J’ose même dire que la défense que tu me demandes de composer peut affaiblir celle qui est dans les faits et la puissance de Jésus, manifeste à quiconque n’est pas stupide. Cependant, pour ne point paraître hésiter devant la tâche que tu m’as prescrite, j’ai fait de mon mieux pour répliquer à chacun des griefs écrits par Celse ce qui m’a paru propre à retourner ses discours, bien qu’ils soient incapables d’ébranler aucun fidèle. Puisse-t-il, du moins, ne se trouver personne qui, après avoir reçu cet amour infini de Dieu « dans le Christ Jésus », soit ébranlé dans sa détermination par les dires de Celse ou d’un de ses pareils ! Paul, dressant une liste des épreuves sans nombre qui d’ordinaire séparent l’homme de « l’amour du Christ » et de « l’amour de Dieu dans le Christ Jésus », toutes surmontées par l’amour de Dieu qui était en lui, n’a point rangé le discours parmi les causes de séparation. Note en effet qu’il commence par dire : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, la détresse, la persécution, la faim, la nudité, le péril, le glaive ? — selon le mot de l’Ecriture. A cause de toi l’on nous met à mort tout le long du jour nous avons passe pour des brebis d’abattoir — Mais en tout cela nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimes » Ensuite, donnant une autre série de causes qui sont de nature à séparer (de cet amour) les gens d’une piété instable, il dit « Oui, j’en ai l’assurance, ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur » PRÉFACE
Pour nous, c’est un juste titre de gloire que «la tribulation » et ce qu’énumère la suite ne nous séparent point , mais non pour Paul, ou les apôtres et quiconque leur ressemble il est si au-dessus de tels obstacles qu’il dit « En tout cela nous sommes plus que vainqueurs par Celui qui nous a aimes », indiquant plus qu’une simple victoire. Et si même les apôtres doivent se glorifier de n’être point sépares « de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus notre Seigneur », ils peuvent se glorifier de ce que « ni mort ni vie, ni anges ni principautés », ni quoi que ce soit du reste ne peut « les séparer de l’amour de Dieu dans le Christ-Jésus notre Seigneur ». Aussi je déplore qu’on puisse croire au Christ d’une foi susceptible d’être ébranlée par Celse, qui ne vit même plus la vie commune parmi les hommes, mais qui est mort depuis longtemps, ou par quelque force persuasive du discours. Et je ne sais dans quelle catégorie il faut ranger celui qui a besoin de discours écrits dans des livres en réponse aux charges de Celse contre les chrétiens, pour ressaisir et remettre debout une foi qui chancelle. Néanmoins, comme il se trouve peut-être, dans la foule de ceux qui passent pour fidèles, des gens que pourrait ébranler et retourner l’ouvrage de Celse, mais que la réponse par des raisons capables de ruiner les propos de Celse et d’établir la vérité pourrait guérir, j’ai décidé d’obéir à ton ordre et de répondre au traité que tu m’as envoyé : bien que, à mon avis, nul de ceux qui ont fait le moindre progrès en philosophie n’y reconnaisse un véritable discours, comme l’a intitulé Celse. PRÉFACE
Paul a bien vu que la philosophie grecque contient des raisons non négligeables, plausibles aux yeux du grand public, qui présentent le mensonge comme vérité. Il dit à leur sujet : « Prenez garde que personne ne vous réduise en esclavage par la philosophie et une vaine séduction, selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde, et non selon le Christ. » Et parce qu’il voyait dans les discours de la sagesse du monde se manifester une certaine grandeur, il a dit que les discours des philosophes étaient « selon les éléments du monde ». Mais tout homme sensé nierait que les écrits de Celse soient de même « selon les éléments du monde ». Ceux-là ont quelque chose de séduisant, et Paul a parlé d’une vaine séduction peut-être pour la distinguer d’une séduction qui n’est pas vaine, celle qu’avait en vue Jérémie quand il eut l’audace de dire à Dieu : « Tu m’as séduit, Seigneur, et j’ai été séduit, tu as été plus fort que moi et plus puissant. » Mais ceux de Celse me paraissent n’avoir aucune séduction du tout, donc même pas la vaine séduction qu’offrent ceux des fondateurs d’écoles philosophiques, doués en ces matières d’une intelligence peu commune. Et de même que dans les spéculations géométriques, une faute banale ne peut être appelée « une donnée faussée », ou encore être proposée pour un exercice à partir de telles données, ainsi faut-il que ressemblent aux pensées des fondateurs d’écoles philosophiques celles qu’on pourrait qualifier comme les leurs de vaine séduction « selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde ». PRÉFACE
Celse a cité comme une expression courante chez les chrétiens : La sagesse dans le cours de cette vie est un mal, et la folie un bien. Il faut répondre qu’il calomnie la doctrine, puisqu’il n’a pas cité le texte même qui se trouve chez Paul et que voici : « Si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage, car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » L’Apôtre n’affirme donc pas simplement : « la sagesse est folie devant Dieu », mais : « la sagesse de ce monde… » ; ni non plus : « si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou » en général, mais : « qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage ». Donc, nous appelons « sagesse de ce siècle » toute philosophie remplie d’opinions fausses, qui est périmée d’après les Ecritures ; et nous disons : « la folie est un bien », non point absolument, mais quand on devient fou pour ce siècle. Autant dire du Platonicien, parce qu’il croit à l’immortalité de l’âme et à ce qu’on dit de sa métensomatose, qu’il se couvre de folie aux yeux des Stoïciens qui tournent en ridicule l’adhésion à ces doctrines, des Péripatéticiens qui jasent des « fredonnements » de Platon, des Epicuriens qui crient à la superstition de ceux qui admettent une providence et posent un dieu au-dessus de l’univers ! Ajoutons qu’au sentiment de l’Ecriture, il vaut bien mieux donner son adhésion aux doctrines avec réflexion et sagesse qu’avec la foi simple ; et qu’en certaines circonstances, le Logos veut aussi cette dernière pour ne pas laisser les hommes entièrement désemparés. C’est ce que montre Paul, le véritable disciple de Jésus, quand il dit : « Car, puisque dans la sagesse de Dieu le monde n’a pas connu Dieu avec la sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication » D’où il ressort donc clairement que c’est dans la sagesse de Dieu que Dieu devait être connu. Et puisqu’il n’en fut rien, Dieu a jugé bon ensuite de sauver les croyants, non pas simplement par la folie, mais par la folie relative à la prédication. De là vient que la proclamation de Jésus-Christ crucifié est la folie de la prédication, comme le dit encore Paul qui en avait pris conscience et déclare « Mais nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » LIVRE I
Je voudrais dire à Celse quand il met en scène un Juif admettant d’une certaine manière Jean comme un baptiste baptisant Jésus l’existence de Jean-Baptiste qui baptisait pour la rémission des pèches est relatée par un de ceux qui ont vécu peu après Jean et Jésus. Dans le dix-huitième livre de “l’Antiquité des Juifs”, en effet, Josèphe a témoigne que Jean baptisait en promettant la purification aux baptisés. Et le même auteur, bien que ne croyant pas que Jésus fût le Christ, cherche la cause de la chute de Jérusalem et de la ruine du temple. Il aurait dû dire que l’attentat contre Jésus avait été la cause de ces malheurs pour le peuple, parce qu’on avait mis à mort le Christ annoncé par les prophètes. Mais, comme malgré lui, il n’est pas loin de la vérité quand il affirme que ces catastrophes arrivèrent aux Juifs pour venger Jacques le Juste, frère de Jésus appelé le Christ, parce qu’ils l’avaient tué en dépit de son éclatante justice. Ce Jacques, Paul le véritable disciple de Jésus dit l’avoir vu, et il l’appelle « frère du Seigneur », moins pour leur parente de sang ou leur éducation commune que pour ses moeurs et sa doctrine. Si donc Josèphe dit que les malheurs de la dévastation de Jérusalem sont arrivés aux Juifs à cause de Jacques, combien n’eut-il pas été plus raisonnable d’affirmer qu’ils survinrent à cause de Jésus-Christ , lui dont la divinité est attestée par tant d’églises, composées d’hommes qui se sont détournes du débordement des vices, attachés au Créateur et qui rapportent tout a son bon plaisir LIVRE I
Un examen approfondi de la question fera dire : suivant le terme de l’Écriture, il existe une sorte de genre, un sens divin, que le bienheureux seul trouve à présent, au dire de Salomon « Tu trouveras un sens divin » Et ce sens comporte des espèces, la vue, qui peut fixer les réalités supérieures aux corps, dont font partie les Chérubins et les Séraphins , l’ouïe, percevant des sons dont la réalité n’est pas dans l’air , le goût, pour savourer le pain vivant descendu du ciel et donnant la vie au monde ; de même encore l’odorat, qui sent ces parfums dont parle Paul qui se dit être « pour Dieu la bonne odeur du Christ » , le toucher, grâce auquel Jean affirme avoir touche de ses mains « le Logos de vie ». Ayant trouvé le sens divin, les bienheureux prophètes regardaient divinement, écoutaient divinement, goûtaient et sentaient de même façon, pour ainsi dire d’un sens qui n’est pas sensible , et ils touchaient le Logos par la foi, si bien qu’une émanation leur arrivait de lui pour les guérir. Ainsi voyaient-ils ce qu’ils écrivent avoir vu, entendaient-ils ce qu’ils disent avoir entendu, éprouvaient-ils des sensations de même ordre lorsqu’ils mangeaient, comme ils le notèrent, « le rouleau » d’un livre qui leur était donné. Ainsi encore Isaac « sentit l’odeur des vêtements » divins de son fils et put ajouter à sa bénédiction spirituelle : « Voici l’odeur de mon fils, pareille à l’odeur d’un champ fertile béni par le Seigneur. » De la même manière que dans ces exemples et de façon plus intelligible que sensible, Jésus « toucha » le lépreux pour le guérir doublement, à mon avis, en le délivrant non seulement, comme l’entend la foule, de la lèpre sensible par son toucher sensible, mais encore de l’autre lèpre par son toucher véritablement divin. C’est donc ainsi que « Jean rendit témoignage en disant : J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’avait dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Oui, j’ai vu et j’atteste que c’est Lui le Fils de Dieu. » De plus, c’est bien pour Jésus que le ciel s’est ouvert ; et à ce moment là, de nul autre que Jean il n’est écrit qu’il vit le ciel ouvert. Mais le Sauveur prédit à ses disciples que de cette ouverture du ciel ils seront plus tard les témoins, et dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l’homme. » Ainsi encore Paul fut ravi au troisième ciel, après l’avoir vu d’abord ouvert, puisqu’il était disciple de Jésus. Mais expliquer maintenant pourquoi Paul dit : ” Etait-ce en son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais. Dieu le sait “, est hors de propos. LIVRE I
Son Juif déclare encore au Sauveur : ” Si tu dis que tout homme né conformément à la divine Providence est fils de Dieu, en quoi l’emporterais-tu sur un autre ?” A quoi je répondrai : tout homme qui, selon le mot de Paul, n’est plus mené par la crainte, mais embrasse la vertu pour elle-même, est fils de Dieu. Mais le Christ l’emporte du tout au tout sur quiconque reçoit pour sa vertu le titre de fils de Dieu, puisqu’il en est comme la source et le principe. Voici le passage de Paul : « Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; mais vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba, Père ! » Mais, dit le Juif de Celse, ” d’autres par milliers réfuteront Jésus en affirmant qu’à eux-mêmes s’applique ce qui est prophétisé de lui.” En vérité, je ne sais pas si Celse a connu des gens qui, après leur venue en cette vie, ont voulu rivaliser avec Jésus, et se proclamer eux-mêmes fils de Dieu ou puissance de Dieu. Mais puisque j’examine loyalement les objections comme elles se présentent, je dirai : un certain Theudas naquit en Judée avant la naissance de Jésus, qui se déclara « un grand personnage » ; à sa mort, ceux qu’il avait abusés se dispersèrent. Après lui, « aux jours du recensement », vers le temps, semble-t-il, où Jésus est né, un certain Judas Galiléen s’attira de nombreux partisans dans le peuple juif, se présentant comme sage et novateur. Après qu’il fut châtié lui aussi, son enseignement s’éteignit, n’ayant quelque survivance que chez un tout petit nombre de personnes insignifiantes. Et après le temps de Jésus, Dosithée de Samarie voulut persuader les Samaritains qu’il était le Christ en personne prédit par Moïse, et parut, par son enseignement, avoir conquis quelques adhérents. Mais la remarque pleine de sagesse de Gamaliel, rapportée dans les Actes des Apôtres, peut être raisonnablement citée pour montrer que ces hommes n’avaient rien à voir avec la promesse, n’étant ni fils ni puissances de Dieu, tandis que le Christ Jésus était véritablement Fils de Dieu. Or Gamaliel y dit : « Si c’est là une entreprise et une doctrine qui vient des hommes, elle se détruira d’elle-même », comme s’est évanouie celle de ces gens-là quand ils moururent, « mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez faire disparaître l’enseignement de cet homme : ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » De plus, Simon le magicien de Samarie voulut par la magie s’attacher certains hommes, et il parvint à en séduire, mais aujourd’hui de tous les Simoniens du monde on n’en trouverait pas trente, je crois, et peut-être que j’en exagère le nombre. Ils sont fort peu nombreux en Palestine, et en aucun point du reste de la terre son nom n’a cette gloire qu’il voulut répandre autour de sa personne. Car là où il est cité, il l’est d’après les Actes des Apôtres ; ce sont des chrétiens qui font mention de lui, et l’évidence a prouvé que Simon n’était nullement divin. LIVRE I
Je rétorque : un examen sensé et judicieux de la conduite des apôtres de Jésus montre que par la puissance divine ils enseignaient le christianisme et réussissaient à soumettre les hommes à la parole de Dieu. Ils ne possédaient ni éloquence naturelle ni ordonnance de leur message selon les procèdes dialectiques et rhétoriques des Grecs, qui entraînent les auditeurs. Mais il me semble que si Jésus avait choisi des hommes savants au regard de l’opinion publique, capables de saisir et d’exprimer des idées chères aux foules, pour en faire les ministres de son enseignement, il eût très justement prête au soupçon d’avoir prêche suivant une méthode semblable à celle des philosophes chefs d’école, et le caractère divin de sa doctrine n’aurait plus paru dans toute son évidence. Sa doctrine et sa prédication auraient consisté en discours persuasifs de la sagesse avec le style et la composition littéraire. Notre foi, pareille à celle qu’on accorde aux doctrines des philosophes de ce monde, reposerait sur « la sagesse des hommes » et non sur « la puissance de Dieu ». Mais à voir des pêcheurs et des publicains sans même les premiers rudiments des lettres — selon la présentation qu’en donne l’Évangile, et Celse les croit véridiques sur leur manque de culture —, assez enhardis non seulement pour traiter avec les Juifs de la foi en Jésus-Christ, mais encore pour le prêcher au reste du monde et y réussir, comment ne pas chercher l’origine de leur puissance de persuasion ? Car ce n’était pas celle qu’attendent les foules. Et qui n’avouerait que sa parole : « Venez à ma suite, je vous ferai pêcheurs d’hommes », Jésus l’ait réalisée par une puissance divine dans ses apôtres. Paul aussi, je l’ai dit plus haut, la propose en ces termes : « Ma doctrine et ma prédication ne consistaient pas en des discours persuasifs de la sagesse, mais dans une démonstration de l’Esprit et de la puissance, pour que notre foi reposât, non point sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » Car, selon ce qui est dit dans les prophètes quand ils annoncent avec leur connaissance anticipée la prédication de l’Évangile, « le Seigneur donnera sa parole aux messagers avec une grande puissance, le roi des armées du bien-aimé », pour que soit accomplie cette prophétie : « afin que sa parole courre avec rapidité ». Et nous voyons, de fait, que « la voix » des apôtres de Jésus « est parvenue à toute la terre, et leurs paroles, aux limites du monde ». Voilà pourquoi sont remplis de puissance ceux qui écoutent la parole de Dieu annoncée avec puissance, et ils la manifestent par leur disposition d’âme, leur conduite et leur lutte jusqu’à la mort pour la vérité. Mais il y a des gens à l’âme vide, même s’ils font profession de croire en Dieu par Jésus-Christ ; n’étant pas sous l’influence de la puissance divine, ils n’adhèrent qu’en apparence à la parole de Dieu. LIVRE I
