sagesse (Orígenes)

Paul a bien vu que la philosophie grecque contient des raisons non négligeables, plausibles aux yeux du grand public, qui présentent le mensonge comme vérité. Il dit à leur sujet : « Prenez garde que personne ne vous réduise en esclavage par la philosophie et une vaine séduction, selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde, et non selon le Christ. » Et parce qu’il voyait dans les discours de la sagesse du monde se manifester une certaine grandeur, il a dit que les discours des philosophes étaient « selon les éléments du monde ». Mais tout homme sensé nierait que les écrits de Celse soient de même « selon les éléments du monde ». Ceux-là ont quelque chose de séduisant, et Paul a parlé d’une vaine séduction peut-être pour la distinguer d’une séduction qui n’est pas vaine, celle qu’avait en vue Jérémie quand il eut l’audace de dire à Dieu : « Tu m’as séduit, Seigneur, et j’ai été séduit, tu as été plus fort que moi et plus puissant. » Mais ceux de Celse me paraissent n’avoir aucune séduction du tout, donc même pas la vaine séduction qu’offrent ceux des fondateurs d’écoles philosophiques, doués en ces matières d’une intelligence peu commune. Et de même que dans les spéculations géométriques, une faute banale ne peut être appelée « une donnée faussée », ou encore être proposée pour un exercice à partir de telles données, ainsi faut-il que ressemblent aux pensées des fondateurs d’écoles philosophiques celles qu’on pourrait qualifier comme les leurs de vaine séduction « selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde ». PRÉFACE

Après quoi, il exhorte a n’accepter de doctrines que sous la conduite de la raison et d’un guide raisonnable, car l’erreur est inévitable quand, sans cette précaution, on donne son adhésion à certains. Et il les assimile à ceux qui croient sans raison aux prêtres mendiants de Cybèle et aux devins, aux dévots de Mithra et de Sabazios, à tout ce qu’on peut rencontrer, apparitions d’Hécate, d’un autre ou d’autres démons. Car, de même que souvent parmi eux des hommes pervers prennent avantage de l’ignorance de gens faciles à tromper et les mènent à leur guise, ainsi en va-t-il des chrétiens. Il ajoute que certains, ne voulant pas même donner ni recevoir de raison sur ce qu’ils croient, usent de ces formules: «N’examine pas, mais crois; la foi te sauvera. » Il soutient qu’ils disent : La sagesse dans ce siècle est un mal, et la folie un bien. Il faut y répondre : s’il était possible que tous les hommes délaissent les affaires de la vie pour consacrer leurs loisirs à la philosophie, nul ne devrait poursuivre d’autre voie que celle-là. Car dans le christianisme on ne trouvera pas moins — pour parler sans orgueil —, d’examen approfondi des croyances, ni d’explication des énigmes prophétiques, des paraboles évangéliques et de mille autres événements ou préceptes à signification symbolique. Mais si ce n’est pas possible, vu le nombre infime de gens qui, à cause des nécessités de la vie ou de la faiblesse humaine, s’adonne à la raison, quelle autre méthode plus efficace pour aider la foule trouverait-on que celle qui fut transmise aux nations par Jésus ? LIVRE I

Celse a cité comme une expression courante chez les chrétiens : La sagesse dans le cours de cette vie est un mal, et la folie un bien. Il faut répondre qu’il calomnie la doctrine, puisqu’il n’a pas cité le texte même qui se trouve chez Paul et que voici : « Si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage, car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » L’Apôtre n’affirme donc pas simplement : « la sagesse est folie devant Dieu », mais : « la sagesse de ce monde… » ; ni non plus : « si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou » en général, mais : « qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage ». Donc, nous appelons « sagesse de ce siècle » toute philosophie remplie d’opinions fausses, qui est périmée d’après les Ecritures ; et nous disons : « la folie est un bien », non point absolument, mais quand on devient fou pour ce siècle. Autant dire du Platonicien, parce qu’il croit à l’immortalité de l’âme et à ce qu’on dit de sa métensomatose, qu’il se couvre de folie aux yeux des Stoïciens qui tournent en ridicule l’adhésion à ces doctrines, des Péripatéticiens qui jasent des « fredonnements » de Platon, des Epicuriens qui crient à la superstition de ceux qui admettent une providence et posent un dieu au-dessus de l’univers ! Ajoutons qu’au sentiment de l’Ecriture, il vaut bien mieux donner son adhésion aux doctrines avec réflexion et sagesse qu’avec la foi simple ; et qu’en certaines circonstances, le Logos veut aussi cette dernière pour ne pas laisser les hommes entièrement désemparés. C’est ce que montre Paul, le véritable disciple de Jésus, quand il dit : « Car, puisque dans la sagesse de Dieu le monde n’a pas connu Dieu avec la sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication » D’où il ressort donc clairement que c’est dans la sagesse de Dieu que Dieu devait être connu. Et puisqu’il n’en fut rien, Dieu a jugé bon ensuite de sauver les croyants, non pas simplement par la folie, mais par la folie relative à la prédication. De là vient que la proclamation de Jésus-Christ crucifié est la folie de la prédication, comme le dit encore Paul qui en avait pris conscience et déclare « Mais nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » LIVRE I

Combien supérieur à Celse, fut le Pythagoricien Nouménios ! Il a fourni maintes preuves de sa haute compétence, poussé à fond l’examen de nombreuses doctrines et fait, à partir de multiples sources, la synthèse de celles qui lui paraissent vraies. Dans son premier livre “Sur le Bien”, où il parle des peuples qui ont défini Dieu comme incorporel, il a classé les Juifs parmi eux, n’hésitant pas à citer dans son ouvrage même des paroles prophétiques et à en montrer le sens figuré. On dit encore qu’Hermippos, dans son premier livre “Sur les Législateurs”, raconte que Pythagore emprunta aux Juifs sa philosophie pour l’introduire en Grèce. De plus, il existe, dit-on, un livre de l’historien Hécataeos sur les Juifs, où il loue plus nettement la nation de sa sagesse, à tel point qu’Herennius Philon, dans son traité “Sur les Juifs”, doute d’abord si l’ouvrage est de l’historien, puis déclare que, s’il est authentique, c’est que l’auteur a probablement été séduit par la force persuasive des Juifs et a donné son adhésion à leur doctrine. LIVRE I

Mais je m’étonne que Celse ait classé “les Odryses, les habitants de Samothrace et d’Eleusis, les Hyperboréens parmi les peuples les plus anciens et les plus sages”, et qu’il n’ait daigné admettre les Juifs ni avec les sages ni avec les anciens. Bien des ouvrages circulent en Egypte, en Phénicie, en Grèce qui témoignent de leur antiquité, mais j’ai jugé superflu de les citer. Tout le monde peut lire les deux livres de Flavius Josèphe sur “l’Antiquité des Juifs”, où il mentionne une importante collection d’écrivains qui attestent l’antiquité judaïque. On cite encore le “Discours aux Grecs” de Tatien le Jeune, très savant compilateur des historiens de l’antiquité des Juifs et de Moïse. Celse paraît donc avoir écrit cela sans souci de la vérité, mais par malveillance, pour attaquer l’origine du christianisme, qui dépend du judaïsme. Il dit de plus : “Les Galactophages d’Homère, les Druides de la Gaule, les Gètes sont des peuples antiques et de haute sagesse qui professent des doctrines apparentées à celle des Juifs”. En trouve-t-on des écrits, je l’ignore. Mais aux seuls Juifs il dénie autant qu’il peut l’antiquité et la sagesse. LIVRE I

Cependant, même malgré lui, Celse en est venu à témoigner que le monde est plus récent et qu’il n’a pas encore dix mille ans, quand il dit : “Les Grecs tiennent ces événements pour antiques, car de plus anciens, ils n’en ont, du fait des déluges et des embrasements, ni observé, ni conservé de souvenirs”. Libre à Celse d’avoir, pour lui enseigner le mythe des embrasements et des inondations, les Egyptiens, gens, à son dire, d’une haute sagesse ! Sagesse dont les vestiges sont des animaux sans raison qu’ils adorent et des arguments qui prouvent que le culte ainsi rendu à la divinité est raisonnable et relève du secret et des mystères ! Ainsi quand les Egyptiens, pour vanter leur doctrine sur les animaux, apportent des raisons théologiques, les voilà devenus des sages. Mais, qu’on admette la loi et le législateur des Juifs, qu’on rapporte tout au Dieu unique, créateur de l’univers, on est moins considéré, aux yeux de Celse et de ses semblables, que si on ravale la divinité non seulement aux vivants raisonnables et mortels, mais encore aux êtres privés de raison, ce qui dépasse le mythe de la métensomatose concernant l’âme qui tombe de la voûte du ciel et descend jusqu’aux animaux sans raison, non seulement les animaux domestiques mais les bêtes les plus féroces. Et si les Egyptiens développent des mythes, c’est, croit-on, philosophie par énigmes et mystères ; mais si Moïse, qui écrit des histoires pour toute sa nation, lui laisse des récits et des lois, ses paroles, pense-t-on, sont fables vides et n’admettent pas d’allégorie ! . Voilà l’opinion de Celse et des Epicuriens. LIVRE I

“C’est donc cette doctrine, dit-il, courante chez les nations sages et les hommes illustres, que Moïse a connue par oui-dire et qui lui valut un nom divin”. A supposer que Moïse ait appris une doctrine plus ancienne et l’ait transmise aux Hébreux, il faut répondre : si, apprenant une doctrine mensongère, sans sagesse ni sainteté, il l’a acceptée et transmise à ses sujets, il est blâmable. Mais si, comme tu dis, il a donné son adhésion à des doctrines sages et vraies, et a fait l’éducation de son peuple grâce à elles, est-ce un acte qui mérite accusation ? Plût au ciel qu’Épicure, qu’Aristote un peu moins impie envers la providence, que les Stoïciens qui font de Dieu un être corporel, aient appris cette doctrine ! Le monde n’eût pas été plein d’une doctrine qui rejette ou coupe en deux la providence ; ou qui introduit un premier principe corruptible, corporel, en vertu duquel Dieu même est un corps pour les Stoïciens : ils n’ont pas honte de le dire susceptible de changement, d’altération intégrale, de transformation, bref, capable de corruption s’il avait un agent corrupteur, mais ayant la chance de n’être pas corrompu parce qu’il n’y a rien qui le corrompe. Mais la doctrine des Juifs et des chrétiens, qui garde l’invariabilité et l’immutabilité de Dieu, est tenue pour impie, parce qu’elle n’est pas complice de ceux qui ont sur Dieu des pensées impies : elle qui dit dans ses prières à la divinité : « Mais toi, tu es toujours le même », et qui croit que Dieu a dit : « Je ne change pas ». LIVRE I

Qui donc, s’il ne parcourt d’un regard superficiel la nature des faits, ne serait frappé d’admiration devant cet homme qui a vaincu et qui a pu dépasser, par sa gloire, toutes les causes d’obscurité et tous les hommes glorieux de tous les temps ? En vérité, les hommes glorieux ont rarement été capables de s’acquérir la gloire à plusieurs titres en même temps. C’est, l’un pour sa sagesse, l’autre pour sa valeur militaire, certains barbares pour leur merveilleux pouvoir d’incantation, d’autres pour d’autres titres toujours en petit nombre, qu’ils ont à la fois suscité l’admiration et acquis la renommée. Mais lui, outre ses autres titres, est admiré à la fois pour sa sagesse, pour ses miracles et pour son autorité. Il n’a pas persuadé, comme un tyran, quelques hommes de se joindre à lui au mépris des lois, ni comme un brigand qui excite contre les gens les hommes de sa bande, ni comme un riche qui pourvoit aux besoins de ceux qui l’approchent, ni comme un de ceux qui sont l’objet d’un blâme unanime ; mais il a agi en maître de la doctrine du Dieu de l’univers, du culte à lui rendre et de toute la loi morale, doctrine capable d’unir familièrement au Dieu suprême quiconque y conforme sa vie. Et Thémistocle et les autres hommes glorieux n’ont rien rencontré pour offusquer leur gloire ; lui au contraire, outre les circonstances indiquées, trop capables de faire sombrer dans l’ignominie le caractère le plus noble, sa mort apparemment infamante de crucifié était suffisante pour anéantir même sa gloire précédemment acquise ; et, dans la pensée de ceux qui n’adhèrent pas à son enseignement, elle devait amener les dupes qu’il aurait faites à se dégager de la duperie et à condamner celui qui les avait dupées. LIVRE I

Qu’ils répondent alors, ceux qui refusent de croire que Jésus est mort sur la croix pour les hommes. Est-ce qu’ils rejetteront aussi les multiples histoires, grecques et barbares, de personnes mortes pour le bien public, afin de détruire les maux qui s’étaient emparés des villes et des peuples ? Ou bien diront-ils ces faits réels, mais absolument invraisemblable la mort de cet homme — ainsi le jugent-ils — pour la destruction du grand démon, prince des démons, qui avait asservi toutes les âmes humaines venues sur terre ? Mais les disciples de Jésus en sont témoins, ainsi que d’autres choses en plus grand nombre qu’ils ont probablement apprises de Jésus en secret, en outre, ils furent remplis d’une certaine puissance, lorsque leur donna « fougue et courage », non la vierge dont parle le poète, mais la véritable prudence et sagesse de Dieu, « pour qu’ils se distinguent entre tous », non seulement « les Argiens », mais tous les Grecs ensemble avec les barbares, et « remportent une noble gloire ». LIVRE I

Mais, à l’adresse des Grecs qui ne croient pas que Jésus soit né d’une vierge, il faut ajouter : le Créateur a montré dans la naissance d’animaux variés que, ce qu’il fait pour un animal, il lui était possible, s’il le voulait, de le faire pour d’autres et pour les humains eux-mêmes. On trouve certaines femelles d’animaux qui n’ont pas commerce avec un mâle, comme les naturalistes le disent du vautour, et cet animal sauve la continuité de son espèce sans union sexuelle. Qu’y a-t-il donc d’extraordinaire que Dieu, ayant voulu envoyer un maître divin à la race humaine, au lieu de créer par un principe séminal résultant de l’union des mâles aux femelles, ait décidé que le principe de celui qui allait naître fût d’un autre ordre ? De plus, selon les Grecs eux-mêmes, tous les hommes ne sont pas nés d’un homme et d’une femme. Si, en effet, le monde a été créé, comme bien des Grecs l’ont admis, nécessairement les premiers hommes ne sont pas nés d’une union sexuelle, mais de la terre qui contenait les raisons séminales : ce que je trouve plus extraordinaire que la naissance de Jésus à demi semblable à celle du reste des hommes. Et à l’adresse des Grecs, il n’est pas déplacé de citer encore des histoires grecques, pour qu’ils ne paraissent pas les seuls à user de cette extraordinaire histoire. Certains ont jugé bon, à propos non plus d’anciennes légendes héroïques, mais d’événements d’hier ou avant-hier, d’écrire comme chose possible que Platon même fut né d’Amphictione alors qu’Ariston avait été empêché d’approcher d’elle avant qu’elle eût enfanté ce fils conçu d’Apollon. Il s’agit là en réalité de mythes qui ont poussé à imaginer un prodige de ce genre au sujet d’un homme, parce que, jugeait-on, il était d’une sagesse et d’une puissance supérieures à celles de la plupart et il avait reçu de semences supérieures et divines le principe de sa constitution corporelle, comme il convient à ceux qui ont une grandeur plus qu’humaine. Mais quand Celse, après avoir introduit le Juif s’entretenant avec Jésus, crible de sarcasmes ce qu’il considère comme la fiction de sa naissance d’une vierge, et qu’il cite les mythes grecs de “Danaé”, “de Mélanippe”, “d’Auges et d’Antiope”, il faut dire que ces propos convenaient à un bouffon, non à un écrivain qui prend son message au sérieux. LIVRE I

De plus, il accepte bien, de l’histoire écrite dans l’Évangile de Matthieu, la venue de Jésus en Egypte ; mais il refuse de croire aux prodiges qui l’ont provoquée, à l’ordre transmis par l’ange, à toute la signification mystérieuse possible du départ de Jésus de la Judée et de son séjour en Egypte. Il invente encore autre chose : d’un côté, il donne une certaine adhésion aux miracles extraordinaires accomplis par Jésus, grâce auxquels celui-ci persuada la multitude de le suivre comme Christ, de l’autre, il entend les disqualifier comme dus à la magie et non à la puissance divine. Car il affirme : Il fut élevé en secret, s’en fut en Egypte louer ses services, et, ayant acquis là l’expérience de certains pouvoirs, il s’en revint, proclamant grâce à ces pouvoirs qu’il était Dieu. Quant à moi, je ne comprends pas comment un magicien aurait pu prendre la peine d’enseigner une doctrine persuadant de tout faire dans la pensée que Dieu juge chacun sur toutes ses actions, et de donner cette disposition à ses disciples dont il allait faire les ministres de son enseignement. Ceux-ci gagnaient-ils leurs auditeurs par les miracles appris de cette façon, ou sans faire aucun miracle ? Dire qu’ils ne faisaient pas de miracle du tout, mais qu’après avoir cru, sans aucune puissance de raisons qui ressemblât à la sagesse dialectique des Grecs, ils se sont voués à l’enseignement d’une doctrine nouvelle pour ceux chez qui ils séjournaient, c’est le comble de l’absurdité : d’où leur fût venue l’audace pour enseigner la doctrine et les innovations ? Et s’ils accomplissaient des miracles, quelle vraisemblance y a-t-il que des magiciens se fussent exposés à de si graves périls pour un enseignement interdisant la magie ? LIVRE I

Et cela, je le dis au Juif, non que je refuse, moi chrétien, de croire à Ezéchiel et à Isaïe, mais pour lui inspirer de la honte grâce à ces prophètes auxquels nous croyons comme lui : car Jésus est bien plus digne de foi lorsqu’il a dit avoir eu cette vision, et qu’il a raconté aux disciples, comme c’est probable, la vision qu’il a vue et la voix qu’il a entendue. Une autre objection pourrait être que ceux qui ont mentionné par écrit la forme de la colombe et la voix céleste n’ont pas tous entendu Jésus leur faire ce récit. Mais l’Esprit qui enseigna à Moïse l’histoire plus ancienne que lui, celle qui commence à la création et va jusqu’au récit d’Abraham son ancêtre, enseigna de même aux évangélistes le miracle survenu au moment du baptême de Jésus. Celui qui a été orné du charisme qu’on appelle « discours de sagesse » » expliquera encore la raison de l’ouverture du ciel et de la forme de la colombe, et pourquoi le Saint-Esprit n’apparut point à Jésus sous la forme d’un autre être vivant que celui-là. Mais la raison ne demande pas de m’en expliquer ici : mon propos est de prouver que Celse n’a pas été judicieux d’attribuer à un Juif, avec de telles paroles, un manque de foi en un fait plus vraisemblable que ceux auxquels il croit. LIVRE I

