Tous ceux qui croient en toute certitude que la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ, qui savent que le Christ est la Vérité puisqu’il a dit lui-même : Je suis la Vérité, ne reçoivent pas d’ailleurs que des paroles mêmes et de la doctrine du Christ la connaissance qui invite les hommes à une vie bonne et bienheureuse. Par paroles du Christ, nous n’entendons pas seulement ce qu’il a enseigné quand il s’est fait homme et quand il a vécu dans la chair : car auparavant le Christ, Parole de Dieu, se trouvait déjà en Moïse et dans les prophètes. En effet, sans la Parole de Dieu, comment auraient-ils pu prophétiser au sujet du Christ ? Il ne serait pas difficile de prouver cela en montrant à partir des divines Écritures comment Moïse et les prophètes ont parlé, ou ont accompli tout ce qu’ils ont fait, parce qu’ils étaient remplis de l’Esprit du Christ : mais notre propos est de traiter le sujet présent avec toute la brièveté possible. C’est pourquoi il suffira, je pense, d’utiliser seulement ce témoignage de Paul dans la lettre qu’il écrivit aux Hébreux : A cause de sa foi Moïse, devenu grand, refusa d’être dit le fils de la fille de Pharaon, préférant souffrir avec le peuple de Dieu que jouir quelque temps de la volupté du péché, estimant qu’il y a plus de richesse dans les outrages subis par le Christ que dans les trésors des Égyptiens. Et Paul indique en ces termes que Jésus a parlé en ses apôtres, même après son assomption dans le ciel : Cherchez-vous une preuve de celui qui parle en moi, le Christ ? Traité des Principes: Préface d’Origène
Il faut d’abord savoir qu’autre est dans le Christ la nature divine, le Fils unique du Père, et autre la nature humaine qu’il a assumée dans les derniers temps pour l’économie (de la rédemption). C’est pourquoi il faut voir d’abord ce qu’est le Fils unique de Dieu, qui reçoit des noms multiples et divers selon les réalités ou les opinions de ceux qui l’appellent. Il est nommé Sagesse, comme Salomon le dit, faisant parler le personnage de la Sagesse : Le Seigneur m’a créée comme principe de ses voies dans son oeuvre : avant de faire quoi que ce soit, avant les siècles, il m’a établie. Au début, avant de faire la terre, avant que coulent les sources d’eaux, avant que soient raffermies les montagnes, avant toutes les collines, il m’engendre. Il est aussi nommé le Premier-Né, d’après l’apôtre Paul : Il est le premier-né de toute créature. Il n’est pas un autre premier-né par nature que la Sagesse, aussi il est un avec elle et le même qu’elle. En effet l’apôtre Paul dit encore : Le Christ, Puissance de Dieu et Sagesse de Dieu. Traité des Principes: Premier traité (I, 1-4)
Nous avons donc compris comment la Sagesse est le principe des voies de Dieu et comment elle est dite créée, en tant qu’elle préforme et contient en elle les espèces et les raisons de toute la création. Il faut comprendre de même qu’elle est la Parole de Dieu par le fait qu’elle ouvre à tous les autres êtres, c’est-à-dire à toute la création, la raison des mystères et des secrets, tous contenus sans exception dans la Sagesse de Dieu : et par là elle est appelée Parole, car elle est comme l’interprète des secrets de l’intelligence. C’est ainsi que me paraît juste ce mot que l’on trouve dans les Actes de Paul : Il est la Parole, un être animé et vivant. Mais Jean, d’une manière supérieure et bien plus belle, proclame au début de son évangile, en définissant à proprement parler que la Parole est Dieu : Et la Parole était Dieu et elle était au début auprès de Dieu. Celui qui attribue un commencement à la Parole de Dieu et à la Sagesse de Dieu, ne bafoue-t-il pas davantage encore de façon impie le Père inengendré, en lui refusant d’avoir toujours été père, d’avoir engendré une Parole et eu une Sagesse dans tous les temps et siècles antérieurs, de quelque façon qu’on puisse les nommer ? Ce Fils est aussi de tous les êtres la Vérité et la Vie : à juste titre. Car comment vivraient ceux qui ont été faits, sinon par le moyen de la Vie ? Comment seraient-ils fondés dans la vérité ceux qui sont, s’ils ne dérivaient pas de la Vérité ? Comment pourrait-il y avoir des êtres raisonnables si la Parole-Raison ne les précédait pas ? Comment pourrait-il y avoir des sages sans la Sagesse ? Mais puisqu’il devait arriver que quelques-uns s’écartent de la Vie et se donnent à eux-mêmes la mort par le fait même de s’écarter de la Vie ? car mourir n’est pas autre chose que s’éloigner de la vie ? et comme il n’était pas du tout normal que ce qui avait été une fois créé par Dieu pour vivre soit totalement perdu, il a fallu qu’existé, avant la mort, une puissance capable de détruire la mort à venir et d’être la Résurrection, qui s’est formée dans notre Seigneur et Sauveur : cette Résurrection existe dans la Sagesse de Dieu elle-même, sa Parole et sa Vie. Et ensuite, puisqu’il devait se faire que quelques-uns des êtres créés, possédant le bien non par nature, c’est-à-dire par substance, mais par accident, et n’ayant pas la force de rester inconvertibles et immuables et de persévérer toujours dans les mêmes biens avec équilibre et mesure, changent de condition et s’écartent de leur état, la Parole et Sagesse de Dieu s’est faite Voie : elle est appelée Voie parce qu’elle conduit au Père ceux qui la suivent. Traité des Principes: Premier traité (I, 1-4)
Voyons cependant comment nous pouvons appuyer ce que nous venons de dire sur l’autorité de la divine Écriture. L’apôtre Paul dit que le Fils unique est l’Image du Dieu invisible, le premier-né de toute créature; écrivant aux Hébreux, il l’appelle le rayonnement de sa gloire et la figure et expression de sa substance. Nous trouvons cependant même dans la Sagesse attribuée à Salomon une description de la Sagesse de Dieu en ces termes : Elle est un souffle de la puissance de Dieu et une émanation très pure de la gloire du Tout-Puissant. C’est pourquoi rien de souillé ne peut pénétrer en elle. Car elle est le rayonnement de la lumière éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu et l’image de sa bonté. Nous parlons, comme nous l’avons dit plus haut, de la Sagesse de Dieu, qui a reçu son être substantiel en celui-là seul qui est le principe de tout et dont elle est née. Et cette Sagesse, puisqu’elle est identique à celui qui seul est fils par nature, est appelée Fils unique. Traité des Principes: Premier traité (I, 1-4)
Mais puisque nous avons cité la parole de Paul disant du Christ qu’il est le rayonnement de la gloire de Dieu et la figure et expression de sa substance, voyons ce qu’il faut en penser. Dieu est Lumière, selon Jean. Le Fils unique est le rayonnement de cette Lumière, il procède inséparablement de lui comme le rayonnement de la lumière et il illumine toute la création. Nous avons exposé plus haut comment il est la Voie et conduit au Père, comment il est la Parole interprétant et exprimant à la créature raisonnable les secrets de la sagesse et les mystères de la connaissance, comment il est la Vérité, la Vie et la Résurrection : conformément à cela, nous devons comprendre l’action du rayonnement; par lui, en effet, on connaît et on perçoit ce qu’est la lumière elle-même. Ce rayonnement, s’offrant avec plus de modération et de douceur aux yeux fragiles et faibles des mortels, leur apprend peu à peu et les accoutume à supporter la clarté de la lumière, en écartant tout ce qui obscurcit et empêche la vision, selon cette parole du Seigneur : Ote la poutre de ton ?il : il les rend ainsi capables d’accueillir la lumière dans toute sa gloire, et là aussi il agit comme un médiateur entre les hommes et la Lumière. Traité des Principes: Premier traité (I, 1-4)
De nombreux passages des Écritures nous apprennent qu’il y a un Saint Esprit. Ainsi David dans le Psaume 50 : Ne m’ôte pas ton Esprit Saint; et Daniel : L’Esprit Saint qui est en toi. D’abondants témoignages du Nouveau Testament nous l’enseignent, lorsqu’il rapporte que l’Esprit Saint descendit sur le Christ et lorsque le Sauveur souffla sur les apôtres après la Résurrection en leur disant : Recevez l’Esprit Saint. A Marie, l’ange a annoncé : L’Esprit Saint viendra sur toi. Paul enseigne : Personne ne peut dire Jésus Seigneur, si ce n’est dans l’Esprit Saint. Et dans les Actes des Apôtres, les apôtres par l’imposition des mains donnaient l’Esprit Saint dans le baptême. Tout cela nous révèle la grande autorité et dignité qu’a l’Esprit Saint en tant qu’être substantiel, telle que le baptême de salut ne peut être accompli que par l’autorité de la Trinité la plus excellente de toutes, par l’invocation du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, et ainsi au Père inengendré et à son Fils unique est associé le nom du Saint Esprit. N’est-il pas stupéfiant de constater la majesté de l’Esprit Saint, quand on voit que celui qui parlera mal du Fils de l’homme pourra espérer le pardon, mais que celui qui aura blasphémé contre l’Esprit Saint n’aura de pardon ni dans le siècle présent ni dans le futur ? Tout a été créé par Dieu et il n’y a pas d’être qui n’ait reçu de lui l’existence : cela est affirmé par de nombreux passages de toute l’Écriture et permet de rejeter et de réfuter des fausses affirmations faites par certains, au sujet de la matière qui serait coéternelle à Dieu, au sujet des âmes qui seraient inengendrées, Dieu ayant mis en elles non tant l’existence que la qualité et l’ordonnance de la vie. Car dans le petit livre du Pasteur, l’Ange de la Pénitence, rédigé par Hermas, il est écrit : Crois avant tout qu’il y a un seul Dieu qui a tout créé et ordonné; qui, alors que rien n’était, a tout fait; qui contient toutes choses et n’est contenu par aucune. On trouve des affirmations semblables dans le Livre d’Enoch. Mais jusqu’à présent nous n’avons pu trouver dans les Écritures saintes aucune parole disant que le Saint Esprit ait été fait ou créé, même pas de la manière dont nous avons vu Salomon parler de la Sagesse, ou selon les explications que nous avons données de la Vie, de la Parole et des autres dénominations du Fils de Dieu. L’Esprit de Dieu qui se déplaçait sur les eaux, comme c’est écrit, au début de la création du monde, je ne le crois pas autre que l’Esprit Saint, selon ce que je puis comprendre, comme nous l’avons montré en exposant ce passage, non selon l’histoire, mais selon la compréhension spirituelle. Traité des Principes: Premier traité (I, 1-4)
Puisque l’action du Père et du Fils s’exerce sur les saints et les pécheurs, elle se manifeste en ce que tous les êtres raisonnables participent à la Parole de Dieu, c’est-à-dire à la Raison, et pour cela portent en eux comme des semences de la Sagesse et de la Justice, ce qu’est le Christ. De celui qui est vraiment, qui a dit par Moïse : Je suis celui qui suis, tous les êtres tirent participation. Cette participation du Père parvient à tous, justes ou pécheurs, êtres raisonnables et déraisonnables, et absolument à tout ce qui est. L’apôtre Paul montre, certes, que tous ont la participation au Christ quand il dit : Ne dis pas dans ton coeur : Qui montera dans le ciel, c’est-à-dire pour en faire descendre le Christ ? Ou: Qui descendra dans l’abîme, c’est-à-dire pour rappeler le Christ des morts ? Mais que dit l’Écriture: La Parole est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton coeur. Par là il signifie que le Christ est dans le coeur de tous, en tant que Parole ou Raison, dont la participation fait les êtres raisonnables. Ce texte de l’Évangile : Si je n’étais pas venu et si je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché; maintenant ils n’ont pas d’excuse pour leur péché est clair pour ceux qui savent expliquer jusqu’à quel moment l’homme n’a pas de péché et à quel âge il devient sujet au péché : on voit ainsi comment, à cause de leur participation à la Parole ou à la Raison, on dit que les hommes ont le péché, à savoir à partir du moment où ils sont devenus capables de compréhension et de connaissance, lorsque la raison, mise à l’intérieur d’eux-mêmes, leur aura apporté le discernement du bien et du mal. Lorsqu’ils ont commencé à savoir ce qu’est le mal, s’ils le font, ils deviennent coupables de péché. C’est ce que veut dire : Les hommes n’ont pas d’excuse pour leur péché : la parole ou raison divine a commencé à leur montrer dans le coeur le discernement du bien et du mal, pour qu’ils puissent ainsi échapper au mal et s’en garder; qui connaît le bien et ne le fait pas, est-il écrit, le péché est en lui. De même, aucun homme n’est hors de la communion de Dieu ; l’Évangile l’enseigne par la bouche du Sauveur : Le royaume de Dieu ne se laisse pas observer quand il vient et on ne dit pas : Le voici ici ou là. Mais le royaume de Dieu est au dedans de vous. Il faut voir aussi si on ne trouve pas la même signification dans cette parole de la Genèse : Et il souffla sur sa face un souffle de vie et l’homme fut fait comme une âme vivante. S’il faut comprendre que cela a été donné à tous les hommes en général, tous les hommes ont une participation à Dieu ; s’il faut entendre de l’Esprit de Dieu cette parole, puisque Adam lui-même, semble-t-il, a prophétisé sur plusieurs points, on ne peut l’appliquer de façon générale, mais seulement à quelques saints. Traité des Principes: Premier traité (I, 1-4)
Que personne ne pense qu’en disant que l’Esprit Saint n’est donné qu’aux saints, tandis que les bienfaits et l’action du Père et du Fils parviennent aux bons et aux mauvais, aux justes et aux injustes, nous mettons le Saint Esprit au-dessus du Père et du Fils et nous lui attribuons une plus grande dignité : cela manquerait tout à fait de conséquence. Car nous avons décrit le caractère propre de sa grâce et de son action. Cependant il n’est pas question de plus ou de moins dans la Trinité, puisque une unique source de divinité gouverne l’univers par sa Parole et sa Raison et sanctifie par l’Esprit (le souffle) de sa bouche tout ce qui est digne de sanctification, comme il est écrit dans le Psaume : Par la Parole du Seigneur les deux ont été affermis et par l’Esprit (le souffle) de sa bouche toute leur puissance. C’est en effet une opération principale de Dieu le Père en plus de celle par laquelle il donne à tous les êtres d’exister selon leur nature. Il y a aussi un ministère principal du Seigneur Jésus-Christ à l’égard de ceux à qui il confère d’être raisonnables par nature, ministère par lequel il leur accorde en outre de bien l’être. Il y a encore une autre grâce de l’Esprit Saint attribuée à ceux qui en sont dignes, par le ministère du Christ, par l’opération du Père, d’après le mérite de ceux qui en sont faits capables. C’est ce qu’indiqué très clairement l’apôtre Paul, montrant qu’il y a une seule et même puissance de la Trinité quand il dit : Les dons sont différents, mais l’Esprit est le même; les ministères sont différents, mais le Seigneur est le même; les actions sont différentes, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. A chacun il est donné de manifester l’Esprit selon ce qui convient. Il explique par là très clairement qu’il n’y a dans la Trinité aucune séparation, mais que ce qui est appelé don de l’Esprit, vient du ministère du Fils et est opéré par Dieu le Père : Tout est l’oeuvre d’un seul et même Esprit, répartissant à chacun comme il veut. Après ces mises au point sur l’unité du Père, du Fils et du Saint Esprit, revenons à ce que nous avons commencé de discuter. Dieu le Père donne à tous les êtres l’existence, mais la participation du Christ selon qu’il est Parole ? ou Raison ? les rend raisonnables. Ils s’ensuit qu’ils sont dignes de louange ou d’accusation parce qu’ils sont capables de vertu ou de malice. En conséquence la grâce de l’Esprit Saint est en eux pour rendre saints par sa participation ceux qui ne le sont pas par leur substance. Puisqu’ils ont reçu d’abord de Dieu le Père l’être, ensuite de la Parole la rationalité, en troisième lieu du Saint Esprit la sainteté, ils deviennent en revanche capables de recevoir le Christ en tant qu’il est la Justice de Dieu, ceux qui ont été déjà auparavant sanctifiés par l’Esprit Saint; et ceux qui ont mérité de parvenir à ce degré par la sanctification reçue de l’Esprit Saint, obtiennent néanmoins le don de sagesse par la vertu de l’action de l’Esprit de Dieu. C’est, je pense, ce que dit Paul lorsqu’il écrit qu’à certains est donnée la parole de sagesse, à d’autres la parole de connaissance selon le même Esprit. Et désignant chaque sorte de dons, il rapporte toutes choses à la source de l’univers par ces mots : Les opérations sont différentes, mais c’est un seul Dieu qui opère tout en tous. Par là, l’action du Père qui donne l’existence à tous apparaît plus brillante et plus magnifique, lorsque chacun, en participant au Christ en tant que Sagesse, Connaissance et Sanctification, se perfectionne et monte dans son progrès à des degrés supérieurs. Sanctifié par la participation au Saint Esprit, on devient ainsi de plus en plus pur, on reçoit plus dignement la grâce de la sagesse et de la connaissance, et en rejetant toutes les taches de la souillure et de l’ignorance et en s’en nettoyant, on en arrive à un tel progrès de pureté, qu’ayant reçu de Dieu l’existence, on parvient à être digne de Dieu, qui donne d’être d’une manière pure et parfaite : tellement que la créature devient aussi digne que l’est celui qui l’a créée. Ainsi celui qui est tel que l’a voulu son créateur comprendra par l’action de Dieu que sa puissance existe toujours et demeure éternellement. Pour que cela se produise et pour que les créatures adhèrent sans fin et sans séparation possible à celui qui est, c’est l’oeuvre de la Sagesse de les enseigner et de les conduire à la perfection par l’Esprit Saint qui les affermit et les sanctifie continuellement, condition qui seule rend possible la réception de Dieu. Traité des Principes: Premier traité (I, 1-4)
