Platon (Orígenes)

Celse a cité comme une expression courante chez les chrétiens : La sagesse dans le cours de cette vie est un mal, et la folie un bien. Il faut répondre qu’il calomnie la doctrine, puisqu’il n’a pas cité le texte même qui se trouve chez Paul et que voici : « Si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage, car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » L’Apôtre n’affirme donc pas simplement : « la sagesse est folie devant Dieu », mais : « la sagesse de ce monde… » ; ni non plus : « si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou » en général, mais : « qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage ». Donc, nous appelons « sagesse de ce siècle » toute philosophie remplie d’opinions fausses, qui est périmée d’après les Ecritures ; et nous disons : « la folie est un bien », non point absolument, mais quand on devient fou pour ce siècle. Autant dire du Platonicien, parce qu’il croit à l’immortalité de l’âme et à ce qu’on dit de sa métensomatose, qu’il se couvre de folie aux yeux des Stoïciens qui tournent en ridicule l’adhésion à ces doctrines, des Péripatéticiens qui jasent des « fredonnements » de Platon, des Epicuriens qui crient à la superstition de ceux qui admettent une providence et posent un dieu au-dessus de l’univers ! Ajoutons qu’au sentiment de l’Ecriture, il vaut bien mieux donner son adhésion aux doctrines avec réflexion et sagesse qu’avec la foi simple ; et qu’en certaines circonstances, le Logos veut aussi cette dernière pour ne pas laisser les hommes entièrement désemparés. C’est ce que montre Paul, le véritable disciple de Jésus, quand il dit : « Car, puisque dans la sagesse de Dieu le monde n’a pas connu Dieu avec la sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication » D’où il ressort donc clairement que c’est dans la sagesse de Dieu que Dieu devait être connu. Et puisqu’il n’en fut rien, Dieu a jugé bon ensuite de sauver les croyants, non pas simplement par la folie, mais par la folie relative à la prédication. De là vient que la proclamation de Jésus-Christ crucifié est la folie de la prédication, comme le dit encore Paul qui en avait pris conscience et déclare « Mais nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » LIVRE I

Il a délibérément passé sous silence la légende des dieux supposés, aux passions tout humaines, due principalement aux poèmes d’Orphée. Mais ensuite, dans sa critique de l’histoire de Moïse, il accuse ceux qui en donnent une interprétation figurée et allégorique. On pourrait riposter à cet auteur illustre qui a intitule son livre “Discours véritable” quoi donc, mon brave, des dieux s’engagent dans des aventures telles que les décrivent tes sages poètes et philosophes, ils se livrent à des unions maudites, entrent en guerre contre leurs pères, leur tranchent les organes virils, et tu prends au sérieux l’histoire qui rapporte leur audace à commettre et a souffrir ces forfaits ! Mais lorsque Moïse ne dit rien de tel sur Dieu, ni même sur les saints anges, et qu’il raconte sur les hommes de bien moindres méfaits — chez lui personne n’a les audaces de Cronos envers Ouranos, ni celles de Zeus envers son père, sans ajouter que « le père des dieux et des hommes » s’est uni à sa fille —, on pense qu’il égare ceux qu’il a trompés en leur donnant sa loi. Celse me semble agir à peu près comme le Thrasymaque de Platon, qui ne permet point à Socrate de répondre à sa guise sur la justice, mais déclare : « Garde-toi de dire que le juste c’est l’utile, l’obligatoire ou quoi que ce soit de semblable » Lui aussi, lorsqu’il accuse, croit-il, les histoires de Moïse et qu’il blâme ceux qui les interprètent en allégories tout en les louant d’être les plus raisonnables, il voudrait bien, après son accusation fantaisiste, empêcher ceux qui le peuvent de répondre comme le demande la nature des choses. LIVRE I

Ensuite, dans le secret dessein de calomnier le récit de la création d’après Moïse, qui révèle que le monde n’a pas encore dix mille ans, tant s’en faut, Celse prend parti, tout en cachant son intention, pour ceux qui disent que le monde est incréé. Car en disant : “Il y eut de toute éternité bien des embrasements, bien des déluges, dont le plus récent est l’inondation survenue naguère au temps de Deucalion”, il suggère clairement à ceux qui sont capables de le comprendre que, selon lui, le monde est incréé. Mais qu’il nous dise, cet accusateur de la foi chrétienne, par quels arguments démonstratifs il a été contraint d’admettre qu’il y eut bien des embrasements, bien des déluges, et que les plus récents de tous furent l’inondation du temps de Deucalion et l’embrasement du temps de Phaéton ! S’il produit à leur sujet les dialogues de Platon, nous lui répondrons : à nous aussi il est permis de dire que dans l’âme pure et pieuse de Moïse, élevé au-dessus de tout le créé et uni au Créateur de l’univers, résidait un esprit divin qui fit connaître la vérité sur Dieu bien plus clairement que Platon et les sages grecs ou barbares. Et s’il nous demande des raisons de cette foi, qu’il nous en donne le premier de ce qu’il avance sans preuves, ensuite nous prouverons que nos affirmations sont fondées. LIVRE I

Il y aurait bien d’autres choses à dire au sujet des noms contre ceux qui pensent qu’on doit être indifférent à leur emploi. Et s’il est vrai qu’on admire Platon pour son mot dans le Philèbe : « Ma révérence, Protarque, pour les noms des dieux est profonde », lorsque Philèbe, interlocuteur de Socrate, avait appelé le plaisir un dieu, combien plus approuverons-nous la piété des chrétiens qui n’appliquent au Créateur de l’univers aucuns des noms en usage dans les mythologies ! Mais en voilà assez pour le moment. LIVRE I

L’indigène de Sériphos, chez Platon, reprochait à Thémistocle, rendu célèbre par sa valeur militaire, de ne pas devoir sa gloire à son mérite personnel, mais à sa chance d’avoir la patrie la plus remarquable de toute la Grèce ; ce qui lui attira cette réponse du judicieux Thémistocle qui voyait que sa patrie avait aussi contribué à le rendre célèbre : « Eusse-je été de Sériphos, je ne serais pas devenu si célèbre ; mais aurais-tu la chance d’être d’Athènes, tu ne serais pas devenu Thémistocle ! » Or, notre Jésus, à qui on reproche d’être issu d’un bourg ne faisant partie ni de la Grèce ni d’une nation de renommée universelle, qu’on veut diffamer comme étant le fils d’une pauvre fileuse, obligé par la pauvreté d’abandonner sa patrie et de louer ses services en Egypte, comme s’il était, pour reprendre l’exemple cité, non seulement de Sériphos, issu de l’île la plus petite et la moins connue, mais même, si j’ose dire, le moins noble de ses habitants, ce Jésus a eu la puissance de secouer toute la terre habitée par les hommes, non seulement plus que Thémistocle d’Athènes, mais aussi que Pythagore, Platon et tous les autres parmi les sages, les empereurs, les généraux de n’importe quelle région de la terre. LIVRE I

Revenons aux paroles attribuées au Juif, où il est écrit que “la mère de Jésus a été chassée par le charpentier qui l’avait demandée en mariage, pour avoir été convaincue d’adultère et être devenue enceinte des oeuvres d’un soldat nommé Panthère”, et voyons si les auteurs de cette fable de l’adultère de la Vierge avec Panthère et de son renvoi par le charpentier ne l’ont point forgée aveuglément pour nier la conception miraculeuse par le Saint-Esprit. Ils auraient pu, en effet, à cause de son caractère tout à fait miraculeux, falsifier l’histoire d’une autre manière, même sans admettre involontairement pour ainsi dire que Jésus n’était pas né d’un mariage humain ordinaire. Il était tout naturel que ceux qui n’admettent pas la naissance miraculeuse de Jésus forgent quelque mensonge. Mais l’avoir fait sans vraisemblance et en maintenant que la Vierge n’avait pas conçu Jésus de Joseph faisait éclater le mensonge à tout homme capable de discerner et de réfuter les fictions. Serait-ce une chose raisonnable, en effet : l’homme qui a tant osé entreprendre pour le salut du genre humain afin que tous, Grecs et barbares, autant qu’il dépend de lui, dans l’attente du jugement de Dieu, s’abstiennent du vice et fassent tout pour plaire au Créateur de l’univers, cet homme n’aurait pas eu de naissance miraculeuse, mais la plus illégitime et la plus honteuse de toutes les naissances ? Je le demande aux Grecs et en particulier à Celse qui, partageât-il ou non ses idées, en tout cas cite Platon : Celui qui fait descendre les âmes dans les corps des hommes va-t-il pousser à la naissance plus honteuse qu’aucune autre, sans même l’introduire dans la vie des hommes par un mariage légitime, l’être qui allait tant oser entreprendre, instruire tant de disciples, détourner du flot du vice une foule d’hommes ? N’est-il pas plus raisonnable que chaque âme, introduite dans un corps pour des raisons mystérieuses — je parle ici d’après la doctrine de Pythagore, Platon, Empédocle, dont Celse fait souvent mention —, soit ainsi introduite pour son mérite et son caractère antérieurs ? Il est donc probable que cette âme, plus utile par sa venue à la vie des hommes que celle d’un grand nombre, pour ne point paraître préjuger en disant de tous, ait eu besoin d’un corps qui, non seulement se distingue des corps humains, mais encore est supérieur à tous. LIVRE I

Mais, à l’adresse des Grecs qui ne croient pas que Jésus soit né d’une vierge, il faut ajouter : le Créateur a montré dans la naissance d’animaux variés que, ce qu’il fait pour un animal, il lui était possible, s’il le voulait, de le faire pour d’autres et pour les humains eux-mêmes. On trouve certaines femelles d’animaux qui n’ont pas commerce avec un mâle, comme les naturalistes le disent du vautour, et cet animal sauve la continuité de son espèce sans union sexuelle. Qu’y a-t-il donc d’extraordinaire que Dieu, ayant voulu envoyer un maître divin à la race humaine, au lieu de créer par un principe séminal résultant de l’union des mâles aux femelles, ait décidé que le principe de celui qui allait naître fût d’un autre ordre ? De plus, selon les Grecs eux-mêmes, tous les hommes ne sont pas nés d’un homme et d’une femme. Si, en effet, le monde a été créé, comme bien des Grecs l’ont admis, nécessairement les premiers hommes ne sont pas nés d’une union sexuelle, mais de la terre qui contenait les raisons séminales : ce que je trouve plus extraordinaire que la naissance de Jésus à demi semblable à celle du reste des hommes. Et à l’adresse des Grecs, il n’est pas déplacé de citer encore des histoires grecques, pour qu’ils ne paraissent pas les seuls à user de cette extraordinaire histoire. Certains ont jugé bon, à propos non plus d’anciennes légendes héroïques, mais d’événements d’hier ou avant-hier, d’écrire comme chose possible que Platon même fut né d’Amphictione alors qu’Ariston avait été empêché d’approcher d’elle avant qu’elle eût enfanté ce fils conçu d’Apollon. Il s’agit là en réalité de mythes qui ont poussé à imaginer un prodige de ce genre au sujet d’un homme, parce que, jugeait-on, il était d’une sagesse et d’une puissance supérieures à celles de la plupart et il avait reçu de semences supérieures et divines le principe de sa constitution corporelle, comme il convient à ceux qui ont une grandeur plus qu’humaine. Mais quand Celse, après avoir introduit le Juif s’entretenant avec Jésus, crible de sarcasmes ce qu’il considère comme la fiction de sa naissance d’une vierge, et qu’il cite les mythes grecs de “Danaé”, “de Mélanippe”, “d’Auges et d’Antiope”, il faut dire que ces propos convenaient à un bouffon, non à un écrivain qui prend son message au sérieux. LIVRE I