Son Juif déclare encore au Sauveur : ” Si tu dis que tout homme né conformément à la divine Providence est fils de Dieu, en quoi l’emporterais-tu sur un autre ?” A quoi je répondrai : tout homme qui, selon le mot de Paul, n’est plus mené par la crainte, mais embrasse la vertu pour elle-même, est fils de Dieu. Mais le Christ l’emporte du tout au tout sur quiconque reçoit pour sa vertu le titre de fils de Dieu, puisqu’il en est comme la source et le principe. Voici le passage de Paul : « Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; mais vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba, Père ! » Mais, dit le Juif de Celse, ” d’autres par milliers réfuteront Jésus en affirmant qu’à eux-mêmes s’applique ce qui est prophétisé de lui.” En vérité, je ne sais pas si Celse a connu des gens qui, après leur venue en cette vie, ont voulu rivaliser avec Jésus, et se proclamer eux-mêmes fils de Dieu ou puissance de Dieu. Mais puisque j’examine loyalement les objections comme elles se présentent, je dirai : un certain Theudas naquit en Judée avant la naissance de Jésus, qui se déclara « un grand personnage » ; à sa mort, ceux qu’il avait abusés se dispersèrent. Après lui, « aux jours du recensement », vers le temps, semble-t-il, où Jésus est né, un certain Judas Galiléen s’attira de nombreux partisans dans le peuple juif, se présentant comme sage et novateur. Après qu’il fut châtié lui aussi, son enseignement s’éteignit, n’ayant quelque survivance que chez un tout petit nombre de personnes insignifiantes. Et après le temps de Jésus, Dosithée de Samarie voulut persuader les Samaritains qu’il était le Christ en personne prédit par Moïse, et parut, par son enseignement, avoir conquis quelques adhérents. Mais la remarque pleine de sagesse de Gamaliel, rapportée dans les Actes des Apôtres, peut être raisonnablement citée pour montrer que ces hommes n’avaient rien à voir avec la promesse, n’étant ni fils ni puissances de Dieu, tandis que le Christ Jésus était véritablement Fils de Dieu. Or Gamaliel y dit : « Si c’est là une entreprise et une doctrine qui vient des hommes, elle se détruira d’elle-même », comme s’est évanouie celle de ces gens-là quand ils moururent, « mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez faire disparaître l’enseignement de cet homme : ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » De plus, Simon le magicien de Samarie voulut par la magie s’attacher certains hommes, et il parvint à en séduire, mais aujourd’hui de tous les Simoniens du monde on n’en trouverait pas trente, je crois, et peut-être que j’en exagère le nombre. Ils sont fort peu nombreux en Palestine, et en aucun point du reste de la terre son nom n’a cette gloire qu’il voulut répandre autour de sa personne. Car là où il est cité, il l’est d’après les Actes des Apôtres ; ce sont des chrétiens qui font mention de lui, et l’évidence a prouvé que Simon n’était nullement divin. LIVRE I

Je rétorque : un examen sensé et judicieux de la conduite des apôtres de Jésus montre que par la puissance divine ils enseignaient le christianisme et réussissaient à soumettre les hommes à la parole de Dieu. Ils ne possédaient ni éloquence naturelle ni ordonnance de leur message selon les procèdes dialectiques et rhétoriques des Grecs, qui entraînent les auditeurs. Mais il me semble que si Jésus avait choisi des hommes savants au regard de l’opinion publique, capables de saisir et d’exprimer des idées chères aux foules, pour en faire les ministres de son enseignement, il eût très justement prête au soupçon d’avoir prêche suivant une méthode semblable à celle des philosophes chefs d’école, et le caractère divin de sa doctrine n’aurait plus paru dans toute son évidence. Sa doctrine et sa prédication auraient consisté en discours persuasifs de la sagesse avec le style et la composition littéraire. Notre foi, pareille à celle qu’on accorde aux doctrines des philosophes de ce monde, reposerait sur « la sagesse des hommes » et non sur « la puissance de Dieu ». Mais à voir des pêcheurs et des publicains sans même les premiers rudiments des lettres — selon la présentation qu’en donne l’Évangile, et Celse les croit véridiques sur leur manque de culture —, assez enhardis non seulement pour traiter avec les Juifs de la foi en Jésus-Christ, mais encore pour le prêcher au reste du monde et y réussir, comment ne pas chercher l’origine de leur puissance de persuasion ? Car ce n’était pas celle qu’attendent les foules. Et qui n’avouerait que sa parole : « Venez à ma suite, je vous ferai pêcheurs d’hommes », Jésus l’ait réalisée par une puissance divine dans ses apôtres. Paul aussi, je l’ai dit plus haut, la propose en ces termes : « Ma doctrine et ma prédication ne consistaient pas en des discours persuasifs de la sagesse, mais dans une démonstration de l’Esprit et de la puissance, pour que notre foi reposât, non point sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » Car, selon ce qui est dit dans les prophètes quand ils annoncent avec leur connaissance anticipée la prédication de l’Évangile, « le Seigneur donnera sa parole aux messagers avec une grande puissance, le roi des armées du bien-aimé », pour que soit accomplie cette prophétie : « afin que sa parole courre avec rapidité ». Et nous voyons, de fait, que « la voix » des apôtres de Jésus « est parvenue à toute la terre, et leurs paroles, aux limites du monde ». Voilà pourquoi sont remplis de puissance ceux qui écoutent la parole de Dieu annoncée avec puissance, et ils la manifestent par leur disposition d’âme, leur conduite et leur lutte jusqu’à la mort pour la vérité. Mais il y a des gens à l’âme vide, même s’ils font profession de croire en Dieu par Jésus-Christ ; n’étant pas sous l’influence de la puissance divine, ils n’adhèrent qu’en apparence à la parole de Dieu. LIVRE I

A la suite de ces remarques, le Juif de Celse dit à Jésus : “Pourquoi donc fallait-il, alors que tu étais encore enfant, te transporter en Egypte pour te faire échapper au massacre ? Il ne convenait pas qu’un Dieu craignît la mort ! Mais un ange vint du ciel pour t’ordonner à toi et aux tiens de fuir de peur qu’on ne vous surprît et qu’on ne vous mît a mort. A te garder sur place, toi son propre fils, le grand Dieu qui avait déjà envoyé deux anges a cause de toi était-il donc impuissant ? ” Celse pense ici que pour nous il n’y a rien de divin dans le corps humain et l’âme de Jésus, et même que son corps ne fut pas de cette nature qu’imaginent les mythes d’Homère. Raillant donc le sang de Jésus répandu sur la croix, il dit que ce n’était pas l’« ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ». Mais nous, nous croyons en Jésus lui-même, aussi bien quand il dit de la divinité qui est en lui « Je suis la voie, la vérité, la vie » et autres paroles semblables, que lorsqu’il déclare, parce qu’il était dans un corps humain « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité », et nous affirmons qu’il a été une sorte d’être composé. Prenant soin de venir à la vie comme un homme, il fallait qu’il ne s’exposât point à contretemps au péril de mort. Ainsi devait-il être conduit par ses parents dirigés par un ange de Dieu Le messager dit d’abord « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » , et, ensuite « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » Ce qui est écrit là ne me paraît pas le moins du monde extraordinaire. C’est en songe que l’ange a ainsi parlé à Joseph, comme l’attestent les deux passages de l’Écriture or, la révélation faite en songe à certaines personnes sur la conduite à tenir est arrivée à bien d’autres, que l’âme reçoive des impressions d’un ange ou d’un autre être Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que, une fois entre dans la nature humaine, Jésus fût également dirigé suivant la conduite humaine pour éviter les dangers, non qu’une autre méthode ait été impossible, mais parce qu’il fallait recourir aux moyens et aux dispositions humaines pour assurer sa sauvegarde. Et même il valait mieux que l’enfant Jésus évitât le complot d’Hérode et partît avec ses parents en Egypte jusqu’à la mort de l’auteur du complot, et que la providence veillant sur Jésus n’empêchât point la liberté d’Hérode de vouloir tuer l’enfant, ou encore ne plaçât autour de Jésus « le casque d’Hades » des poètes ou quelque chose de semblable, ou bien ne frappât comme les gens de Sodome ceux qui venaient le tuer. Car un mode tout à fait extraordinaire et trop éclatant de le secourir eût fait obstacle à son dessein d’enseigner comme un homme recevant de Dieu le témoignage que, dans l’homme paraissant aux regards, il y avait quelque chose de divin ; et c’était au sens propre le Fils de Dieu, Dieu Logos, puissance de Dieu et sagesse de Dieu, celui qu’on appelle le Christ. Mais ce n’est pas le moment de traiter de l’être composé et des éléments dont était formé Jésus fait homme, ce point donnant matière, pour ainsi dire, à un débat de famille entre croyants. LIVRE I

Après cela, en dépit de la redite de Celse sur Jésus qui répète alors une seconde fois : ” Il a subi chez les Juifs le châtiment de ses fautes”, je ne recommencerai pas à le défendre, me contentant de qui a été dit. Ensuite son Juif déprécie, comme vieilleries, “renseignement sur la résurrection des morts et le jugement de Dieu, la récompense pour les justes et le feu pour les injustes,” et il croit détruire le christianisme en déclarant qu’en ces matières les chrétiens n’enseignent rien de neuf. Il faut lui répondre : notre Jésus, voyant que la conduite des Juifs n’était en rien digne des enseignements prophétiques, enseigna, par une parabole, que « le Règne de Dieu leur serait enlevé et serait donné » à ceux qui viendraient de la gentilité. Et c’est pourquoi on peut vraiment regarder toutes les doctrines des Juifs actuels comme des fables et des futilités – car ils n’ont pas la lumière de l’intelligence des Écritures -, et les doctrines des chrétiens comme la vérité, aptes qu’elles sont à élever et à exalter l’âme et l’esprit de l’homme, et à persuader qu’ils ont une « cité » non point en bas en quelque sorte comme les Juifs de la terre, mais « dans le ciel ». Cela est manifeste chez ceux qui perçoivent la sublimité des pensées de la loi et des prophètes, et qui sont capables de la faire voir aux autres. Même si “Jésus a observé tous les usages en vigueur chez les Juifs, y compris les pratiques sacrificielles,” en résulte-t-il qu’il ne faut pas croire en lui comme au Fils de Dieu ? Jésus est Fils du Dieu qui a donné la loi et les prophètes ; et cette loi, nous qui sommes de son Église, nous ne la transgressons pas, mais nous avons fui les fables des Juifs et nous retirons sagesse et instruction de la contemplation mystique de la loi et des prophètes. En effet, les prophètes ne restreignent pas le sens de leurs paroles au récit dans sa teneur obvie et à la loi dans son texte littéral ; mais tantôt ils déclarent, sur le point de raconter des histoires : « Je vais ouvrir la bouche en paraboles, je vais évoquer les mystères de l’origine», tantôt ils disent dans leurs prières, à propos de la loi, comme si elle n’était pas claire mais demandait le secours de Dieu pour être comprise : « Ouvre mes yeux, et je comprendrai les merveilles de ta loi. » LIVRE II

Après cela, il dit : ” S’il avait pris cette décision, et si c’est par obéissance à son Père qu’il a été puni, il est évident que, puisqu’il était Dieu et qu’il le voulait, les traitements spontanément voulus pouvaient ne lui causer ni douleurs ni peines “. Et il n’a même pas vu la contradiction où il s’empêtre ! Car s’il accorde que Jésus a été puni parce qu’il en avait pris la décision, et qu’il s’est livré par obéissance à son Père, il est clair que Jésus a été puni et qu’il lui était impossible d’éviter les douleurs que lui infligent les bourreaux ; car la douleur échappe au contrôle de la volonté. Si au contraire, puisqu’il le voulait, les traitements ne pouvaient lui causer ni douleurs ni peines, comment Celse a-t-il accordé qu’il a été puni ? C’est qu’il n’a pas vu que Jésus, ayant une fois pris un corps par sa naissance, il l’a pris exposé aux souffrances et aux peines qui arrivent aux corps, si par peine on entend ce qui échappe à la volonté. Donc, de même qu’il l’a voulu et qu’il a pris un corps dont la nature n’est pas du tout différente de la chair des hommes, ainsi avec ce corps il a pris les douleurs et les peines ; et il n’était pas maître de ne pas les éprouver, cela dépendait des hommes disposés à lui infliger ces douleurs et ces peines. J’ai déjà expliqué plus haut que s’il n’avait pas voulu tomber entre les mains des hommes, il ne serait pas venu. Mais il est venu parce qu’il le voulait pour la raison déjà expliquée : le bien que retirerait tout le genre humain de sa mort pour les hommes. Ensuite il veut prouver que ce qui lui arrivait lui causait douleurs et peines, et qu’il lui était impossible, l’eut-il voulu, d’empêcher qu’il en fût ainsi, et il dit : ” Pourquoi dès lors exhale-t-il des plaintes et des gémissements et fait-il, pour échapper à la crainte de la mort, cette sorte de prière : «Père, si ce calice pouvait s’éloigner»? ” En ce point encore, vois la déloyauté de Celse. Il refuse d’admettre la sincérité des évangélistes, qui auraient pu taire ce qui, dans la pensée de Celse, est motif d’accusation, mais ne l’ont pas fait pour bien des raisons que pourra donner opportunément l’exégèse de l’Évangile ; et il accuse le texte évangélique au moyen d’exagérations emphatiques et de citations controuvées. On n’y rencontre pas que Jésus exhale des gémissements. Il altère le texte original : « Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne. » Et il ne cite pas, au delà, la manifestation immédiate de sa piété envers son Père et de sa grandeur d’âme, qui est ensuite notée en ces termes : « Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux. » Et même la docilité de Jésus à la volonté de son Père dans les souffrances auxquelles il était condamné, manifestée dans la parole , « Si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » il affecte ne de pas l’avoir lue. Il partage l’attitude des impies qui entendent les divines Écritures avec perfidie et « profèrent des impiétés contre le ciel » Ces gens semblent bien avoir entendu l’expression « Je ferai mourir », et ils nous en font souvent un reproche , ils ne se souviennent plus de l’expression « Je ferai vivre » Mais le passage tout entier montre que ceux dont la vie est ouvertement mauvaise et la conduite vicieuse sont mis à mort par Dieu, mais qu’est introduite en eux une vie supérieure, celle que Dieu peut donner à ceux qui sont morts au péché. De même, ils ont entendu « Je frapperai », mais ils ne voient plus « C’est moi qui guérirai » expression semblable à celle d’un médecin qui a incisé des corps, leur a fait des blessures pénibles pour leur enlever ce qui nuit et fait obstacle à la santé, et qui ne se borne pas aux souffrances et à l’incision, mais rétablit par ce traitement les corps dans la santé qu’il avait en vue. De plus, ils n’ont pas entendu dans son entier la parole « Car il fait la blessure et puis il la bande », mais seulement « il fait la blessure ». C’est bien ainsi que le Juif de Celse cite « Père, si ce calice pouvait s’éloigner », mais non la suite, qui a prouve la préparation de Jésus a sa passion et sa fermeté Et c’est même là une matière offrant un vaste champ d’explication par la sagesse de Dieu, qu’on pourrait avec raison transmettre à ceux que Paul a nommes « parfaits » quand il dit « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits » , mais, la remettant à une occasion favorable, je rappelle ce qui est utile à la question présente. Je disais donc déjà plus haut il y a certaines paroles de celui qui est en Jésus le premier-né de toute créature, comme « Je suis la voie, la vérité, la vie » et celles de même nature, et d’autres, de l’homme que l’esprit discerne en lui, telles que « Mais vous cherchez à me faire mourir, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de mon Père » Dés lors, ici même, il exprime dans sa nature humaine et la faiblesse de la chair humaine et la promptitude de l’esprit la faiblesse, « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi » , la promptitude de l’esprit, « cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » De plus, s’il faut être attentif a l’ordre des paroles, observe qu’est d’abord mentionnée celle qui, pourrait-on dire, se rapporte a la faiblesse de la chair, et qui est unique , et ensuite, celles qui se rapportent à la promptitude de l’esprit, et qui sont multiples. Voici l’exemple unique « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi ». Voici les exemples multiples « Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux », et « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » Il faut noter aussi qu’il n’a pas dit « Que ce calice s’éloigne de moi », mais que c’est cet ensemble qui a été dit pieusement et avec révérence : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi. » Je sais bien qu’il y a une interprétation du passage dans le sens que voici : Le Sauveur, à la vue des malheurs que souffriraient le peuple et Jérusalem en punition des actes que les Juifs ont osé commettre contre lui, voulut, uniquement par amour pour eux, écarter du peuple les maux qui le menaçaient, et dit : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi », comme pour dire : puisque je ne peux boire ce calice du châtiment sans que tout le peuple soit abandonné de toi, je te demande, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi, afin que la part de ton héritage ne soit pas, pour ce qu’elle a osé contre moi, entièrement abandonné de toi. » Mais encore si, comme l’assure Celse, ce qui est arrivé en ce temps n’a causé à Jésus ni douleur, ni peine, comment ceux qui vinrent après auraient-ils pu proposer Jésus comme modèle de patience à supporter les persécutions religieuses, si au lieu d’éprouver des souffrances humaines il avait seulement semblé souffrir ? Le Juif de Celse s’adresse encore aux disciples de Jésus comme s’ils avaient inventé tout cela : ” En dépit de vos mensonges, vous n’avez pu dissimuler vos fictions d’une manière plausible.” A quoi la réplique sera : il y avait un moyen facile de dissimuler les faits de ce genre : n’en rien écrire du tout ! Car si elles n’étaient contenues dans les Evangiles, qui donc aurait pu nous faire un reproche des paroles que Jésus prononça au temps de l’Incarnation ? Celse n’a pas compris qu’il était impossible que les mêmes hommes, d’une part aient été dupes sur Jésus qu’ils croyaient Dieu et prédit par les prophètes, et de l’autre aient sur lui inventé des fictions qu’ils savaient évidemment n’être pas vraies ! Donc, ou bien ils ne les ont pas inventées, mais les croyaient telles et les ont écrites sans mentir , ou bien ils mentaient en les écrivant, ne les croyaient pas authentiques et n’étaient point dupés par l’idée qu’il était Dieu. LIVRE II