Il y a des saints anges de Dieu que Paul appelle les esprits chargés de ministère envers ceux qui hériteront du salut. Le même saint Paul nomme certains, je ne sais où il l’a pris, Trônes et Dominations, Principautés et Puissances et, après les avoir énumérés, pensant qu’il y a encore, en plus de ceux-là, comme d’autres offices et d’autres ordres d’êtres raisonnables, il dit du Sauveur qu’il est sur toute Principauté, Puissance, Vertu et Domination et sur tout nom qui est nommé non seulement dans ce siècle-ci, mais dans le futur. Par là il montre assurément qu’en plus de ceux qu’il a commémorés, ceux qui sont nommés en ce siècle, il y en a d’autres qui n’ont pas été maintenant énumérés, ni peut-être compris par personne ; et d’autres qui ne sont pas nommés dans ce siècle, mais le seront dans le futur. Traité des Principes: Second traité (I, 5-8)
Les noms de Diable, de Satan, de Malin, sont employés en de nombreux passages de l’Écriture pour désigner celui qui est décrit comme l’ennemi de Dieu. On y parle aussi des anges du Diable et du Prince de ce monde, terme dont on ne peut dire encore clairement s’il s’applique au Diable ou à un autre. Il y a des Princes de ce monde, possédant une certaine sagesse qui sera détruite : ces Princes sont-ils les mêmes que les Principautés contre lesquelles nous avons à lutter ou d’autres, il ne me paraît pas facile de se prononcer. Après ces Principautés, on nomme encore certaines Puissances contre qui nous avons à lutter et à porter le combat, mais nous avons aussi à le faire contre les Princes de ce monde et les Dirigeants de ces ténèbres : Paul nomme encore des esprits de malice dans les deux. Que dire des esprits malins et des démons impurs cités dans les évangiles ? Ensuite des êtres sont appelés d’un nom semblable, les Célestes ? mais ils sont dits fléchir ou devoir fléchir le genou au nom de Jésus ?, d’autres les Terrestres et les Infernaux que Paul énumère dans cet ordre. Traité des Principes: Second traité (I, 5-8)
Il y aura fin et consommation du monde lorsque chacun sera soumis aux peines méritées par ses péchés : ce temps, Dieu seul le connaît, quand chacun paiera pour ce qu’il mérite. Nous pensons que la bonté de Dieu rassemblera par son Christ toute la création dans une fin unique, après avoir réduit et soumis même les ennemis. C’est ce que dit la sainte Écriture : Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds. Si le sens de cette parole prophétique nous semble peu clair, écoutons l’apôtre Paul qui dit plus ouvertement : Il faut que le Christ règne, jusqu’à ce qu’il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds. Si même cet avis si manifeste de l’Apôtre n’a pas suffi à nous enseigner ce que veut dire : placer ses ennemis sous ses pieds, entends ce qu’il dit à la suite : Il faut que tout lui soit soumis. Quelle est donc cette soumission par laquelle toutes choses doivent être soumises au Christ ? A mon avis il s’agit de cette même soumission par laquelle nous souhaitons lui être soumis, par laquelle lui sont soumis les apôtres et tous les saints qui ont suivi le Christ. Ce mot de soumission, de soumission au Christ, exprime pour les soumis le salut qui vient du Christ. David disait : Mon âme ne sera-t-elle pas soumise à Dieu ? De lui en effet vient mon salut. Traité des Principes: Second traité (I, 5-8)
Nous voyons ce qu’est la fin, lorsque tous les ennemis seront soumis au Christ, lorsque le dernier ennemi sera détruit, la mort, et lorsque la royauté sera transmise à Dieu le Père par le Christ à qui tout a été soumis : à partir de cette fin, dis-je, examinons les commencements des choses. La fin est en effet toujours semblable au commencement : et c’est pourquoi, de même que la fin de toutes choses est l’unité, de même il faut comprendre que le commencement de tout est l’unité. Comme cette fin unique est celle de nombreux êtres, ainsi à partir d’un commencement unique, il y a beaucoup de différences et de variétés qui de nouveau, par la bonté de Dieu, la soumission du Christ et l’unité de l’Esprit Saint, sont ramenées à une seule fin semblable au début. Il s’agit de tous ceux qui, fléchissant le genou devant Jésus, donnent par là témoignage de leur soumission, parmi les êtres célestes, terrestres et infernaux : ces trois catégories désignent tout l’univers, c’est-à-dire ceux qui, à partir d’un commencement unique, se comportant de façon variée chacun de son propre mouvement, ont été répartis en divers ordres selon leur mérite ; car la bonté n’était pas en eux de façon substantielle, comme en Dieu, dans son Christ et dans le Saint Esprit. Dans cette Trinité seule, qui est l’auteur de tout, la bonté est présente de façon substantielle : tous les autres êtres ont une bonté accidentelle et qui peut défaillir ; ils sont donc dans la béatitude quand ils participent à la sainteté, à la sagesse et à la divinité elles-mêmes. Si cependant ils négligent cette participation et ne s’en occupent pas, alors par la faute de leur propre paresse, l’un plus tôt, l’autre plus tard, un troisième plus ou moins profondément, chacun devient pour lui-même cause de sa chute et de sa déchéance. Et puisque, comme nous l’avons dit, cette chute ou cette déchéance, qui éloigne chacun de son état, se produit avec une très grande diversité selon les mouvements de l’intelligence et de la volonté qui font pencher vers le bas, l’un plus légèrement, l’autre plus lourdement, en cela le jugement de la providence de Dieu est juste, car il atteint chacun selon la diversité de ses mouvements dans la mesure de son éloignement et de son agitation. Certes, parmi ceux qui sont restés dans l’état initial, que nous avons décrit semblable à la fin à venir, les uns obtiennent par eux-mêmes dans l’ordonnance et le gouvernement de l’univers le rang des anges, d’autres celui des Vertus, d’autres celui des Principautés, d’autres celui des Puissances ? par là évidemment ils exercent leur puissance sur ceux qui ont besoin d’avoir la puissance sur leur tête ?, d’autres l’ordre des Trônes, ayant la charge de juger et de diriger ceux qui en ont besoin, d’autres la Domination, sans aucun doute sur des serviteurs : tout cela leur est accordé par la divine providence selon un jugement équitable et juste, d’après leur mérite et leurs progrès, qui les ont fait croître dans la participation et l’imitation de Dieu. Mais ceux qui se sont écartés de l’état de béatitude première, non cependant de façon irrémédiable, sont soumis aux ordres saints et bienheureux que nous avons décrits plus haut, pour être gouvernés et dirigés, afin que, s’ils usent de leur aide, s’ils se réforment d’après leurs instructions et leurs doctrines salutaires, ils puissent revenir à leur état bienheureux et y être rétablis. C’est avec ceux-ci, autant que je puisse le penser, qu’a été constitué cet ordre du genre humain, qui assurément dans le siècle futur ou dans les siècles qui surviendront, lorsqu’il y aura selon Isaïe un ciel nouveau et une terre nouvelle, sera rétabli dans cette unité que promet le Seigneur Jésus lorsqu’il dit à Dieu le Père au sujet de ses disciples : Ce n’est pas pour eux seuls que je te prie, mais pour tous ceux qui croiront par leur parole en moi, afin que tous soient un, comme moi je suis en toi, Père, et toi en moi, afin que ceux-ci soient un en nous. Il ajoute : Afin qu’ils soient un, comme nous, nous sommes un, moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient eux-mêmes consommés en un. L’apôtre Paul lui aussi le confirme : Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité de la foi pour former l’homme parfait, dans la mesure de la pleine maturité du Christ. Et de même cet apôtre nous exhorte, alors que nous sommes encore dans la vie présente, dans l’Église, où se trouve assurément la figure du royaume à venir, à une unité semblable à celle-là : Afin que vous disiez tous les mêmes choses et qu’il n’y ait pas parmi vous de dissensions, afin que vous soyez parfaits dans une seule et même pensée, dans une seule et même opinion. Traité des Principes: Second traité (I, 5-8)
Puisque Paul dit qu’il y a des réalités visibles et temporelles et d’autres en outre invisibles et éternelles, nous cherchons comment celles qui se voient sont temporelles : est-ce parce qu’elles n’existeront absolument plus dans toute l’étendue des siècles à venir, où la dispersion et la division de l’unique commencement seront réintégrées dans une seule et unique fin et ressemblance, ou parce que la forme extérieure des réalités visibles passera sans que de toute façon leur substance soit corrompue ? Paul paraît confirmer la seconde solution quand il dit : La forme extérieure de ce monde passera. Mais David semble montrer la même chose en ces termes : Les deux périront, mais toi tu resteras : tous s’useront comme un vêtement et tu les changeras comme un manteau, comme on change de vêtement. Si les cieux seront changés, ce qui est changé assurément ne périt pas ; et si la forme extérieure de ce monde passe, il n’y a pas là une destruction complète, ni une perte de substance matérielle, mais une certaine mutation de qualité et transformation de forme extérieure. Lorsque Isaïe dit prophétiquement qu’il y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle, il suggère sans aucun doute une interprétation analogue. Car la rénovation du ciel et de la terre, le changement de la forme extérieure de ce monde, la transformation des cieux, sont préparés sans aucun doute pour ceux qui cheminent sur cette Voie que nous avons montrée plus haut et tendent vers la fin bienheureuse, dans laquelle les ennemis seront soumis, dit l’Écriture, et Dieu sera tout en tous. Si quelqu’un pense que dans cette fin la nature matérielle, c’est-à-dire corporelle, périra entièrement, il m’est absolument impossible de concevoir comment de si nombreux et si grands êtres substantiels pourraient vivre et subsister sans corps, alors que c’est un privilège de la nature de Dieu, Père, Fils et Saint Esprit, qu’on puisse comprendre leur existence sans substance matérielle et sans l’association d’un ajout corporel. Un autre dira peut-être que dans cette fin la substance corporelle sera si limpide et si purifiée qu’on peut la comprendre à la manière de l’éther33, comme possédant une pureté et une limpidité célestes. Comment les choses se passeront, seul Dieu le sait avec certitude, et ceux qui sont ses amis par le Christ et par l’Esprit Saint. Traité des Principes: Second traité (I, 5-8)
Toutes les âmes, toutes les natures raisonnables, ont été faites ou créées, qu’elles soient saintes ou mauvaises. Toutes, de leur nature propre, sont incorporelles : bien qu’elles soient telles, elles n’en ont pas moins été créées. En effet tout a été fait par Dieu par le moyen du Christ, comme Jean l’enseigne dans son évangile de la manière la plus générale : Dans le Principe était la Parole et la Parole était auprès de Dieu et la Parole était Dieu. Elle était dans le Principe auprès de Dieu. Tout a été fait par elle et sans elle rien n’a été fait. Décrivant tout ce qui a été fait suivant les espèces, les nombres et les ordres, l’apôtre Paul s’exprime ainsi pour montrer que tout a été fait par le moyen du Christ : Et tout a été créé en lui, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre, le visible et l’invisible, que ce soit les Trônes, les Dominations, les Principautés et les Puissances, tout a été créé par son intermédiaire et en lui, et il est lui-même avant tous, il est lui-même la tête. Il affirme donc clairement que tout a été fait et créé dans le Christ et par le moyen du Christ, que ce soit le visible qui est le corporel, que ce soit l’invisible, c’est-à-dire à mon avis les puissances incorporelles et substantielles. Ensuite, à ce qu’il me semble, il énumère les espèces des êtres qu’il avait déclarés en général corporels ou incorporels, c’est-à-dire les Trônes, Dominations, Principautés, Puissances, Vertus. Traité des Principes: Second traité (I, 5-8)
Voyons donc si nous pouvons trouver dans l’Écriture sainte quelque signification de ce genre, s’appliquant au sens propre aux êtres célestes. L’apôtre Paul s’exprime ainsi : A la vanité la création est soumise, malgré elle, mais à cause de celui qui l’y a soumise, dans l’espérance, car la création elle-même sera libérée de la servitude de la corruption pour parvenir à la liberté glorieuse des fils de Dieu. A quelle vanité, je vous le demande, la création est-elle soumise, et quelle est cette création ? Comment cela se fait-il malgré elle et dans quelle espérance ? Comment la création elle-même sera-t-elle libérée de la servitude de la corruption ? Mais ailleurs le même apôtre dit : Car l’attente de la création espère la révélation des fils de Dieu. Et de même ailleurs : Non seulement cela, mais encore la création elle-même gémit et souffre ensemble jusqu’à maintenant. Il faut donc chercher en quoi consiste son gémissement et ses douleurs. Voyons donc d’abord quelle est la vanité à laquelle la création est soumise. Pour moi, je ne pense pas que la vanité soit autre que les corps : car, bien qu’éthéré, le corps des astres n’en est pas moins matériel. C’est pourquoi Salomon me paraît prendre à partie toute la nature corporelle, parce qu’elle est d’une certaine façon une charge et qu’elle entrave la vigueur des esprits, quand il dit : Vanité des vanités, tout est vanité, dit l’Ecclésiaste, tout est vanité. J’ai regardé, dit-il, et j’ai vu tout ce qui est sous le soleil et voici que tout est vanité. Traité des Principes: Second traité (I, 5-8)
Voyons si cette autre parole de Paul ne peut pas s’appliquer à ceux qui, contre leur gré, mais selon la volonté de celui qui les a soumis et dans l’espoir des promesses, ont été soumis à la vanité : Je souhaiterais ma dissolution ? ou : mon retour ? pour être avec le Christ. Car c’est de beaucoup préférable. Je pense que le soleil pourrait dire de même : Je souhaiterais ma dissolution (ou : mon retour) pour être avec le Christ, car c’est de beaucoup préférable. Et Paul ajoute encore : Mais il est plus nécessaire de rester dans la chair à cause de vous. Le soleil lui aussi peut dire : Rester dans ce corps céleste et lumineux est plus nécessaire à cause de la révélation des fils de Dieu. On peut penser et parler de même au sujet de la lune et des étoiles. Traité des Principes: Second traité (I, 5-8)
