Saint-Martin (ATSM) – L’INTELLIGENCE ET LE DESIR

Ceux qui font cas des écritures n’ont qu’à voir combien elles prisent l’intelligence, combien elles menacent de priver de ce guide ceux qui s’écarteront de la ligne, et combien elles promettent de récompenser par ce flambeau ceux qui auront aimé la vérité. Ils n’ont qu’à voir comment tous les élus de Dieu, chargés d’annoncer sa parole, ont réprimandé les peuples, les individus et les ministres religieux qui négligeaient de faire usage de cette intelligence ou de cette raison divine, et de ce discernement pénétrant qui ne nous est donné que pour séparer continuellement la lumière des ténèbres, comme le fait l’esprit de Dieu.

Vous donc, ministres des choses saintes, voyez quelle est l’œuvre que la vérité a droit d’attendre de vous. Contemplez si vous le voulez la marche respectable des mystiques de tout genre. Mais ne vous confondez point avec ces timides piétistes, en nous interdisant comme eux l’usage du flambeau que l’homme a reçu par sa nature. Il n’est pas rare de voir de ces mystiques, soit féminins, soit masculins, nous peindre merveilleusement l’état le plus parfait des âmes, et nous donner même une description exacte des régions ou impressions par où passent les vrais ouvriers du Seigneur.

Mais ces mystiques semblent n’être appelés à approcher de ces régions que pour en faire la peinture, et ils n’ont pas la vocation active qui semble appartenir aux véritables administrateurs ; ils voient la terre promise et ne la labourent pas; les autres souvent la labourent sans la voir; ils craindraient même de se distraire, s’ils s’arrêtaient trop à la considérer, tant ils ont d’ardeur pour la rendre fertile. Leur poste n’est pas dans les régions partielles. Nous en pouvons juger en considérant la nature du désir.

Le désir ne résulte que de la séparation ou de la distinction de deux substances analogues, soit par leur essence, soit par leurs propriétés; et quand les gens à maximes disent qu’on ne désire pas ce qu’on ne connaît point, ils nous donnent la preuve que si nous désirons quelque chose, il faut absolument qu’il y ait en nous une portion de cette chose que nous désirons, et qui dès lors ne peut pas se regarder comme nous étant entièrement inconnue. En outre, il est certain, comme je l’ai dit souvent, que tout désir fait son industrie pour atteindre au but qui l’attraye, ce qui se voit dans tout ordre quelconque où nous voudrons choisir nos exemples; ce qui en même temps doit inculper notre paresse, réveiller notre courage, et condamner ceux qui le paralysent.

Je peux ajouter ici que le désir est le principe de tout mouvement, et qu’ainsi c’est une chose incontestable que le mouvement et le désir sont proportionnels, et cela depuis le premier être, qui étant le premier désir, le désir un, ou le désir universel, est aussi par là le mobile du mouvement même, jusqu’à la pierre qui est sans mouvement, parce qu’elle est sans désir.

Je peux ajouter encore que chaque désir agit sur sa propre enveloppe ou sur son enceinte pour se manifester; que plus l’on prend l’exemple dans un ordre relevé, plus l’enveloppe est susceptible de sentir et de participer au désir qui est renfermé en elle; que c’est par cette raison que l’homme peut être admis au sentiment et à la connaissance de toutes les merveilles divines, parce que son âme est l’enveloppe et le réceptacle du désir de Dieu.

Aussi, d’un côté, la magnificence de la destinée naturelle de l’homme est de ne pouvoir réellement et radicalement appéter par son désir que la seule chose qui puisse réellement et radicalement tout produire. Cette seule chose est le désir de Dieu ; toutes les autres choses qui entraînent l’homme, l’homme ne les appète point, il en est l’esclave ou le jouet. D’un autre côté, la magnificence de son ministère est de ne pouvoir réellement et radicalement agir que d’après l’ordre positif à lui prononcé à tout instant, comme par un maître à son serviteur, et cela par la seule autorité qui soit équitable, bonne, conséquente, efficace, et conforme à l’éternel désir. Tous les autres ordres qu’il reçoit journellement, ce n’est point comme serviteur; c’est lui qui les provoque par intérêt, et souvent même par orgueil et en se faisant souverain. Aussi presque partout dans ce monde les serviteurs se mettent à la place des maîtres.

Je ne peux plus cacher ici que le désir divin qui se fait sentir dans l’âme humaine, a pour but d’établir l’équilibre entre Dieu et elle, puisqu’un désir vient d’une séparation de substances analogues, qui ont besoin d’être unies; or cet équilibre n’est pas un effet mort et inerte, mais un développement actif des propriétés divines qui constituent l’âme humaine, en tant qu’elle est un extrait divin universel.

Mais si ces notions étaient éteintes dans l’âme humaine, c’était à vous, ministres des choses saintes, à les y faire renaître ; si ce désir était affaibli dans les hommes, c’était à vous à lui rendre ses forces, en lui en retraçant d’avance les avantages. Quel beau rôle vous auriez eu à faire en travaillant ainsi à opérer dans un ordre si supérieur la réunion de ce qui est séparé et qui se désire ! Vous voyez qu’un simple désir animal, tel que la faim, a pour but d’établir l’équilibre entre notre corps élémentaire et la nature, afin de mettre ce corps en état de manifester et d’accomplir toutes les merveilles élémentaires ou les propriétés corporelles dont la nature l’a composé, en tant qu’il est l’extrait de cette nature. Que n’aurait-on donc pas à attendre de ce désir puisé dans un autre ordre, et de ce besoin sacré, dont la source suprême a composé notre essence ?

Homme, si tu veux faire une utile spéculation, observe que ton corps est une expression continuelle du désir de la nature, et que ton âme est une expression continuelle du désir de Dieu; observe que Dieu ne peut être un instant sans désirer quelque chose, et que Dieu ne doit pas avoir un désir que tu ne puisses connaître, puisque tu devais les manifester tous. Tâche donc d’étudier continuellement les désirs de Dieu, afin de n’être pas traité un jour comme un serviteur inutile.

(Ministère de l’Homme-Esprit.)

(ATSM)