Celse a traité les apôtres de Jésus d’hommes décriés, en les disant « publicains et mariniers fort misérables ». Là encore je dirai : il semble tantôt croire à son gré aux Écritures, pour critiquer le christianisme, et tantôt, pour ne pas admettre la divinité manifestement annoncée dans les mêmes livres, ne plus croire aux Evangiles. Il aurait fallu, en voyant la sincérité des écrivains à leur manière de raconter ce qui est désavantageux, les croire aussi en ce qui est divin. Il est bien écrit, dans l’épître catholique de Barnabé, dont Celse s’est peut-être inspiré pour dire que les apôtres de Jésus étaient des hommes décriés et fort misérables, que « Jésus s’est choisi ses propres apôtres, des hommes qui étaient coupables des pires péchés ». Et, dans l’Évangile selon Luc, Pierre dit à Jésus : « Seigneur, éloigne-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur. » De plus, Paul déclare dans l’épître à Timothée, lui qui était devenu sur le tard apôtre de Jésus : « Elle est digne de foi la parole : Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je tiens moi, le premier rang. » Mais je ne sais comment Celse a oublié ou négligé de mentionner Paul fondateur, après Jésus, des églises chrétiennes. Sans doute voyait-il qu’il lui faudrait, en parlant de Paul, rendre compte du fait que, après avoir persécuté l’Église de Dieu et cruellement combattu les croyants jusqu’à vouloir livrer à la mort les disciples de Jésus, il avait été ensuite assez profondément converti pour « achever la prédication de l’Évangile du Christ, depuis Jérusalem jusqu’en Illyrie », tout en « mettant son point d’honneur de prédicateur de l’Évangile », pour éviter de « bâtir sur les fondations posées par autrui », à ne prêcher que là où n’avait pas du tout été annoncée la bonne nouvelle de Dieu réalisée dans le Christ. Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que Jésus, dans le dessein de montrer au genre humain quelle puissance il possède de guérir les âmes, ait choisi des hommes décriés et fort misérables, et les ait fait progresser jusqu’à devenir l’exemple de la vertu la plus pure pour ceux qu’ils amènent à l’évangile du Christ ? LIVRE I
Il faut donc examiner ce qu’il dit contre les croyants venus du judaïsme. Il affirme qu’« abandonnant la loi de leurs pères, à cause de la séduction exercée par Jésus, ils ont été bernés de la plus ridicule façon et ont déserté, changeant de nom et de genre de vie ». Il n’a pas remarqué que ceux des Juifs qui croient en Jésus n’ont pas abandonné la loi de leurs pères. Car ils vivent en conformité avec elle, et doivent leur appellation à la pauvreté d’interprétation de la loi. « Ebion » est en effet le nom du pauvre chez les Juifs et « Ebionites », l’appellation que se donnent ceux des Juifs qui ont reçu Jésus comme Christ. De plus, Pierre paraît avoir gardé longtemps les coutumes juives prescrites par la loi de Moïse, comme s’il n’avait pas encore appris de Jésus à s’élever du sens littéral de la loi à son sens spirituel. Nous l’apprenons des Actes des Apôtres. Car, « le lendemain » de l’apparition à Corneille de l’ange de Dieu lui enjoignant d’envoyer « à Joppé » vers Simon surnommé Pierre, « Pierre monta sur la terrasse vers la sixième heure pour prier. Il sentit la faim et voulut manger. Or, pendant qu’on préparait un repas, il lui survint une extase : il voit le ciel ouvert, et un objet, semblable à une grande nappe nouée aux quatre coins, en descendre vers la terre. Et dedans, il y avait tous les quadrupèdes et les reptiles de la terre, et tous les oiseaux du ciel. Une voix lui dit alors : Debout, Pierre, immole et mange ! Mais Pierre répondit : Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. Et de nouveau la voix lui dit : Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé ». Vois donc ici comment on représente que Pierre garde encore les coutumes juives sur la pureté et l’impureté. Et la suite montre qu’il lui fallut une vision pour communiquer les doctrines de la foi à Corneille qui n’était pas israélite selon la chair, et à ses compagnons : car, resté juif, il vivait selon les traditions ancestrales et méprisait ceux qui étaient hors du judaïsme. Et dans l’épître aux Galates, Paul montre que Pierre, toujours par crainte des Juifs, cessa de manger avec les Gentils, et, à la venue de Jacques vers lui, « se tint à l’écart » des Gentils « par peur des circoncis » ; et le reste des Juifs ainsi que Barnabé firent de même. LIVRE II
Il était bien logique que ceux qui étaient envoyés aux circoncis ne s’écartent pas des coutumes juives, quand « ceux que l’on considérait comme des colonnes donnèrent en signe de communion la main » à Paul et à Barnabé, et partirent « eux vers les circoncis », afin que les autres aillent prêcher aux Gentils. Mais, que dis-je, ceux qui prêchent aux circoncis se retiraient des Gentils et se tenaient à l’écart ? Paul lui-même se fit « Juif pour gagner les Juifs ». C’est la raison pour laquelle, comme il est encore écrit dans les Actes des Apôtres, il présenta même une oblation à l’autel, afin de persuader les Juifs qu’il n’était point un apostat de la loi. Si Celse avait su tout cela, il n’aurait pas mis en scène un Juif qui dit aux croyants issus du judaïsme : “Quel malheur vous est donc survenu, mes compatriotes, que vous ayez abandonné la loi de nos pères, et que, séduits par celui avec qui je discutais tout à l’heure, vous ayez été bernés de la plus ridicule façon, et nous ayez désertés pour changer de nom et de genre de vie ?” Puisque j’en suis à parler de Pierre et de ceux qui ont enseigné le christianisme aux circoncis, je ne crois pas hors de propos de citer une déclaration de Jésus, tirée de l’Évangile selon Jean, et de l’expliquer. Voici donc ce qu’il dit d’après l’Écriture : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entendra, il le dira. » La question est de savoir quel était ce « grand nombre de choses » que Jésus avait à dire à ses disciples, mais qu’ils n’étaient pas encore en état de porter. Je réponds : parce que les apôtres étaient des Juifs, instruits de la loi de Moïse prise à la lettre, il avait peut-être à dire quelle était la loi véritable, de quelles « réalités célestes » le culte des Juifs était l’accomplissement « en figure et en image », quels étaient les « biens à venir » dont l’ombre était contenue dans la loi sur les aliments, les boissons, les fêtes, les nouvelles lunes et les sabbats. Voilà « le grand nombre de choses » qu’il avait à leur dire. Mais il voyait l’extrême difficulté d’arracher de l’âme des opinions pour ainsi dire congénitales et développées jusqu’à l’âge mûr, ayant laissé ceux qui les avaient reçues persuadés qu’elles étaient divines et qu’il était impie de les en dépouiller. Il voyait la difficulté de prouver, jusqu’à en persuader les auditeurs, qu’en comparaison de la suréminence de la « connaissance » selon le Christ, c’est-à-dire selon la vérité, elle n’étaient que « déchets » et « dommages ». Il remit donc cette tâche à une occasion plus favorable, après sa passion et sa résurrection. Et en effet, il était vraiment hors de propos d’apporter du secours à ceux qui n’étaient pas encore capables de le recevoir ; cela pouvait détruire l’impression, qu’ils avaient déjà reçue, que Jésus était le Christ, le Fils du Dieu vivant. Considère s’il n’y a pas un sens respectable à entendre ainsi le passage : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant » : par un grand nombre de choses, il entendait la méthode d’explication et d’éclaircissement de la loi dans un sens spirituel ; et les disciples ne pouvaient en quelque sorte les porter, parce qu’ils étaient nés et avaient été jusqu’alors élevés parmi les Juifs. Et, je pense, c’est parce que les pratiques légales étaient une figure, et que la vérité était ce que le Saint-Esprit allait leur enseigner, qu’il a été dit : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière » ; comme s’il disait : vers la vérité intégrale des réalités dont, ne possédant que les figures, vous croyiez adorer Dieu de l’adoration véritable. Conformément à la promesse de Jésus, l’Esprit de vérité vint sur Pierre et lui dit, à propos des quadrupèdes et des reptiles de la terre et des oiseaux du ciel : « Debout, Pierre, immole et mange ! » Il vint à lui, bien qu’il fût encore imbu de superstition, car même à la voix divine il répond : « Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. » Et il lui enseigna la doctrine sur les aliments véritables et spirituels par ces mots : « Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé. » Et après cette vision, l’Esprit de vérité, conduisant Pierre « vers la vérité tout entière », lui dit « le grand nombre de choses » qu’il ne pouvait pas « porter » alors que Jésus lui était encore présent selon la chair. LIVRE II
Nous reprochons donc aux Juifs de ne l’avoir pas tenu pour Dieu, alors que les prophètes ont souvent attesté qu’il est une grande puissance et un dieu au-dessous du Dieu et Père de l’univers. A lui, disons-nous, dans l’histoire de la création racontée par Moïse, le Père a donné l’ordre : « Que la lumière soit », « Que le firmament soit » et tout le reste dont Dieu a ordonné la venue à l’existence. A lui, il a été dit : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » Et le Logos, l’ordre reçu, a fait tout ce que le Père lui avait commande. Nous le disons en nous fondant non sur des conjectures, mais sur la foi aux prophéties reçues chez les Juifs, ou il est dit en propres termes de Dieu et des choses créées : « Il a dit et les choses furent, il a ordonné et elles furent créées. » Si donc Dieu donna l’ordre et les créatures furent faites, quel pourrait être, dans la perspective de l’esprit prophétique, celui qui fut capable d’accomplir le sublime commandement du Père, sinon Celui qui est, pour ainsi dire, Logos vivant et Vérité ? D’autre part, les Evangiles savent que celui qui dit en Jésus « Je suis la voie, la vérité, la vie » n’est pas circonscrit au point de n’exister en aucune manière hors de l’âme et du corps de Jésus. Cela ressort de nombreux passages dont nous citerons le peu que voici Jean-Baptiste, prophétisant que le Fils de Dieu allait bientôt paraître, sans se trouver seulement dans ce corps et cette âme mais présent partout, dit de lui « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Or s’il avait pensé que le Fils de Dieu est là seulement ou se trouvait le corps visible de Jésus, comment eut-il affirme : « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas » ? De plus, Jésus lui-même élevé l’intelligence de ses disciples à de plus hautes conceptions du Fils de Dieu, quand il dit : « Là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis présent au milieu d’eux. » Et telle est la signification de sa promesse à ses disciples : « Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Lorsque nous disons cela, nous ne séparons point le Fils de Dieu de Jésus, car c’est un seul être, après l’incarnation, qu’ont formé avec le Logos de Dieu l’âme et le corps de Jésus. Si en effet, selon l’enseignement de Paul qui dit : « Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui », quiconque a compris ce que c’est qu’être uni au Seigneur et s’est uni à lui est un seul esprit avec le Seigneur, de quelle manière bien plus divine et plus sublime le composé dont nous parlions est-il un seul être avec le Logos de Dieu ! Il s’est, de fait, manifesté parmi les Juifs comme « la Puissance de Dieu », et cela par les miracles qu’il accomplit, n’en déplaise à ceux qui le soupçonnent comme Celse de mettre en oevre la sorcellerie, et comme les Juifs d’alors, instruits à je ne sais quelle source sur Béelzébul, de chasser les démons « par Béelzébul prince des démons ». Notre Sauveur les convainquit alors de l’extrême absurdité de leurs dires par le fait que le règne du mal n’avait pas encore pris fin. Ce sera évident à tous les lecteurs sensés du texte évangélique ; il est hors de propos de l’expliquer maintenant. LIVRE II
Il ajoute cette remarque tout à fait sotte : “Les disciples ont écrit cela de Jésus pour affaiblir les charges qui pesaient sur lui. C’est comme si, pour dire qu’un homme est juste, on montrait qu’il a commis des injustices; pour dire qu’il est saint, on montrait qu’il tue; pour dire qu’il est immortel, on montrait qu’il est mort, ajoutant à tout cela qu’il l’avait prédit”. Son exemple est évidemment hors de propos : il n’y a rien d’absurde à ce que Celui qui allait être parmi les hommes l’idéal de la manière dont on doit vivre, ait entrepris de donner l’exemple de la manière dont on doit mourir pour la religion ; sans compter le bien qu’a tiré l’univers de sa mort pour les hommes, comme je l’ai montré dans le livre précédent. Il croit ensuite que l’aveu sans ambages de la passion, loin de la détruire, renforce l’accusation : il ignorait à son sujet toutes les réflexions philosophiques de Paul, et les prédictions des prophètes Et il lui a échappé qu’un des hérétiques a dit que Jésus a enduré ces souffrances en apparence, non en réalité. S’il l’avait connu, il n’aurait pas dit ” Car vous n’alléguez même pas qu’il semblait bien, aux yeux de ces impies, endurer ces souffrances, mais qu’il ne les endurait pas vraiment vous avouez bonnement qu’il souffrait “. Mais nous, nous ne substituons pas l’apparence a la réalité de sa souffrance, pour que sa résurrection non plus ne soit pas un mensonge, mais une réalité. Car celui qui est réellement mort, s’il ressuscite, ressuscite réellement, mais celui qui ne meurt qu’en apparence ne ressuscite pas réellement. LIVRE II
J’ai ainsi répondu à l’objection : ” Comment donc est-il croyable qu’il l’ait prédit ? ” Quant à cette autre : “Comment un mort est-il immortel ? ” apprenne qui voudra que ce n’est pas le mort qui est immortel, mais le ressuscité des morts. Non seulement donc le mort n’était pas immortel, mais Jésus lui-même, qui était un être composé, avant sa mort n’était pas immortel. Nul homme destiné à mourir n’est immortel ; il est immortel quand il ne doit plus mourir. « Le Christ ressuscité des morts ne meurt plus ; sur lui la mort n’a plus d’empire », quoi que veuillent les gens incapables de comprendre le sens de ces paroles. Voici une autre rare insanité : ” Quel dieu, quel démon, quel homme sensé, prévoyant que de tels malheurs lui arriveraient, ne les auraient pas évités, s’il en avait eu le moyen, au lieu de donner tête baissée dans les dangers prévus ?” Socrate, en tout cas, savait que s’il buvait la ciguë, il mourrait, et il avait le moyen, s’il avait obéi à Criton, de s’évader de la prison et de ne rien souffrir de tout cela. Mais il décida, suivant ce qui lui semblait raisonnable, qu’il valait mieux pour lui mourir en philosophe que mener une vie indigne de sa philosophie. De plus, Léonidas, stratège de Lacédémone, sachant qu’il allait bientôt mourir avec ceux qui l’accompagnaient aux Thermopyles, ne se soucia pas de vivre dans la honte, mais il dit à son entourage : « Déjeunons en hommes qui vont souper aux Enfers. » Ceux qui ont le goût de collectionner de pareils récits en trouveront beaucoup d’autres. Quoi d’étonnant dès lors que Jésus, tout en sachant les malheurs qui lui arriveraient, ne les ait pas évités, mais se soit exposé aux dangers même prévus ? Et lorsque Paul, son disciple, eut appris les malheurs qui lui arriveraient dans sa montée à Jérusalem, il alla au-devant des dangers, et blâma ceux qui pleuraient sur lui et voulaient l’empêcher de monter à Jérusalem. Et combien de nos contemporains, sachant que la confession de leur christianisme entraînerait leur mort, et l’apostasie, leur libération et le recouvrement de leurs biens, ont méprisé la vie et volontairement choisi la mort pour leur religion ! Vient ensuite une autre niaiserie du Juif de Celse : ” Puisqu’il a prédit qui le trahirait et qui le renierait, comment ne l’ont-ils pas craint comme Dieu, renonçant l’un à trahir, l’autre à renier ? ” Il n’a même pas vu, le docte Celse, qu’il y avait là une contradiction. Si Jésus a eu la prescience divine et que cette prescience n’ait pu être erronée, il était impossible que l’homme connu comme futur traître ne trahît point, et l’homme déclaré futur renégat, ne reniât point. Si au contraire il eût été possible que l’un ne trahît point et l’autre ne reniât point, en sorte qu’il n’y eût pas de trahison ni de reniement en ceux qui en avaient été prévenus d’avance, alors Jésus n’aurait plus été dans le vrai en disant : celui-ci trahira, cet autre reniera. En effet, s’il a su d’avance qui le trahirait, il a vu la malice d’où proviendrait la trahison et qui n’était nullement détruite par sa prescience. De même, s’il a compris qui le renierait, c’est en voyant la faiblesse d’où viendrait le reniement qu’il a prédit qu’il renierait, et cette faiblesse n’allait pas non plus être d’emblée détruite par sa prescience. Mais d’où tire-t-il ceci : ” Eux, pourtant, l’ont trahi et renié sans se soucier de lui ? ” Car on a déjà montré, à propos du traître, qu’il est faux de dire qu’il ait trahi son maître sans se soucier de lui le moins du monde ; et il n’est pas moins facile de le montrer aussi du renégat qui, après son reniement, « sortit dehors et pleura amèrement ». LIVRE II