Ensuite, il tire de l’Évangile selon Matthieu, et peut-être aussi des autres Evangiles, l’histoire de la colombe qui a volé sur le Sauveur lors de son baptême par Jean, et veut la disqualifier comme une fiction. Mais croyant avoir mis en pièces l’histoire que notre Sauveur est né d’une vierge, il ne cite pas dans l’ordre les événements qui suivent : car la passion et la haine n’ont rien d’ordonné, mais les gens pris de colère et de haine lancent contre ceux qu’ils haïssent les injures qui leur passent par la tête, empêchés par la passion de formuler leurs griefs d’une manière réfléchie et ordonnée. S’il avait gardé l’ordre, en effet, il aurait pris l’Évangile et, décidé à l’accuser, il aurait critiqué le premier récit, puis aurait passé au second, et ainsi du reste. Mais non ! Après la naissance d’une vierge, Celse qui proclame tout savoir de nos doctrines, incrimine l’apparition du Saint-Esprit lors du baptême sous la forme d’une colombe, puis calomnie ensuite la prophétie de la venue de notre Sauveur, après quoi il revient aux événements racontés à la suite de la naissance de Jésus, au récit de l’étoile et des mages venus de l’Orient « adorer » l’enfant. Et que de passages confus de Celse à travers tout le livre révélerait une observation attentive ! Nouveau moyen, pour ceux qui savent chercher et garder l’ordre, de le convaincre d’impudence et de vantardise lorsqu’il intitule son livre “Discours véritable”, ce que n’a fait aucun des philosophes de valeur ! Car Platon dit que ce n’est pas faire preuve d’esprit sensé que de trancher avec force sur des sujets de cet ordre et plus obscurs encore. Et souvent Chrysippe, après avoir cité les raisons qui l’ont persuadé, nous renvoie à ceux chez qui l’on pourrait trouver une meilleure explication que la sienne. Voilà donc un homme qui, plus sage même que ces deux auteurs et que tous les autres Grecs, dans la logique de son affirmation de tout savoir, intitula son livre “Discours véritable” ! LIVRE I

Pour citer encore, à propos de Judas, un argument qui le confonde, je dirai que, dans le livre des psaumes, tout le cent-huitième n’est qu’une prophétie à son sujet. Il débute par ces mots : « O Dieu, ne cesse de parler à ma louange, car la bouche du méchant et la bouche du trompeur s’est ouverte contre moi. » Et on y prophétise que Judas s’est exclu du nombre des apôtres à cause de son péché, et qu’un autre a été choisi à sa place ; c’est le sens du mot : « et qu’un autre prenne sa charge ». Mais admettons qu’il ait été livré par un des disciples pire que Judas, sur lequel aient glissé, pour ainsi dire, toutes les paroles de Jésus : en quoi cela renforcerait-il une accusation contre Jésus ou le christianisme ? Comment serait-ce une preuve de la fausseté de l’Évangile ? Quant aux accusations qui suivent, j’y ai déjà répondu plus haut en montrant que ce n’est pas en fuyant que Jésus a été pris, mais qu’il s’est volontairement livré pour nous ; d’où il suit que s’il a été lié, il l’a été de son plein gré, nous enseignant à accueillir de bon coer ces sortes d’épreuves endurées pour la religion. Voici encore qui me semble puéril : “Un bon général qui commande à des milliers de soldais n’est jamais livré, ni même un misérable chef de brigands à la tête des plus dépravés, tant qu’il semble utile à ses associés. Mais Jésus, puisqu’il fut livré par ses subordonnés, n’a pas commandé en bon général, et après avoir dupé ses disciples, il n’a pas inspiré à ces dupes la bienveillance, si l’on peut dire, que l’on a pour un chef de brigands.” On peut trouver bien des histoires de généraux livrés par leurs familiers, et de chefs de brigands pris par suite d’une infidélité aux engagements à leur égard. Admettons qu’aucun des généraux ou des chefs de brigands n’ait été livrés : en quoi cela renforce-t-il le grief fait à Jésus de ce qu’un de ses disciples l’a livré ? Puisque Celse fait profession de philosophie, je peux lui demander : est-ce un motif d’accuser Platon si Aristote, après l’avoir écouté vingt ans, s’est détourné de lui, s’en prit à sa doctrine de l’immortalité de l’âme, et a qualifié de « fredonnements » les Idées platoniciennes ? S’il restait un doute, j’ajouterais : est-ce que Platon n’avait plus de vigueur dialectique ni de puissance à établir son système, quand Aristote se fut détourné de lui, et les doctrines de Platon sont-elles fausses pour autant ? Ou se peut-il que Platon ait raison, au dire des philosophes qui le suivent, et qu’Aristote soit devenu méchant et ingrat envers son maître ? Chrysippe également, en bien des passages de ses livres, semble s’attaquer à Cléanthe, et propose des innovations contraires aux thèses de celui-ci, qui fut son maître alors qu’il était jeune et abordait la philosophie. Et pourtant, Aristote, dit-on, a fréquenté Platon vingt ans, et Chrysippe fut à l’école de Cléanthe un temps considérable. Mais Judas n’a même point passé trois ans près de Jésus. Des biographies de philosophes on tirerait bien des faits pareils à ceux que Celse reproche à Jésus à propos de Judas. Les Pythagoriciens bâtissaient même des cénotaphes pour ceux qui, après s’être orientés vers la philosophie, rebroussaient chemin vers la vie commune ; cette défection n’affaiblissait pas la doctrine ni les preuves de Pythagore et de ses disciples. LIVRE II

Puisque le récit de la résurrection est pour des incroyants un objet de raillerie, je citerai Platon Er, fils d’Armenios, raconte-t-il, après douze jours, s’est relevé de son bûcher et a raconté ses aventures chez Hades. Et, à l’adresse d’incroyants, le récit de la femme privée de respiration chez Heraclide ne sera pas non plus, ici, sans utilité. On raconte encore que beaucoup sont sortis de leurs tombeaux, non seulement le jour même, mais aussi le lendemain. Qu’y a-t-il donc d’étonnant que l’auteur de tant de prodiges à caractère surhumain, et si évidents que ceux qui ne peuvent en nier la réalité les déprécient en les assimilant à des actes de sorcellerie, ait eu jusque dans sa mort quelque chose d’extraordinaire, au point que son âme soit sortie librement de son corps, et après l’accomplissement de certains ministères hors de lui, y soit revenue quand elle l’a voulu ? Or il est écrit chez Jean que Jésus prononça cette parole : « Personne ne m’ôte la vie, mais c’est moi qui la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, et j’ai le pouvoir de la reprendre. » Et peut-être la raison de sa hâte à sortir de son corps était-elle de le conserver intact et d’éviter que ses jambes ne fussent brisées comme celles des brigands crucifiés avec lui : « Car les soldats brisèrent les jambes du premier, puis du second qui avaient été crucifiés avec lui, mais, arrivés à Jésus, et voyant qu’il avait expiré, ils ne lui brisèrent pas les jambes. » LIVRE II

Mais le Juif, après avoir rapporté les histoires grecques de ces conteurs de merveilles et des soi-disant ressuscites des morts, dit aux Juifs qui croient en Jésus : «Pensez-vous que les aventures des autres soient des mythes en réalité comme en apparence, mais que vous auriez inventé à votre tragédie un dénouement noble et vraisemblable avec son cri sur la croix quand il rendit l’âme ? » Nous répondrons au Juif : les exemples que tu as cités, nous les tenons pour mythes, mais ceux des Écritures, qui nous sont communes avec vous et en égale vénération, nous nions absolument que ce soient des mythes. Voilà pourquoi nous croyons que ceux qui ont écrit sur les personnages autrefois ressuscites des morts n’usent pas de contes merveilleux ; nous croyons de même que Jésus est alors ressuscité tel qu’il l’a prédit et qu’il fut prophétisé. Mais voici en quoi sa résurrection des morts est plus miraculeuse que la leur : eux furent ressuscités par les prophètes Élie et Elisée ; Lui ne le fut par aucun des prophètes, mais par son Père qui est dans les cieux. Pour la même raison, sa résurrection a eu plus d’efficacité que la leur : car quel effet eut pour le monde la résurrection de petits enfants par Élie et Elisée, qui soit comparable à l’effet de la résurrection de Jésus prêchée et admise des croyants grâce à la puissance divine ? Il juge contes merveilleux le tremblement de terre et les ténèbres ; je les ai défendus plus haut de mon mieux en citant Phlégon qui a rapporté que ces faits survinrent au temps de la passion du Sauveur. Il ajoute, de Jésus : « Vivant, il ne s’est pas protégé lui-même ; mort, il ressuscita et montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées. » Je lui demande alors : que signifie « il s’est protégé lui-même » ? S’il s’agit de la vertu, je dirai qu’il s’est bel et bien protégé : sans dire ni faire quoi que ce fût d’immoral, mais vraiment « comme une brebis il a été conduit à l’abattoir, comme un agneau devant le tondeur il est resté muet », et l’Évangile atteste : « ainsi, il n’a pas ouvert la bouche ». Mais si l’expression « il s’est protégé » s’entend de choses indifférentes ou corporelles, je dis avoir prouvé par les Évangiles qu’il s’y est soumis de plein gré. Puis, après avoir rappelé les affirmations de l’Évangile : « ressuscité des morts, il montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées », il pose la question : « Qui a vu cela ? » et, s’en prenant au récit de Marie-Madeleine dont il est écrit qu’elle l’a vu, il répond : « Une exaltée, dites-vous ». Et parce qu’elle n’est pas la seule mentionnée comme témoin oculaire de Jésus ressuscité, et qu’il en est encore d’autres, le Juif de Celse dénature ce témoignage : « et peut-être quelque autre victime du même ensorcellement ». Ensuite, comme si le fait était possible, je veux dire qu’on puisse avoir une représentation imaginaire d’un mort comme s’il était en vie, il ajoute, en adepte d’Épicure, que « quelqu’un a eu un songe d’après une certaine disposition, ou, au gré de son désir dans sa croyance égarée, une représentation imaginaire » et a raconté cette histoire ; « chose, ajoute-t-il, arrivée déjà à bien d’autres ». Or c’est là, même s’il le juge très habilement dit, ce qui est propre néanmoins à confirmer une doctrine essentielle : l’âme des morts subsiste ; et pour qui admet cette doctrine, la foi en l’immortalité de l’âme ou du moins à sa permanence n’est pas sans fondement. Ainsi même Platon, dans son dialogue sur l’âme, dit qu’autour de tombeaux sont apparues à certains « des images semblables aux ombres », d’hommes qui venaient de mourir. Or ces images apparaissant autour des tombeaux des morts viennent d’une substance, l’âme qui subsiste dans ce qu’on appelle le « corps lumineux » Celse le rejette, mais veut bien que certains aient eu une vision en rêve et, au gré de leur désir, dans leur croyance égarée, une représentation imaginaire. Croire à 1’existence d’un tel songe n’est point absurde, mais celle d’une vision chez des gens qui ne sont pas absolument hors de sens, frénétiques ou mélancoliques, n’est pas plausible. Celse a prévu l’objection il parle d’une femme exaltée. Cela ne ressort pas du tout de l’histoire écrite d’où il tire son accusation Ainsi donc, après sa mort, Jésus, au dire de Celse, aurait provoqué une représentation imaginaire des blessures reçues sur la croix, sans exister réellement avec ces blessures. Mais suivant les enseignements de l’Evangile, dont Celse admet à sa guise certaines parties pour accuser, et rejette les autres, Jésus appela près de lui l’un des disciples qui ne croyait pas et jugeait le miracle impossible. Il avait bien donné son assentiment à celle qui assurait l’avoir vu, admettant la possibilité de voir apparaître l’âme d’un mort, mais il ne croyait pas encore vrai que le Christ fût ressuscite dans un corps résistant. D’où sa repartie « Si je ne vois, je ne croirai pas », puis ce qu’il ajoute « Si je ne mets ma main à la place des clous et ne touche son côté, je ne croirai pas. » Voilà ce que disait Thomas, jugeant qu’aux yeux sensibles pouvait apparaître le corps de l’âme « en tout pareil » a sa forme antérieure « par la taille, les beaux yeux, la voix », et souvent même « revêtu des mêmes vêtements » Mais Jésus l’appela près de lui « Avance ton doigt ici voici mes mains , avance ta main et mets-la dans mon côte , et ne sois plus incrédule, mais croyant » LIVRE II

Et s’il y a là une vue cohérente, pourquoi ne pas justifier de même les sectes entre les chrétiens ? A leur sujet, Paul me paraît avoir dit de manière tout à fait admirable : « C’est qu’il faut qu’il y ait même chez vous des sectes, pour permettre aux hommes de vertu éprouvée de se manifester parmi vous. » De même en effet que pour être un médecin éprouvé, il faut, après l’expérience acquise dans les différentes écoles, un examen judicieux de leur grand nombre pour pouvoir choisir la meilleure ; de même que, pour être un philosophe éminent, il faut avoir eu connaissance de nombreux systèmes, se les être assimilés et s’être attaché au plus solide ; de la même façon, dirais-je, il faut avoir scruté avec soin les sectes du judaïsme et du christianisme pour être un chrétien d’une science très profonde. Et blâmer notre doctrine, à cause des sectes, serait aussi bien blâmer l’enseignement de Socrate, parce que de son école sont issues beaucoup d’autres aux doctrines divergentes. De plus, on devrait blâmer les doctrines de Platon parce qu’Aristote a cessé de fréquenter son école pour en ouvrir une nouvelle, j’en ai parlé plus haut. Mais Celse me semble avoir eu connaissance de certaines sectes qui n’ont même pas en commun avec nous le nom de Jésus. Peut-être a-t-il entendu parler des « Ophites » et « Caïnites » ou de tout autre secte semblable qui a entièrement abandonné Jésus. D’ailleurs, il n’y aurait rien là qui mérite un blâme à la doctrine chrétienne. LIVRE III

