Quel sujet d’étonnement en effet, même pour des gens moyennement doués : l’accusé, victime du faux témoignage, pouvait se défendre, prouver qu’aucune charge ne l’atteignait, faire un long panégyrique de sa propre vie et de ses miracles, manifestement venus de Dieu, pour frayer au juge la voie d’une sentence favorable ; bien loin de le faire, il n’eut que mépris et noble dédain pour ses accusateurs. Et que le juge, à la moindre défense, eût sur-le-champ libéré Jésus, c’est ce que montrent soit la parole qu’on rapporte de lui : « Lequel des deux voulez-vous que je vous relâche : Barabbas ou Jésus qu’on appelle Christ ? », soit ce qu’ajouté l’Ecriture : « Il savait qu’on l’avait livré par jalousie. » Or Jésus ne cesse d’être en butte aux faux témoignages, et il n’est pas d’instant, vu la malice qui règne chez les hommes, où il ne soit accusé. Et lui, aujourd’hui encore, se tait devant ces attaques et ne répond point de sa propre voix ; mais il a sa défense dans la vie de ses véritables disciples, témoignage éclatant des faits réels, victorieux de toute calomnie, et il réfute et renverse les faux témoignages et les accusations. PRÉFACE
Voilà la préface que j’ai décidé, une fois parvenu dans ma réfutation de Celse à l’entrée en scène du Juif qui attaque Jésus, de mettre en tête de l’ouvrage. Et cela, pour que le lecteur de mes répliques à Celse la trouve dès l’abord et voie que ce livre n’est pas du tout écrit pour des fidèles, mais soit pour ceux qui n’ont aucune expérience de la foi au Christ, soit pour ceux qui, au dire de l’Apôtre, sont faibles dans la foi ; car, dit-il « celui qui est faible dans la foi, accueillez-le ». Que cette préface me serve d’excuse pour avoir suivi un plan au début de mes réponses à Celse, et un autre après ce début. Mon intention était d’abord de noter les chefs d’accusation et, brièvement, ce qu’on peut y répondre, et puis de composer le discours en un tout organique. Plus tard, la matière elle-même m’a suggéré, pour gagner du temps, de me contenter de ces réponses du début et, dans la suite, de discuter avec toute la rigueur possible les charges de Celse contre nous. Je demande donc de l’indulgence pour ce qui suit immédiatement la préface. Et si les réponses ultérieures ne réussissent point à te convaincre, pour elles aussi je demande la même indulgence, et je te renvoie, si tu désires encore avoir les réfutations par écrit des discours de Celse, à ceux qui ont plus d’intelligence que moi et sont capables de réfuter par la parole et par la plume les charges de Celse contre nous. Plus heureux, cependant, l’homme qui n’a aucun besoin, même s’il lit le traité de Celse, d’une défense contre lui, mais dédaigne tout le contenu de son livre, car le premier venu des fidèles du Christ, par l’Esprit qui est en lui, avec raison le méprise. PRÉFACE
Et fort judicieusement, il ne reproche point à l’Evangile son origine barbare, car il a cet éloge : Les barbares sont capables de découvrir des doctrines. Mais il ajoute : Pour juger, fonder, adapter à la pratique de la vertu les découvertes des barbares, les Grecs sont plus habiles. Or voici ce que je peux dire, partant de son observation, pour défendre la vérité des thèses du christianisme : quiconque vient des dogmes et des disciplines grecs à l’Evangile peut non seulement juger qu’elles sont vraies, mais encore prouver, en les mettant en pratique, qu’elles remplissent la condition qui semblait faire défaut par rapport à une démonstration grecque, prouvant ainsi la vérité du christianisme. Mais il faut encore ajouter : la parole (divine) a sa démonstration propre, plus divine que celle des Grecs par la dialectique. Et cette démonstration divine, l’Apôtre la nomme « démonstration de l’Esprit et de la puissance » : « de l’Esprit », par les prophéties capables d’engendrer la foi chez le lecteur, surtout en ce qui concerne le Christ ; « de la puissance », par les prodigieux miracles dont on peut prouver l’existence par cette raison entre bien d’autres qu’il en subsiste encore des traces chez ceux qui règlent leur vie sur les préceptes de cette parole. LIVRE I
Et ensuite, le signe est donné : « Voici : la Vierge va concevoir et enfanter un fils. » Or, quel signe y aurait-il si c’était une jeune fille non vierge qui enfante ? Et à laquelle sied-il mieux d’enfanter Emmanuel, Dieu avec nous : à la femme qui a eu des relations sexuelles et qui a conçu par passion féminine, ou à celle qui est encore pure, sainte et vierge ? C’est à celle-ci, bien sûr, qu’il convient d’enfanter un enfant à la naissance duquel il soit dit : « Dieu avec nous ». Et si, même dans ce cas, on continue à chicaner en disant que c’est à Achaz que s’adresseraient les mots : « Demande pour toi au Seigneur un signe », je répliquerai : Qui donc est né au temps d’Achaz, à la naissance duquel il soit dit « Emmanuel », « Dieu avec nous » ? Si l’on ne trouve personne, il est évident que la parole dite à Achaz l’est à la maison de David, car le Seigneur, d’après l’Écriture, est né « de la postérité de David selon la chair ». De plus, ce signe est dit être « dans la profondeur ou sur la hauteur », puisque « Celui qui est descendu, c’est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses ». Voilà ce que je dis à l’adresse du Juif qui donne son adhésion à la prophétie. A Celse ou à l’un de ses adeptes de dire dans quel état d’esprit le prophète fait du futur cette prédiction ou d’autres, écrites dans les prophéties : est-ce bien en prévoyant le futur, oui ou non ? Si c’est en prévoyant le futur, les prophètes avaient un esprit divin ; si ce n’est pas en prévoyant le futur, qu’il explique l’état d’esprit de celui qui ose parler de l’avenir et que les Juifs admirent pour sa prophétie ! LIVRE I
Je dirai donc d’abord : si celui qui refuse de croire en l’apparition du Saint-Esprit sous la forme d’une colombe était présenté comme épicurien, ou partisan de Démocrite, ou péripatéticien, le propos conviendrait au personnage. Mais en fait le très docte Celse n’a même pas vu qu’il attribuait une telle parole à un Juif qui croit en bien des récits des écritures prophétiques plus extraordinaires que l’histoire de la forme de la colombe. On pourrait dire en effet au Juif incrédule sur l’apparition, qui pense pouvoir l’accuser de fiction : mais toi, mon brave, comment pourrais-tu prouver que le Seigneur Dieu a dit à Adam, Eve, Caïn, Noé, Abraham, Isaac, Jacob ce que la Bible atteste qu’il a dit à ces êtres humains ? Et pour comparer cette histoire à une autre, je dirais volontiers au Juif : Ton Ézéchiel aussi a écrit ces paroles : « Le ciel s’ouvrit et je vis une vision de Dieu » ; et après l’avoir racontée, il ajoute : « C’était la vision d’un aspect de la gloire du Seigneur, et il me parla. » Si ce que l’on relate de Jésus est faux, puisqu’à ton avis nous ne pouvons pas prouver avec évidence la vérité de ce qu’il a seul vu et entendu, ainsi que, comme tu semblés y tenir, « l’un des suppliciés », pourquoi ne dirions-nous point à plus juste titre qu’Ézéchiel lui aussi est victime d’un prestige quand il dit : « Le ciel s’ouvrit… etc. » ? De plus, lorsqu’Isaïe affirme : « Je vis le Seigneur des armées assis sur un trône très élevé ; les Séraphins se tenaient autour de lui, ayant six ailes l’un, six ailes l’autre…» etc., d’où tiens-tu la preuve qu’il l’a réellement vu ? Car tu as cru, Juif, que ces visions sont véridiques, et que le prophète, sous l’influence de l’Esprit de Dieu, les a non seulement vues, mais encore racontées et écrites. Mais qui donc est plus digne de foi quand il affirme que le ciel lui a été ouvert, et qu’il a entendu une voix ou qu’il a vu « le Seigneur des armées assis sur un trône très élevé » ? Isaïe, Ézéchiel, ou bien Jésus ? Des premiers on ne trouve aucune oeuvre aussi sublime, tandis que la bonté de Jésus pour les hommes ne s’est pas bornée à la seule période de son incarnation ; même jusqu’à ce jour sa puissance opère la conversion et l’amélioration des moeurs de ceux qui croient en Dieu par lui. Et la preuve manifeste qu’elles sont dues à sa puissance, comme il le dit lui-même et que l’expérience le montre, c’est, nonobstant le manque d’ouvriers qui travaillent à la moisson des âmes, la moisson si abondante de ceux qui sont récoltés et introduits dans les aires de Dieu partout répandues, les églises. LIVRE I
Mais puisque c’est un Juif qui élève des doutes sur le récit de la descente du Saint-Esprit vers Jésus sous la forme d’une colombe, on pourrait lui riposter : dis-moi, mon brave, qui déclare en Isaïe : « Et maintenant le Seigneur m’a envoyé et aussi son Esprit » ? Dans le texte, l’expression est ambiguë : est-ce que le Père et l’Esprit Saint ont envoyé Jésus, ou est-ce que le Père a envoyé le Christ et l’Esprit Saint ? C’est la seconde interprétation qui est vraie Et après la mission du Sauveur eut lieu celle de l’Esprit Saint, pour que la parole du prophète fût accomplie , mais il fallait que l’accomplissement de la prophétie fût connu aussi de la postérité, et c’est pourquoi les disciples de Jésus ont écrit ce qui était advenu. LIVRE I
Mais s’il est encore besoin, sur Jésus, d’une seconde prophétie évidente à nos yeux, nous citerons celle écrite par Moïse, bien des années avant la venue de Jésus. Il y affirme que Jacob, au moment de quitter la vie, adressa des prophéties à chacun de ses fils et dit entre autres à Juda : « Le prince ne s’éloignera pas de Juda, ni le chef, de sa race, jusqu’à ce que vienne celui à qui il est réservé de l’être. » A la lecture de cette prophétie, en vérité bien plus ancienne que Moïse, mais qu’un incroyant suspecterait d’avoir Moïse comme auteur, on peut s’étonner de la manière dont Moïse a pu prédire que les rois des Juifs, alors qu’il y avait parmi eux douze tribus, sortiraient de la tribu de Juda et gouverneraient le peuple ; c’est la raison pour laquelle tous les hommes de ce peuple sont nommés Judéens, du nom de la tribu régnante. Un second motif d’étonnement, à une lecture judicieuse de la prophétie, est la manière dont, après avoir dit que les chefs et les princes du peuple seraient de la tribu de Juda, elle a fixé le terme de leur gouvernement en disant que le prince ne s’éloignerait pas de Juda, ni le chef, de sa race, « jusqu’à ce que vienne celui à qui il est réservé de l’être, et il est lui-même l’attente des nations ». Il est venu, en effet, celui à qui il est réservé de l’être, le Christ de Dieu, « le prince » des promesses de Dieu. Manifestement seul, à l’exclusion de tous ceux qui l’ont précédé, j’oserais même dire et de ceux qui le suivront, il est « l’attente des nations », car, de toutes les nations, on a cru en Dieu par lui, et les nations ont espéré en son nom suivant la parole d’Isaïe : « En son nom espéreront les nations. » Et à « ceux qui sont dans les fers », suivant que « chaque homme est serré dans les liens de ses péchés », il dit : « Echappez-vous », et à ceux qui sont dans l’ignorance : venez à la lumière, en accomplissement de la prophétie : « Je t’ai donné pour une alliance des nations, pour relever le pays, pour hériter de l’héritage dévasté, disant à ceux qui sont dans les fers : Echappez-vous, et à ceux qui sont dans les ténèbres : Apparaissez à la lumière.» Et on peut voir, à son avènement, réalisé par ceux qui croient avec simplicité dans tous les lieux de la terre, l’accomplissement de cette parole : « Et sur toutes les routes ils paîtront, et sur toutes les hauteurs seront leurs pâturages. » LIVRE I
Je me rappelle avoir un jour, dans un débat avec des hommes réputés savants chez les Juifs, cité ces prophéties. A quoi le Juif répliqua que ces prédictions visaient comme un individu l’ensemble du peuple, dispersé et frappé pour que beaucoup de prosélytes fussent gagnés à l’occasion de la dispersion des Juifs parmi les autres peuples. Ainsi interprétait-il les mots : « Ta forme sera méprisée par les hommes », « ceux qui n’avaient pas reçu de message sur lui verront », « homme dans la calamité ». J’amenais donc alors plusieurs arguments dans le débat, pour prouver qu’on n’a aucune raison d’appliquer à l’ensemble du peuple ces prophéties qui visent un seul individu. Je demandais à quel personnage attribuer la parole : « C’est lui qui porte nos péchés et endure pour nous les douleurs », « Il a été blessé à cause de nos péchés, affaibli à cause de nos iniquités » ; et à quel personnage attribuer la parole : « Par ses meurtrissures nous avons été guéris ». Ce sont manifestement des paroles de ceux qui ont vécu dans leurs péchés et ont été guéris par la passion du Sauveur, qu’ils fassent partie de ce peuple ou des Gentils : le prophète les avait prévues et les leur avait attribuées par l’action du Saint-Esprit. Mais j’ai paru élever la plus grande difficulté avec le texte : « Par les iniquités de mon peuple il a été conduit à la mort. » Car si l’objet de la prophétie, selon eux, est le peuple, comment dit-on qu’il est conduit à la mort « par les iniquités du peuple » de Dieu, s’il n’est autre que le peuple de Dieu ? Qui est-ce donc sinon Jésus-Christ par les meurtrissures de qui nous avons été guéris, nous qui croyons en lui, lorsqu’il a dépouillé les principautés et les puissances, faisant d’elles l’objet de la dérision publique sur la croix ? Mais développer chacun des points contenus dans la prophétie et n’en laisser aucun sans examen est pour une autre circonstance. Voilà des considérations assez longues, nécessitées, je pense, par le passage que j’ai cité du Juif de Celse. LIVRE I
Mais il a échappé à Celse, à son Juif, à tous ceux qui ne croient pas en Jésus, que les prophètes parlent de deux avènements du Christ : le premier, tout de souffrances humaines et d’humilité, permettant au Christ, vivant au milieu des hommes, d’enseigner la route qui mène à Dieu, sans laisser à personne, durant la vie, l’excuse qu’il ignore le jugement à venir ; le second, uniquement glorieux et divin, sans aucun mélange d’infirmité humaine à sa divinité. Il serait trop long de citer les prophéties ; il suffira pour l’instant du psaume quarante-quatrième, qui, entre autres choses, porte le titre de « chant du bien-aimé ». Le Christ y est manifestement proclamé Dieu dans ces paroles : « La grâce a été répandue sur tes lèvres, c’est pourquoi Dieu t’a béni à jamais. Ceins ton épée sur ta cuisse, héros, dans ta jeunesse et ta beauté élance-toi, avance avec succès et règne, pour la vérité, la douceur et la justice, et ta droite t’ouvrira une voie miraculeuse. Tes traits sont aiguisés, héros, les peuples tomberont au-dessous de toi dans le coeur des ennemis du roi. » Mais observe avec soin la suite où Dieu est nommé : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours et à jamais ; le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture. Tu as aimé la justice et haï l’iniquité ; c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction de l’huile d’allégresse, comme à nul de tes compagnons. » Note que le prophète s’adresse à un Dieu dont « le trône est pour toujours et à jamais » et que « le sceptre de sa royauté est un sceptre de droiture » ; il déclare que ce Dieu a reçu l’onction d’un Dieu qui était son Dieu et qui lui a donné l’onction parce que, « plus que ses compagnons », « il a aimé la justice et haï l’iniquité ». Et je me rappelle même avoir, par cette parole, mis dans une grande difficulté le Juif considéré comme savant. Embarrassé pour donner une réponse en harmonie avec son judaïsme, il dit : c’est au Dieu de l’univers que s’adressent : « Ton trône, ô Dieu, est pour toujours et à jamais, et le sceptre de ta royauté est un sceptre de droiture », mais au Christ : « Tu as aimé la justice et haï l’iniquité, c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a donné l’onction » etc. LIVRE I
Je rétorque : un examen sensé et judicieux de la conduite des apôtres de Jésus montre que par la puissance divine ils enseignaient le christianisme et réussissaient à soumettre les hommes à la parole de Dieu. Ils ne possédaient ni éloquence naturelle ni ordonnance de leur message selon les procèdes dialectiques et rhétoriques des Grecs, qui entraînent les auditeurs. Mais il me semble que si Jésus avait choisi des hommes savants au regard de l’opinion publique, capables de saisir et d’exprimer des idées chères aux foules, pour en faire les ministres de son enseignement, il eût très justement prête au soupçon d’avoir prêche suivant une méthode semblable à celle des philosophes chefs d’école, et le caractère divin de sa doctrine n’aurait plus paru dans toute son évidence. Sa doctrine et sa prédication auraient consisté en discours persuasifs de la sagesse avec le style et la composition littéraire. Notre foi, pareille à celle qu’on accorde aux doctrines des philosophes de ce monde, reposerait sur « la sagesse des hommes » et non sur « la puissance de Dieu ». Mais à voir des pêcheurs et des publicains sans même les premiers rudiments des lettres — selon la présentation qu’en donne l’Évangile, et Celse les croit véridiques sur leur manque de culture —, assez enhardis non seulement pour traiter avec les Juifs de la foi en Jésus-Christ, mais encore pour le prêcher au reste du monde et y réussir, comment ne pas chercher l’origine de leur puissance de persuasion ? Car ce n’était pas celle qu’attendent les foules. Et qui n’avouerait que sa parole : « Venez à ma suite, je vous ferai pêcheurs d’hommes », Jésus l’ait réalisée par une puissance divine dans ses apôtres. Paul aussi, je l’ai dit plus haut, la propose en ces termes : « Ma doctrine et ma prédication ne consistaient pas en des discours persuasifs de la sagesse, mais dans une démonstration de l’Esprit et de la puissance, pour que notre foi reposât, non point sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » Car, selon ce qui est dit dans les prophètes quand ils annoncent avec leur connaissance anticipée la prédication de l’Évangile, « le Seigneur donnera sa parole aux messagers avec une grande puissance, le roi des armées du bien-aimé », pour que soit accomplie cette prophétie : « afin que sa parole courre avec rapidité ». Et nous voyons, de fait, que « la voix » des apôtres de Jésus « est parvenue à toute la terre, et leurs paroles, aux limites du monde ». Voilà pourquoi sont remplis de puissance ceux qui écoutent la parole de Dieu annoncée avec puissance, et ils la manifestent par leur disposition d’âme, leur conduite et leur lutte jusqu’à la mort pour la vérité. Mais il y a des gens à l’âme vide, même s’ils font profession de croire en Dieu par Jésus-Christ ; n’étant pas sous l’influence de la puissance divine, ils n’adhèrent qu’en apparence à la parole de Dieu. LIVRE I
Quoique j’aie déjà rappelé plus haut un mot prononcé par le Sauveur dans l’Évangile, je ne m’en servirai pas moins ici encore opportunément pour rappeler la prescience toute divine manifestée par notre Sauveur sur la prédication de l’Évangile, et la force de sa parole qui, sans l’aide de maître, conquiert les croyants en les persuadant avec une puissance divine. Voici donc ce que dit Jésus : « La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux ; priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson. » LIVRE I
Celse a traité les apôtres de Jésus d’hommes décriés, en les disant « publicains et mariniers fort misérables ». Là encore je dirai : il semble tantôt croire à son gré aux Écritures, pour critiquer le christianisme, et tantôt, pour ne pas admettre la divinité manifestement annoncée dans les mêmes livres, ne plus croire aux Evangiles. Il aurait fallu, en voyant la sincérité des écrivains à leur manière de raconter ce qui est désavantageux, les croire aussi en ce qui est divin. Il est bien écrit, dans l’épître catholique de Barnabé, dont Celse s’est peut-être inspiré pour dire que les apôtres de Jésus étaient des hommes décriés et fort misérables, que « Jésus s’est choisi ses propres apôtres, des hommes qui étaient coupables des pires péchés ». Et, dans l’Évangile selon Luc, Pierre dit à Jésus : « Seigneur, éloigne-toi de moi, parce que je suis un homme pécheur. » De plus, Paul déclare dans l’épître à Timothée, lui qui était devenu sur le tard apôtre de Jésus : « Elle est digne de foi la parole : Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je tiens moi, le premier rang. » Mais je ne sais comment Celse a oublié ou négligé de mentionner Paul fondateur, après Jésus, des églises chrétiennes. Sans doute voyait-il qu’il lui faudrait, en parlant de Paul, rendre compte du fait que, après avoir persécuté l’Église de Dieu et cruellement combattu les croyants jusqu’à vouloir livrer à la mort les disciples de Jésus, il avait été ensuite assez profondément converti pour « achever la prédication de l’Évangile du Christ, depuis Jérusalem jusqu’en Illyrie », tout en « mettant son point d’honneur de prédicateur de l’Évangile », pour éviter de « bâtir sur les fondations posées par autrui », à ne prêcher que là où n’avait pas du tout été annoncée la bonne nouvelle de Dieu réalisée dans le Christ. Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que Jésus, dans le dessein de montrer au genre humain quelle puissance il possède de guérir les âmes, ait choisi des hommes décriés et fort misérables, et les ait fait progresser jusqu’à devenir l’exemple de la vertu la plus pure pour ceux qu’ils amènent à l’évangile du Christ ? LIVRE I