Je pense qu’il faut raisonner pareillement à propos des anges et ne pas juger fortuit qu’à tel ange ait été attribué tel office, par exemple à Raphaël la charge de soigner et de guérir, à Gabriel la surveillance des guerres, à Michel le soin des prières et des supplications des mortels. Il n’y a pas à penser qu’ils aient mérité ces fonctions autrement que par leurs mérites, leur zèle et les vertus qu’ils ont manifestées avant l’organisation de ce monde. C’est alors que, dans l’ordre des archanges, tel ou tel genre d’office a été attribué à chacun ; d’autres ont mérité d’être inscrits dans l’ordre des anges et d’agir sous l’autorité de tel ou tel archange, de tel ou tel chef ou prince de son ordre. Tout cela, nous l’avons dit, ne s’est pas produit fortuitement et sans discernement, mais a été ordonné par un jugement de Dieu très adapté et très juste et disposé en fonction des mérites selon son jugement et avec son approbation : de telle sorte qu’à cet ange a été confiée l’Église des Ephésiens, à cet autre celle des Smyrniotes, cet ange est devenu celui de Pierre et cet autre celui de Paul; et ainsi de suite, à chacun des plus petits qui sont dans l’Église a été attribué tel ou tel ange, de ceux qui voient chaque jour la face de Dieu, mais aussi celui qui doit être l’ange qui entoure de tous côtés ceux qui craignent Dieu. Il ne faut pas songer que tout cela se soit produit par hasard et fortuitement, ni que ces anges aient été faits tels par nature, pour ne pas accuser en cela aussi le Créateur de partialité : la décision est intervenue selon les mérites et les vertus, selon la vigueur et les talents de chacun, par le très juste et très impartial gouverneur de l’univers, il faut le croire. Traité des Principes: Second traité (I, 5-8)
Mais pour comprendre plus aisément qu’il en est ainsi parmi les êtres célestes, prenons en exemple ce qui s’est passé ou se passe parmi les hommes, pour voir logiquement à partir des êtres visibles ce qu’il en est des invisibles. Ils (= les valentiniens) tiennent que Paul et Pierre ont été sans aucun doute des natures spirituelles. Mais on sait que Paul a commis bien des attentats contre la religion, puisqu’il a persécuté l’Église de Dieu, et que Pierre a péché très gravement lorsque, sur la question d’une servante qui gardait la porte, il a répondu avec serment qu’il ignorait qui était le Christ. Comment donc ces hommes, qu’ils jugent des spirituels, sont-ils tombés en de tels péchés, alors que nos contradicteurs ont coutume d’affirmer constamment qu’un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits ! Si, assurément, un bon arbre ne peut produire de mauvais fruits et si, selon eux, Paul et Pierre venaient de la racine d’un bon arbre, comment penser qu’ils aient porté des fruits si mauvais. Ils répondront, selon leurs inventions habituelles, que ce n’est pas Paul qui a persécuté, mais je ne sais qui, qui était dans Paul, que ce n’est pas Pierre qui a renié, mais un autre qui a renié en lui. Pourquoi alors Paul, s’il n’a péché en rien, dit-il : Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu ? Pourquoi Pierre, si c’est un autre qui a péché, a-t-il lui-même pleuré avec un grand chagrin ? Par cela sont réfutées toutes leurs inepties. Traité des Principes: Second traité (I, 5-8)
Je crois, à ce qui me paraît, que la discussion précédente aura suffisamment montré que ce n’est pas sans discernement ni par hasard que les Principautés tiennent leur principal et que chacun des autres ordres a reçu sa fonction : ils ont obtenu d’après leurs mérites le degré de leur dignité ; cependant il ne nous appartient pas de savoir ni de chercher quels sont les actes qui leur ont mérité de parvenir à cet ordre. Il suffit de savoir cela pour montrer l’impartialité et la justice de Dieu, puisque, selon la phrase de l’apôtre Paul, il n’y a pas en Dieu acception de personne, mais il distribue plutôt toutes choses selon les mérites et les progrès de chacun. La fonction des anges ne leur vient que de leurs mérites, les Puissances n’exercent leur puissance qu’à cause de leurs progrès, ceux qu’on appelle les Trônes, c’est-à-dire les puissances préposées au jugement et au gouvernement, ne tiennent leur administration que de leurs mérites, les Dominations ne dominent pas sans que soit tenu compte de leurs mérites : c’est le premier ordre, suprême et éminent, de la créature raisonnable dans les cieux, et il est ordonné à des fonctions variées et glorieuses. Traité des Principes: Second traité (I, 5-8)
Bien que l’état de l’univers soit composé de fonctions diverses, il ne faut cependant pas comprendre qu’il serait en désaccord et en désharmonie avec lui-même ; mais comme notre corps formé de membres nombreux est un et maintenu par une âme unique, de même à mon avis il faut concevoir l’univers comme un animal immense et énorme, gouverné par la Puissance et Raison de Dieu comme par une âme unique. Cela est indiqué, je pense, par la sainte Écriture quand elle dit par le prophète : Est-ce que je ne remplis pas le ciel et la terre, dit le Seigneur, De même : Le ciel est mon trône et la terre l’escabeau de mes pieds. Et ces paroles du Sauveur lorsqu’il défend de jurer, ni par le ciel, parce qu’il est le trône de Dieu, ni par la terre, parce qu’elle est l’escabeau de ses pieds. Pareillement celles de Paul, prêchant devant les Athéniens : En lui nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes. Comment comprendre qu’en Dieu nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes, si ce n’est qu’il enserre et maintient le monde par sa puissance ? Comment comprendre que le ciel soit le trône de Dieu et la terre l’escabeau de ses pieds, comme l’affirme le Sauveur lui-même, si ce n’est que dans le ciel et sur la terre sa puissance remplit l’univers selon ses paroles : Est-ce que je ne remplis pas le ciel et la terre, dit le Seigneur. Traité des Principes: Troisième traité (II, 1-3)
Quant à ceux qui affirment une succession de mondes qui seraient sans différences et tout à fait semblables, je ne sais sur quels arguments ils s’appuient. Si en effet on se représente un monde parfaitement semblable à un autre monde, il sera tel qu’Adam ou Eve y referont tout ce qu’ils ont fait, qu’il y aura un nouveau déluge, que le même Moïse fera sortir une autre fois d’Egypte une population de six cent mille personnes ; Judas lui-même trahira deux fois son maître, Paul gardera une seconde fois les habits de ceux qui lapidaient Étienne, et tout ce qui s’est passé dans cette vie se passera à nouveau. Je ne vois pas avec quelles raisons on pourrait soutenir de telles affirmations, si les âmes possèdent un libre arbitre et sont l’origine de leurs progrès ou de leurs régressions selon le pouvoir de leur volonté. Les âmes ne sont pas déterminées à faire ou à désirer ceci ou cela par un mouvement qui revient sur lui-même suivant les mêmes cercles après beaucoup de siècles, mais elles dirigent le cours de leurs actes là où tendent librement leurs dispositions. Traité des Principes: Troisième traité (II, 1-3)
Cependant ce monde est dit l’achèvement de beaucoup de siècles et est lui aussi appelé siècle. Le saint Apôtre enseigne que le Christ n’a pas souffert dans le siècle qui a précédé celui-ci, ni même dans celui qui a existé avant le siècle précédent, et je ne sais si je pourrais énumérer tous les siècles antérieurs dans lesquels il n’a pas souffert. Voici les paroles de Paul qu’on pourrait invoquer pour permettre de comprendre cela : Traité des Principes: Troisième traité (II, 1-3)
Maintenant, une seule fois, à la consommation des siècles il s’est manifesté pour repousser le péché en se faisant victime. Il dit en effet qu’une seule fois il s’est fait victime et s’est manifesté à la fin des siècles pour repousser le péché. Mais après ce siècle, qui a été fait selon Paul comme la consommation d’autres siècles, surviendront d’autres siècles, et nous l’apprenons aussi clairement du même Paul : Afin qu’il montrât aux siècles à venir les richesses surabondantes de sa grâce dans sa bonté pour nous. Il n’a pas dit : au siècle à venir, ni : aux deux siècles, mais : aux siècles à venir. Je juge en conséquence que cette parole indique une multitude de siècles. Traité des Principes: Troisième traité (II, 1-3)
On appelle encore monde l’univers composé du ciel et de la terre, selon ces paroles de Paul : L’état de ce monde passera. Notre Seigneur et Sauveur désigne aussi un monde autre que le visible, qu’il est vraiment difficile de décrire et de caractériser. Il dit en effet : Je ne suis pas de ce monde. Comme s’il venait d’un autre monde, il affirme qu’il n’est pas de ce monde. Nous venons de dire qu’il est difficile d’exposer ce qu’est ce monde, de peur que quelques-uns n’y trouvent occasion de comprendre que nous affirmons par là l’existence de certaines images que les Grecs appellent idées : il est cependant tout à fait étranger à notre mode de penser de parler d’un monde incorporel qui n’a de consistance que dans l’imagination et sur le terrain glissant des pensées ; et je ne vois pas comment ils pourront affirmer que le Sauveur en vient et que les saints s’y rendront. Cependant il n’est pas douteux que le Sauveur nous indique par là quelque chose de plus éclatant et de plus splendide que le monde présent, et qu’il invite et exhorte ceux qui croient en lui à y aspirer. Ce monde en question, dont il veut donner la pensée, est-il séparé de celui-ci, très éloigné de lui par le lieu, la qualité et la gloire, ou bien le dépasse-t-il seulement en gloire et en qualité, tout en étant contenu dans les limites de ce monde, opinion qui me paraît plus vraisemblable, cela est incertain et, à mon avis, étranger aux pensées et aux compréhensions humaines. Cependant des indications que semble donner Clément par ces paroles : L’Océan ne peut être traversé par les hommes, ainsi que les mondes qui sont au delà de lui, en parlant au pluriel des mondes qui sont au delà de lui et qu’il représente dirigés et régis par la même providence du Dieu suprême, paraissent venir à nous quelques germes de compréhension, nous suggérant que tout l’univers de ce qui est et existe, des réalités célestes et supracélestes, terrestres et infernales, forme au sens général un seul monde parfait, dans lequel et par lequel les autres, s’il y en a, sont contenus. Traité des Principes: Troisième traité (II, 1-3)
Assurément certains disent de ce monde-ci qu’il est corruptible puisqu’il a été fait, mais que cependant il ne se corrompt pas, parce que plus forte et plus puissante que la corruption est la volonté de Dieu qui l’a fait et le maintient, pour qu’il ne soit pas dominé par la corruption : mais il serait plus exact de penser cela de ce monde que nous avons dit au-dessus de la sphère des étoiles fixes, car par la volonté de Dieu il n’est en rien sujet à la corruption, n’ayant pas reçu ce qui cause la corruption. En effet ce monde appartient aux saints, à ceux qui ont été complètement purifiés, et non aux impies comme le nôtre. N’est-ce pas à ce sujet que l’Apôtre a écrit : A nous qui regardons non ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas, car ce qui se voit est temporel, ce qui ne se voit pas éternel. Nous savons en effet que si notre demeure terrestre, où nous habitons, se dissout, nous avons un édifice élevé par Dieu, une maison non faite par la main, éternelle dans les deux. Puisqu’il est dit ailleurs : Je verrai les deux, oeuvres de tes doigts, et que Dieu déclare par le prophète, au sujet de tout ce qui est visible : Ma main a fait tout cela, il affirme ainsi que cette maison éternelle, promise aux saints dans les cieux, n’a pas été faite par la main, montrant qu’il y a sans aucun doute une différence entre la création de ce qui se voit et celle de ce qui ne se voit pas. Ce qui ne se voit pas n’a pas la même signification que ce qui est invisible. Car ce qui est invisible, non seulement on ne le voit pas, mais encore on ne peut le voir à cause de sa nature : c’est ce que les Grecs ont appelé asomaton, c’est-à-dire incorporel. Les réalités qui, selon Paul, ne se voient pas peuvent par nature être vues, mais cela n’est pas encore possible d’après lui à ceux qui en reçoivent la promesse. Traité des Principes: Troisième traité (II, 1-3)
Supposons cependant, malgré ces preuves tout à fait évidentes, que c’est de je ne sais quel autre Dieu que le Sauveur a dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, et tous les autres textes que nous avons invoqués. Si la loi et les prophètes sont l’oeuvre du créateur, à ce que disent les hérétiques, c’est-à-dire d’un autre Dieu que celui qu’ils présentent comme le Dieu bon, comment concilier avec cela ce que le Christ ajoute, que la loi et les prophètes dépendent de ces deux commandements ? Comment ce qui est étranger et éloigné de Dieu dépendra-t-il de Dieu ? Lorsque Paul déclare : Je rends grâce à mon Dieu que je sers comme l’ont fait mes ancêtres avec une conscience pure, il montre clairement qu’il n’est pas venu au Christ pour aller à un Dieu nouveau. Ces ancêtres de Paul faut-il les comprendre autres que ceux dont il dit : Ils sont Hébreux, moi aussi; ils sont Israélites, moi aussi. Mais la préface même de son Epître aux Romains ne montre-t-elle pas avec soin, à ceux qui savent comprendre les lettres de Paul, quel est ce Dieu que prêche Paul ? Il dit en effet : Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé apôtre, mis à part pour l’évangile de Dieu, que Dieu a promis dans les saintes Écritures au sujet de son Fils, ce Fils qu’il a fait chair à partir de la semence de David, qu’il a prédestiné comme Fils de Dieu dans sa puissance selon l’Esprit de sanctification en ressuscitant des morts Jésus-Christ notre Seigneur, et cetera. On peut aussi citer cette parole : Tu ne musèleras pas le b?uf qui foule l’aire; mais Dieu se soucie-t-il des b?ufs ? Ou le dit-il assurément pour nous ? Pour nous en effet cela est écrit, car celui qui laboure doit labourer avec l’espérance et celui qui foule l’aire avec l’espoir de récolter. Par là, Paul montre avec évidence que le Dieu qui donne la loi a dit pour nous, c’est-à-dire pour ses apôtres : Tu ne musèleras pas le b?uf qui foule l’aire, car il ne se souciait pas des b?ufs, mais des apôtres qui prêchaient l’évangile du Christ. Traité des Principes: Premier traité (II, 4-5)
Ailleurs aussi considérant la promesse faite par la loi, Paul lui-même dit : Honore ton père et ta mère ? c’est le premier commandement dans la promesse ? afin que tout aille bien pour toi et que tu aies une longue vie sur la terre, la bonne terre, que le Seigneur ton Dieu te donnera. Par là, il déclare sans aucun doute qu’il approuve la loi, ainsi que le Dieu de la loi et ses promesses. Traité des Principes: Premier traité (II, 4-5)
Ces témoignages, couverts de l’autorité des Écritures, doivent suffire à réfuter ce que les hérétiques objectent d’ordinaire. Il ne paraîtra pas cependant inconvenant de discuter un peu avec eux par la voie du raisonnement. Demandons-leur donc s’ils savent quelle est chez les hommes la nature de la vertu et de la malice et s’il leur semble logique de parler de vertus en Dieu, ou, comme ils le pensent, dans ces deux Dieux. Qu’ils disent aussi si la bonté leur paraît être une vertu ? je pense qu’ils le reconnaîtront sans aucun doute ?, mais que diront-ils aussi de la justice ? Jamais assurément, à mon avis, ils ne perdront le sens au point de nier que la justice est une vertu. Si donc la vertu est le bien et la justice une vertu, sans aucun doute la justice est la bonté. S’ils disent que la justice n’est pas un bien, elle sera alors nécessairement un mal ou quelque chose d’indifférent. S’ils disent que la justice est un mal, je pense que ce serait une sottise de leur répondre : il me semble que je répondrais alors à des paroles insensées ou à des hommes à l’intelligence détraquée. Comment peut-on penser que ce soit un mal de rendre le bien pour le bien ? Eux-mêmes le reconnaissent. S’ils disent que c’est quelque chose d’indifférent, il s’ensuit que si la justice est indifférente, c’est aussi le cas de la tempérance, de la prudence et de toutes les autres vertus. Et que répondrons-nous à Paul quand il dit : S’il y a une vertu, s’il y a quelque chose digne de louange, observez ce que vous avez appris, reçu et entendu de moi ou vu en moi ? Traité des Principes: Premier traité (II, 4-5)