Ensuite, il ne comprend pas le sens de l’expression : « Quiconque s’élève sera abaissé », il n’a même pas appris de Platon que l’honnête homme s’avance « humble et rangé », il ne sait même pas que nous disons : « Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu pour qu’il vous élève au bon moment », et il déclare : Des hommes, qui président correctement à un procès, ne tolèrent pas qu’on déplore les fautes en discours à lamentations, de peur que la pitié plus que la vérité ne dicte leur sentence; Dieu, donc, juge en fonction non de la vérité mais de la flatterie. Quelle flatterie, quel discours à lamentations y a-t-il dans les divines Écritures? Le pécheur dit dans sa prière à Dieu : « Je t’ai fait connaître mon péché, je ne t’ai point caché mon iniquité ; j’ai dit : je veux m’accuser de mon iniquité au Seigneur, etc. » Peut-il prouver qu’un tel aveu de pécheurs qui s’humilient devant Dieu dans leurs prières n’est pas capable d’obtenir la conversion ? De plus, troublé par son ardeur à accuser, il se contredit. Tantôt il semble connaître un homme sans péché et juste qui, dans sa vertu originelle lève ses regards vers Dieu, tantôt il approuve ce que nous disons : « Quel est l’homme parfaitement juste, quel est l’homme sans péché ? » car c’est bien approuver cela que d’ajouter : Il est probablement vrai que la race humaine a une propension native à pécher. Ensuite, comme si tous les hommes n’étaient point appelés par le Logos, il objecte : Il eût donc fallu appeler tous les hommes sans exception, si en fait tous sont pécheurs. Mais j’ai montré plus haut que Jésus a dit : « Venez, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. » Tous les hommes donc, « qui peinent et ployent sous le fardeau » à cause de leur nature pécheresse, sont appelés au soulagement près du Logos de Dieu, car Dieu envoya « son Logos, les guérit et les préserva de leurs corruptions ». LIVRE III

Là encore Celse me paraît être dans l’erreur totale en n’accordant point, à ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui ont l’habitude de le faire, la possibilité d’un changement complet, en pensant qu’ils ne peuvent être guéris même par des châtiments. En effet il semble manifeste que, nous les hommes, nous sommes tous naturellement enclins à pécher, et que quelques-uns non seulement sont naturellement enclins à pécher, mais en ont l’habitude. Néanmoins tous les hommes ne sont pas réfractaires au changement complet. On apprend dans chaque école philosophique, et dans la divine Ecriture, qu’il y a des gens tellement changés qu’on les propose en modèle de la vie parfaite. On cite parmi les héros Héraclès et Ulysse, plus tard Socrate, hier ou avant-hier Mousonios. C’est non seulement d’après nous que Celse a menti en disant qu’il est bien clair à chacun que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui en ont l’habitude, personne ne pourrait les conduire, même par des châtiments, à un total changement pour une vie meilleure. C’est aussi d’après les philosophes de valeur qui ne refusent pas la possibilité pour l’homme de recouvrer la vertu. Mais, bien que sa pensée manque de précision, en l’entendant sans parti pris, je ne le convaincrai pas moins de tenir un propos qui n’est pas sensé. Il a dit en effet que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui en ont l’habitude, personne ne pourrait, même par le châtiment, totalement les changer. Et le sens obvie de son texte, je l’ai réfuté de mon mieux. Mais voici probablement ce qu’il veut dire : ceux qui non seulement sont naturellement enclins à ces forfaits commis par les plus dépravés, mais encore en ont l’habitude, personne ne pourrait, même par des châtiments, totalement les changer. C’est encore un mensonge, comme le montre l’histoire de certains philosophes. Ne mettrait-on point au rang des plus dépravés des hommes celui qui accepte en quelque manière d’obéir à un maître qui l’a placé dans un mauvais lieu pour qu’il accueille quiconque voudrait le souiller ? Or c’est ce que l’histoire rapporte de Phédon. Comment ne pas qualifier comme le plus scélérat des hommes celui qui, avec une joueuse de flûte et d’autres convives, ses compagnons de débauche, pénétra dans l’école du vénérable Xénocrate, pour outrager un homme admiré même de son entourage ? Eh bien, la raison eut assez de force pour convertir ces hommes-là, et leur faire accomplir de tels progrès en philosophie que le premier fut jugé digne par Platon de retracer le discours de Socrate sur l’immortalité et décrire sa vigueur d’âme en prison quand, au lieu de s’inquiéter de la ciguë, sans crainte, il développait en toute sérénité d’âme des considérations d’une telle profondeur qu’ont peine à les suivre même les plus réfléchis que ne trouble aucune distraction. Polémon, lui, passa du libertinage à l’extrême tempérance, et reçut, dans son école, la succession de Xénocrate célèbre pour sa dignité. Celse ne dit donc pas la vérité dans son propos que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et en ont l’habitude, personne ne pourrait, même par le châtiment, totalement les changer. LIVRE III

Rien d’étonnant d’ailleurs à ce que l’ordre, la composition, l’élocution de ces discours philosophiques aient produit ces résultats en ceux qu’on a nommés et en d’autres dont la vie avait été mauvaise. Mais à considérer que les discours qualifiés par Celse de vulgaires sont remplis de puissance à la manière des incantations, à voir ces discours convertir d’innombrables multitudes des désordres à la vie la plus réglée, des injustices à l’honnêteté, des timidités et des lâchetés à une fermeté poussée jusqu’au mépris de la mort pour la religion qu’ils croyaient vraie, que de justes raisons d’admirer la puissance de ce discours ! Car « le discours » de ceux qui ont, à l’origine, donné cet enseignement et travaillé à établir les églises de Dieu, ainsi que leur « prédication » eurent une puissance persuasive, bien différente de la persuasion propre à ceux qui prônent la sagesse de Platon ou d’un autre philosophe qui, étant hommes, n’avaient rien d’autre qu’une nature humaine. La démonstration dont usaient les apôtres de Jésus avait été donnée par Dieu et tenait sa vertu persuasive de « l’Esprit et de la puissance ». De là vient la rapidité et la pénétration avec laquelle s’est répandue leur parole, ou plutôt celle de Dieu, qui, par eux, changea un grand nombre de ceux qui étaient naturellement enclins à pécher et en avaient l’habitude. Et ceux qu’un homme n’eût pas changés, même par le châtiment, le Logos les a recréés, les formant et les modelant à son gré. LIVRE III

Comme Celse reproche aux chrétiens d’être attirés par de vaines espérances, je répondrai à ses attaques contre la doctrine de la vie bienheureuse et de la communion avec Dieu : alors d’après toi, mon brave, ils sont attirés par des espérances vaines ceux qui ont accepté la doctrine de Pythagore et de Platon sur l’âme naturellement faite pour monter à la voûte du ciel, et dans un lieu supracéleste contempler les mêmes spectacles que les bienheureux. Et pour toi, Celse, ceux là aussi qui, ayant admis la survie de l’âme, vivent de manière à devenir des héros et à partager le séjour des dieux, sont attirés par des espérances vaines. Et probablement, même ceux qui sont persuadés que l’esprit qui vient « du dehors » est immortel et sera seul à survivre, au dire de Celse sont attirés par des espérances vaines. Qu’il vienne donc, sans plus cacher à quelle secte il appartient, mais s’avouant épicurien, combattre les raisons solides données parmi les Grecs et les barbares sur l’immortalité de l’âme et sa survie, ou sur l’immortalité de l’esprit. Qu’il prouve que ce sont là des raisons qui trompent par des espérances vaines ceux qui les admettent ; tandis que les raisons de sa propre philosophie, au lieu d’espérances vaines, ou inspirent de bonnes espérances ou, ce qui est plus conforme à ses principes, n’inspirent aucune espérance puisque l’âme subit une destruction immédiate et totale. A moins que Celse et les Epicuriens refusent de considérer comme vaine l’espérance de leur fin, le plaisir, qui est pour eux le bien suprême, et n’est que le sain équilibre du corps et la confiance assurée que met en lui Épicure. LIVRE III

Puisqu’il dit que les chrétiens ajoutent à cela d’autres raisons, il est clair que pour lui, ils donnent également celle-là. Et qu’y a-t-il d’absurde à croire, vu le flot du vice, à la venue de celui qui purifiera le monde et traitera chacun selon son mérite ? Il n’est pas digne de Dieu de ne pas arrêter la diffusion du vice par un renouvellement des choses. Les Grecs eux-mêmes savent que la terre est périodiquement purifiée par le déluge et par le feu, au dire encore de Platon : « Lorsque les dieux, pour purifier la terre, la submergent sous les eaux, les uns, sur les montagnes… », etc. Faut-il dire alors que ce sont là, lorsque les Grecs les affirment, des doctrines méritant respect et considération, mais que, quand nous établissons nous-mêmes certaines de ces doctrines qu’approuvent les Grecs, elles perdent toute valeur? Pourtant, ceux qui s’attachent à l’exposition nette et précise de toutes les Écritures s’efforceront de prouver non seulement l’ancienneté de leurs auteurs mais encore le sérieux de leurs affirmations et leur cohérence entre elles. LIVRE IV

Ensuite, Celse cite les traits d’une histoire étrangère à la divine Écriture : Les peuples qui revendiquent l’ancienneté, Athéniens, Égyptiens, Arcadiens, Phrygiens, affirment que certains de leurs membres sont nés de la terre, et en fournissent chacun les preuves. Puis il ajoute : Les Juifs, blottis dans un coin de la Palestine, n’ayant pas entendu dire que cela fut chanté jadis par Hésiode et mille autres auteurs inspirés, composèrent une histoire fort invraisemblable et fort grossière: Un homme modelé par les mains de Dieu et recevant son souffle, une femme tirée de son côté, des commandements de Dieu, un serpent se rebellant contre eux et le serpent victorieux des prescriptions de Dieu. Conte de bonnes femmes, impiété majeure que cette fiction où Dieu est si faible dès l’origine qu’il ne peut même convaincre le seul homme qu’il a lui-même modelé ! Voilà bien par où Celse, l’auteur très savant et très instruit qui reproche aux Juifs et aux chrétiens leur manque de savoir et de culture, montre la précision avec laquelle il savait les dates de chaque écrivain grec et barbare ! Il croit Hésiode et mille autres auteurs, qualifiés par lui d’inspirés, plus anciens que Moïse et ses écrits, Moïse qui manifestement est bien antérieur à la guerre de Troie ! Donc, ce ne sont pas les Juifs qui ont composé l’histoire fort invraisemblable et grossière sur l’homme né de la terre, ce sont les auteurs inspirés, au dire de Celse, Hésiode et mille autres. Sans avoir rien appris ni entendu dire des traditions bien plus anciennes et très vénérables répandues dans la Palestine, ils ont écrit des histoires sur les origines, Ehées et Théogonies, attribuant, autant qu’ils le pouvaient, à leurs dieux une naissance et une infinité d’autres sottises ! Avec raison Platon chasse de sa République, comme corrupteurs de la jeunesse, Homère et les auteurs de ces poèmes. LIVRE IV

Evidemment, Platon n’a pas jugé inspirés des auteurs qui ont laissé de tels poèmes. Mais il y aurait un juge plus compétent que Platon, Celse l’épicurien, si toutefois c’est bien lui qui a composé les deux autres traités contre les chrétiens ; mais c’est peut-être par esprit de querelle qu’il a nommé inspirés des auteurs qu’il ne pouvait croire inspirés. LIVRE IV