Si l’on devait reprocher leur vie antérieure à ceux qui se sont convertis, il serait temps d’accuser aussi Phédon, tout philosophe qu’il ait été, puisque Socrate, comme l’atteste l’histoire, le fit passer d’un lieu de débauche à l’étude de la philosophie. De plus, le libertinage de Polémon, successeur de Xénocrate, on irait le reprocher à la philosophie. Alors que, dans ces exemples à sa louange, il faut dire que la raison s’est montrée capable, en ceux qui ont manié la persuasion, de retirer de vices si graves ceux qui d’abord y avaient été plongés. Et parmi les Grecs, le seul Phédon — j’ignore s’il y en eut un second — et le seul Polémon passèrent d’une vie de débauche effrénée à la pratique de la philosophie ; dans le cas de Jésus, non seulement les Douze d’alors, mais sans cesse et en bien plus grand nombre ceux qui sont devenus un choeur de sages disent de leur vie antérieure : « Car nous aussi nous étions naguère des insensés, des rebelles, des égarés, esclaves de toutes sortes de convoitises et de plaisirs, vivant dans la malice et l’envie, odieux et nous haïssant les uns les autres ; mais le jour où apparurent la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes », « par le bain de régénération et de rénovation de l’Esprit qu’il a répandu sur nous », nous sommes devenus ce que nous sommes. Car Dieu « a envoyé sa parole et il les a guéris et il les a tirés de leurs corruptions », comme l’enseigne le prophète des psaumes. A ces citations, je pourrais ajouter ceci : Chrysippe, pour réprimer les passions des âmes humaines, sans se mettre en peine du degré de vérité d’une doctrine, tente dans son ” Art de guérir les passions ” de soigner suivant les différentes écoles ceux dont l’âme était plongée dans ces passions, et dit : Si le plaisir est la fin, c’est dans cette perspective qu’il faut soigner les passions ; s’il y a trois espèces de biens, ce n’est pas moins suivant cette doctrine qu’il faut délivrer de leurs passions ceux qu’elles entravent. Mais les accusateurs du christianisme ne voient pas le grand nombre d’hommes dont les passions et le débordement sont réprimés ou dont les caractères sauvages se trouvent adoucis en raison de notre doctrine. C’était un devoir, à ces gens qui préconisent le bien commun, d’avouer leur reconnaissance à cet Évangile qui par une nouvelle méthode a retiré les hommes de tant de vices ; bien plus, de rendre témoignage, sinon à sa vérité, du moins à son utilité pour le genre humain. LIVRE I
Après cela, Celse confond le christianisme avec les dires de certaine secte, comme si les chrétiens les partageaient, et il adresse ses accusations à tous ceux qui croient à la divine parole : “Le corps d’un Dieu ne saurait être comme le tien”. Je répondrai : à sa venue à l’existence, Jésus prit un corps tel qu’il vient de la femme, humain et sujet à la mort humaine. LIVRE I
Mais qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que la loi soit l’origine de notre doctrine, c’est-à-dire de l’Évangile. N’est-ce pas ce que notre Sauveur lui-même dit à ceux qui refusent de croire en lui « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car c’est de moi qu’il a écrit. Mais si vous ne croyez pas ses écrits, comment croirez-vous mes paroles » De plus, un des évangélistes, Marc, affirme « Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, selon ce qui est écrit dans le prophète Isaïe ” Voici que j’envoie mon messager en avant de toi pour frayer ta route devant toi ” , et il montre que le commencement de l’Évangile se rattache aux écritures juives. Pourquoi donc cette parole du Juif de Celse contre nous : ” Si quelqu’un vous a prédit que le Fils de Dieu viendrait en effet vers les hommes, c’était notre prophète et le prophète de notre Dieu ? ” Et quelle charge constitue pour le christianisme la qualité juive de Jean qui a baptisé Jésus ? Car il ne s’en suit pas, du fait qu’il était juif, que tout croyant, qu’il vienne des Gentils ou des Juifs, doive garder la loi juive au sens littéral. LIVRE II
Considère s’il n’y a pas une grande autorité dans sa parole : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, à mon tour je me déclarerai pour lui devant mon père qui est dans le ciel ; mais quiconque me reniera devant les hommes… » etc. Remonte avec moi par la pensée à Jésus prononçant ces paroles, et note que ce qu’il prédisait n’est pas encore arrivé. Peut-être, par manque de foi en lui, diras-tu : ce ne sont que sornettes et paroles en l’air, car la chose prédite n’arrivera pas. Ou peut-être le doute sur l’assentiment à donner à ses paroles te fera dire : si ces prédictions sont accomplies, si l’enseignement des paroles de Jésus est accrédité, du fait que les gouverneurs et les rois se préoccupent de détruire ceux qui reconnaissent Jésus, alors nous croirons qu’il a dit cela parce qu’il avait reçu de Dieu une grande autorité pour répandre cette doctrine dans le genre humain, et était persuadé de son triomphe. Et qui ne serait rempli d’admiration en remontant par la pensée à Celui qui enseignait alors et disait : « Cet Évangile sera prêché dans le monde entier, en témoignage pour eux et les Gentils », et en considérant que, comme il l’avait dit, l’Évangile de Jésus a été prêché « à toute créature sous le ciel», « aux Grecs et aux barbares, aux savants et aux ignorants » ? Car sa parole prêchée avec puissance a soumis toute l’humanité et il n’est pas possible de voir une race d’hommes qui ait pu se soustraire à l’enseignement de Jésus. LIVRE II
Que le Juif de Celse, qui ne croit pas que Jésus ait prévu tout ce qui allait arriver, considère de quelle manière, alors que Jérusalem était encore debout et centre du culte de toute la Judée, Jésus a prédit ce que lui feraient subir les Romains. On ne dira certes pas que les familiers et les auditeurs de Jésus lui-même aient transmis sans l’écrire l’enseignement des Evangiles et laissé leurs disciples sans souvenirs écrits sur Jésus. Or il y est écrit : « Mais quand vous verrez Jérusalem investie par les armées, sachez alors que la dévastation est proche. » Il n’y avait alors aucune armée autour de Jérusalem pour l’encercler, la bloquer, l’assiéger. Le siège n’a commencé que sous le règne de Néron et a duré jusqu’au gouvernement de Vespasien, dont le fils, Titus, détruisit Jérusalem ; ce fut, d’après ce qu’écrit Josèphe, à cause de Jacques le Juste, frère de Jésus nommé le Christ, mais, comme la vérité le montre, à cause de Jésus le Christ de Dieu. Celse aurait pu, du reste, même en acceptant ou en concédant que Jésus a connu d’avance ce qui lui arriverait, faire semblant de mépriser ces prédictions, comme il l’avait fait pour les miracles, et les attribuer à la sorcellerie ; il aurait même pu dire que beaucoup ont connu ce qui leur arriverait, par des oracles tirés des augures, des auspices, des sacrifices, des horoscopes. Mais il n’a pas voulu faire cette concession, la jugeant trop importante, et, tout en ayant accepté d’une certaine façon la réalité des miracles, il semble l’avoir décriée sous prétexte de sorcellerie. Cependant Phlégon, dans le treizième ou le quatorzième livre de ses “Chroniques”, je crois, a reconnu au Christ la prescience de certains événements futurs, bien qu’il ait confondu le cas de Jésus et le cas de Pierre, et il atteste que ses prédictions se réalisèrent. Il n’en prouve pas moins comme malgré lui, par cette concession sur la prescience de Jésus, que la parole, chez les Pères de nos croyances, n’était pas dénuée de puissance divine. Celse dit : “Les disciples de Jésus, ne pouvant rien dissimuler d’un fait notoire, s’avisèrent de dire qu’il a tout su d’avance”. Il n’avait pas remarqué, ou n’a pas voulu remarquer la sincérité des écrivains : ils ont avoué en effet que Jésus avait encore prédit aux disciples : « Vous serez tous scandalisés cette nuit », qu’effectivement ils furent scandalisés ; et qu’il a aussi prophétisé à Pierre : « Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois », et que Pierre l’a renié trois fois. S’ils n’avaient pas été aussi sincères, mais, comme le croit Celse, s’ils avaient écrit des fictions, ils n’auraient pas mentionné le reniement de Pierre et le scandale des disciples. Qui donc alors, même s’ils ont eu lieu, aurait fait un grief à l’Évangile de ces événements ? Ils ne devaient normalement pas être mentionnés par des auteurs qui voulaient enseigner aux lecteurs des Evangiles à mépriser la mort pour professer le christianisme. Mais non : voyant que l’Évangile vaincrait les hommes par sa puissance, ils ont inséré même des faits de ce genre qui, je ne sais comment, ne troubleront pas les lecteurs et ne fourniront pas de prétexte au reniement. LIVRE II
Puisque le récit de la résurrection est pour des incroyants un objet de raillerie, je citerai Platon Er, fils d’Armenios, raconte-t-il, après douze jours, s’est relevé de son bûcher et a raconté ses aventures chez Hades. Et, à l’adresse d’incroyants, le récit de la femme privée de respiration chez Heraclide ne sera pas non plus, ici, sans utilité. On raconte encore que beaucoup sont sortis de leurs tombeaux, non seulement le jour même, mais aussi le lendemain. Qu’y a-t-il donc d’étonnant que l’auteur de tant de prodiges à caractère surhumain, et si évidents que ceux qui ne peuvent en nier la réalité les déprécient en les assimilant à des actes de sorcellerie, ait eu jusque dans sa mort quelque chose d’extraordinaire, au point que son âme soit sortie librement de son corps, et après l’accomplissement de certains ministères hors de lui, y soit revenue quand elle l’a voulu ? Or il est écrit chez Jean que Jésus prononça cette parole : « Personne ne m’ôte la vie, mais c’est moi qui la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, et j’ai le pouvoir de la reprendre. » Et peut-être la raison de sa hâte à sortir de son corps était-elle de le conserver intact et d’éviter que ses jambes ne fussent brisées comme celles des brigands crucifiés avec lui : « Car les soldats brisèrent les jambes du premier, puis du second qui avaient été crucifiés avec lui, mais, arrivés à Jésus, et voyant qu’il avait expiré, ils ne lui brisèrent pas les jambes. » LIVRE II
Après cela, il dit : ” S’il avait pris cette décision, et si c’est par obéissance à son Père qu’il a été puni, il est évident que, puisqu’il était Dieu et qu’il le voulait, les traitements spontanément voulus pouvaient ne lui causer ni douleurs ni peines “. Et il n’a même pas vu la contradiction où il s’empêtre ! Car s’il accorde que Jésus a été puni parce qu’il en avait pris la décision, et qu’il s’est livré par obéissance à son Père, il est clair que Jésus a été puni et qu’il lui était impossible d’éviter les douleurs que lui infligent les bourreaux ; car la douleur échappe au contrôle de la volonté. Si au contraire, puisqu’il le voulait, les traitements ne pouvaient lui causer ni douleurs ni peines, comment Celse a-t-il accordé qu’il a été puni ? C’est qu’il n’a pas vu que Jésus, ayant une fois pris un corps par sa naissance, il l’a pris exposé aux souffrances et aux peines qui arrivent aux corps, si par peine on entend ce qui échappe à la volonté. Donc, de même qu’il l’a voulu et qu’il a pris un corps dont la nature n’est pas du tout différente de la chair des hommes, ainsi avec ce corps il a pris les douleurs et les peines ; et il n’était pas maître de ne pas les éprouver, cela dépendait des hommes disposés à lui infliger ces douleurs et ces peines. J’ai déjà expliqué plus haut que s’il n’avait pas voulu tomber entre les mains des hommes, il ne serait pas venu. Mais il est venu parce qu’il le voulait pour la raison déjà expliquée : le bien que retirerait tout le genre humain de sa mort pour les hommes. Ensuite il veut prouver que ce qui lui arrivait lui causait douleurs et peines, et qu’il lui était impossible, l’eut-il voulu, d’empêcher qu’il en fût ainsi, et il dit : ” Pourquoi dès lors exhale-t-il des plaintes et des gémissements et fait-il, pour échapper à la crainte de la mort, cette sorte de prière : «Père, si ce calice pouvait s’éloigner»? ” En ce point encore, vois la déloyauté de Celse. Il refuse d’admettre la sincérité des évangélistes, qui auraient pu taire ce qui, dans la pensée de Celse, est motif d’accusation, mais ne l’ont pas fait pour bien des raisons que pourra donner opportunément l’exégèse de l’Évangile ; et il accuse le texte évangélique au moyen d’exagérations emphatiques et de citations controuvées. On n’y rencontre pas que Jésus exhale des gémissements. Il altère le texte original : « Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne. » Et il ne cite pas, au delà, la manifestation immédiate de sa piété envers son Père et de sa grandeur d’âme, qui est ensuite notée en ces termes : « Cependant non pas comme je veux, mais comme tu veux. » Et même la docilité de Jésus à la volonté de son Père dans les souffrances auxquelles il était condamné, manifestée dans la parole , « Si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » il affecte ne de pas l’avoir lue. Il partage l’attitude des impies qui entendent les divines Écritures avec perfidie et « profèrent des impiétés contre le ciel » Ces gens semblent bien avoir entendu l’expression « Je ferai mourir », et ils nous en font souvent un reproche , ils ne se souviennent plus de l’expression « Je ferai vivre » Mais le passage tout entier montre que ceux dont la vie est ouvertement mauvaise et la conduite vicieuse sont mis à mort par Dieu, mais qu’est introduite en eux une vie supérieure, celle que Dieu peut donner à ceux qui sont morts au péché. De même, ils ont entendu « Je frapperai », mais ils ne voient plus « C’est moi qui guérirai » expression semblable à celle d’un médecin qui a incisé des corps, leur a fait des blessures pénibles pour leur enlever ce qui nuit et fait obstacle à la santé, et qui ne se borne pas aux souffrances et à l’incision, mais rétablit par ce traitement les corps dans la santé qu’il avait en vue. De plus, ils n’ont pas entendu dans son entier la parole « Car il fait la blessure et puis il la bande », mais seulement « il fait la blessure ». C’est bien ainsi que le Juif de Celse cite « Père, si ce calice pouvait s’éloigner », mais non la suite, qui a prouve la préparation de Jésus a sa passion et sa fermeté Et c’est même là une matière offrant un vaste champ d’explication par la sagesse de Dieu, qu’on pourrait avec raison transmettre à ceux que Paul a nommes « parfaits » quand il dit « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits » , mais, la remettant à une occasion favorable, je rappelle ce qui est utile à la question présente. Je disais donc déjà plus haut il y a certaines paroles de celui qui est en Jésus le premier-né de toute créature, comme « Je suis la voie, la vérité, la vie » et celles de même nature, et d’autres, de l’homme que l’esprit discerne en lui, telles que « Mais vous cherchez à me faire mourir, moi, un homme qui vous ai dit la vérité que j’ai entendue de mon Père » Dés lors, ici même, il exprime dans sa nature humaine et la faiblesse de la chair humaine et la promptitude de l’esprit la faiblesse, « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi » , la promptitude de l’esprit, « cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux » De plus, s’il faut être attentif a l’ordre des paroles, observe qu’est d’abord mentionnée celle qui, pourrait-on dire, se rapporte a la faiblesse de la chair, et qui est unique , et ensuite, celles qui se rapportent à la promptitude de l’esprit, et qui sont multiples. Voici l’exemple unique « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi ». Voici les exemples multiples « Cependant, non pas comme je veux, mais comme tu veux », et « Mon Père, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que ta volonté soit faite » Il faut noter aussi qu’il n’a pas dit « Que ce calice s’éloigne de moi », mais que c’est cet ensemble qui a été dit pieusement et avec révérence : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi. » Je sais bien qu’il y a une interprétation du passage dans le sens que voici : Le Sauveur, à la vue des malheurs que souffriraient le peuple et Jérusalem en punition des actes que les Juifs ont osé commettre contre lui, voulut, uniquement par amour pour eux, écarter du peuple les maux qui le menaçaient, et dit : « Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi », comme pour dire : puisque je ne peux boire ce calice du châtiment sans que tout le peuple soit abandonné de toi, je te demande, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi, afin que la part de ton héritage ne soit pas, pour ce qu’elle a osé contre moi, entièrement abandonné de toi. » Mais encore si, comme l’assure Celse, ce qui est arrivé en ce temps n’a causé à Jésus ni douleur, ni peine, comment ceux qui vinrent après auraient-ils pu proposer Jésus comme modèle de patience à supporter les persécutions religieuses, si au lieu d’éprouver des souffrances humaines il avait seulement semblé souffrir ? Le Juif de Celse s’adresse encore aux disciples de Jésus comme s’ils avaient inventé tout cela : ” En dépit de vos mensonges, vous n’avez pu dissimuler vos fictions d’une manière plausible.” A quoi la réplique sera : il y avait un moyen facile de dissimuler les faits de ce genre : n’en rien écrire du tout ! Car si elles n’étaient contenues dans les Evangiles, qui donc aurait pu nous faire un reproche des paroles que Jésus prononça au temps de l’Incarnation ? Celse n’a pas compris qu’il était impossible que les mêmes hommes, d’une part aient été dupes sur Jésus qu’ils croyaient Dieu et prédit par les prophètes, et de l’autre aient sur lui inventé des fictions qu’ils savaient évidemment n’être pas vraies ! Donc, ou bien ils ne les ont pas inventées, mais les croyaient telles et les ont écrites sans mentir , ou bien ils mentaient en les écrivant, ne les croyaient pas authentiques et n’étaient point dupés par l’idée qu’il était Dieu. LIVRE II
Je l’ai déjà dit plus haut les prophéties envisagent un double avènement du Christ au genre humain. Aussi n’est-il plus besoin que je réponde a l’objection mise dans la bouche du Juif. ” C’est un grand prince, seigneur de toute la terre, de toutes les nations et armées qui doit venir, disent les prophètes “. Et à la manière des Juifs, je pense, laissant libre cours à leur bile pour invectiver Jésus sans preuve ni argument plausible, il ajoute ” Mais ils n’ont pas annoncé cette peste “. Pourtant ni Juifs, ni Celse, ni personne d’autre ne pourraient établir avec preuve à l’appui qu’une peste convertisse tant d’hommes du débordement des vices à la vie conforme a la nature dans la pratique de la tempérance et de toutes les autres vertus Celse lance encore cette attaque ” Personne ne prouve une divinité ou une filiation divine par de si faibles indices mêlés d’histoires fausses et d’aussi médiocres témoignages “. Mais il lui fallait citer ces histoires fausses et les réfuter, établir rationnellement la médiocrité des témoignages il aurait pu alors, aux déclarations semblant plausibles du chrétien, s’efforcer de les combattre et de renverser l’argument. Son affirmation que Jésus serait grand s’est bien vérifiée, mais il n’a pas voulu voir qu’elle s’était vérifiée, comme l’évidence le prouve de Jésus ” Comme le soleil qui illumine toutes les autres choses se montre d’abord lui-même, ainsi aurait dû faire le Fils de Dieu “, dit-il. Or on peut dire qu’il l’a vraiment fait. Car la parole « En ces jours s’est levée la justice, et l’abondance de la paix » commença a se réaliser dés sa naissance Dieu préparait les nations à recevoir son enseignement, en les soumettant toutes au seul empereur de Rome, et en empêchant que l’isolement des nations dû a la pluralité des royautés ne rendît plus difficile aux apôtres l’exécution de l’ordre du Christ « Allez, de toutes les nations faites des disciples» » Il est manifeste que Jésus est né sous le règne d’Auguste qui avait pour ainsi dire réduit à une masse uniforme, grâce à sa souveraineté unique, la plupart des hommes de la terre. L’existence de nombreux royaumes eût été un obstacle à la diffusion de l’enseignement de Jésus par toute la terre non seulement pour la raison déjà dite, mais encore à cause de la contrainte imposée aux hommes de tous les lieux de prendre les armes et de faire la guerre pour défendre leurs patries. La chose s’était produite avant les jours d’Auguste et même encore auparavant, quand il fallut, par exemple, que se déchaînât la guerre entre les habitants du Péloponnèse et ceux d’Athènes, et à leur suite, d’autres nations entre elles. Comment donc cet enseignement pacifique, qui ne permet pas de tirer vengeance même des ennemis, eut-il pu triompher, si la situation de la terre, à l’avènement de Jésus, n’eût été partout changée en un état plus paisible. LIVRE II
