J’ose même dire que la défense que tu me demandes de composer peut affaiblir celle qui est dans les faits et la puissance de Jésus, manifeste à quiconque n’est pas stupide. Cependant, pour ne point paraître hésiter devant la tâche que tu m’as prescrite, j’ai fait de mon mieux pour répliquer à chacun des griefs écrits par Celse ce qui m’a paru propre à retourner ses discours, bien qu’ils soient incapables d’ébranler aucun fidèle. Puisse-t-il, du moins, ne se trouver personne qui, après avoir reçu cet amour infini de Dieu « dans le Christ Jésus », soit ébranlé dans sa détermination par les dires de Celse ou d’un de ses pareils ! Paul, dressant une liste des épreuves sans nombre qui d’ordinaire séparent l’homme de « l’amour du Christ » et de « l’amour de Dieu dans le Christ Jésus », toutes surmontées par l’amour de Dieu qui était en lui, n’a point rangé le discours parmi les causes de séparation. Note en effet qu’il commence par dire : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, la détresse, la persécution, la faim, la nudité, le péril, le glaive ? — selon le mot de l’Ecriture. A cause de toi l’on nous met à mort tout le long du jour nous avons passe pour des brebis d’abattoir — Mais en tout cela nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimes » Ensuite, donnant une autre série de causes qui sont de nature à séparer (de cet amour) les gens d’une piété instable, il dit « Oui, j’en ai l’assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur » PRÉFACE
Et fort judicieusement, il ne reproche point à l’Evangile son origine barbare, car il a cet éloge : Les barbares sont capables de découvrir des doctrines. Mais il ajoute : Pour juger, fonder, adapter à la pratique de la vertu les découvertes des barbares, les Grecs sont plus habiles. Or voici ce que je peux dire, partant de son observation, pour défendre la vérité des thèses du christianisme : quiconque vient des dogmes et des disciplines grecs à l’Evangile peut non seulement juger qu’elles sont vraies, mais encore prouver, en les mettant en pratique, qu’elles remplissent la condition qui semblait faire défaut par rapport à une démonstration grecque, prouvant ainsi la vérité du christianisme. Mais il faut encore ajouter : la parole (divine) a sa démonstration propre, plus divine que celle des Grecs par la dialectique. Et cette démonstration divine, l’Apôtre la nomme « démonstration de l’Esprit et de la puissance » : « de l’Esprit », par les prophéties capables d’engendrer la foi chez le lecteur, surtout en ce qui concerne le Christ ; « de la puissance », par les prodigieux miracles dont on peut prouver l’existence par cette raison entre bien d’autres qu’il en subsiste encore des traces chez ceux qui règlent leur vie sur les préceptes de cette parole. LIVRE I
Il dit ensuite : En cachette les chrétiens pratiquent et enseignent ce qui leur plaît. Ils ont une bonne raison de le faire: ils écartent la peine de mort suspendue sur leur tête. Et il compare ce risque aux risques courus pour la philosophie par un Socrate. Il eût pu ajouter : par un Pythagore et par d’autres philosophes. A quoi on peut répondre : dans le cas de Socrate, les Athéniens se repentirent aussitôt et ne lui gardèrent pas de ressentiment, pas plus que (d’autres) à Pythagore : du moins, les disciples de Pythagore ont établi pendant longtemps leurs écoles dans la partie de l’Italie appelée Grande Grèce. Mais dans le cas des chrétiens, le Sénat romain en ses assises, les empereurs contemporains, l’armée, le peuple, les parents des fidèles, en guerre contre le christianisme, l’auraient entravé et vaincu par la conspiration de tant de forces s’il n’eût, par la puissance divine, surpassé et surmonté l’opposition, jusqu’à vaincre le monde entier conjuré contre lui. LIVRE I
Celse déclare ensuite, j’ignore sous quelle impulsion : Les chrétiens paraissent exercer un pouvoir par les invocations des noms de certains démons, faisant allusion, je pense, aux exorcistes qui chassent les démons. Mais il semble manifestement calomnier l’Evangile. Ce n’est point par des invocations qu’ils semblent exercer un pouvoir, mais par le nom de Jésus joint à la lecture publique des récits de sa vie. En effet, cette lecture aboutit souvent à chasser les démons des hommes, surtout lorsque les lecteurs lisent avec une disposition saine de foi véritable. Mais telle est la puissance du nom de Jésus contre les démons que parfois, même prononcé par des méchants, il réalise son effet. Voilà ce qu’enseignait Jésus en disant : « Beaucoup me diront en ce jour-là : par ton nom nous avons chassé les démons et fait des miracles». » Celse n’en fait pas mention : volontairement et par malice, ou par ignorance, je ne sais. Ensuite il accuse même le Sauveur : C’est par magie qu’il a pu faire les miracles qu’il parut accomplir; et prévoyant que d’autres, au courant des mêmes secrets, allaient faire la même chose en se vantant de le faire par la puissance de Dieu, Jésus les chassa de sa société. Et il élève cette accusation : S’il a le droit de les chasser, alors, coupable des mêmes fautes, il est lui-même un vilain personnage; ou si lui-même n’est pas vilain de les avoir faites, ceux qui agissent comme lui ne le sont pas non plus. Bien au contraire : même s’il semblait impossible de répondre à la question « comment Jésus a fait cela ? », il est manifeste que les chrétiens n’utilisent aucune pratique d’incantations, mais le nom de Jésus avec d’autres paroles auxquelles ils ont foi d’après la divine Ecriture. LIVRE I
Celse a cité comme une expression courante chez les chrétiens : La sagesse dans le cours de cette vie est un mal, et la folie un bien. Il faut répondre qu’il calomnie la doctrine, puisqu’il n’a pas cité le texte même qui se trouve chez Paul et que voici : « Si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage, car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » L’Apôtre n’affirme donc pas simplement : « la sagesse est folie devant Dieu », mais : « la sagesse de ce monde… » ; ni non plus : « si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou » en général, mais : « qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage ». Donc, nous appelons « sagesse de ce siècle » toute philosophie remplie d’opinions fausses, qui est périmée d’après les Ecritures ; et nous disons : « la folie est un bien », non point absolument, mais quand on devient fou pour ce siècle. Autant dire du Platonicien, parce qu’il croit à l’immortalité de l’âme et à ce qu’on dit de sa métensomatose, qu’il se couvre de folie aux yeux des Stoïciens qui tournent en ridicule l’adhésion à ces doctrines, des Péripatéticiens qui jasent des « fredonnements » de Platon, des Epicuriens qui crient à la superstition de ceux qui admettent une providence et posent un dieu au-dessus de l’univers ! Ajoutons qu’au sentiment de l’Ecriture, il vaut bien mieux donner son adhésion aux doctrines avec réflexion et sagesse qu’avec la foi simple ; et qu’en certaines circonstances, le Logos veut aussi cette dernière pour ne pas laisser les hommes entièrement désemparés. C’est ce que montre Paul, le véritable disciple de Jésus, quand il dit : « Car, puisque dans la sagesse de Dieu le monde n’a pas connu Dieu avec la sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication » D’où il ressort donc clairement que c’est dans la sagesse de Dieu que Dieu devait être connu. Et puisqu’il n’en fut rien, Dieu a jugé bon ensuite de sauver les croyants, non pas simplement par la folie, mais par la folie relative à la prédication. De là vient que la proclamation de Jésus-Christ crucifié est la folie de la prédication, comme le dit encore Paul qui en avait pris conscience et déclare « Mais nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » LIVRE I
Je pourrais l’inviter à comparer nos livres respectifs et dire : Allons, mon brave, apporte les poèmes de Linos, de Musée, d’Orphée, les écrits de Pherecyde, et confronte-les avec la loi de Moïse. Mets en parallèle les histoires avec les histoires, les préceptes de morale avec les lois et les commandements. Et vois lesquels d’entre eux sont plus capables de convertir d’emblée ceux qui les entendent, et lesquels d’entre eux de faire périr l’auditeur. Et remarque combien la cohorte de tes auteurs s’est peu inquiétée de ceux qui liraient sans préparation , c’est pour les seuls gens capables d’interprétation figurée et allégorique, qu’elle a écrit, dis-tu, sa propre philosophie. Moïse, au contraire, à procédé dans ses cinq livres comme un rhéteur de race qui soigne son style et veille a présenter partout le double sens des mots à la foule des Juifs soumis à ses lois, il ne donne pas d’occasions d’un dommage moral , à l’élite capable d’une lecture pénétrante, il ne présente pas de texte qui ne soit plein de spéculation pour qui peut chercher son intention profonde. Et les livres de tes sages poètes, à ce qu’il semble, ne sont même plus conservés, on les eût conservés si le lecteur en avait tiré profit. Mais les écrits de Moïse ont incité un grand nombre de gens, même étrangers à la culture juive, à croire, comme le proclament les écrits, que le premier auteur des lois données à Moïse, c’est Dieu le créateur du monde. Il convenait en effet que l’artisan de tout l’univers imposât ses lois à tout l’univers et donnât à ses paroles une puissance capable d’en soumettre tous les habitants. Et cela, je l’affirme sans traiter encore de Jésus, mais toujours de Moïse, qui est bien inférieur au Seigneur, et je montre, comme l’argument le prouvera, que Moïse est bien supérieur a tes sages poètes et philosophes. LIVRE I
L’indigène de Sériphos, chez Platon, reprochait à Thémistocle, rendu célèbre par sa valeur militaire, de ne pas devoir sa gloire à son mérite personnel, mais à sa chance d’avoir la patrie la plus remarquable de toute la Grèce ; ce qui lui attira cette réponse du judicieux Thémistocle qui voyait que sa patrie avait aussi contribué à le rendre célèbre : « Eusse-je été de Sériphos, je ne serais pas devenu si célèbre ; mais aurais-tu la chance d’être d’Athènes, tu ne serais pas devenu Thémistocle ! » Or, notre Jésus, à qui on reproche d’être issu d’un bourg ne faisant partie ni de la Grèce ni d’une nation de renommée universelle, qu’on veut diffamer comme étant le fils d’une pauvre fileuse, obligé par la pauvreté d’abandonner sa patrie et de louer ses services en Egypte, comme s’il était, pour reprendre l’exemple cité, non seulement de Sériphos, issu de l’île la plus petite et la moins connue, mais même, si j’ose dire, le moins noble de ses habitants, ce Jésus a eu la puissance de secouer toute la terre habitée par les hommes, non seulement plus que Thémistocle d’Athènes, mais aussi que Pythagore, Platon et tous les autres parmi les sages, les empereurs, les généraux de n’importe quelle région de la terre. LIVRE I
Qu’ils répondent alors, ceux qui refusent de croire que Jésus est mort sur la croix pour les hommes. Est-ce qu’ils rejetteront aussi les multiples histoires, grecques et barbares, de personnes mortes pour le bien public, afin de détruire les maux qui s’étaient emparés des villes et des peuples ? Ou bien diront-ils ces faits réels, mais absolument invraisemblable la mort de cet homme — ainsi le jugent-ils — pour la destruction du grand démon, prince des démons, qui avait asservi toutes les âmes humaines venues sur terre ? Mais les disciples de Jésus en sont témoins, ainsi que d’autres choses en plus grand nombre qu’ils ont probablement apprises de Jésus en secret, en outre, ils furent remplis d’une certaine puissance, lorsque leur donna « fougue et courage », non la vierge dont parle le poète, mais la véritable prudence et sagesse de Dieu, « pour qu’ils se distinguent entre tous », non seulement « les Argiens », mais tous les Grecs ensemble avec les barbares, et « remportent une noble gloire ». LIVRE I
Mais, à l’adresse des Grecs qui ne croient pas que Jésus soit né d’une vierge, il faut ajouter : le Créateur a montré dans la naissance d’animaux variés que, ce qu’il fait pour un animal, il lui était possible, s’il le voulait, de le faire pour d’autres et pour les humains eux-mêmes. On trouve certaines femelles d’animaux qui n’ont pas commerce avec un mâle, comme les naturalistes le disent du vautour, et cet animal sauve la continuité de son espèce sans union sexuelle. Qu’y a-t-il donc d’extraordinaire que Dieu, ayant voulu envoyer un maître divin à la race humaine, au lieu de créer par un principe séminal résultant de l’union des mâles aux femelles, ait décidé que le principe de celui qui allait naître fût d’un autre ordre ? De plus, selon les Grecs eux-mêmes, tous les hommes ne sont pas nés d’un homme et d’une femme. Si, en effet, le monde a été créé, comme bien des Grecs l’ont admis, nécessairement les premiers hommes ne sont pas nés d’une union sexuelle, mais de la terre qui contenait les raisons séminales : ce que je trouve plus extraordinaire que la naissance de Jésus à demi semblable à celle du reste des hommes. Et à l’adresse des Grecs, il n’est pas déplacé de citer encore des histoires grecques, pour qu’ils ne paraissent pas les seuls à user de cette extraordinaire histoire. Certains ont jugé bon, à propos non plus d’anciennes légendes héroïques, mais d’événements d’hier ou avant-hier, d’écrire comme chose possible que Platon même fut né d’Amphictione alors qu’Ariston avait été empêché d’approcher d’elle avant qu’elle eût enfanté ce fils conçu d’Apollon. Il s’agit là en réalité de mythes qui ont poussé à imaginer un prodige de ce genre au sujet d’un homme, parce que, jugeait-on, il était d’une sagesse et d’une puissance supérieures à celles de la plupart et il avait reçu de semences supérieures et divines le principe de sa constitution corporelle, comme il convient à ceux qui ont une grandeur plus qu’humaine. Mais quand Celse, après avoir introduit le Juif s’entretenant avec Jésus, crible de sarcasmes ce qu’il considère comme la fiction de sa naissance d’une vierge, et qu’il cite les mythes grecs de “Danaé”, “de Mélanippe”, “d’Auges et d’Antiope”, il faut dire que ces propos convenaient à un bouffon, non à un écrivain qui prend son message au sérieux. LIVRE I
De plus, il accepte bien, de l’histoire écrite dans l’Évangile de Matthieu, la venue de Jésus en Egypte ; mais il refuse de croire aux prodiges qui l’ont provoquée, à l’ordre transmis par l’ange, à toute la signification mystérieuse possible du départ de Jésus de la Judée et de son séjour en Egypte. Il invente encore autre chose : d’un côté, il donne une certaine adhésion aux miracles extraordinaires accomplis par Jésus, grâce auxquels celui-ci persuada la multitude de le suivre comme Christ, de l’autre, il entend les disqualifier comme dus à la magie et non à la puissance divine. Car il affirme : Il fut élevé en secret, s’en fut en Egypte louer ses services, et, ayant acquis là l’expérience de certains pouvoirs, il s’en revint, proclamant grâce à ces pouvoirs qu’il était Dieu. Quant à moi, je ne comprends pas comment un magicien aurait pu prendre la peine d’enseigner une doctrine persuadant de tout faire dans la pensée que Dieu juge chacun sur toutes ses actions, et de donner cette disposition à ses disciples dont il allait faire les ministres de son enseignement. Ceux-ci gagnaient-ils leurs auditeurs par les miracles appris de cette façon, ou sans faire aucun miracle ? Dire qu’ils ne faisaient pas de miracle du tout, mais qu’après avoir cru, sans aucune puissance de raisons qui ressemblât à la sagesse dialectique des Grecs, ils se sont voués à l’enseignement d’une doctrine nouvelle pour ceux chez qui ils séjournaient, c’est le comble de l’absurdité : d’où leur fût venue l’audace pour enseigner la doctrine et les innovations ? Et s’ils accomplissaient des miracles, quelle vraisemblance y a-t-il que des magiciens se fussent exposés à de si graves périls pour un enseignement interdisant la magie ? LIVRE I
Il me paraît indigne de combattre un propos dit sans sérieux et par moquerie : “Serait-ce que la mère de Jésus était belle, et que pour sa beauté Dieu s’est uni à elle, lui qui par nature ne peut être épris d’un corps périssable ? Il ne convenait pas que Dieu s’éprît d’elle : elle était sans fortune, sans naissance royale, car nul ne la connaissait même parmi ses voisins”. Il badine encore en ajoutant : “Lorsque le charpentier se prit d’aversion pour elle et la chassa, nulle puissance divine, nul don de persuasion ne l’ont sauvée. Aussi bien n’y a-t-il rien là qui concerne le Règne de Dieu”. Y a-t-il là rien qui diffère des insultes qu’on se lance aux carrefours sans un mot qui mérite l’attention ? LIVRE I
Je dirai donc d’abord : si celui qui refuse de croire en l’apparition du Saint-Esprit sous la forme d’une colombe était présenté comme épicurien, ou partisan de Démocrite, ou péripatéticien, le propos conviendrait au personnage. Mais en fait le très docte Celse n’a même pas vu qu’il attribuait une telle parole à un Juif qui croit en bien des récits des écritures prophétiques plus extraordinaires que l’histoire de la forme de la colombe. On pourrait dire en effet au Juif incrédule sur l’apparition, qui pense pouvoir l’accuser de fiction : mais toi, mon brave, comment pourrais-tu prouver que le Seigneur Dieu a dit à Adam, Eve, Caïn, Noé, Abraham, Isaac, Jacob ce que la Bible atteste qu’il a dit à ces êtres humains ? Et pour comparer cette histoire à une autre, je dirais volontiers au Juif : Ton Ézéchiel aussi a écrit ces paroles : « Le ciel s’ouvrit et je vis une vision de Dieu » ; et après l’avoir racontée, il ajoute : « C’était la vision d’un aspect de la gloire du Seigneur, et il me parla. » Si ce que l’on relate de Jésus est faux, puisqu’à ton avis nous ne pouvons pas prouver avec évidence la vérité de ce qu’il a seul vu et entendu, ainsi que, comme tu semblés y tenir, « l’un des suppliciés », pourquoi ne dirions-nous point à plus juste titre qu’Ézéchiel lui aussi est victime d’un prestige quand il dit : « Le ciel s’ouvrit… etc. » ? De plus, lorsqu’Isaïe affirme : « Je vis le Seigneur des armées assis sur un trône très élevé ; les Séraphins se tenaient autour de lui, ayant six ailes l’un, six ailes l’autre…» etc., d’où tiens-tu la preuve qu’il l’a réellement vu ? Car tu as cru, Juif, que ces visions sont véridiques, et que le prophète, sous l’influence de l’Esprit de Dieu, les a non seulement vues, mais encore racontées et écrites. Mais qui donc est plus digne de foi quand il affirme que le ciel lui a été ouvert, et qu’il a entendu une voix ou qu’il a vu « le Seigneur des armées assis sur un trône très élevé » ? Isaïe, Ézéchiel, ou bien Jésus ? Des premiers on ne trouve aucune oeuvre aussi sublime, tandis que la bonté de Jésus pour les hommes ne s’est pas bornée à la seule période de son incarnation ; même jusqu’à ce jour sa puissance opère la conversion et l’amélioration des moeurs de ceux qui croient en Dieu par lui. Et la preuve manifeste qu’elles sont dues à sa puissance, comme il le dit lui-même et que l’expérience le montre, c’est, nonobstant le manque d’ouvriers qui travaillent à la moisson des âmes, la moisson si abondante de ceux qui sont récoltés et introduits dans les aires de Dieu partout répandues, les églises. LIVRE I
Son Juif déclare encore au Sauveur : ” Si tu dis que tout homme né conformément à la divine Providence est fils de Dieu, en quoi l’emporterais-tu sur un autre ?” A quoi je répondrai : tout homme qui, selon le mot de Paul, n’est plus mené par la crainte, mais embrasse la vertu pour elle-même, est fils de Dieu. Mais le Christ l’emporte du tout au tout sur quiconque reçoit pour sa vertu le titre de fils de Dieu, puisqu’il en est comme la source et le principe. Voici le passage de Paul : « Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; mais vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba, Père ! » Mais, dit le Juif de Celse, ” d’autres par milliers réfuteront Jésus en affirmant qu’à eux-mêmes s’applique ce qui est prophétisé de lui.” En vérité, je ne sais pas si Celse a connu des gens qui, après leur venue en cette vie, ont voulu rivaliser avec Jésus, et se proclamer eux-mêmes fils de Dieu ou puissance de Dieu. Mais puisque j’examine loyalement les objections comme elles se présentent, je dirai : un certain Theudas naquit en Judée avant la naissance de Jésus, qui se déclara « un grand personnage » ; à sa mort, ceux qu’il avait abusés se dispersèrent. Après lui, « aux jours du recensement », vers le temps, semble-t-il, où Jésus est né, un certain Judas Galiléen s’attira de nombreux partisans dans le peuple juif, se présentant comme sage et novateur. Après qu’il fut châtié lui aussi, son enseignement s’éteignit, n’ayant quelque survivance que chez un tout petit nombre de personnes insignifiantes. Et après le temps de Jésus, Dosithée de Samarie voulut persuader les Samaritains qu’il était le Christ en personne prédit par Moïse, et parut, par son enseignement, avoir conquis quelques adhérents. Mais la remarque pleine de sagesse de Gamaliel, rapportée dans les Actes des Apôtres, peut être raisonnablement citée pour montrer que ces hommes n’avaient rien à voir avec la promesse, n’étant ni fils ni puissances de Dieu, tandis que le Christ Jésus était véritablement Fils de Dieu. Or Gamaliel y dit : « Si c’est là une entreprise et une doctrine qui vient des hommes, elle se détruira d’elle-même », comme s’est évanouie celle de ces gens-là quand ils moururent, « mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez faire disparaître l’enseignement de cet homme : ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » De plus, Simon le magicien de Samarie voulut par la magie s’attacher certains hommes, et il parvint à en séduire, mais aujourd’hui de tous les Simoniens du monde on n’en trouverait pas trente, je crois, et peut-être que j’en exagère le nombre. Ils sont fort peu nombreux en Palestine, et en aucun point du reste de la terre son nom n’a cette gloire qu’il voulut répandre autour de sa personne. Car là où il est cité, il l’est d’après les Actes des Apôtres ; ce sont des chrétiens qui font mention de lui, et l’évidence a prouvé que Simon n’était nullement divin. LIVRE I
Je dirai donc aux Grecs : les mages ont commerce avec les démons et les invoquent selon leur art et leurs desseins. Ils réussissent tant que rien de plus divin et de plus puissant que les démons et l’incantation qui les évoque n’apparaît pas ou n’est pas prononcée. Mais s’il survient une manifestation plus divine, sont détruites les puissances des démons, incapables de résister à la lumière de la divinité. Il est donc vraisemblable aussi qu’à la naissance de Jésus, lorsqu’« une troupe nombreuse de l’armée céleste », ainsi que l’écrivit Luc et que j’en suis persuadé, loua Dieu et dit : « Gloire à Dieu dans les hauteurs, paix sur la terre, et bienveillance divine chez les hommes » ! », de ce fait, les démons perdirent leur vigueur et leur force ; leur magie fut confondue et leur pouvoir cessa ; ils furent ruinés non seulement par la venue des anges à l’entoure de la terre pour la naissance de Jésus, mais encore par l’âme de Jésus et la divinité présente en lui. Aussi les mages, voulant accomplir comme auparavant leurs habituelles incantations et sorcelleries et n’y parvenant pas, en recherchèrent-ils la cause dont ils comprenaient l’importance. A la vue du signe céleste, ils désirèrent voir ce qu’il signalait. A mon sens donc, en possession des prophéties de Balaam rapportées par Moïse, lui aussi expert en cet art, ils y trouvèrent à propos de l’étoile ces mots : « Je lui montrerai, mais non maintenant ; je le félicite, mais il n’approchera pas. » Ils conjecturèrent que l’homme prédit avec l’étoile était venu à la vie, et, l’accueillant comme supérieur à tous les démons et aux êtres qui d’habitude leur apparaissaient et manifestaient leur puissance, ils voulurent « l’adorer ». Ils vinrent donc en Judée parce qu’ils étaient persuadés qu’un roi était né, mais sans savoir la nature de sa royauté, et parce qu’ils connaissaient le pays où il naîtrait. Ils apportaient « des présents » qu’ils offrirent comme à quelqu’un qui tienne à la fois, pour ainsi dire, de Dieu et de l’homme mortel, et des présents symboliques : l’or comme à un roi, la myrrhe comme à un être mortel, l’encens comme à un Dieu ; ils les « offrirent » après s’être informés du lieu de sa naissance. Mais puisqu’il était Dieu, ce Sauveur du genre humain élevé bien au-dessus des anges qui secourent les hommes, un ange récompensa la piété des mages à adorer Jésus, et les avertit de ne pas aller vers Hérode, mais de retourner chez eux par un autre chemin. LIVRE I