Après cela, il dit : ” S’il avait pris cette décision, et si c’est par obéissance à son Père qu’il a été puni, il est évident que, puisqu’il était Dieu et qu’il le voulait, les traitements spontanément voulus pouvaient ne lui causer ni douleurs ni peines “. Et il n’a même pas vu la contradiction où il s’empêtre ! Car s’il accorde que Jésus a été puni parce qu’il en avait pris la décision, et qu’il s’est livré par obéissance à son Père, il est clair que Jésus a été puni et qu’il lui était impossible d’éviter les douleurs que lui infligent les bourreaux ; car la douleur échappe au contrôle de la volonté. Si au contraire, puisqu’il le voulait, les traitements ne pouvaient lui causer ni douleurs ni peines, comment Celse a-t-il accordé qu’il a été puni ? C’est qu’il n’a pas vu que Jésus, ayant une fois pris un corps par sa naissance, il l’a pris exposé aux souffrances et aux peines qui arrivent aux corps, si par peine on entend ce qui échappe à la volonté. Donc, de même qu’il l’a voulu et qu’il a pris un corps dont la nature n’est pas du tout différente de la chair des hommes, ainsi avec ce corps il a pris les douleurs et les peines ; et il n’était pas maître de ne pas les éprouver, cela dépendait des hommes disposés à lui infliger ces douleurs et ces peines. J’ai déjà expliqué plus haut que s’il n’avait pas voulu tomber entre les mains des hommes, il ne serait pas venu. Mais il est venu parce qu’il le voulait pour la raison déjà expliquée : le bien que retirerait tout le genre humain de sa mort pour les hommes. Ensuite il veut prouver que ce qui lui arrivait lui causait douleurs et peines, et qu’il lui était impossible, l’eut-il voulu, d’empêcher qu’il en fût ainsi, et il dit : ” Pourquoi dès lors exhale-t-il des plaintes et des gémissements et fait-il, pour échapper à la crainte de la mort, cette sorte de prière : «Père, si ce calice pouvait s’éloigner»? ” En ce point encore, vois la déloyauté de Celse. Il refuse d’admettre la sincérité des évangélistes, qui auraient pu taire ce qui, dans la pensée de Celse, est motif d’accusation, mais ne l’ont pas fait pour bien des raisons que pourra donner opportunément l’exégèse de l’Évangile ; et il accuse le texte évangélique au moyen d’exagérations emphatiques et de citations controuvées. On n’y rencontre pas que Jésus exhale des gémissements. Il altère le texte original : « Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne. » Et il ne cite pas, au delà, la manifestation immédiate de sa piété envers son Père et de sa grandeur d’âme, qui est ensuite notée en ces termes : « Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux. » Et même la docilité de Jésus à la volonté de son Père dans les souffrances auxquelles il était condamné, manifestée dans la parole , « Si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » il affecte ne de pas l’avoir lue. Il partage l’attitude des impies qui entendent les divines Écritures avec perfidie et « profèrent des impiétés contre le ciel » Ces gens semblent bien avoir entendu l’expression « Je ferai mourir », et ils nous en font souvent un reproche , ils ne se souviennent plus de l’expression « Je ferai vivre » Mais le passage tout entier montre que ceux dont la vie est ouvertement mauvaise et la conduite vicieuse sont mis à mort par Dieu, mais qu’est introduite en eux une vie supérieure, celle que Dieu peut donner à ceux qui sont morts au péché. De même, ils ont entendu « Je frapperai », mais ils ne voient plus « C’est moi qui guérirai » expression semblable à celle d’un médecin qui a incisé des corps, leur a fait des blessures pénibles pour leur enlever ce qui nuit et fait obstacle à la santé, et qui ne se borne pas aux souffrances et à l’incision, mais rétablit par ce traitement les corps dans la santé qu’il avait en vue. De plus, ils n’ont pas entendu dans son entier la parole « Car il fait la blessure et puis il la bande », mais seulement « il fait la blessure ». C’est bien ainsi que le Juif de Celse cite « Père, si ce calice pouvait s’éloigner », mais non la suite, qui a prouve la préparation de Jésus a sa passion et sa fermeté Et c’est même là une matière offrant un vaste champ d’explication par la sagesse de Dieu, qu’on pourrait avec raison transmettre à ceux que Paul a nommes « parfaits » quand il dit « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits » , mais, la remettant à une occasion favorable, je rappelle ce qui est utile à la question présente. Je disais donc déjà plus haut il y a certaines paroles de celui qui est en Jésus le premier-né de toute créature, comme « Je suis la voie, la vérité, la vie » et celles de même nature, et d’autres, de l’homme que l’esprit discerne en lui, telles que « Mais vous cherchez à me faire mourir, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de mon Père » Dés lors, ici même, il exprime dans sa nature humaine et la faiblesse de la chair humaine et la promptitude de l’esprit la faiblesse, « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi » , la promptitude de l’esprit, « cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » De plus, s’il faut être attentif a l’ordre des paroles, observe qu’est d’abord mentionnée celle qui, pourrait-on dire, se rapporte a la faiblesse de la chair, et qui est unique , et ensuite, celles qui se rapportent à la promptitude de l’esprit, et qui sont multiples. Voici l’exemple unique « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi ». Voici les exemples multiples « Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux », et « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » Il faut noter aussi qu’il n’a pas dit « Que ce calice s’éloigne de moi », mais que c’est cet ensemble qui a été dit pieusement et avec révérence : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi. » Je sais bien qu’il y a une interprétation du passage dans le sens que voici : Le Sauveur, à la vue des malheurs que souffriraient le peuple et Jérusalem en punition des actes que les Juifs ont osé commettre contre lui, voulut, uniquement par amour pour eux, écarter du peuple les maux qui le menaçaient, et dit : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi », comme pour dire : puisque je ne peux boire ce calice du châtiment sans que tout le peuple soit abandonné de toi, je te demande, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi, afin que la part de ton héritage ne soit pas, pour ce qu’elle a osé contre moi, entièrement abandonné de toi. » Mais encore si, comme l’assure Celse, ce qui est arrivé en ce temps n’a causé à Jésus ni douleur, ni peine, comment ceux qui vinrent après auraient-ils pu proposer Jésus comme modèle de patience à supporter les persécutions religieuses, si au lieu d’éprouver des souffrances humaines il avait seulement semblé souffrir ? Le Juif de Celse s’adresse encore aux disciples de Jésus comme s’ils avaient inventé tout cela : ” En dépit de vos mensonges, vous n’avez pu dissimuler vos fictions d’une manière plausible.” A quoi la réplique sera : il y avait un moyen facile de dissimuler les faits de ce genre : n’en rien écrire du tout ! Car si elles n’étaient contenues dans les Evangiles, qui donc aurait pu nous faire un reproche des paroles que Jésus prononça au temps de l’Incarnation ? Celse n’a pas compris qu’il était impossible que les mêmes hommes, d’une part aient été dupes sur Jésus qu’ils croyaient Dieu et prédit par les prophètes, et de l’autre aient sur lui inventé des fictions qu’ils savaient évidemment n’être pas vraies ! Donc, ou bien ils ne les ont pas inventées, mais les croyaient telles et les ont écrites sans mentir , ou bien ils mentaient en les écrivant, ne les croyaient pas authentiques et n’étaient point dupés par l’idée qu’il était Dieu. LIVRE II
” Quelle noble action digne d’un Dieu a donc fait Jésus “, dit Celse ? ” A-t-il méprisé les hommes, s’est-il moqué et joué de son malheur ? ” A sa question, même si je pouvais établir l’action noble et le miracle au temps de son malheur, quelle meilleure réponse faire que de citer l’Évangile ? « La terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent, le voile du Temple se déchira en deux du haut en bas, le soleil s’éclipsa et l’obscurité se fit en plein jour. » Mais si Celse croit les Evangiles pour y trouver une occasion d’accuser Jésus et les chrétiens, et ne les croit pas quand ils prouvent la divinité de Jésus, on lui dira : holà, mon brave, ou bien refuse de croire à tout l’ensemble et ne pense pas nous formuler de grief, ou bien crois à tout l’ensemble et admire que le Logos de Dieu se soit fait homme dans le dessein de secourir tout le genre humain. Et c’est un acte noble de Jésus que jusqu’à nos jours soient guéris par son nom ceux que Dieu veut guérir. L’éclipse arrivée au temps de Tibère César sous le règne de qui, semble-t-il, Jésus a été crucifié, et les grands tremblements de terre alors survenus, Phlégon aussi les a notés dans le treizième ou le quatorzième chapitre, je crois, de ses ” Chroniques “. Le Juif de Celse qui croit railler Jésus est présenté comme s’il connaissait ” le mot de Bacchus chez Euripide: Le dieu lui-même me délivrera quand je voudrai “. Les Juifs pourtant ne s’occupent guère de littérature grecque. Mais admettons qu’il y ait eu un Juif ainsi ami des lettres. Comment donc, si Jésus ne s’est pas délivré lui-même de ses liens, ne pouvait-il pas le faire ? Qu’il croie plutôt, d’après mes Ecritures, que Pierre lui aussi, enchaîné en prison, en sortit quand un ange eût détaché ses liens, et que Paul, mis aux ceps avec Silas à Philippes de Macédoine, fut délié par une puissance divine au moment ou s’ouvrirent les portes de la prison. Mais probablement Celse rit de l’histoire, ou il ne l’a pas lue du tout, sinon il s’aviserait de répondre que des sorciers aussi par leurs incantations brisent les chaînes et font ouvrir les portes, afin d’assimiler à des actes de sorcellerie les événements rapportés parmi nous. LIVRE II
Paul aussi, dans sa deuxième Epître aux Thessaloniciens, fait connaître de quelle manière sera révèlé un jour « l’homme impie, le Fils de perdition, l’Adversaire, celui qui s’élève au dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui même comme Dieu ». Et il redit aux Thessaloniciens « Et vous savez ce qui le retient présentement de façon a ne se révéler qu’à son moment. Des maintenant, oui, le mystère de l’impiété est à l’oevre. Mais que seulement celui qui le retient soit d’abord écarté, alors l’Impie se révélera, et le Seigneur le fera disparaître par le souffle de sa bouche, l’anéantira par le resplendissement de sa Venue. Sa venue à lui, l’Impie, aura été marquée, sous l’influence de Satan, par toute espèce de miracles, de signes et de prodiges mensongers, ainsi que toutes les séductions du mal sévissant sur ceux qui sont voués à la perdition. » Il indique également la cause pour laquelle l’Impie a permission de vivre : « Parce qu’ils ont refusé d’accepter pour leur salut l’amour de la vérité. Voilà pourquoi Dieu leur envoie une influence qui les égare et les pousse à croire le mensonge, pour la condamnation de tous ceux qui auront refusé de croire la vérité et pris parti pour le mal. » LIVRE II
Apres quoi Celse, blâmant ce qui est écrit, fait une objection non négligeable. Si Jésus voulait réellement manifester sa puissance divine, il aurait dû apparaître à ses ennemis, au juge, bref a tout le monde. Il est vrai que selon l’Évangile, il nous semble qu’après la résurrection il n’est point apparu comme auparavant en public et à tout le monde. S’il est écrit dans les Actes que, « leur apparaissant pendant quarante jours », il annonçait à ses disciples le Règne de Dieu, dans les Evangiles, il n’est pas dit qu’il fût sans cesse avec eux une fois, huit jours aprés, toutes portes closes, « il parut au milieu d’eux », puis une autre fois, dans des conditions semblables. Paul de même, vers la fin de sa première Épître aux Corinthiens, insinuant que Jésus n’apparut point en public comme au temps précédant sa passion, écrit : « Je vous ai transmis d’abord ce que j’ai reçu moi-même : que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures », qu’il est ressuscité, « qu’il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart vivent encore et quelques-uns sont endormis. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en tout dernier lieu, il m’est apparu à moi aussi, comme à l’avorton. » Qu’elles me paraissent grandes, admirables, sans proportion avec le mérite non seulement de la foule des croyants, mais encore de l’élite en progrès dans la doctrine, les vérités de ce que contient ce passage ! Elles pourraient montrer la raison pour laquelle, après sa résurrection d’entre les morts, il n’apparaît point comme auparavant. Mais, parmi les nombreuses considérations qu’exigé un traité écrit comme celui-ci contre le discours de Celse qui attaque les chrétiens et leur foi, vois si on peut en offrir quelques-unes de vraisemblables pour toucher ceux qui prêteront attention à notre défense. LIVRE II
Jésus, quoiqu’il fût un, était pour l’esprit multiple d’aspects, et ceux qui le regardaient ne le voyaient pas tous de la même manière. Cette multiplicité d’aspects ressort des paroles « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie », « Je suis le Pain », « Je suis la Porte » et autres sans nombre. Et la vue qu’il offrait n’était pas identique pour tous les spectateurs, mais dépendait de leur capacité. Ce sera clair si l’on examine la raison pour laquelle, devant se transfigurer sur la haute montagne, il prit avec lui, non pas tous les apôtres, mais seuls Pierre, Jacques et Jean, comme les seuls capables de contempler la gloire qu’il aurait alors, et aptes à percevoir Moïse et Élie apparus dans la gloire, à entendre leur conversation et la voix venue de la nuée céleste. Mais je crois que même avant de gravir la montagne, ou seuls les disciples s’approchèrent de lui et ou il leur enseigna la doctrine des béatitudes, lorsqu’au pied de la montagne, « le soir venu », il guérit ceux qui s’approchaient de lui, les délivrant de toute maladie et de toute infirmité, il n’apparaissait pas identique aux malades implorant leur guérison et à ceux qui ont pu, grâce à leur santé, gravir avec lui la montagne. Bien plus, il a explique en particulier à ses propres disciples les paraboles dites avec un sens cache aux foules de l’extérieur et de même que ceux qui entendaient l’explication des paraboles avaient une plus grande capacité d’entendre que ceux qui entendaient les paraboles sans explication, ainsi en était-il des capacités de vision, certainement de leur âme, mais je croîs aussi de leur corps. Autre preuve qu’il n’apparaissait pas toujours identique, Judas qui allait le trahir dit aux foules qui s’avançaient vers lui comme si elles ne le connaissaient pas « Celui que je baiserai, c’est lui ». C’est aussi, je pense, ce que veut montrer le Sauveur lui-même dans la parole « Chaque jour j’étais assis parmi vous dans le temple à enseigner et vous ne m’avez pas arrêté ». Dés lors, comme nous élevons Jésus si haut, non seulement dans sa divinité intérieure et cachée à la foule, mais aussi dans son corps, transfiguré quand il voulait pour ceux qu’il voulait, nous affirmons avant qu’il eût dépouillé les Principautés et les Puissances » et « fût mort au péché », tous avaient la capacité de le regarder, mais quand il eut dépouillé les Principautés et les Puissances et ne posséda plus ce qui pouvait être visible de la foule, tous ceux qui le virent auparavant ne pouvaient plus le regarder. C’est donc pour les ménager qu’il ne se montrait point à tous après sa résurrection d’entre les morts. Mais pourquoi dire à tous ? Aux apôtres eux-mêmes et aux disciples, il n’était pas sans cesse présent et sans cesse visible, parce qu’ils étaient incapables de soutenir sa contemplation sans relâche. Sa divinité était plus resplendissante après qu’il eut mené a terme l’oevre de l’Économie. Céphas, qui est Pierre, en tant que « prémices » des apôtres, put la voir, et après lui, les Douze, Matthias ayant été choisi a la place de Judas. Apres eux, il apparut à « cinq cents frères a la fois, puis à Jacques, puis à tous les apôtres » hormis les Douze, peut-être les soixante-dix , et, « dernier de tous », à Paul, comme à l’avorton, qui savait dans quel sens il disait : « A moi, le plus petit de tous les saints a été donnée cette grâce », et sans doute que « le plus petit » et « l’avorton » sont synonymes. Aussi bien on ne pourrait faire un grief raisonnable à Jésus de n’avoir point conduit avec lui sur la haute montagne tous les apôtres, mais les trois seuls nommés précédemment, lorsqu’il allait se transfigurer et montrer la splendeur de ses vêtements et la gloire de Moïse et d’Élie en conversation avec lui , on ne saurait non plus adresser des critiques fondées aux paroles des apôtres, de présenter Jésus après sa résurrection apparaissant non point à tous, mais à ceux dont il savait les yeux capables de voir sa résurrection. LIVRE II
Et ne t’étonne pas que les foules qui ont cru en Jésus n’aient pas toutes vu sa résurrection, puisque Paul écrit aux Corinthiens comme si la pluralité d’aspects dépassait leur capacité : « J’ai décidé de ne rien savoir parmi vous que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. » Ou encore, de même sens : « Vous ne pouviez encore le supporter. Mais vous ne le pouvez pas davantage à présent, car vous êtes encore charnels. » Ainsi donc le Logos, qui fait toutes choses selon un discernement divin, a écrit que Jésus avant sa passion apparaissait sans restriction aux foules, quoiqu’il ne le fît pas sans cesse ; tandis qu’après sa passion il ne se manifestait plus de la même manière, mais avec un discernement qui donnait à chacun sa juste mesure. Et de même qu’il est écrit que « Dieu apparut à Abraham » ou à l’un des saints, que cette apparition n’avait pas lieu sans cesse mais par intervalles, et qu’il n’apparaissait point à tous, ainsi je pense que le Fils de Dieu mit à apparaître aux siens le même discernement que Dieu mit à apparaître à ceux-là. LIVRE II