D’où donc, Celse, l’as-tu appris, sinon des Evangiles ? Y verrais-tu des motifs de reproches, toi ? Ceux qui les ont notes n’avaient pas idée que tu en rirais ainsi que tes pareils, mais que d’autres prendraient Celui qui est généreusement mort pour la religion en exemple de la manière de mépriser ceux qui rient et se moquent d’elle. Admire donc plutôt la sincérité de ces auteurs et la sublimité de Celui qui a volontairement enduré ces souffrances pour les hommes et les a supportées avec une résignation et une grandeur d’âmes totales ! Car il n’est pas écrit qu’à sa condamnation il se soit lamenté ou qu’il ait eu une pensée ou une parole sans noblesse. LIVRE II
A sa question ” Pourquoi donc, s’il ne l’a pas fait avant, du moins maintenant ne manifeste-t-il pas quelque chose de divin, ne se lave-t-il pas de cette honte, ne se venge-t-il de ceux qui l’outragent lui et son Père ? “, il faut répondre que c’est équivalemment poser aux Grecs qui admettent la Providence et acceptent l’existence de signes divins, la question : pourquoi enfin Dieu ne punit-il pas ceux qui outragent la divinité et qui nient la Providence ? Car si les Grecs ont une réponse à cette objection, nous aussi nous en aurons une semblable et même supérieure. Mais il y eut bien un signe divin venu du ciel, l’éclipse de soleil, et les autres miracles . preuves que le crucifié avait quelque chose de divin et de supérieur au commun des hommes. Celse continue :” Que déclare-t-il même lorsque son corps est fixé à la croix ? Son sang est-il l’ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ? “. Le voilà donc qui badine. Mais nous, grâce aux Evangiles qui, quoi que prétende Celse, sont des écrits sérieux, nous établirons ceci l’ichôr de la fable et d’Homère ne s’écoula point de son corps, mais, alors qu’il était déjà mort, « l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côte, et il sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu en rend témoignage, son témoignage est véridique, et il sait qu’il dit vrai » Or, pour les autres cadavres, le sang est coagulé, et il ne peut couler d’eau pure , mais pour le cadavre de Jésus, le miracle était que même de son cadavre « du sang et de l’eau » se soient écoulés du côte. Mais Celse, qui tire des griefs contre Jésus et les chrétiens de textes évangéliques qu’il ne sait même pas interpréter correctement et tait ce qui établit la divinité de Jésus, veut-il se rendre attentif aux manifestations divines ? Qu’il lise alors l’Évangile et qu’il y voie entre autres ce passage « Le centurion et les hommes qui gardaient Jésus avec lui, témoins du séisme et des prodiges survenus, furent saisis d’une grande frayeur et dirent Celui-là était Fils de Dieu ! » Ensuite, extrayant de l’Évangile les passages qu’il ose lui opposer, il reproche à Jésus son ” avidité à boire le fiel et le vinaigre, sans savoir dominer une soif que même le premier venu domine d’ordinaire “. Ce texte, pris a part, comporte une interprétation allégorique , mais ici on peut donner une réponse plus commune aux objections : même cela les prophéties l’ont prédit. Il est écrit en effet dans le psaume soixante-huitième cette parole rapportée au Christ : « Pour me nourrir, ils m’ont donné du fiel, pour apaiser ma soif, fait boire du vinaigre. » C’est aux Juifs de dire qui le prophète fait parler de la sorte et d’établir, d’après l’histoire, qui a reçu du fiel en nourriture et du vinaigre pour boisson. Ou s’ils se hasardent à dire qu’il est question du Christ dont ils croient la venue future, alors je répondrai : qu’est-ce qui empêche la prophétie d’être déjà réalisée ? Le fait que cela ait été dit si longtemps d’avance, avec les autres prévisions des prophètes, si l’on fait un examen judicieux de toute la question, est capable d’amener à reconnaître Jésus comme le Christ prophétisé et le Fils de Dieu. LIVRE II
Après cela, je ne sais pour quelle raison, il ajoute cette remarque fort niaise :” Si, en forgeant des justifications absurdes à ce qui vous a ridiculement abusés, vous croyez offrir une justification valable, qu’est-ce qui empêche de penser que tous les autres qui ont été condamnés et ont disparu d’une manière plus misérable encore sont des messagers plus grands et plus divins que lui ? ” Mais il est d’une évidence manifeste et claire à tout homme que Jésus, dans les souffrances qui sont rapportées, n’a rien de comparable a ceux qui ont disparu d’une manière plus misérable encore, à cause de leur magie ou de quelque autre grief que ce soit. Car personne ne peut montrer qu’une pratique de sorcellerie ait converti les âmes de la multitude des pèches qui règnent parmi les hommes et du débordement de vice. Et le Juif de Celse, assimilant Jésus aux brigands, déclare ” On pourrait dire avec une égale impudence d’un brigand et d’un assassin mis au supplice ce n’était pas un brigand, mais un Dieu, car il a prédit à ses complices qu’il souffrirait le genre de supplice qu’il a souffert “.Mais d’abord on peut dire ce n’est pas du fait qu’il a prédit ce qu’il souffrirait que nous avons de tels sentiments sur Jésus, comme par exemple lorsque nous professons sincèrement et hardiment qu’il est venu de Dieu à nous , ensuite, nous disons que cette assimilation même est prédite en quelque sorte dans les Evangiles, puisque Jésus « fut compte parmi les malfaiteurs » par des malfaiteurs car ils ont préféré qu’un brigand, emprisonné « pour sédition et meurtre », fût mis en liberté, et que Jésus soit crucifié, et ils le crucifièrent entre deux brigands. De plus, sans cesse, dans la personne de ses disciples véritables et qui rendent témoignage à la vérité, Jésus est crucifié avec des brigands et souffre la même condamnation qu’eux parmi les hommes. Nous disons dans la mesure ou il y a une analogie entre des brigands et ceux qui, pour leur piété envers le Créateur qu’ils veulent garder intacte et pure comme l’enseigna Jésus acceptent tous les genres d’outrages et de morts, il est clair que Celse a quelque raison de comparer aux chefs de brigands Jésus, l’initiateur de cet enseignement sublime. Mais ni Jésus qui meurt pour le salut de tous, ni ceux qui endurent ces souffrances à cause de leur piété, seuls de tous les hommes à être persécutés pour la manière dont ils croient devoir honorer Dieu, ne sont mis à mort sans injustice, et Jésus ne fut pas persécuté sans impiété. Note aussi le caractère superficiel de ce qu’il dit de ceux qui furent alors les disciples de Jésus : “Alors les compagnons de sa vie, qui entendaient sa voix, l’avaient pour maître, quand ils le virent torturé et mourant, ne voulurent ni mourir avec lui ni mourir pour lui, et, loin de consentir à mépriser des supplices, ils nièrent qu’ils fussent ses disciples. Et vous, maintenant, voulez mourir avec lui”. Ici donc Celse, pour attaquer notre doctrine, ajoute foi au péché commis par les disciples encore débutants et imparfaits, que rapportent les Evangiles. Mais leur redressement après leur faute, leur assurance à prêcher devant les Juifs, les maux sans nombre endurés de leur part, leur mort enfin pour l’enseignement de Jésus, il n’en dit mot. C’est qu’il n’a pas voulu considérer la prédiction de Jésus à Pierre « Vieilli, tu étendras les mains… » etc. ; à quoi l’Écriture ajoute « Il indiquait ainsi la mort par laquelle il rendrait gloire à Dieu » , ni considérer la mort par le glaive au temps d’Hérode, pour la doctrine du Christ, de Jacques frère de Jean, apôtre et frère d’apôtre , ni considérer non plus tous les exploits de Pierre et des autres apôtres dans leur intrépide prédication de l’Évangile, et comment ils s’en allèrent du Sanhédrin après leur flagellation, « tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour son nom », surpassant de loin tout ce que les Grecs racontent de l’endurance et du courage des philosophes. Des l’origine donc, prévalait chez les auditeurs de Jésus cette leçon capitale de son enseignement le mépris de la vie recherchée par la foule et l’empressement à mener une vie semblable à celle de Dieu. Et comment n’est-ce pas un mensonge que la parole du Juif de Celse “Au cours de sa vie, il ne gagna qu’une dizaine de mariniers et publicains des plus perdus, et encore pas tous ?” Il est bien clair, même des Juifs en conviendraient, qu’il à gagné non seulement dix hommes, ni cent, ni mille, mais en bloc tantôt cinq mille, tantôt quatre mille» , et gagné au point qu’ils le suivaient jusqu’aux déserts, seuls capables de contenir la multitude assemblée de ceux qui croyaient en Dieu par Jésus, et ou il leur présentait non seulement ses discours mais ses actes. Par ses redites, Celse me force à l’imiter puisque j’évite avec soin de paraître négliger l’un quelconque de ses griefs. Sur ce point donc, suivant l’ordre de son écrit, il déclare “Alors que de son vivant il n’a persuadé personne, après sa mort ceux qui en ont le désir persuadent des multitudes n’est-ce point le comble de l’absurde. Il aurait dû dire, pour garder la logique si, après sa mort ceux qui en ont, pas simplement le désir, mais le désir et la puissance, persuadent des multitudes, combien est-il plus vraisemblable que pendant sa vie il en ait persuadé bien davantage par sa puissante parole et par ses actes. LIVRE II
Et comme c’est un Juif qui tient ces propos chez Celse, on pourrait lui dire et toi donc, mon brave, pourquoi enfin cette différence tu croîs divines les oevres que d’après tes Écritures Dieu accomplit par Moïse, et tu tâches de les justifier contre ceux qui les calomnient comme des effets de la sorcellerie, analogues à ceux qu’accomplissent les sages d’Egypte ; tandis que celles de Jésus dont tu reconnais l’existence, suivant l’exemple des Egyptiens qui te critiquent, tu les accuses de n’être pas divines ? Si en effet le résultat final, la nation entière constituée par les prodiges de Moïse, prouve évidemment que c’était Dieu l’auteur de ces miracles au temps de Moïse, comment cet argument ne sera-t-il pas plus démonstratif pour le cas de Jésus, auteur d’une plus grande oevre que celle de Moïse ? Car Moïse a pris ceux de la nation formée de la postérité d’Abraham qui avaient gardé le rite traditionnel de la circoncision, observateurs décidés des usages d’Abraham, et il les conduisit hors d’Egypte en leur imposant les lois que tu croîs divines. Jésus, avec une autre hardiesse, substitua au régime antérieur, aux habitudes ancestrales, aux manières de vivre d’après les lois établies, le régime de l’Évangile. Et, tout comme les miracles que Moïse fit d’après les Écritures étaient nécessaires pour lui obtenir l’audience non seulement de l’assemblée des Anciens, mais encore du peuple, pourquoi Jésus lui aussi, pour gagner la foi d’un peuple qui avait appris à demander des signes et des prodiges, n’aurait-il pas eu besoin de miracles capables, par leur grandeur et leur caractère divin supérieurs si on les compare à ceux de Moïse, de les détourner des fables juives et de leurs traditions humaines, et de leur faire accepter que l’auteur de cette doctrine et de ces prodiges était plus grand que les prophètes ? Comment donc n’était-il pas plus grand que les prophètes, lui que les prophètes proclament Christ et Sauveur du genre humain ? Bien plus, toutes les attaques du Juif de Celse contre ceux qui croient en Jésus peuvent se retourner en accusation contre Moïse , en sorte qu’il n’y a pas ou presque pas de différence à parler de la sorcellerie de Jésus et de celle de Moïse, tous deux pouvant, à s’en tenir a l’expression du Juif de Celse, être l’objet des mêmes critiques. Par exemple le Juif de Celse dit a propos du Christ « O lumière et vérité ! De sa propre voix, il annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers ». Mais a propos de Moïse, celui qui ne croît pas à ses miracles, qu’il soit d’Egypte ou de n’importe ou, pourrait dire au Juif « O lumière et vérité ! De sa propre voix, Moïse annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers » Car il est écrit dans votre loi : « Que surgisse en toi un prophète ou un faiseur de songes qui te propose un signe ou un prodige, et qu’ensuite ce signe ou ce prodige annoncé arrive, s’il te dit alors « Allons suivre d’autres dieux que vous ne connaissez pas et servons les », vous n’écouterez pas les paroles de ce prophète ni les songes de ce songeur » etc… L’un, dans sa critique des paroles de Jésus, dit encore « Et il nomme un certain Satan, habile à contrefaire ces prodiges » L’autre, dans l’application de ce trait à Moïse, dira « Et il nomme un prophète faiseur de songes habile à contrefaire ces prodiges ». Et de même que le Juif de Celse dit de Jésus : « Il ne nie pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » , ainsi, qui ne croît pas aux miracles de Moïse lui dira la même chose en citant la phrase précédente « Il ne nie même pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » Et ainsi fera-t-il pour cette parole « Sous la contrainte de la vérité, Moïse a en même temps démasqué la conduite des autres et confondu la sienne ». Et quand le Juif déclare « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la divinité de l’un et a la sorcellerie des autres ? » on pourrait lui répondre à cause des paroles de Moïse déjà citées « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la qualité de prophète et serviteur de Dieu de l’un et a la sorcellerie des autres ? » Mais insistant davantage, Celse ajoute aux comparaisons que j’ai citées « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à leur méchanceté plutôt qu’à la sienne sur son propre témoignage ? » On ajoutera à ce qui était dit « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à la méchanceté des gens auxquels Moïse défend de croire malgré leur étalage de signes et de prodiges, et non plutôt à la méchanceté de Moïse, quand il attaque les autres pour leurs signes et leurs prodiges ? » Il multiplie les paroles dans le même sens pour avoir l’air d’amplifier sa brève argumentation : « Elles sont en fait, et lui-même en convint, des signes distinctifs non d’une nature divine, mais de gens trompeurs et fort méchants. » Qui donc désigne ce « lui-même » ? Toi, Juif, tu dis que c’est Jésus ; mais celui qui t’accuse comme sujet aux mêmes critiques rapportera ce « lui-même » à Moïse. LIVRE II
Jésus, quoiqu’il fût un, était pour l’esprit multiple d’aspects, et ceux qui le regardaient ne le voyaient pas tous de la même manière. Cette multiplicité d’aspects ressort des paroles « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie », « Je suis le Pain », « Je suis la Porte » et autres sans nombre. Et la vue qu’il offrait n’était pas identique pour tous les spectateurs, mais dépendait de leur capacité. Ce sera clair si l’on examine la raison pour laquelle, devant se transfigurer sur la haute montagne, il prit avec lui, non pas tous les apôtres, mais seuls Pierre, Jacques et Jean, comme les seuls capables de contempler la gloire qu’il aurait alors, et aptes à percevoir Moïse et Élie apparus dans la gloire, à entendre leur conversation et la voix venue de la nuée céleste. Mais je crois que même avant de gravir la montagne, ou seuls les disciples s’approchèrent de lui et ou il leur enseigna la doctrine des béatitudes, lorsqu’au pied de la montagne, « le soir venu », il guérit ceux qui s’approchaient de lui, les délivrant de toute maladie et de toute infirmité, il n’apparaissait pas identique aux malades implorant leur guérison et à ceux qui ont pu, grâce à leur santé, gravir avec lui la montagne. Bien plus, il a explique en particulier à ses propres disciples les paraboles dites avec un sens cache aux foules de l’extérieur et de même que ceux qui entendaient l’explication des paraboles avaient une plus grande capacité d’entendre que ceux qui entendaient les paraboles sans explication, ainsi en était-il des capacités de vision, certainement de leur âme, mais je croîs aussi de leur corps. Autre preuve qu’il n’apparaissait pas toujours identique, Judas qui allait le trahir dit aux foules qui s’avançaient vers lui comme si elles ne le connaissaient pas « Celui que je baiserai, c’est lui ». C’est aussi, je pense, ce que veut montrer le Sauveur lui-même dans la parole « Chaque jour j’étais assis parmi vous dans le temple à enseigner et vous ne m’avez pas arrêté ». Dés lors, comme nous élevons Jésus si haut, non seulement dans sa divinité intérieure et cachée à la foule, mais aussi dans son corps, transfiguré quand il voulait pour ceux qu’il voulait, nous affirmons avant qu’il eût dépouillé les Principautés et les Puissances » et « fût mort au péché », tous avaient la capacité de le regarder, mais quand il eut dépouillé les Principautés et les Puissances et ne posséda plus ce qui pouvait être visible de la foule, tous ceux qui le virent auparavant ne pouvaient plus le regarder. C’est donc pour les ménager qu’il ne se montrait point à tous après sa résurrection d’entre les morts. Mais pourquoi dire à tous ? Aux apôtres eux-mêmes et aux disciples, il n’était pas sans cesse présent et sans cesse visible, parce qu’ils étaient incapables de soutenir sa contemplation sans relâche. Sa divinité était plus resplendissante après qu’il eut mené a terme l’oevre de l’Économie. Céphas, qui est Pierre, en tant que « prémices » des apôtres, put la voir, et après lui, les Douze, Matthias ayant été choisi a la place de Judas. Apres eux, il apparut à « cinq cents frères a la fois, puis à Jacques, puis à tous les apôtres » hormis les Douze, peut-être les soixante-dix , et, « dernier de tous », à Paul, comme à l’avorton, qui savait dans quel sens il disait : « A moi, le plus petit de tous les saints a été donnée cette grâce », et sans doute que « le plus petit » et « l’avorton » sont synonymes. Aussi bien on ne pourrait faire un grief raisonnable à Jésus de n’avoir point conduit avec lui sur la haute montagne tous les apôtres, mais les trois seuls nommés précédemment, lorsqu’il allait se transfigurer et montrer la splendeur de ses vêtements et la gloire de Moïse et d’Élie en conversation avec lui , on ne saurait non plus adresser des critiques fondées aux paroles des apôtres, de présenter Jésus après sa résurrection apparaissant non point à tous, mais à ceux dont il savait les yeux capables de voir sa résurrection. LIVRE II