De plus, je pourrais dire à ceux qui croient qu’en ces matières le Juif de Celse fait à Jésus de justes griefs : il y a dans le Lévitique et le Deutéronome un grand nombre d’imprécations ; dans la mesure où le Juif les défendra en avocat de l’Écriture, dans cette même mesure ou mieux encore, nous défendrons ces prétendues invectives et menaces de Jésus. Bien plus, de la loi de Moïse elle-même nous pourrons présenter une meilleure défense que celle du Juif, pour avoir appris de Jésus à comprendre plus intelligemment que lui les textes de la loi. En outre, si le Juif a vu le sens des discours prophétiques, il pourra montrer que Dieu n’use pas à la légère de menaces et d’invectives, quand il dit : « Malheur, Je vous prédis », et comment Dieu a pu employer pour la conversion des hommes ces expressions, qu’au jugement de Celse n’imaginerait même pas un homme de bon sens. Mais les chrétiens aussi, sachant que le même Dieu parle par les prophètes et par le Seigneur, prouveront le caractère raisonnable de ce que Celse juge des menaces et nomme des invectives. On fera sur la question une courte réplique à Celse qui se vante d’être philosophe et de savoir nos doctrines : Comment, mon brave, quand Hermès dans Homère dit à Ulysse : « Pourquoi donc, malheureux, t’en vas-tu seul le long de ces coteaux ? » tu supportes qu’on le justifie en disant qu’Hermès chez Homère interpelle Ulysse de la sorte pour le ramener au devoir ? car les paroles flatteuses et caressantes sont le fait des Sirènes, près de qui s’élève « tout autour un tas d’ossements », elles qui disent : « Viens ici, viens à nous, Ulysse tant vanté, l’honneur de l’Achaïe. » ? Mais lorsque mes prophètes et Jésus même, pour convertir les auditeurs, disent : « Malheur à vous ! » et ce que tu prends pour des invectives, ils ne s’adaptent point à la capacité des auditeurs par ces expressions, et ne leur appliquent pas cette manière de parler comme un remède de Péon ? A moins peut-être que tu ne veuilles que Dieu, ou Celui qui participe à la nature divine, conversant avec les hommes, n’ait en vue que les intérêts de sa nature et le respect qu’on lui doit, sans plus considérer ce qu’il convient de promettre aux hommes gouvernés et conduits par son Logos et de proposer à chacun d’une manière adaptée à son caractère fondamental ? De plus, comment n’est-elle pas ridicule cette impuissance à persuader qu’on attribue à Jésus ? Car elle s’applique aussi, non seulement au Juif qui a beaucoup d’exemples de ce genre dans les prophéties, mais encore aux Grecs : parmi eux, chacun de ceux que leur sagesse a rendus célèbres auraient été impuissants à persuader les conspirateurs, les juges, les accusateurs de quitter la voie du vice pour suivre, par la philosophie, celle de la vertu. LIVRE II

Ensuite, son Juif dit, évidemment pour s’accommoder aux croyances des Juifs : Oui certes ! nous espérons ressusciter un jour dans notre corps et mener une vie éternelle, et que Celui qui nous est envoyé en sera le modèle et l’initiateur, prouvant qu’il n’est pas impossible à Dieu de ressusciter quelqu’un avec son corps. Je ne sais pas si le Juif dirait que le Christ attendu doit montrer en lui-même un modèle de la résurrection. Mais soit ! Accordons qu’il le pense et le dise. De plus, quand il dit nous avoir fait des citations de nos écrits, je réponds : n’as-tu pas, mon brave, en lisant ces écrits grâce auxquels tu prétends nous accuser, trouvé l’explication détaillée de la résurrection de Jésus, et qu’il est « le premier-né d’entre les morts » ? Ou, de ce que tu refuses de le croire, s’ensuit-il qu’il n’en ait rien été dit ? Mais puisque le Juif continue en admettant chez Celse la résurrection des corps, je pense que ce n’est pas ici l’occasion d’en traiter avec un homme qui croit et avoue qu’il y a une résurrection des corps, soit qu’il se l’explique nettement et puisse en fournir convenablement la preuve, soit qu’il ne le puisse pas mais donne à la doctrine une adhésion superficielle. Voilà donc notre réponse au Juif de Celse. Et puisqu’il dit encore : Où donc est-il, pour que nous puissions voir et croire ? nous lui répondrons : où donc est maintenant celui qui parle par les prophètes et qui a fait des prodiges, pour que nous puissions voir et croire que le Juif « est la part de Dieu ». Ou bien vous est-il permis de vous justifier du fait que Dieu ne s’est pas continuellement manifesté au peuple juif, tandis qu’à nous la même justification n’est pas accordée pour le cas de Jésus qui, une fois ressuscité, persuada ses disciples de sa résurrection ? Et il les persuada au point que par les épreuves qu’ils souffrent, ils montrent à tous que, les yeux fixés sur la vie éternelle et la résurrection, manifestée à eux en parole et en acte, ils se rient de toutes les épreuves de la vie. Après cela, le Juif dit : N’est-il descendu que pour nous rendre incrédules ? On lui répondra : il n’est pas venu pour provoquer l’incrédulité de Juifs ; mais, sachant d’avance qu’elle aurait lieu, il l’a prédite et il a fait servir l’incrédulité des Juifs à la vocation des Gentils. Car, par la faute des Juifs le salut est venu aux Gentils, à propos desquels le Christ dit chez les prophètes : « Un peuple que je ne connaissais pas s’est soumis à moi ; l’oreille tendue, il m’obéit » ; « Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas, j’ai apparu à ceux qui ne m’interrogeaient pas. » Et il est manifeste que les Juifs ont subi en cette vie le châtiment d’avoir traité Jésus comme ils l’ont fait. Les Juifs peuvent dire, s’ils veulent nous critiquer : Admirable est à votre égard la providence et l’amour de Dieu, de vous châtier, de vous avoir privés de Jérusalem, de ce qu’on nomme le sanctuaire, du culte le plus sacré ! Car s’ils le disent pour justifier la providence de Dieu, nous aurions un argument plus fort et meilleur ; c’est que la providence de Dieu est admirable, d’avoir fait servir le péché de ce peuple à l’appel par Jésus des Gentils au Royaume de Dieu, de ceux qui étaient étrangers aux alliances et exclus des promesses. Voilà ce que les prophètes ont prédit, disant qu’à cause du péché du peuple hébreu, Dieu appellerait non pas une nation, mais des élites de partout, et qu’ayant choisi « ce qu’il y a de fou dans le monde », il ferait que la nation inintelligente vienne aux enseignements divins, le Règne de Dieu étant ôté à ceux-là et donné à ceux-ci. Il suffît, entre bien d’autres, de citer à présent cette prophétie du cantique du Deutéronome sur la vocation des Gentils, attribuée à la personne du Seigneur : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles. Et moi je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai par une nation inintelligente.» Enfin, pour tout conclure, le Juif dit de Jésus : Il ne fut donc qu’un homme, tel que la vérité elle-même le montre et la raison le prouve. Mais s’il n’eût été qu’un homme, je ne sais comment il eût osé répandre sur toute la terre sa religion et son enseignement, et eût été capable sans l’aide de Dieu d’accomplir son dessein et de l’emporter sur tous ceux qui s’opposent à la diffusion de son enseignement, rois, empereurs, Sénat romain, et partout les chefs et le peuple. Comment attribuer à une nature humaine qui n’aurait eu en elle-même rien de supérieur la capacité de convertir une si vaste multitude ? Rien d’étonnant s’il n’y avait eu que des sages ; mais il s’y ajoutait les gens les moins raisonnables, esclaves de leurs passions, d’autant plus rebelles à se tourner vers la tempérance qu’ils manquaient de raison. Et parce qu’il était puissance de Dieu et sagesse du Père, le Christ a fait tout cela et le fait encore, malgré les refus des Juifs et des Grecs incrédules à sa doctrine. LIVRE II

Aussi ne cesserons-nous pas de croire en Dieu selon les règles données par Jésus et de chercher la conversion de ceux qui sont aveugles au point de vue religieux. Les aveugles véritables peuvent nous blâmer d’être aveugles, et ceux, Juifs et Grecs, qui séduisent leurs adeptes, nous reprocher à nous aussi de séduire les hommes. Belle séduction, en vérité, que de conduire de la licence à la tempérance, ou du moins au progrès vers la tempérance ; de l’injustice à la justice ou au progrès vers la justice, de la folie à la sagesse, ou sur le chemin de la sagesse ; de la timidité, du manque de caractère, de la lâcheté, au courage et à la persévérance exercée principalement dans les luttes pour garder la piété envers Dieu créateur de l’univers ! Jésus-Christ est donc venu, après avoir été prédit non par un seul prophète, mais par tous. Et c’est une nouvelle preuve de l’ignorance de Celse que de faire dire au personnage du Juif qu’un seul prophète a prédit le Christ. Le Juif mis en scène par Celse, et qui prétend parler au nom de sa propre loi, achève ici son argumentation, sans rien dire d’autre qui mérite d’être mentionné. Je terminerai donc, moi aussi, le second livre que j’ai composé contre son traité. Avec l’aide de Dieu, et par la puissance du Christ habitant dans notre âme, je m’appliquerai à répondre, dans un troisième livre, à ce que Celse a écrit dans la suite. LIVRE II

Après cela il déclare :” Leur société est d’autant plus étonnante qu’on peut mieux prouver qu’elle ne repose sur aucun fondement solide. Elle n’a de fondement solide que la révolte, l’avantage qu’on en espère et la crainte des étrangers : telle est l’assise de leur foi. ” A quoi je répliquerai : notre société est si bien établie sur un fondement, ou plutôt, non pas sur un fondement, mais sur l’action de Dieu, qu’elle a pour origine Dieu enseignant aux hommes, dans les prophètes, à espérer la venue du Christ pour sauver les hommes. Dans la mesure où cela n’est point véritablement réfuté, malgré les réfutations apparentes des incroyants, dans cette mesure même il est établi que cette doctrine est la doctrine de Dieu, et démontré que Jésus est le Fils de Dieu avant et après son incarnation. Mais je l’affirme, même depuis son incarnation, elle ne cesse d’être découverte, par ceux qui ont les yeux de l’âme très pénétrants, comme la plus divine, réellement descendue de Dieu vers nous, ne pouvant tirer son origine ni son développement de l’intelligence humaine, mais uniquement de l’apparition sensible de Dieu qui, dans la variété de sa sagesse et de ses miracles, a établi d’abord le judaïsme et après lui le christianisme. Ainsi se trouve réfuté le propos qu’il faut considérer la révolte et l’avantage qu’on en espère comme le principe de la doctrine par laquelle tant d’hommes ont été convertis et rendus meilleurs. LIVRE III

Ensuite, à propos des pratiques des Égyptiens, qui parlent avec respect même des animaux sans raison et affirment qu’ils sont des symboles de la divinité, ou quelque titre qu’il plaise à leurs prophètes de leur donner, il dit : Elles provoquent chez ceux qui ont acquis ce savoir l’impression que leur initiation ne fut pas vaine. Quant aux vérités que nous présentons à ceux qui ont une connaissance approfondie du christianisme dans nos discours faits sous l’influence de ce que Paul appelle « don spirituel », dans le discours de sagesse « grâce à l’Esprit », dans le discours de science « selon l’Esprit» », Celse semble n’en avoir pas la moindre idée. On le voit non seulement d’après ce qu’il vient de dire, mais encore d’après le trait qu’il lance plus tard contre la société des chrétiens quand il dit qu’ils excluent tout sage de la doctrine de leur foi, mais se bornent à inviter les ignorants et les esclaves ; ce que nous verrons en son temps, en arrivant au passage. Il affirme même que nous nous moquons des Égyptiens. Cependant, ils proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, puisqu’ils enseignent que ce sont là des hommages rendus non à des animaux éphémères, comme le pense la foule, mais à des idées éternelles. Tandis que c’est une sottise de n’introduire dans les explications sur Jésus rien de plus vénérable que les boucs ou les chiens de l’Egypte. A quoi je répondrai : tu as raison, mon brave, de relever dans ton discours que les Égyptiens proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, et des explications obscures sur leurs animaux ; mais tu as tort de nous accuser dans ta persuasion que nous ne disons que de méprisables sottises quand nous discutons en détail les mystères de Jésus, selon la sagesse du Logos, avec ceux qui sont parfaits dans le christianisme. Paul enseigne que de telles gens sont capables de comprendre la sagesse du christianisme quand il dit : « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits, mais non d’une sagesse de ce siècle, ni des princes de ce siècle, qui vont à leur perte. Nous parlons au contraire d’une sagesse de Dieu, ensevelie dans le mystère, dès avant les siècles fixée par Dieu pour notre gloire, et qu’aucun des princes de ce siècle n’a connue. » LIVRE III

Je le demande à ceux qui partagent l’avis de Celse : Paul n’avait-il aucune idée d’une sagesse supérieure quand il professait parler « de sagesse parmi les parfaits » ? Et comme il me répondra avec son audace habituelle que Paul a pu faire cette profession sans posséder la moindre sagesse, je lui répliquerai : commence par examiner les épîtres de cet auteur, fais bien attention au sens des expressions qui se trouvent, par exemple, dans les épîtres aux Ephésiens, aux Colossiens, aux Thessaloniciens, aux Philippiens, aux Romains, et montre à la fois deux choses : que tu as bien compris les paroles de Paul, et que tu peux prouver qu’il en est qui sont de misérables sottises. En effet, s’il se livre à une lecture attentive, j’en suis sûr, ou il admirera l’esprit de cet homme qui exprime des vues géniales dans une langue commune, ou, en refusant d’admirer, il se couvrira de ridicule, qu’il expose dans quel sens il a compris l’auteur, ou qu’il essaie de contredire et de réfuter ce qu’il s’imagine avoir compris. LIVRE III

Celse pour montrer qu’il a lu beaucoup d’histoires grecques cite encore celle de Cléomède d’Astypalée, et raconte : Celui-ci entra dans un coffre, s’enferma à l’intérieur, et on ne put l’y retrouver, mais il s’en était envolé par une providence miraculeuse, lorsqu’on vint briser le coffre pour le prendre. Cette histoire, si elle n’est pas une fiction comme elle semble l’être, n’est point comparable à celle de Jésus ; car la vie de ces hommes ne présente aucune preuve de la divinité qu’on leur attribue, alors que celle de Jésus a pour preuves les églises de ceux qu’il a secourus, les prophéties faites à son sujet, les guérisons accomplies en son nom, la connaissance de ces mystères dans la sagesse et la raison que l’on trouve chez ceux qui s’appliquent à dépasser la simple foi et à scruter le sens des Écritures ; car tel est l’ordre de Jésus : « Scrutez les Écritures », telle est l’intention de Paul qui a enseigné que nous devons « savoir répondre à chacun » comme il se doit, et celle d’un autre auteur qui a dit : « Soyez toujours prêts à la défense contre quiconque demande raison de la foi qui est en vous. » Mais Celse veut qu’on lui accorde qu’il ne s’agit pas d’une fiction : à lui de dire le dessein de la puissance surhumaine qui a fait envoler Cléomède de l’intérieur du coffre par une providence miraculeuse. Car s’il présente de cette faveur faite à Cléomède une raison valable et une intention digne de Dieu, on jugera de la réponse à lui faire. Mais s’il demeure embarrassé pour en donner la moindre raison plausible, parce que, de toute évidence, cette raison est impossible à trouver, ou bien en accord avec ceux qui ont refusé d’admettre cette histoire, on prouvera sa fausseté, ou bien on dira qu’en faisant disparaître l’homme d’Astypalée, un démon a joué un tour semblable à ceux des sorciers et trompé les regards ; et cela contre Celse qui a pensé qu’un oracle divin avait déclaré qu’il s’était envolé du coffre par une providence miraculeuse. LIVRE III

Il en vient ensuite au mignon d’Adrien – je parle de l’adolescent Antinoos – , et aux honneurs qui lui sont rendus dans la ville d’Egypte Antinoopolis, et il pense qu’ils ne diffèrent en rien de notre culte pour Jésus. EH bien ! réfutons cette objection dictée par la haine. Quel rapport peut-il y avoir entre Jésus que nous vénérons et la vie du mignon d’Adrien qui n’avait pas même su garder sa virilité d’un attrait féminin morbide ? Contre Jésus, ceux mêmes qui ont porté mille accusations et débité tant de mensonges, n’ont pas pu alléguer la moindre action licencieuse. De plus, si on soumettait à une étude sincère et impartiale le cas d’Antinoos, on découvrirait des incantations égyptiennes et des sortilèges à l’origine de ses prétendus prodiges à Antinoopolis, même après sa mort. On rapporte que c’est la conduite, dans d’autres temples, suivie par les Égyptiens et autres gens experts en sorcellerie : ils fixent en certains lieux des démons pour rendre des oracles, guérir, et souvent mettre à mal ceux qui ont paru transgresser les interdits concernant les aliments impurs ou le contact du cadavre d’un homme ; ils veulent effrayer ainsi la foule des gens incultes. Voilà celui qui passe pour dieu à Antinoopolis d’Egypte : ses vertus sont des inventions mensongères de gens qui vivent de fourberies, tandis que d’autres, bernés par le démon qui habite en ce lieu, et d’autres, victimes de leur conscience faible, s’imaginent acquitter une rançon divinement voulue par Antinoos ! Voilà les mystères qu’ils célèbrent et leurs prétendus oracles ! Quelle différence du tout au tout avec ceux de Jésus ! Non, ce n’est pas une réunion de sorciers qui, pour complaire à l’ordre d’un roi ou à la prescription d’un gouverneur, ont décidé de faire de lui un dieu. Mais le Créateur même de l’univers, par l’effet de la puissance persuasive de sa miraculeuse parole, l’a constitué digne du culte non seulement de tout homme qui cherche la sagesse, mais encore des démons et autres puissances invisibles. Jusqu’à ce jour, celles-ci montrent ou qu’elles craignent le nom de Jésus comme celui d’un être supérieur, ou qu’elles lui obéissent avec respect, comme à leur chef légitime. S’il n’avait pas été ainsi constitué par la faveur de Dieu, les démons à la seule invocation de son nom ne se retireraient pas sans résistance de leurs victimes. LIVRE III

