Personne ne peut être constamment attentif au bien souverain.

{{Conférences — 23, 5.}} Celui-ci « délivre le malheureux de la main des plus forts, le pauvre et l’indigent de ceux qui le dépouillent » ( Ps 34, 10 ) ; «il brise la mâchoire des injustes et arrache la proie d’entre leurs dents» ( Job 29, 17 ). Tandis qu’il exerce son rôle de justicier, élèvera-t-il le regard d’une âme tranquille vers la gloire de la divine majesté ? Celui-là distribue des aumônes aux pauvres ; il accueille avec une parfaite bienveillance la foule des passants. Dans le moment que les besoins de ses frères occupent et sollicitent son esprit, portera-t-il ses regards vers l’océan sans bornes de la céleste béatitude ? Agité des inquiétudes et des soucis de la vie présente, son cœur s’élèvera-t-il au-dessus de la poussière terrestre pour considérer la condition du siècle à venir ? C’est pourquoi David désire adhérer sans cesse au Seigneur, et décide que cela seul est bon à l’homme : « D’être uni avec Dieu, c’est pour moi le bonheur, de mettre mon espérance dans le Seigneur» ( Ps 72, 28 ). Mais l’Ecclésiaste prononce que nul parmi les saints n’est capable de réaliser sans reproche cet idéal : « Car, dit-il, il n’y a point de juste sur la terre qui fasse le bien sans jamais pécher » ( Eccl 7, 21 ). De qui pourra-t-on croire, fût-il de tous les justes et les saints le plus éminent, qu’il ait réussi, dans les liens de ce corps mortel, à posséder immuablement le bien souverain, ne s’écartant jamais de la contemplation divine, ne se laissant point distraire un instant, par les pensées terrestres, de celui qui seul est bon ? Quelqu’un s’est-il rencontré, qui ne prît aucun souci de la nourriture, du vêtement, ni des autres nécessités charnelles ; qui ne fût jamais préoccupé de la réception des frères, d’un changement de séjour, de la construction d’une cellule, jusqu’à désirer le secours des hommes, ou tomber, par un sentiment trop vif de sa détresse, sous le reproche du Seigneur : « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez» ( Mt 6, 25 ) ? Même l’apôtre Paul, dont la somme de souffrances a passé le labeur de tous les saints, n’a pas rempli cet idéal. Nous l’affirmons sans crainte, d’autant que lui-même l’atteste aux disciples dans les Actes des apôtres : «Vous savez que ces mains ont pourvu à ma subsistance et à celle de mes compagnons » ( Act 20, 34 ) ; ou écrivant aux Thessaloniciens, il affirme avoir « travaillé nuit et jour, dans la peine et la fatigue» ( 2 Thess 3, 8 ). Il acquérait sans doute, de ce fait, des trésors de mérites. Néanmoins son âme, pour sainte et sublime qu’elle fût, ne pouvait faire autrement que d’être quelquefois séparée de la céleste « théorie » par l’application au travail terrestre.