Mais de nouveau ils nous ramènent aux paroles de l’Écriture en posant leur fameuse question. Il est écrit, disent-ils, qu’un arbre bon ne peut pas produire de mauvais fruits ni un arbre mauvais de bons fruits : par son fruit on reconnaît l’arbre. Qu’en est-il donc, disent-ils ? De quelle nature est l’arbre de la loi, cela est manifesté par ses fruits, c’est-à-dire par les paroles de ses préceptes. Si on trouve la loi bonne, sans aucun doute on peut croire que celui qui l’a donnée est aussi le Dieu bon ; mais si elle est plus juste que bonne, on pensera que son Dieu est un législateur juste. L’apôtre Paul n’a employé aucune circonlocution pour dire : Donc la loi est bonne, le commandement saint, juste et bon. De là il est clair que Paul ne s’était pas instruit dans les écrits de ceux qui séparent le juste du bon, mais avait été enseigné par ce Dieu et illuminé par l’Esprit de ce Dieu qui est à la fois saint, bon et juste : parlant par son Esprit, il disait que le commandement de la loi est saint, juste et bon. Pour montrer avec plus d’évidence qu’il y a dans le commandement plus de bonté encore que de sainteté et de justice, il répète sa parole en parlant seulement de la bonté au lieu des trois : Ce qui est donc bon serait mort pour moi ? Qu’il n’en soit pas ainsi. Parce qu’il savait que, parmi les vertus, la bonté représente le genre, la justice et la sainteté les espèces du genre, voilà pourquoi, alors que plus haut il avait nommé le genre et les espèces, en redisant cette parole il a répété seulement le genre. Mais dans ce qui suit il dit : Le péché, par le bien, a opéré en moi la mort. Là il conclut par le genre ce qu’il avait exposé auparavant par les espèces. Il faut comprendre aussi de la même manière ces paroles : L’homme bon, du bon trésor de son coeur, profère le bien et l’homme mauvais, de son mauvais trésor, le mal. Ici aussi l’auteur a pris le genre, bien ou mal, montrant sans aucun doute qu’il y a dans l’homme bon la justice, la tempérance, la prudence, la piété (ou miséricorde) et tout ce qui peut être dit ou compris bon. Pareillement il a parlé de l’homme mauvais, qui serait certainement injuste, impur, impie et tout ce qui forme l’homme mauvais dans ses divers éléments. De même que sans ces malices on ne peut penser qu’un homme est mauvais et qu’il ne peut être mauvais, de même sans ces vertus il est certain que personne ne peut être jugé bon. Traité des Principes: Premier traité (II, 4-5)
Après avoir traité ces sujets, il est temps de revenir à l’incarnation de notre Seigneur et Sauveur pour voir comment il s’est fait homme et il a vécu parmi les hommes. Selon nos faibles forces, nous avons donc considéré la nature divine par l’examen plutôt de ses oeuvres que de notre intelligence, nous avons néanmoins regardé ses créatures visibles et contemplé par la foi les invisibles, puisque la fragilité humaine nous empêche de tout voir de nos yeux ou de tout embrasser par la raison : en effet de tous les êtres raisonnables nous sommes, nous hommes, l’être animé le plus faible et le plus fragile, dépassé par ceux qui se trouvent dans le ciel ou au-dessus du ciel. Il nous reste à chercher l’intermédiaire, c’est-à-dire le médiateur, entre toutes ces créatures et Dieu, celui que l’apôtre Paul appelle le premier-né de toute créature. Nous voyons en effet ce que les Écritures saintes nous rapportent de sa grandeur, qu’il est appelé Image du Dieu invisible et premier-né de toute créature, que, en lui, toutes choses ont été créées, visibles et invisibles, Trônes, Dominations, Principautés, Puissances: tout a été créé par lui et en lui; il est lui-même avant toutes choses et tout subsiste en lui, qui est la Tête de tous, étant le seul à avoir pour Tête Dieu le Père selon ce qui est écrit : La Tête du Christ est Dieu. Nous voyons en outre ce qui est écrit : Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père. Qui peut en effet connaître ce qu’est la Sagesse si ce n’est celui qui l’a engendrée ? Qui peut savoir clairement ce qu’est la Vérité si ce n’est le Père de la Vérité ? Qui a pu scruter toute la nature de sa Parole et de ce Dieu lui-même, nature qui vient de Dieu, si ce n’est Dieu seul, auprès duquel était la Parole ? Nous devons accepter en toute certitude que cette Parole ? qu’on doit aussi appeler Raison ?, que cette Sagesse, que cette Vérité, personne d’autre que le Père ne la connaît, elle dont il est écrit : Je pense que le monde lui-même ne contiendrait pas les livres qui seraient écrits, évidemment sur la gloire et la majesté du Fils de Dieu. Car il est impossible de mettre par écrit ce qui concerne la gloire du Sauveur. Traité des Principes: Deuxième traité (II, 6)
6, 7. Je pense, certes, que c’est en comprenant quelle est dans le Christ la nature de la Sagesse de Dieu et quelle est aussi celle qu’il avait assumée pour le salut du monde que le prophète Jérémie a écrit : L’esprit (le souffle) de notre face, le Christ Seigneur, dont nous avons dit : à son ombre nous vivrons parmi les nations. L’ombre de notre corps est inséparable de notre corps, elle reçoit et reproduit sans déviation les mouvements et les gestes du corps : c’est pourquoi, je pense, pour désigner ainsi les actions et mouvements de cette âme qui adhérait au Christ sans séparation possible et faisait tout en suivant son impulsion et sa volonté, le prophète l’a appelée ombre du Christ Seigneur sous laquelle nous avons à vivre parmi les nations. Car dans le mystère de son assomption vivent les nations, quand, imitant cette âme, elles parviennent par la foi au salut. En disant : Souviens-toi de mon opprobre, Seigneur, de l’opprobre qu’ils m’ont fait à la place de ton Christ, David me semble exprimer la même chose. Paul pense-t-il différemment lorsqu’il dit : Noire vie est cachée avec le Christ en Dieu! Et ailleurs : Cherchez-vous une preuve de celui qui parle en moi, le Christ! Et maintenant il dit que le Christ est caché en Dieu. Si le sens de cela n’indique pas autre chose que ce qui est signifié chez le prophète par l’ombre du Christ, comme nous l’avons dit plus haut, il dépasse peut-être la compréhension de l’intelligence humaine. Mais on trouve dans les Écritures divines bien d’autres textes significatifs à propos de l’ombre, comme ce que dit Gabriel à Marie dans l’Évangile selon Luc : L’Esprit du Seigneur viendra sur toi et la Puissance du Très-Haut t’ombragera. L’apôtre dit que ceux qui ont la circoncision charnelle servent selon la ressemblance et l’ombre des réalités célestes. Et ailleurs il est dit : Notre vie sur terre n’est-elle pas une ombre! Si donc la loi donnée sur terre est ombre, si toute notre vie qui se passe sur terre est ombre, et si nous vivrons parmi les nations à l’ombre du Christ, il faut voir si la vérité de toutes ces ombres ne sera pas connue dans la grande révélation, lorsque tous les saints mériteront de contempler la gloire de Dieu, les causes et la vérité des choses, non plus à travers un miroir, en énigme, mais face à face. Ayant déjà reçu par l’Esprit Saint un gage de cette vérité, l’Apôtre disait : Même si nous avons jamais connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi. Traité des Principes: Deuxième traité (II, 6)
Il nous faut donc savoir que l’Esprit Saint est Paraclet et qu’il enseigne des vérités trop grandes pour être exprimées, des vérités, pour ainsi dire, ineffables et qu’il n’est pas permis à l’homme de dire, c’est-à-dire qui ne peuvent être dévoilées par une parole humaine. Cette expression : il n’est pas permis, nous pensons qu’elle est employée par Paul au lieu de : il n’est pas possible, comme quand il dit : Tout est permis, mais tout ne convient pas; tout est permis, mais tout n’édifie pas. Ce dont nous avons la possibilité, parce que nous pouvons l’avoir, il dit que c’est permis. Le Paraclet, terme appliqué au Saint Esprit, vient du mot consolation ? paraclèsis en effet se dit en latin consolatio ? : celui en effet qui aura mérité de participer au Saint Esprit par la connaissance des mystères ineffables, reçoit sans aucun doute consolation et joie du coeur. Lorsqu’il aura connu en effet la nature de tout ce qui se fait, qu’il saura, sur l’indication de l’Esprit, pourquoi et comment cela se fait, son âme ne pourra absolument plus être troublée ni accueillir aucun sentiment de peine : il ne sera plus terrifié par rien, lorsque, adhérant à la Parole de Dieu et à sa Sagesse, il dit dans l’Esprit Saint que Jésus est Seigneur. Traité des Principes: Troisième traité (II, 7)
Mais à propos de l’âme du Christ, la nature de l’incarnation, quand on la considère, supprime tout problème. Car de même qu’il a eu vraiment un corps, il a eu vraiment une âme. Mais il est difficile de penser et d’exposer comment on doit comprendre le fait qu’il soit question d’une âme de Dieu dans les Écritures : en effet nous reconnaissons une fois pour toutes que sa nature est simple, sans mélange ni addition. Cependant, de quelque façon qu’il faille l’entendre, il semble qu’on parle parfois de l’âme de Dieu. A propos de l’âme du Christ, il n’y a pas de doute. Et c’est pourquoi il ne me paraît pas absurde de dire ou de penser de même des saints anges et des autres puissances célestes, si toutefois la définition de l’âme donnée plus haut semble leur convenir. Qui pourra nier qu’ils possèdent une sensibilité raisonnable et le mouvement ? Si donc cette définition qui fait de l’âme une substance dotée de sensibilité raisonnable et de mouvement paraît juste, il semble qu’elle s’applique aussi aux anges. Qu’y a-t-il d’autre en eux qu’une sensibilité raisonnable et du mouvement ? Les êtres à qui conviennent une définition unique sont sans aucun doute d’une même substance. Certes, l’apôtre Paul parle d’un homme animal qui, selon lui, ne peut percevoir ce qui concerne l’Esprit de Dieu et il dit de même que l’enseignement de l’Esprit Saint paraît à cet homme absurde et qu’il ne peut comprendre ce qui est l’objet d’un discernement spirituel. Mais dans un autre passage, selon lui, est semé un corps animal et ressuscite un corps spirituel : il montre ainsi que dans la résurrection des justes il n’y aura rien d’animal dans ceux qui mériteront la vie des bienheureux. Et c’est pourquoi nous recherchons s’il y aurait une substance qui serait imparfaite parce qu’elle est âme. Mais nous nous demanderons, quand nous nous mettrons à discuter cela dans le détail, si elle est imparfaite parce qu’elle est tombée de la perfection ou si elle a été faite ainsi par Dieu. Si en effet l’homme animal ne perçoit pas ce qui concerne l’Esprit de Dieu et si, parce qu’il est animal, il ne peut recevoir la compréhension d’une nature supérieure, c’est-à-dire divine, c’est pour cela que Paul, voulant nous enseigner plus clairement quelle est la faculté qui nous permet de comprendre les réalités de l’Esprit, les réalités spirituelles, unit et associe à un esprit saint plutôt l’intelligence que l’âme. A mon avis il le montre, lorsqu’il dit : Je prierai par l’esprit, je prierai aussi par l’intelligence; je psalmodierai par l’esprit, je psalmodierai aussi par l’intelligence. Il ne dit pas : je prierai par l’âme, mais : par l’esprit et l’intelligence ; et non plus : je psalmodierai par l’âme, mais : par l’esprit et l’intelligence. Traité des Principes: Quatrième traité (II, 8-9)
Maintenant nous appelons monde tout ce qui est soit au-dessus des cieux, soit dans les cieux, soit sur la terre, soit dans ce qu’on nomme l’Hadès, soit tous les lieux absolument qui existent et ceux qu’on dit habiter dans ces lieux : on appelle donc monde l’univers. Dans ce monde il y a des êtres dits supracélestes, habitant des demeures d’une béatitude plus grande et revêtus de corps plus célestes et plus lumineux ; parmi eux on trouve beaucoup de degrés, comme, par exemple, ce qu’a dit l’Apôtre : Autre est la gloire du soleil, autre celle de la lune, autre celle des étoiles, car une étoile diffère d’une autre en gloire. Il y a aussi des êtres terrestres, très différents les uns des autres, parmi les hommes eux-mêmes : il y a des barbares, des Grecs, et parmi les barbares les uns sont plus cruels et féroces, les autres plus doux. Certains obéissent à des lois excellentes, d’autres à des lois méprisables et dures, d’autres suivent des coutumes inhumaines et sauvages plutôt que des lois. Certains vivent dans l’humiliation dès leur naissance, sont soumis à d’autres et élevés en esclaves, ou sont placés sous le pouvoir de maîtres, de princes ou de tyrans, mais d’autres reçoivent une éducation plus libérale et plus raisonnable ; certains possèdent la santé du corps, d’autres sont malades dès leur jeune âge, privés de la vue, de l’ouïe ou de la parole, soit qu’ils soient nés ainsi, soit qu’ils aient perdu ces sens sitôt après la naissance ou qu’ils aient souffert quelque chose de semblable étant déjà à l’âge adulte. Vaut-il la peine de développer et d’énumérer toutes les calamités des misères humaines dont les uns sont exempts et les autres atteints, puisque chacun peut, et encore en lui-même, les considérer et les évaluer une par une. H y a aussi des puissances invisibles à qui est confié le gouvernement de ce qui est sur terre ; et on peut croire que même chez elles on trouve des différences non négligeables, aussi bien que chez les hommes. Certes l’apôtre Paul parle aussi d’êtres infernaux et on peut chercher sans aucun doute chez eux la cause d’une diversité semblable. Il paraît superflu d’étendre cette recherche aux animaux sans parole, aux oiseaux et à ceux qui habitent dans les eaux, puisqu’il est certain qu’on ne doit pas les considérer comme des êtres premiers, mais comme des êtres d’origine seconde. Traité des Principes: Quatrième traité (II, 8-9)
Il est dit que tout ce qui a été fait l’a été par le Christ et dans le Christ, comme l’apôtre Paul l’affirme très clairement : Car en lui et par lui tout a été créé, ce qui est au ciel, ce qui est sur la terre, les réalités visibles et les invisibles, soit les Trônes, les Dominations, les Principautés ou les Puissances : tout a été créé par lui et en lui. Jean dans son Évangile parle de même : Dans le principe était la Parole et la Parole était auprès de Dieu et la Parole était Dieu; elle était dans le principe auprès de Dieu. Tout a été fait par elle et sans elle rien n’a été fait. Il est écrit pareillement dans les Psaumes : Tu as tout fait dans ta Sagesse. Puisque le Christ, de même qu’il est Parole et Sagesse, est aussi Justice, il s’ensuivra sans aucun doute que tout ce qui a été fait dans la Parole et la Sagesse a été fait aussi, il faut le dire, dans la Justice, le Christ. C’est pourquoi dans ce qui a été fait il ne faut voir rien d’injuste ni rien de fortuit, mais enseigner que tout est conforme à ce que demande la règle de l’équité et de la justice. Comment peut-on comprendre la très grande justice et la très grande équité d’une telle variété et diversité des êtres ? Je suis certain que ni l’entendement ni la parole humaine ne peuvent l’expliquer, si nous n’implorons pas, prosternés et suppliants, celui qui est lui-même Parole, Sagesse et Justice, le Fils unique de Dieu, pour qu’il daigne, en se répandant par sa grâce dans nos pensées, illuminer ce qui est obscur, ouvrir ce qui est fermé et dévoiler ce qui est secret. Il faut pour cela que nous demandions, que nous cherchions, que nous frappions à la porte d’une façon assez digne pour que, lorsque nous demandons, nous méritions de recevoir, lorsque nous cherchons, nous méritions de trouver, lorsque nous frappons à la porte, l’ordre soit donné de nous ouvrir. Ce n’est donc pas en nous appuyant sur notre propre talent, mais sur l’aide de cette même Sagesse qui a créé l’univers et de cette Justice que nous croyons présente dans toutes les créatures, même si pour le moment nous n’avons pas la force de rien affirmer, c’est donc en nous confiant en sa miséricorde que nous tenterons de rechercher et d’examiner comment cette si grande variété et diversité du monde paraît s’accorder avec toutes les raisons de la justice. Quand je parle de raison je le dis seulement dans un sens général. Car chercher la raison particulière de chaque être est le propre de quelqu’un qui est sans expérience et vouloir en rendre compte est celui d’un insensé. Traité des Principes: Quatrième traité (II, 8-9)