Je rétorque : un examen sensé et judicieux de la conduite des apôtres de Jésus montre que par la puissance divine ils enseignaient le christianisme et réussissaient à soumettre les hommes à la parole de Dieu. Ils ne possédaient ni éloquence naturelle ni ordonnance de leur message selon les procèdes dialectiques et rhétoriques des Grecs, qui entraînent les auditeurs. Mais il me semble que si Jésus avait choisi des hommes savants au regard de l’opinion publique, capables de saisir et d’exprimer des idées chères aux foules, pour en faire les ministres de son enseignement, il eût très justement prête au soupçon d’avoir prêche suivant une méthode semblable à celle des philosophes chefs d’école, et le caractère divin de sa doctrine n’aurait plus paru dans toute son évidence. Sa doctrine et sa prédication auraient consisté en discours persuasifs de la sagesse avec le style et la composition littéraire. Notre foi, pareille à celle qu’on accorde aux doctrines des philosophes de ce monde, reposerait sur « la sagesse des hommes » et non sur « la puissance de Dieu ». Mais à voir des pêcheurs et des publicains sans même les premiers rudiments des lettres — selon la présentation qu’en donne l’Évangile, et Celse les croit véridiques sur leur manque de culture —, assez enhardis non seulement pour traiter avec les Juifs de la foi en Jésus-Christ, mais encore pour le prêcher au reste du monde et y réussir, comment ne pas chercher l’origine de leur puissance de persuasion ? Car ce n’était pas celle qu’attendent les foules. Et qui n’avouerait que sa parole : « Venez à ma suite, je vous ferai pêcheurs d’hommes », Jésus l’ait réalisée par une puissance divine dans ses apôtres. Paul aussi, je l’ai dit plus haut, la propose en ces termes : « Ma doctrine et ma prédication ne consistaient pas en des discours persuasifs de la sagesse, mais dans une démonstration de l’Esprit et de la puissance, pour que notre foi reposât, non point sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » Car, selon ce qui est dit dans les prophètes quand ils annoncent avec leur connaissance anticipée la prédication de l’Évangile, « le Seigneur donnera sa parole aux messagers avec une grande puissance, le roi des armées du bien-aimé », pour que soit accomplie cette prophétie : « afin que sa parole courre avec rapidité ». Et nous voyons, de fait, que « la voix » des apôtres de Jésus « est parvenue à toute la terre, et leurs paroles, aux limites du monde ». Voilà pourquoi sont remplis de puissance ceux qui écoutent la parole de Dieu annoncée avec puissance, et ils la manifestent par leur disposition d’âme, leur conduite et leur lutte jusqu’à la mort pour la vérité. Mais il y a des gens à l’âme vide, même s’ils font profession de croire en Dieu par Jésus-Christ ; n’étant pas sous l’influence de la puissance divine, ils n’adhèrent qu’en apparence à la parole de Dieu. LIVRE I
Quoique j’aie déjà rappelé plus haut un mot prononcé par le Sauveur dans l’Évangile, je ne m’en servirai pas moins ici encore opportunément pour rappeler la prescience toute divine manifestée par notre Sauveur sur la prédication de l’Évangile, et la force de sa parole qui, sans l’aide de maître, conquiert les croyants en les persuadant avec une puissance divine. Voici donc ce que dit Jésus : « La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux ; priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. » LIVRE I
Celse a traité les apôtres de Jésus d’hommes décriés, en les disant « publicains et mariniers fort misérables ». Là encore je dirai : il semble tantôt croire à son gré aux Écritures, pour critiquer le christianisme, et tantôt, pour ne pas admettre la divinité manifestement annoncée dans les mêmes livres, ne plus croire aux Evangiles. Il aurait fallu, en voyant la sincérité des écrivains à leur manière de raconter ce qui est désavantageux, les croire aussi en ce qui est divin. Il est bien écrit, dans l’épître catholique de Barnabé, dont Celse s’est peut-être inspiré pour dire que les apôtres de Jésus étaient des hommes décriés et fort misérables, que « Jésus s’est choisi ses propres apôtres, des hommes qui étaient coupables des pires péchés ». Et, dans l’Évangile selon Luc, Pierre dit à Jésus : « Seigneur, éloigne-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur. » De plus, Paul déclare dans l’épître à Timothée, lui qui était devenu sur le tard apôtre de Jésus : « Elle est digne de foi la parole : Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je tiens moi, le premier rang. » Mais je ne sais comment Celse a oublié ou négligé de mentionner Paul fondateur, après Jésus, des églises chrétiennes. Sans doute voyait-il qu’il lui faudrait, en parlant de Paul, rendre compte du fait que, après avoir persécuté l’Église de Dieu et cruellement combattu les croyants jusqu’à vouloir livrer à la mort les disciples de Jésus, il avait été ensuite assez profondément converti pour « achever la prédication de l’Évangile du Christ, depuis Jérusalem jusqu’en Illyrie », tout en « mettant son point d’honneur de prédicateur de l’Évangile », pour éviter de « bâtir sur les fondations posées par autrui », à ne prêcher que là où n’avait pas du tout été annoncée la bonne nouvelle de Dieu réalisée dans le Christ. Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que Jésus, dans le dessein de montrer au genre humain quelle puissance il possède de guérir les âmes, ait choisi des hommes décriés et fort misérables, et les ait fait progresser jusqu’à devenir l’exemple de la vertu la plus pure pour ceux qu’ils amènent à l’évangile du Christ ? LIVRE I
A la suite de ces remarques, le Juif de Celse dit à Jésus : “Pourquoi donc fallait-il, alors que tu étais encore enfant, te transporter en Egypte pour te faire échapper au massacre ? Il ne convenait pas qu’un Dieu craignît la mort ! Mais un ange vint du ciel pour t’ordonner à toi et aux tiens de fuir de peur qu’on ne vous surprît et qu’on ne vous mît a mort. A te garder sur place, toi son propre fils, le grand Dieu qui avait déjà envoyé deux anges a cause de toi était-il donc impuissant ? ” Celse pense ici que pour nous il n’y a rien de divin dans le corps humain et l’âme de Jésus, et même que son corps ne fut pas de cette nature qu’imaginent les mythes d’Homère. Raillant donc le sang de Jésus répandu sur la croix, il dit que ce n’était pas l’« ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ». Mais nous, nous croyons en Jésus lui-même, aussi bien quand il dit de la divinité qui est en lui « Je suis la voie, la vérité, la vie » et autres paroles semblables, que lorsqu’il déclare, parce qu’il était dans un corps humain « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité », et nous affirmons qu’il a été une sorte d’être composé. Prenant soin de venir à la vie comme un homme, il fallait qu’il ne s’exposât point à contretemps au péril de mort. Ainsi devait-il être conduit par ses parents dirigés par un ange de Dieu Le messager dit d’abord « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » , et, ensuite « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » Ce qui est écrit là ne me paraît pas le moins du monde extraordinaire. C’est en songe que l’ange a ainsi parlé à Joseph, comme l’attestent les deux passages de l’Écriture or, la révélation faite en songe à certaines personnes sur la conduite à tenir est arrivée à bien d’autres, que l’âme reçoive des impressions d’un ange ou d’un autre être Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que, une fois entre dans la nature humaine, Jésus fût également dirigé suivant la conduite humaine pour éviter les dangers, non qu’une autre méthode ait été impossible, mais parce qu’il fallait recourir aux moyens et aux dispositions humaines pour assurer sa sauvegarde. Et même il valait mieux que l’enfant Jésus évitât le complot d’Hérode et partît avec ses parents en Egypte jusqu’à la mort de l’auteur du complot, et que la providence veillant sur Jésus n’empêchât point la liberté d’Hérode de vouloir tuer l’enfant, ou encore ne plaçât autour de Jésus « le casque d’Hades » des poètes ou quelque chose de semblable, ou bien ne frappât comme les gens de Sodome ceux qui venaient le tuer. Car un mode tout à fait extraordinaire et trop éclatant de le secourir eût fait obstacle à son dessein d’enseigner comme un homme recevant de Dieu le témoignage que, dans l’homme paraissant aux regards, il y avait quelque chose de divin ; et c’était au sens propre le Fils de Dieu, Dieu Logos, puissance de Dieu et sagesse de Dieu, celui qu’on appelle le Christ. Mais ce n’est pas le moment de traiter de l’être composé et des éléments dont était formé Jésus fait homme, ce point donnant matière, pour ainsi dire, à un débat de famille entre croyants. LIVRE I
Celse affirme : “Le corps d’un Dieu n’use pas d’une voix comme la tienne, ni d’une pareille méthode de persuasion”. C’est là encore une objection sans valeur et absolument méprisable. Il suffira de lui répondre : Apollon de Delphes et celui de Didymes, un dieu d’après la foi des Grecs, use d’une voix pareille, celle de la Pythie ou de la prophétesse de Milet : ce n’est pas pour les Grecs une raison de refuser la divinité d’Apollon de Delphes ou de Didymes ou de tout autre dieu semblable établi en un lieu particulier. Mais combien il était plus excellent que Dieu usât d’une voix proférée avec puissance, faisant naître chez les auditeurs une persuasion indicible ! LIVRE I
Il dit encore : “Beaucoup d’autres auraient pu paraître tels que Jésus à ceux qui consentaient à être dupes.” Que le Juif de Celse montre donc non pas beaucoup, ni même quelques-uns, mais un seul homme tel que Jésus qui, par la puissance qui est en lui a introduit dans l’humanité une doctrine et des dogmes bienfaisants, et a converti les hommes du flot de péchés ! Il poursuit : “Ceux qui croient au Christ font un grief aux Juifs de n’avoir pas cru que Jésus était Dieu”. Sur ce point, j’ai répliqué d’avance ci-dessus, en montrant à la fois comment nous pensons qu’il est Dieu, et en quoi nous disons qu’il est homme. Il poursuit : “Mais comment, après avoir enseigné à tous les hommes l’arrivée de celui qui viendrait de la part de Dieu punir les injustes, l’aurions-nous, après sa venue, indignement traité ?” Répondre à cette attaque qui est fort sotte ne me semble pas raisonnable. Elle équivaut à dire : comment, nous qui avons enseigné la tempérance, aurions-nous fait quelque chose de licencieux ou nous qui prétendons à la justice, aurions-nous été coupables d’injustice ? De même que ces inconséquences se trouvent chez les hommes, il était humain aussi que des gens qui affirmaient croire aux prophètes annonçant la venue du Christ aient refusé de croire en lui quand il fut venu conformément aux prophéties. LIVRE II
Nous reprochons donc aux Juifs de ne l’avoir pas tenu pour Dieu, alors que les prophètes ont souvent attesté qu’il est une grande puissance et un dieu au-dessous du Dieu et Père de l’univers. A lui, disons-nous, dans l’histoire de la création racontée par Moïse, le Père a donné l’ordre : « Que la lumière soit », « Que le firmament soit » et tout le reste dont Dieu a ordonné la venue à l’existence. A lui, il a été dit : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » Et le Logos, l’ordre reçu, a fait tout ce que le Père lui avait commande. Nous le disons en nous fondant non sur des conjectures, mais sur la foi aux prophéties reçues chez les Juifs, ou il est dit en propres termes de Dieu et des choses créées : « Il a dit et les choses furent, il a ordonné et elles furent créées. » Si donc Dieu donna l’ordre et les créatures furent faites, quel pourrait être, dans la perspective de l’esprit prophétique, celui qui fut capable d’accomplir le sublime commandement du Père, sinon Celui qui est, pour ainsi dire, Logos vivant et Vérité ? D’autre part, les Evangiles savent que celui qui dit en Jésus « Je suis la voie, la vérité, la vie » n’est pas circonscrit au point de n’exister en aucune manière hors de l’âme et du corps de Jésus. Cela ressort de nombreux passages dont nous citerons le peu que voici Jean-Baptiste, prophétisant que le Fils de Dieu allait bientôt paraître, sans se trouver seulement dans ce corps et cette âme mais présent partout, dit de lui « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Or s’il avait pensé que le Fils de Dieu est là seulement ou se trouvait le corps visible de Jésus, comment eut-il affirme : « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas » ? De plus, Jésus lui-même élevé l’intelligence de ses disciples à de plus hautes conceptions du Fils de Dieu, quand il dit : « Là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis présent au milieu d’eux. » Et telle est la signification de sa promesse à ses disciples : « Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Lorsque nous disons cela, nous ne séparons point le Fils de Dieu de Jésus, car c’est un seul être, après l’incarnation, qu’ont formé avec le Logos de Dieu l’âme et le corps de Jésus. Si en effet, selon l’enseignement de Paul qui dit : « Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui », quiconque a compris ce que c’est qu’être uni au Seigneur et s’est uni à lui est un seul esprit avec le Seigneur, de quelle manière bien plus divine et plus sublime le composé dont nous parlions est-il un seul être avec le Logos de Dieu ! Il s’est, de fait, manifesté parmi les Juifs comme « la Puissance de Dieu », et cela par les miracles qu’il accomplit, n’en déplaise à ceux qui le soupçonnent comme Celse de mettre en oevre la sorcellerie, et comme les Juifs d’alors, instruits à je ne sais quelle source sur Béelzébul, de chasser les démons « par Béelzébul prince des démons ». Notre Sauveur les convainquit alors de l’extrême absurdité de leurs dires par le fait que le règne du mal n’avait pas encore pris fin. Ce sera évident à tous les lecteurs sensés du texte évangélique ; il est hors de propos de l’expliquer maintenant. LIVRE II
Ensuite qu’il ait été livré par ceux qu’il appelait ses disciples, le Juif de Celse l’a appris des Evangiles, bien qu’il désigne comme plusieurs disciples le seul Judas, afin de paraître corser l’accusation. Mais il n’a pas sérieusement examiné tout ce qui est écrit de Judas : Judas était tiraillé par des jugements opposés et contradictoires, il ne mit pas toute son âme à être hostile à Jésus, ni toute son âme à garder le respect d’un disciple envers son maître. Car, à la troupe venue pour s’emparer de Jésus, « le traître avait donné ce signe : Celui que je baiserai, c’est lui, arrêtez-le. » Il gardait un reste de respect envers son maître, sinon, il l’aurait livré ouvertement, sans baiser hypocrite. N’est-ce donc point suffisant pour persuader tout le monde que, dans sa détermination, Judas, avec l’avarice et la décision perverse de livrer son maître, avait dans son âme quelque chose de mêlé, suscité en lui par les paroles de Jésus, et qui ressemblait, pour ainsi dire, à un reste de bonté ? Car il est écrit « Alors Judas qui l’avait livré, voyant que Jésus avait été condamné, fut pris de remords et rapporta les trente pièces d’argent aux grands-prêtres et aux anciens « J’ai péché, dit-il, en livrant un sang juste » Ceux-ci répondirent « Que nous importe ? A toi de voir ! » Jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre “. Mais si Judas, qui était avare et volait ce qu’on jetait dans la bourse pour le compte des pauvres, « pris de remords, rapporta les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens », il est clair que les enseignements de Jésus avaient pu susciter en lui quelque remords, et que le traître ne les avait pas totalement méprisés et rejetés. Bien plus le « J’ai péché en livrant un sang innocent » était l’aveu public du péché commis. Vois donc la véhémence et l’excès du chagrin que lui donna le remords de ses péchés il ne pouvait plus supporter de vivre, mais, après avoir jeté les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se pendre. En se faisant justice, il montra combien avait eu de puissance l’enseignement de Jésus même dans un pécheur comme Judas, voleur et traître, incapable de mépriser totalement ce qu’il avait appris de Jésus. Les partisans de Celse diront-ils que ces preuves manifestes que l’apostasie de Judas ne fut pas totale, en dépit même de ce qu’il osa contre son maître, ne sont que des fictions, tandis que le seul fait avéré est la trahison d’un des disciples, et ajouteront-ils au récit qu’il l’a encore trahi de toute son âme ? Ce qui est sans force persuasive, c’est, à partir des mêmes textes, de tout faire en esprit de haine, soit donner sa créance, soit la refuser. LIVRE II
Pour citer encore, à propos de Judas, un argument qui le confonde, je dirai que, dans le livre des psaumes, tout le cent-huitième n’est qu’une prophétie à son sujet. Il débute par ces mots : « O Dieu, ne cesse de parler à ma louange, car la bouche du méchant et la bouche du trompeur s’est ouverte contre moi. » Et on y prophétise que Judas s’est exclu du nombre des apôtres à cause de son péché, et qu’un autre a été choisi à sa place ; c’est le sens du mot : « et qu’un autre prenne sa charge ». Mais admettons qu’il ait été livré par un des disciples pire que Judas, sur lequel aient glissé, pour ainsi dire, toutes les paroles de Jésus : en quoi cela renforcerait-il une accusation contre Jésus ou le christianisme ? Comment serait-ce une preuve de la fausseté de l’Évangile ? Quant aux accusations qui suivent, j’y ai déjà répondu plus haut en montrant que ce n’est pas en fuyant que Jésus a été pris, mais qu’il s’est volontairement livré pour nous ; d’où il suit que s’il a été lié, il l’a été de son plein gré, nous enseignant à accueillir de bon coer ces sortes d’épreuves endurées pour la religion. Voici encore qui me semble puéril : “Un bon général qui commande à des milliers de soldais n’est jamais livré, ni même un misérable chef de brigands à la tête des plus dépravés, tant qu’il semble utile à ses associés. Mais Jésus, puisqu’il fut livré par ses subordonnés, n’a pas commandé en bon général, et après avoir dupé ses disciples, il n’a pas inspiré à ces dupes la bienveillance, si l’on peut dire, que l’on a pour un chef de brigands.” On peut trouver bien des histoires de généraux livrés par leurs familiers, et de chefs de brigands pris par suite d’une infidélité aux engagements à leur égard. Admettons qu’aucun des généraux ou des chefs de brigands n’ait été livrés : en quoi cela renforce-t-il le grief fait à Jésus de ce qu’un de ses disciples l’a livré ? Puisque Celse fait profession de philosophie, je peux lui demander : est-ce un motif d’accuser Platon si Aristote, après l’avoir écouté vingt ans, s’est détourné de lui, s’en prit à sa doctrine de l’immortalité de l’âme, et a qualifié de « fredonnements » les Idées platoniciennes ? S’il restait un doute, j’ajouterais : est-ce que Platon n’avait plus de vigueur dialectique ni de puissance à établir son système, quand Aristote se fut détourné de lui, et les doctrines de Platon sont-elles fausses pour autant ? Ou se peut-il que Platon ait raison, au dire des philosophes qui le suivent, et qu’Aristote soit devenu méchant et ingrat envers son maître ? Chrysippe également, en bien des passages de ses livres, semble s’attaquer à Cléanthe, et propose des innovations contraires aux thèses de celui-ci, qui fut son maître alors qu’il était jeune et abordait la philosophie. Et pourtant, Aristote, dit-on, a fréquenté Platon vingt ans, et Chrysippe fut à l’école de Cléanthe un temps considérable. Mais Judas n’a même point passé trois ans près de Jésus. Des biographies de philosophes on tirerait bien des faits pareils à ceux que Celse reproche à Jésus à propos de Judas. Les Pythagoriciens bâtissaient même des cénotaphes pour ceux qui, après s’être orientés vers la philosophie, rebroussaient chemin vers la vie commune ; cette défection n’affaiblissait pas la doctrine ni les preuves de Pythagore et de ses disciples. LIVRE II
Considère s’il n’y a pas une grande autorité dans sa parole : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, à mon tour je me déclarerai pour lui devant mon père qui est dans le ciel ; mais quiconque me reniera devant les hommes… » etc. Remonte avec moi par la pensée à Jésus prononçant ces paroles, et note que ce qu’il prédisait n’est pas encore arrivé. Peut-être, par manque de foi en lui, diras-tu : ce ne sont que sornettes et paroles en l’air, car la chose prédite n’arrivera pas. Ou peut-être le doute sur l’assentiment à donner à ses paroles te fera dire : si ces prédictions sont accomplies, si l’enseignement des paroles de Jésus est accrédité, du fait que les gouverneurs et les rois se préoccupent de détruire ceux qui reconnaissent Jésus, alors nous croirons qu’il a dit cela parce qu’il avait reçu de Dieu une grande autorité pour répandre cette doctrine dans le genre humain, et était persuadé de son triomphe. Et qui ne serait rempli d’admiration en remontant par la pensée à Celui qui enseignait alors et disait : « Cet Évangile sera prêché dans le monde entier, en témoignage pour eux et les Gentils », et en considérant que, comme il l’avait dit, l’Évangile de Jésus a été prêché « à toute créature sous le ciel», « aux Grecs et aux barbares, aux savants et aux ignorants » ? Car sa parole prêchée avec puissance a soumis toute l’humanité et il n’est pas possible de voir une race d’hommes qui ait pu se soustraire à l’enseignement de Jésus. LIVRE II
Que le Juif de Celse, qui ne croit pas que Jésus ait prévu tout ce qui allait arriver, considère de quelle manière, alors que Jérusalem était encore debout et centre du culte de toute la Judée, Jésus a prédit ce que lui feraient subir les Romains. On ne dira certes pas que les familiers et les auditeurs de Jésus lui-même aient transmis sans l’écrire l’enseignement des Evangiles et laissé leurs disciples sans souvenirs écrits sur Jésus. Or il y est écrit : « Mais quand vous verrez Jérusalem investie par les armées, sachez alors que la dévastation est proche. » Il n’y avait alors aucune armée autour de Jérusalem pour l’encercler, la bloquer, l’assiéger. Le siège n’a commencé que sous le règne de Néron et a duré jusqu’au gouvernement de Vespasien, dont le fils, Titus, détruisit Jérusalem ; ce fut, d’après ce qu’écrit Josèphe, à cause de Jacques le Juste, frère de Jésus nommé le Christ, mais, comme la vérité le montre, à cause de Jésus le Christ de Dieu. Celse aurait pu, du reste, même en acceptant ou en concédant que Jésus a connu d’avance ce qui lui arriverait, faire semblant de mépriser ces prédictions, comme il l’avait fait pour les miracles, et les attribuer à la sorcellerie ; il aurait même pu dire que beaucoup ont connu ce qui leur arriverait, par des oracles tirés des augures, des auspices, des sacrifices, des horoscopes. Mais il n’a pas voulu faire cette concession, la jugeant trop importante, et, tout en ayant accepté d’une certaine façon la réalité des miracles, il semble l’avoir décriée sous prétexte de sorcellerie. Cependant Phlégon, dans le treizième ou le quatorzième livre de ses “Chroniques”, je crois, a reconnu au Christ la prescience de certains événements futurs, bien qu’il ait confondu le cas de Jésus et le cas de Pierre, et il atteste que ses prédictions se réalisèrent. Il n’en prouve pas moins comme malgré lui, par cette concession sur la prescience de Jésus, que la parole, chez les Pères de nos croyances, n’était pas dénuée de puissance divine. Celse dit : “Les disciples de Jésus, ne pouvant rien dissimuler d’un fait notoire, s’avisèrent de dire qu’il a tout su d’avance”. Il n’avait pas remarqué, ou n’a pas voulu remarquer la sincérité des écrivains : ils ont avoué en effet que Jésus avait encore prédit aux disciples : « Vous serez tous scandalisés cette nuit », qu’effectivement ils furent scandalisés ; et qu’il a aussi prophétisé à Pierre : « Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois », et que Pierre l’a renié trois fois. S’ils n’avaient pas été aussi sincères, mais, comme le croit Celse, s’ils avaient écrit des fictions, ils n’auraient pas mentionné le reniement de Pierre et le scandale des disciples. Qui donc alors, même s’ils ont eu lieu, aurait fait un grief à l’Évangile de ces événements ? Ils ne devaient normalement pas être mentionnés par des auteurs qui voulaient enseigner aux lecteurs des Evangiles à mépriser la mort pour professer le christianisme. Mais non : voyant que l’Évangile vaincrait les hommes par sa puissance, ils ont inséré même des faits de ce genre qui, je ne sais comment, ne troubleront pas les lecteurs et ne fourniront pas de prétexte au reniement. LIVRE II