Mais je veux établir qu’il n’était pas plus utile pour l’ensemble de l’Économie que « c’est du haut de la croix que Jésus aurait dû soudain disparaître » corporellement. La simple lettre et le récit de ce qui est arrivé à Jésus ne laissent point voir la vérité totale. Car à une lecture plus pénétrante de la Bible, chaque événement se révèle de plus symbole d’une vérité. Ainsi en est-il du crucifiement : il contient la vérité qu’exprimé ce mot : « Je suis crucifié avec le Christ » », et cette idée : « Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de mon Seigneur Jésus-Christ, qui a fait du monde un crucifié pour moi et de moi un crucifié pour le monde. » Ainsi, de sa mort : elle était nécessaire pour que l’on pût dire : « Car sa mort fut une mort au péché une fois pour toutes », et pour que le juste ajoute qu’« il lui devient conforme dans la mort », et : « Si en effet nous sommes morts avec lui, avec lui aussi nous vivrons ». Ainsi encore, de son ensevelissement : il s’étend à ceux qui lui sont devenus conformes dans la mort, crucifiés avec lui, morts avec lui, suivant ces autres mots de Paul : « Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême », nous sommes aussi ressuscites avec lui. LIVRE II
Mais pour quelle raison le Juif de Celse a-t-il dit que Jésus se cachait ? Car il dit de lui : Quel messager envoyé en mission se cacha-t-il jamais au lieu d’exposer l’objet de son mandat ? Non, il ne se cachait pas, puisqu’il dit à ceux qui cherchaient à le prendre : « Chaque jour j’étais dans le temple à enseigner librement, et vous n’osiez m’arrêter. » A la suite, où Celse ne fait que se répéter, j’ai déjà répondu une fois, je me bornerai donc à ce qui est déjà dit. Car plus haut se trouve écrite la réponse à l’objection : Est-ce que, de son vivant, alors que personne ne le croyait, il prêchait à tous sans mesure, et, quand il aurait affermi la foi par sa résurrection d’entre les morts, ne se laissa-t-il voir en cachette qu’à une seule femmelette et aux membres de sa confrérie ? Ce n’est pas vrai : il n’est pas apparu seulement à une femmelette, car il est écrit dans l’Évangile selon Matthieu : « Après le sabbat, dès l’aube du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie allèrent visiter le sépulcre. Alors il se fit un grand tremblement de terre : l’ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre. » Et peu après, Matthieu ajoute : « Et voici que Jésus vint à leur rencontre ? évidemment, les Marie déjà nommées ?, et il leur dit : « Je vous salue ». Elles s’approchèrent, embrassèrent ses pieds et se prosternèrent devant Lui. » On a également répondu à sa question : Est-ce donc que, durant son supplice, il a été vu de tous, mais après sa résurrection, d’un seul – en réfutant l’objection qu’il n’a pas été vu de tous. Ici j’ajouterai : ses caractères humains étaient visibles de tous ; ceux qui étaient proprement divins – je ne parle pas de ceux qui le mettaient en relation avec les autres êtres, mais de ceux qui l’en séparaient – n’étaient pas intelligibles à tous. De plus, note la contradiction flagrante où Celse s’empêtre. A peine a-t-il dit : « Il s’est laissé voir en cachette à une seule femmelette et aux membres de sa confrérie », qu’il ajoute : « durant son supplice, il a été vu de tous, après sa résurrection, d’un seul ; c’est le contraire qu’il aurait fallu. » Entendons ce qu’il veut dire par « durant son supplice il a été vu de tous, après sa résurrection, d’un seul ; c’est le contraire qu’il aurait fallu». A en juger par son expression, il voulait une chose impossible et absurde : que, durant son supplice, il soit vu d’un seul, après sa résurrection, de tous ! Ou comment expliquer : « c’est le contraire qu’il aurait fallu »? Jésus nous a enseigné qui l’avait envoyé, dans les paroles : « Personne n’a connu le Père si ce n’est le Fils », « Personne n’a jamais vu Dieu : mais le Fils unique, qui est Dieu, qui est dans le sein du Père, lui, l’a révélé» . C’est lui qui, traitant de Dieu, annonça à ses disciples véritables les caractéristiques de Dieu. Les indices qu’on en trouve dans les Écritures nous offrent des points de départ pour parler de Dieu : on apprend, ici, que « Dieu est lumière et il n’y a point en lui de ténèbres », là, que « Dieu est esprit, et ses adorateurs doivent l’adorer en esprit et en vérité ». De plus, les raisons pour lesquelles le Père l’a envoyé sont innombrables : on peut à son gré les apprendre soit des prophètes qui les ont annoncées d’avance, soit des évangélistes ; et on tirera bien des connaissances des apôtres, surtout de Paul. En outre, si Jésus donne sa lumière aux hommes pieux, il punira les pécheurs. Faute d’avoir vu cela, Celse écrit : Il illuminera les gens pieux et aura pitié des pécheurs ou plutôt de ceux qui se sont repentis. Après cela, il déclare : S’il voulait demeurer caché, pourquoi entendait-on la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu ? S’il ne voulait pas demeurer caché, pourquoi le supplice et pourquoi la mort ? Il pense par là montrer la contradiction entre ce qui est écrit de lui, sans voir que Jésus ne voulait ni que tous ses aspects fussent connus de tous, même du premier venu, ni que tout ce qui le concerne demeurât caché. En tout cas, la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu », au témoignage de l’Écriture, n’a pas été dite de façon à être entendue de la foule, comme l’a cru le Juif de Celse. De plus, la voix venant de la nuée, sur la haute montagne, a été entendue de ceux-là seuls qui avaient fait l’ascension avec lui ; car c’est le propre de la voix divine d’être entendue seulement de ceux à qui il « veut » faire entendre sa parole. Et je n’insiste pas sur le fait que la voix de Dieu, mentionnée dans l’Écriture, n’est certainement pas de l’air en vibration, ou un ébranlement d’air, ou tout autre définition des traites sur la voix : elle est donc entendue par une oreille supérieure et plus divine que l’oreille sensible Et comme Dieu qui parle ne veut pas que sa voix soit audible à tous, qui a des oreilles supérieures entend Dieu, mais qui est sourd des oreilles de l’âme est insensible à la parole de Dieu. Voilà pour répondre à la question : « Pourquoi entendait-on la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu ? » Et la suivante : « S’il ne voulait pas demeurer caché, pourquoi le supplice et pourquoi la mort ? » trouve une réponse suffisante dans ce qu’on a dit longuement de sa passion dans les pages précédentes. LIVRE II
Il déclare aussi que tous étaient animés par la même pensée. Il ne voit même pas là que dès l’origine il y eut désaccord entre croyants sur l’interprétation des livres regardés comme divins. Du moins, pendant que les apôtres prêchaient encore et que les témoins oculaires de Jésus enseignaient ce qu’ils avaient appris de lui, un débat important s’éleva entre les Juifs croyants concernant les Gentils qui venaient à l’Évangile : fallait-il leur faire observer les coutumes juives ou leur enlever le fardeau des aliments purs et impurs, qui ne devait pas charger ceux qui avaient laissé les coutumes ancestrales dans la Gentilité et qui croyaient en Jésus. De plus, dans les épîtres de Paul, contemporain de ceux qui avaient vu Jésus, on trouve des allusions à certaines disputes sur la question de savoir si la résurrection avait déjà eu lieu, et si « le Jour du Seigneur » était proche ou lointain. Il y a en outre ce passage : « Evite les discours creux et profanes, et les contradictions de la pseudo-science. Pour l’avoir professée, certains ont fait naufrage dans la foi » ; il montre que dès l’origine, il y eut des interprétations différentes, lorsque les croyants, au dire de Celse, n’étaient pas encore nombreux. LIVRE III
Et s’il y a là une vue cohérente, pourquoi ne pas justifier de même les sectes entre les chrétiens ? A leur sujet, Paul me paraît avoir dit de manière tout à fait admirable : « C’est qu’il faut qu’il y ait même chez vous des sectes, pour permettre aux hommes de vertu éprouvée de se manifester parmi vous. » De même en effet que pour être un médecin éprouvé, il faut, après l’expérience acquise dans les différentes écoles, un examen judicieux de leur grand nombre pour pouvoir choisir la meilleure ; de même que, pour être un philosophe éminent, il faut avoir eu connaissance de nombreux systèmes, se les être assimilés et s’être attaché au plus solide ; de la même façon, dirais-je, il faut avoir scruté avec soin les sectes du judaïsme et du christianisme pour être un chrétien d’une science très profonde. Et blâmer notre doctrine, à cause des sectes, serait aussi bien blâmer l’enseignement de Socrate, parce que de son école sont issues beaucoup d’autres aux doctrines divergentes. De plus, on devrait blâmer les doctrines de Platon parce qu’Aristote a cessé de fréquenter son école pour en ouvrir une nouvelle, j’en ai parlé plus haut. Mais Celse me semble avoir eu connaissance de certaines sectes qui n’ont même pas en commun avec nous le nom de Jésus. Peut-être a-t-il entendu parler des « Ophites » et « Caïnites » ou de tout autre secte semblable qui a entièrement abandonné Jésus. D’ailleurs, il n’y aurait rien là qui mérite un blâme à la doctrine chrétienne. LIVRE III
Ensuite, à propos des pratiques des Égyptiens, qui parlent avec respect même des animaux sans raison et affirment qu’ils sont des symboles de la divinité, ou quelque titre qu’il plaise à leurs prophètes de leur donner, il dit : Elles provoquent chez ceux qui ont acquis ce savoir l’impression que leur initiation ne fut pas vaine. Quant aux vérités que nous présentons à ceux qui ont une connaissance approfondie du christianisme dans nos discours faits sous l’influence de ce que Paul appelle « don spirituel », dans le discours de sagesse « grâce à l’Esprit », dans le discours de science « selon l’Esprit» », Celse semble n’en avoir pas la moindre idée. On le voit non seulement d’après ce qu’il vient de dire, mais encore d’après le trait qu’il lance plus tard contre la société des chrétiens quand il dit qu’ils excluent tout sage de la doctrine de leur foi, mais se bornent à inviter les ignorants et les esclaves ; ce que nous verrons en son temps, en arrivant au passage. Il affirme même que nous nous moquons des Égyptiens. Cependant, ils proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, puisqu’ils enseignent que ce sont là des hommages rendus non à des animaux éphémères, comme le pense la foule, mais à des idées éternelles. Tandis que c’est une sottise de n’introduire dans les explications sur Jésus rien de plus vénérable que les boucs ou les chiens de l’Egypte. A quoi je répondrai : tu as raison, mon brave, de relever dans ton discours que les Égyptiens proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, et des explications obscures sur leurs animaux ; mais tu as tort de nous accuser dans ta persuasion que nous ne disons que de méprisables sottises quand nous discutons en détail les mystères de Jésus, selon la sagesse du Logos, avec ceux qui sont parfaits dans le christianisme. Paul enseigne que de telles gens sont capables de comprendre la sagesse du christianisme quand il dit : « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits, mais non d’une sagesse de ce siècle, ni des princes de ce siècle, qui vont à leur perte. Nous parlons au contraire d’une sagesse de Dieu, ensevelie dans le mystère, dès avant les siècles fixée par Dieu pour notre gloire, et qu’aucun des princes de ce siècle n’a connue. » LIVRE III
Je le demande à ceux qui partagent l’avis de Celse : Paul n’avait-il aucune idée d’une sagesse supérieure quand il professait parler « de sagesse parmi les parfaits » ? Et comme il me répondra avec son audace habituelle que Paul a pu faire cette profession sans posséder la moindre sagesse, je lui répliquerai : commence par examiner les épîtres de cet auteur, fais bien attention au sens des expressions qui se trouvent, par exemple, dans les épîtres aux Ephésiens, aux Colossiens, aux Thessaloniciens, aux Philippiens, aux Romains, et montre à la fois deux choses : que tu as bien compris les paroles de Paul, et que tu peux prouver qu’il en est qui sont de misérables sottises. En effet, s’il se livre à une lecture attentive, j’en suis sûr, ou il admirera l’esprit de cet homme qui exprime des vues géniales dans une langue commune, ou, en refusant d’admirer, il se couvrira de ridicule, qu’il expose dans quel sens il a compris l’auteur, ou qu’il essaie de contredire et de réfuter ce qu’il s’imagine avoir compris. LIVRE III
Je ne parle point encore d’un examen approfondi de tout le texte des Évangiles. Chacun d’eux renferme une doctrine complexe et difficile à pénétrer, non seulement par la foule, mais encore par des gens avisés : par exemple l’explication des paraboles que Jésus raconte à ceux « de l’extérieur », réservant leur claire signification à ceux qui ont dépassé le stade des enseignements exotériques et s’approchent de lui en particulier « dans la maison ». On sera dans l’admiration en comprenant pourquoi certains sont dits « à l’extérieur » et d’autres « dans la maison ». Quelle émotion aussi pour qui est capable de considérer les divers aspects de Jésus, quand il gravit la montagne pour certains discours ou certaines actions, ou pour sa transfiguration, ou lorsque, en bas, il guérit les malades qui ne peuvent monter là où ses disciples le suivent. Mais il n’y a pas lieu d’exposer ici ce que les Évangiles ont de véritablement vénérable et divin, ni la pensée du Christ, c’est-à-dire de la Sagesse et du Logos, manifestée chez Paul. Voilà qui suffit pour répondre à la raillerie de Celse, indigne d’un philosophe, qui ose assimiler les plus profonds mystères de l’Église de Dieu aux chats, aux singes, aux crocodiles, aux boucs et aux chiens de l’Egypte. LIVRE III
Celse pour montrer qu’il a lu beaucoup d’histoires grecques cite encore celle de Cléomède d’Astypalée, et raconte : Celui-ci entra dans un coffre, s’enferma à l’intérieur, et on ne put l’y retrouver, mais il s’en était envolé par une providence miraculeuse, lorsqu’on vint briser le coffre pour le prendre. Cette histoire, si elle n’est pas une fiction comme elle semble l’être, n’est point comparable à celle de Jésus ; car la vie de ces hommes ne présente aucune preuve de la divinité qu’on leur attribue, alors que celle de Jésus a pour preuves les églises de ceux qu’il a secourus, les prophéties faites à son sujet, les guérisons accomplies en son nom, la connaissance de ces mystères dans la sagesse et la raison que l’on trouve chez ceux qui s’appliquent à dépasser la simple foi et à scruter le sens des Écritures ; car tel est l’ordre de Jésus : « Scrutez les Écritures », telle est l’intention de Paul qui a enseigné que nous devons « savoir répondre à chacun » comme il se doit, et celle d’un autre auteur qui a dit : « Soyez toujours prêts à la défense contre quiconque demande raison de la foi qui est en vous. » Mais Celse veut qu’on lui accorde qu’il ne s’agit pas d’une fiction : à lui de dire le dessein de la puissance surhumaine qui a fait envoler Cléomède de l’intérieur du coffre par une providence miraculeuse. Car s’il présente de cette faveur faite à Cléomède une raison valable et une intention digne de Dieu, on jugera de la réponse à lui faire. Mais s’il demeure embarrassé pour en donner la moindre raison plausible, parce que, de toute évidence, cette raison est impossible à trouver, ou bien en accord avec ceux qui ont refusé d’admettre cette histoire, on prouvera sa fausseté, ou bien on dira qu’en faisant disparaître l’homme d’Astypalée, un démon a joué un tour semblable à ceux des sorciers et trompé les regards ; et cela contre Celse qui a pensé qu’un oracle divin avait déclaré qu’il s’était envolé du coffre par une providence miraculeuse. LIVRE III
Pour en venir aux livres écrits après Jésus, on y trouverait que les foules de croyants écoutent les paraboles comme si elles étaient au dehors et seulement dignes des doctrines exotériques ; mais les disciples reçoivent en particulier l’explication des paraboles. Car Jésus « expliquait toutes choses en particulier à ses disciples », préférant aux foules ceux qui aspiraient à sa sagesse. Il fait la promesse à ceux qui croient en lui de leur envoyer sages et scribes : « Voici que je vais vous envoyer des sages et des scribes, et on en fera mourir sur la croix. » De plus, dans sa liste des charismes donnés par Dieu, Paul place d’abord le discours de sagesse, en second lieu, comme lui étant inférieur, le discours de science, et en troisième lieu, comme au-dessous encore, la foi. Et parce qu’il estimait davantage le discours que les réalisations de prodiges, il met les « actes de puissance » et les « dons de guérir » au-dessous des charismes de discours. Et dans les Actes des apôtres, Étienne atteste la science étendue de Moïse, en se fondant certainement sur des livres anciens et inaccessibles à la foule. Car il dit : « Moïse fut instruit dans toute la sagesse des Égyptiens. » Et c’est pourquoi, lors de ses prodiges, on le soupçonnait de les accomplir non pas, comme il le proclamait, par la puissance de Dieu, mais grâce à son habileté dans les sciences d’Egypte. C’est bien ce soupçon qui poussa le roi à mander les enchanteurs, les sages et les magiciens d’Egypte, mais leur néant se révéla devant la sagesse de Moïse qui surpassait toute la sagesse des Égyptiens. LIVRE III