A celui qui donne une interprétation allégorique profonde de ce passage, qu’il touche juste ou non dans l’allégorie, nous dirons : est-ce aux seuls Grecs qu’il est permis de trouver des vérités philosophiques sous des significations cachées, ainsi qu’aux Égyptiens et à tous ceux des barbares qui prennent au sérieux la vérité de leurs mystères ; tandis que les seuls Juifs, leur Législateur et leurs écrivains t’ont paru les plus sots de tous les hommes, et que cette seule nation n’a reçu aucune part de la puissance divine, elle qui a été instruite à s’élever si magnifiquement jusqu’à la nature incréée de Dieu, à fixer les yeux sur lui seul, à placer en lui seul ses espérances ? Celse raille encore le passage sur le serpent qui se rebelle contre les prescriptions que Dieu fit à l’homme, tenant le propos pour un conte de bonnes femmes. Il s’abstient volontairement de mentionner le « jardin » et la manière dont il est dit que Dieu l’a planté « en Eden, au Levant », et qu’ensuite « il fit pousser du sol toute espèce d’arbres attrayants à voir et bons à manger, et l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal », puis les paroles qui s’y ajoutent, capables par elles-mêmes d’inciter le lecteur de bonne foi à voir que tout cela peut, sans inconvenance, être compris au sens figuré. Alors, comparons-lui les paroles de Socrate sur Amour dans le “Banquet” de Platon, et qu’on attribue à Socrate censé plus vénérable que tous ceux qui en traitent dans le “Banquet”. Voici le passage de Platon : « Le jour où naquit Aphrodite banquetaient les dieux, entre autres, le fils d’Invention, Expédient. Au sortir du festin s’en vint mendier Pauvreté, car on avait fait bombance, et elle se tenait à la porte. LIVRE IV

D’abord, il est toujours pauvre, et loin d’être délicat et beau comme la plupart l’imaginent : rude au contraire, malpropre, va-nu-pieds, sans gîte, couchant sur la dure toujours et sans couverture, dormant au seuil des portes ou sur les routes, en bon fils de sa mère faisant toujours bon ménage avec l’indigence. Par contre, à la ressemblance de son père, il est à l’affût de tout ce qui est beau et bon ; courageux, hardi, toutes forces tendues, chasseur redoutable, toujours à tramer des ruses, avide de pensée, riche en idées expédiantes, en quête de savoir toute sa vie, expert en incantations, en philtres, en arguties. Ni immortel de nature, ni mortel, tantôt le même jour, il est en fleur, en pleine vie quand ont réussi ses expédients, tantôt il meurt, mais il reprend vie de par l’atavisme paternel. Mais le fruit de ses expédients sans cesse lui glisse entre les doigts, si bien qu’Amour jamais n’est pauvre, jamais n’est riche. Au reste, du savoir et de l’ignorance, toujours à mi-chemin. » Les lecteurs de cette page, en prenant modèle sur la malice de Celse – ce qu’à Dieu ne plaise de la part des chrétiens ! – peuvent se moquer du mythe et tourner en ridicule le sublime Platon. Mais en parvenant, dans une étude philosophique des pensées revêtues de la forme du mythe, à découvrir l’intention de Platon, on admirera la manière dont il a pu cacher les grandes doctrines pour lui évidentes sous la forme d’un mythe, à cause de la foule, et à les dire comme il fallait à ceux qui savent découvrir dans des mythes la signification véritable de leur auteur. J’ai cité ce mythe de Platon à cause de son « jardin de Zeus » qui paraît correspondre au jardin de Dieu, à cause aussi de Pauvreté, comparable au serpent qui s’y trouve, et d’Expédient à qui en veut Pauvreté, comme le serpent en veut à l’homme. Mais on peut encore se demander si Platon réussit à trouver ces histoires par hasard ; ou si, comme certains le pensent, dans son voyage en Egypte il rencontra ceux qui interprètent philosophiquement les traditions juives, apprit d’eux certaines idées, garda les unes, démarqua les autres, se gardant de heurter les Grecs en conservant intégralement les doctrines de la sagesse des Juifs, objet de l’aversion générale pour le caractère étranger de leurs lois et la forme particulière de leur régime. Mais ni le mythe de Platon, ni l’histoire « du serpent » et du jardin de Dieu avec tout ce qui s’y est passé, n’ont à recevoir ici leur explication : elle fut l’objet principal de mes efforts dans mes Commentaires sur la Genèse. LIVRE IV

A la sentence qu’il porte sur le récit de Moïse : Impiété majeure que cette fiction où Dieu est si faible dès l’origine qu’il ne peut même convaincre le seul homme qu’il a lui-même modelé ! je répondrai qu’elle se rattache à la critique de l’existence même du mal, que Dieu n’a pu écarter d’un seul homme pour qu’au moins un seul homme quelconque s’en fût trouvé exempt dès l’origine. De même que sur ce point le souci de défendre la Providence fournit des justifications aussi nombreuses que valables, ainsi pour Adam et sa faute, on trouvera l’explication en sachant que, traduit en grec, le mot Adam signifie homme, et que, dans ce qui paraît concerner Adam, Moïse traite de la nature de l’homme. C’est que, dit l’Écriture, « en Adam tous meurent », et ils ont été condamnés « pour une transgression semblable à celle d’Adam », l’affirmation de la parole divine portant moins sur un seul individu que sur la totalité de la race. Et de fait, dans la suite des paroles qui semblent viser un seul individu, la malédiction d’Adam est commune à tous ; et il n’est pas de femme à laquelle ne s’applique ce qui est dit contre la femme. De plus, le récit de l’homme chassé du jardin avec sa femme, revêtu de « tuniques de peaux » que Dieu, à cause de la transgression des hommes, confectionna pour les pécheurs, contient un enseignement secret et mystérieux bien supérieur à la doctrine de Platon sur la descente de l’âme qui perd ses ailes et est entraînée ici-bas « jusqu’à ce qu’elle se saisisse de quelque chose de solide ». LIVRE IV

Mais pratiquant une piété pure envers le Créateur, et louant la beauté de ses créatures, nous n’avilissons pas, même de nom, les choses divines, approuvant le mot de Platon dans le Philèbe, qui refuse de convenir que le plaisir soit dieu : « Ma révérence, Protarque, pour le nom des dieux est profonde. » Nous aussi en vérité, nous étendons notre révérence pour le nom de Dieu et de ses belles créatures jusqu’à refuser, même sous prétexte d’allégorie, tout mythe corrupteur pour la jeunesse. LIVRE IV

J’ai quelque peu développé l’argument, dans le dessein de montrer que Celse ne pouvait avoir raison de dire : Les plus raisonnables des Juifs et des chrétiens tentent d’en donner une interprétation allégorique; mais il en est qui ne peuvent admettre l’allégorie et sont manifestement des fables de la plus sotte espèce. Combien plus, en effet, les histoires des Grecs sont-elles des fables de l’espèce non seulement la plus sotte, mais encore la plus impie ! Car les nôtres ont en vue aussi la foule des simples, ce qu’ont négligé de faire les auteurs des fictions grecques. Aussi n’est-ce point par simple mauvais vouloir que Platon expulse de sa République les mythes et les poèmes de cette espèce. LIVRE IV

Mais je conjecture que Celse n’a pas lu les livres, car ils me paraissent en bien des points si heureux que même les philosophes grecs seraient conquis par ce qu’ils disent. On y trouve une élaboration non seulement de style, mais aussi de pensées et de doctrines, et l’emploi de ce que Celse juge mythes dans les Écritures. Je sais même que Noumenios le Pythagoricien, de loin le meilleur commentateur de Platon et l’auteur le plus versé en doctrines pythagoriciennes, cite en maints endroits de ses traités les passages de Moïse et des prophètes, et en donne des interprétations allégoriques qui ne sont pas sans vraisemblance, comme dans celui qu’il intitule Epops, ou dans ses traités “Sur les Nombres et Sur le Lieu”. Et dans le troisième livre Sur le Bien, il cite même une histoire sur Jésus, sans toutefois en mentionner le nom, et l’interprète allégoriquement ; est-ce avec succès ou non, c’est à une autre occasion qu’on peut le dire. Il cite encore l’histoire de Moïse, Jannès et Jambrès. Ce n’est point que nous trouvions là un motif de nous glorifier, mais nous approuvons plus que Celse et les autres Grecs l’auteur qui a voulu sincèrement examiner même nos Écritures, et fut conduit à y voir des livres pleins de significations allégoriques et non de folies. LIVRE IV

Mais encore, Celse dit : « L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps. En fait, à cet égard, il n’y aura aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille ou d’homme ; car la matière est la même, de même espèce aussi leur principe de corruption. » A cet argument, il faut répondre : si vraiment, parce que la même matière est sous-jacente aux corps d’une chauve-souris, d’un ver, d’une grenouille, d’un homme, ces corps ne doivent différer en rien l’un de l’autre, il est évident que les corps de ces êtres ne différeront en rien du soleil, de la lune, des étoiles, du ciel, de n’importe quel autre être appelé chez les Grecs divinité sensible. Car la matière qui est sous-jacente à tous les corps est la même : elle est, à parler strictement, sans qualité ni forme, et je ne sais pas d’où elle reçoit ses qualités d’après Celse qui ne veut pas que rien de corruptible soit l’oeuvre de Dieu. Car, selon l’argument de Celse, le principe de corruption de quelque être que ce soit, provenant de la même matière qui les soutient, est nécessairement de même espèce. A moins qu’ici, devant la difficulté, Celse ne s’écarte de Platon qui fait sortir l’âme d’un certain cratère, et ne se réfugie vers Aristote et les Péripatéticiens qui affirment que l’éther est immatériel et d’une cinquième nature, autre que les quatre éléments : doctrine à laquelle les Platoniciens et les Stoïciens se sont noblement opposés. Et nous aussi, malgré le mépris de Celse, nous nous opposerons à elle, puisqu’on nous demande d’exposer et de prouver ce qui est dit en ces termes chez le prophète : « Les cieux périront, mais tu resteras ; tous, comme un vêtement, s’useront, comme un habit tu les retourneras et ils seront changés. Mais toi, tu es toujours le même. » Cependant, ces paroles sont une réplique suffisante à l’assertion de Celse : L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps, argument ayant pour conséquence : Il n’y a aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille et le corps éthéré. LIVRE IV

Ensuite, nous croyant capables d’apprendre en quelques maximes la nature du mal, cette question à laquelle tant de traités de valeur consacrent des recherches variées et apportent des réponses différentes, il affirme : Il ne saurait y avoir ni plus ni moins de mal dans le monde, autrefois, aujourd’hui, à l’avenir : car la nature de l’univers est une et la même, et l’origine du mal est toujours la même. Il me semble que c’est encore une paraphrase de ce passage du Théétète où Platon faisait dire à Socrate : « Il n’est possible ni que le mal disparaisse de chez les hommes, ni qu’il ait une place chez les dieux… », etc. Et il me paraît même ne pas avoir entendu exactement Platon, quoiqu’il prétende enfermer la vérité dans un seul traité et intitule Discours véritable son livre contre nous. Car le passage qui affirme dans le Timée : « Quand les dieux purifient la terre par les eaux », a bien démontré que la terre une fois purifiée par les eaux contient moins de mal qu’avant sa purification. Et qu’alors il y ait eu moins de mal, je le dis d’après Platon, à cause du passage du Théétète soutenant qu’il n’est pas possible que le mal disparaisse de chez les hommes. LIVRE IV

Puisqu’il voulait, dans ce passage, prouver que les animaux sans raison sont plus divins et plus savants que les hommes, Celse devait établir de manière plus développée l’existence de cet art divinatoire, en présenter ensuite une plus claire justification : réfuter apodictiquement les raisons des négateurs de l’art divinatoire, détruire apodictiquement aussi les raisons de ceux qui attribuent aux démons ou aux dieux les mouvements fatidiques des animaux, apporter enfin les preuves que l’âme des animaux sans raison est plus divine. S’il avait ainsi manifesté sa compétence philosophique dans ces graves questions, j’aurais fait mes efforts pour m’opposer à ses arguments plausibles : j’aurais réfuté l’assertion que les animaux sans raison sont plus savants que les hommes, démasqué le mensonge qu’il y a à leur attribuer des notions de la divinité plus saintes que les nôtres et des entretiens mutuels et saints. Mais, en fait, il incrimine notre foi au Dieu suprême et veut nous faire croire que les âmes des oiseaux ont des notions plus divines et plus claires que celles des hommes. Si c’est vrai, les oiseaux ont de Dieu des notions bien plus claires que les notions de Celse ; et ce n’est pas étonnant, si Celse ravale l’homme à ce point. Et encore, à suivre sa pensée, les oiseaux auraient des notions plus nobles et plus divines je ne dis pas que nous, chrétiens, ou que les Juifs qui usent des mêmes Écritures que nous, mais même que les théologiens parmi les Grecs, car c’étaient des hommes ! Donc, selon Celse, la race des oiseaux qu’il croit divinateurs a mieux compris la nature de la divinité que Phérécyde, Pythagore, Socrate et Platon ! Et nous aurions dû nous mettre à leur école pour que, comme ils nous enseignent l’avenir par la divination, selon la conception de Celse, ainsi encore ils libèrent les hommes des doutes sur la divinité en leur communiquant la claire notion qui leur en a été donnée. LIVRE IV