” Quelle noble action digne d’un Dieu a donc fait Jésus “, dit Celse ? ” A-t-il méprisé les hommes, s’est-il moqué et joué de son malheur ? ” A sa question, même si je pouvais établir l’action noble et le miracle au temps de son malheur, quelle meilleure réponse faire que de citer l’Évangile ? « La terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent, le voile du Temple se déchira en deux du haut en bas, le soleil s’éclipsa et l’obscurité se fit en plein jour. » Mais si Celse croit les Evangiles pour y trouver une occasion d’accuser Jésus et les chrétiens, et ne les croit pas quand ils prouvent la divinité de Jésus, on lui dira : holà, mon brave, ou bien refuse de croire à tout l’ensemble et ne pense pas nous formuler de grief, ou bien crois à tout l’ensemble et admire que le Logos de Dieu se soit fait homme dans le dessein de secourir tout le genre humain. Et c’est un acte noble de Jésus que jusqu’à nos jours soient guéris par son nom ceux que Dieu veut guérir. L’éclipse arrivée au temps de Tibère César sous le règne de qui, semble-t-il, Jésus a été crucifié, et les grands tremblements de terre alors survenus, Phlégon aussi les a notés dans le treizième ou le quatorzième chapitre, je crois, de ses ” Chroniques “. Le Juif de Celse qui croit railler Jésus est présenté comme s’il connaissait ” le mot de Bacchus chez Euripide: Le dieu lui-même me délivrera quand je voudrai “. Les Juifs pourtant ne s’occupent guère de littérature grecque. Mais admettons qu’il y ait eu un Juif ainsi ami des lettres. Comment donc, si Jésus ne s’est pas délivré lui-même de ses liens, ne pouvait-il pas le faire ? Qu’il croie plutôt, d’après mes Ecritures, que Pierre lui aussi, enchaîné en prison, en sortit quand un ange eût détaché ses liens, et que Paul, mis aux ceps avec Silas à Philippes de Macédoine, fut délié par une puissance divine au moment ou s’ouvrirent les portes de la prison. Mais probablement Celse rit de l’histoire, ou il ne l’a pas lue du tout, sinon il s’aviserait de répondre que des sorciers aussi par leurs incantations brisent les chaînes et font ouvrir les portes, afin d’assimiler à des actes de sorcellerie les événements rapportés parmi nous. LIVRE II
Après cela, le Juif nous dit encore : ” Nous reprochez-vous donc, gens d’une crédulité extrême, de ne pas le considérer comme Dieu, et de ne pas convenir avec vous qu’il ait enduré ces souffrances pour le bien de l’humanité, afin que nous aussi nous puissions mépriser les supplices ?” Voici notre réponse. Nous reprochons aux Juifs, nourris de la loi et des prophètes qui annoncent d’avance le Christ, de ne pas réfuter les preuves que nous leur donnons qu’il est vraiment le Christ, bien qu’ils allèguent cette réfutation pour justifier leur incrédulité, et, malgré l’absence de réfutation, de ne pas croire en celui qui avait été prédit. Mais Jésus a prouvé de manière éclatante, en ceux qui ont été ses disciples même après le temps de son incarnation, qu’il avait enduré ces souffrances pour le bien de l’humanité. Le but de son premier avènement ne fut pas de juger les actions des hommes avant de leur avoir donné l’enseignement et l’exemple du devoir, ni de punir les méchants et sauver les bons, mais de répandre miraculeusement sa doctrine avec une puissance divine à travers tout le genre humain, comme l’avaient aussi montré les prophètes. Nous leur reprochons encore d’avoir refusé de croire à la manifestation de la puissance dont il disposait, mais d’avoir dit que c’était par Beelzébul prince des démons qu’il chassait les démons des âmes des hommes. Nous leur reprochons de calomnier même son amour pour les hommes et, alors qu’il ne dédaigna ni une ville, ni même un village de la Judée, pour annoncer partout le règne de Dieu, de l’accuser calomnieusement d’avoir été un vagabond menant une vie errante et inquiète dans un corps sans noblesse. Ce n’est pas sans noblesse qu’il endura tant de fatigues pour l’utilité de ceux qui, en tout lieu, étaient capables de comprendre. LIVRE II
Après cela, je ne sais pour quelle raison, il ajoute cette remarque fort niaise :” Si, en forgeant des justifications absurdes à ce qui vous a ridiculement abusés, vous croyez offrir une justification valable, qu’est-ce qui empêche de penser que tous les autres qui ont été condamnés et ont disparu d’une manière plus misérable encore sont des messagers plus grands et plus divins que lui ? ” Mais il est d’une évidence manifeste et claire à tout homme que Jésus, dans les souffrances qui sont rapportées, n’a rien de comparable a ceux qui ont disparu d’une manière plus misérable encore, à cause de leur magie ou de quelque autre grief que ce soit. Car personne ne peut montrer qu’une pratique de sorcellerie ait converti les âmes de la multitude des pèches qui règnent parmi les hommes et du débordement de vice. Et le Juif de Celse, assimilant Jésus aux brigands, déclare ” On pourrait dire avec une égale impudence d’un brigand et d’un assassin mis au supplice ce n’était pas un brigand, mais un Dieu, car il a prédit à ses complices qu’il souffrirait le genre de supplice qu’il a souffert “.Mais d’abord on peut dire ce n’est pas du fait qu’il a prédit ce qu’il souffrirait que nous avons de tels sentiments sur Jésus, comme par exemple lorsque nous professons sincèrement et hardiment qu’il est venu de Dieu à nous , ensuite, nous disons que cette assimilation même est prédite en quelque sorte dans les Evangiles, puisque Jésus « fut compte parmi les malfaiteurs » par des malfaiteurs car ils ont préféré qu’un brigand, emprisonné « pour sédition et meurtre », fût mis en liberté, et que Jésus soit crucifié, et ils le crucifièrent entre deux brigands. De plus, sans cesse, dans la personne de ses disciples véritables et qui rendent témoignage à la vérité, Jésus est crucifié avec des brigands et souffre la même condamnation qu’eux parmi les hommes. Nous disons dans la mesure ou il y a une analogie entre des brigands et ceux qui, pour leur piété envers le Créateur qu’ils veulent garder intacte et pure comme l’enseigna Jésus acceptent tous les genres d’outrages et de morts, il est clair que Celse a quelque raison de comparer aux chefs de brigands Jésus, l’initiateur de cet enseignement sublime. Mais ni Jésus qui meurt pour le salut de tous, ni ceux qui endurent ces souffrances à cause de leur piété, seuls de tous les hommes à être persécutés pour la manière dont ils croient devoir honorer Dieu, ne sont mis à mort sans injustice, et Jésus ne fut pas persécuté sans impiété. Note aussi le caractère superficiel de ce qu’il dit de ceux qui furent alors les disciples de Jésus : “Alors les compagnons de sa vie, qui entendaient sa voix, l’avaient pour maître, quand ils le virent torturé et mourant, ne voulurent ni mourir avec lui ni mourir pour lui, et, loin de consentir à mépriser des supplices, ils nièrent qu’ils fussent ses disciples. Et vous, maintenant, voulez mourir avec lui”. Ici donc Celse, pour attaquer notre doctrine, ajoute foi au péché commis par les disciples encore débutants et imparfaits, que rapportent les Evangiles. Mais leur redressement après leur faute, leur assurance à prêcher devant les Juifs, les maux sans nombre endurés de leur part, leur mort enfin pour l’enseignement de Jésus, il n’en dit mot. C’est qu’il n’a pas voulu considérer la prédiction de Jésus à Pierre « Vieilli, tu étendras les mains… » etc. ; à quoi l’Écriture ajoute « Il indiquait ainsi la mort par laquelle il rendrait gloire à Dieu » , ni considérer la mort par le glaive au temps d’Hérode, pour la doctrine du Christ, de Jacques frère de Jean, apôtre et frère d’apôtre , ni considérer non plus tous les exploits de Pierre et des autres apôtres dans leur intrépide prédication de l’Évangile, et comment ils s’en allèrent du Sanhédrin après leur flagellation, « tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour son nom », surpassant de loin tout ce que les Grecs racontent de l’endurance et du courage des philosophes. Des l’origine donc, prévalait chez les auditeurs de Jésus cette leçon capitale de son enseignement le mépris de la vie recherchée par la foule et l’empressement à mener une vie semblable à celle de Dieu. Et comment n’est-ce pas un mensonge que la parole du Juif de Celse “Au cours de sa vie, il ne gagna qu’une dizaine de mariniers et publicains des plus perdus, et encore pas tous ?” Il est bien clair, même des Juifs en conviendraient, qu’il à gagné non seulement dix hommes, ni cent, ni mille, mais en bloc tantôt cinq mille, tantôt quatre mille» , et gagné au point qu’ils le suivaient jusqu’aux déserts, seuls capables de contenir la multitude assemblée de ceux qui croyaient en Dieu par Jésus, et ou il leur présentait non seulement ses discours mais ses actes. Par ses redites, Celse me force à l’imiter puisque j’évite avec soin de paraître négliger l’un quelconque de ses griefs. Sur ce point donc, suivant l’ordre de son écrit, il déclare “Alors que de son vivant il n’a persuadé personne, après sa mort ceux qui en ont le désir persuadent des multitudes n’est-ce point le comble de l’absurde. Il aurait dû dire, pour garder la logique si, après sa mort ceux qui en ont, pas simplement le désir, mais le désir et la puissance, persuadent des multitudes, combien est-il plus vraisemblable que pendant sa vie il en ait persuadé bien davantage par sa puissante parole et par ses actes. LIVRE II
A ce propos, je dirai encore aux gens mieux disposés et surtout au Juif . « il y avait beaucoup de lépreux aux jours d’Elisée le prophète, et aucun d’eux ne fut guéri, mais bien Naaman le Syrien », « il y avait beaucoup de veuves aux jours d’Élie le prophète, il ne fut envoyé a aucune d’entre elles, mais bien a celle de Sarepta au pays de Sidon », rendue digne, d’après une décision divine, du prodige que le prophète accomplit sur les pains , de même il y avait beaucoup de morts aux jours de Jésus, mais seuls ressuscitèrent ceux que le Logos a jugé convenable de ressusciter , afin que les miracles du Seigneur, non seulement soient des symboles de certaines ventes, mais qu’ils attirent sur-le-champ beaucoup d’hommes a l’admirable enseignement de l’Évangile. J’ajouterai que, selon la promesse de Jésus, les disciples ont accompli des oevres plus grandes que les miracles sensibles qu’accomplit Jésus. Car c’est continuellement que s’ouvrent les yeux des aveugles spirituels, et les oreilles des gens sourds aux discours sur la vertu écoutent avec empressement les enseignements sur Dieu et la vie bienheureuse près de lui. De plus, beaucoup, qui étaient boiteux en ce que l’Écriture appelle « l’homme intérieur », maintenant guéris par la doctrine, bondissent, non pas au sens propre, mais « à l’instar du cerf » animal ennemi des serpents et immunisé contre tout venin des vipères. Oui, ces boiteux guéris reçoivent de Jésus le pouvoir de passer, dans leur marche autrefois claudicante, sur « les serpents et les scorpions » du vice, et d’un mot, sur « toute la puissance de l’ennemi » ; ils les foulent aux pieds et n’en éprouvent aucun mal, car eux aussi ont été immunisés contre toute malice et venin des démons. LIVRE II
Jésus n’entendait pas détourner ses disciples de l’attachement aux sorciers en général, qui promettent d’accomplir des prodiges par n’importe quel moyen – ils n’avaient pas besoin d’une telle mise en garde -, mais de l’attachement à ceux qui se présenteraient comme le Christ de Dieu et s’efforceraient, grâce à des prestiges, de tourner vers eux les disciples de Jésus. Il dit donc : « Alors, si l’on vous dit : Tenez, voici le Christ ! ou le voilà ! n’en croyez rien. Il surgira en effet de faux christs et de faux prophètes qui produiront des signes et des prodiges considérables, capables d’abuser si c’était possible les élus eux-mêmes : telle est ma prédiction. Si donc on vous dit : le voici au désert, n’y allez pas ; le voilà dans les cachettes, n’en croyez rien. Comme l’éclair, en effet, part du levant et brille jusqu’au couchant, ainsi en sera-t-il à l’avènement du Fils de l’homme. » Et ailleurs : « Beaucoup me diront en ce jour : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons mangé, en ton nom que nous avons bu, en ton nom que nous avons chassé les démons et accompli nombre de miracles ? Et moi je leur dirai : écartez-vous de moi : vous êtes des artisans d’injustice. » Mais Celse, dans le désir d’assimiler les prodiges de Jésus à la sorcellerie humaine, dit littéralement ceci : ” O lumière et vérité ! De sa propre voix il annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers. Et il nomme un certain Satan, habile à contrefaire ces prodiges; il ne nie même pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants. Sous la contrainte de la vérité, il a en même temps démasqué la conduite des autres et confondu la sienne. N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure des mêmes oevres à la divinité de l’un et à la sorcellerie des autres ? Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à leur méchanceté plutôt qu’à la sienne sur son propre témoignage ? Elles sont en fait, et lui-même en convint, des signes distinctifs non d’une nature divine, mais de gens trompeurs et fort méchants. ” Voilà bien la preuve manifeste de la perfidie de Celse à l’égard de l’Évangile : ce que dit Jésus de ceux qui accompliront signes et prodiges diffère totalement de ce qu’affirmé le Juif de Celse. Bien sûr, si Jésus avait simplement dit à ses disciples de se mettre en garde contre ceux qui promettent des prodiges, sans ajouter de quel titre ils se pareraient, peut-être y aurait-il place pour le soupçon du Juif. Mais les gens dont Jésus veut que nous nous gardions professent qu’ils sont le Christ, ce que ne font pas les sorciers , il dit en outre qu’au nom de Jésus des gens à la vie déréglée feront certains miracles, expulseront des hommes les démons. Dés lors, s’il faut le dire, voilà bannie des personnages en question la sorcellerie et tout soupçon à leur adresse, et bien établie au contraire la puissance divine du Christ et celle de ses disciples car il était possible à qui usait de son nom, sous l’impulsion de je ne sais quelle puissance, de prétendre qu’il était le Christ, de paraître accomplir des actes comparables à ceux du Christ, et à d’autres de faire au nom de Jésus des prodiges apparemment voisins de ceux de ses authentiques disciples. LIVRE II
Qu’on nous dise dès lors si un trait du texte de l’Évangile ou de l’Apôtre peut prêter au soupçon que la sorcellerie soit prédite dans ce passage ! Et quiconque le désire pourra extraire en outre de Daniel la prophétie sur l’Antéchrist. Mais Celse calomnie les paroles de Jésus : il n’a pas dit que d’autres se présenteraient, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers, comme Celse le lui fait dire. En effet, la puissance des incantations d’Egypte n’est point pareille à la grâce miraculeuse dont disposait Moïse : l’issue a manifesté que les actions des Egyptiens étaient des sorcelleries, et celles de Moïse des oevres divines. De la même façon, les actions des antéchrists et de ceux qui prétendent faire des miracles à l’égal des disciples de Jésus sont qualifiées de « signes et de prodiges mensongers, sévissant dans toutes les séductions du mal à l’adresse de ceux qui sont voués à la perdition » ; celles du Christ et de ses disciples, au contraire, ont pour fruit non la séduction mais le salut des âmes. Qui donc peut raisonnablement soutenir que la vie vertueuse qui réduit chaque jour à un plus petit nombre les actions mauvaises provient d’une séduction ? Celse a deviné un trait de l’Écriture, quand il fait dire à Jésus qu’un certain Satan serait habile à contrefaire ces prodiges. Mais il ajoute une pétition de principe en affirmant que Jésus ne nie pas en eux tout caractère divin, mais qu’il y voit l’oevre de méchants. C’est renfermer dans une même catégorie des choses de catégorie différente. Comme le loup n’est pas de même espèce que le chien, malgré une ressemblance apparente dans la forme du corps et dans la voix, ni le pigeon ramier de même espèce que la colombe, ainsi une oevre de la puissance de Dieu n’a rien de pareil à ce qui provient de la sorcellerie. Autre réponse aux déloyautés de Celse : est-ce que des méchants démons feraient des miracles par sorcellerie, sans que la nature divine et bienheureuse en accomplisse aucun ? L’existence humaine est-elle accablée de maux, sans la moindre place pour les biens ? Or voici mon avis : dans la mesure où l’on doit admettre le principe général que là où l’on suppose un mal de même espèce que le bien, il existe nécessairement en face de lui un bien, de même aussi, en regard des actes exécutés par sorcellerie il en existe nécessairement qui sont dus à l’activité divine dans l’existence. En conséquence du même principe on peut ou supprimer les deux membres de l’affirmation et dire que ni l’un m l’autre ne se réalise, ou, posé l’un, ici le mal, reconnaître aussi le bien. Mais admettre les effets de la sorcellerie et nier les effets de la puissance divine équivaut, me semble-t-il, à soutenir qu’il y a des sophismes et des arguments plausibles éloignés de la vérité bien qu’ils feignent de l’établir, mais que la vérité et la dialectique étrangère aux sophismes n’ont aucun droit de cité parmi les hommes. Admet-on l’existence de la magie et de la sorcellerie exercée par les méchants démons, charmés par des incantations spéciales et dociles aux invitations des sorciers ? Il s’ensuit que doivent exister parmi les hommes les effets de la puissance divine. Alors pourquoi ne pas examiner soigneusement ceux qui prétendent faire des miracles et voir si leur vie, leurs moers, les résultats de ces miracles nuisent aux hommes ou redressent leurs moers ? Qui donc, au service des démons, obtient de tels effets au moyen de pratiques incantatoires et magiques. Qui au contraire, après s’être uni à Dieu, dans un lieu pur et saint, par son âme, son esprit et je croîs aussi par son corps, et avoir reçu un esprit divin, accomplit de tels actes pour faire du bien aux hommes et les exhorter à croire au vrai Dieu ? Admet-on la nécessité de chercher, sans tirer une conclusion précipitée des miracles, qui accomplit ces prodiges par un principe bon et qui, par un principe mauvais, de manière à éviter soit de tout déprécier, soit de tout admirer et accueillir comme divin ? Comment alors ne sera-t-il pas évident, d’après les événements du temps de Moïse et du temps de Jésus, puisque des nations entières se sont constituées à la suite de leurs miracles, que c’est par une puissance divine qu’ils ont accompli les oevres que la Bible atteste ? Car la méchanceté et la magie n’auraient pas constitué une nation entière qui a dépasse non seulement les idoles et les monuments construits par les hommes, mais encore toute nature créée, et qui s’élève jusqu’au principe incréé du Dieu de l’univers. LIVRE II
Mais le Juif, après avoir rapporté les histoires grecques de ces conteurs de merveilles et des soi-disant ressuscites des morts, dit aux Juifs qui croient en Jésus : «Pensez-vous que les aventures des autres soient des mythes en réalité comme en apparence, mais que vous auriez inventé à votre tragédie un dénouement noble et vraisemblable avec son cri sur la croix quand il rendit l’âme ? » Nous répondrons au Juif : les exemples que tu as cités, nous les tenons pour mythes, mais ceux des Écritures, qui nous sont communes avec vous et en égale vénération, nous nions absolument que ce soient des mythes. Voilà pourquoi nous croyons que ceux qui ont écrit sur les personnages autrefois ressuscites des morts n’usent pas de contes merveilleux ; nous croyons de même que Jésus est alors ressuscité tel qu’il l’a prédit et qu’il fut prophétisé. Mais voici en quoi sa résurrection des morts est plus miraculeuse que la leur : eux furent ressuscités par les prophètes Élie et Elisée ; Lui ne le fut par aucun des prophètes, mais par son Père qui est dans les cieux. Pour la même raison, sa résurrection a eu plus d’efficacité que la leur : car quel effet eut pour le monde la résurrection de petits enfants par Élie et Elisée, qui soit comparable à l’effet de la résurrection de Jésus prêchée et admise des croyants grâce à la puissance divine ? Il juge contes merveilleux le tremblement de terre et les ténèbres ; je les ai défendus plus haut de mon mieux en citant Phlégon qui a rapporté que ces faits survinrent au temps de la passion du Sauveur. Il ajoute, de Jésus : « Vivant, il ne s’est pas protégé lui-même ; mort, il ressuscita et montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées. » Je lui demande alors : que signifie « il s’est protégé lui-même » ? S’il s’agit de la vertu, je dirai qu’il s’est bel et bien protégé : sans dire ni faire quoi que ce fût d’immoral, mais vraiment « comme une brebis il a été conduit à l’abattoir, comme un agneau devant le tondeur il est resté muet », et l’Évangile atteste : « ainsi, il n’a pas ouvert la bouche ». Mais si l’expression « il s’est protégé » s’entend de choses indifférentes ou corporelles, je dis avoir prouvé par les Évangiles qu’il s’y est soumis de plein gré. Puis, après avoir rappelé les affirmations de l’Évangile : « ressuscité des morts, il montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées », il pose la question : « Qui a vu cela ? » et, s’en prenant au récit de Marie-Madeleine dont il est écrit qu’elle l’a vu, il répond : « Une exaltée, dites-vous ». Et parce qu’elle n’est pas la seule mentionnée comme témoin oculaire de Jésus ressuscité, et qu’il en est encore d’autres, le Juif de Celse dénature ce témoignage : « et peut-être quelque autre victime du même ensorcellement ». Ensuite, comme si le fait était possible, je veux dire qu’on puisse avoir une représentation imaginaire d’un mort comme s’il était en vie, il ajoute, en adepte d’Épicure, que « quelqu’un a eu un songe d’après une certaine disposition, ou, au gré de son désir dans sa croyance égarée, une représentation imaginaire » et a raconté cette histoire ; « chose, ajoute-t-il, arrivée déjà à bien d’autres ». Or c’est là, même s’il le juge très habilement dit, ce qui est propre néanmoins à confirmer une doctrine essentielle : l’âme des morts subsiste ; et pour qui admet cette doctrine, la foi en l’immortalité de l’âme ou du moins à sa permanence n’est pas sans fondement. Ainsi même Platon, dans son dialogue sur l’âme, dit qu’autour de tombeaux sont apparues à certains « des images semblables aux ombres », d’hommes qui venaient de mourir. Or ces images apparaissant autour des tombeaux des morts viennent d’une substance, l’âme qui subsiste dans ce qu’on appelle le « corps lumineux » Celse le rejette, mais veut bien que certains aient eu une vision en rêve et, au gré de leur désir, dans leur croyance égarée, une représentation imaginaire. Croire à 1’existence d’un tel songe n’est point absurde, mais celle d’une vision chez des gens qui ne sont pas absolument hors de sens, frénétiques ou mélancoliques, n’est pas plausible. Celse a prévu l’objection il parle d’une femme exaltée. Cela ne ressort pas du tout de l’histoire écrite d’où il tire son accusation Ainsi donc, après sa mort, Jésus, au dire de Celse, aurait provoqué une représentation imaginaire des blessures reçues sur la croix, sans exister réellement avec ces blessures. Mais suivant les enseignements de l’Evangile, dont Celse admet à sa guise certaines parties pour accuser, et rejette les autres, Jésus appela près de lui l’un des disciples qui ne croyait pas et jugeait le miracle impossible. Il avait bien donné son assentiment à celle qui assurait l’avoir vu, admettant la possibilité de voir apparaître l’âme d’un mort, mais il ne croyait pas encore vrai que le Christ fût ressuscite dans un corps résistant. D’où sa repartie « Si je ne vois, je ne croirai pas », puis ce qu’il ajoute « Si je ne mets ma main à la place des clous et ne touche son côté, je ne croirai pas. » Voilà ce que disait Thomas, jugeant qu’aux yeux sensibles pouvait apparaître le corps de l’âme « en tout pareil » a sa forme antérieure « par la taille, les beaux yeux, la voix », et souvent même « revêtu des mêmes vêtements » Mais Jésus l’appela près de lui « Avance ton doigt ici voici mes mains , avance ta main et mets-la dans mon côte , et ne sois plus incrédule, mais croyant » LIVRE II