De plus il est probable que les paroles de Paul dans la Première aux Corinthiens, Grecs fort enflés de la sagesse grecque, ont conduit certains à croire que le Logos exclut les sages. Que celui qui aurait cette opinion comprenne bien. Pour blâmer des méchants, le Logos déclare qu’ils ne sont pas des sages relativement à l’intelligible, l’invisible, l’éternel, mais parce qu’ils ne s’occupent que du sensible, à quoi ils réduisent toutes choses, ils sont des sages de ce monde. De même, dans la multitude des doctrines, celles qui, prenant parti pour la matière et les corps, soutiennent que toutes les réalités fondamentales sont des corps, qu’en dehors d’eux il n’existe rien d’autre, ni « invisible », ni « incorporel », le Logos les déclare « sagesse de ce monde », vouée à la destruction, frappée de folie, sagesse de ce siècle. Mais il déclare « sagesse de Dieu » celles qui élèvent l’âme des choses d’ici-bas au bonheur près de Dieu et à « son Règne », qui enseignent à mépriser comme transitoire tout le sensible et le visible, à chercher avec ardeur l’invisible et tendre à ce qu’on ne voit pas. Et parce qu’il aime la vérité, Paul dit de certains sages grecs, pour les points où ils sont dans le vrai : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâces. » Il rend témoignage à leur connaissance de Dieu. Il ajoute qu’elle ne peut leur venir sans l’aide de Dieu, quand il écrit : « Car Dieu le leur a manifesté. » Il fait allusion, je pense, à ceux qui s’élèvent du visible à l’invisible, quand il écrit : « Les oevres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit, et son éternelle puissance et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâce. » Mais il a un autre passage : « Aussi bien, frères, considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de vil et qu’on méprise, Dieu l’a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est ; afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant lui. » Et peut-être à cause de ce passage, certains furent-ils incités à croire qu’aucun homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ne s’adonne à la doctrine. A quoi je répondrai : on ne dit pas « aucun sage selon la chair », mais « pas beaucoup de sages selon la chair ». Et il est clair que, parmi les qualités caractéristiques des « évêques », quand il écrit ce que doit être l’évêque, Paul a fixé celle de didascale, en disant : il faut qu’il soit capable « de réfuter aussi les contradicteurs », afin que, par la sagesse qui est en lui, il ferme la bouche aux vains discoureurs et aux séducteurs. Et de même qu’il préfère pour l’épiscopat un homme marié une seule fois à l’homme deux fois marié, « un irréprochable » à qui mérite reproche, « un sobre » à qui ne l’est pas, « un tempérant » à l’intempérant, « un homme digne » à qui est indigne si peu que ce soit, ainsi veut-il que celui qui sera préféré pour l’épiscopat soit capable d’enseigner et puisse « réfuter les contradicteurs ». Comment donc Celse peut-il raisonnablement nous attaquer comme si nous disions : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Au contraire : Qu’il vienne l’homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ! Et qu’il vienne de même, celui qui est ignorant, insensé, inculte, petit enfant ! Car le Logos, s’ils viennent, leur promet la guérison, et rend tous les hommes dignes de Dieu. LIVRE III
Car il est écrit dans la lettre de notre Paul aux Corinthiens, Grecs dont les moers n’étaient pas encore purifiées : « C’est du lait que je vous ai donné à boire et non une nourriture solide, vous ne pouviez pas encore la supporter. Et vous ne le pouvez pas encore à présent, car vous êtes encore charnels. Du moment qu’il y a parmi vous jalousie et dispute, n’êtes-vous pas charnels et votre conduite n’est-elle pas tout humaine ? » Et ce même apôtre, sachant que certaines vérités sont la nourriture de l’âme avancée en perfection, et que d’autres, celles des néophytes, sont comparables au lait des petits enfants, déclare : « Et vous en êtes venus à avoir besoin de lait, non de nourriture solide. De fait, quiconque en est encore au lait ignore la doctrine de justice : ce n’est qu’un petit enfant. La nourriture solide est pour les parfaits, ceux qui, par l’habitude ont le sens moral exercé au discernement du bien et du mal. » Dès lors, ceux qui croient à la beauté de ces paroles supposeraient-ils qu’on ne traiterait jamais des beaux mystères du Logos dans une assemblée d’hommes prudents, mais que, si on apercevait des adolescents, une foule d’esclaves, un rassemblement d’imbéciles, on irait y proposer en public les mystères divins et vénérables, et en faire étalage devant de tels spectateurs? Au contraire, à scruter tout le dessein de nos Écritures, il est bien clair que, partageant la haine de la grossière populace pour la race des chrétiens, Celse profère sans examen de tels mensonges. LIVRE III
Ce n’est donc pas aux mystères et à la participation de la sagesse « mystérieuse et demeurée cachée que, dès avant les siècles, Dieu a par avance destinée pour la gloire » de ses justes, que nous appelons l’injuste, le voleur, le perceur de murailles, l’empoisonneur, le pilleur de temples, le violateur de tombeaux, ni tous les autres que par amplification peut y joindre Celse ; mais, c’est à la guérison. Il y a dans la divinité du Logos des aspects qui aident à guérir les malades dont il parle : « Les bien portants n’ont pas besoin de médecins, mais les malades » ; il y en a d’autres qui découvrent à ceux qui sont purs de corps et d’esprit « la révélation du mystère, enveloppé de silence aux siècles éternels, mais aujourd’hui manifesté tant par les écrits des prophètes que par l’apparition de Notre Seigneur Jésus-Christ » qui se manifeste à chacun des parfaits, illuminant leur esprit pour une connaissance véridique des réalités. Mais, comme, amplifiant ses griefs contre nous, il termine son énumération de vauriens par ce trait : « Quels autres un brigand appellerait-il dans sa proclamation ? », je répliquerai : un brigand appelle bien de tels individus pour utiliser leur perversité contre les hommes qu’il veut tuer et dépouiller ; mais le chrétien, en appelant les mêmes individus que le brigand, leur lance un appel différent, pour bander leurs blessures par le Logos, et verse dans l’âme enflammée de maux les remèdes du Logos qui, comme le vin, l’huile, le lait, et les autres médicaments, soulagent l’âme. Il calomnie ensuite nos exhortations orales ou écrites à ceux qui ont mal vécu, les appelant à se convertir et à réformer leur âme, et il assure que nous disons : Dieu a été envoyé aux pécheurs. C’est à peu près comme s’il reprochait à certains de dire : c’est pour les malades habitant dans la ville qu’un médecin y a été envoyé par un roi plein d’humanité. Or « le Dieu Logos a été envoyé », médecin « aux pécheurs », maître des divins mystères à ceux qui, déjà purs, ne pèchent plus. Mais Celse, incapable de faire la distinction – car il n’a pas voulu approfondir -, objecte : Pourquoi n’a-t-il pas été envoyé à ceux qui sont sans péché ? Quel mal y a-t-il à être sans péché ? A quoi je réplique : si par ceux qui sont sans péché il veut dire ceux qui ne pèchent plus, notre Sauveur Jésus leur a été envoyé à eux aussi, mais non comme un médecin ; mais si par ceux qui sont sans péché il entend ceux qui n’ont jamais péché – car il n’y a pas de distinction dans son texte -, je dirai qu’il est impossible qu’il y ait dans ce sens un homme sans péché, à l’exception de l’homme que l’esprit discerne en Jésus, « qui n’a pas commis de péché ». Méchamment donc, Celse nous attribue l’affirmation : Que l’injuste s’humilie dans le sentiment de sa misère, Dieu l’accueillera ; mais que le juste dans sa vertu originelle lève les yeux vers lui, il refusera de l’accueillir. Nous soutenons en effet qu’il est impossible qu’un homme dans sa vertu originelle lève les regards vers Dieu. Car la malice existe nécessairement d’abord dans l’homme, comme le dit Paul : « Le précepte est venu, le péché a pris vie, et moi, je suis mort. » De plus, nous n’enseignons pas qu’il suffise à l’injuste de s’humilier dans le sentiment de sa misère pour être accueilli par Dieu, mais que s’il se condamne lui-même pour ses actes antérieurs, et s’il s’avance humble pour le passé, rangé pour l’avenir, Dieu l’accueillera. LIVRE III
Après cela, il insulte de nouveau le prédicateur du christianisme, lui reprochant d’exposer des choses ridicules mais sans désigner ni établir clairement ce qu’il entend par choses ridicules. Il continue ses insultes : Nul homme sensé ne croit à cette doctrine, dont l’éloigné la foule de ses adeptes. Cela revient à dire : à cause de la foule des gens simples qui se laissaient mener par leurs lois, nul homme sensé n’obéit, par exemple, à Solon, Lycurgue, Zaleukos ou tout autre législateur, surtout si on entend par homme sensé un homme vertueux. En effet, dans ces exemples, les législateurs ont accompli ce qui leur parut bienfaisant en entourant leurs peuples d’une discipline et de lois particulières ; de même Dieu, légiférant en Jésus pour les hommes de partout, conduit même ceux qui n’ont pas de bon sens, dans la mesure où il est possible de les conduire au mieux. Telle était bien sa pensée, comme on l’a dit plus haut, quand il déclare par Moïse : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles, eh bien ! moi, je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai au moyen d’une nation inintelligente. » Telle était aussi la pensée de Paul : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages », appelant sages au sens large tous ceux que leur apparent progrès dans les sciences n’a pas empêchés de sombrer dans le polythéisme athée, puisque, « dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles ». LIVRE III
Nous ne cherchons donc pas refuge près de petits enfants et de rustres stupides en leur disant: Fuyez les médecins; nous ne disons pas : Prenez garde qu’aucun de vous n’acquière la science; nous n’affirmons pas : La science est un mal; nous ne sommes pas assez fous pour dire : La science fait perdre aux hommes la santé de l’âme. Nous ne dirions pas non plus qu’un homme ait jamais été perdu par la sagesse. Quand nous enseignons, nous ne déclarons pas : Attachez-vous à moi ! mais : Attachez-vous au Dieu de l’univers, et à Jésus le maître des enseignements divins. Et nul n’est hâbleur au point de dire aux disciples le propos que Celse met dans la bouche du maître : Moi seul vous sauverai. Vois donc tous les mensonges qu’il profère contre nous ! Et nous ne disons pas non plus des vrais médecins : Ils tuent ceux qu’ils promettent de guérir. Il apporte un second exemple contre nous, et affirme que celui qui enseigne notre doctrine se conduit comme un homme ivre parmi des gens ivres, qui accuse les gens sobres d’être en état d’ivresse. Qu’il démontre alors, d’après les écrits de Paul par exemple, que l’apôtre de Jésus était ivre et que ses paroles n’étaient pas celles d’un homme sobre, ou bien d’après les écrits de Jean, que ses pensées ne respirent pas une parfaite tempérance bien éloignée de l’ivresse du mal ! Donc nul homme tempérant qui enseigne la doctrine chrétienne n’est ivre, et c’est là une injure de Celse indigne d’un philosophe. Et quels gens sobres accusons-nous, nous les prédicateurs de la doctrine chrétienne, à Celse de le dire ! Pour nous sont ivres tous ceux qui s’adressent à des choses inanimées comme à Dieu. Et que dis-je : ils sont ivres ? Ils sont fous, plutôt, ceux qui s’empressent de courir aux temples adorer comme dieux les statues et les animaux. Ils ne sont pas moins fous ceux qui s’imaginent que sont faits pour le culte des dieux véritables les objets façonnés par des artisans parfois les plus vils des hommes. LIVRE III
Il ne peut pas comprendre la parole : « Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas, moi, dit le Seigneur ». Il ne voit pas que, selon la doctrine des chrétiens, tous ensemble « nous avons en lui la vie, le mouvement et l’être » comme Paul l’a enseigné dans son discours aux Athéniens. Alors, même quand le Dieu de l’univers par sa propre puissance descend avec Jésus dans l’existence humaine, même quand le Logos, « au commencement près de Dieu » et Dieu lui-même, vient vers nous, il ne quitte pas sa place et n’abandonne pas son trône, comme s’il y avait d’abord un lieu vide de lui, puis un autre plein de lui, qui auparavant ne le contenait pas. Au contraire la puissance et la divinité de Dieu vient par celui qu’il veut et en qui il trouve une place, sans changer de lieu ni laisser sa place vide pour en remplir une autre. LIVRE IV
En l’âme de Jésus, si l’on suppose un changement à sa venue dans un corps, nous demanderons ce qu’on veut dire par là. Est-ce un changement de l’essence? On ne l’accorde pas de cette âme, ni même d’une autre âme raisonnable. Veut-on la dire affectée par le corps auquel elle est mélangée et par le lieu où elle est venue ? En quoi cela répugne-t-il au Logos qui dans son immense amour pour les hommes fait descendre un Sauveur au genre humain? Aucun de ceux qui auparavant avaient promis de le guérir n’avait pu faire tout ce dont cette âme a fait preuve même en descendant librement à la condition mortelle des hommes pour le salut de notre race. Telle est la pensée du divin Logos exprimée en maints passages des Écritures ; il suffit pour l’instant de citer un seul passage de Paul : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus : Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclaves. » « S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le nom qui est au-dessus de tout nom. » LIVRE IV
Entre bien d’autres, je citerai quelques passages pour montrer la calomnie gratuite de Celse quand il dit que les Écritures ne sont pas susceptibles d’allégorie. Voici une déclaration de Paul, l’Apôtre de Jésus : « Il est écrit dans la loi de Moïse : ” Tu ne muselleras pas le boeuf qui foule le grain. ” Dieu se met-il en peine des boeufs, ou n’est-ce point surtout pour nous qu’il parle évidemment ? C’est bien pour nous qu’il a été écrit : celui qui laboure doit labourer dans l’espérance et celui qui foule le grain doit le faire dans l’espérance d’y avoir part. » Et le même écrivain dit ailleurs : « Car il est écrit : ” C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair. ” Ce mystère est de grande portée : je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église. » Et encore à un autre endroit : « Mais, nous le savons : nos pères ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer. » Puis, interprétant l’histoire de la manne et de l’eau sortie miraculeusement du rocher, au dire de l’Écriture, il s’exprime en ces termes : « Tous ont mangé le même aliment spirituel, et tous ont bu la même boisson spirituelle ; ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher spirituel, c’était le Christ. » Et Asaph a montré que les histoires de l’Exode et des Nombres sont des mystères et des paraboles, comme il est écrit dans le livre des Psaumes ; car à leur narration il donne cette préface : « Écoutez, ô mon peuple, ma loi : tendez l’oreille aux paroles de ma bouche. J’ouvrirai la bouche en paraboles, j’évoquerai les mystères de l’origine, ce que nous avons entendu et appris, et que nos pères ont raconté. » De plus si la loi de Moïse ne contenait rien que mettent en lumière les significations symboliques, le prophète ne dirait pas à Dieu dans sa prière : « Ote le voile de mes yeux pour que je contemple les merveilles de ta loi. » Mais en réalité il savait bien qu’il y a un « voile » d’ignorance étendu sur le coeur de ceux qui lisent et ne comprennent pas les significations figurées. Ce voile est ôté par faveur divine, quand Dieu exauce celui qui a fait tout ce qui dépend de lui, qui a pris l’habitude d’exercer ses facultés à distinguer le bien et le mal et qui dit continuellement dans sa prière : « Ote le voile de mes yeux pour que je contemple les merveilles de ta loi. » LIVRE IV
Aussi, Paul, l’Apôtre de Jésus, nous enseigne que même les plus scélérats contribueront au bien de l’ensemble, tout en se trouvant engagés eux-mêmes dans des situations détestables, mais que les plus vertueux rendent aussi le plus de service au tout, ce qui leur vaudra d’être mis à la plus belle place : « Dans une grande maison, il n’y a pas seulement des ustensiles d’or et d’argent ; il y en a aussi de bois et d’argile. Les uns servent à un usage de choix, les autres à un usage vulgaire. Celui donc qui se gardera pur sera un instrument de choix, sanctifié, utile à son maître, propre à toute bonne oeuvre. » Voilà ce que j’ai cru nécessaire d’opposer à l’assertion : Même quand une chose paraît être un mal, il n’est pas encore évident qu’elle soit un mal, car on n’en sait pas l’utilité pour soi-même ou pour autrui. Et personne ne doit prendre occasion de ce qui a été dit sur ce point pour commettre le péché sous le prétexte de rendre ainsi service à l’ensemble. LIVRE IV