Mais quelle impiété pour qui nous accuse d’impiété d’oser dire, non seulement que les animaux sans raison sont plus savants que la nature humaine, mais encore qu’ils sont plus chers à Dieu ! Et qui ne détournerait son attention d’un homme pour qui dragon, renard, loup, aigle, épervier sont plus chers à Dieu que la nature humaine ? Il suivrait de son propos que si vraiment ces animaux sont plus chers à Dieu que les hommes, évidemment ces animaux sont plus chers à Dieu que Socrate, Platon, Pythagore, Phérécyde, et ces théologiens qu’il a célébrés peu auparavant. Et on pourrait bien lui exprimer ce souhait : si vraiment ces animaux sont plus chers à Dieu que les hommes, puisses-tu devenir cher à Dieu dans leur compagnie, et ressembler à ceux qui, d’après toi, sont plus chers à Dieu que les hommes ! Et qu’on ne prenne pas ce voeu comme une malédiction ! Qui donc ne souhaiterait ressembler entièrement à ceux dont il est persuadé qu’ils sont plus chers à Dieu, et de devenir autant qu’eux lui aussi cher à Dieu ? Pour prouver que les entretiens des animaux sans raison sont plus saints que les nôtres, Celse n’attribue pas cette histoire aux premiers venus, mais aux intelligents. Or ce sont les vertueux qui sont en réalité intelligents, aucun homme mauvais n’est intelligent. Voici donc la manière dont il s’exprime : « Des hommes intelligents disent même qu’il y a entre les oiseaux des entretiens, évidemment plus saints que les nôtres ; eux-mêmes comprennent quelque peu leurs paroles ; la preuve qu’ils donnent en pratique de cette compréhension est que, quand ils ont prévenu que les oiseaux leur ont annoncé qu’ils iraient à tel endroit pour y faire une chose ou l’autre, ils montrent qu’ils y vont bien et font ce qu’ils avaient déjà prédit. » Mais en vérité, aucun homme intelligent n’a raconté de telles histoires, et aucun sage n’a dit que les entretiens des animaux sans raison sont plus saints que ceux des hommes. Et si pour apprécier les vues de Celse on en examinait les conséquences, il est évident que selon lui les entretiens des animaux sans raison seraient plus saints que les entretiens respectables de Phérécyde, Pythagore, Socrate, Platon et autres philosophes. Ce qui, de soi, est non seulement invraisemblable, mais tout à fait absurde. En acceptant de croire que certains aient appris du ramage indistinct des oiseaux que les oiseaux déclarent d’avance qu’ils iraient à tel endroit faire une chose ou l’autre, je dirais que cela encore les démons l’indiquent aux hommes par des signes : leur but est de tromper l’homme et de rabaisser son esprit du ciel et de Dieu vers la terre et plus bas encore. LIVRE IV

De plus, les disciples de Pythagore et de Platon, même s’ils semblent garder le monde incorruptible, tombent pourtant dans des aberrations analogues. Car les étoiles, après certaines périodes déterminées, prenant les mêmes positions et les mêmes relations mutuelles, toutes choses sur terre, assurent-ils, sont semblables à celles du moment où le monde comportait la même position relative des étoiles. D’après cette doctrine, lorsque les étoiles après une longue période viennent à la même relation mutuelle qu’elles avaient au temps de Socrate, il est nécessaire que Socrate naisse de nouveau des mêmes parents, souffre les mêmes traitements, l’accusation d’Anytos et de Mélètos, la condamnation par le Conseil de l’Aréopage. De plus, les savants d’Egypte, parce qu’ils transmettent des doctrines pareilles, sont pour Celse et ses adeptes objet de vénération et non de raillerie. Et nous qui disons que l’univers est gouverné par Dieu, eu égard à la disposition des libertés de chacun, et autant que possible toujours conduit au mieux, qui savons que la nature de notre liberté est d’admettre des possibilités variées, car elle est incapable de recevoir l’immutabilité absolue de Dieu, ne paraissons-nous pas dire des choses dignes d’examen et de recherche ? Qu’on n’aille pas, à cause de cette explication, nous prendre pour ces gens qui, tout en se disant chrétiens, refusent la doctrine des Écritures sur la résurrection ! En effet, dans la mesure où ils appliquent leurs principes, ils ne peuvent absolument pas prouver que « du grain de blé ou de quelque autre semence » ressuscite, pour ainsi dire, « un épi ou un arbre ». Mais nous, nous sommes persuadés que ce que l’on sème « ne reprend pas vie s’il ne meurt », et que « ce n’est pas le corps à venir » qui est semé. Car « Dieu lui donne un corps à son gré » : semé « dans la corruption, il le ressuscite « incorruptible », semé dans l’abjection, il le ressuscite « glorieux », semé « dans la faiblesse », il le ressuscite « plein de force », semé « corps psychique », il le ressuscite « corps spirituel ». Nous gardons et la doctrine de l’Église du Christ et la grandeur de la promesse de Dieu. Que ce soit une chose possible, nous le prouvons non par une affirmation mais par un argument. Nous savons que même si le ciel et la terre avec tout ce qu’ils contiennent doivent passer, au contraire les paroles de chaque point de la doctrine étant comme parties d’un tout ou espèces d’un genre, celles du Logos Dieu qui était « au commencement » Logos « près de Dieu », ne passeront nullement. Car il a dit et nous voulons l’entendre : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. » LIVRE V

Qu’il était beau, chez eux, d’être instruit dès le plus jeune âge à s’élever au-dessus de toute la nature sensible, à penser que Dieu ne réside nulle part en elle, et à le chercher au-dessus et au delà des corps ! Qu’il était grand d’être instruit, presque dès la naissance et la formation de la raison, de l’immortalité de l’âme, des tribunaux souterrains, des récompenses méritées par une vie vertueuse ! Ces vérités étaient alors prêchées sous la forme d’histoire à des enfants, parce qu’ils avaient l’intelligence des enfants. Mais bientôt, pour ceux qui cherchaient la doctrine et voulaient y progresser, les histoires de naguère se transfiguraient pour ainsi dire en laissant voir la vérité qu’elles renfermaient. Et je pense qu’ils ont mérité d’être appelés la part de l’héritage de Dieu pour avoir méprisé toute divination comme une vaine fascination des hommes, venant de démons pervers plutôt que d’une nature supérieure, et pour avoir cherché à connaître l’avenir auprès d’âmes qui avaient obtenu par leur extrême pureté l’esprit du Dieu suprême. Faut-il dire à quel point la loi interdisant aux Juifs de maintenir en esclavage plus de six ans un coreligionnaire est conforme à la raison, et cela sans injustice ni pour le maître ni pour l’esclave ? Si donc les Juifs doivent garder jalousement leur propre loi, ce n’est pas en vertu des mêmes principes que les autres peuples. Ils mériteraient le blâme et le reproche d’être insensibles à la supériorité de leurs lois, s’ils croyaient qu’elles ont été écrites de la même manière que les lois des autres peuples. Et, en dépit de Celse, les Juifs ont une sagesse plus profonde non seulement que celle de la foule, mais que celle des hommes qui passent pour philosophes, car les philosophes, après leurs sublimes raisonnements philosophiques s’abaissent jusqu’aux idoles et aux démons, tandis que même le dernier des Juifs attache son regard au seul Dieu suprême. Et ils ont bien raison, pour cela au moins, de se glorifier et d’éviter la société des autres qu’ils jugent souillés et impies. Plût au ciel qu’ils n’aient point péché par leurs transgressions, d’abord en tuant les prophètes, ensuite en conspirant contre Jésus ! Nous aurions en eux un modèle de la cité céleste que Platon a cherché lui-même à décrire ; mais je ne sais s’il aurait pu accomplir tout ce que réalisèrent Moïse et ses successeurs qui ont fait l’éducation d’une « race choisie », « d’une nation sainte » et consacrée à Dieu, par des doctrines exemptes de toute superstition. LIVRE V

Dans ce sixième livre que je commence, pieux Ambroise, il me faut combattre les accusations de Celse contre les chrétiens, et non ses emprunts à la philosophie comme on pourrait croire. Celse, en effet, cite maints passages surtout de Platon, les compare à des extraits des saintes Écritures capables d’impressionner même un esprit intelligent, et soutient que tout cela a été mieux dit chez les Grecs, sans faire intervenir menace ou promesse de Dieu ou du Fils de Dieu. A cela je réponds : c’est le devoir des ministres de la vérité d’aider le plus grand nombre possible d’hommes et, autant que faire se peut, d’attirer à elle par philanthropie tous les hommes, aussi bien l’intelligent que le sot, et encore pas seulement les Grecs à l’exclusion des barbares ; et c’est une action très civilisatrice que de pouvoir convertir même les plus rustres et les simples. Il est donc évident qu’on doit avoir le souci de s’exprimer dans un style à la portée de tous et capable de gagner l’audience de chacun. Au contraire, congédier comme des esclaves les simples, incapables d’apprécier l’agrément du style des discours et de l’ordonnance de leurs messages, et n’avoir souci que des auditeurs formés aux lettres et aux sciences, c’est réduire la sociabilité à un domaine bien étroit et insignifiant. LIVRE VI

J’ai fait ces remarques pour justifier, contre les critiques de Celse et d’autres auteurs, la simplicité d’expression des Écritures qui paraît éclipsée par le brillant de la composition littéraire. Nos prophètes, Jésus et ses apôtres se proposaient une méthode de prédication qui non seulement contient les vérités, mais encore a la puissance d’entraîner les esprits de la multitude : alors convertis et initiés, ils s’élèveraient chacun selon ses forces aux vérités voilées sous des expressions apparemment simples. Et même, s’il faut oser dire, c’est à un petit nombre qu’a été utile, si toutefois il l’a été, le style élégant et raffiné de Platon et de ses imitateurs ; mais ceux qui ont enseigné et écrit dans un style plus simple d’une manière pratique et populaire ont été utiles à un grand nombre. Ainsi on ne peut voir Platon qu’aux mains de ceux qui passent pour lettrés, tandis qu’Epictète est admiré même des gens du commun, inclinés à en recevoir l’influence bienfaisante, car ils ont conscience que ses discours les rendent meilleurs. LIVRE VI

Loin de moi la pensée de critiquer Platon : de lui aussi la grande foule des hommes a retiré des avantages ; mais je veux mettre en lumière l’intention de ceux qui ont dit : « Ma doctrine et ma prédication n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse ; c’était une démonstration de l’Esprit et de la puissance, afin que notre foi reposât non point sur la sagesse des hommes mais sur la puissance de Dieu. » Le divin Logos déclare que prononcer un mot, fut-il en lui-même vrai et très digne de foi, n’est pas suffisant pour toucher l’âme humaine sans une puissance donnée par Dieu à celui qui parle et une grâce qui rayonne dans ses paroles, véritable don de Dieu à ceux dont la parole est efficace. C’est bien ce que dit le prophète dans le psaume soixante-septième : « Le Seigneur donnera sa parole à ceux qui prêchent avec grande puissance. » LIVRE VI

Qu’on présente donc les anciens sages à qui peut les comprendre ! En particulier que Platon, fils d’Ariston, s’explique sur la nature du Souverain Bien dans une de ses Lettres, et déclare qu’il est absolument ineffable, que c’est d’un long commerce qu’il naît soudain, comme d’une flamme jaillissante une lumière surgie dans l’âme. A entendre cette parole, on convient de sa beauté, « car c’est Dieu qui le leur a révélé » ainsi que tout ce qu’ils ont dit de bien. Aussi affirmons-nous que ceux qui ont conçu la vérité sur Dieu sans pratiquer la religion conforme à cette vérité sur Dieu subissent les châtiments des pécheurs. LIVRE VI

Remarque dès lors la différence entre la noble parole de Platon sur le Souverain Bien, et celles des prophètes sur la lumière des bienheureux ; considère que la vérité proclamée par Platon n’a nullement favorisé une religion pure chez ses lecteurs, ni même chez Platon, malgré sa vue pénétrante sur le Souverain Bien, mais que le style simple des divines Écritures a rempli d’ardeur divine ceux qui en font une lecture véritable ; chez eux, cette lumière est alimentée par ce qu’on appelle dans certaines paraboles l’huile qui entretient la lumière des flambeaux de cinq vierges sages. LIVRE VI