Apres quoi Celse, blâmant ce qui est écrit, fait une objection non négligeable. Si Jésus voulait réellement manifester sa puissance divine, il aurait dû apparaître à ses ennemis, au juge, bref a tout le monde. Il est vrai que selon l’Évangile, il nous semble qu’après la résurrection il n’est point apparu comme auparavant en public et à tout le monde. S’il est écrit dans les Actes que, « leur apparaissant pendant quarante jours », il annonçait à ses disciples le Règne de Dieu, dans les Evangiles, il n’est pas dit qu’il fût sans cesse avec eux une fois, huit jours aprés, toutes portes closes, « il parut au milieu d’eux », puis une autre fois, dans des conditions semblables. Paul de même, vers la fin de sa première Épître aux Corinthiens, insinuant que Jésus n’apparut point en public comme au temps précédant sa passion, écrit : « Je vous ai transmis d’abord ce que j’ai reçu moi-même : que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures », qu’il est ressuscité, « qu’il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart vivent encore et quelques-uns sont endormis. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en tout dernier lieu, il m’est apparu à moi aussi, comme à l’avorton. » Qu’elles me paraissent grandes, admirables, sans proportion avec le mérite non seulement de la foule des croyants, mais encore de l’élite en progrès dans la doctrine, les vérités de ce que contient ce passage ! Elles pourraient montrer la raison pour laquelle, après sa résurrection d’entre les morts, il n’apparaît point comme auparavant. Mais, parmi les nombreuses considérations qu’exigé un traité écrit comme celui-ci contre le discours de Celse qui attaque les chrétiens et leur foi, vois si on peut en offrir quelques-unes de vraisemblables pour toucher ceux qui prêteront attention à notre défense. LIVRE II
J’ai donc répondu du mieux possible pour un traité de ce genre à l’objection : « Si Jésus voulait réellement manifester sa puissance divine, il aurait dû apparaître à ses ennemis, au juge, bref à tout le monde. » Non, il ne devait pas apparaître à son juge ni à ses ennemis. Car Jésus ménageait son juge et ses ennemis, pour qu’ils ne fussent point frappés d’aveuglement comme le furent les Sodomites lorsqu’ils conspirèrent à l’occasion des anges reçus en hospitalité chez Lot. Voici en quels termes l’incident est raconté « Mais les hommes étendirent les bras, firent rentrer Lot auprès d’eux dans la maison et refermèrent la porte. Quant aux hommes qui étaient à l’entrée de la maison, ils les frappèrent de berlue, du plus petit au plus grand, et ils n’arrivaient pas à trouver la porte » Jésus voulait donc manifester sa puissance divine à tous ceux qui étaient capables de la voir et dans la mesure de cette capacité de voir. Et il n’avait sans doute pas d’autre raison pour se garder d’apparaître que les capacités de ceux qui étaient inaptes à le voir. LIVRE II
Ensuite, son Juif dit, évidemment pour s’accommoder aux croyances des Juifs : Oui certes ! nous espérons ressusciter un jour dans notre corps et mener une vie éternelle, et que Celui qui nous est envoyé en sera le modèle et l’initiateur, prouvant qu’il n’est pas impossible à Dieu de ressusciter quelqu’un avec son corps. Je ne sais pas si le Juif dirait que le Christ attendu doit montrer en lui-même un modèle de la résurrection. Mais soit ! Accordons qu’il le pense et le dise. De plus, quand il dit nous avoir fait des citations de nos écrits, je réponds : n’as-tu pas, mon brave, en lisant ces écrits grâce auxquels tu prétends nous accuser, trouvé l’explication détaillée de la résurrection de Jésus, et qu’il est « le premier-né d’entre les morts » ? Ou, de ce que tu refuses de le croire, s’ensuit-il qu’il n’en ait rien été dit ? Mais puisque le Juif continue en admettant chez Celse la résurrection des corps, je pense que ce n’est pas ici l’occasion d’en traiter avec un homme qui croit et avoue qu’il y a une résurrection des corps, soit qu’il se l’explique nettement et puisse en fournir convenablement la preuve, soit qu’il ne le puisse pas mais donne à la doctrine une adhésion superficielle. Voilà donc notre réponse au Juif de Celse. Et puisqu’il dit encore : Où donc est-il, pour que nous puissions voir et croire ? nous lui répondrons : où donc est maintenant celui qui parle par les prophètes et qui a fait des prodiges, pour que nous puissions voir et croire que le Juif « est la part de Dieu ». Ou bien vous est-il permis de vous justifier du fait que Dieu ne s’est pas continuellement manifesté au peuple juif, tandis qu’à nous la même justification n’est pas accordée pour le cas de Jésus qui, une fois ressuscité, persuada ses disciples de sa résurrection ? Et il les persuada au point que par les épreuves qu’ils souffrent, ils montrent à tous que, les yeux fixés sur la vie éternelle et la résurrection, manifestée à eux en parole et en acte, ils se rient de toutes les épreuves de la vie. Après cela, le Juif dit : N’est-il descendu que pour nous rendre incrédules ? On lui répondra : il n’est pas venu pour provoquer l’incrédulité de Juifs ; mais, sachant d’avance qu’elle aurait lieu, il l’a prédite et il a fait servir l’incrédulité des Juifs à la vocation des Gentils. Car, par la faute des Juifs le salut est venu aux Gentils, à propos desquels le Christ dit chez les prophètes : « Un peuple que je ne connaissais pas s’est soumis à moi ; l’oreille tendue, il m’obéit » ; « Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas, j’ai apparu à ceux qui ne m’interrogeaient pas. » Et il est manifeste que les Juifs ont subi en cette vie le châtiment d’avoir traité Jésus comme ils l’ont fait. Les Juifs peuvent dire, s’ils veulent nous critiquer : Admirable est à votre égard la providence et l’amour de Dieu, de vous châtier, de vous avoir privés de Jérusalem, de ce qu’on nomme le sanctuaire, du culte le plus sacré ! Car s’ils le disent pour justifier la providence de Dieu, nous aurions un argument plus fort et meilleur ; c’est que la providence de Dieu est admirable, d’avoir fait servir le péché de ce peuple à l’appel par Jésus des Gentils au Royaume de Dieu, de ceux qui étaient étrangers aux alliances et exclus des promesses. Voilà ce que les prophètes ont prédit, disant qu’à cause du péché du peuple hébreu, Dieu appellerait non pas une nation, mais des élites de partout, et qu’ayant choisi « ce qu’il y a de fou dans le monde », il ferait que la nation inintelligente vienne aux enseignements divins, le Règne de Dieu étant ôté à ceux-là et donné à ceux-ci. Il suffît, entre bien d’autres, de citer à présent cette prophétie du cantique du Deutéronome sur la vocation des Gentils, attribuée à la personne du Seigneur : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles. Et moi je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai par une nation inintelligente.» Enfin, pour tout conclure, le Juif dit de Jésus : Il ne fut donc qu’un homme, tel que la vérité elle-même le montre et la raison le prouve. Mais s’il n’eût été qu’un homme, je ne sais comment il eût osé répandre sur toute la terre sa religion et son enseignement, et eût été capable sans l’aide de Dieu d’accomplir son dessein et de l’emporter sur tous ceux qui s’opposent à la diffusion de son enseignement, rois, empereurs, Sénat romain, et partout les chefs et le peuple. Comment attribuer à une nature humaine qui n’aurait eu en elle-même rien de supérieur la capacité de convertir une si vaste multitude ? Rien d’étonnant s’il n’y avait eu que des sages ; mais il s’y ajoutait les gens les moins raisonnables, esclaves de leurs passions, d’autant plus rebelles à se tourner vers la tempérance qu’ils manquaient de raison. Et parce qu’il était puissance de Dieu et sagesse du Père, le Christ a fait tout cela et le fait encore, malgré les refus des Juifs et des Grecs incrédules à sa doctrine. LIVRE II
Aussi ne cesserons-nous pas de croire en Dieu selon les règles données par Jésus et de chercher la conversion de ceux qui sont aveugles au point de vue religieux. Les aveugles véritables peuvent nous blâmer d’être aveugles, et ceux, Juifs et Grecs, qui séduisent leurs adeptes, nous reprocher à nous aussi de séduire les hommes. Belle séduction, en vérité, que de conduire de la licence à la tempérance, ou du moins au progrès vers la tempérance ; de l’injustice à la justice ou au progrès vers la justice, de la folie à la sagesse, ou sur le chemin de la sagesse ; de la timidité, du manque de caractère, de la lâcheté, au courage et à la persévérance exercée principalement dans les luttes pour garder la piété envers Dieu créateur de l’univers ! Jésus-Christ est donc venu, après avoir été prédit non par un seul prophète, mais par tous. Et c’est une nouvelle preuve de l’ignorance de Celse que de faire dire au personnage du Juif qu’un seul prophète a prédit le Christ. Le Juif mis en scène par Celse, et qui prétend parler au nom de sa propre loi, achève ici son argumentation, sans rien dire d’autre qui mérite d’être mentionné. Je terminerai donc, moi aussi, le second livre que j’ai composé contre son traité. Avec l’aide de Dieu, et par la puissance du Christ habitant dans notre âme, je m’appliquerai à répondre, dans un troisième livre, à ce que Celse a écrit dans la suite. LIVRE II
Ensuite Celse imagine que les Juifs, Egyptiens de race, auraient abandonne l’Egypte après s’être révoltes contre l’État égyptien et avoir méprisé les cérémonies religieuses usitées en Egypte , et il affirme : ce qu’ils ont fait aux Egyptiens, ils l’ont subi de ceux qui ont pris le parti de Jésus et cru en lui comme au Christ. Dans les deux cas, la cause de l’innovation fut la révolte contre l’État. Or il faut remarquer ici le procédé de Celse. Les Egyptiens d’autrefois ont accablé d’avanies la race des Hébreux qui, par suite d’une famine sévissant en Judée, étaient venus en Egypte. Et pour les torts infligés à des hôtes et des suppliants, ils ont subi le châtiment que devait nécessairement subir de la divine Providence toute une nation unanime dans son hostilité contre toute la race de ses hôtes qui ne lui avait fait aucun tort. Sous le coup des fléaux de Dieu, peu de temps après ils laissèrent, non sans peine, aller où ils voulaient ceux qu’ils avaient injustement asservis. En égoïstes qui font plus de cas de n’importe quels compatriotes que d’hôtes plus vertueux, ils n’abandonnèrent pas une seule accusation portée contre Moïse et les Hébreux : sans nier entièrement les miracles prodigieux de Moïse, ils les attribuèrent à la magie, non à une puissance divine. Mais Moïse était non pas magicien mais un homme pieux ; consacré au Dieu de l’univers, participant d’un esprit divin, il institua des lois pour les Hébreux sous la dictée de Dieu, et consigna les événements tels qu’ils existèrent en réalité. LIVRE III
Même dans les oracles d’Apollon Pythien on trouverait des injonctions déraisonnables. J’en citerai deux exemples. Il ordonna que Cléomèdès, le pugiliste, je crois, reçût les honneurs divins, comme s’il voyait je ne sais quoi de vénérable dans l’art du pugilat ; mais il n’attribua ni à Pythagore ni à Socrate les mêmes honneurs qu’à ce pugiliste. En outre il a qualifié de « serviteur des Muses » Archiloque, auteur qui manifeste son talent poétique en un sujet d’une extrême grossièreté et impudeur, et révéla un caractère immoral et impur : en le qualifiant de « serviteur des Muses » qui passent pour des déesses, il proclamait sa piété. Or je ne sais si même le premier venu appellerait pieux l’homme qui n’est pas orné de toute modération et vertu, et si un homme honnête oserait dire les propos des ïambes inconvenants d’Archiloque. Mais s’il est flagrant que rien de divin ne caractérise la médecine d’Asclépios et la divination d’Apollon, comment, même en concédant les faits, raisonnablement les adorer comme de pures divinités ? Et surtout lorsqu’Apollon, l’esprit divinateur pur de toute corporalité terrestre, s’introduit par le sexe dans la prophétesse assise à l’ouverture de la grotte de Pytho. Nous ne croyons rien de pareil sur Jésus et sa puissance : son corps, né de la Vierge, était constitué d’une matière humaine, apte à subir blessures et mort d’homme. LIVRE III
Jésus lui-même et ses disciples voulaient en effet que leurs adhérents ne croient pas seulement à sa divinité et à ses miracles comme s’il n’avait point participé à la nature humaine et pris cette chair qui chez les hommes convoite « contre l’esprit ». Mais ils voyaient en outre que la puissance qui est descendue jusqu’à la nature humaine et aux vicissitudes humaines, et a pris une âme et un corps d’homme, contribuerait, parce qu’elle est objet de foi, en même temps que les réalités divines, au salut des croyants. Ceux-ci voient qu’avec Jésus la nature divine et la nature humaine ont commencé à s’entrelacer, afin que la nature humaine, par la participation à la divinité, soit divinisée, non dans Jésus seul mais encore en tous ceux qui, avec la foi, adoptent le genre de vie que Jésus a enseigné et qui élève à l’amitié pour Dieu et à la communion avec lui quiconque vit suivant les préceptes de Jésus. LIVRE III
Ainsi, par exemple, l’église de Dieu d’Athènes est pacifique et ordonnée dans son désir de plaire au Dieu suprême ; l’assemblée des Athéniens est tumultueuse sans aucun rapport avec l’église de Dieu de là-bas. De même, l’église de Dieu de Corinthe et l’assemblée du peuple de Corinthe et, si l’on veut, l’église de Dieu d’Alexandrie et l’assemblée du peuple d’Alexandrie. En apprenant cela, tout esprit judicieux qui examine sincèrement les faits sera dans l’admiration pour Celui qui a eu la décision et la puissance d’établir partout des églises de Dieu voisinant dans chaque cité avec l’assemblée du peuple. De même aussi en comparant le conseil de l’Église de Dieu avec le sénat de chaque cité, on trouvera que certains membres du Conseil de l’Église, s’il est une cité de Dieu dans l’univers méritent d’y exercer le pouvoir, tandis que les sénateurs de partout ne présentent rien dans leurs moers qui les rende dignes de l’autorité prééminente par laquelle ils semblent dominer les citoyens. De même enfin, il faut comparer le chef de l’église de chaque cité avec le gouverneur politique, pour remarquer que même chez les membres du conseil et les chefs de l’église qui, par leur vie indolente, demeurent inférieurs aux plus actifs, on peut néanmoins discerner en général un progrès vers les vertus qui l’emporte sur les moers des sénateurs et gouverneurs des cités. LIVRE III
Celse pour montrer qu’il a lu beaucoup d’histoires grecques cite encore celle de Cléomède d’Astypalée, et raconte : Celui-ci entra dans un coffre, s’enferma à l’intérieur, et on ne put l’y retrouver, mais il s’en était envolé par une providence miraculeuse, lorsqu’on vint briser le coffre pour le prendre. Cette histoire, si elle n’est pas une fiction comme elle semble l’être, n’est point comparable à celle de Jésus ; car la vie de ces hommes ne présente aucune preuve de la divinité qu’on leur attribue, alors que celle de Jésus a pour preuves les églises de ceux qu’il a secourus, les prophéties faites à son sujet, les guérisons accomplies en son nom, la connaissance de ces mystères dans la sagesse et la raison que l’on trouve chez ceux qui s’appliquent à dépasser la simple foi et à scruter le sens des Écritures ; car tel est l’ordre de Jésus : « Scrutez les Écritures », telle est l’intention de Paul qui a enseigné que nous devons « savoir répondre à chacun » comme il se doit, et celle d’un autre auteur qui a dit : « Soyez toujours prêts à la défense contre quiconque demande raison de la foi qui est en vous. » Mais Celse veut qu’on lui accorde qu’il ne s’agit pas d’une fiction : à lui de dire le dessein de la puissance surhumaine qui a fait envoler Cléomède de l’intérieur du coffre par une providence miraculeuse. Car s’il présente de cette faveur faite à Cléomède une raison valable et une intention digne de Dieu, on jugera de la réponse à lui faire. Mais s’il demeure embarrassé pour en donner la moindre raison plausible, parce que, de toute évidence, cette raison est impossible à trouver, ou bien en accord avec ceux qui ont refusé d’admettre cette histoire, on prouvera sa fausseté, ou bien on dira qu’en faisant disparaître l’homme d’Astypalée, un démon a joué un tour semblable à ceux des sorciers et trompé les regards ; et cela contre Celse qui a pensé qu’un oracle divin avait déclaré qu’il s’était envolé du coffre par une providence miraculeuse. LIVRE III
Mais en réponse à de tels propos, tenus je ne sais pourquoi, j’aurais plaisir à lui poser les questions pertinentes que voici : N’ont-ils donc aucune réalité ceux que tu as énumérés ? Et n’y a-t-il aucune puissance ni à Lébadia pour Trophonios ni au temple d’Amphiaraos à Thèbes, ni en Acarnanie pour Amphilochos, ni en Cilicie pour Mopsos ? Ou bien y a-t-il dans ces sanctuaires quelqu’un, démon, héros ou dieu, pour accomplir ces oevres dépassant le pouvoir de l’homme ? S’il répond qu’il n’y a rien d’autre, ni démon, ni dieu pour ces sanctuaires, qu’au moins donc il avoue son opinion personnelle : épicurien, il n’admet pas les mêmes doctrines que les Grecs, ne reconnaît pas l’existence des démons, ni même n’honore les dieux comme les Grecs. Et la preuve sera faite qu’il a eu tort d’introduire les exemples précédents, comme s’il en admettait l’authenticité, et ceux qu’il présente dans la suite. Mais s’il professe que ceux qu’il a énumérés sont des démons, des héros ou même des dieux, qu’il voie qu’il établirait par ce qu’il a dit ce qu’il refuse : que Jésus aussi était un être de même nature, et que pour cette raison, il a eu le pouvoir de se présenter à bien des hommes comme venu au genre humain de la part de Dieu. Et vois si cette première concession ne doit pas le contraindre à reconnaître en Jésus plus de force qu’en ceux au nombre desquels il l’a placé. Aucun d’eux, en effet, n’interdit le culte rendu aux autres ; mais Lui, plein d’assurance sur lui-même, parce qu’il est plus fort que tous, défend de les reconnaître comme dieux, parce qu’ils sont de méchants démons qui ont pris possession de lieux terrestres, dans leur incapacité d’atteindre les régions pures et divines où ne parviennent point les grossièretés de la terre et ses maux innombrables. LIVRE III
Il en vient ensuite au mignon d’Adrien – je parle de l’adolescent Antinoos – , et aux honneurs qui lui sont rendus dans la ville d’Egypte Antinoopolis, et il pense qu’ils ne diffèrent en rien de notre culte pour Jésus. Eh bien ! réfutons cette objection dictée par la haine. Quel rapport peut-il y avoir entre Jésus que nous vénérons et la vie du mignon d’Adrien qui n’avait pas même su garder sa virilité d’un attrait féminin morbide ? Contre Jésus, ceux mêmes qui ont porté mille accusations et débité tant de mensonges, n’ont pas pu alléguer la moindre action licencieuse. De plus, si on soumettait à une étude sincère et impartiale le cas d’Antinoos, on découvrirait des incantations égyptiennes et des sortilèges à l’origine de ses prétendus prodiges à Antinoopolis, même après sa mort. On rapporte que c’est la conduite, dans d’autres temples, suivie par les Égyptiens et autres gens experts en sorcellerie : ils fixent en certains lieux des démons pour rendre des oracles, guérir, et souvent mettre à mal ceux qui ont paru transgresser les interdits concernant les aliments impurs ou le contact du cadavre d’un homme ; ils veulent effrayer ainsi la foule des gens incultes. Voilà celui qui passe pour dieu à Antinoopolis d’Egypte : ses vertus sont des inventions mensongères de gens qui vivent de fourberies, tandis que d’autres, bernés par le démon qui habite en ce lieu, et d’autres, victimes de leur conscience faible, s’imaginent acquitter une rançon divinement voulue par Antinoos ! Voilà les mystères qu’ils célèbrent et leurs prétendus oracles ! Quelle différence du tout au tout avec ceux de Jésus ! Non, ce n’est pas une réunion de sorciers qui, pour complaire à l’ordre d’un roi ou à la prescription d’un gouverneur, ont décidé de faire de lui un dieu. Mais le Créateur même de l’univers, par l’effet de la puissance persuasive de sa miraculeuse parole, l’a constitué digne du culte non seulement de tout homme qui cherche la sagesse, mais encore des démons et autres puissances invisibles. Jusqu’à ce jour, celles-ci montrent ou qu’elles craignent le nom de Jésus comme celui d’un être supérieur, ou qu’elles lui obéissent avec respect, comme à leur chef légitime. S’il n’avait pas été ainsi constitué par la faveur de Dieu, les démons à la seule invocation de son nom ne se retireraient pas sans résistance de leurs victimes. LIVRE III
La foi en Antinoos ou l’un de est, si j’ose dire, due à la malchance. La foi en Jésus, elle, paraît soit due à la chance, soit la conclusion d’une étude sérieuse. Elle est due à la chance pour la multitude, elle est la conclusion d’une étude sérieuse pour le tout petit nombre. En disant qu’une foi est, à parler vulgairement, due à la chance, je n’en rapporte pas moins la raison à Dieu qui sait les causes du sort assigné à tous ceux qui viennent à l’existence humaine. D’ailleurs les Grecs diront que même pour ceux qu’on tient pour les plus sages, c’est à la chance qu’ils doivent le plus souvent par exemple d’avoir eu tels maîtres et rencontré les meilleurs, quand d’autres enseignaient les doctrines opposées, et d’avoir reçu leur éducation parmi l’élite. Car beaucoup ont leur éducation dans un tel milieu qu’il ne leur est pas même donné de recevoir une représentation des biens véritables, mais ils restent dès leur prime enfance avec les mignons d’hommes ou de maîtres licencieux, ou dans une autre condition misérable qui empêche leur âme de regarder vers le haut. Il est certes probable que la Providence a ses raisons pour permettre ces inégalités et il n’est guère facile de les mettre à la portée du commun. Voilà ce que j’ai cru devoir répondre dans l’intervalle en digression au reproche : Telle est la puissance de la foi qu’elle préjuge n’importe quoi. Il fallait, en effet, souligner que la différence d’éducation explique la diversité de la foi chez les hommes : leur foi est due à la chance ou à la malchance ; et conclure de là qu’il peut sembler que même pour les gens à l’esprit vif, ce qu’on nomme la chance et ce qu’on appelle la malchance contribuent à les faire paraître plus raisonnables et à leur faire donner aux doctrines une adhésion d’ordinaire plus raisonnable. Mais en voilà assez sur ce point. Il faut considérer les paroles suivantes où Celse dit que notre foi, s’emparant de notre âme, crée une telle adhésion à Jésus. Il est bien vrai que notre foi crée une telle adhésion. Mais vois si cette foi ne s’avère pas louable quand nous nous confions au Dieu suprême, en exprimant notre reconnaissance à Celui qui nous a conduits à une telle foi, en affirmant que ce n’est pas sans l’aide de Dieu qu’il a osé et accompli une telle entreprise. Nous croyons aussi à la sincérité des Evangélistes, que nous devinons à la piété et à la conscience manifestées dans leurs écrits, où il n’est trace d’inauthenticité, de tromperie, de fiction ou d’imposture. Car nous en avons l’assurance : des âmes qui n’ont point appris les procédés enseignés chez les Grecs par la sophistique artificieuse, fort spécieuse et subtile, et l’art oratoire en usage aux tribunaux, n’auraient pas été capables d’inventer des histoires pouvant d’elles-mêmes conduire à la foi et à la vie conforme à cette foi. Je pense aussi que Jésus a voulu avoir de tels hommes comme maîtres de doctrine pour ne pas donner lieu d’y soupçonner de spécieux sophismes1, mais faire éclater aux yeux des gens capables de comprendre que la sincérité d’intention des écrivains unie, pour ainsi dire, à tant de simplicité, avait mérité une vertu divine bien plus efficace que ne semblent pouvoir être l’abondance oratoire, la composition des périodes, la fidélité aux divisions et aux règles de l’art grec. LIVRE III