Ensuite Celse rapporte les propos, absolument contraires à renseignement de Jésus, tenus par un tout petit nombre de soi-disant chrétiens, non spécialement intelligents, comme il le croit, mais des plus ignorants : Voici leurs mots d’ordre : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Autant de mauvaises recommandations à nos yeux ! Mais se trouve-t-il un ignorant, un insensé, un inculte, un petit enfant, qu’il approche hardiment ! En reconnaissant que de telles gens sont dignes de leur Dieu, ils montrent bien qu’ils ne veulent et ne peuvent convaincre que les gens niais, vulgaires, stupides: esclaves, bonnes femmes et jeunes enfants. A cela je réponds : si malgré l’enseignement de Jésus sur la continence : « Quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son coer, commis l’adultère avec elle », on voyait, parmi tant d’autres, quelques soi-disant chrétiens vivre dans la débauche, on aurait bien raison de les blâmer pour leur vie contraire à l’enseignement de Jésus, mais ce serait fort déraisonnable de faire porter sur l’Évangile le blâme qu’ils méritent. De même, si l’on constate que la doctrine chrétienne plus que toute autre invite à la sagesse, il faudra blâmer ceux qui pour justifier leur ignorance, allèguent, non point les propos écrits par Celse, car on n’en trouve pas d’aussi éhontés même dans la bouche des simples et des ignorants, mais d’autres de bien moindre importance, capables de détourner de la pratique de la sagesse. LIVRE III

Mais le Logos entend que nous soyons sages, et on peut le montrer soit par les anciennes Écritures juives dont nous gardons l’usage, soit aussi par celles qui sont postérieures à Jésus dont les églises reconnaissent l’inspiration divine. Or il est écrit, au cinquantième psaume, que David dit dans sa prière à Dieu : « Tu m’as révélé les secrets et les mystères de ta sagesse. » Et en lisant les psaumes, on trouve ce livre rempli d’un grand nombre de sages doctrines. De plus, Salomon demanda et obtint la sagesse ; et de sa sagesse, on peut reconnaître les marques dans ses écrits, quand il enferme en peu de mots une grande profondeur de pensée : on y trouverait, entre autres, nombre d’éloges de la sagesse et d’exhortations sur le devoir de l’acquérir. Et telle était même la sagesse de Salomon que la reine de Saba, ayant appris sa « renommée et la renommée du Seigneur », vint « le mettre à l’épreuve en lui posant des énigmes. Elle lui dit tout ce qui était dans son coer. Et Salomon répondit à toutes ses questions ; et il n’y eut pas une question qui resta cachée au roi, sur laquelle il ne lui fournit de réponse. La reine de Saba vit toute la sagesse de Salomon » et toutes ses ressources. « Et hors d’elle-même, elle dit au roi : C’est donc la vérité que j’ai entendu dire dans mon pays sur toi et sur ta sagesse ; je n’ai pas voulu y croire quand on m’en faisait part, avant de venir et de voir de mes yeux. Et voici qu’on ne m’en avait pas dit la moitié. Tu surpasses en sagesse et en magnificence tout ce que j’ai appris par ouï-dire. » Et justement il est écrit de lui : « Dieu donna à Salomon une intelligence et une sagesse extrêmement grandes, et un coer aussi vaste que le sable du rivage de la mer. Et la sagesse de Salomon surpassait de beaucoup l’intelligence de tous les anciens et de tous les sages d’Egypte. Il fut plus sage que tous les hommes, plus sage que Gétan l’Ezrahite, et qu’Emad, Chalcad, Aradab, fils de Mad. Il était renommé dans toutes les nations d’alentour. Salomon prononça trois mille paraboles, et ses cantiques étaient au nombre de cinq mille. Il a parlé des plantes, depuis le cèdre du Liban jusqu’à l’hysope qui se fraye un chemin dans la muraille. Il a parlé des poissons comme du bétail. Tous les peuples venaient entendre la sagesse de Salomon, et on venait de la part de tous les rois de la terre qui avaient entendu parler de sa sagesse. » LIVRE III

Le Logos entend si bien qu’il y ait des sages parmi les croyants, que pour exercer l’intelligence des auditeurs, il a exprimé certaines vérités sous forme d’énigmes, d’autres en « discours obscurs », d’autres en paraboles, d’autres en questions. C’est l’aveu même de l’un des prophètes, Osée, à la fin de son livre : « Qui est sage et comprendra ces paroles? Qui est intelligent et les pénétrera ? » Et Daniel et ses compagnons de captivité progressèrent si bien dans les sciences pratiquées à Babylone par les sages de la cour royale, qu’ils se montrèrent « dix fois » supérieurs à eux tous. Il est dit également, dans Ézéchiel, au prince de Tyr qui s’enorgueillissait de sa sagesse : « N’es-tu pas plus sage que Daniel ? Tout secret ne t’a-t-il pas été montré ? » LIVRE III

Pour en venir aux livres écrits après Jésus, on y trouverait que les foules de croyants écoutent les paraboles comme si elles étaient au dehors et seulement dignes des doctrines exotériques ; mais les disciples reçoivent en particulier l’explication des paraboles. Car Jésus « expliquait toutes choses en particulier à ses disciples », préférant aux foules ceux qui aspiraient à sa sagesse. Il fait la promesse à ceux qui croient en lui de leur envoyer sages et scribes : « Voici que je vais vous envoyer des sages et des scribes, et on en fera mourir sur la croix. » De plus, dans sa liste des charismes donnés par Dieu, Paul place d’abord le discours de sagesse, en second lieu, comme lui étant inférieur, le discours de science, et en troisième lieu, comme au-dessous encore, la foi. Et parce qu’il estimait davantage le discours que les réalisations de prodiges, il met les « actes de puissance » et les « dons de guérir » au-dessous des charismes de discours. Et dans les Actes des apôtres, Étienne atteste la science étendue de Moïse, en se fondant certainement sur des livres anciens et inaccessibles à la foule. Car il dit : « Moïse fut instruit dans toute la sagesse des Égyptiens. » Et c’est pourquoi, lors de ses prodiges, on le soupçonnait de les accomplir non pas, comme il le proclamait, par la puissance de Dieu, mais grâce à son habileté dans les sciences d’Egypte. C’est bien ce soupçon qui poussa le roi à mander les enchanteurs, les sages et les magiciens d’Egypte, mais leur néant se révéla devant la sagesse de Moïse qui surpassait toute la sagesse des Égyptiens. LIVRE III

De plus il est probable que les paroles de Paul dans la Première aux Corinthiens, Grecs fort enflés de la sagesse grecque, ont conduit certains à croire que le Logos exclut les sages. Que celui qui aurait cette opinion comprenne bien. Pour blâmer des méchants, le Logos déclare qu’ils ne sont pas des sages relativement à l’intelligible, l’invisible, l’éternel, mais parce qu’ils ne s’occupent que du sensible, à quoi ils réduisent toutes choses, ils sont des sages de ce monde. De même, dans la multitude des doctrines, celles qui, prenant parti pour la matière et les corps, soutiennent que toutes les réalités fondamentales sont des corps, qu’en dehors d’eux il n’existe rien d’autre, ni « invisible », ni « incorporel », le Logos les déclare « sagesse de ce monde », vouée à la destruction, frappée de folie, sagesse de ce siècle. Mais il déclare « sagesse de Dieu » celles qui élèvent l’âme des choses d’ici-bas au bonheur près de Dieu et à « son Règne », qui enseignent à mépriser comme transitoire tout le sensible et le visible, à chercher avec ardeur l’invisible et tendre à ce qu’on ne voit pas. Et parce qu’il aime la vérité, Paul dit de certains sages grecs, pour les points où ils sont dans le vrai : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâces. » Il rend témoignage à leur connaissance de Dieu. Il ajoute qu’elle ne peut leur venir sans l’aide de Dieu, quand il écrit : « Car Dieu le leur a manifesté. » Il fait allusion, je pense, à ceux qui s’élèvent du visible à l’invisible, quand il écrit : « Les oevres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit, et son éternelle puissance et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâce. » Mais il a un autre passage : « Aussi bien, frères, considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de vil et qu’on méprise, Dieu l’a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est ; afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant lui. » Et peut-être à cause de ce passage, certains furent-ils incités à croire qu’aucun homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ne s’adonne à la doctrine. A quoi je répondrai : on ne dit pas « aucun sage selon la chair », mais « pas beaucoup de sages selon la chair ». Et il est clair que, parmi les qualités caractéristiques des « évêques », quand il écrit ce que doit être l’évêque, Paul a fixé celle de didascale, en disant : il faut qu’il soit capable « de réfuter aussi les contradicteurs », afin que, par la sagesse qui est en lui, il ferme la bouche aux vains discoureurs et aux séducteurs. Et de même qu’il préfère pour l’épiscopat un homme marié une seule fois à l’homme deux fois marié, « un irréprochable » à qui mérite reproche, « un sobre » à qui ne l’est pas, « un tempérant » à l’intempérant, « un homme digne » à qui est indigne si peu que ce soit, ainsi veut-il que celui qui sera préféré pour l’épiscopat soit capable d’enseigner et puisse « réfuter les contradicteurs ». Comment donc Celse peut-il raisonnablement nous attaquer comme si nous disions : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Au contraire : Qu’il vienne l’homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ! Et qu’il vienne de même, celui qui est ignorant, insensé, inculte, petit enfant ! Car le Logos, s’ils viennent, leur promet la guérison, et rend tous les hommes dignes de Dieu. LIVRE III

Nous avouons notre désir d’instruire tous les hommes de la parole de Dieu, malgré la négation de Celse, au point de vouloir communiquer aux adolescents l’exhortation qui leur convient, et indiquer aux esclaves comment ils peuvent, en recevant un esprit de liberté, être ennoblis par le Logos. Nos prédicateurs du christianisme déclarent hautement qu’ils se doivent « aux Grecs comme aux barbares, aux savants comme aux ignorants » : ils ne nient point qu’il faille guérir même l’âme des ignorants, afin que, déposant leur ignorance autant que possible, ils s’efforcent d’acquérir une meilleure intelligence, pour obéir aux paroles de Salomon : « Vous les sots, reprenez coer » ; « Que le plus sot d’entre vous se tourne vers moi ; à qui est dépourvu d’intelligence, j’ordonne, moi, la sagesse » ; « Venez, mangez de mon pain, buvez du vin que je vous ai préparé, quittez la sottise et vous vivrez, redressez votre intelligence dans la science. » Et sur ce point je pourrais ajouter en réponse au propos de Celse : Est-ce que les philosophes n’invitent pas les adolescents à les entendre ? N’exhortent-ils pas les jeunes gens à quitter une vie déréglée pour les biens supérieurs ? Mais quoi, ne veulent-ils pas que des esclaves vivent en philosophes? Allons-nous donc, nous aussi, reprocher aux philosophes d’avoir conduit des esclaves à la vertu, comme fit Pythagore pour Zamolxis, Zénon pour Persée et, hier ou avant-hier, ceux qui ont conduit Epictète à la philosophie ? Ou alors vous sera-t-il permis, ô Grecs, d’appeler à la philosophie des adolescents, des esclaves, des sots, tandis que, pour nous, ce serait manquer d’humanité de le faire, quand, en leur appliquant le remède du Logos, nous voulons guérir toute nature raisonnable, et l’amener à la familiarité avec Dieu Créateur de l’univers? Voilà qui suffisait pour répondre aux paroles de Celse, qui sont des injures plus que des critiques. LIVRE III

Puis, sentant bien qu’il nous avait injuriés avec trop d’aigreur, et comme pour s’excuser, il poursuit : Je n’accuse pas avec plus d’aigreur que la vérité ne m’y contraint, qu’on veuille bien en accepter cette preuve. Ceux qui appellent aux autres initiations proclament: « Quiconque a les mains pures et la langue avisée », et d’autres encore : « Quiconque est pur de toute souillure, dont l’âme n’a conscience d’aucun mal, et qui a bien et justement vécu »: voilà ce que proclament ceux qui promettent la purification des péchés. Ecoulons, au contraire, quels hommes appellent ces chrétiens : « Quiconque est pécheur, quiconque faible d’esprit, quiconque petit enfant, bref quiconque est malheureux, le Royaume de Dieu le recevra. » Or, par pécheur, n’entendez-vous pas l’injuste, le voleur, le perceur de murailles, l’empoisonneur, le pilleur de temples, le violateur de tombeaux ? Quels autres un brigand appellerait-il dans sa proclamation ? Voici notre réponse : ce n’est pas la même chose d’appeler les malades de l’âme à la santé, et les bien portants à la connaissance et à la science de choses divines. Nous aussi, nous savons établir cette distinction. Au début, invitant les hommes à la guérison, nous exhortons les pécheurs à venir aux doctrines qui enseignent à éviter le péché, les faibles d’esprit aux doctrines qui affinent l’intelligence, les petits enfants à s’élever jusqu’à des sentiments virils, bref, les malheureux au bonheur, plus précisément à la béatitude. Et quand, parmi ceux que nous exhortons, les progressants se montrent purifiés par le Logos, menant autant que possible une vie meilleure, alors nous les appelons à l’initiation parfaite, « car nous parlons sagesse parmi les parfaits ». LIVRE III

Comme nous enseignons : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, et n’habitera pas dans un corps tributaire du péché », nous disons aussi : « Quiconque a les mains pures » et, pour cette raison, élève vers Dieu « des mains innocentes », et parce qu’offrant des sacrifices sublimes et célestes, peut dire : « L’élévation de mes mains est un sacrifice du soir » : qu’il vienne à nous ! Quiconque a la langue avisée, parce qu’il médite « jour et nuit » la loi du Seigneur, et que « ses facultés ont été formées par la pratique au discernement du bien et du mal », qu’il ne craigne pas d’en venir aux solides nourritures spirituelles qui conviennent aux athlètes de la piété et de toutes les vertus. Et comme « la grâce de Dieu est avec tous ceux qui aiment d’un amour incorruptible » le Maître qui enseigne l’immortalité, quiconque a les mains pures, non seulement de toute souillure, mais encore des fautes regardées comme plus légères, qu’il se fasse hardiment initier aux mystères de la religion de Jésus, qui ne sont raisonnablement transmis qu’aux saints et aux purs. Le myste de Celse peut dire : Que celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal vienne ; mais celui qui, selon Jésus, conduit les initiés à Dieu, dira à ceux dont l’âme est purifiée : Celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal depuis longtemps, et surtout depuis qu’il est venu se faire guérir par le Logos, que celui-là entende aussi ce que Jésus a découvert en particulier à ses véritables disciples. Ainsi donc, dans le contraste qu’il établit entre l’initiation des Grecs et celle que donnent les maîtres de la doctrine de Jésus, Celse n’a pas vu la différence entre l’appel des méchants à la guérison de leurs âmes et l’appel des hommes déjà très purs à de plus profonds mystères. LIVRE III

Ce n’est donc pas aux mystères et à la participation de la sagesse « mystérieuse et demeurée cachée que, dès avant les siècles, Dieu a par avance destinée pour la gloire » de ses justes, que nous appelons l’injuste, le voleur, le perceur de murailles, l’empoisonneur, le pilleur de temples, le violateur de tombeaux, ni tous les autres que par amplification peut y joindre Celse ; mais, c’est à la guérison. Il y a dans la divinité du Logos des aspects qui aident à guérir les malades dont il parle : « Les bien portants n’ont pas besoin de médecins, mais les malades » ; il y en a d’autres qui découvrent à ceux qui sont purs de corps et d’esprit « la révélation du mystère, enveloppé de silence aux siècles éternels, mais aujourd’hui manifesté tant par les écrits des prophètes que par l’apparition de Notre Seigneur Jésus-Christ » qui se manifeste à chacun des parfaits, illuminant leur esprit pour une connaissance véridique des réalités. Mais, comme, amplifiant ses griefs contre nous, il termine son énumération de vauriens par ce trait : « Quels autres un brigand appellerait-il dans sa proclamation ? », je répliquerai : un brigand appelle bien de tels individus pour utiliser leur perversité contre les hommes qu’il veut tuer et dépouiller ; mais le chrétien, en appelant les mêmes individus que le brigand, leur lance un appel différent, pour bander leurs blessures par le Logos, et verse dans l’âme enflammée de maux les remèdes du Logos qui, comme le vin, l’huile, le lait, et les autres médicaments, soulagent l’âme. Il calomnie ensuite nos exhortations orales ou écrites à ceux qui ont mal vécu, les appelant à se convertir et à réformer leur âme, et il assure que nous disons : Dieu a été envoyé aux pécheurs. C’est à peu près comme s’il reprochait à certains de dire : c’est pour les malades habitant dans la ville qu’un médecin y a été envoyé par un roi plein d’humanité. Or « le Dieu Logos a été envoyé », médecin « aux pécheurs », maître des divins mystères à ceux qui, déjà purs, ne pèchent plus. Mais Celse, incapable de faire la distinction – car il n’a pas voulu approfondir -, objecte : Pourquoi n’a-t-il pas été envoyé à ceux qui sont sans péché ? Quel mal y a-t-il à être sans péché ? A quoi je réplique : si par ceux qui sont sans péché il veut dire ceux qui ne pèchent plus, notre Sauveur Jésus leur a été envoyé à eux aussi, mais non comme un médecin ; mais si par ceux qui sont sans péché il entend ceux qui n’ont jamais péché – car il n’y a pas de distinction dans son texte -, je dirai qu’il est impossible qu’il y ait dans ce sens un homme sans péché, à l’exception de l’homme que l’esprit discerne en Jésus, « qui n’a pas commis de péché ». Méchamment donc, Celse nous attribue l’affirmation : Que l’injuste s’humilie dans le sentiment de sa misère, Dieu l’accueillera ; mais que le juste dans sa vertu originelle lève les yeux vers lui, il refusera de l’accueillir. Nous soutenons en effet qu’il est impossible qu’un homme dans sa vertu originelle lève les regards vers Dieu. Car la malice existe nécessairement d’abord dans l’homme, comme le dit Paul : « Le précepte est venu, le péché a pris vie, et moi, je suis mort. » De plus, nous n’enseignons pas qu’il suffise à l’injuste de s’humilier dans le sentiment de sa misère pour être accueilli par Dieu, mais que s’il se condamne lui-même pour ses actes antérieurs, et s’il s’avance humble pour le passé, rangé pour l’avenir, Dieu l’accueillera. LIVRE III

Rien d’étonnant d’ailleurs à ce que l’ordre, la composition, l’élocution de ces discours philosophiques aient produit ces résultats en ceux qu’on a nommés et en d’autres dont la vie avait été mauvaise. Mais à considérer que les discours qualifiés par Celse de vulgaires sont remplis de puissance à la manière des incantations, à voir ces discours convertir d’innombrables multitudes des désordres à la vie la plus réglée, des injustices à l’honnêteté, des timidités et des lâchetés à une fermeté poussée jusqu’au mépris de la mort pour la religion qu’ils croyaient vraie, que de justes raisons d’admirer la puissance de ce discours ! Car « le discours » de ceux qui ont, à l’origine, donné cet enseignement et travaillé à établir les églises de Dieu, ainsi que leur « prédication » eurent une puissance persuasive, bien différente de la persuasion propre à ceux qui prônent la sagesse de Platon ou d’un autre philosophe qui, étant hommes, n’avaient rien d’autre qu’une nature humaine. La démonstration dont usaient les apôtres de Jésus avait été donnée par Dieu et tenait sa vertu persuasive de « l’Esprit et de la puissance ». De là vient la rapidité et la pénétration avec laquelle s’est répandue leur parole, ou plutôt celle de Dieu, qui, par eux, changea un grand nombre de ceux qui étaient naturellement enclins à pécher et en avaient l’habitude. Et ceux qu’un homme n’eût pas changés, même par le châtiment, le Logos les a recréés, les formant et les modelant à son gré. LIVRE III