Mais l’Écriture sainte ne me paraît pas s’être tue complètement sur la raison de ce mystère. L’apôtre Paul discutant Ésaü et de Jacob dit : Alors qu’ils n’étaient pas encore nés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal, pour que soit maintenue la décision concernant leur élection par Dieu, ce n’est pas par suite de leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui les a appelés qu’il fut dit: L’aîné servira le plus jeune. Il est écrit en effet: J’ai aimé Jacob, j’ai pris en haine Elsa. Et Paul ensuite s’est répondu à lui-même en ces termes :Que dirons-nous donc ? Y a-t-il injustice de la part de Dieu ? Pour nous fournir à ce sujet une occasion de recherche et d’examen, pour savoir comment cela s’est passé d’une manière non déraisonnable, il s’est répondu à lui-même : Qu’il n’en soit pas ainsi! Les mêmes questions qui se posent à propos d’Ésaü et de Jacob, à ce qu’il me semble, peuvent s’étendre à tous les êtres célestes, aux créatures terrestres et infernales : Alors qu’ils n’étaient pas encore nés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal; cela peut se dire pareillement de tous les autres êtres. Alors qu’ils n’avaient pas encore été créés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal, afin que soit maintenue la décision de Dieu concernant leur élection, comme certains le pensent, les uns ont été faits êtres célestes, d’autres terrestres et d’autres infernaux, non par suite de leurs oeuvres, selon l’opinion de ces héré-tiques, mais par la volonté de celui qui les a appelés. Que dirons-nous donc si les choses sont ainsi ? Il y a donc injustice de la part de Dieu ? Qu’il n’en soit pas ainsi! Alors, en scrutant les Écritures avec plus de soin au sujet d’Ésaü et de Jacob, on trouve qu’il n’y a pas d’injustice de la part de Dieu, quand, avant leur naissance et avant qu’ils aient fait quoi que ce soit, dans cette vie évidemment, il est dit que l’aîné servira le plus jeune, et on trouve de même qu’il n’y a pas d’injustice dans le fait que Jacob ait supplanté son frère dans le sein de sa mère, si on pense qu’il a été aimé de Dieu avec raison jusqu’à être préposé à son frère à cause des mérites d’une vie précédente, bien entendu. Ainsi peut-on penser des créatures célestes, si nous remarquons que cette diversité n’est pas l’état initial de la créature, mais que, à la suite de causes antécédentes, le Créateur prépare à chacune une fonction et un service différents selon la dignité de son mérite : cela vient assu-rément du fait que chacun, parce qu’il a été créé par Dieu comme intelligence ou comme esprit raisonnable, s’est acquis plus ou moins de mérite par suite des mouvements de l’intelligence et des affections de l’entendement et s’est rendu ainsi pour Dieu aimable ou même haïssable. Cepen-dant quelques-uns de ceux qui ont le mieux mérité ont reçu pour l’ordonnance du monde la fonction de souffrir avec les autres et de prêter service aux êtres inférieurs, afin de participer ainsi à la patience du créateur, selon ces paroles de l’Apôtre : La création a été en effet soumise à la vanité, contre son gré, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espérance. Traité des Principes: Quatrième traité (II, 8-9)
Mais pour y arriver selon un ordre convenable, il faut parler, ce me semble, de la résurrection afin de savoir la nature de ce qui ira soit au châtiment, soit au repos et à la béatitude : de tout cela nous avons discuté plus complètement dans d’autres livres, ceux que nous avons écrits sur la résurrection et nous y avons exprimé notre opinion. Mais maintenant il ne paraîtra pas absurde de revenir un peu sur le sujet à cause de la suite des idées, surtout parce que certains, des hérétiques principalement, trouvent dans la foi de l’Église occasion de scandale, pensant que notre foi dans la résurrection est stupide et complètement insensée. A mon avis il faut leur répondre ainsi : S’ils reconnaissent eux-mêmes qu’il y a une résurrection des morts, qu’ils nous répondent : Qu’est-ce qui est mort, sinon le corps ? Il y a donc une résurrection du corps. Qu’ils nous disent ensuite si nous utiliserons alors des corps ou non. Je pense que, puisque l’apôtre Paul a dit : Un corps animal est semé, un corps spirituel ressuscitera, ils ne peuvent refuser la résurrection du corps et que dans la résurrection nous nous servirons de corps. Qu’en est-il donc ? S’il est certain que nous utiliserons des corps et que ce sont les corps tombés qui se relèveront, selon la prédication apostolique ? car on ne peut pas à proprement parler se relever si on n’est pas tombé auparavant ?, il n’y a aucun doute que ce sont ces corps qui se relèveront pour que nous les revêtions à nouveau dans la résurrection. Les deux affirmations sont liées. Car si les corps ressuscitent c’est sans aucun doute pour nous revêtir, et s’il est nécessaire que nous soyons dans des corps ? c’est effectivement nécessaire ?, nous ne devons pas être dans d’autres corps que dans les nôtres. S’il est vrai que les corps ressusciteront et ressusciteront spirituels, il est clair qu’ils le feront après avoir rejeté la corruption et déposé la mortalité ; autrement il semblerait vain et superflu que quelqu’un ressuscite des morts pour mourir à nouveau. On peut assurément comprendre cela avec plus d’évidence si on considère soigneusement quelle est la qualité du corps animal, qui, semée en terre, se renouvelle dans la qualité du corps spirituel. Car du corps animal la puissance même de la résurrection et sa grâce tirent le corps spirituel, quand elles le font passer de l’indignité à la gloire. Traité des Principes: Cinquième traité (II, 10-11)
S’il en est ainsi de la qualité du corps qui ressuscitera des morts, voyons ce que signifie la menace du feu éternel. Nous trouvons en effet dans le prophète Isaïe l’indication que le feu qui punit est propre à chacun : Marchez dans la lumière de voire feu et dans la flamme que vous vous êtes allumée à vous-mêmes. Ces paroles semblent montrer que chacun s’allume à lui-même la flamme d’un feu qui lui est propre, au lieu d’être plongé dans un autre feu qui aurait été auparavant allumé par un autre et subsisterait avant lui. La nourriture de ce feu, la matière qui l’alimente, ce sont nos péchés, appelés par l’apôtre Paul bois, foin et paille. A mon avis, de même que l’abondance de la nourriture dans le corps, les aliments dont la qualité et la quantité nous sont contraires, engendrent des fièvres de nature et de durée diverses dans la mesure où les excédents accu-mulés ont fourni à ces fièvres une matière et un excitant ? cette quantité de matière, accumulée par divers excès est cause de l’acuité et de la longueur de la maladie ?, de même, lorsque l’âme a accumulé en elle une foule de mauvaises oeuvres et une abondance de péchés, toute cette accumulation de maux bouillonne au moment convenable pour son supplice et s’enflamme pour son châtiment. Par ailleurs l’intelligence elle-même ou plutôt la conscience, se rappelant par la puissance divine tous les actes dont les empreintes et les formes s’étaient imprimées en elle quand elle péchait, tout ce qu’elle a fait de laid et de honteux et même tout ce qu’elle a commis d’impie, verra ainsi en quelque sorte étalée devant ses yeux l’histoire de ses crimes ; alors la conscience est agitée et comme piquée par des aiguillons dont elle est elle-même la cause et elle devient l’accusatrice d’elle-même et son témoin à charge. A mon avis l’apôtre Paul a eu une idée semblable quand il a dit : Nos pensées s’accusant ou même s’excusant réciproquement au jour où Dieu jugera les actions secrètes des hommes selon mon évangile par Jésus-Christ. Par là il faut comprendre que, en ce qui concerne la substance même de l’âme, les mauvais sentiments des pécheurs engendrent eux-mêmes certains tourments. Traité des Principes: Cinquième traité (II, 10-11)
Certains, refusant en quelque sorte le travail de l’intelligence, s’ap-pliquant de façon superficielle au sens littéral de la loi, se complaisant d’une certaine manière dans ce qui les délecte et leur cause du plaisir, disciples de la lettre seule, pensent qu’il nous faut attendre l’accomplissement futur des promesses dans la volupté et la sensualité corporelles. Et c’est pourquoi ils désirent retrouver à la résurrection un corps charnel qui leur laisse pour toujours la possibilité de manger, de boire, et d’accomplir tous les actes qui relèvent de la chair et du sang : ils ne suivent pas l’opinion de l’apôtre Paul sur la résurrection du corps spirituel. A cela ils ajoutent logiquement la faculté de contracter mariage et de procréer des enfants même après la résurrection ; ils imaginent Jérusalem comme une ville terrestre qui sera réédifiée sur des pierres précieuses mises dans ses fondements, avec des murs bâtis en jaspe, des retranchements ornés de cristal et une enceinte de pierres choisies et diverses, jaspe, saphir, chalcédoine, émeraude, sardoine, onyx, chrysolithe, chrysoprase, hyacinthe et améthyste. Ils pensent qu’ils auront là comme ministres de leurs plaisirs des étrangers, servant de laboureurs ou de vignerons, et des maçons pour reconstruire leur cité démolie et écroulée ; ils jugent qu’ils y recevront pour nourriture les biens des nations et qu’ils seront maîtres de leurs richesses, de sorte que même les chameaux de Madian et d’Épha viendront leur apporter l’or, l’encens et les pierres précieuses. Ils s’efforcent de confirmer cela par l’autorité des prophètes lorsqu’ils parlent des promesses faites à Jérusalem : car il y est dit que ceux qui servent Dieu mangeront et boiront, que les pécheurs auront faim et soif, que les justes seront dans la joie et les impies dans la honte. Du Nouveau Testament, ils invoquent la parole du Sauveur promettant aux disciples de trouver la joie dans le vin : Je ne boirai plus de cela désormais jusqu’à ce que je le boive avec vous nouveau dans le royaume de mon Père. Ils ajoutent encore que le Sauveur proclame bienheureux ceux qui maintenant ont faim et soif, leur promettant d’être rassasiés; et ils apportent beaucoup d’autres textes des Écritures, sans voir qu’il faut les comprendre de façon figurée et spirituelle. Alors ils estiment qu’ils seront rois et princes, comme ceux d’ici-bas, comprenant cela selon les conditions de cette vie, selon les dignités et les classes instituées en ce monde ou selon les degrés d’autorité, assurément à cause de cette parole évangélique : Tu auras autorité sur cinq villes. Bref, ils veulent que tout ce qu’ils attendent de l’accomplissement des promesses soit exactement semblable à la manière de vivre ici-bas, c’est-à-dire que le monde actuel recommence à être. Telles sont les pensées de gens qui croient, certes, au Christ, mais comprenant à la juive les Écritures divines, n’y soupçonnent rien qui soit digne des promesses divines. Traité des Principes: Cinquième traité (II, 10-11)
Lorsque les saints seront parvenus, pour ainsi dire, dans les lieux célestes, ils contempleront alors la nature des astres un à un et ils sauront s’ils sont des êtres animés ou quelque chose d’autre. Mais ils comprendront aussi les raisons des autres oeuvres de Dieu, car lui-même les leur révélera. Alors il leur montrera comme à ses fils les causes des choses et la puissance de sa création, leur enseignera pourquoi telle étoile est placée à tel endroit du ciel, pourquoi elle est séparée d’une autre par tel intervalle : si elle avait été plus proche, par exemple, quelles en auraient été les conséquences, et si elle avait été plus éloignée qu’est-ce qui serait arrivé ? Ou si cette étoile avait été plus grande que cette autre, comment l’univers ne serait pas resté semblable, mais tout aurait pris une autre forme. Ainsi donc, après avoir parcouru la science de la nature des astres et des relations des êtres célestes, ils en viendront à ce qui ne se voit pas, ce que nous connaissons seulement de nom, aux réalités invisibles. L’apôtre Paul nous a appris qu’elles sont nombreuses, mais nous ne pouvons faire la moindre conjecture sur leur nature et leurs différences. Et ainsi, la nature raisonnable croissant peu à peu, non comme elle le faisait en cette vie quand elle était dans la chair ou le corps et l’âme, mais grandissant par la compréhension et la pensée, parvient, en tant qu’elle est une intelligence parfaite, à la connaissance parfaite, sans que les sentiments charnels lui fassent désormais obstacle, mais dans sa croissance intellectuelle elle contemple toujours dans leur pureté et, pour ainsi dire, face à face, les causes des choses ; elle acquiert ainsi la perfection, d’abord celle qui permet son ascension, ensuite celle qui demeure, et elle a comme nourriture la contemplation et la compréhension des choses et de ce qui les cause. En effet dans cette vie corporelle se produit d’abord la croissance du corps jusqu’à l’état où nous sommes pendant les premières années, par le moyen d’une nourriture suffisante, mais ensuite, quand nous avons atteint la taille convenant à la mesure de notre croissance, nous n’usons plus de la nourriture pour grandir, mais pour vivre et nous conserver en vie : ainsi, à mon avis, quand l’intelligence parvient à la perfection, elle se nourrit, elle use des aliments qui lui sont propres et lui conviennent, dans une mesure où il n’y a ni défaut ni excès. En tout il faut entendre comme nourriture la contemplation et la compréhension de Dieu suivant les mesures qui sont propres et qui conviennent à la nature qui a été faite et créée; il faut que ceux qui commencent à voir Dieu, c’est-à-dire à le comprendre par leur pureté de coeur, observent ces mesures. Traité des Principes: Cinquième traité (II, 10-11)
Voyons de quelle manière Paul lui aussi nous parle comme ayant le libre arbitre et étant causes de perdition et de salut : Méprises-tu la richesse de sa bonté et de sa patience et de sa longanimité, ignorant que cette bonté de Dieu te mène à la pénitence ? En fonction de ta dureté et de l’impénitence de ton coeur, tu thésaurises pour toi la colère au jour de la colère, de la révélation et du juste jugement de Dieu qui rendra à chacun selon ses oeuvres : à ceux qui par leur persévérance à accomplir le bien recherchent la gloire, l’honneur et l’incorruption sera donnée la vie éternelle, mais à ceux qui par chicane n’obéissent pas à la vérité, mais à l’injustice, colère et fureur. Tribulalion et angoisse pour toute personne humaine qui fait le mal, Juif d’abord, puis Grec; gloire, honneur et paix à tous ceux qui font le bien, Juif d’abord, puis Grec. On trouve dans les Écritures d’innombrables affirmations, très claires, du libre arbitre. Traité des Principes: Sixième traité (III, 1)
Examinons aussi le passage évangélique où le Sauveur répond à ceux qui lui demandent pourquoi il parle à la foule en paraboles : pour que, dit-il, voyant, ils ne voient pas et entendant, ils entendent et ne comprennent pas, de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il ne leur soit pardonné. On trouve de même chez Paul : Ce n’est pas l’oeuvre de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui a miséricorde. Et ailleurs : Le vouloir et l’agir viennent de Dieu. Ailleurs encore : Il a donc pitié de celui qu’il veut et il endurcit celui qu’il veut. Tu me diras donc: Que blâme-t-il encore ? Qui s’est opposé à sa volonté ? [Et : La persuasion vient de celui qui appelle, et non de nous]. Effectivement, homme, qui es-tu pour répondre à Dieu ? Ce qui est façonné dira-t-il à celui qui l’a façonné: Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? Est-ce que le potier qui travaille l’argile n’a pas le pouvoir de faire à partir de la même pâte tel vase pour un usage honorable, tel autre pour un usage sans honneur ? Ces textes par eux-mêmes peuvent troubler la foule et faire croire que l’homme n’a pas de libre arbitre, mais que Dieu sauve ou perd ceux qu’il veut. Traité des Principes: Sixième traité (III, 1)
C’est comme si le soleil prenait la parole et disait : Je liquéfie et je dessèche, alors qu’être liquéfié et être desséché sont des états contraires. Cependant il ne mentirait pas à cause du substrat, car la même chaleur liquéfie la cire et sèche la boue : ainsi la même action qui s’est produite par l’intermédiaire de Moïse a révélé l’endurcissement de Pharaon à cause de sa malice et la docilité des Égyptiens qui s’étaient mêlés aux Hébreux et partaient avec eux. Et ce qui est écrit, que peu à peu le coeur de Pharaon s’est assoupli jusqu’à dire : Mais vous n’irez pas loin, vous marcherez trois jours et vous laisserez vos femmes, et toutes les autres paroles qu’il a dites en s’abandonnant peu à peu aux prodiges, montrent que les miracles agissaient bien un peu sur lui, sans l’amener cependant à tout exécuter. Cela ne se serait pas produit si la phrase J’endurcirai le coeur de Pharaon était accomplie par lui, c’est-à-dire par Dieu, dans le sens que veulent la plupart. Il n’est pas déplacé d’expliquer de telles paroles à partir des habitudes de langage. Souvent de bons maîtres disent à des serviteurs, gâtés par leur bonté et leur patience : C’est moi qui t’ai rendu mauvais. Et : C’est moi qui suis la cause de telles fautes. Il faut d’abord comprendre la forme habituelle et le sens de ce qui est dit et ne pas calomnier par une mauvaise compréhension de ce que veut dire cette parole. En effet Paul, qui a examiné tout cela clairement, dit au pécheur : Méprises-tu la richesse de sa bonté, de sa patience et de sa longanimité, ignorant que la bonté de Dieu te mène à la pénitence ? Selon ta dureté et l’impénitence de ton coeur, tu thésaurises pour toi-même la colère au jour de la colère et de la révélation et du juste jugement de Dieu. Ce que dit l’Apôtre au pécheur, que cela soit dit à Pharaon : on peut penser que cela se rapporte à lui d’une manière tout à fait adaptée, car selon sa dureté et l’impénitence de son coeur il thésaurise pour lui-même la colère. Cette dureté n’aurait pas été révélée à ce point ni ne serait devenue aussi manifeste, si des miracles ne s’étaient pas produits, ou même, dans le cas où ils se seraient produits, s’ils n’avaient pas été si nombreux et si grands. Traité des Principes: Sixième traité (III, 1)