Mais vois si les doctrines de notre foi, en parfaite harmonie dès l’origine avec les notions communes, ne transforment pas les auditeurs judicieux. Car même si la perversion, soutenue par une ample culture, a pu implanter dans la foule l’idée que les statues sont des dieux, et que les objets d’or, d’argent, d’ivoire, de pierre, sont dignes d’adoration, la notion commune exige de penser que Dieu n’est absolument pas une matière corruptible et ne peut être honoré sous les formes façonnées par les hommes dans des matières inanimées qui seraient « à son image » ou comme des symboles. Aussi, d’emblée, est-il dit des images qu’« elles ne sont pas des dieux » et de ces objets fabriqués qu’ils ne sont pas comparables au Créateur, étant si minimes par rapport au Dieu suprême qui créa, maintient et gouverne l’ensemble de l’univers. Et d’emblée, comme si elle reconnaissait sa parenté, l’âme raisonnable rejette ceux qui lui avaient jusque-là paru être des dieux, et recouvre son amour naturel pour le Créateur ; et, à cause de cet amour, elle accueille aussi Celui qui le premier a donné ces enseignements à toutes les nations, par les disciples qu’il a établis et envoyés avec puissance et autorité divines prêcher la doctrine sur Dieu et sur son Règne. LIVRE III
Pour en venir aux livres écrits après Jésus, on y trouverait que les foules de croyants écoutent les paraboles comme si elles étaient au dehors et seulement dignes des doctrines exotériques ; mais les disciples reçoivent en particulier l’explication des paraboles. Car Jésus « expliquait toutes choses en particulier à ses disciples », préférant aux foules ceux qui aspiraient à sa sagesse. Il fait la promesse à ceux qui croient en lui de leur envoyer sages et scribes : « Voici que je vais vous envoyer des sages et des scribes, et on en fera mourir sur la croix. » De plus, dans sa liste des charismes donnés par Dieu, Paul place d’abord le discours de sagesse, en second lieu, comme lui étant inférieur, le discours de science, et en troisième lieu, comme au-dessous encore, la foi. Et parce qu’il estimait davantage le discours que les réalisations de prodiges, il met les « actes de puissance » et les « dons de guérir » au-dessous des charismes de discours. Et dans les Actes des apôtres, Étienne atteste la science étendue de Moïse, en se fondant certainement sur des livres anciens et inaccessibles à la foule. Car il dit : « Moïse fut instruit dans toute la sagesse des Égyptiens. » Et c’est pourquoi, lors de ses prodiges, on le soupçonnait de les accomplir non pas, comme il le proclamait, par la puissance de Dieu, mais grâce à son habileté dans les sciences d’Egypte. C’est bien ce soupçon qui poussa le roi à mander les enchanteurs, les sages et les magiciens d’Egypte, mais leur néant se révéla devant la sagesse de Moïse qui surpassait toute la sagesse des Égyptiens. LIVRE III
De plus il est probable que les paroles de Paul dans la Première aux Corinthiens, Grecs fort enflés de la sagesse grecque, ont conduit certains à croire que le Logos exclut les sages. Que celui qui aurait cette opinion comprenne bien. Pour blâmer des méchants, le Logos déclare qu’ils ne sont pas des sages relativement à l’intelligible, l’invisible, l’éternel, mais parce qu’ils ne s’occupent que du sensible, à quoi ils réduisent toutes choses, ils sont des sages de ce monde. De même, dans la multitude des doctrines, celles qui, prenant parti pour la matière et les corps, soutiennent que toutes les réalités fondamentales sont des corps, qu’en dehors d’eux il n’existe rien d’autre, ni « invisible », ni « incorporel », le Logos les déclare « sagesse de ce monde », vouée à la destruction, frappée de folie, sagesse de ce siècle. Mais il déclare « sagesse de Dieu » celles qui élèvent l’âme des choses d’ici-bas au bonheur près de Dieu et à « son Règne », qui enseignent à mépriser comme transitoire tout le sensible et le visible, à chercher avec ardeur l’invisible et tendre à ce qu’on ne voit pas. Et parce qu’il aime la vérité, Paul dit de certains sages grecs, pour les points où ils sont dans le vrai : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâces. » Il rend témoignage à leur connaissance de Dieu. Il ajoute qu’elle ne peut leur venir sans l’aide de Dieu, quand il écrit : « Car Dieu le leur a manifesté. » Il fait allusion, je pense, à ceux qui s’élèvent du visible à l’invisible, quand il écrit : « Les oevres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit, et son éternelle puissance et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâce. » Mais il a un autre passage : « Aussi bien, frères, considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de vil et qu’on méprise, Dieu l’a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est ; afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant lui. » Et peut-être à cause de ce passage, certains furent-ils incités à croire qu’aucun homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ne s’adonne à la doctrine. A quoi je répondrai : on ne dit pas « aucun sage selon la chair », mais « pas beaucoup de sages selon la chair ». Et il est clair que, parmi les qualités caractéristiques des « évêques », quand il écrit ce que doit être l’évêque, Paul a fixé celle de didascale, en disant : il faut qu’il soit capable « de réfuter aussi les contradicteurs », afin que, par la sagesse qui est en lui, il ferme la bouche aux vains discoureurs et aux séducteurs. Et de même qu’il préfère pour l’épiscopat un homme marié une seule fois à l’homme deux fois marié, « un irréprochable » à qui mérite reproche, « un sobre » à qui ne l’est pas, « un tempérant » à l’intempérant, « un homme digne » à qui est indigne si peu que ce soit, ainsi veut-il que celui qui sera préféré pour l’épiscopat soit capable d’enseigner et puisse « réfuter les contradicteurs ». Comment donc Celse peut-il raisonnablement nous attaquer comme si nous disions : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Au contraire : Qu’il vienne l’homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ! Et qu’il vienne de même, celui qui est ignorant, insensé, inculte, petit enfant ! Car le Logos, s’ils viennent, leur promet la guérison, et rend tous les hommes dignes de Dieu. LIVRE III
Rien d’étonnant d’ailleurs à ce que l’ordre, la composition, l’élocution de ces discours philosophiques aient produit ces résultats en ceux qu’on a nommés et en d’autres dont la vie avait été mauvaise. Mais à considérer que les discours qualifiés par Celse de vulgaires sont remplis de puissance à la manière des incantations, à voir ces discours convertir d’innombrables multitudes des désordres à la vie la plus réglée, des injustices à l’honnêteté, des timidités et des lâchetés à une fermeté poussée jusqu’au mépris de la mort pour la religion qu’ils croyaient vraie, que de justes raisons d’admirer la puissance de ce discours ! Car « le discours » de ceux qui ont, à l’origine, donné cet enseignement et travaillé à établir les églises de Dieu, ainsi que leur « prédication » eurent une puissance persuasive, bien différente de la persuasion propre à ceux qui prônent la sagesse de Platon ou d’un autre philosophe qui, étant hommes, n’avaient rien d’autre qu’une nature humaine. La démonstration dont usaient les apôtres de Jésus avait été donnée par Dieu et tenait sa vertu persuasive de « l’Esprit et de la puissance ». De là vient la rapidité et la pénétration avec laquelle s’est répandue leur parole, ou plutôt celle de Dieu, qui, par eux, changea un grand nombre de ceux qui étaient naturellement enclins à pécher et en avaient l’habitude. Et ceux qu’un homme n’eût pas changés, même par le châtiment, le Logos les a recréés, les formant et les modelant à son gré. LIVRE III
Puis, comme de la bouche de notre maître de doctrine, il énonce : Les sages repoussent ce que nous disons, égarés et entravés qu’ils sont par leur sagesse. A cela donc je répondrai : s’il est vrai que « la sagesse » est la science « des choses divines et humaines » et de leurs causes, ou comme la définit la parole divine : « le souffle de la puissance de Dieu, l’effusion toute pure de la gloire du Tout-Puissant, le reflet de la gloire éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, l’image de sa bonté », jamais un véritable sage ne repoussera ce que dit un chrétien qui a une vraie connaissance du christianisme, ni ne sera égaré et entravé par la sagesse. Car la vraie sagesse n’égare pas, mais bien l’ignorance, et la seule réalité solide est la science et la vérité qui proviennent de la sagesse. Si, contrairement à la définition de la sagesse, on donne le nom de sage à qui soutient par des sophismes n’importe quelle opinion, nous admettrons que celui que qualifie cette prétendue sagesse repousse les paroles de Dieu, égaré et entravé qu’il est par des raisons spécieuses et des sophismes. Mais d’après notre doctrine, « la science du mal n’est pas la sagesse » ; « la science du mal » pour ainsi parler, réside en ceux qui tiennent des opinions fausses et sont abusés par des sophismes ; aussi dirai-je qu’elle est chez eux ignorance plutôt que sagesse. LIVRE III
J’en viens à un quatrième livre contre les objections qui suivent, après avoir prié Dieu par le Christ. Puissent m’être données de ces paroles dont il est écrit dans Jérémie, quand le Seigneur parlait au prophète : « Voici que j’ai mis dans ta bouche mes paroles comme un feu, voici que je t’ai établi en ce jour sur les nations et les royaumes, pour déraciner et pour détruire, pour perdre et pour abattre, pour bâtir et pour planter. » J’ai besoin désormais de paroles capables de déraciner les idées contraires à la vérité de toute âme trompée par le traité de Celse ou par des pensées semblables aux siennes. J’ai aussi besoin d’idées qui renversent les édifices de toute opinion fausse et les prétentions de l’édifice de Celse dans son traité, pareilles à la construction de ceux qui disent : « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel. » J’ai encore besoin d’une sagesse qui abatte toutes les puissances altières qui s’élèvent « contre la connaissance de Dieu », et la puissance altière de la jactance de Celse qui s’élève contre nous. Et puisque je ne dois pas me borner à déraciner et à détruire toutes ces erreurs, mais, à la place de ce qui est déraciné, planter la plantation du champ de Dieu, à la place de ce qui est détruit, construire l’édifice de Dieu et le temple de la gloire de Dieu, voilà autant de raisons pour lesquelles je dois prier le Seigneur, dispensateur des dons mentionnés dans Jérémie, de me donner à moi aussi des paroles efficaces pour bâtir l’édifice du Christ et planter la loi spirituelle et les paroles des prophètes qui s’y rapportent. Il me faut surtout établir, contre les objections actuelles de Celse faisant suite aux précédentes, que l’avènement du Christ a bel et bien été prédit. En effet, il se dresse à la fois contre les Juifs et les chrétiens : les Juifs qui refusent que la venue du Christ soit déjà réalisée mais espèrent qu’elle aura lieu, et les chrétiens qui professent que Jésus est le Christ prédit, et il affirme : Voici la prétention de certains chrétiens et des Juifs : un Dieu ou Fils de Dieu, selon les uns est descendu, selon les autres descendra sur la terre pour en juger les habitants : propos si honteux qu’il n’est pas besoin d’un long discours pour le réfuter. Il semble bien parler avec exactitude quand il dit, non pas certains Juifs, mais tous les Juifs croient que quelqu’un descendra sur la terre, tandis que certains chrétiens seulement disent qu’il est descendu. Il veut indiquer ceux qui établissent par les Écritures juives que la venue du Christ a déjà eu lieu, et il paraît connaître l’existence de sectes qui nient que le Christ Jésus soit la personne prophétisée. Or j’ai déjà établi plus haut de mon mieux que le Christ avait été prophétisé ; aussi ne reviendrai-je pas sur les nombreuses preuves qui pourraient être fournies sur ce point, afin d’éviter les redites. Vois donc que s’il avait voulu, avec une logique au moins apparente, renverser la foi aux prophéties ou à l’avènement futur ou passé du Christ, il devait citer les prophéties mêmes auxquelles, chrétiens ou Juifs, nous avons recours dans nos débats. Ainsi il eût, du moins en apparence, détourné ceux qui sont attirés, à l’en croire, par leur caractère spécieux, de l’adhésion aux prophéties et de la foi, fondée sur elles, en Jésus comme au Christ. LIVRE IV
J’ai donné ces quelques raisons entre bien d’autres pour répondre à la question de Celse : « Quel but aurait donc pour Dieu, une telle descente ? » Mais Celse invente des propos qui ne sont ni ceux des Juifs ni les nôtres : Est-ce pour apprendre ce qui se passe chez les hommes ? Car aucun de nous ne dit que le Christ soit venu en cette vie pour apprendre ce qui se passe parmi les hommes. Puis, comme si certains disaient que c’est pour apprendre ce qui se passe chez les hommes, il répond à la question posée : Ne sait-il donc pas tout ? Et, comme si nous répondions oui, il élève un nouveau doute : Est-ce alors que, sachant, il ne réforme pas et ne peut réformer par sa puissance divine? Autant de sottises que de mots ! Sans cesse, en effet, par son Logos qui descend à chaque génération dans les âmes pieuses et les constitue amies de Dieu et prophètes, Dieu réforme ceux qui écoutent ses paroles ; et au temps de la venue du Christ, il réforme par l’enseignement du christianisme, non les récalcitrants, mais ceux qui ont choisi la meilleure vie qui plaît à Dieu. Mais je ne sais quelle réforme Celse désire réalisée quand il soulève une nouvelle question : Lui est-il donc impossible de réformer par sa puissance divine, sans envoyer quelqu’un voué par nature à ce dessein ? Aurait-il donc voulu que la réforme fût produite chez des hommes dotés de visions par Dieu qui, ayant soudain ôté la malice, implanterait la vertu ? On pourrait demander si ce serait conforme à la nature ou même possible. Je dirais : admettons que ce soit possible ; mais qu’en sera-t-il de notre liberté ? En quoi l’adhésion à la vérité sera-t-elle louable, digne d’approbation le refus du mensonge? Et même une fois concédé que la chose est possible et convenable, pourquoi ne pas poser tout d’abord la question, calquée sur l’affirmation de Celse : était-il donc impossible à Dieu de créer par sa divine puissance une humanité qui n’eût pas besoin de réforme, immédiatement vertueuse et parfaite, sans l’existence de la moindre malice ? Conception qui peut séduire les gens simples et inintelligents, mais non celui qui examine la nature des choses. Car détruire la liberté de la vertu, c’est en détruire l’essence même. Le sujet exigerait toute une étude. Les Grecs même en ont longuement traité dans leurs livres sur la Providence, et ne souscriraient point à la proposition de Celse : « Il sait, mais ne réforme pas, et il lui est impossible de réformer par sa puissance divine. » Moi aussi, à maintes reprises, j’en ai traité de mon mieux, et les divines Écritures l’ont prouvé à ceux qui peuvent les comprendre. LIVRE IV
Et s’il le sait, pourquoi ne réforme-t-il pas ? Nous faut-il expliquer pourquoi, bien qu’il le sache, il ne réforme pas? Alors que toi qui, dans ton ouvrage, ne te montres pas précisément comme épicurien, mais affectes de reconnaître la Providence, tu n’auras pas eu à dire également pourquoi Dieu, sachant tout ce qui se passe chez les hommes, ne réforme pas, et ne délivre point tous les hommes du mal par sa puissance divine. Mais nous n’avons pas honte de dire que Dieu envoie sans cesse des gens pour réformer les hommes : c’est par un don de Dieu que se trouvent dans l’humanité les doctrines qui les invitent aux plus hautes vertus. Or parmi les ministres de Dieu, il y a bien des différences : il en est peu qui prêchent dans toute sa pureté la doctrine de la vérité et réalisent une parfaite réforme. Tels furent Moïse et les prophètes. Mais supérieure à leur oeuvre à tous est la réforme opérée par Jésus qui a voulu guérir, non seulement les habitants d’un coin de la terre, mais, autant qu’il dépendait de lui, ceux du monde entier ; car il est venu comme « Sauveur de tous les hommes ». LIVRE IV
Après quoi le très noble Celse, je ne sais pour quelle raison, nous fait une difficulté de ce que nous dirions : Dieu en personne descendra vers les hommes. Selon lui il en résulte qu’il abandonne son trône. C’est qu’il ignore la puissance de Dieu, et que « l’Esprit du Seigneur remplit l’univers, et que, lien de toutes choses, il sait tout ce qui se dit ». LIVRE IV
Il ne peut pas comprendre la parole : « Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas, moi, dit le Seigneur ». Il ne voit pas que, selon la doctrine des chrétiens, tous ensemble « nous avons en lui la vie, le mouvement et l’être » comme Paul l’a enseigné dans son discours aux Athéniens. Alors, même quand le Dieu de l’univers par sa propre puissance descend avec Jésus dans l’existence humaine, même quand le Logos, « au commencement près de Dieu » et Dieu lui-même, vient vers nous, il ne quitte pas sa place et n’abandonne pas son trône, comme s’il y avait d’abord un lieu vide de lui, puis un autre plein de lui, qui auparavant ne le contenait pas. Au contraire la puissance et la divinité de Dieu vient par celui qu’il veut et en qui il trouve une place, sans changer de lieu ni laisser sa place vide pour en remplir une autre. LIVRE IV
Mais s’il faut dire que des choses changent par la présence de la puissance de Dieu, et par la venue du Logos vers les hommes, nous dirons sans hésiter que c’est changer de la perversité à la vertu, de la licence à la tempérance, de la superstition à la piété que d’ouvrir son âme à la venue du Logos de Dieu. LIVRE IV
Si tu veux ma réponse aux plus ridicules propos de Celse, entends-le dire : Mais peut-être Dieu, méconnu parmi les hommes, et se jugeant par là diminué, voudrait-il être reconnu et mettre à l’épreuve les croyants et les incrédules, tout comme les parvenus avides d’ostentation ? C’est là prêter à Dieu une ambition excessive et trop humaine! Ma réponse est que Dieu, méconnu par la méchanceté des hommes, voudrait être reconnu, non qu’il s’en juge diminué, mais parce que sa connaissance délivre du malheur celui qui le reconnaît. De plus, ce n’est pas dans le dessein de mettre à l’épreuve les croyants ou les incrédules qu’il habite lui-même dans certains par sa mystérieuse et divine puissance ou leur envoie son Christ ; c’est pour écarter de tout malheur les croyants qui accueillent sa divinité et pour ôter aux incrédules l’occasion d’excuser leur manque de foi sous prétexte qu’ils n’ont pas entendu son enseignement. Dès lors, quel argument peut montrer que, dans la logique de notre doctrine, Dieu serait d’après nous comme les parvenus avides d’ostentation ? Loin d’être avide d’ostentation à notre égard quand il désire nous faire connaître et comprendre son excellence, Dieu veut implanter en nous la félicité qui naît dans nos âmes du fait qu’il est connu de nous ; et il prend à coeur, par le Christ et l’incessante venue du Logos, de nous faire recevoir l’intimité avec lui. La doctrine chrétienne ne prête donc à Dieu aucune ambition humaine. LIVRE IV
En réponse, on peut arguer tant de la nature du Logos divin qui est Dieu, que de l’âme de Jésus. De la nature du Logos : de même que la qualité des aliments, pour convenir au tempérament du bébé, se change en lait dans la nourrice, ou est apprêtée par le médecin comme l’exige la santé du malade, ou est adaptée aux forces de celui qui est plus robuste : ainsi Dieu change pour les hommes suivant les besoins de chacun la puissance de son Logos naturellement destiné à nourrir l’âme humaine. Il devient pour l’un, comme dit l’Écriture, « un lait spirituel pur », pour l’autre encore trop faible, comme un légume, tandis qu’on donne au parfait « une nourriture solide ». Assurément le Logos ne ment pas sur sa propre nature, quand il nourrit chacun dans la mesure où il peut l’accueillir, et ce faisant, « il ne trompe ni ne ment ». LIVRE IV
Si vous dédaignez la petitesse de l’homme non à cause du corps mais de l’âme, inférieure pour vous au reste des êtres raisonnables, et surtout des vertueux, et inférieure pour cette raison que le vice est en elle, pourquoi les chrétiens mauvais et les Juifs vivant dans le mal seraient-ils une troupe de chauves-souris, de fourmis, de vers, de grenouilles plus que les hommes pervers des autres nations? A cet égard, tout homme quel qu’il soit, surtout quand il s’abandonne au flot du vice, est chauve-souris, vers, grenouille, fourmi, comparé au reste des hommes. Que l’on soit un Démosthène, l’orateur, avec sa lâcheté et les actions qu’elle lui inspira, ou un Antiphon, autre orateur renommé, mais négateur de la Providence dans un traité “Sur la vérité”, titre analogue à celui de Celse, on n’en reste pas moins des vers vautrés dans un coin du bourbier de la sottise et de l’ignorance. Toutefois, l’être raisonnable, de quelque qualité qu’il soit, ne pourrait être raisonnablement comparé à un vers, avec ses tendances à la vertu. Ces inclinations générales à la vertu ne permettent pas de comparer à des vers ceux qui ont la vertu en puissance et qui ne peuvent totalement en perdre les semences. Il apparaît donc que les hommes en général ne pourraient être des vers relativement à Dieu : car la raison, qui a son principe dans le Logos qui est près de Dieu ne permet pas de juger l’être raisonnable absolument étranger à Dieu. Les mauvais chrétiens et les mauvais Juifs, qui ne sont ni chrétiens ni Juifs selon la vérité, ne sauraient, pas plus que les autres hommes mauvais, être comparés à des vers vautrés dans un coin de bourbier. Si la nature de la raison ne permet même point d’admettre cette comparaison, il est évident que nous n’allons pas calomnier la nature humaine, faite pour la vertu même si elle pèche par ignorance, ni l’assimiler à des animaux tels que ceux-là. LIVRE IV
Nous dirions, d’après lui, nous qui pour lui sommes des vers, que, puisqu’il en est parmi nous qui pèchent, Dieu viendra vers nous, ou enverra son Fils afin de livrer aux flammes les injustes, et pour que nous, les grenouilles qui restons, nous ayons avec lui une vie éternelle. Remarque à quel point, comme un bouffon, ce grave philosophe tourne en raillerie, en ridicule et en dérision la promesse divine d’un jugement, châtiment pour les injustes, récompense pour les justes ! Et brochant sur le tout il dit : Voilà des sottises plus supportables de la part de vers et de grenouilles que de Juifs et de chrétiens dans leurs disputes ! Nous nous garderons bien de l’imiter et de dire pareille chose des philosophes qui prétendent connaître la nature du monde et débattent entre eux le problème de la constitution de l’univers, de l’origine du ciel et de la terre et de tout ce qu’ils renferment, et la question de savoir si les âmes sont inengendrées et non créées par Dieu, bien qu’elles soient soumises à son gouvernement, et si elles changent de corps, ou si, inséminées avec les corps, elles leur survivent ou ne leur survivent pas. Car on pourrait là aussi, loin de prendre au sérieux et d’admettre la sincérité de ceux qui se sont voués à la recherche de la vérité, déclarer en injurieuse moquerie que c’est le fait de vers qui dans un coin du bourbier de la vie humaine ne mesurent pas leurs limites, et pour cette raison en viennent à trancher, comme s’ils les avaient dominés, sur des sujets sublimes, et qu’ils parlent avec assurance, comme s’ils les avaient contemplées, de réalités qu’on ne peut contempler sans une inspiration supérieure et une puissance divine : « Car personne chez les hommes ne sait les secrets de l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui. De même, nul ne connaît les secrets de Dieu, sinon l’Esprit de Dieu. » Nous n’avons pas la folie de comparer la splendide intelligence de l’homme, en prenant intelligence au sens usuel, au grouillement des vers et autres bêtes de ce genre, quand elle n’a cure des affaires de la foule mais s’adonne à la recherche de la vérité. Au contraire, sincèrement nous rendons témoignage que certains philosophes grecs ont connu Dieu, puisque « Dieu s’est manifesté à eux », même s’« ils ne l’ont pas honoré ni remercié comme Dieu, mais sont devenus vains dans leurs raisonnements », et si, « dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles ». LIVRE IV
Ces remarques, fût-ce au prix d’une digression, étaient à mon avis nécessaires. Car je voulais répondre à la parole de Celse sur les Juifs : Ce sont des esclaves fugitifs jadis échappés d’Egypte, et ces hommes aimés de Dieu n’ont jamais rien fait de mémorable. De plus, à sa critique qu’ils n’ont compté ni par le rang ni par le nombre, je réponds : « Race élue, sacerdoce royal », se retirant et évitant le contact de la multitude, pour que leurs moeurs ne soient pas corrompues, ils étaient sous la garde de la puissance divine ; ils n’avaient pas l’ambition, comme la plupart des hommes, d’assujettir d’autres royaumes ; ils n’étaient pas abandonnés au point de devenir, du fait de leur petit nombre, une proie facile, ni à cause de ce petit nombre, d’être détruits de fond en comble. Cela durait tant qu’ils restaient dignes de la garde de Dieu. Mais quand il leur fallait, parce que la nation entière avait péché, revenir à leur Dieu par la souffrance, ils étaient abandonnés pour un temps parfois plus, parfois moins long, jusqu’à l’heure où, sous les Romains, ayant commis le plus grand péché en tuant Jésus, ils furent entièrement abandonnés. LIVRE IV