Celse cite un autre passage de la Lettre de Platon: « Si j’avais jugé qu’on dût l’écrire et le dire pertinemment à l’adresse du grand public, qu’aurais-je pu accomplir de plus beau dans ma vie que de rendre à l’humanité le grand service de l’écrire et de mettre pour tous en lumière le fond des choses ? » Qu’on me permette de le discuter brièvement. D’abord, Platon a-t-il eu oui ou non une doctrine plus sage que celle qu’il a écrite et plus divine que celle qu’il a laissée, je laisse à chacun le soin de le rechercher de son mieux. Mais je montre que nos prophètes aussi ont eu dans l’esprit des pensées trop élevées pour être écrites et qu’ils n’ont pas écrites. Ainsi, Ézéchiel prend « un volume roulé, écrit au recto et au verso, où étaient des lamentations, des gémissements et des plaintes » et, sur l’ordre du Logos il mange le livre, afin qu’il ne soit ni transcrit ni livré aux indignes. Et il est rapporté que Jean a vu et fait des choses semblables. De plus, Paul « entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de prononcer ». Jésus, qui leur est supérieur à tous, comme il est dit, « expliquait à ses disciples en particulier » la parole de Dieu, surtout dans la solitude ; mais ses paroles n’ont pas été écrites. C’est qu’ils n’ont pas jugé devoir l’écrire et le dire pertinemment à l’adresse du grand public. Et s’il n’est pas outrecuidant de dire la vérité sur de tels génies, j’affirme que, recevant leurs pensées par une grâce de Dieu, ils voyaient mieux que Platon ce qu’on devait écrire et comment l’écrire et ce qu’on ne devait absolument pas écrire pour le grand public, ce qu’on devait dire et ce qui était d’un autre ordre. C’est encore Jean qui nous enseigne la différence entre ce qu’on doit écrire et ce qu’on ne doit pas écrire, quand il dit avoir entendu sept tonnerres l’instruire de certains points, mais lui interdire de transmettre leurs paroles par écrit. LIVRE VI

Déjà chez Moïse et les prophètes, antérieurs non seulement à Platon mais encore à Homère et à l’invention de l’alphabet chez les Grecs, on trouve bien des passages répondant à la grâce que Dieu leur avait donnée et pleins de pensées sublimes. Ils étaient loin d’avoir dit cela pour avoir compris Platon de travers, comme le croit Celse : comment eussent-ils pu entendre celui qui n’était pas encore né ? Et pour appliquer le mot de Celse aux apôtres de Jésus, plus récents que Platon, vois s’il n’est pas d’emblée invraisemblable de dire que Paul le fabricant de tentes, Pierre le pêcheur, Jean qui a laissé les filets de son père, aient transmis une telle doctrine sur Dieu pour avoir compris de travers les propos de Platon dans ses Lettres. Et, bien que souvent déjà Celse ait répété que nous demandons une foi immédiate, il l’affirme encore comme une nouveauté qui s’ajouterait à ses propos antérieurs ; mais la réponse déjà faite suffit. LIVRE VI

Puisqu’il cite encore un autre passage de Platon où il déclare que c’est en procédant par questions et par réponses qu’il illumine l’intelligence des adeptes de sa philosophie, qu’on me laisse prouver par les saintes Écritures que le Logos divin aussi nous invite à la dialectique. Tantôt Salomon dit : « L’instruction sans examen égare »; tantôt Jésus fils de Sirach qui nous a laissé le livre de la Sagesse déclare : «Science de l’insensé, paroles inconsidérées ». Aussi y a-t-il plus de réfutations bienveillantes chez nous, qui avons appris que le maître de la doctrine doit être capable de « réfuter les contradicteurs ». Et même s’il en est de nonchalants qui négligent de s’appliquer aux divines lectures, de scruter les Écritures et, suivant l’ordre de Jésus, de chercher le sens des Écritures, d’en demander à Dieu l’intelligence, de frapper à leurs portes closes, l’Écriture n’en est point pour autant vide de sagesse. LIVRE VI

Il cite d’autres paroles de Platon, expliquant que le Bien est connaissable à un petit nombre, parce que c’est avec un injuste mépris, pleins d’un espoir hautain et inconsistant, comme s’ils avaient appris des secrets sublimes, que la plupart présentent comme vrai n’importe quoi. Il ajoute : Platon l’avait dit, cependant, il ne donne pas dans le merveilleux, il ne ferme pas la bouche à ceux qui veulent s’enquérir de ce qu’il promet, il n’exige pas aussitôt de croire que Dieu est tel, qu’il a tel Fils, que celui-ci est descendu s’entretenir avec moi. A quoi je réponds : de Platon Aristandre, je crois, a écrit qu’il n’était pas fils d’Ariston, mais d’un être qui, apparaissant sous les traits d’Apollon, s’approcha d’Amphictione ; et plusieurs autres platoniciens l’ont répété dans la biographie de Platon. Faut-il évoquer Pythagore et tous ses récits merveilleux, qui, dans une assemblée solennelle des Grecs, montra sa cuisse d’ivoire et prétendit reconnaître le bouclier dont il s’était servi lorsqu’il était Euphorbe et apparut, dit-on, dans deux villes le même jour ? Comme trait de merveilleux à critiquer dans l’histoire de Platon et de Socrate, on citera encore le cygne qui s’était montré à Socrate durant son sommeil et la parole du maître quand on lui présenta le jeune homme : « Le cygne c’était donc lui ! » Encore un trait de merveilleux, ce troisième oeil que Platon se flattait de posséder. Mais aux gens mal disposés, acharnés à décrier les apparitions reçues par ceux qui sont supérieurs à la foule, jamais la calomnie et la diffamation ne feront défaut : il y en aura même pour se moquer du démon de Socrate comme d’une fiction. LIVRE VI

Ce n’est donc pas donner dans le merveilleux que de raconter l’histoire de Jésus, et ses véritables disciples n’ont rien écrit de tel à son sujet. Mais Celse qui proclame tout savoir et cite de nombreux passages de Platon passe sous silence, intentionnellement je crois, la parole sur le Fils de Dieu, dite par Platon dans la Lettre à Hermias et Coriscos. LIVRE VI

Celse cite un autre texte de Platon : Il m’est venu à l’esprit de parler plus longuement du sujet en question : peut-être offre-t-il sur les points dont je parle quelque chose de plus clair que ce qui en a été dit. Il y a une vraie raison qui s’oppose à ce qu’on ait l’audace d’écrire quoi que ce soit en pareille matière, raison souvent donnée par moi précédemment mais que je crois devoir répéter ici encore. Pour chacun des êtres, les facteurs indispensables à l’acquisition de leur connaissance sont au nombre de trois; vient en quatrième lieu la connaissance elle-même; en cinquième il faut poser cela même qui précisément est connaissable et réel. Premier facteur, le nom; deuxième, la définition; troisième, l’image; quatrième, la connaissance. D’après cette théorie, nous pourrions dire : Jean introduit avant Jésus comme « voix de celui qui crie dans le désert » correspond au « nom » de Platon. LIVRE VI

Le deuxième après Jean et désigné par lui est Jésus à qui s’applique la parole : « Le Logos s’est fait chair » ; il correspond à la « définition » de Platon. Platon déclare que le troisième facteur est « l’image ». LIVRE VI

Il ajoute : On le voit, Platon, bien qu’il pose avec fermeté que le Bien est ineffable, toutefois, pour ne point paraître éluder toute discussion, donne la raison de celte difficulté: car peut-être que le néant même pourrait être exprimable. Puisqu’il prétend là établir qu’il ne faut pas simplement croire, mais rendre raison de sa foi, nous citerons, nous aussi, le mot de Paul pour blâmer ceux qui croient à la légère : « Autrement, vous auriez cru en vain. » LIVRE VI

Celse, par ses redites, semble faire tout son possible pour me contraindre à des redites quand il ajoute, en vantard qu’il est, aux vantardises qui précèdent : Platon ne se vante ni ne ment, prétendant trouver du neuf ou venir du ciel nous l’annoncer : il avoue la source de cette connaissance. A quoi on peut répliquer, si l’on veut répondre à Celse, que même Platon se vante quand il fait dire à Zeus dans la harangue du Timée : « Dieux, fils de dieux, dont je suis créateur et père, etc. » Ira-t-on justifier ces expressions par le sens que leur donne Zeus dans sa harangue chez Platon ? Mais alors pourquoi, si l’on étudie les sens des paroles du Fils de Dieu, ou de celles du Créateur chez les prophètes, n’aurait-on pas bien plus à dire que Zeus dans sa harangue du Timée ? Ce qui caractérise la divinité, c’est l’annonce d’événements futurs : leur prédiction dépasse la nature humaine, leur accomplissement permet de juger que celui qui l’annonce est l’esprit divin. LIVRE VI

Je passe donc à une autre accusation de Celse. Il ne connaît même pas nos textes, mais, par suite de méprises, nous accuse de soutenir que la sagesse humaine est folie devant Dieu, alors que Paul dit : « La sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » Celse ajoute : La raison de cette maxime a été dite depuis longtemps. D’après lui, la raison qui nous fait tenir ce langage est la volonté d’attirer les seuls gens incultes et stupides. Mais comme il l’a noté lui-même, il en a déjà parlé plus haut, et j’ai répondu de mon mieux à l’argument. Il n’en a pas moins tenu à montrer que nous l’avions imaginé, ou emprunté aux sages de la Grèce disant qu’autre est la sagesse humaine, autre la sagesse divine. Il cite même deux passages d’Héraclite ; l’un où il dit : « Le caractère humain n’a pas de pensée, le divin en a » ; et l’autre : « Marmot! L’homme s’entend appeler ainsi par le génie, comme l’enfant par l’homme. » Il cite en outre l’Apologie de Socrate par Platon: « Quant à moi, Athéniens, ce n’est à rien d’autre qu’à la sagesse que je dois ce nom qu’on me donne. Mais de quelle sorte, celte sagesse? Celle-là même qu’est sans doute une sagesse humaine. Réellement oui, il y a des chances que cette sagesse je la possède. » LIVRE VI

Voilà les citations de Celse. J’y ajouterai ce passage de la Lettre de Platon à Hermias, Érastos et Coriscos : « A Érastos et Coriscos, j’affirme, malgré ma vieillesse, qu’outre la splendide sagesse portant sur les Idées, ils ont encore besoin de la sagesse qui enseigne à se garder des hommes méchants et injustes, et besoin d’une certaine force de défense. Ils sont inexpérimentés pour avoir passé une longue période de leur vie auprès de nous, gens modérés et sans malice. C’est bien pourquoi j’ai dit qu’ils ont besoin de ces appuis, pour n’être pas contraints de négliger la sagesse véritable et de cultiver plus qu’il ne faut la sagesse humaine qui est indispensable. » LIVRE VI

Il y a donc, d’après Platon, une sagesse divine et une sagesse humaine. La sagesse humaine, que nous appelons « sagesse de ce monde, est folie devant Dieu ». La sagesse divine, qui diffère de l’humaine puisqu’elle est divine, survient par une grâce de Dieu qui l’accorde à ceux qui se sont préparés convenablement à la recevoir et surtout à ceux qui, reconnaissant la différence d’une sagesse à l’autre, disent dans leurs prières : « Y eut-il quelqu’un de parfait parmi les enfants des hommes sans la sagesse qui vient de toi, on le comptera pour rien. » Nous affirmons : la sagesse humaine n’est qu’un exercice de l’âme ; la divine en est la fin : elle est présentée comme la nourriture solide de l’âme dans le texte : « La nourriture solide est pour les parfaits, eux qui par l’habitude ont le sens exercé au discernement du bien et du mal. » LIVRE VI

Il est vrai qu’il s’agit là d’une opinion ancienne ; mais non, comme le croit Celse, que l’ancienneté de cette distinction remonte à Héraclite et à Platon. Avant eux, les prophètes avaient distingué chacune des deux sagesses. Il suffit pour le moment de citer, parmi les paroles de David, celle qui a trait au sage inspiré par la divine sagesse : « Même s’il voit mourir les sages, il ne verra pas la corruption. » Aussi, la sagesse divine, qui diffère de la foi, est le premier de ce qu’on appelle les charismes de Dieu. Après elle le second, aux yeux de ceux qui ont une science précise en ce domaine, est ce qu’on appelle la connaissance. Et le troisième est la foi, puisqu’il faut que soient sauvés même les plus simples qui s’adonnent de leur mieux à la pitié. LIVRE VI