Puis, comme de la bouche de notre maître de doctrine, il énonce : Les sages repoussent ce que nous disons, égarés et entravés qu’ils sont par leur sagesse. A cela donc je répondrai : s’il est vrai que « la sagesse » est la science « des choses divines et humaines » et de leurs causes, ou comme la définit la parole divine : « le souffle de la puissance de Dieu, l’effusion toute pure de la gloire du Tout-Puissant, le reflet de la gloire éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, l’image de sa bonté », jamais un véritable sage ne repoussera ce que dit un chrétien qui a une vraie connaissance du christianisme, ni ne sera égaré et entravé par la sagesse. Car la vraie sagesse n’égare pas, mais bien l’ignorance, et la seule réalité solide est la science et la vérité qui proviennent de la sagesse. Si, contrairement à la définition de la sagesse, on donne le nom de sage à qui soutient par des sophismes n’importe quelle opinion, nous admettrons que celui que qualifie cette prétendue sagesse repousse les paroles de Dieu, égaré et entravé qu’il est par des raisons spécieuses et des sophismes. Mais d’après notre doctrine, « la science du mal n’est pas la sagesse » ; « la science du mal » pour ainsi parler, réside en ceux qui tiennent des opinions fausses et sont abusés par des sophismes ; aussi dirai-je qu’elle est chez eux ignorance plutôt que sagesse. LIVRE III

Après cela, il insulte de nouveau le prédicateur du christianisme, lui reprochant d’exposer des choses ridicules mais sans désigner ni établir clairement ce qu’il entend par choses ridicules. Il continue ses insultes : Nul homme sensé ne croit à cette doctrine, dont l’éloigné la foule de ses adeptes. Cela revient à dire : à cause de la foule des gens simples qui se laissaient mener par leurs lois, nul homme sensé n’obéit, par exemple, à Solon, Lycurgue, Zaleukos ou tout autre législateur, surtout si on entend par homme sensé un homme vertueux. En effet, dans ces exemples, les législateurs ont accompli ce qui leur parut bienfaisant en entourant leurs peuples d’une discipline et de lois particulières ; de même Dieu, légiférant en Jésus pour les hommes de partout, conduit même ceux qui n’ont pas de bon sens, dans la mesure où il est possible de les conduire au mieux. Telle était bien sa pensée, comme on l’a dit plus haut, quand il déclare par Moïse : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles, EH bien ! moi, je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai au moyen d’une nation inintelligente. » Telle était aussi la pensée de Paul : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages », appelant sages au sens large tous ceux que leur apparent progrès dans les sciences n’a pas empêchés de sombrer dans le polythéisme athée, puisque, « dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles ». LIVRE III

Nous ne cherchons donc pas refuge près de petits enfants et de rustres stupides en leur disant: Fuyez les médecins; nous ne disons pas : Prenez garde qu’aucun de vous n’acquière la science; nous n’affirmons pas : La science est un mal; nous ne sommes pas assez fous pour dire : La science fait perdre aux hommes la santé de l’âme. Nous ne dirions pas non plus qu’un homme ait jamais été perdu par la sagesse. Quand nous enseignons, nous ne déclarons pas : Attachez-vous à moi ! mais : Attachez-vous au Dieu de l’univers, et à Jésus le maître des enseignements divins. Et nul n’est hâbleur au point de dire aux disciples le propos que Celse met dans la bouche du maître : Moi seul vous sauverai. Vois donc tous les mensonges qu’il profère contre nous ! Et nous ne disons pas non plus des vrais médecins : Ils tuent ceux qu’ils promettent de guérir. Il apporte un second exemple contre nous, et affirme que celui qui enseigne notre doctrine se conduit comme un homme ivre parmi des gens ivres, qui accuse les gens sobres d’être en état d’ivresse. Qu’il démontre alors, d’après les écrits de Paul par exemple, que l’apôtre de Jésus était ivre et que ses paroles n’étaient pas celles d’un homme sobre, ou bien d’après les écrits de Jean, que ses pensées ne respirent pas une parfaite tempérance bien éloignée de l’ivresse du mal ! Donc nul homme tempérant qui enseigne la doctrine chrétienne n’est ivre, et c’est là une injure de Celse indigne d’un philosophe. Et quels gens sobres accusons-nous, nous les prédicateurs de la doctrine chrétienne, à Celse de le dire ! Pour nous sont ivres tous ceux qui s’adressent à des choses inanimées comme à Dieu. Et que dis-je : ils sont ivres ? Ils sont fous, plutôt, ceux qui s’empressent de courir aux temples adorer comme dieux les statues et les animaux. Ils ne sont pas moins fous ceux qui s’imaginent que sont faits pour le culte des dieux véritables les objets façonnés par des artisans parfois les plus vils des hommes. LIVRE III

J’en viens à un quatrième livre contre les objections qui suivent, après avoir prié Dieu par le Christ. Puissent m’être données de ces paroles dont il est écrit dans Jérémie, quand le Seigneur parlait au prophète : « Voici que j’ai mis dans ta bouche mes paroles comme un feu, voici que je t’ai établi en ce jour sur les nations et les royaumes, pour déraciner et pour détruire, pour perdre et pour abattre, pour bâtir et pour planter. » J’ai besoin désormais de paroles capables de déraciner les idées contraires à la vérité de toute âme trompée par le traité de Celse ou par des pensées semblables aux siennes. J’ai aussi besoin d’idées qui renversent les édifices de toute opinion fausse et les prétentions de l’édifice de Celse dans son traité, pareilles à la construction de ceux qui disent : « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel. » J’ai encore besoin d’une sagesse qui abatte toutes les puissances altières qui s’élèvent « contre la connaissance de Dieu », et la puissance altière de la jactance de Celse qui s’élève contre nous. Et puisque je ne dois pas me borner à déraciner et à détruire toutes ces erreurs, mais, à la place de ce qui est déraciné, planter la plantation du champ de Dieu, à la place de ce qui est détruit, construire l’édifice de Dieu et le temple de la gloire de Dieu, voilà autant de raisons pour lesquelles je dois prier le Seigneur, dispensateur des dons mentionnés dans Jérémie, de me donner à moi aussi des paroles efficaces pour bâtir l’édifice du Christ et planter la loi spirituelle et les paroles des prophètes qui s’y rapportent. Il me faut surtout établir, contre les objections actuelles de Celse faisant suite aux précédentes, que l’avènement du Christ a bel et bien été prédit. En effet, il se dresse à la fois contre les Juifs et les chrétiens : les Juifs qui refusent que la venue du Christ soit déjà réalisée mais espèrent qu’elle aura lieu, et les chrétiens qui professent que Jésus est le Christ prédit, et il affirme : Voici la prétention de certains chrétiens et des Juifs : un Dieu ou Fils de Dieu, selon les uns est descendu, selon les autres descendra sur la terre pour en juger les habitants : propos si honteux qu’il n’est pas besoin d’un long discours pour le réfuter. Il semble bien parler avec exactitude quand il dit, non pas certains Juifs, mais tous les Juifs croient que quelqu’un descendra sur la terre, tandis que certains chrétiens seulement disent qu’il est descendu. Il veut indiquer ceux qui établissent par les Écritures juives que la venue du Christ a déjà eu lieu, et il paraît connaître l’existence de sectes qui nient que le Christ Jésus soit la personne prophétisée. Or j’ai déjà établi plus haut de mon mieux que le Christ avait été prophétisé ; aussi ne reviendrai-je pas sur les nombreuses preuves qui pourraient être fournies sur ce point, afin d’éviter les redites. Vois donc que s’il avait voulu, avec une logique au moins apparente, renverser la foi aux prophéties ou à l’avènement futur ou passé du Christ, il devait citer les prophéties mêmes auxquelles, chrétiens ou Juifs, nous avons recours dans nos débats. Ainsi il eût, du moins en apparence, détourné ceux qui sont attirés, à l’en croire, par leur caractère spécieux, de l’adhésion aux prophéties et de la foi, fondée sur elles, en Jésus comme au Christ. LIVRE IV

Mais je ne sais pourquoi, après de vaines sornettes sur ce que je viens de dire, il explique : Ce n’est pas pour lui que Dieu désire être connu, c’est pour notre salut qu’il veut nous donner connaissance de lui-même: pour que ceux qui la reçoivent, devenant vertueux, soient sauvés, ceux qui la refusent, manifestant leur malice, soient châtiés. Cela posé, il objecte : Est-ce donc maintenant, après tant de siècles, que Dieu s’est souvenu de juger la vie des hommes, alors qu’auparavant il n’en avait cure ? A cela je répondrai : il n’est pas de temps où Dieu n’ait voulu juger la vie des hommes. En outre, il a toujours eu soin de donner des occasions de vertu, et aussi de réformer l’être raisonnable. A chaque génération, la sagesse de Dieu, pénétrant dans les âmes des hommes qu’elle trouve pieux, en fait des amis de Dieu et des prophètes. Et on pourrait certes trouver dans les livres sacrés ceux qui en chaque génération furent pieux et capables de recevoir l’esprit divin, et s’employèrent de leur mieux à convertir leurs contemporains. LIVRE IV

Or, malgré la négation de Celse, après de nombreux prophètes qui avaient réformé ce peuple d’Israël, le Christ est venu en réformateur du monde entier, sans avoir besoin, comme lors de la première économie, d’employer contre les hommes des fouets, des chaînes, des instruments de torture. Car, « lorsque le Semeur sortit pour semer », son enseignement suffit pour que la doctrine fût partout semée. A supposer qu’il advienne un temps qui impose au monde une limite qui est nécessaire, puisqu’il a eu un commencement, et qu’il advienne aussi une fin pour le monde, et après la fin, un juste jugement universel, alors le philosophe devra établir les vérités de cette doctrine par des preuves de toutes sortes, tirées des divines Écritures, ou déduites par raisonnements ; et la foule, incapable dans sa simplicité de suivre par la pensée les aspects très variés de la sagesse de Dieu, devra se confier à Dieu et au Sauveur de notre race, plus satisfaite de l’affirmation « Il l’a dit » que de toute autre raison. LIVRE IV

Nous dirions, d’après lui, nous qui pour lui sommes des vers, que, puisqu’il en est parmi nous qui pèchent, Dieu viendra vers nous, ou enverra son Fils afin de livrer aux flammes les injustes, et pour que nous, les grenouilles qui restons, nous ayons avec lui une vie éternelle. Remarque à quel point, comme un bouffon, ce grave philosophe tourne en raillerie, en ridicule et en dérision la promesse divine d’un jugement, châtiment pour les injustes, récompense pour les justes ! Et brochant sur le tout il dit : Voilà des sottises plus supportables de la part de vers et de grenouilles que de Juifs et de chrétiens dans leurs disputes ! Nous nous garderons bien de l’imiter et de dire pareille chose des philosophes qui prétendent connaître la nature du monde et débattent entre eux le problème de la constitution de l’univers, de l’origine du ciel et de la terre et de tout ce qu’ils renferment, et la question de savoir si les âmes sont inengendrées et non créées par Dieu, bien qu’elles soient soumises à son gouvernement, et si elles changent de corps, ou si, inséminées avec les corps, elles leur survivent ou ne leur survivent pas. Car on pourrait là aussi, loin de prendre au sérieux et d’admettre la sincérité de ceux qui se sont voués à la recherche de la vérité, déclarer en injurieuse moquerie que c’est le fait de vers qui dans un coin du bourbier de la vie humaine ne mesurent pas leurs limites, et pour cette raison en viennent à trancher, comme s’ils les avaient dominés, sur des sujets sublimes, et qu’ils parlent avec assurance, comme s’ils les avaient contemplées, de réalités qu’on ne peut contempler sans une inspiration supérieure et une puissance divine : « Car personne chez les hommes ne sait les secrets de l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui. De même, nul ne connaît les secrets de Dieu, sinon l’Esprit de Dieu. » Nous n’avons pas la folie de comparer la splendide intelligence de l’homme, en prenant intelligence au sens usuel, au grouillement des vers et autres bêtes de ce genre, quand elle n’a cure des affaires de la foule mais s’adonne à la recherche de la vérité. Au contraire, sincèrement nous rendons témoignage que certains philosophes grecs ont connu Dieu, puisque « Dieu s’est manifesté à eux », même s’« ils ne l’ont pas honoré ni remercié comme Dieu, mais sont devenus vains dans leurs raisonnements », et si, « dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles ». LIVRE IV

D’abord, il est toujours pauvre, et loin d’être délicat et beau comme la plupart l’imaginent : rude au contraire, malpropre, va-nu-pieds, sans gîte, couchant sur la dure toujours et sans couverture, dormant au seuil des portes ou sur les routes, en bon fils de sa mère faisant toujours bon ménage avec l’indigence. Par contre, à la ressemblance de son père, il est à l’affût de tout ce qui est beau et bon ; courageux, hardi, toutes forces tendues, chasseur redoutable, toujours à tramer des ruses, avide de pensée, riche en idées expédiantes, en quête de savoir toute sa vie, expert en incantations, en philtres, en arguties. Ni immortel de nature, ni mortel, tantôt le même jour, il est en fleur, en pleine vie quand ont réussi ses expédients, tantôt il meurt, mais il reprend vie de par l’atavisme paternel. Mais le fruit de ses expédients sans cesse lui glisse entre les doigts, si bien qu’Amour jamais n’est pauvre, jamais n’est riche. Au reste, du savoir et de l’ignorance, toujours à mi-chemin. » Les lecteurs de cette page, en prenant modèle sur la malice de Celse – ce qu’à Dieu ne plaise de la part des chrétiens ! – peuvent se moquer du mythe et tourner en ridicule le sublime Platon. Mais en parvenant, dans une étude philosophique des pensées revêtues de la forme du mythe, à découvrir l’intention de Platon, on admirera la manière dont il a pu cacher les grandes doctrines pour lui évidentes sous la forme d’un mythe, à cause de la foule, et à les dire comme il fallait à ceux qui savent découvrir dans des mythes la signification véritable de leur auteur. J’ai cité ce mythe de Platon à cause de son « jardin de Zeus » qui paraît correspondre au jardin de Dieu, à cause aussi de Pauvreté, comparable au serpent qui s’y trouve, et d’Expédient à qui en veut Pauvreté, comme le serpent en veut à l’homme. Mais on peut encore se demander si Platon réussit à trouver ces histoires par hasard ; ou si, comme certains le pensent, dans son voyage en Egypte il rencontra ceux qui interprètent philosophiquement les traditions juives, apprit d’eux certaines idées, garda les unes, démarqua les autres, se gardant de heurter les Grecs en conservant intégralement les doctrines de la sagesse des Juifs, objet de l’aversion générale pour le caractère étranger de leurs lois et la forme particulière de leur régime. Mais ni le mythe de Platon, ni l’histoire « du serpent » et du jardin de Dieu avec tout ce qui s’y est passé, n’ont à recevoir ici leur explication : elle fut l’objet principal de mes efforts dans mes Commentaires sur la Genèse. LIVRE IV

Quelle preuve que ce n’est pas la nature, mais la raison qui les leur fait découvrir ? Car si c’était la raison qui les découvrait, elle ne découvrirait pas exclusivement ce remède unique chez les serpents, disons même un second et un troisième, et un autre chez l’aigle, et ainsi de suite chez les autres animaux, mais tout autant de remèdes que chez les hommes. Mais en fait, chaque animal étant par nature incliné à l’emploi exclusif de certains remèdes, il est clair que ce n’est point chez eux la sagesse ou la raison, mais une constitution naturelle, créée par le Logos, qui les porte à se tourner vers ces remèdes pour le salut de leur espèce. LIVRE IV

Aussi bien, entre autres choses que je trouve admirables en Moïse, je signalerai comme dignes d’admiration sa connaissance des différentes natures des animaux, et le fait que, pour avoir appris de Dieu la vérité sur eux et sur les démons apparentés à chaque animal, ou bien pour l’avoir trouvé par ses progrès en sagesse, il ait, dans sa liste des animaux, déclaré impurs tous ceux que les Égyptiens et le reste des hommes considèrent comme aptes à la divination, et généralement purs ceux qui ne sont pas de cette espèce. Sont impurs pour Moïse le loup, le renard, le dragon, l’aigle, le faucon et leurs pareils. Et en général, non seulement dans la Loi, mais aussi dans les prophètes on peut trouver que ces animaux sont donnés en exemple des vices les plus odieux, et que jamais le loup et le renard n’y sont nommés en bonne part. Il semble donc qu’il y ait affinité entre chaque espèce de démons et chaque espèce d’animaux. Et comme, parmi les hommes, il en est de plus forts que d’autres, indépendamment de tout caractère moral, ainsi des démons peuvent être plus forts que d’autres en matières indifférentes. Certains utilisent des animaux déterminés pour tromper les hommes, suivant l’intention de celui que les Écritures appellent « le prince de ce siècle », et d’autres prédisent par l’intermédiaire d’une autre espèce. LIVRE IV