En effet, nous posons cette question à tous ceux qui usent de ces invocations de Dieu : dites-nous, braves gens, quelle fut l’identité d’Abraham, la grandeur d’Isaac, la puissance de Jacob, pour que l’appellation « Dieu » jointe à leurs noms accomplisse d’aussi grands miracles ? Et de qui avez-vous appris ou pouvez-vous apprendre la vie de ces hommes ? Qui donc a pris soin d’écrire leur histoire, qu’elle exalte directement ces hommes dans un sens littéral ou qu’elle insinue par allusions de grandes et admirables vérités aux gens capables de les percevoir ? Et comme pour répondre à notre question nul d’entre vous ne peut montrer de quelle histoire, grecque ou barbare, ou sinon d’une histoire, du moins de quel traité secret vient le pouvoir de ces hommes, nous présenterons le livre intitulé Genèse, qui contient les actions de ces hommes et les oracles que Dieu leur adressa, et nous dirons : est-ce que l’usage que vous faites vous aussi des noms de ces trois premiers ancêtres de la nation, comprenant à l’évidence qu’on obtient par leur invocation des effets non négligeables, ne prouve pas le caractère divin de ces hommes ? Or nous ne les connaissons d’aucune autre source que des livres sacrés des Juifs. Mais en fait, « le Dieu d’Israël, le Dieu des Hébreux, le Dieu qui a précipité dans la mer Rouge le roi d’Egypte et les Égyptiens » sont des formules souvent employées pour lutter contre les démons ou certaines puissances perverses. Et nous avons appris l’histoire des personnages ainsi nommés, et l’interprétation de ces noms grâce aux Hébreux qui, dans leurs écrits traditionnels et leur langue nationale, les célèbrent et les expliquent. Comment donc pour les Juifs qui ont tenté de rattacher leur généalogie à la première génération de ces personnages, que Celse a considérés comme des sorciers et des vagabonds, y aurait-il une impudence à tenter de rattacher eux-mêmes et leur origine à ces hommes, dont les noms hébreux attestent aux Hébreux, car leurs livres sacrés sont écrits dans la langue et en caractères hébraïques, que leur nation est bien celle de ces hommes ? Et jusqu’à ce jour les noms juifs appartiennent à la langue hébraïque, qu’ils proviennent de leurs écrits ou tout simplement de significations particulières à la langue. LIVRE IV
A celui qui donne une interprétation allégorique profonde de ce passage, qu’il touche juste ou non dans l’allégorie, nous dirons : est-ce aux seuls Grecs qu’il est permis de trouver des vérités philosophiques sous des significations cachées, ainsi qu’aux Égyptiens et à tous ceux des barbares qui prennent au sérieux la vérité de leurs mystères ; tandis que les seuls Juifs, leur Législateur et leurs écrivains t’ont paru les plus sots de tous les hommes, et que cette seule nation n’a reçu aucune part de la puissance divine, elle qui a été instruite à s’élever si magnifiquement jusqu’à la nature incréée de Dieu, à fixer les yeux sur lui seul, à placer en lui seul ses espérances ? Celse raille encore le passage sur le serpent qui se rebelle contre les prescriptions que Dieu fit à l’homme, tenant le propos pour un conte de bonnes femmes. Il s’abstient volontairement de mentionner le « jardin » et la manière dont il est dit que Dieu l’a planté « en Eden, au Levant », et qu’ensuite « il fit pousser du sol toute espèce d’arbres attrayants à voir et bons à manger, et l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal », puis les paroles qui s’y ajoutent, capables par elles-mêmes d’inciter le lecteur de bonne foi à voir que tout cela peut, sans inconvenance, être compris au sens figuré. Alors, comparons-lui les paroles de Socrate sur Amour dans le “Banquet” de Platon, et qu’on attribue à Socrate censé plus vénérable que tous ceux qui en traitent dans le “Banquet”. Voici le passage de Platon : « Le jour où naquit Aphrodite banquetaient les dieux, entre autres, le fils d’Invention, Expédient. Au sortir du festin s’en vint mendier Pauvreté, car on avait fait bombance, et elle se tenait à la porte. LIVRE IV
Remarque ici encore la haine bien peu philosophique de cet auteur contre la très ancienne Écriture des Juifs. Car, il ne peut dénigrer l’histoire du déluge. Il ignore même les objections possibles contre l’arche et ses dimensions, par exemple, qu’en acceptant comme le vulgaire les chiffres de « trois cents coudées » de longueur, de « cinquante » de largeur, de « trente » de hauteur, on ne pouvait maintenir qu’elle a contenu les animaux qui sont sur terre, quatorze de chaque espèce pure, quatre de chaque espèce impure. Alors il se contente de la qualifier d’arche étrange contenant tous les êtres. Mais qu’a-t-elle d’étrange, puisqu’on raconte qu’elle fut construite en cent ans, et qu’elle fut réduite des trois cents coudées de longueur, des cinquante de largeur, jusqu’à ce que les trente coudées de sa hauteur se terminent en une seule coudée de longueur et de largeur ? Ne serait-ce pas plutôt admirable que cette construction, semblable à une très grande ville, soit décrite par les dimensions prises à la puissance, en sorte qu’elle était, à la base, de neuf myriades de coudées de longueur, et de deux mille cinq cents de largeur ? Ne devrait-on pas admirer le dessein de la rendre solide et capable de supporter la tempête cause du déluge? Et en effet, ce n’est ni de poix, ni de quelque autre matière de cette nature, mais d’asphalte qu’elle a été fortement enduite ? Et n’est-ce point admirable que les survivants de chaque espèce aient été introduits à l’intérieur par la Providence de Dieu, afin que la terre ait de nouveau les semences de tous les êtres vivants, Dieu s’étant servi de l’homme le plus juste qui serait le père de ceux qui naîtraient après le déluge ? Celse a rejeté l’histoire de la colombe pour se donner l’air d’avoir lu le livre de la Genèse, mais n’a rien pu donner comme preuve du caractère fictif de ce trait. Puis, à son habitude de traduire l’Écriture en termes ridicules, il change le corbeau en une corneille et il suppose que Moïse a transcrit là sans scrupule l’histoire grecque de Deucalion ; à moins peut-être qu’il ne considère le livre comme l’oeuvre non du seul Moïse mais de plusieurs autres, comme l’indique la phrase : Démarquage sans scrupule de l’histoire de Deucalion ; ou encore celle-ci : Ils ne s’étaient point avisés, je pense, que cette fable paraîtrait au grand jour. Mais comment se fait-il que ceux qui ont donné des Écritures à la nation tout entière ne se soient point avisés qu’elle paraîtrait au grand jour, alors qu’ils ont même prédit que cette religion serait prêchée à toutes les nations ? Et quand Jésus dit aux Juifs : « Le Règne de Dieu vous sera retiré pour être confié à une nation qui en portera les fruits1 », quelle autre disposition a-t-il en vue que celle de présenter lui-même au grand jour, par la puissance divine, toute l’Écriture juive qui contient les mystères du Règne de Dieu ? Après cela, lecteurs des théogonies des Grecs, et des histoires de leurs douze dieux, ils leur attribuent un caractère vénérable par des interprétations allégoriques ; détracteurs de nos histoires, ils les disent fables bonnement racontées aux petits enfants ! LIVRE IV
Vois donc s’il faut prendre parti pour l’homme qui, avec de pareilles doctrines, accuse les chrétiens, et s’il faut abandonner une doctrine qui explique la diversité par les qualités inhérentes aux corps ou qui leur sont extérieures. Nous savons, nous aussi, qu’il y a « des corps célestes et des corps terrestres » et que, autre est « l’éclat des corps célestes » et autre celui des « terrestres » ; et que, même entre « les corps célestes » il n’est pas identique, car « autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat des étoiles » ; et que, parmi les étoiles, « une étoile diffère d’une étoile en éclat ». Et c’est pourquoi, comme nous attendons la résurrection des morts, nous disons que les qualités inhérentes « aux corps » changent ; certains d’entre eux, semés « dans la corruption, se lèvent dans l’incorruptibilité » ; semés « dans l’ignominie, ils se lèvent dans la gloire » ; semés « dans la faiblesse, ils se lèvent dans la puissance », semés corps psychiques, ils se lèvent spirituels. Que la matière fondamentale est capable de recevoir les qualités que veut le Créateur, nous tous qui avons admis la Providence, nous en sommes assurés : par la volonté de Dieu, quelle que soit la qualité actuelle de telle matière, elle sera dans la suite, disons-le, meilleure et supérieure. De plus, puisqu’il y a des lois établies concernant les changements qui s’effectuent dans les corps depuis le commencement jusqu’à la fin du monde, leur succédera peut-être une loi nouvelle et différente après la destruction du monde que nos Écritures nomment sa consommation. Aussi n’est-il pas étonnant que dès à présent, comme on le dit couramment, d’un cadavre d’homme soit formé un serpent venant de la moelle épinière, du boeuf une abeille, d’un cheval une guêpe, d’un âne un scarabée, et généralement de la plupart, des vers. Celse juge que cela peut fournir la preuve qu’aucun d’eux n’est oeuvre de Dieu, qu’au contraire, les qualités, déterminées pour je ne sais quelles raisons à changer d’un caractère à l’autre, ne sont pas l’oeuvre d’une raison divine qui ferait se succéder les qualités inhérentes à la matière. LIVRE IV
Elle était divine, tandis que le grand Ulysse, l’ami de l’Athéna d’Homère, n’était pas divin, mais il se réjouit quand il comprit le présage annoncé par la meunière divine, au dire du poète : « Et le divin Ulysse fut plein de joie à ce présage. » Considère donc que si les oiseaux ont l’âme divine et sentent Dieu, ou, comme le dit Celse, les dieux, manifestement, nous aussi les hommes, quand nous éternuons nous le faisons parce qu’une divinité est présente en nous qui accorde à notre âme une puissance divinatrice. C’est chose attestée par un grand nombre. D’où ces mots du poète : « Mais lui éternua en faisant un voeu » ; et ces mots de Pénélope : « Ne vois-tu pas ? Mon fils a éternué à toutes tes paroles. » La véritable Divinité n’emploie, pour la connaissance de l’avenir, ni les animaux sans raison, ni les hommes quelconques, mais les plus saintes et les plus pures des âmes humaines qu’elle inspire et fait prophétiser. C’est pourquoi, entre autres admirables paroles contenues dans la Loi de Moïse, il faut placer celle-ci : « Gardez-vous de prendre des auspices et d’observer les oiseaux » ; et ailleurs : « Car les nations que le Seigneur ton Dieu anéantira devant toi écouteront présages et divinations ; mais tel n’a pas été pour toi le don du Seigneur ton Dieu. » Et il ajoute immédiatement : « Le Seigneur ton Dieu te suscitera un prophète parmi tes frères. » Et Dieu, voulant un jour détourner par un devin de la pratique de la divination, fit parler son esprit par la bouche d’un devin : « Car il n’y a pas de présage en Jacob, ni de divination en Israël ; mais en son temps il sera dit à Jacob et à Israël ce que Dieu voudra. » Reconnaissant donc la valeur de telles injonctions et d’autres semblables, nous tenons à garder ce commandement qui a un sens mystique : « Avec grand soin garde ton coeur », afin qu’aucun des démons ne pénètre dans notre esprit, et qu’aucun des esprits hostiles ne tourne à son gré notre imagination. Mais nous prions pour que resplendisse « dans nos coeurs la lumière de la connaissance de la gloire de Dieu », l’Esprit de Dieu résidant dans notre imagination et nous suggérant des images dignes de Dieu : car « ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu ». LIVRE IV
J’aborde maintenant un cinquième livre contre le traité de Celse, pieux Ambroise : non pour me livrer à un bavardage injustifiable puisqu’il n’irait pas sans péché, mais je fais de mon mieux pour ne laisser sans examen aucun de ses propos, notamment là où d’aucuns pourraient croire qu’il a dirigé des critiques pertinentes contre nous ou contre les Juifs. S’il m’était possible, par ce discours, de pénétrer la conscience de chaque lecteur de son ouvrage, d’en arracher tout trait blessant une âme que ne protège pas entièrement l’armure de Dieu, d’appliquer un remède spirituel guérissant la blessure causée par Celse, blessure empêchant qui se fie à ses arguments d’être robuste dans la foi, c’est bien ce que j’aurais fait. Mais c’est l’oeuvre de Dieu d’habiter invisiblement par son Esprit et l’Esprit du Christ ceux qu’il juge devoir habiter. Pour moi, en tâchant, par des discours et des traités, de raffermir les hommes dans la foi, je dois faire tous mes efforts pour mériter le titre d’ouvrier qui n’a pas à rougir, de fidèle dispensateur de «la parole de la vérité». Et l’un de ces efforts me semble être de réfuter de mon mieux les arguments plausibles de Celse, exécutant avec confiance le mandat que tu m’as donné. Je vais donc citer les arguments de Celse qui suivent ceux auxquels j’ai déjà répondu – au lecteur de juger si je les ai renversés -, je vais leur opposer mes réfutations. Que Dieu m’accorde de ne point aborder mon sujet en laissant mon esprit et ma raison purement humains et vides d’inspiration divine, « pour que la foi » de ceux que je désire aider « ne repose pas sur la sagesse des hommes », mais que je reçoive de son Père qui seul peut l’accorder « la pensée du Christ » et la grâce de participer au Logos de Dieu, et qu’ainsi je puisse détruire « toute puissance altière qui s’élève contre la connaissance de Dieu » et la suffisance de Celse qui s’élève contre nous et contre notre Jésus, et encore contre Moïse et les prophètes. Et que celui qui donne « aux messagers son Logos avec une grande puissance » me l’accorde à moi aussi et me fasse don de cette grande puissance, et que naisse chez les lecteurs la foi fondée sur le Logos et la puissance de Dieu ! LIVRE V
Ce n’est certainement pas dénigrer ces immenses créatures de Dieu, ni non plus dire avec Anaxagore que le soleil, la lune et les étoiles ne sont que « des masses enflammées », que de professer notre doctrine sur le soleil, la lune et les étoiles. C’est seulement comprendre la divinité de Dieu qui surpasse d’une indicible supériorité, et celle de son Fils unique qui dépasse tout le reste. Et quand on est persuadé que le soleil, la lune et les étoiles prient le Dieu suprême par son Fils unique, on juge qu’on ne doit pas prier des êtres qui prient : ils préfèrent eux-mêmes nous renvoyer vers Dieu qu’ils prient, plutôt que de nous abaisser vers eux ou de partager notre puissance de prière entre Dieu et eux-mêmes. LIVRE V
Celse me paraît donc s’être mépris sur quelques-unes des raisons mystérieuses du partage des régions terrestres. Même l’histoire grecque y touche en quelque façon lorsqu’elle représente que certains des dieux de la légende luttèrent entre eux au sujet de l’Attique, et fait avouer à certains prétendus dieux chez les poètes que certaines régions leur sont plus étroitement rattachées. L’histoire barbare elle aussi, surtout celle de l’Egypte, fait quelque allusion de ce genre à la division des « nomes » d’Egypte, quand elle dit que la même Athéné qui a obtenu Saïs possède aussi l’Attique. Les doctes d’Egypte diront mille choses pareilles, mais je ne sais s’ils comprennent aussi les Juifs et leur pays dans le partage et les assignent à quelque puissance. En fait de témoignages extérieurs à la divine Ecriture, voilà qui suffit pour l’instant. LIVRE V
S’il en va ainsi des noms humains, que faut-il penser des noms attribués pour une raison ou l’autre à la divinité ? Par exemple, il y a en grec une traduction du mot Abraham, une signification du nom Isaac, un sens évoqué par le son Jacob. Et si, dans une invocation ou un serment, on nomme « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob », la formule produit son effet, soit par la qualité naturelle de ces noms, soit par leur puissance. Car les démons sont vaincus et dominés par celui qui prononce ces noms. Mais si l’on dit : le Dieu du père choisi de l’écho, le Dieu du rire, le Dieu du supplanteur, on n’obtient pas plus d’effet qu’avec un autre nom dépourvu de puissance. On n’aurait pas plus de résultat en traduisant en grec ou dans une autre langue le nom d’Israël ; mais, en le conservant et en lui adjoignant ceux auxquels ont coutume de l’unir les gens experts en la matière, on peut réaliser l’effet promis à ces invocations faites dans cette langue. On dira la même chose du mot Sabaoth, fréquemment employé dans les incantations. A traduire ce nom : Seigneur des puissances, Seigneur des Armées, Tout-Puissant – car ses traducteurs lui donnent différentes acceptions ?, l’effet en sera nul ; alors que si on lui garde sa sonorité propre, on obtiendra de l’effet, au dire des spécialistes. On dira la même chose du mot Adonaï. Si donc ni Sabaoth, ni Adonaï, dans la traduction grecque de ce qu’ils semblent signifier n’ont aucun effet, combien plus seront-ils dépourvus d’efficacité et de puissance quand on croit qu’il est indifférent d’appeler Zeus Très-Haut, Zen, Adonaï, Sabaoth ! Instruits de tels secrets et d’autres semblables, Moïse et les prophètes ont interdit de prononcer « les noms d’autres dieux » par une bouche habituée à ne prier que le Dieu suprême, et de se ressouvenir d’eux dans un c?ur exercé à se garder de toute vanité de pensées et de paroles. C’est aussi la raison pour laquelle nous préférons supporter tous les mauvais traitements plutôt que de reconnaître Zeus pour Dieu. Car nous pensons que Zeus n’est pas identique à Sabaoth mais que, loin d’être une divinité, il n’est qu’un démon prenant plaisir à être ainsi nommé, ennemi des hommes et du Dieu véritable. Et même si les Égyptiens nous proposent Amon en nous menaçant de châtiments, nous mourrons plutôt que de proclamer Amon dieu : c’est un nom probablement usité dans certaines incantations égyptiennes qui évoquent ce démon. Libre aux Scythes de nommer Papaeos le Dieu suprême : nous ne le croirons pas. Nous admettons bien le Dieu suprême, mais refusons de donner à Dieu le nom propre de Papaeos, qui n’est qu’un nom agréable au démon ayant en partage le désert, la race et la langue des Scythes. Mais ce n’est pas pécher que de donner à Dieu le nom commun en langue scythe, égyptienne, ou toute autre langue maternelle. LIVRE V
Celse ajoute cette remarque sur les Juifs : Il n’est pas vraisemblable qu’ils jouissent de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres, ni que des anges soient envoyés à eux seuls, comme s’ils avaient obtenu en partage une terre de bienheureux : nous voyons assez quel traitement ils ont mérité, eux et leur pays. Je réfuterai donc cela en disant : ce peuple a joui de la faveur de Dieu comme le montre déjà le fait que le Dieu suprême est appelé « Dieu des Hébreux », même par ceux qui sont étrangers à notre foi. Et justement parce qu’ils jouissaient de sa faveur tant qu’ils ne furent point abandonnés par lui, ils continuaient malgré leur petit nombre à être protégés par la puissance divine : ainsi, sous Alexandre de Macédoine ils n’ont rien souffert de sa part, bien que certaines conventions et serments les aient empêchés de prendre les armes contre Darius. On dit même qu’alors le grand-prêtre des Juifs, revêtu de sa robe sacrée, fut adoré par Alexandre qui dit avoir eu durant son sommeil l’apparition d’un être revêtu de ce costume, lui promettant qu’il soumettrait l’Asie entière. Nous donc, chrétiens, nous déclarons : il leur est bel et bien arrivé de jouir de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres. Mais cette disposition favorable s’est portée sur nous quand Jésus eut transféré la puissance, en action chez les Juifs, à ceux des Gentils qui ont cru en lui. Voilà pourquoi les Romains, malgré leurs nombreux desseins contre les chrétiens pour les empêcher de subsister davantage, n’ont pas pu y réussir. En effet, la main divine assurait leur défense pour que la parole de Dieu se répandît d’un coin de la terre de Judée à tout le genre humain. LIVRE V
Celse poursuit : ” Qu’on n’aille pas imaginer que je l’ignore: certains d’entre eux conviendront qu’ils ont le même Dieu que les Juifs, mais les autres pensent qu’il y a un dieu différent auquel le premier est opposé, et de qui est venu le Fils “. S’il croit que l’existence de plusieurs sectes parmi les chrétiens constitue un grief contre le christianisme, pourquoi ne verrait-on pas un grief analogue contre la philosophie dans le désaccord entre les écoles philosophiques, non pas sur des matières légères sans importance mais sur les questions capitales ? Il faudrait aussi accuser la médecine à cause des écoles qu’elle présente. Admettons que certains d’entre nous nient que notre Dieu soit le même que le Dieu des Juifs : ce n’est pourtant pas une raison d’accuser ceux qui prouvent par les mêmes Écritures qu’il y a un seul et même Dieu pour les Juifs et les Gentils. Paul le dit clairement, lui qui est passé du judaïsme au christianisme : « Je rends grâces à mon Dieu que je sers comme mes ancêtres avec une conscience pure. » Admettons encore qu’il y ait une troisième espèce, ceux qui nomment les uns psychiques, les autres pneumatiques. Je pense qu’il veut parler des disciples de Valentin. Quelle conclusion en tirer contre nous qui appartenons à l’Église, et condamnons ceux qui imaginent des natures sauvées en vertu de leur constitution ou perdues en vertu de leur constitution ? Admettons même que certains se proclament Gnostiques, à la façon dont les Epicuriens se targuent d’être philosophes. Mais ceux qui nient la Providence ne peuvent être véritablement philosophes, ni ceux qui introduisent ces fictions étranges désavouées par les disciples de Jésus être des chrétiens. Admettons enfin que certains acceptent Jésus, et c’est pour cela qu’ils se vantent d’être chrétiens, mais ils veulent encore vivre selon la loi des Juifs comme la foule des Juifs. Ce sont les deux sortes d’Ébionites : ceux qui admettent comme nous que Jésus est né d’une vierge, ceux qui ne le croient pas né de cette manière mais comme le reste des hommes. Quel grief tirer de tout cela contre les membres de l’Église que Celse a nommés ceux de la foule ? Il ajoute : Parmi eux, il y a encore des Sibyllistes, peut-être pour avoir compris de travers des gens qui blâment ceux qui croient au don prophétique de la Sibylle et les ont appelés Sibyllistes. Puis, déversant sur nous une masse de noms, il déclare connaître encore certains Simoniens qui vénèrent Hélène ou Hélénos leur maître et sont appelés Héléniens. Celse ignore que les Simoniens refusent absolument de reconnaître Jésus comme Fils de Dieu : ils affirment que Simon est une puissance de Dieu et racontent les prodiges de cet homme qui, en simulant les prodiges analogues à ceux que Jésus avait simulés, selon lui, avait cru qu’il aurait autant de pouvoir sur les hommes que Jésus parmi la foule. Mais il était impossible à Celse comme à Simon de comprendre la manière dont Jésus a pu ensemencer, en bon « laboureur » de la parole de Dieu, la majeure partie de la Grèce et la majeure partie de la barbarie, et remplir ces pays des paroles qui détournent l’âme de tout mal et la font monter au Créateur de l’univers. Celse connaît encore les Marcelliniens disciples de Marcellina, les Harpocratiens disciples de Salomé, d’autres disciples de Mariamme et d’autres disciples de Marthe. Malgré mon zèle à l’étude, non seulement pour scruter le contenu de notre doctrine dans la variété de ses aspects, mais encore, autant que possible, pour m’enquérir sincèrement des opinions des philosophes, je n’ai jamais rencontré ces gens-là. Celse mentionne encore les Marcionites qui mettent à leur tête Marcion. Ensuite, pour donner l’apparence qu’il en connaît encore d’autres que ceux qu’il a nommés, il généralise à son habitude : Certains ont trouvé comme maître un chef et un démon, d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans d’épaisses ténèbres à perpétrer plus d’impiétés et de souillures que les thyases d’Egypte. En effleurant le sujet, il me paraît bien avoir dit quelque chose de vrai : certains ont trouvé comme chef un démon, et d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans les épaisses ténèbres de l’ignorance. Mais j’ai déjà parlé d’Antinoos qu’il compare à notre Jésus et je n’y reviendrai pas. LIVRE V