Je pense que nous pouvons donner la justification suivante à la phrase : Ce n’est donc pas l’oeuvre de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Salomon dit dans le livre des Psaumes ? c’est de lui qu’est le Cantique des Montées, dont nous présentons ces paroles ? : Si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain ont travaillé ses bâtisseurs ; si le Seigneur ne garde la cité, en vain a veillé son gardien. Il ne nous détourne pas de construire et il ne nous apprend pas par là à ne pas veiller pour garder la cité qui se trouve en notre âme, mais il enseigne que ce qui est bâti sans Dieu et ce qui n’est pas sous sa garde est bâti en vain et gardé sans résultat, car c’est à bon droit que Dieu est décrit comme le maître de la construction et le Seigneur de l’univers comme le chef de ceux qui gardent la ville. C’est comme si nous disions : Cette construction n’est pas l’oeuvre du bâtisseur, mais de Dieu ; ou, si cette ville n’a rien souffert de ses ennemis, le succès n’est pas à attribuer à son gardien, mais au Dieu de l’univers. Nous n’aurions pas tort, si on sous-entend cependant que l’homme a fait quelque chose, mais que l’exploit doit être rapporté avec actions de grâces à Dieu qui a tout accompli. De même, puisque le vouloir humain ne suffit pas pour atteindre la fin, ni le fait de courir comme des athlètes pour obtenir le prix de l’appel céleste venant de Dieu dans le Christ Jésus ? c’est en effet avec l’assistance de Dieu que cela s’accomplit ?, il est écrit justement : Ce n’est pas l’oeuvre de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. On peut invoquer à ce sujet ce qui est écrit comme s’il s’agissait d’un travail agricole : C’est moi qui ai planté, Apollos qui a arrosé, mais Dieu qui a fait croître: de telle sorte que ni celui qui plante ni celui qui arrose ne sont quelque chose, mais celui qui fait croître, Dieu. Il serait impie, à notre avis, de dire que, si les fruits sont parvenus à leur plénitude, c’est l’oeuvre du cultivateur ou de celui qui arrose, alors que c’est l’oeuvre de Dieu. Pareillement en ce qui regarde notre perfection, on ne peut dire que nous n’ayons rien fait, cependant ce n’est pas nous qui l’avons accomplie, mais Dieu qui en a fait la plus grande part. Et pour qu’on croie avec plus de clarté à ce que nous disons, prenons en exemple l’art du pilote. Par comparaison à l’action des vents qui soufflent, à la sérénité de l’air, à l’éclat des astres, tout cela collaborant au salut des navigateurs, quelle importance a, dirait-on, pour retrouver le port, l’art du pilote ? Les pilotes eux-mêmes sont souvent assez circonspects pour ne pas se permettre de reconnaître qu’ils ont sauvé le navire, mais ils rapportent le tout à Dieu : cela ne veut pas dire qu’ils n’aient rien fait, mais que la part de la Providence est infiniment plus grande que celle de la technique. En ce qui concerne notre salut, la part de Dieu est infiniment plus grande que celle de notre libre arbitre. C’est pourquoi, à mon avis, il est dit : Ce n’est pas l’oeuvre de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. S’il fallait comprendre comme le font nos objecteurs la phrase : Ce n’est pas l’oeuvre de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde, les commandements seraient superflus et c’est en vain que Paul distribue le blâme à ceux qui sont tombés, la louange à ceux qui se conduisent bien, et légifère pour les Églises : en vain nous nous appliquons à vouloir les biens les meilleurs, en vain à courir. Mais non, ce n’est pas en vain que Paul conseille ceci, blâme les uns et approuve les autres, ce n’est pas en vain que nous nous consacrons à vouloir les biens les meilleurs et à nous hâter vers les biens supérieurs. Nos objecteurs donc n’ont pas bien compris ce qui concerne ce passage. Traité des Principes: Sixième traité (III, 1)
Voyons aussi dans le Nouveau Testament le passage où Satan s’approche du Seigneur pour le tenter. Des esprits malins et des démons impurs qui possédaient d’assez nombreuses personnes ont été mis en fuite par le Seigneur et chassés des corps de ces malades, que l’Écriture dit libérés par lui. Mais Judas, alors que le diable avait mis dans son coeur l’intention de livrer le Christ, reçut ensuite Satan tout entier en lui : il est écrit en effet que après la bouchée Satan entra en lui. Quant à l’apôtre Paul, il nous enseigne à ne pas donner de place au diable, mais revêtez, dit-il, les armes de Dieu, pour que vous puissiez résister aux astuces du diable, signifiant que les saints ont à lutter non contre la chair et le sang, mais contre les principautés, les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres, les esprits de méchanceté dans les deux. Il dit que le Sauveur a été crucifié par les princes de ce monde qui seront détruits et il affirme qu’il ne parle pas selon leur sagesse. Par tout cela, l’Écriture divine nous enseigne qu’il existe des ennemis invisibles en lutte contre nous et elle nous enjoint de nous armer contre eux. A cause de cela, les plus simples de ceux qui croient au Seigneur Christ pensent que tous les péchés commis par les hommes se font à cause de ces puissances contraires qui harcèlent l’intelligence des pécheurs, parce que, dans ce combat invisible, ces puissances se trouvent les plus fortes. Si par exemple le diable n’existait pas, aucun homme ne pécherait. Traité des Principes: Septième traité (III, 2-4)
Certains péchés donc ne viennent pas des puissances contraires, mais ont pour origine les mouvements naturels du corps. L’apôtre Paul l’assure très clairement quand il dit : La chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair ; ces deux réalités s’opposent l’une à l’autre, de telle sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez. Si en effet la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair, il y a pour nous parfois une lutte contre la chair et le sang, c’est-à-dire tant que nous sommes hommes et marchons selon la chair et tant que nous ne pouvons éprouver des tentations plus fortes que les tentations humaines, puisqu’il est dit de nous : que la tentation ne vous atteigne pas, si ce n’est une tentation humaine ! Car Dieu est fidèle, lui qui ne permettra pas que vous soyez tentés plus que vous ne pouvez le supporter. Ceux qui président aux luttes ne laissent pas ceux qui viennent au combat se mettre à lutter les uns contre les autres de n’importe quelle manière, ou par suite du hasard, mais après un examen attentif des corps et des âges, les ayant comparés de la façon la plus équitable, ils associent celui-ci avec celui-là, cet homme avec cet autre, mettant par exemple des enfants avec des enfants, des hommes avec des hommes, de manière qu’ils se correspondent par la similitude de leur âge et de leur force. Il faut penser de même de la providence divine : tous ceux qui descendent dans les luttes de la vie humaine, elle les gouverne dans sa très juste administration selon la mesure de la vertu de chacun, que connaît seul celui qui voit seul les coeurs des hommes. Ainsi l’un combat contre telle chair, l’autre contre telle autre, celui-ci pendant un tel espace de temps, celui-là pendant tel autre, cet homme sera soumis à telle excitation charnelle qui le pousse dans tel ou tel sens, celui-là à telle autre ; parmi les puissances ennemies l’un aura à résister à celle-ci ou à celle-là, l’autre à deux ou trois à la fois et tantôt contre l’une, tantôt de nouveau contre l’autre, à un certain temps contre celle-ci et à un certain temps contre celle-là, après tels actes il luttera contre les unes, après tels autres contre les autres. Vois si l’Apôtre n’indique pas quelque chose de semblable lorsqu’il dit : Dieu est fidèle, au point de ne pas permettre que vous soyez tentés plus que vous ne pouvez le supporter, c’est-à-dire que chacun est tenté selon son degré ou ses possibilités de vertu. Traité des Principes: Septième traité (III, 2-4)
Les pensées qui viennent de notre coeur ? la mémoire des actes passés ou la réflexion sur quelque chose ou cause que ce soit ?, nous constatons que tantôt elles viennent de nous-mêmes, tantôt elles sont soulevées par les puissances adverses, parfois aussi elles sont mises en nous par Dieu et les saints anges. Mais tout cela paraîtra peut-être fabuleux, si ce n’est pas prouvé par des témoignages venant de la divine Écriture. Les pensées qui naissent de nous-mêmes, David les atteste quand il dit dans les Psaumes: La pensée de l’homme te louera et le reste de ses pensées célébrera pour toi un jour de fête. Celles qui viennent habituellement des puissances contraires, Salomon dans l’Ecclésiaste en témoigne ainsi : Si l’esprit de celui qui a le pouvoir monte sur toi, ne quitte pas ta place, parce que la guérison arrêtera des péchés nombreux. Et l’apôtre Paul lui aussi en donne témoignage en ces termes : Détruisant les pensées et tout orgueil qui se dresse contre la connaissance du Christ. Que cela vienne aussi de Dieu, David l’atteste pareillement dans les Psaumes : Bienheureux l’homme que tu t’attaches, Seigneur, il a des élévations dans son coeur. Et l’Apôtre dit que Dieu a mis dans le coeur de Tite. Que certaines pensées peuvent être suggérées aux coeurs des hommes par des anges, bons ou mauvais, cela est indiqué par l’ange qui accompagne Tobie et par ces paroles du prophète : Et l’ange qui parlait en moi répondit. Le livre du Pasteur affirme de même que deux anges accompagnent chaque homme : lorsque de bonnes pensées montent dans notre coeur, elles sont suggérées selon lui par le bon ange, et si ce sont des pensées contraires, elles sont soulevées par l’ange mauvais. Barnabé enseigne la même doctrine dans son épître lorsqu’il parle de deux voies, celle de la lumière et celle des ténèbres, auxquelles certains anges sont préposés : à la voie de la lumière des anges de Dieu, à la voie des ténèbres des anges de Satan. Mais il ne faut pas penser que ce qu’ils suggèrent à nos coeurs, qu’il s’agisse des bonnes ou des mauvaises pensées, produise autre chose qu’un mouvement ou un stimulant qui nous pousse au bien ou au mal. Nous avons la possibilité, lorsqu’une puissance maligne s’est mise à nous provoquer au mal, de rejeter loin de nous ces suggestions mauvaises, de résister à leurs persuasions perverses et de ne faire absolument rien de coupable ; et en revanche aussi celle de ne pas suivre la puissance divine qui nous invite à agir mieux, car le pouvoir du libre arbitre reste sauf dans l’un et l’autre cas. Traité des Principes: Septième traité (III, 2-4)
Nous disions plus haut que soit la providence divine soit les puissances contraires peuvent aussi éveiller en nous des souvenirs concernant le bien ou le mal. Cela est montré par le Livre d’Esther : Artaxerxès ne se rappelait pas les bonnes actions du très juste Mardochée, mais alors qu’il était harcelé par des insomnies nocturnes, Dieu mit en sa mémoire l’inspiration de réclamer les livres contenant le récit de ses chroniques : mis alors au courant des services rendus par Mardochée il fît pendre son ennemi Aman, lui fit rendre des honneurs magnifiques et sauva toute la nation sainte menacée par un péril imminent. C’est au contraire la puissance du diable, il faut le penser, qui remit en mémoire aux pontifes et aux scribes ce qu’ils allèrent dire à Pilate : Seigneur, nous nous sommes souvenus de ce que ce séducteur a dit quand il était encore vivant: le troisième jour après je ressusciterai. Lorsque Judas eut l’idée de livrer le Sauveur, elle ne venait pas seulement de son intelligence mauvaise : l’Écriture atteste en effet que le diable avait mis dans son coeur le désir de le livrer. C’est pourquoi Salomon a donné un bon précepte lorsqu’il a dit : Garde ton coeur de toute manière. De même l’apôtre Paul en disant : Nous devons accorder une plus grande attention à ce que nous entendons pour ne pas nous égarer, et : Ne donnez pas de place au diable: il montre par là que certaines actions et une certaine négligence spirituelle donnent de la place au diable qui, une fois entré dans notre coeur, nous possède, ou du moins souille notre âme s’il ne peut la posséder complètement, en lançant en nous ses traits enflammés ; par là, tantôt il nous blesse, d’une blessure qui descend dans nos profondeurs, tantôt seulement il nous enflamme. Il arrive rarement que quelques-uns, peu nombreux, réussissent à éteindre ses traits enflammés, de sorte que l’on ne trouve plus trace de la blessure, et cela se produit lorsqu’on est protégé, comme par une fortification très solide, par le bouclier de la foi. Cela est dit réellement dans l’Épître aux Ephésiens: Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres, les esprits de malice qui sont dans les deux. Il faudra comprendre de la sorte le mot nous, c’est-à-dire moi, Paul, et vous, Ephésiens, et tous ceux qui n’ont pas à lutter contre la chair et le sang : ce sont eux en effet qui ont à lutter contre les principautés et puissances, les chefs de ce monde de ténèbres. Il n’en était pas de même à Corinthe où l’on avait à lutter contre la chair et le sang : les Corinthiens n’étaient pas sujets à la tentation, si ce n’est à une tentation humaine. Traité des Principes: Septième traité (III, 2-4)
Cependant il ne faut pas penser que chaque homme ait à lutter contre tout cela. Il est impossible, à mon avis, qu’un homme, aussi saint qu’il soit, puisse mener le combat contre tout cela à la fois. Si cela arrivait en quelque façon ? mais certainement cela ne peut arriver ?, il est impossible que la nature humaine puisse le supporter directement sans se détruire presque complètement elle-même. Prenons un exemple : si cinquante soldats disent qu’ils vont lutter contre cinquante autres soldats, il ne faut pas comprendre que chacun d’entre eux soit sur le point de combattre les cinquante autres, mais chacun s’exprimera justement en disant : nous avons cinquante soldats à combattre, tous cependant contre tous. Il faut comprendre dans le même sens l’affirmation de l’Apôtre : tous les athlètes et soldats du Christ ont à lutter et à combattre contre toutes les puissances énumérées plus haut ; le combat aura lieu pour tous, mais cependant un contre un, et certainement comme le décidera le juste arbitre de cette lutte, Dieu. Je pense en effet que la nature humaine a des limites certaines, même s’il s’agit de Paul dont il est dit : Celui-ci est pour moi un vase d’élection, de Pierre contre qui ne l’emportent pas les portes de l’Hadès, ou de Moïse, l’ami de Dieu, car aucun d’eux ne pourrait supporter à la fois tout le bataillon des puissances adverses sans se ruiner lui-même en quelque façon, à moins que n’opère en lui la puissance de celui-là seul qui a dit : Confiance ! c’est moi qui ai vaincu le monde. C’est à cause de lui que Paul disait en toute confiance : Je puis tout en celui qui me fortifie, le Christ; et de même : J’ai travaillé plus qu’eux tous, non moi, mais la grâce de Dieu avec moi. Traité des Principes: Septième traité (III, 2-4)
A cause de cette puissance, assurément non humaine, qui agissait et parlait en lui, Paul disait : Je suis certain que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les principautés ni les puissances, ni le présent ni le futur, ni la force ni la hauteur ni la profondeur, ni aucune créature, ne pourra nous séparer de la charité de Dieu, qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. Je ne pense pas que la nature humaine laissée à elle seule pourrait entrer en lutte contre les anges, contre les hauteurs et les profondeurs, contre les autres créatures, mais lorsqu’elle aura senti le Seigneur présent en elle et y habitant, dans sa confiance en l’aide divine elle dira : Le Seigneur est ma lumière et mon salut, que craindrai-je ? Le Seigneur est le protecteur de ma vie, de quoi aurai-je peur ? Pendant que s’approchent de moi ceux qui veulent me nuire pour manger mes chairs, mes ennemis qui me tourmentent ont été pris de faiblesse et sont tombés. S’ils établissent contre moi un camp, mon coeur ne craindra pas; si une bataille s’engage contre moi, en celui-ci (le Seigneur) j’espérerai. Traité des Principes: Septième traité (III, 2-4)