Mais je crois utile à la justification de ce point de vue cette parole sur Jésus : « Le Christ est mort et ressuscité pour devenir le Seigneur des morts et des vivants. » Remarque en effet ici que Jésus « est mort… pour devenir le Seigneur des morts », et qu’« il est ressuscité » pour devenir le Seigneur non seulement « des morts », mais « aussi des vivants ». L’Apôtre entend bien par les morts dont le Christ est le Seigneur ceux que désigne ainsi la Première aux Corinthiens : « Car la trompette sonnera et les morts ressusciteront incorruptibles » ; et par les vivants, eux et ceux qui seront transformés, étant autres que les morts qui ressusciteront. Voici le passage qui les concerne : « Et nous nous serons transformés », qui fait suite à : « Les morts ressusciteront d’abord ». En outre, dans la Première aux Thessaloniciens, il exprime en mots différents la même distinction, en déclarant qu’autres sont ceux qui dorment et autres les vivants : « Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez ignorants sur ceux qui dorment, pour vous éviter la désolation des autres qui n’ont pas d’espérance. En effet, si nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, de même, ceux-là aussi qui se sont endormis en Jésus, Dieu les amènera avec lui. Car voici ce que j’ai à vous dire sur la parole du Seigneur : Nous, les vivants, qui serons encore là pour l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui se sont endormis. » Mais l’interprétation que j’ai trouvée de ces passages, je l’ai exposée dans mon commentaire de la Première aux Thessaloniciens. LIVRE II
Mais pour quelle raison le Juif de Celse a-t-il dit que Jésus se cachait ? Car il dit de lui : Quel messager envoyé en mission se cacha-t-il jamais au lieu d’exposer l’objet de son mandat ? Non, il ne se cachait pas, puisqu’il dit à ceux qui cherchaient à le prendre : « Chaque jour j’étais dans le temple à enseigner librement, et vous n’osiez m’arrêter. » A la suite, où Celse ne fait que se répéter, j’ai déjà répondu une fois, je me bornerai donc à ce qui est déjà dit. Car plus haut se trouve écrite la réponse à l’objection : Est-ce que, de son vivant, alors que personne ne le croyait, il prêchait à tous sans mesure, et, quand il aurait affermi la foi par sa résurrection d’entre les morts, ne se laissa-t-il voir en cachette qu’à une seule femmelette et aux membres de sa confrérie ? Ce n’est pas vrai : il n’est pas apparu seulement à une femmelette, car il est écrit dans l’Évangile selon Matthieu : « Après le sabbat, dès l’aube du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie allèrent visiter le sépulcre. Alors il se fit un grand tremblement de terre : l’ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre. » Et peu après, Matthieu ajoute : « Et voici que Jésus vint à leur rencontre ? évidemment, les Marie déjà nommées ?, et il leur dit : « Je vous salue ». Elles s’approchèrent, embrassèrent ses pieds et se prosternèrent devant Lui. » On a également répondu à sa question : Est-ce donc que, durant son supplice, il a été vu de tous, mais après sa résurrection, d’un seul – en réfutant l’objection qu’il n’a pas été vu de tous. Ici j’ajouterai : ses caractères humains étaient visibles de tous ; ceux qui étaient proprement divins – je ne parle pas de ceux qui le mettaient en relation avec les autres êtres, mais de ceux qui l’en séparaient – n’étaient pas intelligibles à tous. De plus, note la contradiction flagrante où Celse s’empêtre. A peine a-t-il dit : « Il s’est laissé voir en cachette à une seule femmelette et aux membres de sa confrérie », qu’il ajoute : « durant son supplice, il a été vu de tous, après sa résurrection, d’un seul ; c’est le contraire qu’il aurait fallu. » Entendons ce qu’il veut dire par « durant son supplice il a été vu de tous, après sa résurrection, d’un seul ; c’est le contraire qu’il aurait fallu». A en juger par son expression, il voulait une chose impossible et absurde : que, durant son supplice, il soit vu d’un seul, après sa résurrection, de tous ! Ou comment expliquer : « c’est le contraire qu’il aurait fallu »? Jésus nous a enseigné qui l’avait envoyé, dans les paroles : « Personne n’a connu le Père si ce n’est le Fils », « Personne n’a jamais vu Dieu : mais le Fils unique, qui est Dieu, qui est dans le sein du Père, lui, l’a révélé» . C’est lui qui, traitant de Dieu, annonça à ses disciples véritables les caractéristiques de Dieu. Les indices qu’on en trouve dans les Écritures nous offrent des points de départ pour parler de Dieu : on apprend, ici, que « Dieu est lumière et il n’y a point en lui de ténèbres », là, que « Dieu est esprit, et ses adorateurs doivent l’adorer en esprit et en vérité ». De plus, les raisons pour lesquelles le Père l’a envoyé sont innombrables : on peut à son gré les apprendre soit des prophètes qui les ont annoncées d’avance, soit des évangélistes ; et on tirera bien des connaissances des apôtres, surtout de Paul. En outre, si Jésus donne sa lumière aux hommes pieux, il punira les pécheurs. Faute d’avoir vu cela, Celse écrit : Il illuminera les gens pieux et aura pitié des pécheurs ou plutôt de ceux qui se sont repentis. Après cela, il déclare : S’il voulait demeurer caché, pourquoi entendait-on la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu ? S’il ne voulait pas demeurer caché, pourquoi le supplice et pourquoi la mort ? Il pense par là montrer la contradiction entre ce qui est écrit de lui, sans voir que Jésus ne voulait ni que tous ses aspects fussent connus de tous, même du premier venu, ni que tout ce qui le concerne demeurât caché. En tout cas, la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je me suis complu », au témoignage de l’Écriture, n’a pas été dite de façon à être entendue de la foule, comme l’a cru le Juif de Celse. De plus, la voix venant de la nuée, sur la haute montagne, a été entendue de ceux-là seuls qui avaient fait l’ascension avec lui ; car c’est le propre de la voix divine d’être entendue seulement de ceux à qui il « veut » faire entendre sa parole. Et je n’insiste pas sur le fait que la voix de Dieu, mentionnée dans l’Écriture, n’est certainement pas de l’air en vibration, ou un ébranlement d’air, ou tout autre définition des traites sur la voix : elle est donc entendue par une oreille supérieure et plus divine que l’oreille sensible Et comme Dieu qui parle ne veut pas que sa voix soit audible à tous, qui a des oreilles supérieures entend Dieu, mais qui est sourd des oreilles de l’âme est insensible à la parole de Dieu. Voilà pour répondre à la question : « Pourquoi entendait-on la voix du ciel le proclamant Fils de Dieu ? » Et la suivante : « S’il ne voulait pas demeurer caché, pourquoi le supplice et pourquoi la mort ? » trouve une réponse suffisante dans ce qu’on a dit longuement de sa passion dans les pages précédentes. LIVRE II
Ensuite, son Juif dit, évidemment pour s’accommoder aux croyances des Juifs : Oui certes ! nous espérons ressusciter un jour dans notre corps et mener une vie éternelle, et que Celui qui nous est envoyé en sera le modèle et l’initiateur, prouvant qu’il n’est pas impossible à Dieu de ressusciter quelqu’un avec son corps. Je ne sais pas si le Juif dirait que le Christ attendu doit montrer en lui-même un modèle de la résurrection. Mais soit ! Accordons qu’il le pense et le dise. De plus, quand il dit nous avoir fait des citations de nos écrits, je réponds : n’as-tu pas, mon brave, en lisant ces écrits grâce auxquels tu prétends nous accuser, trouvé l’explication détaillée de la résurrection de Jésus, et qu’il est « le premier-né d’entre les morts » ? Ou, de ce que tu refuses de le croire, s’ensuit-il qu’il n’en ait rien été dit ? Mais puisque le Juif continue en admettant chez Celse la résurrection des corps, je pense que ce n’est pas ici l’occasion d’en traiter avec un homme qui croit et avoue qu’il y a une résurrection des corps, soit qu’il se l’explique nettement et puisse en fournir convenablement la preuve, soit qu’il ne le puisse pas mais donne à la doctrine une adhésion superficielle. Voilà donc notre réponse au Juif de Celse. Et puisqu’il dit encore : Où donc est-il, pour que nous puissions voir et croire ? nous lui répondrons : où donc est maintenant celui qui parle par les prophètes et qui a fait des prodiges, pour que nous puissions voir et croire que le Juif « est la part de Dieu ». Ou bien vous est-il permis de vous justifier du fait que Dieu ne s’est pas continuellement manifesté au peuple juif, tandis qu’à nous la même justification n’est pas accordée pour le cas de Jésus qui, une fois ressuscité, persuada ses disciples de sa résurrection ? Et il les persuada au point que par les épreuves qu’ils souffrent, ils montrent à tous que, les yeux fixés sur la vie éternelle et la résurrection, manifestée à eux en parole et en acte, ils se rient de toutes les épreuves de la vie. Après cela, le Juif dit : N’est-il descendu que pour nous rendre incrédules ? On lui répondra : il n’est pas venu pour provoquer l’incrédulité de Juifs ; mais, sachant d’avance qu’elle aurait lieu, il l’a prédite et il a fait servir l’incrédulité des Juifs à la vocation des Gentils. Car, par la faute des Juifs le salut est venu aux Gentils, à propos desquels le Christ dit chez les prophètes : « Un peuple que je ne connaissais pas s’est soumis à moi ; l’oreille tendue, il m’obéit » ; « Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas, j’ai apparu à ceux qui ne m’interrogeaient pas. » Et il est manifeste que les Juifs ont subi en cette vie le châtiment d’avoir traité Jésus comme ils l’ont fait. Les Juifs peuvent dire, s’ils veulent nous critiquer : Admirable est à votre égard la providence et l’amour de Dieu, de vous châtier, de vous avoir privés de Jérusalem, de ce qu’on nomme le sanctuaire, du culte le plus sacré ! Car s’ils le disent pour justifier la providence de Dieu, nous aurions un argument plus fort et meilleur ; c’est que la providence de Dieu est admirable, d’avoir fait servir le péché de ce peuple à l’appel par Jésus des Gentils au Royaume de Dieu, de ceux qui étaient étrangers aux alliances et exclus des promesses. Voilà ce que les prophètes ont prédit, disant qu’à cause du péché du peuple hébreu, Dieu appellerait non pas une nation, mais des élites de partout, et qu’ayant choisi « ce qu’il y a de fou dans le monde », il ferait que la nation inintelligente vienne aux enseignements divins, le Règne de Dieu étant ôté à ceux-là et donné à ceux-ci. Il suffît, entre bien d’autres, de citer à présent cette prophétie du cantique du Deutéronome sur la vocation des Gentils, attribuée à la personne du Seigneur : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles. Et moi je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai par une nation inintelligente.» Enfin, pour tout conclure, le Juif dit de Jésus : Il ne fut donc qu’un homme, tel que la vérité elle-même le montre et la raison le prouve. Mais s’il n’eût été qu’un homme, je ne sais comment il eût osé répandre sur toute la terre sa religion et son enseignement, et eût été capable sans l’aide de Dieu d’accomplir son dessein et de l’emporter sur tous ceux qui s’opposent à la diffusion de son enseignement, rois, empereurs, Sénat romain, et partout les chefs et le peuple. Comment attribuer à une nature humaine qui n’aurait eu en elle-même rien de supérieur la capacité de convertir une si vaste multitude ? Rien d’étonnant s’il n’y avait eu que des sages ; mais il s’y ajoutait les gens les moins raisonnables, esclaves de leurs passions, d’autant plus rebelles à se tourner vers la tempérance qu’ils manquaient de raison. Et parce qu’il était puissance de Dieu et sagesse du Père, le Christ a fait tout cela et le fait encore, malgré les refus des Juifs et des Grecs incrédules à sa doctrine. LIVRE II
Que Celse donc, et ceux qui se plaisent à ses attaques contre nous le disent : quel rapport y a-t-il entre l’ombre d’un âne et le fait que les prophètes juifs ont prédit le lieu de naissance du futur chef de ceux à qui leur vie vertueuse mériterait d’être appelés « la part d’héritage » de Dieu ; qu’une vierge concevrait l’Emmanuel ; que tels signes et prodiges seraient accomplis par le personnage prédit et que « sa parole courrait si vite » que la voix de ses apôtres « parviendrait à toute la terre » ; quelles souffrances il subirait après sa condamnation par les Juifs et comment il ressusciterait ? Peut-on voir en ces paroles un effet du hasard sans qu’aucun motif plausible incitât les prophètes non seulement à les prononcer mais à les juger dignes d’être notées ? Est-ce que la puissante nation des Juifs qui s’était emparée depuis longtemps d’une contrée particulière pour l’habiter, n’avait pas de motif plausible pour proclamer certains d’entre eux prophètes et rejeter les autres comme faux prophètes ? Est-ce que rien ne les engageait à joindre aux livres de Moïse qu’ils tenaient pour sacrés les discours de ceux que dans la suite ils ont considérés comme des prophètes ? Et peuvent-ils nous prouver, ceux qui reprochent leur sottise aux Juifs et aux chrétiens, que la nation juive aurait pu subsister sans qu’il y ait eu chez elle aucune annonce d’événements connus d’avance ? Les nations dont elle était environnée croyaient chacune selon ses traditions recevoir des oracles et des divinations de ceux qu’elles vénéraient comme dieux ; eux au contraire avaient été élevés dans le mépris de tous ceux que les nations tenaient pour dieux et y voyaient non pas des dieux mais des démons puisque leurs prophètes disaient : « Tous les dieux des nations sont des démons » : auraient-ils été les seuls à n’avoir personne qui fît profession de prédire et fût capable de retenir ceux qui, par désir de prévision des événements futurs, voulaient s’en aller vers les démons des autres nations ? Juge, dès lors, s’il n’était pas nécessaire qu’une nation entière, élevée dans le mépris pour les dieux des autres nations, eût en abondance des prophètes manifestant d’emblée leur excellence et leur supériorité sur les oracles de tout pays. LIVRE III
Il en vient ensuite au mignon d’Adrien – je parle de l’adolescent Antinoos – , et aux honneurs qui lui sont rendus dans la ville d’Egypte Antinoopolis, et il pense qu’ils ne diffèrent en rien de notre culte pour Jésus. EH bien ! réfutons cette objection dictée par la haine. Quel rapport peut-il y avoir entre Jésus que nous vénérons et la vie du mignon d’Adrien qui n’avait pas même su garder sa virilité d’un attrait féminin morbide ? Contre Jésus, ceux mêmes qui ont porté mille accusations et débité tant de mensonges, n’ont pas pu alléguer la moindre action licencieuse. De plus, si on soumettait à une étude sincère et impartiale le cas d’Antinoos, on découvrirait des incantations égyptiennes et des sortilèges à l’origine de ses prétendus prodiges à Antinoopolis, même après sa mort. On rapporte que c’est la conduite, dans d’autres temples, suivie par les Égyptiens et autres gens experts en sorcellerie : ils fixent en certains lieux des démons pour rendre des oracles, guérir, et souvent mettre à mal ceux qui ont paru transgresser les interdits concernant les aliments impurs ou le contact du cadavre d’un homme ; ils veulent effrayer ainsi la foule des gens incultes. Voilà celui qui passe pour dieu à Antinoopolis d’Egypte : ses vertus sont des inventions mensongères de gens qui vivent de fourberies, tandis que d’autres, bernés par le démon qui habite en ce lieu, et d’autres, victimes de leur conscience faible, s’imaginent acquitter une rançon divinement voulue par Antinoos ! Voilà les mystères qu’ils célèbrent et leurs prétendus oracles ! Quelle différence du tout au tout avec ceux de Jésus ! Non, ce n’est pas une réunion de sorciers qui, pour complaire à l’ordre d’un roi ou à la prescription d’un gouverneur, ont décidé de faire de lui un dieu. Mais le Créateur même de l’univers, par l’effet de la puissance persuasive de sa miraculeuse parole, l’a constitué digne du culte non seulement de tout homme qui cherche la sagesse, mais encore des démons et autres puissances invisibles. Jusqu’à ce jour, celles-ci montrent ou qu’elles craignent le nom de Jésus comme celui d’un être supérieur, ou qu’elles lui obéissent avec respect, comme à leur chef légitime. S’il n’avait pas été ainsi constitué par la faveur de Dieu, les démons à la seule invocation de son nom ne se retireraient pas sans résistance de leurs victimes. LIVRE III
Vois donc, après cela, s’il n’y a pas un mensonge flagrant et une comparaison sans aucun rapport dans la parole de Celse : Voici sur les places publiques ceux qui divulguent leurs secrets et font la quête. Or ces gens, auxquels Celse nous assimile, qui divulguent leurs secrets et font la quête sur les places publiques, n’approcheraient jamais, dit-il, une assemblée d’hommes prudents avec l’audace d’y dévoiler leurs beaux mystères. Aperçoivent-ils des adolescents, une foule d’esclaves, un rassemblement d’imbéciles, ils s’y précipitent, et s’y pavanent ! Il ne fait là rien d’autre que nous insulter comme font les femmes aux carrefours à seule fin de se renvoyer des injures. Car nous faisons tout notre possible pour que notre assemblée se compose d’hommes prudents, et alors nous avons l’audace, dans les entretiens adressés à la communauté, de proposer en public nos plus beaux et divins mystères, lorsque nous avons à notre portée des auditeurs intelligents. Mais nous tenons cachés et passons sous silence les mystères plus profonds, quand nous voyons que les gens rassemblés sont plus simples et ont besoin d’enseignements que nous appelons, par métaphore, « du lait ». LIVRE III
Nous avouons notre désir d’instruire tous les hommes de la parole de Dieu, malgré la négation de Celse, au point de vouloir communiquer aux adolescents l’exhortation qui leur convient, et indiquer aux esclaves comment ils peuvent, en recevant un esprit de liberté, être ennoblis par le Logos. Nos prédicateurs du christianisme déclarent hautement qu’ils se doivent « aux Grecs comme aux barbares, aux savants comme aux ignorants » : ils ne nient point qu’il faille guérir même l’âme des ignorants, afin que, déposant leur ignorance autant que possible, ils s’efforcent d’acquérir une meilleure intelligence, pour obéir aux paroles de Salomon : « Vous les sots, reprenez coer » ; « Que le plus sot d’entre vous se tourne vers moi ; à qui est dépourvu d’intelligence, j’ordonne, moi, la sagesse » ; « Venez, mangez de mon pain, buvez du vin que je vous ai préparé, quittez la sottise et vous vivrez, redressez votre intelligence dans la science. » Et sur ce point je pourrais ajouter en réponse au propos de Celse : Est-ce que les philosophes n’invitent pas les adolescents à les entendre ? N’exhortent-ils pas les jeunes gens à quitter une vie déréglée pour les biens supérieurs ? Mais quoi, ne veulent-ils pas que des esclaves vivent en philosophes? Allons-nous donc, nous aussi, reprocher aux philosophes d’avoir conduit des esclaves à la vertu, comme fit Pythagore pour Zamolxis, Zénon pour Persée et, hier ou avant-hier, ceux qui ont conduit Epictète à la philosophie ? Ou alors vous sera-t-il permis, ô Grecs, d’appeler à la philosophie des adolescents, des esclaves, des sots, tandis que, pour nous, ce serait manquer d’humanité de le faire, quand, en leur appliquant le remède du Logos, nous voulons guérir toute nature raisonnable, et l’amener à la familiarité avec Dieu Créateur de l’univers? Voilà qui suffisait pour répondre aux paroles de Celse, qui sont des injures plus que des critiques. LIVRE III