J’aborde maintenant un cinquième livre contre le traité de Celse, pieux Ambroise : non pour me livrer à un bavardage injustifiable puisqu’il n’irait pas sans péché, mais je fais de mon mieux pour ne laisser sans examen aucun de ses propos, notamment là où d’aucuns pourraient croire qu’il a dirigé des critiques pertinentes contre nous ou contre les Juifs. S’il m’était possible, par ce discours, de pénétrer la conscience de chaque lecteur de son ouvrage, d’en arracher tout trait blessant une âme que ne protège pas entièrement l’armure de Dieu, d’appliquer un remède spirituel guérissant la blessure causée par Celse, blessure empêchant qui se fie à ses arguments d’être robuste dans la foi, c’est bien ce que j’aurais fait. Mais c’est l’oeuvre de Dieu d’habiter invisiblement par son Esprit et l’Esprit du Christ ceux qu’il juge devoir habiter. Pour moi, en tâchant, par des discours et des traités, de raffermir les hommes dans la foi, je dois faire tous mes efforts pour mériter le titre d’ouvrier qui n’a pas à rougir, de fidèle dispensateur de «la parole de la vérité». Et l’un de ces efforts me semble être de réfuter de mon mieux les arguments plausibles de Celse, exécutant avec confiance le mandat que tu m’as donné. Je vais donc citer les arguments de Celse qui suivent ceux auxquels j’ai déjà répondu – au lecteur de juger si je les ai renversés -, je vais leur opposer mes réfutations. Que Dieu m’accorde de ne point aborder mon sujet en laissant mon esprit et ma raison purement humains et vides d’inspiration divine, « pour que la foi » de ceux que je désire aider « ne repose pas sur la sagesse des hommes », mais que je reçoive de son Père qui seul peut l’accorder « la pensée du Christ » et la grâce de participer au Logos de Dieu, et qu’ainsi je puisse détruire « toute puissance altière qui s’élève contre la connaissance de Dieu » et la suffisance de Celse qui s’élève contre nous et contre notre Jésus, et encore contre Moïse et les prophètes. Et que celui qui donne « aux messagers son Logos avec une grande puissance » me l’accorde à moi aussi et me fasse don de cette grande puissance, et que naisse chez les lecteurs la foi fondée sur le Logos et la puissance de Dieu ! LIVRE V

Non assurément ! Après avoir été instruit à s’élever noblement au-dessus de toutes les choses créées et à espérer de Dieu les plus glorieuses récompenses d’une vie très vertueuse ; après avoir entendu la parole : « Vous êtes la lumière du monde », « que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux»; quand on s’efforce d’acquérir ou qu’on a même acquis déjà la sagesse resplendissante et inaltérable qui « est un reflet de la lumière éternelle », – il ne serait pas raisonnable de se laisser impressionner par la lumière sensible du soleil, de la lune ou des étoiles au point de penser qu’à cause de leur lumière sensible on leur est inférieur, alors qu’on possède une aussi puissante lumière intelligible de connaissance, « lumière véritable, lumière du monde, lumière des hommes », et de les adorer. S’il avait fallu les adorer, ce n’est point leur lumière sensible, admirée de la foule, qui eût mérité l’adoration, mais la lumière intelligible et véritable, à supposer que les étoiles du ciel soient des êtres vivants raisonnables et vertueux, illuminés de la lumière de la connaissance par la sagesse qui est « le rayonnement de la lumière éternelle ». Et en effet, leur lumière sensible est l’ouvrage du Créateur de l’univers, tandis que la lumière intelligible qu’ils possèdent peut-être eux aussi dérive encore de leur liberté. LIVRE V

Vois donc tout d’abord comme il tourne en ridicule dans ce passage l’embrasement du monde, admis même par des philosophes grecs de valeur, lorsqu’il prétend qu’en admettant la doctrine de l’embrasement, nous faisons de Dieu un cuisinier. Il n’a pas vu que, selon l’opinion de certains Grecs qui l’ont peut-être empruntée à la très ancienne nation des Hébreux, le feu est infligé en purification au monde et vraisemblablement aussi à chacun de ceux qui ont besoin d’être à la fois châtiés et guéris par le feu. Il brûle mais ne consume pas ceux en qui il n’y aurait pas de matière exigeant cette destruction par le feu, mais il brûle et consume ceux qui ont bâti, comme on dit au sens figuré, « en bois, en foin, en chaume », l’édifice de leurs actions, de leurs paroles, de leurs pensées. Les divines Écritures disent que le Seigneur visitera « comme le feu du fondeur, comme l’herbe du foulon » chacun de ceux qui ont besoin, à cause du mélange pour ainsi dire d’une malice mauvaise découlant du vice, – ont besoin, dis-je, du feu comme pour affiner les âmes mélangées d’airain, d’étain, de plomb. Voilà ce que n’importe qui peut apprendre du prophète Ézéchiel. On ne veut pas dire que Dieu applique le feu, tel un cuisinier, mais que Dieu agit en bienfaiteur de ceux qui ont besoin d’épreuve et de feu, et c’est ce que le prophète Isaïe attestera dans la sentence contre une nation pécheresse : « Puisque tu as des charbons de feu, assieds-toi sur eux, ils te seront un secours. » Le Logos, qui dispense des enseignements adaptés aux foules de ceux qui liront l’Écriture, dit avec une sagesse cachée des choses sévères pour effrayer ceux qui ne peuvent autrement se convertir du flot de leurs péchés. Même dans ces conditions, l’observateur perspicace trouvera une indication du but visé par ces châtiments sévères et douloureux à ceux qui les endurent : il suffit de citer ici le passage d’Isaïe : « A cause de mon nom, je te montrerai ma colère, et j’amènerai sur toi ma gloire pour ne pas t’exterminer. » J’ai été contraint de rapporter en termes obscurs les vérités dépassant la foi des simples qui ont besoin d’une instruction simple dans les termes ; je ne voulais point paraître laisser sans réfutation l’accusation de Celse qui dit : Lorsque Dieu, tel un cuisinier, appliquera le feu. De ce qu’on vient de dire ressortira pour les auditeurs intelligents la manière dont il faut répondre aussi à la parole : Toute autre race sera grillée, et ils seront les seuls à survivre. Rien d’étonnant que telle soit la pensée de ceux qui, parmi nous, sont appelés par l’Écriture : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, ce qui est sans naissance et que l’on méprise, ce qui n’est pas, qu’il a plu à Dieu de sauver, eux qui croient en lui, par la folie de la prédication puisque le monde par le moyen de la sagesse n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu ». Ils ne peuvent pénétrer le sens du passage et ne veulent pas consacrer leurs loisirs à chercher le sens de l’Écriture, en dépit de la parole de Jésus : « Scrutez les Écritures » ; et ils ont conçu une telle idée du feu appliqué par Dieu et du sort destiné au pécheur. Et sans doute convient-il de dire aux enfants des choses proportionnées à leur condition puérile à dessein, si petits qu’ils soient, de les convertir au mieux ; ainsi, à ceux que l’Écriture nomme fous dans le monde, sans naissance, objets de mépris, convient l’interprétation obvie des châtiments, puisque seules la crainte et la représentation des châtiments peuvent les convertir et les éloigner de nombreux maux. Aussi, l’Écriture déclare-t-elle que seront les seuls à survivre, sans goûter le feu et les châtiments, ceux qui sont tout à fait purs dans leurs opinions, leurs m?urs, leur esprit ; tandis que ceux qui ne le sont pas, mais, selon leur mérite, ont besoin du ministère des châtiments par le feu, elle déclare qu’ils y seront soumis jusqu’à un certain terme qu’il convient à Dieu d’assigner à ceux qui ont été créés « à son image », et ont vécu contrairement à la volonté de la nature qui est « selon l’image ». Voilà ma réponse à sa remarque : Toute autre race sera grillée, et ils seront les seuls à survivre. LIVRE V

Ensuite, pour avoir mal compris les saintes Écritures, ou entendu ceux qui ne les avaient pas pénétrées, il nous fait dire que seront seuls à survivre au moment où la purification par le feu sera infligée au monde non seulement les vivants d’alors, mais même ceux qui seront morts depuis longtemps. Il n’a pas saisi la sagesse cachée qu’enfermé la parole de l’Apôtre de Jésus : « Nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons transformés, en un instant, en un clin d’oeil, au son de la trompette finale ; car la trompette sonnera, les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons transformés. » Il aurait dû savoir la pensée qui portait l’auteur à s’exprimer de la sorte : à ne pas se présenter comme un mort, à se distinguer des morts, lui-même et ceux qui lui ressemblent, et, après avoir dit que « les morts ressusciteront incorruptibles », à ajouter : « et nous, nous serons transformés ». Pour confirmer que telle avait été la pensée de l’Apôtre, quand il a écrit ce que j’ai cité de la Première aux Corinthiens, je présenterai encore le passage de la Première aux Thessaloniciens, où Paul, en homme vivant, éveillé, distinct de ceux qui sont endormis, déclare : « Voici, en effet, ce que nous avons à vous dire sur la parole du Seigneur : nous, les vivants, qui serons encore là lors de l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas les morts. Car au signal donné, à la voix de l’Archange, au son de la trompette divine, le Seigneur en personne descendra du ciel. » Et de nouveau, après cela il ajoute, sachant que les morts dans le Christ sont différents de lui et de ceux qui sont dans le même état que lui : « Ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord. Ensuite, nous, les vivants, qui serons encore là, nous serons emportés ensemble avec eux dans les nuées à la rencontre du Seigneur dans les airs. » LIVRE V

« Dieu donne donc à chacun un corps à son gré » : aux plantes ainsi semées, comme aux êtres qui sont pour ainsi dire semés dans la mort et qui reçoivent en temps opportun, de ce qui est semé, le corps assigné par Dieu à chacun selon son mérite. Nous entendons aussi l’Écriture qui enseigne longuement la différence entre le corps pour ainsi dire semé et celui qui en est comme ressuscité. Elle dit : « Semé dans la corruption, il ressuscite incorruptible ; semé dans l’abjection, il ressuscite glorieux ; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force ; semé corps psychique, il ressuscite corps spirituel. » A celui qui le peut, de savoir encore sa pensée dans ce passage : « Tel le terrestre, tels seront aussi les terrestres, tel le céleste, tels seront aussi les célestes. Et comme nous avons porté l’image du terrestre, de même nous porterons l’image du céleste. » Cependant l’Apôtre veut laisser caché le sens mystérieux du passage, qui ne convient pas aux simples et à l’entendement commun de ceux que la foi suffît à amender. Il est néanmoins forcé ensuite, pour nous éviter des méprises sur le sens des ses paroles, de compléter l’expression : « Nous porterons l’image du céleste » par celle-ci : « Je l’affirme, frères : la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l’incorruptibilité1. » Et sachant bien le mystérieux sens caché qu’il y avait dans ce passage, comme il convient à un auteur laissant par écrit à la postérité l’expression de sa pensée, il ajoute : «Voici que je vais vous dire un mystère. » C’est précisément la formule d’introduction aux doctrines profondes et mystérieuses, justement cachées à la foule. Ainsi encore il est écrit dans le livre de Tobie : « Il est bon de tenir caché le secret du roi » ; puis, à l’égard de ce qui est glorieux et adapté à la foule, en dosant la vérité : « Il est bon de révéler les oeuvres de Dieu pour sa gloire. » Dès lors notre espérance n’est pas celle des vers et notre âme ne regrette pas le corps putréfié ; sans doute a-t-elle besoin d’un corps pour passer d’un lieu à un autre ; mais, ayant médité la sagesse selon la parole : « La bouche méditera la sagesse », elle sait qu’il y a une différence entre l’habitation terrestre où se trouve la tente et qui est vouée à la destruction, et la tente où les justes gémissent accablés, non parce qu’ils veulent se dévêtir de la tente, mais « pardessus elle se revêtir » (d’une autre) afin que, ainsi revêtus, « ce qu’il y a de mortel soit englouti par la vie ». « Il faut en effet », toute la nature corporelle étant corruptible, que cette tente « corruptible revête l’incorruptibilité », et que d’autre part, ce qui est « mortel » et destiné à la mort, conséquence immédiate du péché, « revête l’immortalité ». Ainsi, quand « cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité et cet être mortel l’immortalité, alors s’accomplira » l’antique prédiction des prophètes, la fin du triomphe de la mort qui dans son triomphe nous avait soumis à elle, et la perte de l’aiguillon dont elle pique l’âme incomplètement protégée, lui infligeant les blessures qui viennent du péché. LIVRE V

Nous affirmons que Moïse, pour nous le prophète de Dieu et son véritable serviteur, retrace ainsi le partage des peuples de la terre dans le Cantique du Deutéronome : « Quand le Très-Haut divisait les nations, quand il répartissait les fils d’Adam, il fixa les limites des nations suivant le nombre d’anges de Dieu, mais le lot du Seigneur, ce fut son peuple Jacob, et le lot de son héritage Israël. » Sur la division des nations, le même Moïse, dans son livre de la Genèse, raconte sous la forme d’une histoire : « Et toute la terre n’avait qu’une langue, avec les mêmes mots pour tous. Et il advint que, se déplaçant du Levant, ils trouvèrent une plaine au pays de Sennaar et ils s’y établirent. » Et peu après : « Le Seigneur descendit voir la ville et la tour que les fils des hommes avaient bâtie. Et le Seigneur dit : ” Voici qu’ils ne forment qu’une seule race avec une seule langue pour tous. Ils ont commencé là leurs entreprises, et maintenant, ils n’auront de cesse qu’ils n’aient accompli tout ce qu’ils désirent. Allons ! Descendons ! Et là confondons leur langage, pour que chacun ne comprenne plus la parole de son voisin. ” Et le Seigneur les dispersa de là sur la face de toute la terre, et ils cessèrent de bâtir la ville et la tour. Voilà pourquoi on lui donna le nom de Confusion, car c’est là que le Seigneur confondit la langue de toute la terre, et c’est de là que le Seigneur les dispersa sur la face de toute la terre “. Dans le livre intitulé la Sagesse de Salomon traitant de la sagesse et de ceux qui vivaient lors de la confusion des langues, quand eut lieu le partage des peuples de la terre, il est ainsi parlé de la sagesse : « Et lorsque, unanimes en leur perversité, les nations eurent été confondues, c’est elle qui discerna le juste, le conserva sans reproche devant Dieu, et le garda fort contre sa tendresse pour son enfant.» Le sujet comporte une profonde doctrine mystique à laquelle s’applique la parole : « Il est bon de cacher le secret du roi. » Il ne faut pas livrer aux oreilles profanes la doctrine sur l’entrée des âmes dans le corps qui n’est pas due à la métensomatose ; il ne faut pas donner aux chiens les choses sacrées, ni jeter les perles aux pourceaux. Ce serait une impiété impliquant une trahison des secrets oracles de la sagesse de Dieu, d’après la belle sentence : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, elle n’habitera pas dans un corps tributaire du péché. » Pour les vérités cachées sous la forme d’une histoire, il suffît de les présenter selon la forme de cette histoire pour permettre à ceux qui le peuvent de dégager pour eux-mêmes la signification du passage. Qu’on se représente donc tous les peuples sur la terre, usant d’une même langue divine et, aussi longtemps du moins qu’ils vivent en accord les uns avec les autres, persistant à user de cette langue divine. Ils restent sans s’éloigner du Levant tant qu’ils ont l’esprit sensible aux effets de la lumière et du rayonnement « de la lumière éternelle ». Et quand, l’esprit rempli de préoccupations étrangères au Levant, ils se sont éloignés du Levant, ils trouvent « une plaine dans le pays de Sennaar », ce qui s’interprète ébranlement des dents pour indiquer symboliquement qu’ils ont perdu les moyens de se nourrir ; et ils y habitent. Ils veulent ensuite rassembler des matériaux et unir au ciel ce qui ne peut naturellement y être uni, pour conspirer avec la matière contre ce qui est immatériel. LIVRE V

Ces remarques non seulement réfutent sa théorie des puissances tutélaires, mais dans une certaine mesure préviennent ce que dit Celse contre nous : Mais que paraisse le second choeur: je leur demanderai d’où ils viennent, quel est l’auteur de leurs lois traditionnelles. Ils ne pourront désigner personne. En fait, c’est de là qu’ils sont venus eux aussi, ils ne peuvent indiquer pour leur maître et chef de choeur une autre origine. Néanmoins, ils se sont séparés des Juifs. EH bien ! nous venons tous, « en ces derniers jours » où notre Jésus nous a visités, « à la splendide montagne du Seigneur », sa Parole, « bien au-dessus » de toute autre parole, et à la maison de Dieu, « qui est l’Église du Dieu vivant, colonne et soutien de la vérité ». Nous la voyons bâtie « sur les sommets des montagnes », les paroles de tous les prophètes qui lui servent de fondation. Cette maison s’élève « bien au-dessus des collines », ces hommes qui paraissent promettre une supériorité en sagesse et en vérité. Et nous, « toutes les nations », nous montons vers elle, nous avançons, nations en foule, nous exhortant mutuellement à l’adoration de Dieu qui, « en ces derniers jours », a resplendi par Jésus-Christ : « Allons et montons à la montagne du Seigneur et à la maison du Dieu de Jacob. Il nous annoncera sa voie, et nous avancerons par elle. » Car « la loi » est sortie des habitants de « Sion », et elle est passée à nous toute spirituelle. De plus, « la parole du Seigneur » est sortie de cette « Jérusalem » pour être partout répandue et pour juger « chacun au milieu des nations » en se réservant ceux qu’elle voit dociles, mais pour condamner « la multitude » indocile. LIVRE V

Aussi bien faut-il chercher la nourriture qui convient ou ne convient pas à l’animal raisonnable et civilisé qui fait tout avec réflexion, au lieu d’adorer au hasard les brebis, les chèvres et les vaches. S’abstenir d’en manger est normal, vu la grande utilité de ces animaux pour les hommes. Mais épargner les crocodiles et les considérer comme consacrés à je ne sais quelle divinité mythologique, n’est-ce point le comble de la sottise ? Faut-il être extravagant pour épargner des animaux qui ne nous épargnent point, vénérer des animaux qui dévorent des hommes ! Mais Celse approuve ceux qui selon leurs traditions adorent les crocodiles et les vénèrent, et il n’a pas écrit de discours contre eux. Tandis que les chrétiens lui semblent blâmables, parce qu’ils ont appris à avoir en horreur le vice et à éviter les actions qui en procèdent, à adorer et honorer la Vertu comme née de Dieu et Fils de Dieu. Car il ne faut pas croire, d’après le genre féminin de leur nom, que la vertu et la justice soient également féminines en leur essence : selon nous, elles sont le Fils de Dieu, comme son véritable disciple l’a établi en disant : « Lui qui de par Dieu est devenu pour nous sagesse, justice, sanctification, rédemption. » Donc, même quand nous l’appelons « second Dieu », cette dénomination, qu’on le sache, ne désigne pour nous autre chose que la Vertu embrassant toutes les vertus, le Logos embrassant tout ce qu’il y a de raison des choses qui ont été créées selon les lois de la nature, soit principalement, soit pour l’utilité du tout. Ce Logos, disons-nous, s’unit à l’âme de Jésus d’une union bien plus intime qu’à toute âme, car seul il était capable de contenir parfaitement la participation suprême du Logos en personne, de la Sagesse en personne, de la Justice en personne. LIVRE V

