemis qu’ils peuvent. Mais voici encore ce qu’on pourrait dire aux étrangers à la foi qui nous demandent de combattre en soldats pour le bien public et de tuer des hommes. Même ceux qui, d’après vous, sont prêtres de certaines statues et gardiens des temples de vos prétendus dieux ont soin de garder leur main droite sans souillure pour les sacrifices, afin d’offrir à ceux que vous dites dieux les sacrifices traditionnels avec des mains pures de sang et de meurtre. Et sans doute, en temps de guerre, vous n’enrôlez pas vos prêtres. Si donc cette conduite est raisonnable, combien plus celle des chrétiens ! Pendant que d’autres combattent en soldats, ils combattent comme prêtres et serviteurs de Dieu ; ils gardent pure leur main droite, mais luttent par des prières adressées à Dieu pour ceux qui se battent justement et pour celui qui règne justement, afin que tout ce qui est opposé et hostile à ceux qui agissent justement puisse être vaincu. De plus, nous qui par nos prières vainquons tous les démons qui suscitent les guerres, font violer les serments et troublent la paix, nous apportons à l’empereur un plus grand secours que ceux que l’on voit combattre. Et nous collaborons aux affaires publiques en faisant monter, dans la justice, nos prières jointes aux exercices et aux méditations qui enseignent à mépriser les plaisirs et à ne plus les avoir pour guides. Plus que d’autres nous combattons pour l’empereur. Nous ne servons pas avec ses soldats, même s’il l’exige, mais nous combattons pour lui en levant une armée spéciale, celle de la piété, par les supplications que nous adressons à la divinité. LIVRE VIII