Et qui sont les précepteurs, traités par nous de radoteurs stupides, que Celse défend pour l’excellence de leurs leçons? Peut-être considère-t-il comme habiles précepteurs pour bonnes femmes et non des radoteurs ceux qui les invitent à la superstition et aux spectacles impurs, ou encore, comme exempts de stupidité ceux qui conduisent et poussent les jeunes gens à tous les désordres qu’on leur voit commettre un peu partout. Pour nous, du moins, nous invitons de toutes nos forces même les tenants des doctrines philosophiques à notre religion, en leur montrant son exceptionnelle pureté. Puisque Celse, dans ses remarques, veut établir que, loin de le faire, nous n’invitons que les sots, on pourrait lui répondre : si tu nous faisais grief de détourner de la philosophie ceux qui auparavant y étaient adonnés, tu ne dirais pas la vérité, mais ton propos aurait quelque chose de plausible. Mais en fait, comme tu prétends que nous enlevons nos adeptes à de bons précepteurs, prouve que ces maîtres sont différents des maîtres de philosophie ou de ceux qui ont travaillé à un enseignement utile. Mais il sera incapable de rien montrer de tel. Et nous promettons franchement, et non en secret, que seront heureux ceux qui vivent selon la parole de Dieu, fixant en tout leurs yeux sur lui, accomplissant quoi que ce soit comme sous le regard de Dieu. Est-ce là des leçons de cardeurs, de cordonniers, de foulons, de gens grossiers les plus incultes ? Il ne pourra pas l’établir. Ces hommes, d’après lui comparables aux cardeurs qu’on voit dans les maisons, semblables aux cordonniers, aux foulons, aux gens grossiers les plus incultes, Celse les accuse de ne vouloir, ni de ne pouvoir, en présence du père et des précepteurs, rien expliquer de bon aux enfants. En réponse, nous demanderons : de quel père veux-tu parler, mon brave, de quel précepteur? Si c’est quelqu’un qui approuve la vertu, se détourne du vice, recherche les biens supérieurs, sache-le bien, c’est avec une pleine assurance d’être approuvés d’un tel juge que nous communiquerons nos leçons aux enfants. Mais devant un père qui décrie la vertu et la parfaite honnêteté, nous gardons le silence, comme devant ceux qui enseignent ce qui est contraire à la saine raison : ne va pas nous le reprocher, ton reproche serait déraisonnable. Toi-même, à coup sûr, quand tu transmets les mystères de la philosophie à des jeunes gens et des enfants, dont les pères estiment la philosophie inutile et vaine, tu ne diras rien aux enfants devant leurs pères mal disposés ; mais, désireux de séparer de ces mauvais pères les fils orientés vers la philosophie, tu guetteras les occasions de faire parvenir aux jeunes gens les doctrines philosophiques. J’en dirai autant des précepteurs. Détourner de précepteurs enseignant les turpitudes de la comédie, la licence des ïambes et tant d’autres choses, sans bonne influence sur qui les débite ni utilité pour qui les écoute, car ils ne savent pas interpréter philosophiquement les poèmes, ni ajouter à chacun ce qui contribue au bien des jeunes gens, c’est là une conduite que nous avouons sans rougir. Mais présente-moi des précepteurs initiant à la philosophie et en favorisant l’exercice : au lieu d’en détourner les jeunes gens, je m’efforcerai d’élever ceux qui sont déjà exercés dans le cycle des sciences et des thèmes philosophiques, je les mènerai loin de la foule qui l’ignore jusqu’à la vénérable et sublime éloquence des chrétiens qui traitent des vérités les plus élevées et les plus nécessaires, montrant en détail et prouvant que telle est la philosophie enseignée par les prophètes de Dieu et les apôtres de Jésus. LIVRE III
Rien d’étonnant d’ailleurs à ce que l’ordre, la composition, l’élocution de ces discours philosophiques aient produit ces résultats en ceux qu’on a nommés et en d’autres dont la vie avait été mauvaise. Mais à considérer que les discours qualifiés par Celse de vulgaires sont remplis de puissance à la manière des incantations, à voir ces discours convertir d’innombrables multitudes des désordres à la vie la plus réglée, des injustices à l’honnêteté, des timidités et des lâchetés à une fermeté poussée jusqu’au mépris de la mort pour la religion qu’ils croyaient vraie, que de justes raisons d’admirer la puissance de ce discours ! Car « le discours » de ceux qui ont, à l’origine, donné cet enseignement et travaillé à établir les églises de Dieu, ainsi que leur « prédication » eurent une puissance persuasive, bien différente de la persuasion propre à ceux qui prônent la sagesse de Platon ou d’un autre philosophe qui, étant hommes, n’avaient rien d’autre qu’une nature humaine. La démonstration dont usaient les apôtres de Jésus avait été donnée par Dieu et tenait sa vertu persuasive de « l’Esprit et de la puissance ». De là vient la rapidité et la pénétration avec laquelle s’est répandue leur parole, ou plutôt celle de Dieu, qui, par eux, changea un grand nombre de ceux qui étaient naturellement enclins à pécher et en avaient l’habitude. Et ceux qu’un homme n’eût pas changés, même par le châtiment, le Logos les a recréés, les formant et les modelant à son gré. LIVRE III
Puis, comme de la bouche de notre maître de doctrine, il énonce : Les sages repoussent ce que nous disons, égarés et entravés qu’ils sont par leur sagesse. A cela donc je répondrai : s’il est vrai que « la sagesse » est la science « des choses divines et humaines » et de leurs causes, ou comme la définit la parole divine : « le souffle de la puissance de Dieu, l’effusion toute pure de la gloire du Tout-Puissant, le reflet de la gloire éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, l’image de sa bonté », jamais un véritable sage ne repoussera ce que dit un chrétien qui a une vraie connaissance du christianisme, ni ne sera égaré et entravé par la sagesse. Car la vraie sagesse n’égare pas, mais bien l’ignorance, et la seule réalité solide est la science et la vérité qui proviennent de la sagesse. Si, contrairement à la définition de la sagesse, on donne le nom de sage à qui soutient par des sophismes n’importe quelle opinion, nous admettrons que celui que qualifie cette prétendue sagesse repousse les paroles de Dieu, égaré et entravé qu’il est par des raisons spécieuses et des sophismes. Mais d’après notre doctrine, « la science du mal n’est pas la sagesse » ; « la science du mal » pour ainsi parler, réside en ceux qui tiennent des opinions fausses et sont abusés par des sophismes ; aussi dirai-je qu’elle est chez eux ignorance plutôt que sagesse. LIVRE III
Il ne peut pas comprendre la parole : « Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas, moi, dit le Seigneur ». Il ne voit pas que, selon la doctrine des chrétiens, tous ensemble « nous avons en lui la vie, le mouvement et l’être » comme Paul l’a enseigné dans son discours aux Athéniens. Alors, même quand le Dieu de l’univers par sa propre puissance descend avec Jésus dans l’existence humaine, même quand le Logos, « au commencement près de Dieu » et Dieu lui-même, vient vers nous, il ne quitte pas sa place et n’abandonne pas son trône, comme s’il y avait d’abord un lieu vide de lui, puis un autre plein de lui, qui auparavant ne le contenait pas. Au contraire la puissance et la divinité de Dieu vient par celui qu’il veut et en qui il trouve une place, sans changer de lieu ni laisser sa place vide pour en remplir une autre. LIVRE IV
Au dire de l’Écriture, il est « Sauveur de tous les hommes, surtout des croyants », et son Christ est « propitiation pour nos péchés, et non pas pour nos péchés seuls, mais pour ceux du monde entier ». Certains Juifs peuvent dire, sinon tout ce qu’a écrit Celse, du moins, des propos vulgaires ; assurément pas les chrétiens, car ils ont appris la parole : « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ, alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous. » Et pourtant, « à peine voudrait-on mourir pour un homme juste ; pour un homme de bien peut-être accepterait-on de mourir ». En fait, suivant notre prédication, c’est pour les pécheurs du monde entier, afin qu’ils abandonnent leurs péchés et se confient en Dieu, qu’est venu Jésus, appelé encore, suivant l’usage traditionnel de la Bible, le Christ de Dieu. LIVRE IV
C’est, à mon sens, pour avoir mal compris encore la parole : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance », que Celse a imaginé des vers disant : Créés par Dieu, nous sommes entièrement semblables à lui. Si pourtant il avait compris la différence entre créer un homme à l’image de Dieu, ou le créer à sa ressemblance, et vu d’après l’Écriture que Dieu a dit « Faisons l’homme à notre image et ressemblance », mais que Dieu a fait l’homme « à l’image » de Dieu, et pas encore « à sa ressemblance », il ne nous aurait pas fait dire que nous sommes entièrement semblables à Dieu. Nous ne disons pas non plus : Même les étoiles nous sont subordonnées. Car la résurrection des justes, dans l’idée que s’en font nos sages, est comparée au soleil, à la lune et aux étoiles par celui qui affirme : « Autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat de la lune, autre l’éclat des étoiles ; car une étoile diffère en éclat d’une étoile. Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts », et aussi par Daniel qui a jadis prophétisé sur le sujet. Celse nous fait dire que tout est ordonné à notre service. Peut-être n’a-t-il pas entendu un de nos sages tenir ces propos, peut-être ignore-t-il en quel sens il est dit : « Le plus grand parmi vous est le serviteur de tous ». LIVRE IV
Ces remarques, fût-ce au prix d’une digression, étaient à mon avis nécessaires. Car je voulais répondre à la parole de Celse sur les Juifs : Ce sont des esclaves fugitifs jadis échappés d’Egypte, et ces hommes aimés de Dieu n’ont jamais rien fait de mémorable. De plus, à sa critique qu’ils n’ont compté ni par le rang ni par le nombre, je réponds : « Race élue, sacerdoce royal », se retirant et évitant le contact de la multitude, pour que leurs moeurs ne soient pas corrompues, ils étaient sous la garde de la puissance divine ; ils n’avaient pas l’ambition, comme la plupart des hommes, d’assujettir d’autres royaumes ; ils n’étaient pas abandonnés au point de devenir, du fait de leur petit nombre, une proie facile, ni à cause de ce petit nombre, d’être détruits de fond en comble. Cela durait tant qu’ils restaient dignes de la garde de Dieu. Mais quand il leur fallait, parce que la nation entière avait péché, revenir à leur Dieu par la souffrance, ils étaient abandonnés pour un temps parfois plus, parfois moins long, jusqu’à l’heure où, sous les Romains, ayant commis le plus grand péché en tuant Jésus, ils furent entièrement abandonnés. LIVRE IV
Puis, vois la méchanceté de Celse dans ce qui suit. Notre Écriture dit, en effet, de la formation de l’homme : « Et il souffla sur son visage le souffle de vie, et l’homme devint une âme vivante. » Mais lui, dans le désir de railler méchamment, sans avoir compris le sens de l’expression : « Il souffla sur son visage un souffle de vie », a écrit : Ils ont composé l’histoire d’un homme modelé par les mains de Dieu et recevant son souffle, afin que le terme « souffler », qui s’emploie aussi en parlant des outres qu’on gonfle, fasse rire de la parole : « Il souffla sur son visage un souffle de vie » ; mais l’expression, dite dans un sens figuré, demande une explication qui montre que Dieu a fait don à l’homme de l’esprit incorruptible, dont il est dit : « Ton esprit incorruptible est en tous. » LIVRE IV
Mais il est déraisonnable de ne point rire de la première histoire comme d’un mythe, d’en admirer au contraire le sens philosophique sous le voile du mythe, et pour la seconde, en n’appliquant son esprit qu’à la lettre seule, de railler et de penser qu’elle est sans raison. Car s’il fallait, d’après la simple lettre, mettre en cause la signification allégorique, vois si les vers d’Hésiode, auteur que tu dis inspiré, ne vont pas davantage encourir la raillerie. Voici ce qu’il a écrit : « Et courroucé, Zeus qui assemble les nuées lui dit : ” Fils de Japet, qui en sais plus long que tous les autres, puisses-tu rire d’avoir volé le feu et trompé mon âme, pour ton plus grand malheur, à toi, comme aux hommes à naître ! Moi, en place de feu, je leur ferai présent d’un mal, en qui tous, au fond du coeur, se complairont à entourer d’amour leur propre malheur.” Il dit et exécute le père des dieux et des hommes ; il commande à l’illustre Héphaistos de tremper d’eau un peu de terre sans tarder, d’y mettre la voix et les forces d’un être humain et d’en former, à l’image des déesses immortelles, un beau corps aimable de vierge ; Athénée lui apprendra ses travaux, le métier qui tisse mille couleurs ; Aphrodite d’or sur son front répandra la grâce, le douloureux désir, les soucis qui brisent les membres, tandis qu’un esprit impudent, un coeur artificieux seront, sur l’ordre de Zeus, mis en elle par Hermès, le Messager, tueur d’Argos. Il dit, et tous obéissent au seigneur Zeus, fils de Cronos. En hâte, l’illustre Boiteux modèle dans la terre la forme d’une chaste vierge, selon le vouloir du Cronide. La déesse aux yeux pers, Athéné, la pare et lui noue sa ceinture. Autour de son cou les Grâces divines, l’auguste Persuasion mettent des colliers d’or ; tout autour d’elle les Heures aux beaux cheveux disposent en guirlandes des fleurs printanières. Pallas Athéné ajuste sur son corps toute sa parure. Et dans son sein, le Messager, tueur d’Argos, crée mensonges, mots trompeurs, coeur artificieux, ainsi que le veut Zeus aux lourds grondements. Puis, héraut des dieux, il met en elle la parole, et à cette femme il donne le nom de Pandore, parce que ce sont tous les habitants de l’Olympe qui, avec ce présent, font présent du malheur aux hommes qui mangent le pain. » LIVRE IV
A la sentence qu’il porte sur le récit de Moïse : Impiété majeure que cette fiction où Dieu est si faible dès l’origine qu’il ne peut même convaincre le seul homme qu’il a lui-même modelé ! je répondrai qu’elle se rattache à la critique de l’existence même du mal, que Dieu n’a pu écarter d’un seul homme pour qu’au moins un seul homme quelconque s’en fût trouvé exempt dès l’origine. De même que sur ce point le souci de défendre la Providence fournit des justifications aussi nombreuses que valables, ainsi pour Adam et sa faute, on trouvera l’explication en sachant que, traduit en grec, le mot Adam signifie homme, et que, dans ce qui paraît concerner Adam, Moïse traite de la nature de l’homme. C’est que, dit l’Écriture, « en Adam tous meurent », et ils ont été condamnés « pour une transgression semblable à celle d’Adam », l’affirmation de la parole divine portant moins sur un seul individu que sur la totalité de la race. Et de fait, dans la suite des paroles qui semblent viser un seul individu, la malédiction d’Adam est commune à tous ; et il n’est pas de femme à laquelle ne s’applique ce qui est dit contre la femme. De plus, le récit de l’homme chassé du jardin avec sa femme, revêtu de « tuniques de peaux » que Dieu, à cause de la transgression des hommes, confectionna pour les pécheurs, contient un enseignement secret et mystérieux bien supérieur à la doctrine de Platon sur la descente de l’âme qui perd ses ailes et est entraînée ici-bas « jusqu’à ce qu’elle se saisisse de quelque chose de solide ». LIVRE IV
La mention qu’il fait d’une procréation parfaitement absurde et après l’âge, bien qu’il ne donne pas de nom propre, désigne évidemment celle d’Abraham et de Sara. Quand il rejette les menées de frères, il veut parler de celles de Caïn contre Abel, ou encore d’Ésaü contre Jacob. La douleur d’un père peut être celle d’Isaac au départ de Jacob, peut-être encore celle de Jacob d’avoir vu Joseph emmené pour être vendu en Egypte. L’expression tromperies de mères désigne dans son texte, je crois, les dispositions prises par Rébecca pour faire tomber non sur Esaü, mais sur Jacob, les bénédictions d’Isaac. Mais qu’y a-t-il d’absurde à dire que Dieu à étroitement collaboré à tout cela, dans la persuasion où nous sommes que sa divinité ne s’éloigne jamais de ceux qui se consacrent à lui en menant une vie de vertu solide. Il raille encore l’enrichissement de Jacob chez Liban, pour n’avoir pas compris le sens de la parole : « Celles qui étaient sans marque étaient pour Liban, celles qui étaient marquées, pour Jacob. » Et il dit : Dieu a fait don à ses enfants d’ânes, de brebis et de chameaux, pour n’avoir pas vu que « tout cela leur est arrivé en figures et fut écrit pour nous qui touchons à la fin des temps » ; nous chez qui les nations variées ont été marquées et sont gouvernées par la parole de Dieu, richesse donnée qui est figurativement appelé Jacob. C’est l’arrivée de ceux qui viendront des nations à la foi au Christ qu’indiqué l’histoire de Laban et de Jacob. LIVRE IV
Celse aurait dû reconnaître la sincérité des auteurs des divines Écritures à ce qu’ils n’ont pas caché des actes même déshonorants, et en conséquence, regarder comme authentiques les autres histoires encore plus étonnantes. Il a fait tout le contraire et, sans examiner la lettre ni rechercher l’esprit, a appelé plus abominable que les crimes de Thyeste l’histoire de Lot et de ses filles. Il n’est pas nécessaire d’exposer ici ce que signifient allégoriquement ce passage, et Sodome, et la parole des anges à celui qu’ils sauvaient de là : « Ne regarde pas en arrière et ne t’arrête pas dans toute la plaine d’alentour ; sauve-toi vers la montagne de peur que tu périsses avec les autres » ; ou ce que signifient Lot, sa femme changée « en colonne de sel » pour s’être retournée, ses filles enivrant leur père pour devenir mères grâce à lui. Essayons pourtant d’atténuer en quelques mots les inconvenances de l’histoire. Les Grecs aussi ont cherché la nature des actions bonnes, mauvaises, indifférentes. Ceux d’entre eux qui en ont le mieux traité font dépendre les bonnes et les mauvaises de la seule liberté ; ils disent indifférentes au sens propre toutes celles qui sont recherchées indépendamment de la liberté : la liberté en use-t-elle comme il convient, elle est louable, dans le cas contraire blâmable. Ils disent donc, à cette question des actions « indifférentes », que s’unir à sa fille est au sens propre indifférent, quoiqu’il ne faille point le faire dans les sociétés constituées. Par manière d’hypothèse, pour montrer le caractère indifférent d’un tel acte, ils ont supposé le cas d’un sage, laissé avec sa fille seule après la destruction de tout le genre humain et se demandent s’il serait convenable que le père s’unît à sa fille pour éviter, d’après l’hypothèse, la perte du genre humain tout entier. LIVRE IV
Il poursuit : Dira-t-on que cela pousse pour les hommes – évidemment les plantes, les arbres, les herbes, les épines – ? Pourquoi prétendre que cela pousse davantage pour les hommes que pour les plus sauvages des animaux sans raison ? Que Celse le dise clairement : la grande diversité de ce qui pousse sur le sol n’est pas l’oeuvre de la Providence, mais un choc fortuit d’atomes a produit ces qualités si diverses ; de ce choc fortuit résulte que tant d’espèces de plantes, d’arbres et d’herbes sont semblables entre elles ; aucune raison ordonnatrice ne les a posées dans l’existence, et elles ne tiennent pas leur origine d’un esprit qui surpasse toute admiration. Mais nous, chrétiens, consacrés au seul Dieu qui a créé toutes ces choses, pour elles aussi nous rendons grâce à leur Créateur à elles aussi d’avoir ordonné pour nous, et à cause de nous, pour les animaux à notre service, un si vaste foyer : « Celui qui fait germer l’herbe pour le bétail et les plantes au service des hommes pour qu’ils tirent le pain de la terre, et pour que le vin réjouisse le coeur de l’homme, pour que l’huile égaie son visage, et que le pain fortifie le coeur de l’homme. » Quoi d’étonnant à ce qu’il ait aussi préparé des nourritures aux plus sauvages des animaux ? Car même ces animaux, d’autres philosophes encore les ont dit créés pour exercer les forces de l’animal raisonnable. Et l’un de nos sages dit quelque part : « Ne dis pas : qu’est ceci ? pourquoi cela ? Car toute chose a été créée pour son usage. Ne dis pas : qu’est ceci? pourquoi cela? Car toute chose sera cherchée en son temps. » Ensuite Celse en vient à nier que la Providence ait fait les produits du sol plutôt pour nous que pour les plus sauvages des animaux, et il dit : Nous autres, au prix de fatigues et de souffrances continuelles, nous assurons à grand-peine notre nourriture; pour eux, tout pousse sans semailles ni labours. Il ne voit pas que Dieu, voulant que l’intelligence humaine s’exerce sous tous les rapports pour ne pas rester oisive et ignorante des arts, a créé l’homme indigent : ainsi son besoin même le contraindrait à inventer des arts, les uns pour se nourrir, les autres pour se protéger. Pour ceux qui n’étudieraient pas les mystères divins ni la philosophie, il valait mieux être dans le besoin afin d’employer leur intelligence à l’invention des arts, car l’abondance eût fait négliger entièrement l’intelligence. Le besoin de ce qui est nécessaire à la vie a donc produit la culture des champs, celle de la vigne, le jardinage, la technique du bois et celle du fer, qui fabriquent des outils pour les arts servant à l’acquisition de la nourriture. Le besoin de se protéger a introduit le tissage après le cardage et le filage, l’art de construire, et ainsi l’intelligence s’est élevée jusqu’à l’architecture. Le besoin du nécessaire a fait transporter, par la navigation et le pilotage, les produits de certaines régions vers celles qui ne les possédaient pas. Autant d’autres raisons d’admirer la Providence qui, pour son avantage, a créé l’être raisonnable démuni, par rapport aux animaux sans raison. Les animaux sans raison, parce que sans aptitude aux arts, ont leur nourriture toute prête ; et ils ont une protection naturelle, étant pourvus de poils, de plumes, d’écaillés, de coquilles. Cela suffit pour répondre à la parole de Celse : Nous autres, c’est au prix de fatigues et de souffrances continuelles que nous assurons à grand-peine notre nourriture ; pour eux, tout pousse sans semailles ni labours. LIVRE IV