Voyons aussi les paroles suivantes de Celse, dont très peu concernent les chrétiens et la plupart concernent les Juifs : ” Si donc, en vertu de ce principe, les Juifs gardaient jalousement leur propre loi on ne saurait les blâmer, mais bien plutôt ceux qui ont abandonné leurs traditions pour adopter celles des Juifs. Mais s’ils veulent s’enorgueillir d’une sagesse plus profonde et fuir la société des autres qu’ils estiment moins purs, ils ont déjà la réponse : même leur doctrine sur le ciel ne leur est pas propre, mais, pour omettre tous les autres exemples, c’était aussi depuis longtemps la doctrine des Perses, comme l’indique quelque part Hérodote: « Ils ont coutume de monter sur les plus hauts sommets pour offrir des sacrifices à Zeus, appelant Zeus tout le cercle du ciel. » Or je pense qu’il est indifférent d’appeler Zeus Très-Haut, Zen, Adonaï, Sabaoth, Amon comme chez les Égyptiens, Papaeos comme les Scythes. Et certainement les Juifs ne sont pas plus saints que les autres peuples pour être circoncis : les Égyptiens et les Colchidiens l’ont été avant eux ; ni pour s’abstenir des porcs: ainsi font les Égyptiens qui s’abstiennent en outre des chèvres, des brebis, des b?ufs et des poissons ; ainsi font Pythagore et ses disciples qui s’abstiennent de fèves et de tout être animé vivant. Il n’est pas du tout vraisemblable qu’ils jouissent de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres, ni que des anges soient envoyés du ciel à eux seuls, comme s’ils avaient obtenu en partage une terre de bienheureux: nous voyons assez quel traitement ils ont mérité eux et leur pays. LIVRE V

Qu’il était beau, chez eux, d’être instruit dès le plus jeune âge à s’élever au-dessus de toute la nature sensible, à penser que Dieu ne réside nulle part en elle, et à le chercher au-dessus et au delà des corps ! Qu’il était grand d’être instruit, presque dès la naissance et la formation de la raison, de l’immortalité de l’âme, des tribunaux souterrains, des récompenses méritées par une vie vertueuse ! Ces vérités étaient alors prêchées sous la forme d’histoire à des enfants, parce qu’ils avaient l’intelligence des enfants. Mais bientôt, pour ceux qui cherchaient la doctrine et voulaient y progresser, les histoires de naguère se transfiguraient pour ainsi dire en laissant voir la vérité qu’elles renfermaient. Et je pense qu’ils ont mérité d’être appelés la part de l’héritage de Dieu pour avoir méprisé toute divination comme une vaine fascination des hommes, venant de démons pervers plutôt que d’une nature supérieure, et pour avoir cherché à connaître l’avenir auprès d’âmes qui avaient obtenu par leur extrême pureté l’esprit du Dieu suprême. Faut-il dire à quel point la loi interdisant aux Juifs de maintenir en esclavage plus de six ans un coreligionnaire est conforme à la raison, et cela sans injustice ni pour le maître ni pour l’esclave ? Si donc les Juifs doivent garder jalousement leur propre loi, ce n’est pas en vertu des mêmes principes que les autres peuples. Ils mériteraient le blâme et le reproche d’être insensibles à la supériorité de leurs lois, s’ils croyaient qu’elles ont été écrites de la même manière que les lois des autres peuples. Et, en dépit de Celse, les Juifs ont une sagesse plus profonde non seulement que celle de la foule, mais que celle des hommes qui passent pour philosophes, car les philosophes, après leurs sublimes raisonnements philosophiques s’abaissent jusqu’aux idoles et aux démons, tandis que même le dernier des Juifs attache son regard au seul Dieu suprême. Et ils ont bien raison, pour cela au moins, de se glorifier et d’éviter la société des autres qu’ils jugent souillés et impies. Plût au ciel qu’ils n’aient point péché par leurs transgressions, d’abord en tuant les prophètes, ensuite en conspirant contre Jésus ! Nous aurions en eux un modèle de la cité céleste que Platon a cherché lui-même à décrire ; mais je ne sais s’il aurait pu accomplir tout ce que réalisèrent Moïse et ses successeurs qui ont fait l’éducation d’une « race choisie », « d’une nation sainte » et consacrée à Dieu, par des doctrines exemptes de toute superstition. LIVRE V

Loin de moi la pensée de critiquer Platon : de lui aussi la grande foule des hommes a retiré des avantages ; mais je veux mettre en lumière l’intention de ceux qui ont dit : « Ma doctrine et ma prédication n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse ; c’était une démonstration de l’Esprit et de la puissance, afin que notre foi reposât non point sur la sagesse des hommes mais sur la puissance de Dieu. » Le divin Logos déclare que prononcer un mot, fut-il en lui-même vrai et très digne de foi, n’est pas suffisant pour toucher l’âme humaine sans une puissance donnée par Dieu à celui qui parle et une grâce qui rayonne dans ses paroles, véritable don de Dieu à ceux dont la parole est efficace. C’est bien ce que dit le prophète dans le psaume soixante-septième : « Le Seigneur donnera sa parole à ceux qui prêchent avec grande puissance. » LIVRE VI

Mais ceux qui ont si bien écrit sur le Souverain Bien descendent au Pirée pour prier Artémis comme une déesse, et pour voir la fête publique célébrée par les simples. Après avoir enseigné cette profonde philosophie sur l’âme et décrit en détail l’état futur de celle dont la vie fut vertueuse, ils abandonnent ces idées sublimes que Dieu leur a manifestées pour songer à des choses vulgaires et basses et sacrifier un coq à Asclépios. Ils s’étaient représenté les oeuvres invisibles de Dieu et les idées à partir de la création du monde et des choses sensibles, d’où ils s’étaient élevés aux réalités intelligibles : ils avaient vu, non sans noblesse, son éternelle puissance et sa divinité ; néanmoins ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent se traîne pour ainsi dire, dans l’ignorance au sujet du culte de Dieu. Et l’on peut voir ces hommes, fiers de leur sagesse et de leur théologie, adorer une représentation, simple image d’homme corruptible, pour honorer, disent-ils, cette divinité, parfois même descendre avec les Égyptiens jusqu’aux oiseaux, quadrupèdes, reptiles. LIVRE VI

Puisqu’il cite encore un autre passage de Platon où il déclare que c’est en procédant par questions et par réponses qu’il illumine l’intelligence des adeptes de sa philosophie, qu’on me laisse prouver par les saintes Écritures que le Logos divin aussi nous invite à la dialectique. Tantôt Salomon dit : « L’instruction sans examen égare »; tantôt Jésus fils de Sirach qui nous a laissé le livre de la Sagesse déclare : «Science de l’insensé, paroles inconsidérées ». Aussi y a-t-il plus de réfutations bienveillantes chez nous, qui avons appris que le maître de la doctrine doit être capable de « réfuter les contradicteurs ». Et même s’il en est de nonchalants qui négligent de s’appliquer aux divines lectures, de scruter les Écritures et, suivant l’ordre de Jésus, de chercher le sens des Écritures, d’en demander à Dieu l’intelligence, de frapper à leurs portes closes, l’Écriture n’en est point pour autant vide de sagesse. LIVRE VI

Mais comme nous appliquons le terme image à une chose différente, nous disons plus clairement qu’après le Logos il y a dans l’âme l’empreinte des plaies, c’est-à-dire le Christ vivant en chacun, provenant du ChristLogos. Et qui en est capable saura si le Christ, d’après nous sagesse qui réside dans ceux qui sont parfaits, correspond au quatrième facteur qui est la connaissance. LIVRE VI

Je passe donc à une autre accusation de Celse. Il ne connaît même pas nos textes, mais, par suite de méprises, nous accuse de soutenir que la sagesse humaine est folie devant Dieu, alors que Paul dit : « La sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » Celse ajoute : La raison de cette maxime a été dite depuis longtemps. D’après lui, la raison qui nous fait tenir ce langage est la volonté d’attirer les seuls gens incultes et stupides. Mais comme il l’a noté lui-même, il en a déjà parlé plus haut, et j’ai répondu de mon mieux à l’argument. Il n’en a pas moins tenu à montrer que nous l’avions imaginé, ou emprunté aux sages de la Grèce disant qu’autre est la sagesse humaine, autre la sagesse divine. Il cite même deux passages d’Héraclite ; l’un où il dit : « Le caractère humain n’a pas de pensée, le divin en a » ; et l’autre : « Marmot! L’homme s’entend appeler ainsi par le génie, comme l’enfant par l’homme. » Il cite en outre l’Apologie de Socrate par Platon: « Quant à moi, Athéniens, ce n’est à rien d’autre qu’à la sagesse que je dois ce nom qu’on me donne. Mais de quelle sorte, celte sagesse? Celle-là même qu’est sans doute une sagesse humaine. Réellement oui, il y a des chances que cette sagesse je la possède. » LIVRE VI

Voilà les citations de Celse. J’y ajouterai ce passage de la Lettre de Platon à Hermias, Érastos et Coriscos : « A Érastos et Coriscos, j’affirme, malgré ma vieillesse, qu’outre la splendide sagesse portant sur les Idées, ils ont encore besoin de la sagesse qui enseigne à se garder des hommes méchants et injustes, et besoin d’une certaine force de défense. Ils sont inexpérimentés pour avoir passé une longue période de leur vie auprès de nous, gens modérés et sans malice. C’est bien pourquoi j’ai dit qu’ils ont besoin de ces appuis, pour n’être pas contraints de négliger la sagesse véritable et de cultiver plus qu’il ne faut la sagesse humaine qui est indispensable. » LIVRE VI

Il y a donc, d’après Platon, une sagesse divine et une sagesse humaine. La sagesse humaine, que nous appelons « sagesse de ce monde, est folie devant Dieu ». La sagesse divine, qui diffère de l’humaine puisqu’elle est divine, survient par une grâce de Dieu qui l’accorde à ceux qui se sont préparés convenablement à la recevoir et surtout à ceux qui, reconnaissant la différence d’une sagesse à l’autre, disent dans leurs prières : « Y eut-il quelqu’un de parfait parmi les enfants des hommes sans la sagesse qui vient de toi, on le comptera pour rien. » Nous affirmons : la sagesse humaine n’est qu’un exercice de l’âme ; la divine en est la fin : elle est présentée comme la nourriture solide de l’âme dans le texte : « La nourriture solide est pour les parfaits, eux qui par l’habitude ont le sens exercé au discernement du bien et du mal. » LIVRE VI

Il est vrai qu’il s’agit là d’une opinion ancienne ; mais non, comme le croit Celse, que l’ancienneté de cette distinction remonte à Héraclite et à Platon. Avant eux, les prophètes avaient distingué chacune des deux sagesses. Il suffit pour le moment de citer, parmi les paroles de David, celle qui a trait au sage inspiré par la divine sagesse : « Même s’il voit mourir les sages, il ne verra pas la corruption. » Aussi, la sagesse divine, qui diffère de la foi, est le premier de ce qu’on appelle les charismes de Dieu. Après elle le second, aux yeux de ceux qui ont une science précise en ce domaine, est ce qu’on appelle la connaissance. Et le troisième est la foi, puisqu’il faut que soient sauvés même les plus simples qui s’adonnent de leur mieux à la pitié. LIVRE VI

D’où la déclaration de Paul : « A l’un, un discours de sagesse est donné par l’Esprit, à l’autre un discours de connaissance selon le même Esprit, à un autre la foi dans le même Esprit. » Pour cette raison, ce ne sont pas les premiers venus que l’on pourrait trouver en possession de la divine sagesse, mais ceux qui sont éminents et supérieurs parmi tous les adhérents au christianisme ; et ce n’est point aux plus incultes, aux esclaves, aux moins instruits que l’on divulgue les secrets de la sagesse divine. LIVRE VI

Celse a beau qualifier gens les plus incultes, esclaves, les moins instruits ceux qui ne comprennent pas son point de vue et n’ont pas assimilé la science des Grecs, nous déclarons, nous, les plus incultes ceux qui ne rougissent pas de s’adresser à des objets inanimés, de demander la santé à la faiblesse, de chercher la vie auprès de la mort, de mendier du secours auprès de l’impuissance. Ceux mêmes qui prétendent que ce ne sont point là des dieux, mais des imitations des dieux véritables et leurs symboles, sont tout aussi bien des gens sans éducation, esclaves, sans instruction, puisqu’ils imaginent de mettre les imitations de la divinité entre les mains d’artisans; si bien, disons-nous, que même les derniers des nôtres sont libérés de cette sottise et de cette ignorance, tandis que les plus sensés conçoivent et comprennent l’espérance divine. Mais nous ajoutons qu’il est impossible à un homme non exercé à la sagesse humaine de recevoir la sagesse divine, et nous convenons que toute la sagesse humaine comparée à la divine est folie. LIVRE VI

Ensuite, au lieu de débattre, comme c’était son devoir, le point controversé, il nous traite d’imposteurs et dit que nous fuyons en désordre les gens distingués, non disposés à être dupes, mais prenons au piège les rustres. C’est qu’il a ignoré que dès les tout premiers temps nos sages ont été élevés dans les sciences des étrangers : Moïse, « dans toute la sagesse égyptienne » ; Daniel, Ananias, Azarias, et Misaël, dans toute la littérature assyrienne, au point d’être trouvés dix fois supérieurs à tous les sages de là-bas. Aujourd’hui encore, les églises possèdent, bien qu’en petit nombre par rapport à la multitude, des sages qui sont venus même de la sagesse que nous appelons « charnelle » et elles possèdent aussi ceux qui ont progressé de celle-ci à la sagesse divine. LIVRE VI

Car nous trouvons dans le psaume : « Tu as tout fait avec sagesse ; la terre est remplie de ta création. Voici la mer, grande et vaste ; là des navires se promènent, des animaux petits et grands, et ce dragon que tu formas pour t’en jouer. » Au lieu de « dragon », il y avait en hébreu Léviathan. Or le diagramme impie disait du Léviathan ainsi ouvertement mis en cause par le prophète qu’il est l’âme répandue dans l’univers. LIVRE VI

Ensuite, comme si le reproche atteignait les chrétiens, quand il accuse ceux qui appellent Dieu maudit le Dieu de Moïse et de sa loi, et s’imagine que ceux qui le disent sont des chrétiens, il ajoute : Peut-il y avoir sottise plus délirante que cette sagesse stupide ? Quelle erreur a donc commise le législateur des Juifs ? D’où vient alors que tu adoptes, grâce, dis-tu, à une allégorie sommaire, sa cosmogonie ou la loi des Juifs et que tu loues bien malgré loi, ô très impie, le Créateur du monde, celui qui a tout promis aux Juifs, annonçant que leur race se multiplierait jusqu’aux extrémités de la terre et ressusciterait d’entre les morts avec la même chair et le même sang, et celui qui inspirait les prophètes; et qu’en même temps tu l’injuries ? Cependant, lorsque les Juifs le pressent, tu reconnais que tu adores le même Dieu; mais quand ton maître Jésus, et Moise, le maître des Juifs, établissent des lois contraires, tu cherches un autre dieu à la place de celui-ci, le Père. LIVRE VI

Veut-on apprendre encore les artifices par lesquels ces sorciers, prétendant posséder certains secrets, ont voulu gagner les hommes à leur enseignement et sans beaucoup de succès ? Qu’on écoute ce qu’ils apprennent à dire une fois passé ce qu’ils nomment « la barrière de la malice », les portes des Archontes éternellement fermées de chaînes : « Roi solitaire, bandeau d’aveuglement, oubli inconscient, je te salue, première puissance, gardée par l’esprit de providence et par la sagesse ; d’auprès de toi je suis envoyé pur, faisant partie déjà de la lumière du Fils et du Père ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Voilà, d’après eux, où commence l’Ogdoade8. Puis, ils apprennent à dire ensuite, en traversant ce qu’on nomme Ialdabaoth : « O toi, premier et septième, né pour dominer avec assurance, Ialdabaoth, raison souveraine de la pure intelligence, chef-d’oeuvre du Fils et du Père, je porte un symbole empreint d’une image de vie ; j’ai ouvert au monde la porte que tu avais fermée pour ton éternité, et retrouvant ma liberté je traverse ton empire ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Et ils disent que l’astre brillant est en sympathie avec l’archonte à forme de lion. Ils croient ensuite qu’après avoir traversé Ialdabaoth, et être arrivé à la on doit dire : « 0 toi qui présides aux mystères cachés du Fils et du Père, et qui brilles pendant la nuit, Iao second et premier, maître de la mort, lot de l’innocent, voici que, portant comme symbole la soumission de mon esprit, je m’apprête à traverser ton empire ; car, par une parole vivante, je l’ai emporté sur celui qui vient de toi ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » Immédiatement après, c’est Sabaoth à qui, selon eux, on devra dire : « Archonte du cinquième empire, puissant Sabaoth, premier défenseur de la loi de ta création, que la grâce a libérée par la vertu plus puissante du nombre cinq, laisse-moi passer en voyant intact ce symbole de ton art que je conserve dans l’empreinte d’une image, un corps délivré par le nombre cinq ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! »… A sa suite, c’est Astaphaios auquel ils pensent qu’on doit s’adresser en ces termes ! «Archonte de la troisième porte, Astaphaios, qui veilles sur la source originelle de l’eau, regarde-moi comme un myste, et laisse-moi passer, car j’ai été purifié par l’esprit d’une vierge, toi qui vois l’essence du monde ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » LIVRE VI

La locution ruisseau de l’église terrestre et de la circoncision provient peut-être de ce que certains disent que l’église terrestre est un ruisseau dérivé d’une église céleste et d’un éon supérieur, et que la circoncision prescrite dans la loi est le symbole de celle qui s’effectue là-haut dans quelque lieu de purification. Le nom de Prunicos est celui que donnent les Valentiniens à une certaine sagesse, dans l’égarement de leur propre sagesse symbolisée d’après eux par l’hémorroïsse depuis douze ans malade ; se méprenant sur le sens et brouillant toutes les opinions des Grecs, des barbares et des sectes, Celse a dit que d’une certaine vierge Prunicos émane une vertu. LIVRE VI

Notre généreux adversaire ne s’est pas contenté de ce qu’il tire du diagramme, mais pour gonfler ses accusations contre nous, qui n’avons rien de commun avec ce diagramme, il a voulu introduire d’autres griefs, où il répète en nous les attribuant les propos de ces hérétiques. Il dit en effet : Mais voici ce qui de leur part n’est pas le moins étonnant: les interprétations qu’ils donnent de certaines inscriptions entre les plus hauts cercles hyper célestes, entre autres ces deux là, « plus grand » et « plus petit », pour désigner le Fils et le Père. Dans ce diagramme, j’ai bien trouvé le grand cercle et le petit ; sur leurs diamètres étaient inscrits « Père » et « Fils » ; entre le grand cercle dans lequel était tracé le petit, et un autre formé de deux cercles, l’un à l’extérieur jaune, et à l’intérieur l’autre bleu, était la barrière inscrite en forme de hache double ; au-dessus d’elle un petit cercle, touchant le plus grand des précédents, où était inscrit « charité », et plus bas un autre, touchant le cercle, avec pour inscription « vie » ; dans le second cercle, fait de lignes entrelacées et renfermant deux autres cercles et une autre figure rhomboïde, était l’inscription : « Providence de la sagesse » ; et à l’intérieur de leur section commune, l’inscription « nature de la sagesse » ; mais plus haut que leur section commune, il y avait un cercle où était inscrit « connaissance » et, plus bas, un autre où était inscrit « intelligence ». LIVRE VI