Ainsi, Paul ne nous dit pas que nous avons à lutter avec les princes et les puissances, mais contre les principautés et les puissances. En conséquence, si Jacob a lutté, c’est sans aucun doute contre l’une de ces puissances qui, d’après l’énumération de Paul, s’opposent au genre humain et principalement aux saints et mènent contre eux le combat. C’est pourquoi enfin l’Écriture dit de Jacob qu’il a lutté avec l’ange et qu’il a pris de la force en allant vers Dieu, afin de signifier que son combat et sa lutte furent menés avec l’aide de l’ange et que la palme de la perfection a conduit le vainqueur à Dieu. Traité des Principes: Septième traité (III, 2-4)
Certes, il ne faut pas penser que de tels combats sont menés par le moyen de la force corporelle et des exercices de la palestre, mais c’est un esprit qui se bat contre un esprit, puisque Paul nous indique qu’un combat nous attend contre les principautés et les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres. Le genre de lutte qu’il faut entendre par là, c’est que lorsqu’on nous cause toute sorte de dommages, de périls, d’opprobres, d’accusations, l’intention des puissances adverses qui les suscitent n’est pas seulement de nous faire souffrir, mais de nous exciter à de grandes colères, à des tristesses excessives, jusqu’aux limites du désespoir, et aussi, ce qui est plus grave, de nous pousser, accablés de fatigue et vaincus par le dégoût, à nous plaindre de Dieu, comme s’il ne gouvernait pas la vie des hommes d’une manière équitable et juste ; leur but est d’affaiblir notre foi, de nous faire déchoir de l’espérance, de nous forcer à abandonner la vérité de nos doctrines et de nous persuader à avoir de Dieu des pensées impies. L’Écriture rapporte de pareilles choses au sujet de Job, lorsque le diable eut demandé à Dieu de lui donner pouvoir sur ses biens. Elle nous enseigne que nous ne sommes pas l’objet d’attaques fortuites, lorsque nous sommes atteints dans nos biens par des dommages semblables, et que ce n’est pas par hasard que l’un des nôtres est emmené en captivité ou que des maisons s’écroulent, écrasant des personnes chères ; en tout cela chaque fidèle doit dire : Tu n’aurais pas de pouvoir contre moi, s’il ne t’avait pas été donné d’en haut. Tu peux constater que la maison de Job ne serait pas tombée sur ses fils, si auparavant le diable n’avait pas reçu pouvoir contre eux ; que les cavaliers n’auraient pas fait irruption en trois bandes pour enlever ses chameaux, ses b?ufs et le reste de son bétail, s’ils n’avaient pas été poussés par cet esprit dont ils s’étaient faits les serviteurs en lui obéissant par leur volonté. Même ce qui paraissait du feu ou que l’on prenait pour la foudre ne serait pas tombé sur les brebis de Job avant que le diable n’ait dit à Dieu : N’as-tu pas entouré de fortifications tout ce qu’il a au-dehors et tout ce qu’il a au-dedans, etc. ? Mais maintenant, étends la main et touche à tous ses biens, lu verras s’il te bénira en face. Traité des Principes: Septième traité (III, 2-4)
Puisque nous trouvons chez l’apôtre Paul une mention du corps spirituel, recherchons, comme nous le pouvons, ce qu’il faut penser à ce sujet. Autant que notre intelligence peut le comprendre, nous pensons que la qualité d’un corps spirituel doit permettre non seulement aux âmes saintes et parfaites de l’habiter, mais encore à toutes ces créatures qui seront libérées de la servitude de la corruption. De ce corps l’Apôtre dit aussi que nous avons une maison non faite de main d’homme, éternelle dans les deux, c’est-à-dire dans les demeures des bienheureux. De cela nous pouvons conjecturer la pureté, la subtilité et la gloire qui seront les qualités de ce corps, si nous le comparons à ceux qui maintenant, bien qu’ils soient des corps célestes et très resplendissants, sont cependant faits par la main et visibles. Au contraire il est dit de celui-là qu’il est une maison non faite de main d’homme, mais éternelle dans les deux. Puisque donc le visible est temporel, l’invisible éternel, tous ces corps que nous voyons soit sur terre soit dans les cieux, qui peuvent être vus, qui sont faits par la main et ne sont pas éternels, sont dépassés de très loin par celui-là qui n’est pas visible ni fait de main d’homme, mais est éternel. A partir de cette comparaison, on peut soupçonner la beauté, la splendeur et l’éclat du corps spirituel ; il est vrai, comme c’est écrit, que l’?il n’a pas vu ni l’oreille entendu, qu’il n’est pas encore monté jusqu’au coeur de l’homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Il n’est pas douteux que la nature de ce corps qui est nôtre, par la volonté de Dieu qui l’a créée ainsi, pourra parvenir par l’action du Créateur à cette qualité de corps très subtil, très pur et très resplendissant, selon que l’état des choses l’exigera et que les mérites de la nature raisonnable le demanderont. En fait, lorsque le monde a eu besoin de variété et de diversité, la matière s’est livrée en toute disponibilité dans les différents aspects et espèces des choses à celui qui l’a faite, puisqu’il est son seigneur et son créateur, pour qu’il puisse tirer d’elle les formes diverses des êtres célestes et terrestres. Mais lorsque tous les êtres commenceront à se hâter à devenir tous un comme le Père est un avec le Fils, il faut comprendre logiquement que là où tous seront un, il n’y aura plus de diversité. Traité des Principes: Huitième traité (III, 5-6)
Il faut penser que toute notre substance corporelle que voici sera menée à cet état, lorsque tout sera restauré pour être un et lorsque Dieu sera tout en tous. Il ne faut pas comprendre que tout cela s’accomplira d’un seul coup, mais peu à peu et par parties, à travers une succession de siècles sans fin et sans mesure, lorsque insensiblement et point par point l’amendement et la correction seront accomplis : les uns viendront en tête et tendront vers la perfection dans une course plus rapide, d’autres les suivront à une courte distance, d’autres enfin seront beaucoup plus loin ; ainsi à travers quantité de degrés innombrables constitués par ceux qui progressent et se réconcilient avec Dieu, d’ennemis qu’ils étaient auparavant, on parvient au dernier ennemi appelé mort et à sa destruction, pour qu’il ne soit plus ennemi. Lorsque toutes les âmes raisonnables auront été rétablies en cet état, alors la nature de notre corps que voici sera elle aussi menée à la gloire du corps spirituel. De même que, selon ce que nous voyons, parmi les natures raisonnables, celles qui ont vécu de façon indigne à cause de leurs péchés ne sont pas différentes de celles qui ont été invitées à la béatitude à cause de leurs mérites, mais nous voyons les âmes qui étaient auparavant pécheresses, à la suite de leur conversion et de leur réconciliation avec Dieu, appelées de nouveau à la béatitude, de même faut-il penser au sujet de la nature du corps : le corps dont nous nous servons maintenant avec sa grossièreté, sa corruption et son infirmité n’est pas autre que celui dont nous nous servirons alors dans l’incorruption, la force et la gloire, mais ce sera le même qui aura rejeté les infirmités dont il souffre maintenant et se sera changé en gloire, devenu spirituel, de sorte que ce qui avait été un vase d’indignité deviendra par sa purification un vase d’honneur et une demeure de béatitude. Il faut croire qu’il subsistera toujours et immuablement dans cet état par la volonté du créateur ; nous en voyons la garantie dans cette phrase de l’apôtre Paul : Nous avons une maison non faite de main d’homme, éternelle dans les deux. Traité des Principes: Huitième traité (III, 5-6)
Le grand nombre de ceux qui croient authentiquement et de la manière la plus simple témoigne qu’il est possible de tirer profit de cette première signification, qui pour cela est utile. Comme exemple d’une interprétation rapportée à l’âme, on peut citer le passage de Paul dans la Première aux Corinthiens : Il est écrit : Tu ne muselleras pas le b?uf qui bat le grain. Ensuite, pour expliquer cette loi, il ajoute : Dieu se préoccupe-t-il des b?ufs ? Ou dit-il cela entièrement pour nous ? Pour nous cela fut écrit, parce que celui qui laboure doit labourer avec l’espérance et celui qui bat le grain avec l’espérance d’en prendre sa part. Bien d’autres interprétations courantes, qui sont adaptées à la foule et qui édifient ceux qui ne peuvent pas comprendre des explications plus élevées, ont à peu près le même caractère. Traité des Principes: Neuvième traité (IV, 1-3)
L’interprétation spirituelle est pour celui qui peut montrer quelles sont les réalités célestes dont on trouve les symboles et les ombres dans le culte des Juifs selon la chair et quels sont les biens à venir dont la loi possède l’ombre. Bref, en toutes choses, selon le commandement apostolique, il faut chercher la sagesse cachée dans le mystère, celle que Dieu a prédestinée avant tous les siècles à la gloire des justes, celle qu’aucun des princes de ce monde n’a connue. L’Apôtre dit quelque part, en se servant de certains textes de l’Exode et des Nombres, que : Cela leur est arrivé comme des figures, mais fut écrit pour nous, pour qui survient la fin des siècles. Et il donne l’occasion de comprendre de quoi ces événements étaient des figures lorsqu’il dit : Ils buvaient du rocher spirituel qui les accompagnait, ce rocher était le Christ. Et pour esquisser ce qui concerne le tabernacle, dans une autre épître il a utilisé la phrase : Tu feras tout selon le modèle qui t’a été montré sur la montagne. Certes, dans l’Épître aux Galates, comme pour blâmer ceux qui pensent lire la loi et ne la comprennent pas, jugeant qu’ils ne la comprennent pas parce qu’ils croient qu’il n’y a pas des allégories dans ces écrits, il leur dit : Dites-moi, vous qui voulez être sous la loi, n’entendez-vous pas la loi ? Il est écrit qu’Abraham eut deux fils, l’un de la servante, l’autre de la femme libre. Mais celui de l’esclave est né selon la chair, celui de la femme libre selon la promesse: ce sont des allégories. Ce sont en effet les deux Testaments, etc. Il faut observer chacune de ses paroles ; il dit en effet : Vous qui voulez être sous la loi ? non : vous qui êtes sous la loi ? et : N’entendez-vous pas la loi ? Il pense en effet qu’entendre signifie comprendre et connaître. Dans l’Epître aux Colossiens, il résume en peu de mots la volonté de toute la législation : Que personne ne vous juge sur la nourriture ou la boisson, sur les fêtes, néoménies ou sabbats, avec leur caractère partiel, car ce sont l’ombre des réalités futures. Ecrivant aussi aux Hébreux et discutant de ceux de la circoncision, il écrit : Ceux qui adorent selon la figure et l’ombre des réalités célestes. Mais vraisemblablement, par là, ceux qui acceptent une bonne fois l’Apôtre comme un homme de Dieu ne pourraient douter des cinq livres attribués à Moïse ; mais en ce qui concerne le reste de l’histoire, ils veulent apprendre si celle-là aussi est arrivée comme des figures. Il faut remarquer ce passage de l’Épître aux Romains : Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal, qui se trouve dans le Troisième Livre des Rois : Paul l’a compris des Israélites selon l’élection, car il n’y a pas que les Gentils qui ont tiré profit de la venue du Christ, mais aussi quelques-uns de la race divine. Traité des Principes: Neuvième traité (IV, 1-3)
Tout cela a été dit pour montrer que le but fixé par la puissance divine qui nous a donné les Écritures saintes n’est pas de comprendre seulement ce que présente la lettre, car parfois cela pris littéralement n’est pas vrai et est même déraisonnable et impossible, mais que certaines choses ont été tissées dans la trame de l’histoire qui s’est produite et de la législation qui est utile au sens littéral. Mais que personne ne nous soupçonne de dire, en généralisant, que rien n’est historique parce que certains événements ne se sont pas produits ; qu’aucune législation n’est à observer selon la lettre, parce que certaines législations prises à la lettre sont déraisonnables et impossibles ; que ce qui est écrit du Sauveur n’est pas vrai dans sa signification sensible, ni qu’il ne faut pas garder sa législation et ses préceptes. Il faut dire au contraire que la vérité historique de certains faits est claire : ainsi qu’Abraham a été enseveli à Hébron dans une caverne à deux salles, et de même Isaac et Jacob et une des femmes de chacun d’eux ; que Sichem fut donnée en partage à Joseph ; que Jérusalem est la capitale de la Judée et qu’en elle Salomon construisit le temple de Dieu, et de nombreuses autres choses. Bien plus important en quantité est ce qui est historiquement vrai que ce qui y a été tissé de purement spirituel. De même, qui ne dirait que le précepte : Honore ton père et ta mère afin que cela te profite est utile en dehors de toute allégorisation et doit être observé, alors que l’apôtre Paul s’en sert en le répétant littéralement ? Que dire de : Tu ne tueras pas, lu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne feras pas de faux témoignage ? Pareillement dans l’Evangile des préceptes sont exprimés, sans qu’on se soit demandé s’il faut les observer selon la lettre ou non, ainsi : Moi, je vous dis : si quelqu’un s’irrite contre son frère, etc. ; Mol je vous dis de ne pas jurer du tout. Et il faut observer ce qui est dit chez l’Apôtre : Avertissez les indisciplinés, encouragez les pusillanimes, soutenez les faibles, soyez longanimes envers tous, même si, pour les plus zélés, à condition de ne pas mépriser le précepte selon la lettre, chacun d’entre eux peut en outre être interprété d’une manière conforme aux profondeurs de la sagesse de Dieu. Traité des Principes: Neuvième traité (IV, 1-3)
Pour ne pas nous attarder plus longtemps à parler du Juif dans le secret et de l’homme intérieur Israélite, tout cela suffisant pour ceux qui ne sont pas sans acuité, nous continuons selon notre propos et nous disons que Jacob fut le père des douze patriarches, ceux-ci des chefs de clans et ces derniers des Israélites qui leur ont succédé. Ainsi les Israélites corporels remontent aux chefs de clans, les chefs de clans aux patriarches, les patriarches à Jacob et à ses ancêtres ; mais les Israélites intelligibles, dont les corporels étaient des figures, ne viennent-ils pas des clans, les clans provenant de tribus et les tribus d’un seul homme qui n’a pas eu une naissance corporelle habituelle mais une meilleure, car il a été engendré par Isaac, qui descendait d’Abraham, tous remontant à Adam, que l’Apôtre dit être le Christ ? Le début de chacune des lignées de ceux qui sont les descendants du Dieu de l’univers, remonte au Christ qui, après le Dieu et Père de l’univers, est ainsi le père de tous les hommes, comme Adam est le père de tous les hommes. Si Eve a été prise par Paul comme une allégorie de l’Église, il n’y a rien d’étonnant, puisque Caïn est né d’Eve et que toute sa postérité remonte à Eve, à y voir des images de l’Église, car tous proviennent de l’Église en premier lieu. Traité des Principes: Neuvième traité (IV, 1-3)
S’il est frappant de constater ce qui est dit d’Israël, de ses tribus et de ses clans, lorsque le Sauveur dit : Je ne suis venu que pour les brebis perdues de la maison d’Israël, nous ne comprenons pas cela comme les Ebionites pauvres en intelligence, car ils tirent leur nom de leur intelligence pauvre ? Ebion veut dire pauvre en hébreu ?, de manière à concevoir que le Christ est venu principalement pour les Israélites charnels. Car : Ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu. L’Apôtre enseigne aussi de telles choses sur Jérusalem, car : La Jérusalem d’en-haut est libre, elle qui est notre mère. Et dans une autre épître : Mais vous êtes venus à la montagne de Sion et à la ville du Dieu vivant, à une Jérusalem céleste et à l’assemblée des anges par myriades, à l’Église des premiers-nés qui sont inscrits dans les deux. Si donc il y a dans les sortes d’âmes Israël et dans le ciel une ville de Jérusalem, il s’ensuit que les villes d’Israël ont pour métropole la Jérusalem qui est dans les cieux, et il en est de même en conséquence de toute la Judée. Tout ce qui a été prophétisé et dit de Jérusalem, si nous entendons Paul parlant de la part de Dieu et exprimant la sagesse, c’est de la ville céleste et de tout le pays qui contient les villes de la Terre sainte qu’il faut comprendre ce que les Écritures annoncent. Car peut-être le Sauveur désigne-t-il pour nous allégoriquement ces villes quand, à ceux qui ont été appréciés pour leur bonne gestion des mines, il donne le gouvernement des dix ou des cinq villes. Traité des Principes: Neuvième traité (IV, 1-3)