De plus, la parole de Dieu, rapportée par Moïse, a présenté les premiers hommes comme écoutant la voix divine et ses oracles, et ayant parfois des visions d’anges de Dieu venant les visiter. Il convenait en effet qu’au début du monde la nature humaine ait été davantage secourue, jusqu’au moment où par leurs progrès dans la voie de l’intelligence et des autres vertus, dans l’invention des arts, les hommes ont pu vivre par eux-mêmes, sans qu’il leur fallût l’aide et le gouvernement continuels, miraculeusement manifestés, des serviteurs du vouloir divin. LIVRE IV
J’aborde maintenant un cinquième livre contre le traité de Celse, pieux Ambroise : non pour me livrer à un bavardage injustifiable puisqu’il n’irait pas sans péché, mais je fais de mon mieux pour ne laisser sans examen aucun de ses propos, notamment là où d’aucuns pourraient croire qu’il a dirigé des critiques pertinentes contre nous ou contre les Juifs. S’il m’était possible, par ce discours, de pénétrer la conscience de chaque lecteur de son ouvrage, d’en arracher tout trait blessant une âme que ne protège pas entièrement l’armure de Dieu, d’appliquer un remède spirituel guérissant la blessure causée par Celse, blessure empêchant qui se fie à ses arguments d’être robuste dans la foi, c’est bien ce que j’aurais fait. Mais c’est l’oeuvre de Dieu d’habiter invisiblement par son Esprit et l’Esprit du Christ ceux qu’il juge devoir habiter. Pour moi, en tâchant, par des discours et des traités, de raffermir les hommes dans la foi, je dois faire tous mes efforts pour mériter le titre d’ouvrier qui n’a pas à rougir, de fidèle dispensateur de «la parole de la vérité». Et l’un de ces efforts me semble être de réfuter de mon mieux les arguments plausibles de Celse, exécutant avec confiance le mandat que tu m’as donné. Je vais donc citer les arguments de Celse qui suivent ceux auxquels j’ai déjà répondu – au lecteur de juger si je les ai renversés -, je vais leur opposer mes réfutations. Que Dieu m’accorde de ne point aborder mon sujet en laissant mon esprit et ma raison purement humains et vides d’inspiration divine, « pour que la foi » de ceux que je désire aider « ne repose pas sur la sagesse des hommes », mais que je reçoive de son Père qui seul peut l’accorder « la pensée du Christ » et la grâce de participer au Logos de Dieu, et qu’ainsi je puisse détruire « toute puissance altière qui s’élève contre la connaissance de Dieu » et la suffisance de Celse qui s’élève contre nous et contre notre Jésus, et encore contre Moïse et les prophètes. Et que celui qui donne « aux messagers son Logos avec une grande puissance » me l’accorde à moi aussi et me fasse don de cette grande puissance, et que naisse chez les lecteurs la foi fondée sur le Logos et la puissance de Dieu ! LIVRE V
Puisque j’ai signalé la confusion qui résulte de ses méprises, tâchons de mettre au clair ce point du mieux possible, et d’établir que Celse a beau considérer comme juive la pratique d’adorer le ciel et les anges qui s’y trouvent, une telle pratique, loin d’être juive, est au contraire une transgression du judaïsme, tout comme celle d’adorer le soleil, la terre, les étoiles et encore les statues. Du moins on trouve en particulier dans Jérémie que le Logos de Dieu, par le prophète, reproche au peuple juif d’adorer ces êtres et de sacrifier « à la reine du ciel » et « à toute l’armée du ciel ». De plus, lorsque les chrétiens dans leurs écrits accusent ceux des Juifs qui ont péché, ils montrent que si Dieu abandonne ce peuple c’est entre autres à cause de ce péché. Car il est écrit dans les Actes des Apôtres à propos des Juifs : « Alors Dieu se détourna d’eux et les livra au culte de l’armée du ciel, ainsi qu’il est écrit au livre des prophètes : M’avez-vous offert victimes et sacrifices pendant quarante ans au désert, maison d’Israël ? Et vous avez porté la tente de Moloch, et l’étoile du dieu Rompha, les figures que vous aviez faites pour les adorer. » Et chez Paul, scrupuleusement élevé dans la pratique des Juifs, et plus tard converti au christianisme par une apparition miraculeuse de Jésus, voici une parole de l’Épître aux Colossiens : « Que personne n’aille vous frustrer, se complaisant dans son humilité et dans son culte des anges : visions d’illuminés qui, tout enflés du sot orgueil de leur intelligence charnelle, ne s’attachent pas à la Tête, d’où le corps tout entier, par le jeu des ligaments et jointures, tire nourriture et cohésion, pour réaliser la croissance voulue par Dieu. » Mais Celse qui n’a ni lu ni appris cela a imaginé, je ne sais pourquoi, que les Juifs ne transgressent pas leur loi en adorant le ciel et les anges qui s’y trouvent. C’est encore la confusion et la vue superficielle du sujet qui lui fait croire que les Juifs furent incités à adorer les anges du ciel par les incantations de la magie et de la sorcellerie qui font apparaître des fantômes aux incantateurs. Il n’a pas remarqué que c’eût été enfreindre la loi qui dit précisément à ceux qui veulent le faire : « Ne suivez pas les ventriloques, ne vous attachez pas aux incantateurs pour être souillés par eux : je suis le Seigneur votre Dieu». » Il lui fallait donc ou bien s’abstenir totalement d’attribuer ces pratiques aux Juifs, s’il continuait à voir en eux des observateurs de la loi et à dire qu’ils vivent selon la loi ; ou bien les leur attribuer en prouvant qu’elles étaient le fait des Juifs transgresseurs de la loi. Bien plus, si c’est déjà transgresser la loi que de rendre un culte à des êtres cachés dans je ne sais quelles ténèbres, parce qu’on est aveuglé par l’effet de la magie et qu’on voit en rêves des fantômes indistincts, et que d’adorer ces êtres qui, dit-on, alors vous apparaissent, de même aussi sacrifier au soleil, à la lune et aux étoiles, c’est commettre la transgression suprême de la loi. Donc le même homme ne pouvait dire que les Juifs se gardent d’adorer le soleil, la lune et les étoiles, mais ne se gardent pas d’adorer le ciel et ses anges. LIVRE V
Pour nous qui n’adorons pas plus les anges que le soleil, la lune et les étoiles, s’il faut justifier notre refus d’adorer ceux que les Grecs nomment des dieux visibles et sensibles, nous dirons : même la loi de Moïse sait que ces êtres ont été donnés par Dieu en partage « à toutes les nations qui sont sous le ciel », mais non plus à ceux qui ont été pris par Dieu pour sa part choisie de préférence à toutes les nations qui sont sur la terre. Du moins il est écrit dans le Deutéronome : « Quand tu lèveras les yeux vers le ciel, quand tu verras le soleil, la lune et les étoiles, et toute l’armée du ciel, ne va pas te laisser entraîner à les adorer et à les servir. Le Seigneur ton Dieu les a donnés en partage à toutes les nations qui sont sous le ciel. Mais vous, le Seigneur Dieu vous a pris et vous a fait sortir du creuset, l’Egypte, pour que vous deveniez le peuple de son héritage, comme vous l’êtes encore aujourd’hui. » Le peuple des Hébreux a donc été appelé par Dieu à être « une race choisie », « un sacerdoce royal », « une nation sainte », « un peuple qu’il s’est acquis » : lui dont il avait été prédit à Abraham par la parole du Seigneur s’adressant à lui : « Lève les yeux au ciel et compte les étoiles si tu peux les compter. Et il lui dit : Ainsi sera ta postérité. » Un peuple qui avait l’espérance de devenir comme les étoiles du ciel n’allait pas adorer celles à qui il allait devenir semblable parce qu’il comprenait et observait la loi de Dieu. En effet, il a été dit aux Juifs : « Le Seigneur votre Dieu vous a multipliés et vous êtes aujourd’hui comme les étoiles du ciel. » Voici encore, dans Daniel, une prophétie sur la résurrection : « En ce temps là, ton peuple sera sauvé, quiconque est inscrit dans le livre. Et beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre s’éveilleront, les uns pour une vie éternelle, les autres pour une réprobation et une honte éternelles. Les sages resplendiront comme la splendeur du firmament, et du fait des justes en grand nombre, comme les étoiles pour toujours et à jamais. » De là vient aussi que Paul traitant de la résurrection dit : « Il y a des corps célestes et des corps terrestres ; mais autre est l’éclat des célestes, autre celui des terrestres. Autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat de la lune, autre l’éclat des étoiles. Car une étoile diffère en éclat d’une étoile. Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts. » LIVRE V
Non assurément ! Après avoir été instruit à s’élever noblement au-dessus de toutes les choses créées et à espérer de Dieu les plus glorieuses récompenses d’une vie très vertueuse ; après avoir entendu la parole : « Vous êtes la lumière du monde », « que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu’ils voient vos bonnes oeuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux»; quand on s’efforce d’acquérir ou qu’on a même acquis déjà la sagesse resplendissante et inaltérable qui « est un reflet de la lumière éternelle », – il ne serait pas raisonnable de se laisser impressionner par la lumière sensible du soleil, de la lune ou des étoiles au point de penser qu’à cause de leur lumière sensible on leur est inférieur, alors qu’on possède une aussi puissante lumière intelligible de connaissance, « lumière véritable, lumière du monde, lumière des hommes », et de les adorer. S’il avait fallu les adorer, ce n’est point leur lumière sensible, admirée de la foule, qui eût mérité l’adoration, mais la lumière intelligible et véritable, à supposer que les étoiles du ciel soient des êtres vivants raisonnables et vertueux, illuminés de la lumière de la connaissance par la sagesse qui est « le rayonnement de la lumière éternelle ». Et en effet, leur lumière sensible est l’ouvrage du Créateur de l’univers, tandis que la lumière intelligible qu’ils possèdent peut-être eux aussi dérive encore de leur liberté. LIVRE V
Je donnerai même ici à leur propos cet exemple. Notre Sauveur et Seigneur, ayant entendu un jour qu’on l’appelait : « Bon Maître », renvoya son interlocuteur à son Père : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu le Père seul. » Avec raison, en sa qualité d’Image de la bonté de Dieu, le Fils de l’amour du Père a prononcé cette parole ; mais avec combien plus de raison le soleil ne pourrait-il pas dire à ceux qui l’adorent : Pourquoi m’adores-tu ? « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul. » C’est lui que, moi aussi et tous ceux qui m’accompagnent, nous adorons et nous servons. Serait-on loin de cette hauteur, qu’on n’en prie pas moins le Logos de Dieu, capable de nous guérir, et bien davantage son Père qui même aux justes d’autrefois « envoya son Logos et les guérit, et les fit échapper à leurs corruptions. » LIVRE V
Dieu donc, dans sa bonté, descend vers les hommes non par mouvement local mais par sa providence2 ; et le Fils de Dieu non seulement était présent jadis avec ses disciples, mais il l’est encore sans cesse, accomplissant la parole : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Et si « un sarment ne peut porter de fruit s’il ne demeure sur la vigne », il est bien clair que les disciples du Logos, sarments spirituels de la Vigne véritable, le Logos, ne peuvent porter les fruits de la vertu s’ils ne demeurent sur la Vigne véritable, le Christ de Dieu. Il est avec nous qui sommes localement ici-bas sur la terre, étant avec ceux qui partout adhèrent à lui ; mais déjà il est partout même avec ceux qui ne le connaissent pas. Voilà ce que montre Jean l’Evangéliste par ces mots de Jean-Baptiste : « Au milieu de vous se tient Celui que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Il a rempli le ciel et la terre, et il a dit : « Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas moi ? dit le Seigneur » ; il est avec nous et proche de nous, car je le crois lorsqu’il dit : « Je suis un Dieu de près et non un Dieu de loin », dit le Seigneur. » Il serait donc absurde de chercher à prier le soleil, la lune ou quelque étoile, dont la présence ne s’étend pas au monde entier. LIVRE V
Accordons même qu’ils soient ses hérauts, ses messagers véritablement célestes : n’est-il pas évident, même alors, qu’il faut adorer Dieu qui proclame et annonce par eux, plutôt que ses hérauts et ses messagers ? Celse suppose que nous tenons pour rien le soleil, la lune et les étoiles. Mais eux aussi, nous reconnaissons qu’ils « aspirent à la révélation des fils de Dieu », ayant été présentement soumis « à la vanité » des corps matériels « par l’autorité de celui qui les a soumis avec l’espérance ». Si Celse avait lu tout ce que nous disons encore du soleil, de la lune et des étoiles, entre autres : « Etoiles et lumière, louez-le toutes ! » et « Cieux des cieux louez-le ! », il n’aurait pas déclaré que nous tenons pour rien ces corps sublimes qui louent si hautement le Seigneur. Mais Celse ne connaît même point la parole : « La création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu ; car la création a été soumise à la vanité, non de son plein gré, mais à cause de celui qui l’a soumise, avec l’espérance d’être elle aussi libérée de l’esclavage de la corruption pour parvenir à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. » LIVRE V
Vois donc tout d’abord comme il tourne en ridicule dans ce passage l’embrasement du monde, admis même par des philosophes grecs de valeur, lorsqu’il prétend qu’en admettant la doctrine de l’embrasement, nous faisons de Dieu un cuisinier. Il n’a pas vu que, selon l’opinion de certains Grecs qui l’ont peut-être empruntée à la très ancienne nation des Hébreux, le feu est infligé en purification au monde et vraisemblablement aussi à chacun de ceux qui ont besoin d’être à la fois châtiés et guéris par le feu. Il brûle mais ne consume pas ceux en qui il n’y aurait pas de matière exigeant cette destruction par le feu, mais il brûle et consume ceux qui ont bâti, comme on dit au sens figuré, « en bois, en foin, en chaume », l’édifice de leurs actions, de leurs paroles, de leurs pensées. Les divines Écritures disent que le Seigneur visitera « comme le feu du fondeur, comme l’herbe du foulon » chacun de ceux qui ont besoin, à cause du mélange pour ainsi dire d’une malice mauvaise découlant du vice, – ont besoin, dis-je, du feu comme pour affiner les âmes mélangées d’airain, d’étain, de plomb. Voilà ce que n’importe qui peut apprendre du prophète Ézéchiel. On ne veut pas dire que Dieu applique le feu, tel un cuisinier, mais que Dieu agit en bienfaiteur de ceux qui ont besoin d’épreuve et de feu, et c’est ce que le prophète Isaïe attestera dans la sentence contre une nation pécheresse : « Puisque tu as des charbons de feu, assieds-toi sur eux, ils te seront un secours. » Le Logos, qui dispense des enseignements adaptés aux foules de ceux qui liront l’Écriture, dit avec une sagesse cachée des choses sévères pour effrayer ceux qui ne peuvent autrement se convertir du flot de leurs péchés. Même dans ces conditions, l’observateur perspicace trouvera une indication du but visé par ces châtiments sévères et douloureux à ceux qui les endurent : il suffit de citer ici le passage d’Isaïe : « A cause de mon nom, je te montrerai ma colère, et j’amènerai sur toi ma gloire pour ne pas t’exterminer. » J’ai été contraint de rapporter en termes obscurs les vérités dépassant la foi des simples qui ont besoin d’une instruction simple dans les termes ; je ne voulais point paraître laisser sans réfutation l’accusation de Celse qui dit : Lorsque Dieu, tel un cuisinier, appliquera le feu. De ce qu’on vient de dire ressortira pour les auditeurs intelligents la manière dont il faut répondre aussi à la parole : Toute autre race sera grillée, et ils seront les seuls à survivre. Rien d’étonnant que telle soit la pensée de ceux qui, parmi nous, sont appelés par l’Écriture : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, ce qui est sans naissance et que l’on méprise, ce qui n’est pas, qu’il a plu à Dieu de sauver, eux qui croient en lui, par la folie de la prédication puisque le monde par le moyen de la sagesse n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu ». Ils ne peuvent pénétrer le sens du passage et ne veulent pas consacrer leurs loisirs à chercher le sens de l’Écriture, en dépit de la parole de Jésus : « Scrutez les Écritures » ; et ils ont conçu une telle idée du feu appliqué par Dieu et du sort destiné au pécheur. Et sans doute convient-il de dire aux enfants des choses proportionnées à leur condition puérile à dessein, si petits qu’ils soient, de les convertir au mieux ; ainsi, à ceux que l’Écriture nomme fous dans le monde, sans naissance, objets de mépris, convient l’interprétation obvie des châtiments, puisque seules la crainte et la représentation des châtiments peuvent les convertir et les éloigner de nombreux maux. Aussi, l’Écriture déclare-t-elle que seront les seuls à survivre, sans goûter le feu et les châtiments, ceux qui sont tout à fait purs dans leurs opinions, leurs m?urs, leur esprit ; tandis que ceux qui ne le sont pas, mais, selon leur mérite, ont besoin du ministère des châtiments par le feu, elle déclare qu’ils y seront soumis jusqu’à un certain terme qu’il convient à Dieu d’assigner à ceux qui ont été créés « à son image », et ont vécu contrairement à la volonté de la nature qui est « selon l’image ». Voilà ma réponse à sa remarque : Toute autre race sera grillée, et ils seront les seuls à survivre. LIVRE V
Ensuite, pour avoir mal compris les saintes Écritures, ou entendu ceux qui ne les avaient pas pénétrées, il nous fait dire que seront seuls à survivre au moment où la purification par le feu sera infligée au monde non seulement les vivants d’alors, mais même ceux qui seront morts depuis longtemps. Il n’a pas saisi la sagesse cachée qu’enfermé la parole de l’Apôtre de Jésus : « Nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons transformés, en un instant, en un clin d’oeil, au son de la trompette finale ; car la trompette sonnera, les morts ressusciteront incorruptibles, et nous, nous serons transformés. » Il aurait dû savoir la pensée qui portait l’auteur à s’exprimer de la sorte : à ne pas se présenter comme un mort, à se distinguer des morts, lui-même et ceux qui lui ressemblent, et, après avoir dit que « les morts ressusciteront incorruptibles », à ajouter : « et nous, nous serons transformés ». Pour confirmer que telle avait été la pensée de l’Apôtre, quand il a écrit ce que j’ai cité de la Première aux Corinthiens, je présenterai encore le passage de la Première aux Thessaloniciens, où Paul, en homme vivant, éveillé, distinct de ceux qui sont endormis, déclare : « Voici, en effet, ce que nous avons à vous dire sur la parole du Seigneur : nous, les vivants, qui serons encore là lors de l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas les morts. Car au signal donné, à la voix de l’Archange, au son de la trompette divine, le Seigneur en personne descendra du ciel. » Et de nouveau, après cela il ajoute, sachant que les morts dans le Christ sont différents de lui et de ceux qui sont dans le même état que lui : « Ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord. Ensuite, nous, les vivants, qui serons encore là, nous serons emportés ensemble avec eux dans les nuées à la rencontre du Seigneur dans les airs. » LIVRE V