J’ai inséré ces remarques dans mon discours contre Celse pour montrer aux lecteurs que je connais plus clairement que lui, et non sur de vagues on-dit, les doctrines que j’attaque moi aussi. Mais ceux qui se glorifient de semblables chimères font-ils eux aussi profession de quelque sorcellerie magique, et est-ce là pour eux le sommet de la sagesse, je ne le donne pas pour certain, car je n’ai rien trouvé de tel. A Celse, déjà souvent convaincu de faux témoignages et d’accusations sans fondement, de savoir si là encore il ment, ou s’il a trouvé quelque chose de ce genre chez des gens étrangers et hostiles à la foi, et l’a cité dans son traité. LIVRE VI

Quiconque a choisi la malice et y conforme sa vie en accomplissant le contraire de la vertu est un satan, c’est-à-dire un adversaire du Fils de Dieu qui est justice, vérité, sagesse. Mais l’adversaire au sens propre, c’est le premier de tous les êtres menant une vie pacifique et heureuse qui a perdu ses ailes et est tombé de son état bienheureux ; lui qui, selon Ézéchiel, marcha irréprochable dans toutes ses voies, jusqu’au jour où fut trouvée en lui l’iniquité ; lui qui était « un sceau de ressemblance et une couronne de beauté » dans le paradis de Dieu, pour ainsi dire saturé des biens, il tomba en perdition, selon l’expression mystérieuse de celui qui lui dit : « Te voilà perdu ; c’en est fait de toi à jamais !» LIVRE VI

Accordons en outre que Dieu est difficile à contempler. Il n’est pas le seul à être difficile à contempler : son Fils l’est également. Car le Dieu Logos est difficile à contempler ; et aussi difficile à contempler, la sagesse dans laquelle Dieu a fait toutes choses. Qui en effet peut contempler dans chaque partie de l’univers la sagesse dans laquelle Dieu a fait même chaque partie de l’univers ? Ce n’est donc point parce qu’il est difficile à contempler que Dieu a envoyé son Fils qui serait facile à contempler. C’est pour ne point l’avoir compris que Celse nous fait dire : Parce qu’il est difficile à contempler, il a introduit son propre esprit dans un corps semblable au nôtre et l’a envoyé ici-bas pour que nous puissions l’entendre et recevoir ses leçons. Mais, comme on l’a montré, le Fils aussi est difficile à contempler, étant donné qu’il est le Dieu Logos par qui tout a été fait, « lui qui a habité parmi nous ». LIVRE VI

Si Apollon de Delphes était le dieu que croient les Grecs, qui devait-il choisir comme prophète sinon un sage ou, à son défaut, un homme en progrès vers la sagesse ? Pourquoi ne choisirait-il pas pour prophétiser un homme de préférence à une femme ? Et en admettant qu’il préférait le sexe féminin, parce qu’il n’avait peut-être ni pouvoir ni plaisir sinon dans le sein des femmes, comment ne devait-il pas choisir une vierge plutôt qu’une autre femme comme interprète de sa volonté ? Mais non ! Apollon le Pythien, admiré par la Grèce, n’a attribué à aucun sage ni même à aucun homme l’honneur de ce qui passe aux yeux des Grecs pour la possession divine. Et parmi les femmes, il n’a pas choisi une vierge ou une femme formée à la sagesse par la philosophie, mais une femme vulgaire. Peut-être les meilleurs des humains étaient-ils supérieurs à l’influence de son inspiration. De plus, si vraiment il était dieu, il devait employer la prescience pour amorcer, si j’ose dire, la conversion, la guérison, la réforme morale des hommes. Or l’histoire ne nous transmet de lui rien de tel : même quand il a dit que Socrate était le plus sage de tous les hommes, il émoussait l’éloge en ajoutant sur Sophocle et Euripide : « Sophocle est sage, mais Euripide encore plus sage. » LIVRE VI

Ensuite, Celse continue : Ne vont-ils pas encore réfléchir à ce point ? Si les prophètes du Dieu des Juifs avaient prédit que Jésus serait son enfant, comment Dieu, par Moïse leur donne-t-il comme lois : de s’enrichir, d’être puissants», de remplir la terre, de massacrer leurs ennemis sans en épargner la jeunesse, d’en exterminer toute la race, ce qu’il fait lui-même sous les yeux des Juifs, au témoignage de Moïse ? Et en outre, s’ils n’obéissent pas, il les menace expressément de les traiter en ennemis ? Alors que son Fils, l’homme de Nazareth, promulgue des lois contraires : le riche n’aura point accès auprès du Père, ni celui qui ambitionne la puissance, ni celui qui prétend à la sagesse ou à la gloire ; on doit ne pas se soucier de nourriture et de grenier plus que ne font les corbeaux et moins se soucier du vêtement que ne font les lis ; et à qui vous a donné un coup, il faut s’offrir à en recevoir un autres ! Qui donc ment de Moïse ou de Jésus ? Est-ce que le Père en envoyant Jésus a oublié ce qu’il avait prescrit à Moïse ? A-t-il renié ses propres lois, changé d’avis et envoyé son messager dans un dessein contraire? LIVRE VI

De la même manière que la richesse, on doit interpréter la puissance qui permet, au dire de l’Écriture, à un juste de poursuivre un millier d’ennemis, et à deux de mettre en fuite des myriades. Si tel est le sens des paroles sur la richesse, vois s’il n’est pas conforme à la promesse de Dieu que l’homme qui est riche en toute doctrine, toute science, toute sagesse, toute ?uvre bonne puisse prêter de sa richesse en doctrine, en sagesse, en science, à de nombreuses nations, ainsi que put faire Paul à toutes les nations qu’il avait visitées quand il rayonna de Jérusalem jusqu’en Illyrie, menant à bien la prédication de l’Évangile du Christ. Comme son âme se trouvait illuminée par la divinité du Logos, les secrets divins se faisaient connaître à lui par révélation : il n’empruntait rien et n’avait nul besoin qu’on lui transmît la doctrine. LIVRE VI

Après quoi Celse en vient à une objection à propos de la sagesse. Il croit que, d’après l’enseignement de Jésus, il n’y a pas d’accès auprès du Père pour le sage. Répliquons lui : pour quel sage ? S’il s’agit de l’homme ainsi qualifié pour la sagesse dite de ce monde, qui est folie « devant Dieu », nous aussi nous dirons qu’il n’y a pas d’accès auprès du Père pour un tel sage. Mais si par sagesse on comprend le Christ, puisque le Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu», non seulement nous dirons qu’il y a pour un tel sage accès auprès du Père, mais encore nous affirmons : l’homme gratifié du charisme nommé « discours de sagesse », communiqué par l’Esprit, l’emporte de beaucoup sur ceux qui ne le sont pas. LIVRE VI

De plus, comme il y a une demeure terrestre de la tente, qui est nécessaire en quelque sorte à la tente, les Écritures déclarent que la demeure terrestre de la tente sera détruite, mais que la tente revêtira « une demeure qui n’est pas faite de main d’homme, éternelle dans le ciel ». Et les hommes de Dieu disent : « Cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité », qui est différente de ce qui est incorruptible, « cet être mortel revêtira l’immortalité », qui est autre que ce qui est immortel. En effet, le même rapport que la sagesse a avec ce qui est sage, la justice avec ce qui est juste, la paix avec ce qui est pacifique, existe également entre l’incorruptibilité et ce qui est incorruptible, entre l’immortalité et ce qui est immortel. Vois donc à quoi nous exhorte l’Écriture en disant que nous revêtirons l’incorruptibilité et l’immortalité ; comme des vêtements pour celui qui en a été revêtu et qui en est entouré, elles ne permettent pas que celui qui en est enveloppé subisse la corruption ou la mort. Voilà ce que j’ai osé dire parce qu’il n’a pas compris ce qu’on entend par la résurrection, et qu’il en prend occasion pour tourner en dérision une doctrine qu’il ne connaît pas. LIVRE VI

Tout cela, je ne le dis point pour rivaliser avec les belles pensées des Grecs, ni pour critiquer les doctrines saines, mais je veux établir que ces pensées mêmes et d’autres, plus profondes et plus divines encore, ont été exprimées par des hommes divins, prophètes de Dieu et apôtres de Jésus, scrutées par ceux qui veulent être parfaitement chrétiens, sachant que « la bouche du juste méditera la sagesse et sa langue dira le jugement ; la loi de Dieu est dans son coeur ». De plus, il y a des gens qui ne voient pas aussi clairement ces vérités, par suite de leur profonde ignorance, de leur simplicité, ou du manque de conseillers qui les aient poussés à une piété raisonnable ; ils croient pourtant au Dieu suprême et à son Fils unique Logos de Dieu ; et l’on peut trouver chez eux un degré de sérieux et de pureté, une innocence de m?urs et une simplicité souvent supérieure, que n’ont pas atteints ceux « qui affirment être sages » et se vautrent dans l’immoralité avec des enfants, « perpétrant l’infamie d’homme à homme ». LIVRE VI

Cet exemple bien compris, il faut l’appliquer à la qualité de la nourriture spirituelle des êtres raisonnables. Vois si Platon et les sages de la Grèce avec leurs belles sentences ne ressemblent pas aux médecins qui ont réservé leur sollicitude aux gens qui passent pour distingués et méprisé la foule des hommes. Au contraire, les prophètes de Judée et les disciples de Jésus ont renoncé à l’art de la composition littéraire et, comme dit l’Écriture faisant allusion au langage, « à la sagesse des hommes, à la sagesse charnelle » : ils sont comparables à des gens qui ont eu soin de préparer et d’apprêter des aliments très sains de la même qualité, grâce à une composition littéraire à la portée des foules humaines, non étrangère à leur langage, qui ne les détourne pas, pour une étrangeté et un caractère insolite, d’écouter de tels entretiens. Puisqu’on effet le but des aliments spirituels, si je puis dire, est de rendre endurant et doux celui qui les consomme, comment ne pas considérer une doctrine qui produit dans les foules endurance et douceur, ou du moins progrès vers ces vertus, comme mieux apprêtée que celle qui ne les donne, en admettant qu’elle les donne, qu’à fort peu de personnes dont le compte est facile. LIVRE VI

Est-ce parce que la pierre, le bois, l’airain, l’or ne peuvent par le travail de tel ou tel artisan devenir un dieu ? Bien risible sagesse ! Qui donc, à moins d’être tout petit enfant, les prend pour des dieux et non pour des offrandes votives consacrées aux dieux et des images des dieux ? Serait-ce qu’on ne doit point admettre des images divines parce que Dieu est d’une autre forme, comme le pensent aussi les Perses ? A leur insu, ils se réfutent eux-mêmes quand ils disent: Dieu a fait l’homme à son image et d’une forme semblable à la sienne. Ils conviendront bien que ces statues sont en l’honneur de certains êtres, semblables ou différents de forme, mais ils pensent que ces êtres à qui elles sont consacrées ne sont pas des dieux mais des démons, et qu’on ne doit pas rendre un culte aux démons quand on adore Dieu. LIVRE VI

Non, rien de bâtard ne doit subsister dans l’âme de l’homme véritablement pieux envers la divinité. Nous refusons ainsi d’honorer les statues pour éviter, autant qu’il dépend de nous, de tomber dans l’opinion que les statues seraient d’autres dieux. C’est pourquoi Celse et tous ceux qui avouent qu’elles ne sont pas des dieux sont pour nous condamnables, malgré leur renom de sagesse, quand ils affectent d’honorer les statues. La foule qui suit leur exemple pèche, non point parce qu’elle croit les honorer par accommodation, mais bien parce que les âmes se dégradent jusqu’à les considérer comme des dieux et ne pas tolérer d’entendre dire que ce ne sont pas des dieux qu’elles adorent. LIVRE VI

Les statues, les offrandes qui plaisent à Dieu ne sont pas oeuvres d’artisans vulgaires, mais celles du Logos de Dieu qui les esquisse et les forme en nous. Ce sont les vertus, imitations du « Premier-né de toute créature », en qui sont les modèles de la justice, de la tempérance, de la force, de la sagesse, de la piété et des autres vertus. Tous ceux donc qui, selon le divin Logos, ont édifié en eux-mêmes la tempérance, la justice, la force, la sagesse, la piété et les chefs d’oeuvre des autres vertus, portent en eux-mêmes des statues. C’est par elles, nous le savons, qu’il convient d’honorer le prototype de toutes ces statues, l’« Image du Dieu invisible », le Dieu Fils unique. Bien plus, ceux qui ont dépouillé « le vieil homme avec ses pratiques, et revêtu l’homme nouveau qui pour mieux connaître se renouvelle sans cesse à l’image de Celui qui l’a créé » en recouvrant ce qui est à l’image du Créateur, édifient en eux-mêmes des statues de lui telles que le Dieu suprême les désire. LIVRE VIII

Citons encore le passage suivant et examinons-le de notre mieux : Si c’est par respect a une tradition qu’ils s’abstiennent de victimes de ce genre, ils devraient complètement s’abstenir de toute chair animale, comme faisait Pythagore dans son respect de l’âme et de ses organes. Mais si, comme ils disent, c’est pour ne pas festoyer avec les démons, je les félicite pour leur sagesse de comprendre tardivement qu’ils ne cessent d’être les commensaux des démons3. Mais ils n’y prennent garde qu’en voyant une victime immolée. Et cependant le pain qu’ils mangent, le vin qu’ils boivent, les fruits qu’ils goûtent, l’eau même qu’ils boivent et l’air même qu’ils respirent ne sont-ils pas autant de présents des démons qui ont chacun pour une part la charge de leur administration ? Je ne vois pas comment, en cette matière, l’obligation pour eux de s’abstenir de toute chair animale lui semble la conséquence logique du fait qu’ils s’abstiennent de certaines victimes par respect d’une tradition. Nous le nions, car la divine Écriture ne nous suggère rien de pareil. Mais pour rendre notre vie plus forte et plus pure, elle nous dit : « Il est bon de ne pas manger de viande, de ne pas boire de vin, de ne rien faire qui scandalise ton frère » ; « Garde-toi, avec tes aliments de faire périr celui pour qui le Christ est mort » ; « Quand une viande cause la chute de mon frère, que je me passe à tout jamais de pareille viande afin de ne pas faire tomber mon frère ! » LIVRE VIII

Les Grecs diront que ce sont là des fables, bien que la vérité de ces histoires soit attestée par deux peuples entiers. Mais pourquoi donc les récits des Grecs ne seraient-ils pas des fables plutôt que celles-ci ? Si l’on aborde directement la question sans être arbitrairement prévenu en faveur de ses propres histoires ni incrédules à celles des étrangers, on pourra dire : celles des Grecs viennent des démons, celles des Juifs de Dieu par les prophètes, ou des anges et de Dieu par les anges, et celles des chrétiens de Jésus et de sa puissance qui résidait dans ses apôtres. Qu’on me permette de les comparer toutes entre elles en voyant le but poursuivi par ceux qui les ont accomplies et leur résultat, profit ou dommage ou inefficacité pour ceux qui en ont éprouvé les prétendus bienfaits. On verra sans doute la sagesse de l’antique peuple des Juifs avant qu’il outrageât la divinité. Celle-ci les a plus tard abandonnés pour la gravité de leur malice. Mais elle a miraculeusement rassemblé les chrétiens, amenés dès le début, plus par les prodiges que par la force persuasive des discours, à délaisser les croyances traditionnelles pour choisir celles qui leur étaient étrangères. En effet, s’il faut une explication vraisemblable du rassemblement initial des chrétiens, on dira qu’il n’est pas plausible que les apôtres de Jésus, hommes illettrés et ignorants, aient fondé leur assurance pour annoncer le christianisme aux hommes sur autre chose que sur la puissance qui leur avait été donnée et sur la grâce unie à la parole pour montrer la vérité des faits ; ni non plus que leurs auditeurs aient renoncé à leurs habitudes ancestrales invétérées sans qu’une puissance notable et des actes miraculeux les aient amenés à des doctrines si nouvelles, étrangères à celles dans lesquelles ils avaient été élevés. LIVRE VIII

Puis de nouveau Celse, semblable à ceux qui reviennent parfois de la possession diabolique et puis retombent, comme s’il était en période de sagesse, s’exprime dans ce sens : Assurément, s’il arrive qu’adorateur de Dieu, on reçoive l’ordre de commettre une impiété ou de dire quelque autre chose de honteux, il ne faut absolument pas obéir, mais au contraire s’endurcir à toutes les épreuves et endurer mille morts, plutôt que de dire ou même de penser la moindre impiété envers Dieu. Puis de nouveau, par ignorance de notre doctrine, et en outre, parce qu’il confond tout, il dit : Mais si l’on t’ordonne de bénir le soleil ou de chanter avec enthousiasme un beau péan en l’honneur d’Athènè, il paraîtra d’autant mieux que tu adores le grand Dieu quand tu les chantes. Car la piété envers Dieu est plus parfaite quand elle s’étend à toutes choses. LIVRE VIII

Celse déclare ensuite : On ne doit pas refuser créance à l’auteur ancien qui a jadis proclamé : « Qu’un seul soit roi, celui à qui le fils de Cronos le fourbe aura octroyé de l’être ! » Si tu refuses cette doctrine, il est probable que l’empereur te punira. En effet, que tous les hommes fassent comme toi, rien n’empêchera que l’empereur ne reste seul et abandonné, que tous les biens de la terre ne deviennent la proie des barbares très iniques et très sauvages, et qu’on n’entende plus parler sur la terre ni de ta religion ni de la véritable sagesse. Oui certes, qu’il y ait un seul chef, un seul roi ! Non pas celui à qui le fils de Cronos aura octroyé de l’être, mais l’homme à qui l’a octroyé Celui qui établit les rois et les dépose, et qui suscite au bon moment sur la terre le chef utile. Ce n’est pas le fils de Cronos, lequel a précipité son père au Tartare, au dire des mythes grecs, après l’avoir chassé du trône, qui établit les rois, même si l’on donnait une interprétation allégorique de l’histoire : mais c’est Dieu qui, gouvernant l’ensemble de l’univers, sait ce qu’il fait en ce qui concerne l’institution des rois. LIVRE VIII