Quand donc on parle de la colère de Dieu, il s’agit non d’une passion qu’il éprouve, mais d’un procédé qu’il adopte pour corriger par une méthode d’éducation plus sévère ceux qui ont commis de nombreux et graves péchés. Parler de la colère de Dieu et de sa fureur est un procédé pédagogique ; et telle est la pensée du Logos, clairement exprimée par le psaume sixième : « Seigneur ne me reprends point dans ta fureur, ne me corrige point dans ta colère », et dans Jérémie : « Corrige-nous Seigneur, mais selon ta justice et non dans ta fureur, pour ne pas trop nous réduire. » Mais, en lisant dans le second livre des Rois, que la colère de Dieu persuada David de dénombrer le peuple, et dans le premier des Paralipomènes que ce fut « le diable », et en comparant les expressions de l’un à l’autre, on verra ce que désigne « la colère » : cette colère dont tous les hommes sont enfants, au dire de Paul : « Nous étions par nature enfants de colère tout comme les autres. » Que la colère n’est point une passion de Dieu, et que chacun l’attire sur lui par les péchés qu’il commet, Paul le montrera dans ce passage : « Ou bien mépriseras-tu ses trésors de bonté, de patience, de longanimité, sans reconnaître que cette bonté de Dieu te pousse au repentir ? Par ton endurcissement et l’impénitence de ton coeur, tu amasses contre toi un trésor de colère pour le jour de colère où doit se révéler le juste jugement de Dieu. » Comment donc chacun peut-il amasser contre lui-même un trésor de colère pour le jour de colère, si la colère est considérée comme une passion ? Et comment la passion de colère peut-elle être un moyen d’éducation? De plus, le Logos nous enseigne à ne pas du tout nous mettre en colère, et déclare dans le psaume trente-sixième : « Laisse la colère, abandonne la fureur », et dit chez Paul : « Vous aussi rejetez tout cela : colère, fureur, méchanceté, diffamation, vilains propos. » Elle ne saurait donc avoir attribué à Dieu lui-même la passion dont elle nous demande l’abandon total. Il est bien clair que les expressions sur la colère de Dieu sont à prendre au sens figuré, à en juger par ce qui est écrit de son sommeil : comme s’il voulait l’éveiller, le prophète dit : « Lève-toi, pourquoi dors-tu, Seigneur ? » et ajoute : « Le Seigneur s’éveilla comme un dormeur, comme un guerrier terrassé par le vin. » Si donc le mot sommeil a une autre signification que le sens usuel du terme, pourquoi ne pas entendre aussi la colère de la même manière ? LIVRE IV
Puisque j’ai signalé la confusion qui résulte de ses méprises, tâchons de mettre au clair ce point du mieux possible, et d’établir que Celse a beau considérer comme juive la pratique d’adorer le ciel et les anges qui s’y trouvent, une telle pratique, loin d’être juive, est au contraire une transgression du judaïsme, tout comme celle d’adorer le soleil, la terre, les étoiles et encore les statues. Du moins on trouve en particulier dans Jérémie que le Logos de Dieu, par le prophète, reproche au peuple juif d’adorer ces êtres et de sacrifier « à la reine du ciel » et « à toute l’armée du ciel ». De plus, lorsque les chrétiens dans leurs écrits accusent ceux des Juifs qui ont péché, ils montrent que si Dieu abandonne ce peuple c’est entre autres à cause de ce péché. Car il est écrit dans les Actes des Apôtres à propos des Juifs : « Alors Dieu se détourna d’eux et les livra au culte de l’armée du ciel, ainsi qu’il est écrit au livre des prophètes : M’avez-vous offert victimes et sacrifices pendant quarante ans au désert, maison d’Israël ? Et vous avez porté la tente de Moloch, et l’étoile du dieu Rompha, les figures que vous aviez faites pour les adorer. » Et chez Paul, scrupuleusement élevé dans la pratique des Juifs, et plus tard converti au christianisme par une apparition miraculeuse de Jésus, voici une parole de l’Épître aux Colossiens : « Que personne n’aille vous frustrer, se complaisant dans son humilité et dans son culte des anges : visions d’illuminés qui, tout enflés du sot orgueil de leur intelligence charnelle, ne s’attachent pas à la Tête, d’où le corps tout entier, par le jeu des ligaments et jointures, tire nourriture et cohésion, pour réaliser la croissance voulue par Dieu. » Mais Celse qui n’a ni lu ni appris cela a imaginé, je ne sais pourquoi, que les Juifs ne transgressent pas leur loi en adorant le ciel et les anges qui s’y trouvent. C’est encore la confusion et la vue superficielle du sujet qui lui fait croire que les Juifs furent incités à adorer les anges du ciel par les incantations de la magie et de la sorcellerie qui font apparaître des fantômes aux incantateurs. Il n’a pas remarqué que c’eût été enfreindre la loi qui dit précisément à ceux qui veulent le faire : « Ne suivez pas les ventriloques, ne vous attachez pas aux incantateurs pour être souillés par eux : je suis le Seigneur votre Dieu». » Il lui fallait donc ou bien s’abstenir totalement d’attribuer ces pratiques aux Juifs, s’il continuait à voir en eux des observateurs de la loi et à dire qu’ils vivent selon la loi ; ou bien les leur attribuer en prouvant qu’elles étaient le fait des Juifs transgresseurs de la loi. Bien plus, si c’est déjà transgresser la loi que de rendre un culte à des êtres cachés dans je ne sais quelles ténèbres, parce qu’on est aveuglé par l’effet de la magie et qu’on voit en rêves des fantômes indistincts, et que d’adorer ces êtres qui, dit-on, alors vous apparaissent, de même aussi sacrifier au soleil, à la lune et aux étoiles, c’est commettre la transgression suprême de la loi. Donc le même homme ne pouvait dire que les Juifs se gardent d’adorer le soleil, la lune et les étoiles, mais ne se gardent pas d’adorer le ciel et ses anges. LIVRE V
Pour nous qui n’adorons pas plus les anges que le soleil, la lune et les étoiles, s’il faut justifier notre refus d’adorer ceux que les Grecs nomment des dieux visibles et sensibles, nous dirons : même la loi de Moïse sait que ces êtres ont été donnés par Dieu en partage « à toutes les nations qui sont sous le ciel », mais non plus à ceux qui ont été pris par Dieu pour sa part choisie de préférence à toutes les nations qui sont sur la terre. Du moins il est écrit dans le Deutéronome : « Quand tu lèveras les yeux vers le ciel, quand tu verras le soleil, la lune et les étoiles, et toute l’armée du ciel, ne va pas te laisser entraîner à les adorer et à les servir. Le Seigneur ton Dieu les a donnés en partage à toutes les nations qui sont sous le ciel. Mais vous, le Seigneur Dieu vous a pris et vous a fait sortir du creuset, l’Egypte, pour que vous deveniez le peuple de son héritage, comme vous l’êtes encore aujourd’hui. » Le peuple des Hébreux a donc été appelé par Dieu à être « une race choisie », « un sacerdoce royal », « une nation sainte », « un peuple qu’il s’est acquis » : lui dont il avait été prédit à Abraham par la parole du Seigneur s’adressant à lui : « Lève les yeux au ciel et compte les étoiles si tu peux les compter. Et il lui dit : Ainsi sera ta postérité. » Un peuple qui avait l’espérance de devenir comme les étoiles du ciel n’allait pas adorer celles à qui il allait devenir semblable parce qu’il comprenait et observait la loi de Dieu. En effet, il a été dit aux Juifs : « Le Seigneur votre Dieu vous a multipliés et vous êtes aujourd’hui comme les étoiles du ciel. » Voici encore, dans Daniel, une prophétie sur la résurrection : « En ce temps là, ton peuple sera sauvé, quiconque est inscrit dans le livre. Et beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre s’éveilleront, les uns pour une vie éternelle, les autres pour une réprobation et une honte éternelles. Les sages resplendiront comme la splendeur du firmament, et du fait des justes en grand nombre, comme les étoiles pour toujours et à jamais. » De là vient aussi que Paul traitant de la résurrection dit : « Il y a des corps célestes et des corps terrestres ; mais autre est l’éclat des célestes, autre celui des terrestres. Autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat de la lune, autre l’éclat des étoiles. Car une étoile diffère en éclat d’une étoile. Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts. » LIVRE V
Ensuite, pour avoir mal compris les saintes Écritures, ou entendu ceux qui ne les avaient pas pénétrées, il nous fait dire que seront seuls à survivre au moment où la purification par le feu sera infligée au monde non seulement les vivants d’alors, mais même ceux qui seront morts depuis longtemps. Il n’a pas saisi la sagesse cachée qu’enfermé la parole de l’Apôtre de Jésus : « Nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons transformés, en un instant, en un clin d’oeil, au son de la trompette finale ; car la trompette sonnera, les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons transformés. » Il aurait dû savoir la pensée qui portait l’auteur à s’exprimer de la sorte : à ne pas se présenter comme un mort, à se distinguer des morts, lui-même et ceux qui lui ressemblent, et, après avoir dit que « les morts ressusciteront incorruptibles », à ajouter : « et nous, nous serons transformés ». Pour confirmer que telle avait été la pensée de l’Apôtre, quand il a écrit ce que j’ai cité de la Première aux Corinthiens, je présenterai encore le passage de la Première aux Thessaloniciens, où Paul, en homme vivant, éveillé, distinct de ceux qui sont endormis, déclare : « Voici, en effet, ce que nous avons à vous dire sur la parole du Seigneur : nous, les vivants, qui serons encore là lors de l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas les morts. Car au signal donné, à la voix de l’Archange, au son de la trompette divine, le Seigneur en personne descendra du ciel. » Et de nouveau, après cela il ajoute, sachant que les morts dans le Christ sont différents de lui et de ceux qui sont dans le même état que lui : « Ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord. Ensuite, nous, les vivants, qui serons encore là, nous serons emportés ensemble avec eux dans les nuées à la rencontre du Seigneur dans les airs. » LIVRE V
Il a longuement raillé la résurrection de la chair qui est prêchée dans les églises, mais plus nettement comprise par l’élite des penseurs. Inutile donc de redonner son texte déjà cité une fois. Mais puisque cette défense est écrite contre un homme étranger à notre foi, et à cause de ceux qui sont encore de tout petits enfants, ballottés par les flots et emportés « à tout vent de doctrine par la piperie des hommes pour fourvoyer dans l’erreur », qu’on me permette, sur ce problème, d’exposer de mon mieux et d’établir quelques points adaptés aux besoins des lecteurs. Pas plus que les divines Écritures nous ne disons que ceux qui sont morts depuis longtemps, surgissant de terre, vivront avec la même chair sans qu’elle ait reçu d’amélioration ; en le prétendant, Celse nous calomnie. Car nous entendons aussi maints passages scripturaires qui traitent de la résurrection d’une manière digne de Dieu. Il suffît de citer ici le mot de Paul, de la Première aux Corinthiens : « Mais, dira-t-on, comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps reviennent-ils ? ? Insensé ! Ce que tu sèmes, toi, ne reprend vie, s’il ne meurt. Et ce que tu sèmes, ce n’est pas le corps à venir, mais un simple grain, de blé par exemple ou d’une des autres plantes ; et Dieu lui donne un corps à son gré, à chaque semence un corps qui lui est propre ». » Vois donc comment il indique ici que « ce n’est pas le corps à venir » qui est semé, mais qu’il y a comme une résurrection de la semence jetée nue en terre, Dieu donnant « à chaque semence un corps qui lui est propre » : de la semence jetée en terre se lève tantôt un épi, tantôt un arbre comme pour le grain de la moutarde, ou encore un arbre plus grand pour un noyau d’olive ou un des autres fruits. LIVRE V
La circoncision des Juifs n’a pas la même raison que la circoncision des Égyptiens ou des Colchidiens. Aussi ne faut-il pas y voir une circoncision identique à la leur. De même que le sacrificateur ne sacrifie pas à la même divinité, même s’il semble offrir des rites sacrificiels semblables, et que l’homme qui prie ne prie pas la même divinité, même si les demandes des prières sont identiques, ainsi il est faux de dire qu’il n’y ait aucune différence entre les circoncisions, puisqu’elles deviennent tout autres par le but, la loi, l’intention de celui qui les pratique. Pour mieux le faire comprendre on peut dire encore : le nom de la justice est le même pour tous les Grecs. Mais la preuve en est faite : autre est la justice d’Épicure, autre celle des Stoïciens qui nient la division tripartite de l’âme, autre celle des Platoniciens qui voient dans la justice un acte de chacune des parties de l’âme. De même, autre est le courage d’Épicure qui supporte des peines pour en éviter un plus grand nombre, autre celui du Stoïcien qui choisit toute vertu pour elle-même, autre celui du Platonicien qui soutient que c’est une vertu de la partie irascible de l’âme et la localise autour de la poitrine. Ainsi, selon les différentes doctrines de ceux qui se font circoncire, la circoncision peut être différente. C’est un sujet dont il n’est pas nécessaire de parler maintenant dans un traité comme celui-ci ; si on aimait voir les motifs qui m’ont amené à cette position, qu’on lise sur ce point mon commentaire sur l’Épître de Paul aux Romains. LIVRE V
Celse poursuit : ” Qu’on n’aille pas imaginer que je l’ignore: certains d’entre eux conviendront qu’ils ont le même Dieu que les Juifs, mais les autres pensent qu’il y a un dieu différent auquel le premier est opposé, et de qui est venu le Fils “. S’il croit que l’existence de plusieurs sectes parmi les chrétiens constitue un grief contre le christianisme, pourquoi ne verrait-on pas un grief analogue contre la philosophie dans le désaccord entre les écoles philosophiques, non pas sur des matières légères sans importance mais sur les questions capitales ? Il faudrait aussi accuser la médecine à cause des écoles qu’elle présente. Admettons que certains d’entre nous nient que notre Dieu soit le même que le Dieu des Juifs : ce n’est pourtant pas une raison d’accuser ceux qui prouvent par les mêmes Écritures qu’il y a un seul et même Dieu pour les Juifs et les Gentils. Paul le dit clairement, lui qui est passé du judaïsme au christianisme : « Je rends grâces à mon Dieu que je sers comme mes ancêtres avec une conscience pure. » Admettons encore qu’il y ait une troisième espèce, ceux qui nomment les uns psychiques, les autres pneumatiques. Je pense qu’il veut parler des disciples de Valentin. Quelle conclusion en tirer contre nous qui appartenons à l’Église, et condamnons ceux qui imaginent des natures sauvées en vertu de leur constitution ou perdues en vertu de leur constitution ? Admettons même que certains se proclament Gnostiques, à la façon dont les Epicuriens se targuent d’être philosophes. Mais ceux qui nient la Providence ne peuvent être véritablement philosophes, ni ceux qui introduisent ces fictions étranges désavouées par les disciples de Jésus être des chrétiens. Admettons enfin que certains acceptent Jésus, et c’est pour cela qu’ils se vantent d’être chrétiens, mais ils veulent encore vivre selon la loi des Juifs comme la foule des Juifs. Ce sont les deux sortes d’Ébionites : ceux qui admettent comme nous que Jésus est né d’une vierge, ceux qui ne le croient pas né de cette manière mais comme le reste des hommes. Quel grief tirer de tout cela contre les membres de l’Église que Celse a nommés ceux de la foule ? Il ajoute : Parmi eux, il y a encore des Sibyllistes, peut-être pour avoir compris de travers des gens qui blâment ceux qui croient au don prophétique de la Sibylle et les ont appelés Sibyllistes. Puis, déversant sur nous une masse de noms, il déclare connaître encore certains Simoniens qui vénèrent Hélène ou Hélénos leur maître et sont appelés Héléniens. Celse ignore que les Simoniens refusent absolument de reconnaître Jésus comme Fils de Dieu : ils affirment que Simon est une puissance de Dieu et racontent les prodiges de cet homme qui, en simulant les prodiges analogues à ceux que Jésus avait simulés, selon lui, avait cru qu’il aurait autant de pouvoir sur les hommes que Jésus parmi la foule. Mais il était impossible à Celse comme à Simon de comprendre la manière dont Jésus a pu ensemencer, en bon « laboureur » de la parole de Dieu, la majeure partie de la Grèce et la majeure partie de la barbarie, et remplir ces pays des paroles qui détournent l’âme de tout mal et la font monter au Créateur de l’univers. Celse connaît encore les Marcelliniens disciples de Marcellina, les Harpocratiens disciples de Salomé, d’autres disciples de Mariamme et d’autres disciples de Marthe. Malgré mon zèle à l’étude, non seulement pour scruter le contenu de notre doctrine dans la variété de ses aspects, mais encore, autant que possible, pour m’enquérir sincèrement des opinions des philosophes, je n’ai jamais rencontré ces gens-là. Celse mentionne encore les Marcionites qui mettent à leur tête Marcion. Ensuite, pour donner l’apparence qu’il en connaît encore d’autres que ceux qu’il a nommés, il généralise à son habitude : Certains ont trouvé comme maître un chef et un démon, d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans d’épaisses ténèbres à perpétrer plus d’impiétés et de souillures que les thyases d’Egypte. En effleurant le sujet, il me paraît bien avoir dit quelque chose de vrai : certains ont trouvé comme chef un démon, et d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans les épaisses ténèbres de l’ignorance. Mais j’ai déjà parlé d’Antinoos qu’il compare à notre Jésus et je n’y reviendrai pas. LIVRE V