« Dieu donne donc à chacun un corps à son gré » : aux plantes ainsi semées, comme aux êtres qui sont pour ainsi dire semés dans la mort et qui reçoivent en temps opportun, de ce qui est semé, le corps assigné par Dieu à chacun selon son mérite. Nous entendons aussi l’Écriture qui enseigne longuement la différence entre le corps pour ainsi dire semé et celui qui en est comme ressuscité. Elle dit : « Semé dans la corruption, il ressuscite incorruptible ; semé dans l’abjection, il ressuscite glorieux ; semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force ; semé corps psychique, il ressuscite corps spirituel. » A celui qui le peut, de savoir encore sa pensée dans ce passage : « Tel le terrestre, tels seront aussi les terrestres, tel le céleste, tels seront aussi les célestes. Et comme nous avons porté l’image du terrestre, de même nous porterons l’image du céleste. » Cependant l’Apôtre veut laisser caché le sens mystérieux du passage, qui ne convient pas aux simples et à l’entendement commun de ceux que la foi suffît à amender. Il est néanmoins forcé ensuite, pour nous éviter des méprises sur le sens des ses paroles, de compléter l’expression : « Nous porterons l’image du céleste » par celle-ci : « Je l’affirme, frères : la chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu, ni la corruption hériter de l’incorruptibilité1. » Et sachant bien le mystérieux sens caché qu’il y avait dans ce passage, comme il convient à un auteur laissant par écrit à la postérité l’expression de sa pensée, il ajoute : «Voici que je vais vous dire un mystère. » C’est précisément la formule d’introduction aux doctrines profondes et mystérieuses, justement cachées à la foule. Ainsi encore il est écrit dans le livre de Tobie : « Il est bon de tenir caché le secret du roi » ; puis, à l’égard de ce qui est glorieux et adapté à la foule, en dosant la vérité : « Il est bon de révéler les oeuvres de Dieu pour sa gloire. » Dès lors notre espérance n’est pas celle des vers et notre âme ne regrette pas le corps putréfié ; sans doute a-t-elle besoin d’un corps pour passer d’un lieu à un autre ; mais, ayant médité la sagesse selon la parole : « La bouche méditera la sagesse », elle sait qu’il y a une différence entre l’habitation terrestre où se trouve la tente et qui est vouée à la destruction, et la tente où les justes gémissent accablés, non parce qu’ils veulent se dévêtir de la tente, mais « pardessus elle se revêtir » (d’une autre) afin que, ainsi revêtus, « ce qu’il y a de mortel soit englouti par la vie ». « Il faut en effet », toute la nature corporelle étant corruptible, que cette tente « corruptible revête l’incorruptibilité », et que d’autre part, ce qui est « mortel » et destiné à la mort, conséquence immédiate du péché, « revête l’immortalité ». Ainsi, quand « cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité et cet être mortel l’immortalité, alors s’accomplira » l’antique prédiction des prophètes, la fin du triomphe de la mort qui dans son triomphe nous avait soumis à elle, et la perte de l’aiguillon dont elle pique l’âme incomplètement protégée, lui infligeant les blessures qui viennent du péché. LIVRE V
Nous affirmons que Moïse, pour nous le prophète de Dieu et son véritable serviteur, retrace ainsi le partage des peuples de la terre dans le Cantique du Deutéronome : « Quand le Très-Haut divisait les nations, quand il répartissait les fils d’Adam, il fixa les limites des nations suivant le nombre d’anges de Dieu, mais le lot du Seigneur, ce fut son peuple Jacob, et le lot de son héritage Israël. » Sur la division des nations, le même Moïse, dans son livre de la Genèse, raconte sous la forme d’une histoire : « Et toute la terre n’avait qu’une langue, avec les mêmes mots pour tous. Et il advint que, se déplaçant du Levant, ils trouvèrent une plaine au pays de Sennaar et ils s’y établirent. » Et peu après : « Le Seigneur descendit voir la ville et la tour que les fils des hommes avaient bâtie. Et le Seigneur dit : ” Voici qu’ils ne forment qu’une seule race avec une seule langue pour tous. Ils ont commencé là leurs entreprises, et maintenant, ils n’auront de cesse qu’ils n’aient accompli tout ce qu’ils désirent. Allons ! Descendons ! Et là confondons leur langage, pour que chacun ne comprenne plus la parole de son voisin. ” Et le Seigneur les dispersa de là sur la face de toute la terre, et ils cessèrent de bâtir la ville et la tour. Voilà pourquoi on lui donna le nom de Confusion, car c’est là que le Seigneur confondit la langue de toute la terre, et c’est de là que le Seigneur les dispersa sur la face de toute la terre “. Dans le livre intitulé la Sagesse de Salomon traitant de la sagesse et de ceux qui vivaient lors de la confusion des langues, quand eut lieu le partage des peuples de la terre, il est ainsi parlé de la sagesse : « Et lorsque, unanimes en leur perversité, les nations eurent été confondues, c’est elle qui discerna le juste, le conserva sans reproche devant Dieu, et le garda fort contre sa tendresse pour son enfant.» Le sujet comporte une profonde doctrine mystique à laquelle s’applique la parole : « Il est bon de cacher le secret du roi. » Il ne faut pas livrer aux oreilles profanes la doctrine sur l’entrée des âmes dans le corps qui n’est pas due à la métensomatose ; il ne faut pas donner aux chiens les choses sacrées, ni jeter les perles aux pourceaux. Ce serait une impiété impliquant une trahison des secrets oracles de la sagesse de Dieu, d’après la belle sentence : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, elle n’habitera pas dans un corps tributaire du péché. » Pour les vérités cachées sous la forme d’une histoire, il suffît de les présenter selon la forme de cette histoire pour permettre à ceux qui le peuvent de dégager pour eux-mêmes la signification du passage. Qu’on se représente donc tous les peuples sur la terre, usant d’une même langue divine et, aussi longtemps du moins qu’ils vivent en accord les uns avec les autres, persistant à user de cette langue divine. Ils restent sans s’éloigner du Levant tant qu’ils ont l’esprit sensible aux effets de la lumière et du rayonnement « de la lumière éternelle ». Et quand, l’esprit rempli de préoccupations étrangères au Levant, ils se sont éloignés du Levant, ils trouvent « une plaine dans le pays de Sennaar », ce qui s’interprète ébranlement des dents pour indiquer symboliquement qu’ils ont perdu les moyens de se nourrir ; et ils y habitent. Ils veulent ensuite rassembler des matériaux et unir au ciel ce qui ne peut naturellement y être uni, pour conspirer avec la matière contre ce qui est immatériel. LIVRE V
Ces remarques non seulement réfutent sa théorie des puissances tutélaires, mais dans une certaine mesure préviennent ce que dit Celse contre nous : Mais que paraisse le second choeur: je leur demanderai d’où ils viennent, quel est l’auteur de leurs lois traditionnelles. Ils ne pourront désigner personne. En fait, c’est de là qu’ils sont venus eux aussi, ils ne peuvent indiquer pour leur maître et chef de choeur une autre origine. Néanmoins, ils se sont séparés des Juifs. EH bien ! nous venons tous, « en ces derniers jours » où notre Jésus nous a visités, « à la splendide montagne du Seigneur », sa Parole, « bien au-dessus » de toute autre parole, et à la maison de Dieu, « qui est l’Église du Dieu vivant, colonne et soutien de la vérité ». Nous la voyons bâtie « sur les sommets des montagnes », les paroles de tous les prophètes qui lui servent de fondation. Cette maison s’élève « bien au-dessus des collines », ces hommes qui paraissent promettre une supériorité en sagesse et en vérité. Et nous, « toutes les nations », nous montons vers elle, nous avançons, nations en foule, nous exhortant mutuellement à l’adoration de Dieu qui, « en ces derniers jours », a resplendi par Jésus-Christ : « Allons et montons à la montagne du Seigneur et à la maison du Dieu de Jacob. Il nous annoncera sa voie, et nous avancerons par elle. » Car « la loi » est sortie des habitants de « Sion », et elle est passée à nous toute spirituelle. De plus, « la parole du Seigneur » est sortie de cette « Jérusalem » pour être partout répandue et pour juger « chacun au milieu des nations » en se réservant ceux qu’elle voit dociles, mais pour condamner « la multitude » indocile. LIVRE V
A qui nous demande d’où nous venons et quel est notre chef nous répondons : nous venons, suivant les conseils de Jésus, briser les épées rationnelles de nos contestations et de nos violences pour en faire des socs de charrue et forger en faucilles les lances auparavant employées à la lutte. Car nous ne tirons plus l’épée contre aucun peuple ni ne nous entraînons à faire la guerre : nous sommes devenus enfants de la paix par Jésus qui est notre chef, au lieu de suivre les traditions qui nous rendaient « étrangers aux alliances »; nous recevons une loi dont nous rendons grâces à celui qui nous a tirés de l’erreur, en disant : « Combien fausses les idoles qu’ont possédées nos pères, et il n’en est pas une parmi elles qui fasse pleuvoir ! » Oui, notre chef de choeur et notre Maître est sorti des Juifs, et il fait paître la terre entière par la parole de son enseignement. J’ai pris d’avance ce passage de Celse, ajouté à beaucoup d’autres, et l’ai réfuté de mon mieux en le joignant aux paroles déjà citées. LIVRE V
Il y a donc, à parler en général, deux lois : l’une, la loi de la nature, dont on peut dire que Dieu est l’auteur ; l’autre, la loi écrite des cités. Il est bon, quand la loi écrite ne contredit pas celle de Dieu, de ne pas troubler les citoyens par des lois étrangères. Mais quand la loi de la nature, c’est-à-dire de Dieu, ordonne le contraire de la loi écrite, vois si la raison n’impose pas de congédier les textes et l’intention des législateurs, pour se donner au Dieu Législateur et choisir une vie conforme à son Logos, dut-on affronter des risques, mille souffrances, la mort et l’infamie. Quand les actions qui plaisent à Dieu sont contraires à celles qui plaisent à certaines lois des cités, et qu’il est impossible de plaire à Dieu et à ceux qui veillent à l’application de ces lois, il serait absurde de mépriser les actions par lesquelles on plairait au Créateur de l’univers et de choisir celles par lesquelles on déplaira à Dieu tout en donnant satisfaction aux lois qui ne sont pas des lois et à ceux qui les aiment. S’il est raisonnable de préférer sur les autres points la loi de la nature, qui est la loi de Dieu, à celle qui est écrite et promulguée par les hommes en contradiction avec la loi de Dieu, combien plus ne le sera-t-il pas quand il s’agit de lois sur le culte à rendre à Dieu ? Aussi n’irons-nous pas comme les Égyptiens habitant les alentours de Méroé, adorer les seuls Zeus et Dionysos comme il leur plaît de faire, ni accorder le moindre honneur aux dieux d’Ethiopie à la manière éthiopienne ; ni comme les Arabes penser qu’Uranie et Dionysos soient les seuls dieux, ni même du tout admettre qu’ils sont des dieux en qui on honore les sexes masculin et féminin, car les Arabes adorent Uranie comme femelle et Dionysos comme mâle ; ni non plus comme tous les Égyptiens regarder Osiris et Isis comme des dieux, ni leur joindre Athéné suivant l’opinion des Saïtes. Et même si les Naucratites autrefois décidèrent d’adorer d’autres dieux, et ont commencé hier ou avant-hier à vénérer Sérapis qui n’avait jamais été dieu, nous n’irons pas pour autant faire un nouveau dieu de celui qui auparavant n’était pas dieu, et n’était pas même connu des hommes. Mais le Fils de Dieu, « Premier-né de toute créature », bien qu’il ait paru s’être fait homme récemment, n’en est pas du tout nouveau pour cela. Les divines Écritures le savent bien antérieur à toutes les créatures : c’est à lui que Dieu, lors de la création de l’homme, adressa la parole : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » LIVRE V
De plus, si les Juifs s’enorgueillissent de s’abstenir des porcs, ce n’est pas qu’il y ait là un grand mérite, mais c’est qu’ils ont appris la différence naturelle entre animaux purs et impurs, qu’ils en savent la raison, et que le porc se trouve parmi les animaux impurs. Gela n’était que figures d’autres réalités avant l’arrivée de Jésus ; après elle, son disciple ne comprenait pas encore la raison de ces interdits et objectait : « Jamais je n’ai rien mangé de souillé ni d’impur » ; il entendit la parole : « Ce que Dieu a déclaré pur, ne va pas le dire souillé. » Il n’importe donc ni aux Juifs ni à nous-mêmes que les prêtres d’Egypte s’abstiennent non seulement des porcs, mais en outre des chèvres, des brebis, des b?ufs et des poissons. Comme « ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme » et que « ce n’est pas un aliment qui nous recommandera auprès de Dieu », nous ne nous glorifions pas de nos abstinences, mais nous n’allons pas non plus manger par gloutonnerie. Aussi, en ce qui nous concerne, nous disons bonne chance aux disciples de Pythagore qui s’abstiennent des êtres vivants. Mais il faut voir la différence du motif pour lequel s’abstiennent des êtres vivants les disciples de Pythagore et nos ascètes. Eux pratiquent cette abstinence des êtres vivants à cause du mythe de la métensomatose de l’âme. Et qui donc « serait assez fou pour élever vers le ciel son fils bien-aimé et l’immoler avec imprécation ? » Mais nous, par cette même pratique nous châtions notre corps et le réduisons en servitude ; nous voulons mortifier « nos membres terrestres : fornication, impureté, impudicité, passion, mauvais désir » ; nous faisons tout pour mortifier « les oeuvres de notre corps ». LIVRE V
Celse ajoute cette remarque sur les Juifs : Il n’est pas vraisemblable qu’ils jouissent de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres, ni que des anges soient envoyés à eux seuls, comme s’ils avaient obtenu en partage une terre de bienheureux : nous voyons assez quel traitement ils ont mérité, eux et leur pays. Je réfuterai donc cela en disant : ce peuple a joui de la faveur de Dieu comme le montre déjà le fait que le Dieu suprême est appelé « Dieu des Hébreux », même par ceux qui sont étrangers à notre foi. Et justement parce qu’ils jouissaient de sa faveur tant qu’ils ne furent point abandonnés par lui, ils continuaient malgré leur petit nombre à être protégés par la puissance divine : ainsi, sous Alexandre de Macédoine ils n’ont rien souffert de sa part, bien que certaines conventions et serments les aient empêchés de prendre les armes contre Darius. On dit même qu’alors le grand-prêtre des Juifs, revêtu de sa robe sacrée, fut adoré par Alexandre qui dit avoir eu durant son sommeil l’apparition d’un être revêtu de ce costume, lui promettant qu’il soumettrait l’Asie entière. Nous donc, chrétiens, nous déclarons : il leur est bel et bien arrivé de jouir de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres. Mais cette disposition favorable s’est portée sur nous quand Jésus eut transféré la puissance, en action chez les Juifs, à ceux des Gentils qui ont cru en lui. Voilà pourquoi les Romains, malgré leurs nombreux desseins contre les chrétiens pour les empêcher de subsister davantage, n’ont pas pu y réussir. En effet, la main divine assurait leur défense pour que la parole de Dieu se répandît d’un coin de la terre de Judée à tout le genre humain. LIVRE V
Après avoir répondu, autant que possible, aux accusations portées par Celse contre les Juifs et leur doctrine, qu’on me permette, à propos du passage qui suit, de prouver qu’il n’y a pour nous aucune arrogance à prétendre connaître le Grand Dieu, et que nous n’avons pas été séduits, comme le croit Celse, par l’imposture de Moïse ou de notre Sauveur lui-même. Et c’est pour notre bien que nous écoutons Dieu qui parle par Moïse, et sur son témoignage qu’il est Dieu, nous avons accepté Jésus comme Fils de Dieu. Et nous espérons les plus belles espérances quand nous vivons selon sa parole. LIVRE V
Ensuite, il pense faire une concession en disant du Sauveur : Admettons qu’il fut un ange véritable. Nous disons : assurément nous l’admettons, non point parce que Celse nous l’accorde, mais parce que nous voyons l’oeuvre de celui qui est venu visiter tout le genre humain par sa parole et par son enseignement, dans la mesure où chacun de ceux qui l’accueillent en était capable. C’était l’oeuvre non seulement d’un ange mais, comme le nomme la prophétie qui le vise, de l’Ange du « grand conseil ». Car il a annoncé aux hommes le grand conseil que formait sur eux le Dieu et Père de l’univers : que ceux qui consentent à vivre dans une piété pure s’élèvent par leurs grandes actions vers Dieu, que ceux qui ne l’accueillent pas s’éloignent de Dieu et s’acheminent à la perdition par le refus de croire en Dieu. LIVRE V
Il mélange des choses incompatibles et assimile entre elles des choses dissemblables ; car après avoir parlé des soixante ou soixante-dix anges descendus, selon lui, et dont les pleurs, à l’en croire, seraient les sources chaudes, il ajoute qu’il vint alors, dit-on, au tombeau de Jésus deux anges d’après les uns, un seul d’après les autres. Il n’a pas observé, je pense, que Matthieu et Marc ont parlé d’un seul, Luc et Jean de deux, ce qui n’est pas contradictoire. Les auteurs désignent par un seul ange celui qui a fait rouler la pierre loin du tombeau, et par deux anges ceux qui se sont présentés « en robe étincelante » aux femmes venues au tombeau, ou ceux qui ont été vus à l’intérieur « assis dans leurs vêtements blancs ». Il serait possible de montrer ici que chacune de ces apparitions est à la fois un événement historique et une manifestation d’un sens allégorique relatif aux vérités qui apparaissent à ceux qui sont prêts à contempler la résurrection du Logos; cela ne relève pas de l’étude actuelle, mais plutôt des commentaires de l’Évangile. Des réalités merveilleuses se sont parfois manifestées aux hommes : c’est ce que rapportent aussi parmi les Grecs non seulement ceux qu’on pourrait soupçonner d’inventer des fables, mais encore ceux qui ont donné maintes preuves de la rigueur philosophique et de leur loyauté à citer les faits qui leur sont parvenus. J’ai lu de ces traits chez Chrysippe de Soles, d’autres chez Pythagore ; et depuis, chez certains aussi plus récents, nés d’hier ou d’avant-hier, comme chez Plutarque de Chéronée dans le “Traité de l’âme”, et le Pythagoricien Noumenios dans le deuxième livre “Sur l’incorruptibilité de l’âme”. Ainsi donc, quand les Grecs, et surtout leurs philosophes, racontent des faits de cet ordre, leurs récits ne provoquent ni moquerie ni dérision et on ne les traite pas de fictions et de fables. Au contraire, quand des hommes voués au Dieu de l’univers et qui, pour ne pas dire une parole mensongère sur Dieu, acceptent d’être maltraités jusqu’à la mort, annoncent qu’ils ont vu des apparitions d’anges, ils ne mériteraient pas créance et leurs paroles ne seraient pas reconnues véridiques ? Il serait déraisonnable de trancher ainsi entre la sincérité et le mensonge. La rigueur de la critique exige une recherche longue et précise, un examen de chaque point, après lesquels, avec lenteur et précaution, on prononce que tels auteurs disent vrai et tels auteurs mentent sur les prodiges qu’ils racontent. Tous ne manifestent pas qu’ils sont dignes de foi, tous ne montrent pas clairement qu’ils transmettent aux hommes des fictions et des fables. Il faut ajouter à propos de la résurrection de Jésus d’entre les morts : il n’est pas étonnant qu’alors un ange ou deux soient apparus pour annoncer qu’il était ressuscité, et qu’ils aient pourvu à la sécurité de ceux qui pour leur salut croyaient à ce miracle. Et il ne me semble pas déraisonnable que toujours ceux qui croient Jésus ressuscité et présentent comme un fruit appréciable de leur foi la générosité de leur vie et leur aversion pour le débordement du vice, ne soient point séparés des anges qui les accompagnent pour leur porter secours dans leur conversion à Dieu. Celse reproche aussi à l’Écriture d’affirmer qu’un ange avait roulé la pierre loin du tombeau où était le corps de Jésus : il ressemble à un jeune homme qui s’exerce à user de lieux communs pour soutenir une accusation. Comme s’il avait trouvé contre l’Écriture une objection subtile, il ajoute : Le Fils de Dieu, à ce qu’il paraît, ne pouvait ouvrir le tombeau, mais il a eu besoin d’un autre pour déplacer la pierre. Mais je ne veux pas perdre mon temps à discuter l’objection ni, en développant ici une interprétation allégorique, paraître introduire mal à propos des considérations philosophiques. Du récit lui-même je dirai que d’emblée il semble plus digne que ce fût l’inférieur et le serviteur, plutôt que celui qui ressuscitait pour le bien des hommes, qui ait fait rouler la pierre. Je m’abstiens de souligner que ceux qui conspiraient contre le Logos, qui avaient décidé de le tuer et de montrer à tous qu’il était mort et réduit à rien, ne voulaient pas du tout que son tombeau fût ouvert, afin que personne ne pût voir le Logos vivant après leur conspiration. Mais « l’Ange de Dieu » venu sur terre pour le salut des hommes coopère avec l’autre ange et, plus fort que les auteurs de la conspiration, fait rouler la lourde pierre, afin que ceux qui croient le Logos mort soient persuadés qu’« il n’est point parmi les morts », mais qu’il vit et « précède » ceux qui consentent à le suivre, pour expliquer la suite de ce qu’il avait commencé à leur expliquer auparavant, lorsqu’au premier temps de leur initiation ils n’étaient pas encore capables de saisir les vérités plus profondes. LIVRE V