Et cet homme qui professe tout savoir ajoute ces déclarations :” Tous ces gens si radicalement séparés, qui dans leurs querelles se réfutent si honteusement eux-mêmes, on les entendra répéter : le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde”. Voilà tout ce que Celse paraît avoir retenu de Paul. Pourquoi donc ne citerais-je pas tant d’autres passages comme celui-ci : « Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas avec les moyens de la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais elles ont, pour la cause de Dieu, le pouvoir de renverser les forteresses. Nous détruisons les sophismes et toute puissance altière qui se dresse contre la connaissance de Dieu. » LIVRE V
J’ai fait ces remarques pour justifier, contre les critiques de Celse et d’autres auteurs, la simplicité d’expression des Écritures qui paraît éclipsée par le brillant de la composition littéraire. Nos prophètes, Jésus et ses apôtres se proposaient une méthode de prédication qui non seulement contient les vérités, mais encore a la puissance d’entraîner les esprits de la multitude : alors convertis et initiés, ils s’élèveraient chacun selon ses forces aux vérités voilées sous des expressions apparemment simples. Et même, s’il faut oser dire, c’est à un petit nombre qu’a été utile, si toutefois il l’a été, le style élégant et raffiné de Platon et de ses imitateurs ; mais ceux qui ont enseigné et écrit dans un style plus simple d’une manière pratique et populaire ont été utiles à un grand nombre. Ainsi on ne peut voir Platon qu’aux mains de ceux qui passent pour lettrés, tandis qu’Epictète est admiré même des gens du commun, inclinés à en recevoir l’influence bienfaisante, car ils ont conscience que ses discours les rendent meilleurs. LIVRE VI
Loin de moi la pensée de critiquer Platon : de lui aussi la grande foule des hommes a retiré des avantages ; mais je veux mettre en lumière l’intention de ceux qui ont dit : « Ma doctrine et ma prédication n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse ; c’était une démonstration de l’Esprit et de la puissance, afin que notre foi reposât non point sur la sagesse des hommes mais sur la puissance de Dieu. » Le divin Logos déclare que prononcer un mot, fut-il en lui-même vrai et très digne de foi, n’est pas suffisant pour toucher l’âme humaine sans une puissance donnée par Dieu à celui qui parle et une grâce qui rayonne dans ses paroles, véritable don de Dieu à ceux dont la parole est efficace. C’est bien ce que dit le prophète dans le psaume soixante-septième : « Le Seigneur donnera sa parole à ceux qui prêchent avec grande puissance. » LIVRE VI
A supposer qu’en certains points les doctrines soient identiques entre les Grecs et ceux qui prêchent notre Évangile, elles n’ont certainement pas la même puissance pour attirer les âmes et les disposer à en vivre. LIVRE VI
Voici en quels termes Paul s’explique à leur sujet : « La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et injustice des hommes qui tiennent la vérité captive dans l’injustice ; car ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu le leur a manifesté. Ses oeuvres invisibles, depuis la création du monde, grâce aux choses créées sont perceptibles à l’esprit, et sa puissance éternelle et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni action de grâce, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent s’est enténébré. Dans leur prétention à être sages, ils sont devenus fous et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles. » Comme en témoigne notre Ecriture, ils retiennent la vérité captive ceux qui pensent que « le Souverain Bien est absolument ineffable » et ajoutent : « c’est d’un long commerce avec lui et d’une vie commune qu’il naît soudain, comme d’une flamme jaillissante une lumière surgie dans l’âme, et désormais il se nourrit lui-même. » LIVRE VI
Mais ceux qui ont si bien écrit sur le Souverain Bien descendent au Pirée pour prier Artémis comme une déesse, et pour voir la fête publique célébrée par les simples. Après avoir enseigné cette profonde philosophie sur l’âme et décrit en détail l’état futur de celle dont la vie fut vertueuse, ils abandonnent ces idées sublimes que Dieu leur a manifestées pour songer à des choses vulgaires et basses et sacrifier un coq à Asclépios. Ils s’étaient représenté les oeuvres invisibles de Dieu et les idées à partir de la création du monde et des choses sensibles, d’où ils s’étaient élevés aux réalités intelligibles : ils avaient vu, non sans noblesse, son éternelle puissance et sa divinité ; néanmoins ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent se traîne pour ainsi dire, dans l’ignorance au sujet du culte de Dieu. Et l’on peut voir ces hommes, fiers de leur sagesse et de leur théologie, adorer une représentation, simple image d’homme corruptible, pour honorer, disent-ils, cette divinité, parfois même descendre avec les Égyptiens jusqu’aux oiseaux, quadrupèdes, reptiles. LIVRE VI
Celse dit ensuite : Les uns – il veut dire les chrétiens – proposent celui-ci, les autres celui-là, et tous n’ont à la bouche qu’un mot: « Crois si tu veux être sauvé ou va-t-en ! » Que feront donc ceux qui désirent vraiment être sauvés ? Est-ce à un coup de dés qu’ils devineront de quel côté se tourner et à qui s’attacher ? A cela, pressé par l’évidence même, je réponds : si l’histoire attestait qu’il y en ait eu plusieurs comme Jésus à venir à l’existence humaine en se disant fils de Dieu, et que chacun d’eux ait attiré assez de disciples pour que, tous se proclamant fils de Dieu, il y ait incertitude sur celui à qui va le témoignage de ses fidèles, il y aurait lieu de dire : les uns proposent celui-ci, les autres celui-là, et tous n’ont à la bouche que ce mot : « Crois si tu veux être sauvé, ou va-t-en ! » etc. Mais en fait par toute la terre Jésus est prêché comme le seul Fils de Dieu venu au genre humain. Car ceux qui, comme Celse, le soupçonnent d’avoir usé de prestiges, et pour ce motif ont voulu en user à leur tour pour jouir eux aussi de la même puissance sur les hommes ont été convaincus de n’être rien : Simon le magicien de Samarie et Dosithée originaire du même pays, l’un s’affirmant la puissance de Dieu qu’on nomme la Grande, l’autre se disant lui-même Fils de Dieu. En aucun lieu de la terre, il n’y a de Simoniens ; et cependant, pour accroître le nombre de ses disciples, Simon écartait d’eux le risque de mort que les chrétiens ont appris à choisir, car suivant sa doctrine l’idolâtrie était chose indifférente. LIVRE VI
Mais même dès l’origine, les Simoniens échappaient aux complots : car le démon mauvais qui complotait contre l’enseignement de Jésus savait qu’aucun de ses desseins ne rencontrerait d’obstacles de la part des enseignements de Simon. Les Dosithéens non plus, même autrefois, n’ont guère eu de puissance, et la voici à présent entièrement réduite au point que leur nombre total n’atteint pas, dit-on, la trentaine. Et Judas le Galiléen, au témoignage de Luc dans les Actes des Apôtres, a voulu se dire un grand personnage, et avant lui, Theudas. Mais parce que leur enseignement n’était pas de Dieu, ils périrent, et tous ceux qui avaient cru en eux se dispersèrent aussitôt. Ce n’est donc point à un coup de dés que nous devinerons de quel côté nous tourner et à qui nous attacher, comme s’ils étaient plusieurs à pouvoir nous attirer en prétendant être venus de la part de Dieu au genre humain. Mais en voilà assez sur cette matière. LIVRE VI
Ensuite, dans son propos de vilipender les passages de nos Écritures relatifs au Royaume de Dieu, il n’en cite aucun, comme s’ils étaient indignes même d’une mention, ou peut-être parce qu’il n’en connaissait pas. Mais il cite des passages de Platon tirés des Lettres et du Phèdre; il les donne comme des paroles inspirées, tandis que nos Écritures n’auraient rien de tel. Prenons-en quelques exemples pour les comparer aux sentences de Platon qui ne manquent pas de puissance persuasive, mais n’ont pourtant pas disposé le philosophe à vivre d’une manière digne de lui dans la piété envers le Créateur de l’univers ; il n’aurait dû ni adultérer ni souiller cette piété par ce que nous nommons l’idolâtrie, ou d’un terme courant, par la superstition. Il est dit de Dieu, dans le psaume dix-septième : « Dieu a fait des ténèbres sa retraite. » Cette tournure hébraïque signifie que les idées de Dieu qui seraient dignes de lui restent secrètes et inconnaissables ; car il s’est comme voilé lui-même d’obscurité pour les esprits qui ne supportent pas l’éclat de sa connaissance, incapables de le voir, en raison soit de la souillure qui affecte l’intelligence liée au corps de misère des hommes, soit de sa trop faible capacité de comprendre Dieu. LIVRE VI
Ainsi, à qui peut comprendre, Paul présente sans ambages les choses sensibles, sous le nom de visibles et les réalités intelligibles que l’esprit seul peut saisir, sous le nom d’invisibles. Il sait que les choses sensibles ou visibles n’ont qu’un temps, que les réalités intelligibles ou invisibles sont éternelles. Pour parvenir à leur contemplation, soutenu par l’ardent désir qui le porte vers elles, il regarde toute tribulation comme un rien ou une chose bien légère. Au temps même de la tribulation et des épreuves, loin d’en être accablé, il regarde comme légère toute vicissitude, grâce à la contemplation de ces réalités. Car nous avons « un Grand-Prêtre insigne qui a pénétré les cieux » par la grandeur de sa puissance et de son esprit, « Jésus le Fils de Dieu ». Il a promis à ceux qui ont véritablement appris les choses divines et qui ont vécu d’une manière digne d’elles, de les conduire aux biens qui sont au-delà du monde. Car il dit : « Afin que là où je suis, vous soyez vous aussi ». C’est pourquoi nous espérons après les peines et les luttes d’ici-bas, parvenir aux sommets célestes, et recevoir des sources « d’eau jaillissant en vie éternelle » suivant l’enseignement de Jésus, contenir des fleuves de contemplations et être avec ces eaux dites supracélestes qui louent le nom du Seigneur. Tant que durera notre louange, nous ne serons pas emportés loin du cercle du ciel, mais nous nous appliquerons à contempler les oeuvres invisibles de Dieu : elles nous seront perceptibles non plus comme « depuis la création du monde grâce aux choses créées », mais comme l’a indiqué le véritable disciple de Jésus en disant : « mais alors, face à face », et « Quand viendra ce qui est parfait, ce qui est imparfait disparaîtra. » LIVRE VI
Veut-on apprendre encore les artifices par lesquels ces sorciers, prétendant posséder certains secrets, ont voulu gagner les hommes à leur enseignement et sans beaucoup de succès ? Qu’on écoute ce qu’ils apprennent à dire une fois passé ce qu’ils nomment « la barrière de la malice », les portes des Archontes éternellement fermées de chaînes : « Roi solitaire, bandeau d’aveuglement, oubli inconscient, je te salue, première puissance, gardée par l’esprit de providence et par la sagesse ; d’auprès de toi je suis envoyé pur, faisant partie déjà de la lumière du Fils et du Père ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Voilà, d’après eux, où commence l’Ogdoade8. Puis, ils apprennent à dire ensuite, en traversant ce qu’on nomme Ialdabaoth : « O toi, premier et septième, né pour dominer avec assurance, Ialdabaoth, raison souveraine de la pure intelligence, chef-d’oeuvre du Fils et du Père, je porte un symbole empreint d’une image de vie ; j’ai ouvert au monde la porte que tu avais fermée pour ton éternité, et retrouvant ma liberté je traverse ton empire ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Et ils disent que l’astre brillant est en sympathie avec l’archonte à forme de lion. Ils croient ensuite qu’après avoir traversé Ialdabaoth, et être arrivé à la on doit dire : « 0 toi qui présides aux mystères cachés du Fils et du Père, et qui brilles pendant la nuit, Iao second et premier, maître de la mort, lot de l’innocent, voici que, portant comme symbole la soumission de mon esprit, je m’apprête à traverser ton empire ; car, par une parole vivante, je l’ai emporté sur celui qui vient de toi ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » Immédiatement après, c’est Sabaoth à qui, selon eux, on devra dire : « Archonte du cinquième empire, puissant Sabaoth, premier défenseur de la loi de ta création, que la grâce a libérée par la vertu plus puissante du nombre cinq, laisse-moi passer en voyant intact ce symbole de ton art que je conserve dans l’empreinte d’une image, un corps délivré par le nombre cinq ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! »… A sa suite, c’est Astaphaios auquel ils pensent qu’on doit s’adresser en ces termes ! «Archonte de la troisième porte, Astaphaios, qui veilles sur la source originelle de l’eau, regarde-moi comme un myste, et laisse-moi passer, car j’ai été purifié par l’esprit d’une vierge, toi qui vois l’essence du monde ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » LIVRE VI
Après lui, c’est Ailoaios auquel ils jugent bon de dire : « Archonte de la seconde porte, Ailoaios, laisse-moi passer en voyant que je te porte le symbole de ta mère, une grâce cachée par les vertus des puissances ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » Enfin ils nomment Horaios et croient devoir lui dire : « Toi qui, pour avoir intrépidement franchi la barrière de feu, as reçu l’empire de la première porte, Horaios, laisse-moi passer, en voyant le symbole de ta puissance détruit par une figure de l’arbre de vie et repris par une image à la ressemblance de l’innocent ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » LIVRE VI
Ensuite, il se remet à mélanger tout ce qui concerne la sorcellerie magique. Peut-être ne vise-t-il personne, parce qu’il n’y a pas de magicien qui pratique son art sous couvert d’une religion de ce genre ; ou peut-être pense-t-il à certains qui usent de telles pratiques devant des gens faciles à duper pour avoir l’air d’agir par la puissance divine ; et il en donne des exemples : Qu’ai-je besoin d’énumérer ici tous ceux qui ont enseigné des rites de purification, des incantations libératrices, des formules ou des bruits de conjuration, des effigies de démons, tous les genres de remèdes tirés des étoffes, des nombres, des pierres, des plantes, des racines, bref d’objets de toute sorte. Mais en ces matières où le plus léger soupçon ne peut nous atteindre, la raison ne nous demande pas de nous défendre. LIVRE VI
Vois donc si manifestement il ne s’égare pas lui-même quand il nous accuse de nous égarer dans une impiété extrême très loin des énigmes divines : il n’a pas remarqué que les écrits de Moïse, bien antérieurs non seulement à Héraclite et Phérécyde mais encore à Homère, ont introduit la doctrine de cet esprit pervers tombé du ciel. Car cette doctrine est suggérée par l’histoire du serpent, origine de l’Ophionée de Phérécyde, serpent qui provoqua l’expulsion de l’homme du Paradis de Dieu : il avait trompé la femme en lui promettant la divinité et les biens supérieurs, et on nous dit que l’homme l’avait suivie. Et l’Exterminateur dont parle l’Exode de Moïse, quel autre peut-il être sinon celui qui cause la perte de ceux qui lui obéissent sans résister à sa malice ni la combattre ? Et le bouc émissaire du Lévitique, nommé par l’écriture hébraïque Azazel, c’est encore lui : il fallait que celui sur qui était tombé le sort fût chassé et offert en sacrifice expiatoire dans le désert ; tous ceux en effet qui par leur malice font partie du mauvais lot, ennemis de ceux qui forment l’héritage de Dieu, sont désertés de Dieu. Et « les fils de Bélial », dans les Juges, de quel autre sinon de lui sont-ils dits les fils à cause de leur perversité ? Outre tous ces exemples, dans le livre de Job, plus ancien que Moïse lui-même, il est dit clairement que « le diable » s’est présenté à Dieu et a demandé la puissance sur Job, afin de lui infliger de très lourdes épreuves : la première, la perte de tous ses biens et de ses enfants, la seconde, de couvrir tout le corps de Job d’une cruelle éléphantiasis, comme on appelle cette maladie». Je laisse de côté les récits évangéliques des tentations que le diable fit subir au Sauveur, je ne veux pas sembler prendre dans les Écritures plus récentes les arguments de la discussion avec Celse. Mais encore dans les dernières pages de Job, où du milieu de l’ouragan et des nuées le Seigneur adressa à Job le discours rapporté au livre qui porte son nom, il est possible de prendre plusieurs renseignements sur le dragon. Et je ne parle pas encore des indications tirées d’Ézéchiel, comme sur « Pharaon ou Nabuchodonosor » ou le prince de Tyr ; ou d’Isaïe où on se lamente sur le roi de Babylone ; on peut en tirer bien des renseignements sur la malice, son origine et son commencement, et la manière dont cette malice résulta de ce que certains êtres perdirent leurs ailes et prirent la suite du premier qui avait perdu ses ailes. LIVRE VI
Dès maintenant, oui, le mystère de l’impiété est à l’oeuvre, seulement jusqu’à ce que celui qui le retient encore ait disparu. Et alors l’Impie se révélera, et le Seigneur Jésus le détruira du souffle de sa bouche, l’anéantira par l’éclat de sa venue. La venue de l’Impie se fera, par l’action de Satan, avec toutes sortes d’oeuvres de puissance, de signes, de prodiges mensongers, et avec toutes les séductions de l’injustice pour ceux qui se perdent, faute d’avoir accueilli l’amour de la vérité pour être sauvés. Voilà pourquoi Dieu leur envoie une influence qui les égare, pour qu’ils croient au mensonge, afin que soient condamnés tous ceux qui, ayant refusé de croire à la vérité, se sont complus dans l’injustice. » LIVRE VI
Celse n’a donc pas compris la doctrine sur l’Esprit de Dieu ; « l’homme psychique, en effet, n’accueille pas ce qui est de l’Esprit de Dieu : c’est folie pour lui et il ne peut le connaître, car c’est par l’Esprit qu’on en juge. » C’est pourquoi il tire cette conclusion gratuite que, en disant que Dieu est esprit nous n’avons sur ce point aucune différence avec les Stoïciens parmi les Grecs, qui affirment que Dieu est un esprit pénétrant tout et contenant tout en lui-même. Car la surveillance et la providence de Dieu s’étendent bien à tout, mais non pas comme l’esprit des Stoïciens. La providence contient tout ce à quoi elle pourvoit et elle le comprend, non pas à la manière d’un corps qui contient son contenu quand il est aussi un corps, mais comme une puissance divine qui comprend ce qu’elle contient. LIVRE VI
Voilà ce que j’avais à dire contre le propos inconvenant de Celse : Il aurait fallu qu’il insufflât de la même manière un grand nombre de corps et les envoyât par toute la terre. Le poète comique, donc, fait rire en représentant Zeus endormi qui à son réveil envoie Hermès aux Grecs. Mais que le Logos, qui sait que la nature de Dieu n’est pas sujette au sommeil, nous enseigne que Dieu administre les affaires du monde à tout moment, comme l’exige la droite raison ! Rien d’étonnant si, dans la profondeur inscrutable des jugements de Dieu, les âmes sans instruction s’égarent, et Celse avec elles. Il n’y a donc rien de dérisoire à ce que le Fils de Dieu ait été envoyé aux Juifs chez qui avaient vécu les prophètes, afin que, partant de là corporellement, il se levât avec sa puissance et son esprit sur le monde des âmes qui ne voulait plus rester vide de Dieu. LIVRE VI
Bien plus, à en croire non seulement les chrétiens et les Juifs mais encore beaucoup d’autres Grecs et barbares, l’âme humaine vit et subsiste après sa séparation d’avec le corps ; et il est établi par la raison que l’âme pure et non alourdie par les masses de plomb du vice s’élève jusqu’aux régions des corps purs et éthérés, abandonnant ici-bas les corps épais et leurs souillures ; au contraire l’âme méchante, tirée à terre par ses péchés et incapable de reprendre haleine, erre ici-bas et vagabonde, celle-ci autour « des tombeaux » où l’on voit « les fantômes » des âmes comme des ombres, celle-là simplement autour de la terre. Quelle nature faut-il attribuer à des esprits enchaînés à longueur de siècles, pour ainsi dire, à des édifices et à des lieux, soit par des incantations, soit à cause de leur perversité ? Evidemment la raison exige de juger pervers ces êtres qui emploient la puissance divinatrice, par elle-même indifférente, à tromper les hommes et à les détourner de la piété pure envers Dieu. Une autre preuve de cette perversité est qu’ils nourrissent leurs corps de la fumée des sacrifices, des exhalaisons du sang et de la chair des holocaustes ; qu’ils y prennent plaisir comme pour assouvir leur amour de la vie, à la façon des hommes corrompus, sans attrait pour la vie pure détachée du corps, qui, désireux des plaisirs corporels, s’attachent à la vie du corps terrestre. LIVRE VI
Et vous me verrez de nouveau revenir avec une puissance céleste. Heureux qui aujourd’hui m’a rendu un culte ! A tous les autres j’enverrai le feu éternel dans les villes et les campagnes. Et les hommes qui ne savent pas quels supplices les attendent se repentiront et gémiront en vain; mais ceux qui ont été persuadés par moi, je les garderai pour l’éternité. Et il poursuit : A ces outrecuidances ils ajoutent aussitôt des termes inconnus, incohérents, totalement obscurs, dont aucun homme raisonnable ne saurait découvrir la signification tant ils sont dépourvus de clarté et de sens, mais qui fournissent en toute occasion à n’importe quel sot ou charlatan le prétexte de se les approprier dans le sens qu’il désire. LIVRE VI
Il n’y a donc qu’un point où Celse dise la vérité : Mais les prophètes n’ont pu le prédire : c’est un mal et une impiété. Que veut-il dire d’autre sinon que le grand Dieu subirait l’esclavage et la mort ? Au contraire, elle est bien digne de Dieu l’annonce faite par les prophètes qu’une certaine « splendeur et image » » de la nature divine viendrait vivre associée à l’âme sainte de Jésus qui prend un corps humain, afin de répandre une doctrine faisant participer à l’amitié du Dieu de l’univers quiconque la recevrait et cultiverait dans son âme, et amenant tout homme à la fin, à condition qu’il garde en soi-même la puissance de ce Dieu Logos qui devait habiter dans un corps et une âme d’homme. De cette façon, ses rayons ne seraient pas enfermés en lui seul et on ne pourrait penser que la lumière source de ces rayons, le Dieu Logos, n’existe nulle part ailleurs. LIVRE VI
Ensuite, Celse continue : Ne vont-ils pas encore réfléchir à ce point ? Si les prophètes du Dieu des Juifs avaient prédit que Jésus serait son enfant, comment Dieu, par Moïse leur donne-t-il comme lois : de s’enrichir, d’être puissants», de remplir la terre, de massacrer leurs ennemis sans en épargner la jeunesse, d’en exterminer toute la race, ce qu’il fait lui-même sous les yeux des Juifs, au témoignage de Moïse ? Et en outre, s’ils n’obéissent pas, il les menace expressément de les traiter en ennemis ? Alors que son Fils, l’homme de Nazareth, promulgue des lois contraires : le riche n’aura point accès auprès du Père, ni celui qui ambitionne la puissance, ni celui qui prétend à la sagesse ou à la gloire ; on doit ne pas se soucier de nourriture et de grenier plus que ne font les corbeaux et moins se soucier du vêtement que ne font les lis ; et à qui vous a donné un coup, il faut s’offrir à en recevoir un autres ! Qui donc ment de Moïse ou de Jésus ? Est-ce que le Père en envoyant Jésus a oublié ce qu’il avait prescrit à Moïse ? A-t-il renié ses propres lois, changé d’avis et envoyé son messager dans un dessein contraire? LIVRE VI
De la même manière que la richesse, on doit interpréter la puissance qui permet, au dire de l’Écriture, à un juste de poursuivre un millier d’ennemis, et à deux de mettre en fuite des myriades. Si tel est le sens des paroles sur la richesse, vois s’il n’est pas conforme à la promesse de Dieu que l’homme qui est riche en toute doctrine, toute science, toute sagesse, toute ?uvre bonne puisse prêter de sa richesse en doctrine, en sagesse, en science, à de nombreuses nations, ainsi que put faire Paul à toutes les nations qu’il avait visitées quand il rayonna de Jérusalem jusqu’en Illyrie, menant à bien la prédication de l’Évangile du Christ. Comme son âme se trouvait illuminée par la divinité du Logos, les secrets divins se faisaient connaître à lui par révélation : il n’empruntait rien et n’avait nul besoin qu’on lui transmît la doctrine. LIVRE VI