Et cet homme qui professe tout savoir ajoute ces déclarations :” Tous ces gens si radicalement séparés, qui dans leurs querelles se réfutent si honteusement eux-mêmes, on les entendra répéter : le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde”. Voilà tout ce que Celse paraît avoir retenu de Paul. Pourquoi donc ne citerais-je pas tant d’autres passages comme celui-ci : « Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas avec les moyens de la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais elles ont, pour la cause de Dieu, le pouvoir de renverser les forteresses. Nous détruisons les sophismes et toute puissance altière qui se dresse contre la connaissance de Dieu. » LIVRE V
Et puisqu’il dit : Tous ces gens si radicalement séparés, on les entendra répéter : Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde, je vais le convaincre de mensonge. Il y a des sectes qui ne reçoivent pas les Epîtres de l’Apôtre Paul : les Ébionites des deux sortes et ceux qu’on appelle Encratites. Ils ne citent donc pas l’Apôtre comme un bienheureux et un sage et ne sauraient dire : « Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde. » Voilà encore un mensonge de Celse. Il a beau insister dans son accusation contre la différence des sectes, il n’a, me semble-t-il, aucune idée claire de ce qu’il dit, il n’a même pas sérieusement examiné ni compris la raison pour laquelle les chrétiens avancés dans les Écritures prétendent connaître plus de choses que les Juifs. Veut-il dire que tout en admettant les mêmes livres que les Juifs, ils les interprètent en sens contraire, ou qu’ils refusent d’admettre les livres des Juifs ? On pourrait en effet trouver ces deux attitudes dans les sectes. Après quoi il déclare : Eh bien ! même si leur religion n’a aucun fondement, examinons la doctrine elle-même. Il faut d’abord dire tout ce qu’ils ont mal compris et gâté par l’ignorance, la présomption les faisant aussitôt trancher à tort et à travers sur les principes en des matières qu’ils ne connaissent pas. En voici des exemples. Et aussitôt, à certaines expressions continuellement sur les lèvres de ceux qui croient à la doctrine chrétienne, il en oppose d’autres tirées des philosophes ; il prétend que celles des doctrines dont il reconnaît la beauté chez les chrétiens ont été exprimées avec plus de beauté et de clarté chez les philosophes ; il veut par là entraîner à la philosophie ceux que captivent ces doctrines par elles-mêmes resplendissantes de beauté et de piété. Mais terminons ici même ce cinquième livre, et commençons le sixième avec le passage qui suit. LIVRE V
Voici en quels termes Paul s’explique à leur sujet : « La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et injustice des hommes qui tiennent la vérité captive dans l’injustice ; car ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu le leur a manifesté. Ses oeuvres invisibles, depuis la création du monde, grâce aux choses créées sont perceptibles à l’esprit, et sa puissance éternelle et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni action de grâce, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements, et leur coeur inintelligent s’est enténébré. Dans leur prétention à être sages, ils sont devenus fous et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles. » Comme en témoigne notre Ecriture, ils retiennent la vérité captive ceux qui pensent que « le Souverain Bien est absolument ineffable » et ajoutent : « c’est d’un long commerce avec lui et d’une vie commune qu’il naît soudain, comme d’une flamme jaillissante une lumière surgie dans l’âme, et désormais il se nourrit lui-même. » LIVRE VI
Celse cite un autre passage de la Lettre de Platon: « Si j’avais jugé qu’on dût l’écrire et le dire pertinemment à l’adresse du grand public, qu’aurais-je pu accomplir de plus beau dans ma vie que de rendre à l’humanité le grand service de l’écrire et de mettre pour tous en lumière le fond des choses ? » Qu’on me permette de le discuter brièvement. D’abord, Platon a-t-il eu oui ou non une doctrine plus sage que celle qu’il a écrite et plus divine que celle qu’il a laissée, je laisse à chacun le soin de le rechercher de son mieux. Mais je montre que nos prophètes aussi ont eu dans l’esprit des pensées trop élevées pour être écrites et qu’ils n’ont pas écrites. Ainsi, Ézéchiel prend « un volume roulé, écrit au recto et au verso, où étaient des lamentations, des gémissements et des plaintes » et, sur l’ordre du Logos il mange le livre, afin qu’il ne soit ni transcrit ni livré aux indignes. Et il est rapporté que Jean a vu et fait des choses semblables. De plus, Paul « entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de prononcer ». Jésus, qui leur est supérieur à tous, comme il est dit, « expliquait à ses disciples en particulier » la parole de Dieu, surtout dans la solitude ; mais ses paroles n’ont pas été écrites. C’est qu’ils n’ont pas jugé devoir l’écrire et le dire pertinemment à l’adresse du grand public. Et s’il n’est pas outrecuidant de dire la vérité sur de tels génies, j’affirme que, recevant leurs pensées par une grâce de Dieu, ils voyaient mieux que Platon ce qu’on devait écrire et comment l’écrire et ce qu’on ne devait absolument pas écrire pour le grand public, ce qu’on devait dire et ce qui était d’un autre ordre. C’est encore Jean qui nous enseigne la différence entre ce qu’on doit écrire et ce qu’on ne doit pas écrire, quand il dit avoir entendu sept tonnerres l’instruire de certains points, mais lui interdire de transmettre leurs paroles par écrit. LIVRE VI
Déjà chez Moïse et les prophètes, antérieurs non seulement à Platon mais encore à Homère et à l’invention de l’alphabet chez les Grecs, on trouve bien des passages répondant à la grâce que Dieu leur avait donnée et pleins de pensées sublimes. Ils étaient loin d’avoir dit cela pour avoir compris Platon de travers, comme le croit Celse : comment eussent-ils pu entendre celui qui n’était pas encore né ? Et pour appliquer le mot de Celse aux apôtres de Jésus, plus récents que Platon, vois s’il n’est pas d’emblée invraisemblable de dire que Paul le fabricant de tentes, Pierre le pêcheur, Jean qui a laissé les filets de son père, aient transmis une telle doctrine sur Dieu pour avoir compris de travers les propos de Platon dans ses Lettres. Et, bien que souvent déjà Celse ait répété que nous demandons une foi immédiate, il l’affirme encore comme une nouveauté qui s’ajouterait à ses propos antérieurs ; mais la réponse déjà faite suffit. LIVRE VI
Il ajoute : On le voit, Platon, bien qu’il pose avec fermeté que le Bien est ineffable, toutefois, pour ne point paraître éluder toute discussion, donne la raison de celte difficulté: car peut-être que le néant même pourrait être exprimable. Puisqu’il prétend là établir qu’il ne faut pas simplement croire, mais rendre raison de sa foi, nous citerons, nous aussi, le mot de Paul pour blâmer ceux qui croient à la légère : « Autrement, vous auriez cru en vain. » LIVRE VI
Je passe donc à une autre accusation de Celse. Il ne connaît même pas nos textes, mais, par suite de méprises, nous accuse de soutenir que la sagesse humaine est folie devant Dieu, alors que Paul dit : « La sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » Celse ajoute : La raison de cette maxime a été dite depuis longtemps. D’après lui, la raison qui nous fait tenir ce langage est la volonté d’attirer les seuls gens incultes et stupides. Mais comme il l’a noté lui-même, il en a déjà parlé plus haut, et j’ai répondu de mon mieux à l’argument. Il n’en a pas moins tenu à montrer que nous l’avions imaginé, ou emprunté aux sages de la Grèce disant qu’autre est la sagesse humaine, autre la sagesse divine. Il cite même deux passages d’Héraclite ; l’un où il dit : « Le caractère humain n’a pas de pensée, le divin en a » ; et l’autre : « Marmot! L’homme s’entend appeler ainsi par le génie, comme l’enfant par l’homme. » Il cite en outre l’Apologie de Socrate par Platon: « Quant à moi, Athéniens, ce n’est à rien d’autre qu’à la sagesse que je dois ce nom qu’on me donne. Mais de quelle sorte, celte sagesse? Celle-là même qu’est sans doute une sagesse humaine. Réellement oui, il y a des chances que cette sagesse je la possède. » LIVRE VI
D’où la déclaration de Paul : « A l’un, un discours de sagesse est donné par l’Esprit, à l’autre un discours de connaissance selon le même Esprit, à un autre la foi dans le même Esprit. » Pour cette raison, ce ne sont pas les premiers venus que l’on pourrait trouver en possession de la divine sagesse, mais ceux qui sont éminents et supérieurs parmi tous les adhérents au christianisme ; et ce n’est point aux plus incultes, aux esclaves, aux moins instruits que l’on divulgue les secrets de la sagesse divine. LIVRE VI
Pour moi, je ne doute pas que Platon ait écrit les maximes du Phèdre après les avoir apprises de certains auteurs hébreux ou même, comme on l’a dit, après avoir lu les discours prophétiques, quand il disait par exemple : « Ce lieu supracéleste, nul poète encore sur cette terre ne l’a célébré, ni ne le célébrera jamais autant qu’il le mérite », et la suite où on lit encore : « L’essence qui réellement est sans couleur, sans forme, impalpable, objet de contemplation pour le seul pilote de l’âme, notre intellect, dont relève le savoir authentique, c’est ce lieu qu’elle occupe. » Notre Paul, qui devait sa formation à ces écrits prophétiques, aspire aux biens supraterrestres et supracélestes et fait tout en vue de ces biens pour les obtenir. Il dit dans la seconde Épître aux Corinthiens : « Oui, la légère tribulation d’un moment nous prépare, bien au delà de toute mesure, une masse éternelle de gloire. Aussi bien ne regardons-nous pas aux choses visibles, mais aux invisibles ; les choses visibles en effet n’ont qu’un temps, les invisibles sont éternelles. » LIVRE VI
Ainsi, à qui peut comprendre, Paul présente sans ambages les choses sensibles, sous le nom de visibles et les réalités intelligibles que l’esprit seul peut saisir, sous le nom d’invisibles. Il sait que les choses sensibles ou visibles n’ont qu’un temps, que les réalités intelligibles ou invisibles sont éternelles. Pour parvenir à leur contemplation, soutenu par l’ardent désir qui le porte vers elles, il regarde toute tribulation comme un rien ou une chose bien légère. Au temps même de la tribulation et des épreuves, loin d’en être accablé, il regarde comme légère toute vicissitude, grâce à la contemplation de ces réalités. Car nous avons « un Grand-Prêtre insigne qui a pénétré les cieux » par la grandeur de sa puissance et de son esprit, « Jésus le Fils de Dieu ». Il a promis à ceux qui ont véritablement appris les choses divines et qui ont vécu d’une manière digne d’elles, de les conduire aux biens qui sont au-delà du monde. Car il dit : « Afin que là où je suis, vous soyez vous aussi ». C’est pourquoi nous espérons après les peines et les luttes d’ici-bas, parvenir aux sommets célestes, et recevoir des sources « d’eau jaillissant en vie éternelle » suivant l’enseignement de Jésus, contenir des fleuves de contemplations et être avec ces eaux dites supracélestes qui louent le nom du Seigneur. Tant que durera notre louange, nous ne serons pas emportés loin du cercle du ciel, mais nous nous appliquerons à contempler les oeuvres invisibles de Dieu : elles nous seront perceptibles non plus comme « depuis la création du monde grâce aux choses créées », mais comme l’a indiqué le véritable disciple de Jésus en disant : « mais alors, face à face », et « Quand viendra ce qui est parfait, ce qui est imparfait disparaîtra. » LIVRE VI
A en juger par ces paroles, je crois pouvoir conjecturer qu’il a tiré en partie sa description du diagramme des doctrines mal comprises de la secte fort obscure des Ophites. Dans mon avidité de savoir, j’ai fini par découvrir ce diagramme. On y trouve les inventions de ces hommes qui, au dire de Paul, « s’introduisent dans les maisons et envoûtent des femmelettes chargées de péchés, entraînées par toutes sortes de passions et qui, toujours à s’instruire, ne sont jamais capables de parvenir à la connaissance de la vérité ». Mais ce diagramme comporte tant d’invraisemblance qu’il n’obtient l’assentiment ni des femmelettes faciles à duper, ni des plus rustres prêts à se laisser convaincre par la moindre vraisemblance. J’ai eu beau parcourir bien des régions de la terre, rechercher partout ceux qui font profession de savoir, je n’ai jamais rencontré personne qui prît au sérieux l’enseignement de ce diagramme. LIVRE VI
Celse rejette encore notre doctrine sur « l’Antéchrist », sans avoir lu ce qu’en disent Daniel et Paul, ni ce que le Sauveur prédit dans les Évangiles au sujet de sa Parousie; il faut en traiter brièvement. « Pas plus que ne se ressemblent leurs visages, les coeurs des hommes ne se ressemblent. » Il est clair que des différences peuvent se trouver entre les coeurs des hommes : soit entre ceux qui ont opté pour le bien, mais n’ont pas tous également et de même manière été marqués et transformés dans leur élan vers lui ; soit entre ceux qui méprisent le bien et se précipitent en sens contraire. Car parmi eux le débordement du vice est violent chez les uns et moindre chez les autres. LIVRE VI
Paul nous parle de l’« Antéchrist », enseigne et établit, non sans quelque réserve mystérieuse, la manière, la date et la raison de sa venue au genre humain. Et vois si l’exposé qu’il en donne n’est pas du plus grand sérieux, sans mériter la moindre raillerie. Il s’exprime en ces termes : « Nous vous le demandons, frères, à propos de l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ et de notre rassemblement auprès de lui, ne vous laissez pas trop vite troubler l’intelligence ni alarmer par un esprit, une parole, une lettre soi-disant de nous, annonçant que le Jour du Seigneur est déjà là. Que personne ne vous abuse d’aucune manière ; car il faut d’abord que vienne l’apostasie, et que se révèle l’homme impie, l’être perdu, l’Adversaire, celui qui s’élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. Ne vous souvient-il pas que je vous le disais quand j’étais encore près de vous ? Et vous savez que ce qui le retient présentement de façon qu’il ne se révèle qu’à son moment. LIVRE VI
Elucider chacun de ces points ne répond pas à notre propos actuel. Il y a aussi dans Daniel la prophétie sur l’Antéchrist, bien capable de porter le lecteur sensé et judicieux à admirer ces paroles véritablement inspirées et prophétiques : elles renferment l’histoire des empires futurs depuis l’époque de Daniel jusqu’à la destruction du monde. Chacun peut la lire si bon lui semble. D’ailleurs vois si la prédiction de l’Antéchrist n’a pas ce caractère : « Et à la fin de leur règne, quand ils seront au comble de leurs péchés, se lèvera un roi au visage impudent, au fait des questions ; sa force sera puissante, il fera des ravages prodigieux, il réussira dans ses entreprises, il détruira les puissants et le peuple saint ; le joug de sa chaîne sera prospère ; la ruse dans la main, la fierté dans le coeur, il détruira par ruse beaucoup de gens ; il se tiendra debout pour la perte de beaucoup et, comme des oeufs, il les brisera dans sa main. » Et ce qui est dit chez Paul, dans le passage que j’ai cité de lui : « Il ira jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu en se produisant lui-même comme Dieu », a également été dit dans Daniel de cette manière : « Et sur le temple sera l’abomination de la désolation, et jusqu’à l’accomplissement du temps sera accomplie la désolation. » LIVRE VI
Voyons donc brièvement la question du bien et du mal à la lumière des divines Écritures, et la réponse à faire à l’objection : Comment Dieu pouvait-il créer le mal ? Comment est-il incapable de persuader, de réprimander ? D’après les divines Écritures, le bien au sens propre consiste dans les vertus et les actions vertueuses, et le mal au sens propre, dans leurs contraires. Je me contenterai ici des paroles du psaume trente-troisième qui établissent ce point : « Qui cherche le Seigneur ne manque d’aucun bien. Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous apprendrai la crainte du Seigneur. Quel est l’homme qui désire la vie, qui aime voir des jours heureux ? Garde ta langue du mal, tes lèvres des paroles trompeuses. Détourne-toi du mal et fais le bien. » En effet, l’injonction « détourne-toi du mal et fais le bien » n’a en vue ni le bien et le mal physiques, comme les nomment certains, ni les choses extérieures, mais le bien et le mal de l’âme. Car justement, celui qui s’est détourné de ce genre de mal et accomplit ce genre de bien par désir de la vie véritable y parviendra ; « Celui qui aime voir des jours heureux » où le Logos est le soleil de justice les atteindra, Dieu le délivrant « du monde présent qui est mauvais » et de ces mauvais jours dont Paul disait : « Mettez à profit le temps présent ; car les jours sont mauvais. » LIVRE VI