Et puis après cela, comme s’il avait entendu parler de la doctrine de l’humilité sans avoir pris soin de la comprendre, Celse veut décrier la nôtre. Il croit que c’est une contrefaçon de ce que Platon dit quelque part dans les Lois : « Voici que Dieu, suivant l’antique tradition, tient en mains le commencement, la fin et le milieu de tout ce qui est et, par la droite voie de Nature, en achève le cycle. LIVRE VI

Toujours le suit de près Justice, qui venge la loi divine de ceux qui s’en écartent; et qui veut le bonheur s’attache à elle pour la suivre de près, humble et rangé. » Il n’a pas vu que chez des sages bien antérieurs à Platon il est dit dans une prière : « Seigneur, mon coeur n’est pas devenu hautain, ni mes regards altiers ; je n’aurais point marché dans des chemins sublimes et admirables qui me dépassent, si je ne m’étais humilié. » Ce texte montre bien d’emblée qu’il n’est pas du tout nécessaire que celui qui s’humilie s’abaisse d’une manière inconvenante et déshonorante, se précipite à terre sur les genoux et se prosterne, se revête de haillons et se couvre de cendre. Car, selon le prophète, celui qui s’humilie en marchant dans des chemins sublimes et admirables qui le dépassent, dans des doctrines véritablement sublimes et admirables, s’humilie lui-même « sous la puissante main de Dieu ». LIVRE VI

S’il en est qui, n’ayant pu voir clairement, dans leur simplicité, la doctrine de l’humilité, se livrent à de pareilles pratiques, il ne faut pas mettre en cause l’Évangile, mais pardonner à la simplicité de ces gens qui, avec les meilleures intentions, n’arrivent point à les réaliser à cause de leur naïveté même. Plus que le sage humble et rangé de Platon, est humble et rangé le juste : rangé, parce qu’il marche dans des chemins sublimes et admirables qui le dépassent ; humble, parce que, tout en suivant ces chemins, il s’humilie volontairement, non sous un homme quelconque, mais « sous la puissante main de Dieu », grâce à Jésus qui enseigne ces doctrines : « Il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais s’anéantit lui-même, prenant condition de serviteur », « et s’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort et à la mort sur une croix. » Telle est la grandeur de la doctrine de l’humilité que, pour nous l’enseigner, nous n’avons pas n’importe quel maître, mais notre puissant Sauveur lui-même qui déclare : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. » LIVRE VI

Après cela, il dit : La sentence de Jésus contre les riches : « Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu» est manifestement tirée de Platon. Jésus a démarqué la maxime platonicienne : « Il est impossible qu’un homme de bien exceptionnel soit aussi exceptionnellement riche. » LIVRE VI

Quel est donc l’homme capable d’une réflexion tout ordinaire, non seulement parmi ceux qui croient en Jésus, mais dans le reste de l’humanité, qui ne rirait de Celse ? A l’entendre, Jésus, né et élevé parmi les Juifs, regardé comme le fils du charpentier Joseph, n’ayant pu apprendre les lettres ni des Grecs ni même des Hébreux, comme l’attestent sincèrement les Écritures de ses disciples, aurait lu Platon, approuvé sa sentence sur les riches : Il est impossible d’être exceptionnellement bon et riche, et l’aurait démarquée en disant : « Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. » LIVRE VI

Ensuite, dans son propos de vilipender les passages de nos Écritures relatifs au Royaume de Dieu, il n’en cite aucun, comme s’ils étaient indignes même d’une mention, ou peut-être parce qu’il n’en connaissait pas. Mais il cite des passages de Platon tirés des Lettres et du Phèdre; il les donne comme des paroles inspirées, tandis que nos Écritures n’auraient rien de tel. Prenons-en quelques exemples pour les comparer aux sentences de Platon qui ne manquent pas de puissance persuasive, mais n’ont pourtant pas disposé le philosophe à vivre d’une manière digne de lui dans la piété envers le Créateur de l’univers ; il n’aurait dû ni adultérer ni souiller cette piété par ce que nous nommons l’idolâtrie, ou d’un terme courant, par la superstition. Il est dit de Dieu, dans le psaume dix-septième : « Dieu a fait des ténèbres sa retraite. » Cette tournure hébraïque signifie que les idées de Dieu qui seraient dignes de lui restent secrètes et inconnaissables ; car il s’est comme voilé lui-même d’obscurité pour les esprits qui ne supportent pas l’éclat de sa connaissance, incapables de le voir, en raison soit de la souillure qui affecte l’intelligence liée au corps de misère des hommes, soit de sa trop faible capacité de comprendre Dieu. LIVRE VI

J’ai cru bon de citer, entre bien d’autres, ces idées que les saints personnages ont eues sur Dieu, pour révéler à ceux qui ont des yeux capables de percevoir le sérieux des Écritures que les écrits sacrés des prophètes ont quelque chose de plus noble que les paroles de Platon admirées par Celse. Voici le passage de Platon cité par Celse : « Autour du Roi de l’univers gravitent toutes choses ; c’est pour lui qu’elles sont toutes, c’est lui qui est la cause de toute beauté. Autour du Second sont les choses de second rang; autour du Troisième, celles de troisième rang. Or, l’âme humaine aspire à connaître ce qu’elles sont, fixant le regard sur les choses qui lui sont apparentées, dont aucune n’est parfaite. Certes, quand il s’agit du Roi et des principes dont j’ai parlé, il n’y a rien de tel. » J’aurais pu citer des passages sur les « Séraphins » des Hébreux, décrits dans Isaïe, qui voilent « la face » et « les pieds » de Dieu, sur les « Chérubins » décrits par Ézéchiel, sur les formes qu’on leur donne, et sur la manière dont on dit que Dieu est porté par les Chérubins. Mais les expressions sont fort mystérieuses et, à cause des gens indignes et irréligieux, impuissants à suivre de près la sublimité et la majesté de la théologie, j’ai jugé qu’il ne convenait pas de débattre ces questions dans ce traité. LIVRE VI

Celse dit ensuite : Pour avoir mal compris les expressions platoniciennes, certains chrétiens exaltent le Dieu supracéleste et s’élèvent au-dessus du ciel des Juifs. Mais il ne précise pas s’ils s’élèvent même au-dessus du Dieu des Juifs, ou seulement du ciel par lequel jurent les Juifs. Or, le sujet présent n’est point de parler de ceux qui annoncent un autre Dieu que celui qui est aussi adoré par les Juifs, mais de nous défendre et de montrer que les prophètes des Juifs, reconnus parmi nous, ne peuvent avoir appris quelque chose de Platon : car ils étaient plus anciens que lui. Nous n’avons pas non plus emprunté à Platon le passage : « Autour du Roi de l’univers gravitent toutes choses ; c’est pour lui qu’elles sont toutes. » Mais nous avons appris des prophètes une doctrine mieux exprimée que celle-là ; car Jésus et ses disciples ont clairement expliqué l’intention de l’Esprit qui était dans les prophètes, et qui n’est autre que l’Esprit du Christ. Et le philosophe n’est pas le premier à parler d’un lieu supracéleste : depuis longtemps David avait noté la profondeur et l’abondance des pensées sur Dieu que possèdent ceux qui s’élèvent au-dessus du sensible, en disant au livre des Psaumes : « Louez Dieu, cieux des cieux, et eaux de dessus les cieux ; qu’ils louent le nom du Seigneur ! » LIVRE VI

Pour moi, je ne doute pas que Platon ait écrit les maximes du Phèdre après les avoir apprises de certains auteurs hébreux ou même, comme on l’a dit, après avoir lu les discours prophétiques, quand il disait par exemple : « Ce lieu supracéleste, nul poète encore sur cette terre ne l’a célébré, ni ne le célébrera jamais autant qu’il le mérite », et la suite où on lit encore : « L’essence qui réellement est sans couleur, sans forme, impalpable, objet de contemplation pour le seul pilote de l’âme, notre intellect, dont relève le savoir authentique, c’est ce lieu qu’elle occupe. » Notre Paul, qui devait sa formation à ces écrits prophétiques, aspire aux biens supraterrestres et supracélestes et fait tout en vue de ces biens pour les obtenir. Il dit dans la seconde Épître aux Corinthiens : « Oui, la légère tribulation d’un moment nous prépare, bien au delà de toute mesure, une masse éternelle de gloire. Aussi bien ne regardons-nous pas aux choses visibles, mais aux invisibles ; les choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles. » LIVRE VI

Les Écritures reçues dans les églises de Dieu ne rapportent pas qu’il y ait sept deux, ou même un nombre nettement défini ; mais la Bible paraît enseigner qu’il y a plusieurs cieux, qu’il s’agisse des sphères de ce que les Grecs nomment des planètes ou de quelque chose d’autre plus mystérieux. Celse, après Platon, dit que la route des âmes pour aller vers la terre et en revenir passe par les planètes. Mais Moïse, notre prophète le plus ancien, raconte la vision de notre patriarche Jacob : dans un songe envoyé de Dieu, lui apparut une échelle arrivant jusqu’au ciel, par où les anges de Dieu montaient et descendaient, tandis que le Seigneur s’appuyait à son somme». Peut-être à propos de cette échelle suggérait-il les vues précédentes, ou quelques vérités supérieures. Cette échelle a fourni le sujet d’un livre de Philon qui mérite l’examen réfléchi et intelligent de ceux qui aiment la vérité. LIVRE VI

Il recherche ensuite la raison de l’ordonnance ainsi cataloguée des étoiles, indiquée symboliquement par les noms des espèces variées de la matière. Il ajoute des théories musicales à ce qu’il cite de la théologie des Perses. Il renchérit sur ce point et cite une seconde explication, qui contient encore des considérations musicales. Mais il m’a semblé hors de propos de citer le passage de Celse là-dessus : c’eût été faire ce qu’il fait lui-même quand, pour accuser les chrétiens et les Juifs, il expose à contretemps non seulement les paroles de Platon dont il eût pu se contenter, mais encore, comme il dit, les mystères mithriaques des Perses et leur explication. En effet, quoi qu’il en soit du mensonge ou de la vérité de leur interprétation par les Perses et ceux qui les pratiquent, pourquoi citer ces mystères-là plutôt que l’un des autres avec son explication ? Car il ne semble pas qu’en Grèce ceux de Mithra aient été plus exceptionnels que ceux d’Eleusis ou ceux d’Hécate qui sont communiqués aux initiés d’Égine. LIVRE VI

Belle ressemblance vraiment entre l’un et l’autre enfant de Dieu ! Il a donc cru que nous l’appelions Fils de Dieu en déformant des traditions qui disent que le monde vient de Dieu, est son Fils, et est Dieu. C’est qu’il n’a pu connaître l’époque de Moïse et des prophètes et voir que, bien avant les Grecs et ceux que lui, Celse, déclare les Anciens, les prophètes juifs en général avaient prophétisé l’existence du Fils de Dieu. Il n’a même pas voulu citer la parole des Lettres de Platon rappelée plus haut, sur l’ordonnateur de l’univers qu’il présente comme le Fils de Dieu ; il voulait éviter que Platon, qu’il a maintes fois exalté, ne le contraigne à admettre lui-même que le Créateur de cet univers est Fils de Dieu et que le Dieu premier et suprême est son Père. LIVRE VI

Ils l’ont appelée les uns « Iles des bienheureux », les autres « Champs Elysées », parce qu’on y est délivré des maux d’ici-bas. Comme dit Homère: « Mais aux Champs Elysées, tout au bout de la terre, les Immortels t’enverront, là où la vie est délectable. » Et Platon qui croit l’âme immortelle nomme délibérément « terre » celle région où l’âme est envoyée : « C’est une immense étendue, et nous, qui, de la mer du Phase aux colonnes d’Hercule, en habitons les bords, comme fourmis et grenouilles autour d’un marais, nous n’en occupons qu’une petite partie. LIVRE VI

Celse donc suppose que notre idée d’une autre terre, meilleure et bien supérieure à celle-ci, nous l’avons empruntée à certains hommes des anciens temps qu’il juge divins, et surtout à Platon qui, dans le Phédon, avait spéculé sur la terre pure qui se trouve dans la partie pure du ciel. Il ne voit pas que Moïse, bien antérieur même à l’alphabet grec, a représenté Dieu promettant la terre sainte « bonne et spacieuse où coulent le lait et le miel » pour ceux qui auraient vécu selon sa loi. Cette bonne terre n’est point, comme certains le pensent, la Judée d’ici-bas qui se trouve, elle aussi, sur la terre maudite dès l’origine à cause des ?uvres de la transgression d’Adam. Car la sentence : « La terre est maudite à cause de tes ?uvres : c’est à force de peines que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie », s’applique à la terre entière dont tout homme, mort en Adam, tire sa nourriture à force de peines, c’est-à-dire de travaux, et cela tous les jours de sa vie. LIVRE VI

