Privilèges du cénobite et de l’ermite.

{{Conférences — 19, 6.}} Je ne dis rien de tant de choses qui pèsent particulièrement à une âme toute transportée et constamment attentive à la contemplation spirituelle : le concours des frères ; les devoirs qu’imposent la réception et la conduite des hôtes ; les visites à leur rendre; un tracas sans fin de conversations et d’affaires, dont la seule attente préoccupe encore, dans le temps même qu’elles paraissent cesser, l’esprit entretenu dans l’agitation par une inquiétude sans cesse renouvelée. Ainsi se fait-il que la liberté du désert succombe sous les chaînes ; le cœur ne s’élève jamais à cette allégresse ineffable dont nous avons parlé, et se trouve privé du fruit de la profession érémitique. Certes, je n’y puis prétendre davantage dans la communauté où je suis et parmi la foule des frères. Du moins la paix de l’âme et la tranquillité d’un cœur libre de soucis ne me font-elles point défaut. Et si ceux qui demeurent dans la solitude ne les ont pas à leur portée, comme moi, ils soutiennent les labeurs de la vie anachorétique, tout en étant frustrés de son fruit, qui ne se conquiert que par la stabilité et la paix de l’esprit. Enfin, à supposer même que la vie commune m’enlève quelque chose de la pureté de cœur dont jouissent les ermites, je trouve une compensation qui me satisfait dans l’accomplissement du précepte évangélique. Car tous les avantages de la solitude ne dépassent certainement pas celui de n’avoir aucun souci du lendemain et de pouvoir, en me soumettant jusqu’à la fin à la conduite d’un abbé, imiter de quelque manière celui dont il est dit : « Il s’est abaissé lui-même, se faisant obéissant jusqu’à la mort » ( Phil 2, 8 ), et répéter humblement après lui : « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais celle de mon Père qui m’a envoyé » ( Jn 6, 38 ).