Mais, en tout cela, qu’il nous suffise de conformer notre intelligence à la règle de piété et de penser de l’Esprit Saint que sa parole n’est pas composée avec l’élégance des discours qui relèvent de la fragilité humaine, mais que, comme il est écrit : Toute la gloire du roi est à l’intérieur, le trésor des significations divines est contenu et enfermé dans le vase fragile de la lettre vile. Mais si quelqu’un est plus curieux et demande l’explication des détails, qu’il vienne entendre avec nous comment l’apôtre Paul, scrutant les profondeurs de la divine sagesse et de la divine connaissance, avec l’aide de l’Esprit Saint qui scrute même les profondeurs de Dieu, et n’ayant pas la force d’en venir à bout et de parvenir, pour ainsi dire, à une connaissance intime, désespère d’y arriver et s’exclame dans sa stupeur : Ô profondeur des richesses de la sagesse et de la connaissance de Dieu ! Et combien il désespère, dans cette exclamation, d’atteindre à la compréhension parfaite, on l’apprend de ces paroles : Combien les jugements de Dieu sont impossibles à scruter et ses voies à suivre à la trace ! Il ne dit pas en effet qu’il est difficile de pouvoir scruter les jugements de Dieu, mais qu’on ne le peut pas du tout ; il ne dit pas qu’il est difficile de suivre ses voies à la trace, mais qu’on ne peut pas le faire. On peut, certes, avancer dans cet examen, on peut y progresser en s’y appliquant de plus en plus intensément, par la grâce de Dieu qui illumine l’intelligence, mais on ne pourra atteindre parfaitement la fin de ce qu’on recherche. Aucune intelligence créée n’a la possibilité de parvenir à une connaissance absolue, mais, dès qu’elle trouve quelque chose de ce qu’elle cherche, elle en voit d’autres qui sont à chercher ; et si elle parvient à ces dernières, elle en verra de bien plus nombreuses qui seront encore à chercher. C’est pourquoi le très sage Salomon, contemplant dans sa sagesse la nature des choses, dit : J’ai dit : Je deviendrai sage. Et cette sagesse s’est éloignée de moi, plus qu’elle ne l’était avant. Qui trouvera l’immensité de sa profondeur ? Et Isaïe, sachant que les débuts des choses ne peuvent être trouvés par une nature mortelle, même pas par ces natures qui, bien plus divines que l’humaine, ont cependant elles-mêmes été faites et créées, sachant donc qu’aucune d’elle ne peut trouver ni le début ni la fin, dit : Dites ce qui fut avant et nous saurons que vous êtes des dieux ; annoncez ce qu’il y aura en dernier lieu et nous verrons que vous êtes des dieux. Car un docteur hébreu expliquait cela ainsi : le début et la fin de toutes choses ne peuvent être compris par personne, si ce n’est seulement par le Seigneur Jésus-Christ et par l’Esprit Saint, et c’est pourquoi Isaïe disait sous forme de vision que les deux Séraphins sont les seuls qui de deux ailes couvrent la face de Dieu, de deux autres les pieds et de deux ailes volent en se criant l’un à l’autre : Saint ! Saint ! Saint ! le Seigneur Sabaoth, toute la terre est pleine de ta gloire ! Puisque les deux Séraphins seuls ont leurs ailes sur la face de Dieu et sur ses pieds, il faut avoir l’audace d’affirmer que ni les armées des saints anges, ni les saints Trônes, Dominations, Principautés et Puissances ne peuvent connaître intégralement le début de tout et la fin de l’univers. Mais il faut comprendre que ces saints esprits et puissances ici mentionnés sont proches de ces débuts et en perçoivent plus que les autres ne peuvent le faire ; cependant quel que soit ce qu’ont appris ces puissances sur la révélation du Fils de Dieu ou de l’Esprit Saint, quelle que soit la quantité de connaissances qu’elles ont pu atteindre, certes beaucoup plus grande pour les puissances supérieures que pour les inférieures, il leur est cependant impossible de comprendre tout, puisqu’il est écrit : La plus grande partie des oeuvres de Dieu reste cachée. Traité des Principes: Neuvième traité (IV, 1-3)
Récapitulation sur le Père, le Fils l’Esprit Saint et les autres points qui ont été traités plus haut: Le moment est venu, après avoir parcouru selon nos forces tout ce qui a été dit plus haut, de récapituler en guise de rappel chacun des points que nous avons traités séparément et d’abord de revenir sur le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Puisque Dieu le Père est invisible et inséparable de son Fils, il n’a pas engendré le Fils par prolation comme certains le pensent. En effet si le Fils est une prolation du Père, comme ce mot de prolation exprime une génération semblable au mode ordinaire de reproduction des animaux ou des hommes, il faut nécessairement que celui qui a mis au jour et celui qui a été mis au jour soient corps. Nous ne disons donc pas, comme le pensent les hérétiques, qu’une partie de la substance de Dieu se soit changée en fils ou que le Fils a été procréé par le Père à partir de rien, c’est-à-dire en dehors de sa substance, de telle sorte qu’il fut un moment où il n’était pas, mais nous disons, en supprimant toute signification corporelle, que la Parole et Sagesse est née du Père invisible et incorporel, sans que rien ne se produise corporellement, comme la volonté procède de l’intelligence. Il ne paraîtra pas absurde, puisqu’il est appelé fils de la charité, de penser qu’il est pareillement fils de la volonté. Mais Jean indique aussi que Dieu est lumière, et Paul montre que le Fils est le rayonnement de la lumière éternelle. De même que jamais la lumière n’a pu exister sans son rayonnement, de même le Fils ne peut être compris sans le Père, lui qui est appelé l’empreinte et l’expression de sa substance, sa Parole et sa Sagesse. Comment peut-il être dit qu’il fut un moment où le Fils n’aurait pas été ? Cela revient à dire qu’il fut un moment où la Vérité n’aurait pas été, où la Sagesse n’aurait pas été, où la Vie n’aurait pas été, alors que dans tous ces aspects est dénombrée parfaitement la substance du Père. Ils ne peuvent pas être séparés de lui et ne peuvent jamais être séparés de sa substance. Bien qu’on dise qu’ils sont multiples sous le regard de l’intelligence, ils sont un par leur substance et en eux se trouve la plénitude de la divinité. Traité des Principes: Neuvième traité (IV, 1-3)
Si quelqu’un disait que, par l’intermédiaire de ceux qui participent à la Parole de Dieu, ou à sa Sagesse, sa Vérité et sa Vie, la Parole et la Sagesse mêmes paraissent être dans un lieu, il faut répondre que sans aucun doute le Christ, en tant que Parole, Sagesse et les autres dénominations, se trouvait dans Paul, et c’est pourquoi ce dernier disait : Ou bien cherchez-vous une preuve de celui qui parle en moi, le Christ ? et de même : Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. Mais alors, lorsqu’il était en Paul, peut-on douter qu’il se trouvait pareillement en Pierre, en Jean et dans chacun des saints, et pas seulement dans ceux qui sont sur terre, mais aussi dans ceux qui sont dans les cieux ? Il est absurde en effet de dire que le Christ était en Pierre et en Paul, mais non dans l’archange Michel ou dans Gabriel. On saisit là clairement que la divinité du Fils n’était pas enfermée dans un lieu, autrement il aurait été seulement en celui-ci et non en un autre ; mais, puisqu’il n’est pas enfermé dans un lieu selon la majesté de la nature incorporelle, il faut comprendre qu’il ne manque aussi à aucun. La seule différence qu’il faille remarquer est que, bien qu’il soit en des êtres divers, en Pierre ou Paul ou Michel ou Gabriel comme nous l’avons dit, il n’est pas de la même façon en tous. Il se trouve plus pleinement, plus glorieusement, et pour ainsi dire plus ouvertement dans les archanges que dans les autres hommes saints. Cela est clair, puisque, lorsque tous les saints seront arrivés au sommet de la perfection, on dit qu’ils seront faits semblables aux anges et égaux à eux, selon la parole évangélique. C’est pourquoi il est clair que le Christ est formé en chacun selon que le permet la mesure de ses mérites. Traité des Principes: Neuvième traité (IV, 1-3)
On ne doit pas penser que nous affirmons ainsi qu’il y avait dans le Christ une partie de la divinité du Fils de Dieu, le reste se trouvant ailleurs ou partout : ceux qui peuvent penser ainsi ignorent la nature de la substance incorporelle et invisible. Il est impossible de parler d’une partie de l’incorporel ou qu’il y ait en lui une division ; mais il est en tout et à travers tout et au-dessus de tout, de la manière indiquée plus haut, c’est-à-dire qu’il est compris comme Sagesse, Parole, Vie et Vérité, compréhension qui exclut sans aucun doute qu’il soit enfermé dans un lieu. Donc le Fils de Dieu, voulant se montrer aux hommes et vivre parmi eux pour le salut du genre humain, a reçu non seulement, comme certains le pensent, un corps humain, mais aussi une âme, semblable par sa nature aux nôtres, mais semblable à lui, le Fils, par son propos et sa vertu, de façon qu’elle puisse accomplir sans aucune défaillance toutes les volontés et tous les desseins de la Parole et de la Sagesse. Qu’il ait possédé une âme, le Sauveur lui-même l’affirme très clairement dans les Évangiles : Personne ne m’enlève mon âme, mais c’est moi qui la dépose de moi-même. J’ai le pouvoir de la déposer et j’ai le pouvoir de la reprendre. Et pareillement : Mon âme est triste jusqu’à la mort. Ou encore : Maintenant mon âme est troublée. Il ne faut pas entendre dans cette âme triste et troublée la Parole de Dieu, qui dit par contre avec l’autorité de la divinité : J’ai le pouvoir de déposer mon âme. Nous ne disons pas non plus que le Fils de Dieu se soit trouvé dans cette âme comme il fut dans les âmes de Paul, de Pierre ou des autres saints, dans lesquels on croit que le Christ a parlé comme en Paul. Mais de tous ceux-ci il faut penser ce que dit l’Écriture : Personne n’est pur de souillure, même si sa vie n’a duré qu’un jour. Mais au contraire l’âme qui fut en Jésus, avant de connaître le mal, a choisi le bien; et parce qu’elle a aimé la justice et haï l’iniquité, à cause de cela Dieu l’a ointe de l’huile d’allégresse plus que ses compagnes. Elle a été ointe de l’huile d’allégresse lorsqu’elle fut jointe à la Parole de Dieu par une union sans tache et, à cause de cela, seule de toutes les âmes, elle a été incapable de pécher, puisqu’elle a contenu le Fils de Dieu d’une manière bonne et pleine ; c’est pourquoi elle est un avec lui, on la nomme des mêmes vocables que lui et on l’appelle Jésus-Christ, par qui, dit l’Écriture, tout a été fait. Traité des Principes: Neuvième traité (IV, 1-3)
C’est de cette âme, parce qu’elle avait reçu en elle toute la Sagesse de Dieu, toute sa Vérité et sa Vie, que l’Apôtre, à mon avis, a dit : Votre vie est cachée avec le Christ en Dieu; lorsque le Christ, votre vie, sera apparu, alors vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire. Que faut-il entendre ici par le Christ qui est montré caché en Dieu et devant apparaître, sinon celui qui, comme on le rapporte, a été oint de l’huile d’allégresse, c’est-à-dire a été rempli, dans sa substance même, de Dieu, dans lequel on le dit maintenant caché ? C’est pourquoi le Christ est donné en exemple à tous les croyants, puisque toujours, et avant même de connaître, le moins que ce soit, le mal, il a choisi le bien, aimé la justice et haï l’iniquité et, pour cette raison, fut oint par Dieu de l’huile d’allégresse ; ainsi, que celui qui a péché ou erré se purifie de ses taches selon l’exemple proposé et que, l’ayant pour guide de sa route, il avance sur le dur chemin de la vertu, pour que par là, dans la mesure du possible, nous soyons faits en l’imitant participants de la nature divine, selon ce qui est écrit : Celui qui dit qu’il croit au Christ doit se conduire comme lui il s’est conduit. Donc cette Parole (Raison) et cette Sagesse, que nous imitons quand nous sommes dits sages ou raisonnables, se fait toutes choses à tous pour les gagner tous : il devient faible avec les faibles pour gagner les faibles. Et parce qu’il est devenu faible, il est dit de lui : Même s’il a été crucifié par faiblesse, il vit cependant de la force de Dieu. En fait, parmi les Corinthiens qui étaient faibles, Paul juge qu’il ne connaît rien quand il est avec eux, sinon Jésus-Christ et encore crucifié. Traité des Principes: Neuvième traité (IV, 1-3)
Cependant il faut savoir que jamais la substance ne subsiste sans qualité et que seule l’intelligence discerne que ce qui est le substrat des corps et est capable de recevoir une qualité est la matière. Certains, voulant se livrer à ce sujet à une recherche plus profonde, ont osé dire que la nature corporelle n’est pas autre chose que les qualités. En effet, si la dureté et la mollesse, le chaud et le froid, l’humide et le sec, sont des qualités, lorsqu’on les supprime, elles et les autres qualités de même nature, on s’aperçoit qu’il n’y a plus de substrat, alors les qualités paraîtront être tout. C’est pourquoi les partisans de cette thèse ont essayé de soutenir ceci : puisque tous ceux qui admettent une matière incréée reconnaissent que les qualités ont été faites par Dieu, on trouve alors que, même pour eux, la matière elle-même n’est pas incréée, puisque les qualités sont tout, et que tous, sans contradiction, affirment qu’elles ont été faites par Dieu. Mais ceux qui veulent montrer que les qualités sont ajoutées du dehors à une matière sous-jacente, se servent d’exemples du genre suivant : Paul, sans aucun doute, ou se tait ou parle, ou veille ou dort, ou bien il garde une attitude définie du corps, c’est-à-dire ou il est assis ou il se tient debout ou il est couché. Tout cela constitue pour les hommes des caractères accidentels, mais on ne peut presque jamais les trouver sans l’un d’eux. Cependant l’idée que nous avons de l’homme ne définit manifestement aucun de ces caractères, mais nous le comprenons et considérons sans tenir compte en aucune façon de son attitude, qu’il soit en état de veille ou de sommeil, en train de parler ou de se taire, ni des autres circonstances accidentelles auxquelles les hommes sont nécessairement soumis. De même qu’on considère Paul sans aucun de ces caractères accidentels, de même on pourra comprendre le substrat sans les qualités. Lorsque notre intelligence, ayant écarté toute qualité de sa compréhension, contemple le point, si on peut ainsi parler, de la seule substance sous-jacente et s’y attache, sans regarder à la dureté ou à la mollesse, au chaud ou au froid, à l’humide ou au sec qui affectent cette substance, alors, par une sorte de pensée artificielle, elle semblera contempler la matière dépouillée de toutes ces qualités. Mais on demandera peut-être s’il est possible de trouver dans les Écritures quelque chose qui permette de comprendre cela. Il me semble que c’est indiqué dans les Psaumes par cette parole du prophète : Mes yeux ont vu ton incomplétude. Il semble que l’intelligence du prophète, examinant les principes des choses avec un regard plus perspicace et distinguant avec l’intellect et la raison seuls la matière des qualités, ait senti en Dieu une incomplétude, qui se parfait, comme il faut le comprendre, par l’adjonction des qualités. Dans son livre, Enoch parle ainsi : J’ai cheminé jusqu’à ce qui est imparfait; on peut le comprendre de façon semblable : l’intelligence du prophète a cheminé, scrutant et discutant une à une toutes les choses visibles jusqu’à parvenir au principe où l’on voit la matière imparfaite sans ses qualités. Il est en effet écrit dans le même livre de la bouche d’Enoch : J’ai considéré toutes les matières. C’est à comprendre ainsi : j’ai examiné l’une après l’autre toutes les divisions de la matière, qui, à partir de l’unité de la matière, se sont séparées en chaque espèce, celles des hommes, des animaux, du ciel, du soleil et de tout ce qui est dans ce monde. Traité des Principes: Neuvième traité (IV, 1-3)