Il suffira de citer ici les passages du psaume trente-sixième sur la terre des justes : « Ceux qui attendent le Seigneur hériteront la terre » ; et peu après : « Les doux hériteront la terre et jouiront d’une abondante paix » ; et peu après : « Ceux qui le bénissent hériteront la terre » ; et de nouveau : « Les justes hériteront la terre et ils y habiteront pour toujours. » Et n’est-ce pas l’existence de la terre pure dans la partie pure du ciel qui est indiquée à ceux qui sont capables de comprendre ce que dit ce même psaume : « Attends le Seigneur, observe sa voie ; il t’exaltera pour que tu hérites la terre. » En outre, l’idée que l’éclat des pierres considérées ici-bas comme précieuses serait un reflet de celui des pierres de la terre supérieure, me paraît empruntée par Platon à la description faite par Isaïe de la cité de Dieu, dont il est écrit : « Je ferai tes créneaux de jaspe, tes pierres de cristal, ton enceinte de pierres précieuses » ; et encore : « Je ferai tes fondations de saphir ». » Or les partisans les plus sérieux du philosophe expliquent le mythe de Platon comme une allégorie. Et les prophéties, auxquelles selon moi Platon a emprunté son mythe, c’est à ceux qui ont, sous l’inspiration divine, mené une vie pareille à celle des prophètes et consacré tout leur temps à scruter les saintes Écritures, de les exposer à ceux qui y sont préparés par la pureté de leur vie et leur désir d’apprendre les secrets de Dieu. LIVRE VI

Mon propos était uniquement de montrer que notre doctrine sur la terre sainte ne doit rien aux Grecs ni à Platon. Ce sont eux qui, venus bien après le très ancien Moïse et même la plupart des prophètes, ont ainsi parlé de la terre supérieure, soit qu’ils aient mal compris certains termes énigmatiques employés par eux à ce sujet, soit qu’ils aient lu et plagié les saintes Écritures. Bien plus, Aggée établit une distinction manifeste entre le sol ferme et la terre, en appelant sol ferme cette terre que nous foulons. Il dit : « Une fois encore j’ébranlerai le ciel et la terre, le sol ferme et la mer. » LIVRE VI

Celse renvoie à plus tard l’explication du mythe de Platon qui se trouve dans le Phédon : Mais que veut-il indiquer par là ? Il n’est pas facile à tout le monde de le savoir, à moins qu’on puisse comprendre ce que signifie ce qu’il dit : « La faiblesse et la lenteur nous rendent incapables de parvenir à la limite de l’air ; si notre nature était capable de soutenir cette contemplation, on reconnaîtrait là le vrai ciel et la véritable lumière. » A son exemple moi aussi, pensant qu’il n’est pas de mon propos actuel d’élucider le thème de la terre sainte et bonne, de la cité de Dieu qui s’y trouve, je renvoie aux Commentaires des prophètes, ayant en partie expliqué autant que je pouvais la cité de Dieu dans mes études sur le quarante-cinquième et le quarante-septième psaumes. Mais la très ancienne doctrine de Moïse et des prophètes savait que les réalités véritables ont toutes le même nom que les choses plus communes d’ici-bas : par exemple, il y a une lumière véritable et un ciel qui est différent du firmament, et le soleil de justice est autre que le soleil sensible. Bref, en contraste avec les choses sensibles dont aucune n’est véritable, elle déclare : « Dieu dont les ?uvres sont véritables » ; elle met au rang des réalités véritables les ?uvres de Dieu, et au rang des choses inférieures « les ?uvres de ses mains ». LIVRE VI

Il nous renvoie ensuite à Platon comme à un maître plus efficace en matière de théologie, et cite l’affirmation du Timée : Découvrir l’auteur et le père de cet univers est laborieux, et une fois découvert, le dire à tous est impossible. Puis il y ajoute : Voyez donc comment les interprètes de Dieu et les philosophes cherchent la voie de vérité, et comment Platon savait qu’il était impossible à tous d’y marcher. Mais puisque les sages l’ont trouvée pour nous faire acquérir de l’Être innommable et Premier quelque notion qui le rend manifeste, soit par la synthèse qui domine les autres choses, soit par séparation d’avec elles, soit par analogie, je veux enseigner l’Être qui par ailleurs est ineffable; mais je serais bien étonné que vous puissiez me suivre, vous qui êtes si étroitement rivés à la chair et dont le regard n’a rien de pur. LIVRE VI

Elle est assurément sublime et non point méprisable, la sentence de Platon. Mais vois si la divine Écriture ne représente point avec un plus grand amour de l’humanité le Dieu Logos, qui était « au commencement près de Dieu », se faisant chair pour que pût parvenir à tous les hommes le Logos dont Platon dit que, une fois découvert, le dire à tous est impossible. Libre à Platon de dire : « Découvrir l’auteur et le père de cet univers est laborieux » : il laisse entendre qu’il n’est pas impossible pour la nature humaine de découvrir Dieu comme il le mérite ou, sinon comme il le mérite, du moins davantage et mieux que la foule. LIVRE VI

Si c’était vrai, et que Dieu eût été réellement découvert par Platon ou l’un des Grecs, ils n’auraient vénéré, appelé dieu, adoré rien d’autre, soit en l’abandonnant, soit en lui associant des choses incompatibles avec sa majesté. Nous tenons, nous, que la nature humaine ne se suffit en aucune façon pour chercher Dieu et le découvrir avec pureté, à moins d’être aidée par Celui qu’on cherche. Et il est découvert par ceux qui avouent, après avoir fait ce qu’ils pouvaient, qu’ils ont besoin de lui. LIVRE VI

De plus, lorsque Platon dit que, une fois découvert l’auteur et le père de l’univers, il est impossible de le dire à tous, il déclare non point qu’il soit ineffable et innommable, mais bien qu’il est exprimable et peut être dit à un petit nombre. Puis Celse, comme s’il avait oublié les paroles de Platon qu’il a citées, dit que même à ceux-là Dieu est innommable : Mais puisque les sages l’ont trouvée pour nous faire acquérir quelque notion de l’Être innommable et Premier. Or nous disons que Dieu n’est pas le seul être ineffable, mais qu’il en est d’autres parmi les êtres inférieurs à lui. C’est ce que Paul s’est efforcé d’indiquer en disant : « Il entendit des mots ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de prononcer », phrase où « il entendit » est synonyme de « il comprit » comme dans l’exemple : « Que celui qui a des oreilles pour entendre entende ! » LIVRE VI

Après cela, voyons la suite de son texte : Ils ont encore pour précepte de ne pas résister à l’outrage : « Si on te frappe une joue, présente encore l’autre. » C’est là une ancienne maxime fort bien exprimée avant eux et qu’ils ont rappelée en termes plus vulgaires. En effet, Platon a représenté Socrate dans le dialogue que voici avec Criton : « Il ne faut donc en aucune façon commettre l’injustice ? Non certes. LIVRE VI

C’est sans doute qu’il n’y a aucune différence entre faire du tort aux autres et commettre l’injustice ? Tu dis vrai. Il ne faut donc ni répondre à l’injustice par l’injustice, ni faire tort à personne quoi qu’on en subisse ? » Tel est l’avis de Platon. Et il reprend : « Examine donc bien, toi aussi, avec attention, si tu es de mon sentiment et partages mon avis, et si, dans notre délibération, nous parlons de ce principe qu’il n’est jamais bien ni de commettre l’injustice, ni de répondre à l’injustice par l’injustice, ni de résister au tort en rendant le mal pour le mal. Ou bien cesses-tu d’être d’accord et de même sentiment sur le principe ? Pour moi, c’est depuis longtemps mon avis, et je le tiens aujourd’hui encore. » Telle est donc la doctrine de Platon. Et déjà auparavant elle avait été soutenue par des hommes divins. Mais sur ce point, comme sur les autres qu’ils altèrent, il faut s’en tenir à ce qui vient d’être dit. Qui désire en chercher d’autres exemples les trouvera. LIVRE VI

Sur cette maxime et toutes les autres citées par Celse qui, ne pouvant résister à leur vérité, affirme qu’elles avaient été dites par les Grecs, voici ce qu’il faut dire. Que la doctrine soit bienfaisante et de sens raisonnable, qu’elle soit enseignée chez les Grecs par Platon ou l’un de leurs sages, chez les Juifs par Moïse ou l’un des prophètes, chez les chrétiens dans les paroles évangéliques de Jésus ou les discours des apôtres : on ne doit pas juger blâmable une affirmation des Juifs et des chrétiens du fait qu’elle a été dite aussi chez les Grecs, surtout quand est démontrée l’antériorité des écrits des Juifs par rapport à ceux des Grecs. On ne doit pas juger non plus la même doctrine revêtue de la beauté du style grec absolument supérieure à celle qui est énoncée dans un style plus vulgaire et en des termes plus simples chez les Juifs et chez les chrétiens. Cependant, le texte original des Juifs dans lequel les prophètes nous ont laissé leurs livres a été écrit en langue hébraïque avec l’art de composition littéraire de leur langue. LIVRE VI

Cet exemple bien compris, il faut l’appliquer à la qualité de la nourriture spirituelle des êtres raisonnables. Vois si Platon et les sages de la Grèce avec leurs belles sentences ne ressemblent pas aux médecins qui ont réservé leur sollicitude aux gens qui passent pour distingués et méprisé la foule des hommes. Au contraire, les prophètes de Judée et les disciples de Jésus ont renoncé à l’art de la composition littéraire et, comme dit l’Écriture faisant allusion au langage, « à la sagesse des hommes, à la sagesse charnelle » : ils sont comparables à des gens qui ont eu soin de préparer et d’apprêter des aliments très sains de la même qualité, grâce à une composition littéraire à la portée des foules humaines, non étrangère à leur langage, qui ne les détourne pas, pour une étrangeté et un caractère insolite, d’écouter de tels entretiens. Puisqu’on effet le but des aliments spirituels, si je puis dire, est de rendre endurant et doux celui qui les consomme, comment ne pas considérer une doctrine qui produit dans les foules endurance et douceur, ou du moins progrès vers ces vertus, comme mieux apprêtée que celle qui ne les donne, en admettant qu’elle les donne, qu’à fort peu de personnes dont le compte est facile. LIVRE VI

Si Platon avait voulu aider par de saines doctrines ceux qui parlent l’égyptien ou le syrien, il aurait pris soin d’avance, étant Grec, d’apprendre les langues de ses auditeurs et, selon l’expression des Grecs, de parler barbare pour rendre meilleurs les Égyptiens et les Syriens, plutôt que de ne pouvoir, restant Grec, rien dire d’utile aux Égyptiens et aux Syriens. De même la nature divine, qui pourvoyait d’avance au bien non seulement de ceux qu’on regardait comme formés à la culture grecque, mais aussi du reste des hommes, a condescendu à l’ignorance des foules d’auditeurs. Ainsi, usant de tours qui leur sont familiers, elle a gagné l’audience de la foule des simples : ils pourront aisément, une fois leur initiation faite, aspirer à saisir jusqu’aux plus profondes pensées cachées dans les Écritures. Car il est clair, même à une première lecture, que bien des passages peuvent comporter un sens plus profond que celui qui apparaît d’emblée. Ce sens devient clair à ceux qui se vouent à l’examen de la doctrine, et d’une clarté proportionnée à l’étude qu’on fait de la doctrine et du zèle qu’on met à la pratiquer. LIVRE VI

Il est donc bien établi qu’en disant en termes plus vulgaires, d’après Celse : « Si on te frappe une joue, présente encore l’autre » ; « Si on veut te citer en justice et prendre ta tunique, laisse encore ton manteau », Jésus a traduit et présenté sa doctrine d’une manière plus utile à la vie sous cette forme que sous la forme que Platon lui donne dans le Criton. Car loin d’être à la portée des simples, Platon est à peine compris de ceux qui ont reçu la culture générale avant d’aborder la vénérable philosophie des Grecs. Il faut noter aussi que le sens de cette endurance n’est pas altéré par la vulgarité des expressions de Jésus, mais que là encore Celse calomnie l’Écriture quand il dit : Mais sur ce point, comme sur les autres qu’ils altèrent, il faut s’en tenir à ce qui vient d’être dit. Qui désire en chercher d’autres exemples les trouvera. LIVRE VI