Mais, comme il est écrit : « Tu domineras bien des nations et elles ne te domineront pas », en vertu de la puissance que lui conférait le Logos, Paul dominait ceux de la Gentilité en les soumettant à l’enseignement du Christ Jésus, sans jamais se soumettre nulle part à des hommes comme s’ils lui étaient supérieurs. Et dans le même sens « il remplissait toute la terre ». LIVRE VI
S’il faut expliquer en même temps le massacre des ennemis et le pouvoir du juste sur toutes choses, on peut dire : en affirmant « Chaque matin j’exterminais tous les pécheurs de la terre, afin de retrancher de la cité du Seigneur tous les artisans d’iniquité », le prophète appelait terre au sens figuré la chair « dont le désir est ennemi de Dieu », et cité du Seigneur, son âme dans laquelle était un temple de Dieu ; car il possédait de Dieu une opinion et une conception justes et admirées de tous ceux qui les observent. En même temps donc, rempli pour ainsi dire de puissance et de force par les rayons du Soleil de « la justice » qui illuminaient son âme, il supprimait tout « désir de la chair », nommé par le texte « pécheurs de la terre », et exterminait, de la cité du Seigneur qui était dans son âme, tous les raisonnements artisans d’iniquité et les désirs ennemis de la vérité. LIVRE VI
Après quoi Celse en vient à une objection à propos de la sagesse. Il croit que, d’après l’enseignement de Jésus, il n’y a pas d’accès auprès du Père pour le sage. Répliquons lui : pour quel sage ? S’il s’agit de l’homme ainsi qualifié pour la sagesse dite de ce monde, qui est folie « devant Dieu », nous aussi nous dirons qu’il n’y a pas d’accès auprès du Père pour un tel sage. Mais si par sagesse on comprend le Christ, puisque le Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu», non seulement nous dirons qu’il y a pour un tel sage accès auprès du Père, mais encore nous affirmons : l’homme gratifié du charisme nommé « discours de sagesse », communiqué par l’Esprit, l’emporte de beaucoup sur ceux qui ne le sont pas. LIVRE VI
Voici donc ce qu’il dit : «L’essence et la génération constituent l’intelligible et le visible. La vérité accompagne l’essence, l’erreur la génération. A la vérité se rapporte la science, à l’autre domaine l’opinion. L’intelligible est affaire d’intellection, le visible de vision. C’est l’intellect qui connaît l’intelligible, et l’oeil le visible. Donc, ce qu’est le soleil pour les visibles ? il n’est ni oeil ni vue, mais il est cause, pour l’oeil, du fait de voir, pour la vue de ce que, par lui, elle existe, pour les visibles, de ce qu’ils sont vus, pour tous les sensibles, de ce qu’ils sont sujets à la génération ; bien plus, il est lui-même pour lui-même cause de ce qu’on le voit – voilà ce qu’est Dieu pour les intelligibles : il n’est ni l’intellect, ni l’intellection, ni la science, mais il est cause, pour l’intellect, de son acte d’intelligence, pour l’intellection, de ce que par lui elle existe, pour la science, de ce que par lui elle connaît, pour tous les intelligibles et la vérité même et l’essence même, de ce qu’ils existent, étant lui-même au delà de toutes choses, intelligible par une certaine puissance ineffable. LIVRE VI
C’est bien la manière dont les disciples de Jésus considèrent ce qui est sujet à la génération, s’en servant comme d’un degré pour arriver à comprendre la nature des réalités intelligibles. Car « les ?uvres invisibles de Dieu », c’est-à-dire les réalités intelligibles, « depuis la création du monde, grâce aux choses créées se laissent voir » par l’acte de l’esprit. Cependant, après s’être élevés des choses créées du monde aux ?uvres invisibles de Dieu, ils ne s’arrêtent pas. Mais, après s’être suffisamment exercés par elles et les avoir comprises, ils montent jusqu’à l’éternelle puissance de Dieu, bref, à sa divinité. Il savent que Dieu dans son amour pour les hommes a manifesté la vérité et ce qu’on peut connaître de lui-même non seulement à ceux qui lui sont consacrés, mais encore à ceux qui sont étrangers à la pure religion et à la piété envers lui. Malheureusement, certains, élevés par la Providence de Dieu à la connaissance de si hautes réalités, ont une conduite indigne de cette connaissance, commettent l’impiété, retiennent « la vérité captive dans l’injustice » et, du fait de leur connaissance de ces hautes réalités, ils ne sauraient plus trouver une chance d’excuse auprès de Dieu. LIVRE VI
Anaxarque, j’en conviens, fut héroïque dans son mot au tyran de Chypre Aristocréon : « Broie, broie le sac qui enveloppe Anaxarque ! » Mais c’est l’unique trait admirable que les Grecs savent de lui ; dut-on pour cela, comme Celse le pense, honorer le courage de cet homme, il serait déraisonnable de proclamer dieu Anaxarque. Il nous renvoie encore à Epictète dont il admire la noble parole. Mais ce qu’il a dit quand on lui cassait la jambe n’a rien de comparable aux ?uvres miraculeuses de Jésus auxquelles Celse refuse de croire, ni à ses paroles qui, prononcées avec une puissance divine, convertissent aujourd’hui encore non seulement quelques individus de la foule des simples, mais aussi un bon nombre d’hommes intelligents. LIVRE VI
Il dit ensuite que Daniel, qui échappa aux lions, devrait être adoré par nous plutôt que Jésus, qui foula aux pieds la férocité de toute puissance adverse et nous donna « le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions et sur toute la puissance de l’ennemi ». Puis, n’ayant plus d’exemples, il ajoute : ou d’autres aux actions encore plus prodigieuses, afin d’insulter en même temps Jonas et Daniel ; car chez Celse, l’esprit n’a pas appris à dire du bien des justes. LIVRE VI
Après avoir plus haut longuement parlé de Jésus, il n’est pas nécessaire ici d’y revenir pour répondre à son objection : Et certes on les convainc manifestement de de n’adorer ni un dieu, ni un démon, mais un mort. Laissant donc ce point, voyons immédiatement ce qu’il ajoute : D’abord, je leur demanderai : pour quelle raison il ne faut pas rendre un culte aux démons ? Cependant est-ce que tout n’est pas régi conformément à la volonté de Dieu, et toute providence ne relève-t-elle pas de lui? Ce qui existe dans l’univers, ?uvre de Dieu, des anges, d’autres démons ou de héros, tout cela n’a-t-il point une loi venant du Dieu très grand ? A chaque office ne trouve-t-on pas préposé, ayant obtenu la puissance, un être jugé digne? N’est-il donc pas juste que celui qui adore Dieu rende un culte à cet être qui a obtenu de lui l’autorité ? Non certes, dit-il, il n’est pas possible que le même homme serve plusieurs maîtres. LIVRE VI
Il a beau dire encore qu’on trouve préposé à chaque office, ayant obtenu la puissance du Dieu très grand, un être jugé digne d’une tâche quelconque. Il faudrait une science bien profonde pour pouvoir résoudre cette question: à la manière des bourreaux dans les cités et des hommes préposés aux fonctions cruelles mais nécessaires dans les états, les mauvais démons sont-ils préposés à certains offices par le Logos de Dieu qui gouverne l’univers, ou à la manière de ces brigands qui, dans des lieux déserts, établissent un chef pour les commander, les démons, organisés pour ainsi dire en cohortes dans les diverses régions de la terre, se sont-ils donnés un chef qui fût leur guide dans les entreprises qu’ils ont décidées pour voler et rançonner les âmes humaines ? Veut-on traiter convenablement ce point pour défendre les chrétiens qui évitent d’adorer autre chose que le Dieu suprême et son Logos, le « Premier-né de toute créature» », on devra alors expliquer les passages suivants : « Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs ou des brigands, et les brebis ne les ont pas écoutés » ; « Le voleur ne vient que pour voler, égorger, détruire », et toute autre parole semblable des saintes Écritures, comme : « Voici que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents et scorpions, et toute la puissance de l’ennemi sans que rien puisse vous nuire » ; « Sur l’aspic et le basilic tu marcheras et tu fouleras lion et dragons. » Celse ignorait tout de ces paroles. S’il les avait connues, il n’aurait pas dit : Ce qui existe dans l’univers, ?uvre de Dieu, des anges, d’autres démons ou de héros, tout cela n’a-t-il point une loi qui vient du Dieu très grand ? A chaque office ne trouve-t-on pas préposé, ayant obtenu la puissance, un être jugé digne ? N’est-il donc pas juste que celui qui adore Dieu rende un culte à cet être qui a obtenu de lui l’autorité ? A quoi il ajoute : Non, car il n’est pas possible que le même homme serve plusieurs maîtres. On traitera ce point dans le livre suivant, car le septième que j’ai écrit contre le traité de Celse a atteint une dimension suffisante. LIVRE VI
Puis Celse reprend : Qu’on leur enseigne que Jésus n’est pas son Fils, mais que Dieu est le père de tous et le seul qu’il faille véritablement adorer: ils s’y refusent, à moins de lui adjoindre celui qui est leur chef de parti. Ils l’ont même nommé Fils de Dieu, non pour offrir à Dieu une suprême adoration mais à celui-ci une suprême exaltation. Or nous avons appris ce qu’est le Fils de Dieu : « le rayonnement de sa gloire et l’empreinte de sa substance » ; « le souffle de la puissance de Dieu, la pure effusion de la gloire du Tout-Puissant ; le rayonnement de la lumière éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, l’image de sa bonté » ; nous savons que Jésus est le Fils sorti de Dieu et que Dieu est son Père. Il n’y a rien d’inconvenant dans cette doctrine, rien d’incompatible avec Dieu à ce qu’il donne naissance à un tel Fils unique. Et personne ne parviendrait à nous ôter la persuasion que Jésus est Fils du Dieu inengendré et Père. LIVRE VIII
Ensuite, il oublie qu’il s’adresse à des chrétiens qui seuls prient Dieu par Jésus, il mélange des doctrines différentes et les attribue sans raison aux chrétiens en disant : Si on prononce leurs noms dans une langue barbare, ils auront de la puissance, mais si c’est en grec ou en latin, ils n’en ont plus. Qu’on nous montre donc celui dont nous invoquons le nom dans une langue barbare pour l’appeler à l’aide ! On verra bien l’insanité de cette critique de Celse en constatant que la foule des chrétiens n’use même pas dans ses prières des noms qui sont littéralement dans les divines Écritures pour désigner Dieu, mais que les Grecs se servent de mots grecs, les Romains de mots latins et ainsi chacun selon sa propre langue, pour prier Dieu et le louer comme il peut. Et le Seigneur de toute langue écoute ceux qui prient en chaque langue, comme s’il écoutait une voix pour ainsi dire unique en ce qu’elle veut signifier, bien qu’elle s’exprime en diverses langues. Car le Dieu suprême n’est pas un de ceux qui ont en héritage une langue barbare ou grecque, ignorant les autres et n’ayant aucun souci de ceux qui parlent d’autres langues. LIVRE VIII
Cependant, puisque les âmes de ceux qui meurent pour le christianisme, glorieusement libérées de leur corps pour la religion, détruisaient la puissance des démons et faisaient échouer leur complot contre les hommes, pour cette raison, je pense, les démons, reconnaissant par expérience leur défaite et la victoire des témoins de la vérité, ont craint de revenir se venger, et ainsi, jusqu’à ce qu’ils aient oublié les peines qu’ils ont souffertes, le monde sera probablement en paix avec les chrétiens. Mais quand ils rassembleront leur puissance et voudront, dans leur méchanceté aveugle, se venger encore des chrétiens et les persécuter, ils subiront encore la défaite ; et alors encore les âmes des fidèles pieux, qui pour leur religion se défont de leur corps, détruiront l’armée du Malin. LIVRE VIII
Les Grecs diront que ce sont là des fables, bien que la vérité de ces histoires soit attestée par deux peuples entiers. Mais pourquoi donc les récits des Grecs ne seraient-ils pas des fables plutôt que celles-ci ? Si l’on aborde directement la question sans être arbitrairement prévenu en faveur de ses propres histoires ni incrédules à celles des étrangers, on pourra dire : celles des Grecs viennent des démons, celles des Juifs de Dieu par les prophètes, ou des anges et de Dieu par les anges, et celles des chrétiens de Jésus et de sa puissance qui résidait dans ses apôtres. Qu’on me permette de les comparer toutes entre elles en voyant le but poursuivi par ceux qui les ont accomplies et leur résultat, profit ou dommage ou inefficacité pour ceux qui en ont éprouvé les prétendus bienfaits. On verra sans doute la sagesse de l’antique peuple des Juifs avant qu’il outrageât la divinité. Celle-ci les a plus tard abandonnés pour la gravité de leur malice. Mais elle a miraculeusement rassemblé les chrétiens, amenés dès le début, plus par les prodiges que par la force persuasive des discours, à délaisser les croyances traditionnelles pour choisir celles qui leur étaient étrangères. En effet, s’il faut une explication vraisemblable du rassemblement initial des chrétiens, on dira qu’il n’est pas plausible que les apôtres de Jésus, hommes illettrés et ignorants, aient fondé leur assurance pour annoncer le christianisme aux hommes sur autre chose que sur la puissance qui leur avait été donnée et sur la grâce unie à la parole pour montrer la vérité des faits ; ni non plus que leurs auditeurs aient renoncé à leurs habitudes ancestrales invétérées sans qu’une puissance notable et des actes miraculeux les aient amenés à des doctrines si nouvelles, étrangères à celles dans lesquelles ils avaient été élevés. LIVRE VIII
Ainsi donc Celse tente de soumettre notre âme aux démons, comme s’ils avaient obtenu la charge de nos corps. Il soutient que chacun préside à une partie de notre corps. Il veut que nous croyons à ces démons qu’il mentionne, et que nous leur rendions un culte pour être en bonne santé plutôt que malade, pour avoir une vie heureuse plutôt que misérable et, dans toute la mesure du possible, échapper aux tortures. Il méconnaît l’honneur indivise et indivisible qui s’adresse au Dieu de l’univers, jusqu’à ne pas croire que Dieu seul, adoré et hautement honoré suffît à fournir à qui l’honore, et par le fait même de cette adoration, un pouvoir qui arrête les attaques des démons contre le juste. Car il n’a pas vu comment la formule « au nom de Jésus », prononcée par les authentiques croyants, a guéri maintes personnes de maladies, de possessions diaboliques et d’autres afflictions. Il est bien probable que nous ferons rire un partisan de Celse en disant : « Au nom de Jésus tout genou fléchira au ciel, sur terre, aux enfers, et toute langue est tenue de confesser que Jésus-Christ est Seigneur pour la gloire de Dieu le Père. » Mais ce rire ne peut empêcher notre invocation d’avoir des preuves de son efficacité plus manifestes que ce qu’il raconte à propos des noms de Chnoumen, Chnachoumen, Knat, Sikat et les autres de la liste égyptienne, dont l’invocation guérirait les maladies des diverses parties du corps. Vois en outre de quelle façon, en nous détournant de croire au Dieu de l’univers par Jésus-Christ, il nous invite à croire, pour guérir notre corps, en trente-six démons barbares que les magiciens d’Egypte sont seuls à invoquer en nous promettant je ne sais quelles merveilles. D’après lui, il serait temps pour nous d’être magiciens et sorciers plutôt que chrétiens, de croire à un nombre infini de démons plutôt que de croire au Dieu suprême de lui-même évident, vivant et manifeste, par Celui qui avec une grande puissance a répandu la pure doctrine de la religion par tout le monde des hommes et même, ajouterai-je sans mentir, le monde des autres êtres raisonnables qui ont besoin de réforme, de guérison et de conversion du péché. LIVRE VIII
Celse en tout cas devine qu’il de la connaissance de ces pratiques à la magie et, conscient du dommage qui en résulterait pour ses auditeurs, il dit : Il faut toutefois, quand on s’unit à ces démons, prendre garde qu’on ne soit absorbé par le culte à leur rendre et que par amour du corps on ne se détourne des biens supérieurs et on ne soit retenu loin d’eux en les oubliant. Peut-être ne faut-il pas refuser de croire les sages : ils disent que la plupart des démons terrestres, absorbés dans la génération, rivés au sang et au fumet de graisse, liés par des incantations et d’autres pratiques de ce genre, ne peuvent rien de mieux que de guérir les corps, prédire leur destinée prochaine d l’individu et à la cité, et que leur science et leur puissance ne s’étendent qu’aux activités mortelles. LIVRE VIII
Considère toi-même la disposition qui agréera davantage au Dieu suprême dont la puissance est inégalable en tout ordre de choses, spécialement pour répandre sur les hommes les bienfaits de l’âme, du corps, des biens extérieurs. Sera-ce la consécration totale de soi-même à Dieu, ou la minutieuse recherche des noms, des pouvoirs, des activités des démons, des incantations, des plantes particulières aux démons, des pierres avec leurs inscriptions correspondant aux formes traditionnelles des démons symboliquement ou de tout autre manière ? Il est évident, même à une réflexion sommaire, que la disposition simple et sans vaine curiosité qui, de ce fait, se consacre au Dieu suprême, sera agréée de Dieu et de tous ses familiers. Au contraire, pour la santé physique, l’amour du corps, la réussite dans les choses indifférentes, se préoccuper des noms des démons, chercher comment charmer les dénions par des incantations, c’est vouloir être abandonné par Dieu, comme un être mauvais, impie et démoniaque plutôt qu’humain, aux démons qu’on choisit en prononçant ces formules, pour être tourmenté soit par les pensées que chacun d’eux suggère, soit par d’autres malheurs. Car il est vraisemblable que ces êtres, étant mauvais et, comme l’avoue Celse, rivés au sang, au fumet de graisse, aux incantations et autres choses de ce genre, ne gardent, même envers ceux qui leur offrent ces jouissances, ni leur foi ni, si l’on peut dire, leurs engagements. Car, que d’autres les invoquent contre ceux qui leur ont rendu un culte et qu’ils achètent leur service avec plus de sang, de fumet de graisse et de ce culte qu’ils exigent, ils peuvent s’en prendre à qui hier leur rendait un culte et leur donnait une part de ce festin qui leur est cher. LIVRE VIII
L’institution des rois et des princes offre matière à une ample doctrine : à cet égard s’ouvre un vaste champ de recherche, à cause de ceux qui ont régné en exerçant la cruauté et la tyrannie, ou pour qui le pouvoir fut l’occasion de s’abandonner à la mollesse et à la volupté. Aussi renoncerai-je à traiter ici la question. Pourtant, nous ne jurons point par la fortune de l’empereur, ni par aucun autre qu’on regarderait comme un dieu. En effet, ou bien, comme certains l’on dit, la fortune de l’empereur n’est qu’un mot comme les mots opinion ou divergence, et nous ne jurons pas sur ce qui n’a aucune existence comme si c’était un dieu ou un être réellement existant et doté d’une puissance effective ; car nous ne voulons pas utiliser à des fins interdites la puissance du serment. Ou bien, suivant la pensée des auteurs pour qui jurer par la fortune de l’empereur de Rome est jurer par son démon, ce qu’on nomme fortune de l’empereur, c’est son démon ; dès lors, nous devons mourir plutôt que de jurer par un démon pervers et perfide qui souvent pèche avec l’homme auquel il a été préposé, ou pèche même plus que lui. LIVRE VIII
Or nous disons : pour bénir le soleil, nous n’attendons pas qu’on nous l’ordonne, nous qui avons appris à bénir non seulement ceux qui se rangent sous le même ordre que nous, mais encore les ennemis. Nous bénirons donc le soleil comme une belle créature de Dieu qui garde les lois de Dieu, entend la parole : « Soleil et mer, louez le Seigneur ! » et de toute sa puissance chante un hymne au Père et Créateur de l’univers. Toutefois, en rangeant Athènè avec le soleil, les traditions des Grecs ont inventé la fable, avec ou sans significations allégoriques, qu’elle est née toute armée du cerveau de Zeus et que, poursuivie un jour par Hèphaestos qui voulait corrompre sa virginité, elle lui échappa ; mais elle en aima la semence, dans l’ardeur du désir tombée à terre ; et elle éleva sous le nom d’Érichthonios, comme on le dit, « l’enfant de la glèbe féconde qu’Athènè, fille de Zeus, jadis éleva. « On voit ainsi que pour reconnaître Athènè, fille de Zeus, on doit admettre bien des mythes et des fictions que ne peut admettre celui qui fuit les mythes et cherche la vérité. LIVRE VIII
Il se demande ce qui arriverait si les Romains étaient convaincus par la doctrine chrétienne, négligeaient les honneurs à rendre aux prétendus dieux et les coutumes autrefois en usage chez les hommes, et adoraient le Très-Haut. Qu’il entende notre opinion sur ce point. Nous disons : « Si deux ou trois d’entre vous s’accordent sur la terre à demander quoi que ce soit, cela sera accordé par le Père des justes qui est dans les cieux. » Car Dieu prend plaisir à l’accord des êtres raisonnables et se détourne de leur désaccord. Que faut-il penser pour le cas où l’accord existerait non seulement comme aujourd’hui entre très peu de personnes mais dans tout l’empire romain ? Alors ils prieront le Logos qui autrefois dit aux Hébreux poursuivis par les Égyptiens : « Le Seigneur combattra pour vous et vous n’aurez qu’à vous taire. » Et l’ayant prié d’un accord total, ils pourront détruire un bien plus grand nombre d’ennemis lancés à leur poursuite que n’en détruisit la prière de Moïse poussant des cris vers Dieu en même temps que ceux qui étaient avec lui. Si les promesses de Dieu à ceux qui observent la loi ne sont pas réalisées, ce n’est pas que Dieu aurait menti, mais que les promesses étaient faites sous cette condition qu’ils garderaient la loi et y conformeraient leur vie. Et si les Juifs qui avaient reçu ces promesses conditionnelles n’ont plus ni feu ni lieu, il faut en accuser toutes leurs transgressions de la loi et singulièrement leur faute contre Jésus. Mais, comme Celse le suppose, que tous les Romains, convaincus, se mettent à prier, ils triompheront de leurs ennemis ; ou plutôt, ils n’auront même plus de guerre du tout, car ils seront protégés par la puissance divine qui avait promis, pour cinquante justes, de garder intactes cinq villes entières. Car les hommes de Dieu sont le sel du monde assurant la consistance des choses de la terre, et les choses terrestres se maintiennent tant que le sel ne s’affadit pas : « Car si le sel perd sa saveur, il n’est plus bon ni pour la terre, ni pour le fumier, mais on le jette dehors et les hommes le foulent aux pieds. Que celui qui a des oreilles entende » le sens de cette parole. Pour nous, quand Dieu, laissant la liberté au Tentateur, lui donne tout pouvoir de nous persécuter, nous sommes persécutés. Mais lorsqu’il veut nous soustraire à cette épreuve, en dépit de la haine du monde qui nous entoure, nous jouissons d’une paix miraculeuse, nous confiant en Celui qui a dit : « Courage, moi j’ai vaincu le monde. » En toute vérité, il a vaincu le monde, et le monde n’a de force que dans la mesure où le veut son vainqueur qui tient de son Père sa victoire sur le monde. Notre courage repose sur sa victoire. LIVRE VIII
S’il faut dire quelque chose sur cette question qui demanderait tant de recherches et de preuves, voici quelques mots pour mettre en lumière, non seulement la possibilité, mais la vérité de ce qu’il dit sur cet accord unanime de tous les êtres raisonnables pour observer une seule loi. Les gens du Portique disent que, une fois réalisée la victoire de l’élément qu’ils jugent plus fort que les autres, aura lieu l’embrasement où tout sera changé en feu. Nous affirmons, nous, qu’un jour le Logos dominera toute la nature raisonnable et transformera chaque âme en sa propre perfection, au moment où chaque individu, n’usant que de sa simple liberté, choisira ce que veut le Logos et obtiendra l’état qu’il aura choisi. Nous déclarons invraisemblable que, comme pour les maladies et les blessures du corps où certains cas sont rebelles à toutes les ressources de l’art médical, il y ait aussi dans le monde des âmes une séquelle du vice impossible à guérir par le Dieu raisonnable et suprême. Car le Logos et sa puissance de guérir sont plus forts que tous les maux de l’âme. Il applique cette puissance à chacun selon la volonté de Dieu ; et la fin du traitement, c’est la destruction du mal. Est-ce de manière qu’il ne puisse absolument pas ou qu’il puisse revenir, on n’a point à l’envisager ici. LIVRE VIII