On pourrait, sans erreur, en dire autant de ceux qu’on appelle « artisans de persuasion ». Car il est possible que même l’homme qui possède à fond les préceptes de la rhétorique et en use comme il se doit fasse tout pour persuader et cependant, faute d’obtenir l’adhésion de celui qui doit être persuadé, semble ne point persuader. C’est que, si la force persuasive des paroles vient de Dieu, la persuasion, elle, ne vient pas de Dieu. Telle est la leçon expresse de Paul : « Cette persuasion ne vient pas de celui qui vous appelle » ; tel est aussi le sens de la parole : « Si vous voulez m’obéir, vous mangerez les biens de la terre ; mais si vous ne voulez pas m’obéir, l’épée vous dévorera ». LIVRE VI
Celse affirme de Dieu : Tout est de lui, bien qu’il ait, je ne sais pourquoi, tout séparé de lui. Mais notre Paul dit : « Tout est de lui et par lui et pour lui », montrant par les expressions « de lui » qu’il est le principe de la réalité du tout, « par lui » qu’il est leur soutien, « pour lui » qu’il est leur fin. Il est vrai que Dieu n’est issu de rien. LIVRE VI
Dire que les péchés sont bois, herbe ou chaume ne veut pas dire que les péchés soient des corps, et dire que les bonnes actions sont or, argent, pierres précieuses ne veut pas déclarer que les bonnes actions soient des corps ; ainsi, la parole : « Dieu est un feu qui dévore le bois, l’herbe, le chaume » et toute réalité de péché, ne veut pas faire penser que Dieu soit un corps. Et comme le dire « feu » n’est pas comprendre qu’il soit un corps, de même dire que Dieu est esprit ne veut pas dire qu’il soit un corps. C’est pour les opposer aux choses sensibles que l’Écriture a coutume de nommer esprits et spirituelles les réalités intelligibles. Par exemple, quand Paul dit : « Mais notre qualité vient de Dieu, qui nous a qualifiés pour être ministres d’une alliance nouvelle, non de la lettre mais de l’esprit ; car la lettre tue, mais l’esprit vivifie », il a nommé l’interprétation sensible des divines Écritures « la lettre », et « l’esprit » l’interprétation intelligible. LIVRE VI
Avec lui s’accorde Paul lui-même, selon qui « la lettre tue », autant dire le sens littéral, et « l’esprit vivifie », autant dire le sens spirituel. On peut ainsi trouver chez Paul quelque chose d’analogue aux contradictions apparentes du prophète. Ézéchiel avait dit : « Je leur ai donné des jugements qui ne sont pas bons et des prescriptions qui ne sont pas bonnes, dont ils ne pourront vivre » ; et ailleurs : « Je leur ai donné des jugements bons et des prescriptions bonnes, dont ils pourront vivre », ou l’équivalent. Paul de même, pour attaquer le légalisme littéral, dit : « Or, si le ministère de la mort, gravé en lettres sur des pierres, a été entouré d’une telle gloire que les enfants d’Israël ne pouvaient regarder fixement le visage de Moïse en raison de la gloire pourtant passagère de ce visage, comment le ministère de l’Esprit ne serait-il pas plus glorieux ? » Et ailleurs il admire et loue la loi qu’il nomme spirituelle : « Mais nous savons que la loi est spirituelle », et il l’approuve : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. » LIVRE VI
De la même manière que la richesse, on doit interpréter la puissance qui permet, au dire de l’Écriture, à un juste de poursuivre un millier d’ennemis, et à deux de mettre en fuite des myriades. Si tel est le sens des paroles sur la richesse, vois s’il n’est pas conforme à la promesse de Dieu que l’homme qui est riche en toute doctrine, toute science, toute sagesse, toute ?uvre bonne puisse prêter de sa richesse en doctrine, en sagesse, en science, à de nombreuses nations, ainsi que put faire Paul à toutes les nations qu’il avait visitées quand il rayonna de Jérusalem jusqu’en Illyrie, menant à bien la prédication de l’Évangile du Christ. Comme son âme se trouvait illuminée par la divinité du Logos, les secrets divins se faisaient connaître à lui par révélation : il n’empruntait rien et n’avait nul besoin qu’on lui transmît la doctrine. LIVRE VI
Mais, comme il est écrit : « Tu domineras bien des nations et elles ne te domineront pas », en vertu de la puissance que lui conférait le Logos, Paul dominait ceux de la Gentilité en les soumettant à l’enseignement du Christ Jésus, sans jamais se soumettre nulle part à des hommes comme s’ils lui étaient supérieurs. Et dans le même sens « il remplissait toute la terre ». LIVRE VI
En disant que le Dieu de l’univers est esprit, ou qu’il est au delà de l’esprit et de l’essence, simple, invisible, incorporel, nous affirmons que Dieu n’est pas compris par un autre que par celui qui a été créé à l’image de cet esprit ; maintenant, pour employer l’expression de Paul, « dans un miroir, d’une manière confuse, mais alors, face à face. » Si je dis « face », qu’on ne vienne point, à cause du terme, critiquer le sens qu’il comporte. Mais cette phrase : « Le visage découvert, nous réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image de plus en plus resplendissante », doit nous apprendre qu’il n’est point question ici d’une face perceptible aux sens, mais entendue au figuré, comme quand il s’agit des yeux, des oreilles et, on l’a montré plus haut, de tout ce qui porte le même nom que les organes du corps. LIVRE VI
De plus, lorsque Platon dit que, une fois découvert l’auteur et le père de l’univers, il est impossible de le dire à tous, il déclare non point qu’il soit ineffable et innommable, mais bien qu’il est exprimable et peut être dit à un petit nombre. Puis Celse, comme s’il avait oublié les paroles de Platon qu’il a citées, dit que même à ceux-là Dieu est innommable : Mais puisque les sages l’ont trouvée pour nous faire acquérir quelque notion de l’Être innommable et Premier. Or nous disons que Dieu n’est pas le seul être ineffable, mais qu’il en est d’autres parmi les êtres inférieurs à lui. C’est ce que Paul s’est efforcé d’indiquer en disant : « Il entendit des mots ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de prononcer », phrase où « il entendit » est synonyme de « il comprit » comme dans l’exemple : « Que celui qui a des oreilles pour entendre entende ! » LIVRE VI
Me voici parvenu à la fin de sept livres et je veux en aborder un huitième. Que Dieu et son Fils unique le Logos daignent m’assister pour que les mensonges de Celse, vainement intitulés ” Discours véritable “, y trouvent une réfutation pertinente, et les vérités du christianisme, dans la mesure où le comporte le sujet, une démonstration inébranlable. Je demande de pouvoir dire avec la sincérité de Paul : « Nous sommes en ambassade pour le Christ, comme si Dieu exhortait par nous » ; et de pouvoir être en ambassade pour le Christ auprès des hommes dans l’esprit où le Logos de Dieu les appelle à son amitié : car il veut unir intimement à la justice, à la vérité, aux autres vertus ceux qui, avant de recevoir les doctrines de Jésus-Christ, avaient passé leur vie dans les ténèbres au sujet de Dieu et dans l’ignorance du Créateur. Et je dirai encore : que Dieu nous donne son noble et véritable Logos, le Seigneur puissant et fort « dans la guerre » contre le mal. Maintenant, il me faut aborder le texte suivant de Celse et y répondre. LIVRE VIII
Telles sont les idées concernant le Seigneur et les seigneurs que les divines Écritures proposent à notre recherche et à notre réflexion, disant ici : « Célébrez le Dieu des dieux, car sa pitié est éternelle, célébrez le Seigneur des seigneurs », et là : « Dieu est Roi des rois et Seigneur des seigneurs ». Et l’Écriture distingue les prétendus dieux de ceux qui le sont en effet, qu’ils en aient ou non le titre. Paul enseigne la même doctrine sur les seigneurs authentiques ou non : « Bien qu’il y ait au ciel et sur la terre de prétendus dieux, et de fait il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs.» Puis, comme «le Dieu des dieux », par Jésus, appelle du levant et du couchant ceux qu’il veut à son héritage, comme le Christ de Dieu qui est Seigneur prouve qu’il est supérieur à tous les seigneurs, du fait qu’il a pénétré les territoires de tous et qu’il appelle à lui les gens de tous ces territoires, Paul, parce qu’il savait tout cela, dit après le passage cité : « Mais pour nous il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes. » Et, percevant là une doctrine admirable et mystérieuse, il ajoute : « Mais tous n’en ont pas la science. » Or, en disant : « Mais pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe », il désigne par « nous » lui-même et tous ceux qui se sont élevés jusqu’au suprême Dieu des dieux et au Seigneur des seigneurs. On s’est élevé jusqu’au Dieu suprême lorsqu’on l’adore sans séparation, division ni partage, par son Fils, Logos de Dieu et Sagesse que l’on contemple en Jésus, qui seul Lui amène ceux qui s’efforcent en toutes manières de s’unir au Créateur de l’univers par la qualité de leurs paroles, de leurs actions et de leurs pensées. Pour cette raison, je crois, et d’autres semblables, le Prince de ce monde, se transformant en ange de lumières, a fait écrire : « A sa suite vient toute une armée de dieux et de démons, répartis en onze sections », dans l’ouvrage où à propos de lui-même et des philosophes il dit : « Nous sommes, nous, avec Zeus, et d’autres sont avec d’autres démons. » LIVRE VIII
Puisqu’il y a nombre de dieux prétendus ou réels, comme aussi de seigneurs, nous faisons tout pour nous élever au-dessus, non des seuls êtres honorés comme dieux par les nations de la terre, mais encore même de ceux qui sont appelés dieux par les Écritures. Ces derniers sont ignorés de ceux qui sont étrangers aux alliances de Dieu données par Moïse et notre Sauveur Jésus, et de ceux qui sont exclus de ses promesses qu’ils ont rendues manifestes. On s’élève au-dessus de l’esclavage de tous les démons quand on s’abstient de toute ” oeuvre chère aux démons. On s’élève au-dessus de la catégorie de ceux que Paul nomme des dieux, quand on regarde comme eux, ou de toute autre manière, « non aux choses visibles, mais aux invisibles ». Et, à voir comment « la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu, car la création a été soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de Celui qui l’a soumise, avec l’espérance », à bénir la création et à considérer comment elle sera toute entière « libérée de l’esclavage de la corruption » et parviendra « à la liberté de la gloire des enfants de Dieu », on ne peut être entraîné à servir Dieu et un autre avec lui, ni à servir deux maîtres. Il ne s’agit donc point d’un cri de révolte, chez ceux qui ont compris les réflexions de ce genre et qui refusent de servir plusieurs maîtres. Aussi se contentent-ils du Seigneur Jésus-Christ qui enseigne par lui-même ceux qui le servent, pour que, une fois instruits et devenus un royaume digne de Dieu, il les remette à son Dieu et Père. De plus, ils se séparent et ils rompent avec ceux qui sont étrangers à la cité de Dieu, exclus de ses alliances, pour vivre en citoyens du ciel en s’avançant vers le Dieu vivant et « la cité de Dieu, la Jérusalem céleste, ses myriades d’anges en réunion de fête, et l’église des premiers-nés qui sont inscrits au ciel. » LIVRE VIII
Par ailleurs, les divines Écritures ont une manière mystérieuse d’enseigner la doctrine de la résurrection à ceux qui sont capables d’entendre avec une oreille plus divine les paroles de Dieu. En disant que le temple sera reconstruit de pierres vivantes et très précieuses, elles insinuent que chacun de ceux à qui le même Logos inspire de tendre à la piété qu’il enseigne est une pierre précieuse intégrée au temple de Dieu. C’est la déclaration de Pierre : « Mais vous êtes édifiés, tels des pierres vivantes et une maison spirituelle, en un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ. » C’est celle de Paul : « Vous êtes édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, et la pierre d’angle est Jésus-Christ notre Seigneur. » C’est le sens mystérieux renfermé dans le passage d’Isaïe adressé à Jérusalem : « Voici que je vais te préparer comme pierre de l’escarboucle et comme fondations du saphir, je ferai tes créneaux de rubis, tes portes de cristal, ton enceinte de pierres précieuses ; tous tes fils seront instruits par Dieu ; tes enfants habiteront dans une grande paix, et tu seras édifiée dans la justice. » LIVRE VIII
Si toutefois les fêtes publiques, qui ne sont telles que de nom, ne présentent aucune raison démonstrative qu’elles s’harmonisent avec le culte offert à la divinité, s’il était prouvé au contraire qu’elles sont des inventions de gens qui les ont instituées d’aventure en relation avec des événements historiques ou des théories naturalistes sur l’eau, la terre, les fruits qu’elle semble produire, il est clair que, pour qui veut honorer la divinité avec le soin requis, il sera raisonnable de s’abstenir de prendre part aux fêtes publiques. En effet, comme dit excellemment un sage grec : « Célébrer une fête n’est rien d’autre que de faire son devoir. » Et c’est même célébrer la fête selon la vérité que de faire son devoir en priant toujours, en ne cessant pas d’offrir à la divinité les sacrifices non sanglants dans les prières. Pour cette raison, je trouve magnifique le mot de Paul : « Vous observez les jours, les mois, les saisons, les années ? J’ai bien peur pour vous d’avoir peut-être chez vous perdu ma peine. » LIVRE VIII
Mais la multitude de ceux qui semblent croire n’a pas cette ferveur : elle ne veut ou ne peut célébrer comme des fêtes tous les jours ; elle a besoin, pour se ressouvenir, de modèles sensibles qui la préservent de l’oubli total. C’était je suppose, la pensée qui conduisit Paul à nommer fête partielle la fête fixée à des jours distincts des autres : il laissait entendre par cette expression que la vie en continuel accord avec le divin Logos n’est pas une fête partielle» mais la fête intégrale et ininterrompue. Après ce développement sur nos fêtes et la comparaison avec les fêtes publiques de Celse et des païens, vois donc si nos fêtes ne sont pas infiniment plus vénérables que ces fêtes populaires où le « désir de la chair » qui les anime entraîne aux débordements de l’ivresse et de l’impudeur. LIVRE VIII
Voyons les paroles de Celse qui nous exhorte à manger des viandes offertes aux idoles et à participer aux sacrifices publics au cours des fêtes publiques. Les voici : Si ces idoles ne sont rien, quel danger y a-t-il à prendre part au festin? Et si elles sont des démons, il est évident qu’eux aussi appartiennent à Dieu, qu’il faut croire en eux et leur offrir selon les lois des sacrifices et des prières pour les rendre bienveillants. En réponse, il sera utile de prendre en main la Première aux Corinthiens et d’expliquer tout le raisonnement de Paul sur les idolothytes. Là, contre l’opinion qu’une idole n’est rien dans le monde, il établit le préjudice causé par les idolothytes. Il montre à ceux qui sont capables d’entendre ses paroles que recevoir une part des idolothytes est un acte tout aussi criminel que de verser le sang, car c’est faire périr des frères pour lesquels le Christ est mort. Ensuite, posant le principe que les victimes des sacrifices sont offertes aux démons, il déclare que participer à la table des démons est entrer en communion avec les démons et il affirme l’impossibilité « d’avoir part en même temps à la table du Seigneur et à la table des démons. » Mais comme l’explication détaillée de ces points de l’épître aux Corinthiens demanderait tout un traité d’amples discussions, je me contenterai de ces brèves remarques. A bien les examiner, on verra que même si les idoles ne sont rien, il n’en est pas moins dangereux de prendre part au festin des idoles. J’ai suffisamment prouvé aussi que même si les sacrifices sont offerts à des démons, nous ne devons pas y prendre part, nous qui savons la différence qu’il y a entre la table du Seigneur et celle des démons et qui, le sachant, faisons tout pour avoir toujours part à la table du Seigneur, mais évitons de toute manière d’avoir jamais part à la table des démons. LIVRE VIII
Aussi déclara-t-il : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur, mais ce qui sort de la bouche… Car, ce qui entre dans la bouche passe dans le ventre pour être jeté aux lieux d’aisances, mais ce qui sort de la bouche, ce sont pensées perverses qu’on exprime, meurtres, adultères, fornications, vols, faux témoignages, diffamations.» Paul dit de même : « Ce n’est pas un aliment qui nous vaudra la faveur de Dieu. Si nous en mangeons, nous n’avons rien de plus, si nous n’en mangeons pas, nous n’avons rien de moins. » Ensuite, comme il y avait là quelque obscurité exigeant une précision, « il fut décidé par les apôtres de Jésus et les anciens » qui étaient rassemblés à Antioche, et comme ils le dirent eux-mêmes, « par le Saint-Esprit », d’adresser aux fidèles venus de la gentilité une lettre leur interdisant de manger seulement ce dont ils déclarèrent nécessaire de s’abstenir : c’est-à-dire les idolothytes, les viandes étouffées et le sang. LIVRE VIII