Celse poursuit : ” Qu’on n’aille pas imaginer que je l’ignore: certains d’entre eux conviendront qu’ils ont le même Dieu que les Juifs, mais les autres pensent qu’il y a un dieu différent auquel le premier est opposé, et de qui est venu le Fils “. S’il croit que l’existence de plusieurs sectes parmi les chrétiens constitue un grief contre le christianisme, pourquoi ne verrait-on pas un grief analogue contre la philosophie dans le désaccord entre les écoles philosophiques, non pas sur des matières légères sans importance mais sur les questions capitales ? Il faudrait aussi accuser la médecine à cause des écoles qu’elle présente. Admettons que certains d’entre nous nient que notre Dieu soit le même que le Dieu des Juifs : ce n’est pourtant pas une raison d’accuser ceux qui prouvent par les mêmes Écritures qu’il y a un seul et même Dieu pour les Juifs et les Gentils. Paul le dit clairement, lui qui est passé du judaïsme au christianisme : « Je rends grâces à mon Dieu que je sers comme mes ancêtres avec une conscience pure. » Admettons encore qu’il y ait une troisième espèce, ceux qui nomment les uns psychiques, les autres pneumatiques. Je pense qu’il veut parler des disciples de Valentin. Quelle conclusion en tirer contre nous qui appartenons à l’Église, et condamnons ceux qui imaginent des natures sauvées en vertu de leur constitution ou perdues en vertu de leur constitution ? Admettons même que certains se proclament Gnostiques, à la façon dont les Epicuriens se targuent d’être philosophes. Mais ceux qui nient la Providence ne peuvent être véritablement philosophes, ni ceux qui introduisent ces fictions étranges désavouées par les disciples de Jésus être des chrétiens. Admettons enfin que certains acceptent Jésus, et c’est pour cela qu’ils se vantent d’être chrétiens, mais ils veulent encore vivre selon la loi des Juifs comme la foule des Juifs. Ce sont les deux sortes d’Ébionites : ceux qui admettent comme nous que Jésus est né d’une vierge, ceux qui ne le croient pas né de cette manière mais comme le reste des hommes. Quel grief tirer de tout cela contre les membres de l’Église que Celse a nommés ceux de la foule ? Il ajoute : Parmi eux, il y a encore des Sibyllistes, peut-être pour avoir compris de travers des gens qui blâment ceux qui croient au don prophétique de la Sibylle et les ont appelés Sibyllistes. Puis, déversant sur nous une masse de noms, il déclare connaître encore certains Simoniens qui vénèrent Hélène ou Hélénos leur maître et sont appelés Héléniens. Celse ignore que les Simoniens refusent absolument de reconnaître Jésus comme Fils de Dieu : ils affirment que Simon est une puissance de Dieu et racontent les prodiges de cet homme qui, en simulant les prodiges analogues à ceux que Jésus avait simulés, selon lui, avait cru qu’il aurait autant de pouvoir sur les hommes que Jésus parmi la foule. Mais il était impossible à Celse comme à Simon de comprendre la manière dont Jésus a pu ensemencer, en bon « laboureur » de la parole de Dieu, la majeure partie de la Grèce et la majeure partie de la barbarie, et remplir ces pays des paroles qui détournent l’âme de tout mal et la font monter au Créateur de l’univers. Celse connaît encore les Marcelliniens disciples de Marcellina, les Harpocratiens disciples de Salomé, d’autres disciples de Mariamme et d’autres disciples de Marthe. Malgré mon zèle à l’étude, non seulement pour scruter le contenu de notre doctrine dans la variété de ses aspects, mais encore, autant que possible, pour m’enquérir sincèrement des opinions des philosophes, je n’ai jamais rencontré ces gens-là. Celse mentionne encore les Marcionites qui mettent à leur tête Marcion. Ensuite, pour donner l’apparence qu’il en connaît encore d’autres que ceux qu’il a nommés, il généralise à son habitude : Certains ont trouvé comme maître un chef et un démon, d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans d’épaisses ténèbres à perpétrer plus d’impiétés et de souillures que les thyases d’Egypte. En effleurant le sujet, il me paraît bien avoir dit quelque chose de vrai : certains ont trouvé comme chef un démon, et d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans les épaisses ténèbres de l’ignorance. Mais j’ai déjà parlé d’Antinoos qu’il compare à notre Jésus et je n’y reviendrai pas. LIVRE V
Il ajoute : ” Ces gens-là se chargent les uns les autres de toutes les horreurs possibles, rebelles à la moindre concession pour la concorde et animés de haines implacables. ” A l’objection j’ai déjà répondu : même en philosophie et en médecine il est possible de trouver des écoles qui combattent d’autres écoles. Cependant, nous qui suivons la parole de Jésus et mettons ses préceptes en pratique dans nos pensées, nos paroles, nos actions, « on nous insulte et nous bénissons, on nous persécute et nous l’endurons, on nous calomnie et nous consolons ». Loin de dire toutes les horreurs possibles contre ceux qui tiennent d’autres opinions que celles que nous avons reçues, nous ferions au contraire tout notre possible pour qu’ils se convertissent à une vie meilleure en s’attachant au seul Créateur et faisant tout en vue du jugement futur. Et si ceux qui pensent autrement ne sont pas convaincus, nous gardons la parole qui fixe la conduite à leur égard : « Pour l’hérétique, après un premier et second avertissement, romps avec lui : un tel individu, tu le sais, est un dévoyé, un pécheur qui se condamne lui-même. » De plus, ceux qui ont compris les maximes : « Bienheureux les pacifiques, bienheureux les doux » ne sauraient haïr ceux qui altèrent les vérités du christianisme, ni traiter de Circé et d’agitateurs rusés ceux qui sont tombés dans l’erreur. LIVRE V
Celse a mal compris, me semble-t-il, cette parole de l’Apôtre : « Dans les derniers temps, certains s’écarteront de la foi pour s’attacher à des esprits trompeurs et à des doctrines diaboliques, séduits par des menteurs hypocrites marqués au fer rouge dans leur conscience : ils interdisent le mariage et l’usage d’aliments que Dieu a créés pour être pris avec actions de grâce par les croyants. » Il a mal compris encore les gens qui citent ces paroles de l’Apôtre contre ceux qui altèrent les vérités du christianisme ; aussi dit-il que, parmi les chrétiens, certains sont appelés les cautères de l’oreille. Il ajoute que d’autres sont nommés énigmes, chose dont je ne sais rien. Il est vrai que l’expression pierre de scandale est fréquente dans les Écritures : on a coutume de l’appliquer à ceux qui détournent de la saine doctrine les esprits simples et faciles à berner. Ce que désigne les Sirènes danseuses et séductrices qui scellent à la cire les oreilles de ceux qui leur obéissent et changent leurs télés en têtes de porc, je ne le sais, pas plus que personne, j’imagine, parmi ceux de notre doctrine ni ceux des sectes. LIVRE V
Loin de moi la pensée de critiquer Platon : de lui aussi la grande foule des hommes a retiré des avantages ; mais je veux mettre en lumière l’intention de ceux qui ont dit : « Ma doctrine et ma prédication n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse ; c’était une démonstration de l’Esprit et de la puissance, afin que notre foi reposât non point sur la sagesse des hommes mais sur la puissance de Dieu. » Le divin Logos déclare que prononcer un mot, fut-il en lui-même vrai et très digne de foi, n’est pas suffisant pour toucher l’âme humaine sans une puissance donnée par Dieu à celui qui parle et une grâce qui rayonne dans ses paroles, véritable don de Dieu à ceux dont la parole est efficace. C’est bien ce que dit le prophète dans le psaume soixante-septième : « Le Seigneur donnera sa parole à ceux qui prêchent avec grande puissance. » LIVRE VI
Qu’on présente donc les anciens sages à qui peut les comprendre ! En particulier que Platon, fils d’Ariston, s’explique sur la nature du Souverain Bien dans une de ses Lettres, et déclare qu’il est absolument ineffable, que c’est d’un long commerce qu’il naît soudain, comme d’une flamme jaillissante une lumière surgie dans l’âme. A entendre cette parole, on convient de sa beauté, « car c’est Dieu qui le leur a révélé » ainsi que tout ce qu’ils ont dit de bien. Aussi affirmons-nous que ceux qui ont conçu la vérité sur Dieu sans pratiquer la religion conforme à cette vérité sur Dieu subissent les châtiments des pécheurs. LIVRE VI
Remarque dès lors la différence entre la noble parole de Platon sur le Souverain Bien, et celles des prophètes sur la lumière des bienheureux ; considère que la vérité proclamée par Platon n’a nullement favorisé une religion pure chez ses lecteurs, ni même chez Platon, malgré sa vue pénétrante sur le Souverain Bien, mais que le style simple des divines Écritures a rempli d’ardeur divine ceux qui en font une lecture véritable ; chez eux, cette lumière est alimentée par ce qu’on appelle dans certaines paraboles l’huile qui entretient la lumière des flambeaux de cinq vierges sages. LIVRE VI
Celse cite un autre passage de la Lettre de Platon: « Si j’avais jugé qu’on dût l’écrire et le dire pertinemment à l’adresse du grand public, qu’aurais-je pu accomplir de plus beau dans ma vie que de rendre à l’humanité le grand service de l’écrire et de mettre pour tous en lumière le fond des choses ? » Qu’on me permette de le discuter brièvement. D’abord, Platon a-t-il eu oui ou non une doctrine plus sage que celle qu’il a écrite et plus divine que celle qu’il a laissée, je laisse à chacun le soin de le rechercher de son mieux. Mais je montre que nos prophètes aussi ont eu dans l’esprit des pensées trop élevées pour être écrites et qu’ils n’ont pas écrites. Ainsi, Ézéchiel prend « un volume roulé, écrit au recto et au verso, où étaient des lamentations, des gémissements et des plaintes » et, sur l’ordre du Logos il mange le livre, afin qu’il ne soit ni transcrit ni livré aux indignes. Et il est rapporté que Jean a vu et fait des choses semblables. De plus, Paul « entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de prononcer ». Jésus, qui leur est supérieur à tous, comme il est dit, « expliquait à ses disciples en particulier » la parole de Dieu, surtout dans la solitude ; mais ses paroles n’ont pas été écrites. C’est qu’ils n’ont pas jugé devoir l’écrire et le dire pertinemment à l’adresse du grand public. Et s’il n’est pas outrecuidant de dire la vérité sur de tels génies, j’affirme que, recevant leurs pensées par une grâce de Dieu, ils voyaient mieux que Platon ce qu’on devait écrire et comment l’écrire et ce qu’on ne devait absolument pas écrire pour le grand public, ce qu’on devait dire et ce qui était d’un autre ordre. C’est encore Jean qui nous enseigne la différence entre ce qu’on doit écrire et ce qu’on ne doit pas écrire, quand il dit avoir entendu sept tonnerres l’instruire de certains points, mais lui interdire de transmettre leurs paroles par écrit. LIVRE VI
Il cite d’autres paroles de Platon, expliquant que le Bien est connaissable à un petit nombre, parce que c’est avec un injuste mépris, pleins d’un espoir hautain et inconsistant, comme s’ils avaient appris des secrets sublimes, que la plupart présentent comme vrai n’importe quoi. Il ajoute : Platon l’avait dit, cependant, il ne donne pas dans le merveilleux, il ne ferme pas la bouche à ceux qui veulent s’enquérir de ce qu’il promet, il n’exige pas aussitôt de croire que Dieu est tel, qu’il a tel Fils, que celui-ci est descendu s’entretenir avec moi. A quoi je réponds : de Platon Aristandre, je crois, a écrit qu’il n’était pas fils d’Ariston, mais d’un être qui, apparaissant sous les traits d’Apollon, s’approcha d’Amphictione ; et plusieurs autres platoniciens l’ont répété dans la biographie de Platon. Faut-il évoquer Pythagore et tous ses récits merveilleux, qui, dans une assemblée solennelle des Grecs, montra sa cuisse d’ivoire et prétendit reconnaître le bouclier dont il s’était servi lorsqu’il était Euphorbe et apparut, dit-on, dans deux villes le même jour ? Comme trait de merveilleux à critiquer dans l’histoire de Platon et de Socrate, on citera encore le cygne qui s’était montré à Socrate durant son sommeil et la parole du maître quand on lui présenta le jeune homme : « Le cygne c’était donc lui ! » Encore un trait de merveilleux, ce troisième oeil que Platon se flattait de posséder. Mais aux gens mal disposés, acharnés à décrier les apparitions reçues par ceux qui sont supérieurs à la foule, jamais la calomnie et la diffamation ne feront défaut : il y en aura même pour se moquer du démon de Socrate comme d’une fiction. LIVRE VI
Ce n’est donc pas donner dans le merveilleux que de raconter l’histoire de Jésus, et ses véritables disciples n’ont rien écrit de tel à son sujet. Mais Celse qui proclame tout savoir et cite de nombreux passages de Platon passe sous silence, intentionnellement je crois, la parole sur le Fils de Dieu, dite par Platon dans la Lettre à Hermias et Coriscos. LIVRE VI
Le deuxième après Jean et désigné par lui est Jésus à qui s’applique la parole : « Le Logos s’est fait chair » ; il correspond à la « définition » de Platon. Platon déclare que le troisième facteur est « l’image ». LIVRE VI
Si Celse avait lu les Évangiles sans haine ni animosité, mais par amour du vrai, il eût examiné ceci : pourquoi donc prendre pour le comparer au riche le chameau, animal difforme entre tous par nature, et quel sens avait le chas étroit de l’aiguille dans l’affirmation que « la voie est étroite et resserrée qui conduit les hommes à la vie ». Pourquoi d’après la loi, cet animal est-il réputé impur, acceptable en ce qu’il rumine, mais blâmable en ce qu’il est solipède ? Il eût aussi cherché combien de fois le chameau dans les saintes Écritures est pris comme comparaison et avec quoi, pour comprendre le sens de la parole sur les riches. Il n’eût pas omis d’examiner les passages où Jésus proclame la béatitude des pauvres et le malheur des riches, pour voir s’il s’agissait de pauvres et de riches dans l’ordre des choses sensibles, ou si le Logos entendait bénir absolument une certaine pauvreté et blâmer absolument la richesse, car n’importe qui n’aurait pas loué sans discernement les pauvres, dont la plupart ont des moeurs détestables. Mais en voilà assez sur la question. LIVRE VI
Veut-on apprendre encore les artifices par lesquels ces sorciers, prétendant posséder certains secrets, ont voulu gagner les hommes à leur enseignement et sans beaucoup de succès ? Qu’on écoute ce qu’ils apprennent à dire une fois passé ce qu’ils nomment « la barrière de la malice », les portes des Archontes éternellement fermées de chaînes : « Roi solitaire, bandeau d’aveuglement, oubli inconscient, je te salue, première puissance, gardée par l’esprit de providence et par la sagesse ; d’auprès de toi je suis envoyé pur, faisant partie déjà de la lumière du Fils et du Père ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Voilà, d’après eux, où commence l’Ogdoade8. Puis, ils apprennent à dire ensuite, en traversant ce qu’on nomme Ialdabaoth : « O toi, premier et septième, né pour dominer avec assurance, Ialdabaoth, raison souveraine de la pure intelligence, chef-d’oeuvre du Fils et du Père, je porte un symbole empreint d’une image de vie ; j’ai ouvert au monde la porte que tu avais fermée pour ton éternité, et retrouvant ma liberté je traverse ton empire ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Et ils disent que l’astre brillant est en sympathie avec l’archonte à forme de lion. Ils croient ensuite qu’après avoir traversé Ialdabaoth, et être arrivé à la on doit dire : « 0 toi qui présides aux mystères cachés du Fils et du Père, et qui brilles pendant la nuit, Iao second et premier, maître de la mort, lot de l’innocent, voici que, portant comme symbole la soumission de mon esprit, je m’apprête à traverser ton empire ; car, par une parole vivante, je l’ai emporté sur celui qui vient de toi ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » Immédiatement après, c’est Sabaoth à qui, selon eux, on devra dire : « Archonte du cinquième empire, puissant Sabaoth, premier défenseur de la loi de ta création, que la grâce a libérée par la vertu plus puissante du nombre cinq, laisse-moi passer en voyant intact ce symbole de ton art que je conserve dans l’empreinte d’une image, un corps délivré par le nombre cinq ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! »… A sa suite, c’est Astaphaios auquel ils pensent qu’on doit s’adresser en ces termes ! «Archonte de la troisième porte, Astaphaios, qui veilles sur la source originelle de l’eau, regarde-moi comme un myste, et laisse-moi passer, car j’ai été purifié par l’esprit d’une vierge, toi qui vois l’essence du monde ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » LIVRE VI
Il est bien vrai que nous utilisons les discours des prophètes pour prouver que Jésus est le Christ annoncé par eux, et pour montrer par les prophéties que les événements racontés à propos de Jésus dans les Évangiles en sont l’accomplissement. L’expression cercles sur cercles est peut-être un emprunt à la secte dont on vient de parler qui enfermait dans un cercle unique, qu’elle appelle l’âme de l’univers et Léviathan, les sept cercles des puissances archontiques ; ou peut-être a-t-il mal compris cette parole de l’Ecclésiaste : « Tourne, tourne, s’en va le vent, et à ses cercles revient le vent. » LIVRE VI
Que la mort doive finir dans le monde quand mourra le péché du monde, on pourrait le dire en commentant le mystérieux passage de l’Apôtre : « Au moment où il mettra tous ses ennemis sous ses pieds, alors le dernier ennemi sera détruit : la mort. » Et il dit encore : « Quand donc cet être corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, alors s’accomplira la parole de l’Écriture : la mort a été engloutie dans la victoire. » LIVRE VI
Paul nous parle de l’« Antéchrist », enseigne et établit, non sans quelque réserve mystérieuse, la manière, la date et la raison de sa venue au genre humain. Et vois si l’exposé qu’il en donne n’est pas du plus grand sérieux, sans mériter la moindre raillerie. Il s’exprime en ces termes : « Nous vous le demandons, frères, à propos de l’avènement de notre Seigneur Jésus-Christ et de notre rassemblement auprès de lui, ne vous laissez pas trop vite troubler l’intelligence ni alarmer par un esprit, une parole, une lettre soi-disant de nous, annonçant que le Jour du Seigneur est déjà là. Que personne ne vous abuse d’aucune manière ; car il faut d’abord que vienne l’apostasie, et que se révèle l’homme impie, l’être perdu, l’Adversaire, celui qui s’élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. Ne vous souvient-il pas que je vous le disais quand j’étais encore près de vous ? Et vous savez que ce qui le retient présentement de façon qu’il ne se révèle qu’à son moment. LIVRE VI
Belle ressemblance vraiment entre l’un et l’autre enfant de Dieu ! Il a donc cru que nous l’appelions Fils de Dieu en déformant des traditions qui disent que le monde vient de Dieu, est son Fils, et est Dieu. C’est qu’il n’a pu connaître l’époque de Moïse et des prophètes et voir que, bien avant les Grecs et ceux que lui, Celse, déclare les Anciens, les prophètes juifs en général avaient prophétisé l’existence du Fils de Dieu. Il n’a même pas voulu citer la parole des Lettres de Platon rappelée plus haut, sur l’ordonnateur de l’univers qu’il présente comme le Fils de Dieu ; il voulait éviter que Platon, qu’il a maintes fois exalté, ne le contraigne à admettre lui-même que le Créateur de cet univers est Fils de Dieu et que le Dieu premier et suprême est son Père. LIVRE VI
Il proclame ensuite que le récit scripturaire sur l’origine des hommes est une belle naïveté, mais sans citer les textes ni les combattre ; c’est, je pense, qu’il n’avait pas d’arguments capables de réfuter l’affirmation que « l’homme a été créé à l’image de Dieu ». Il ne comprend pas davantage le jardin planté par Dieu, la vie que l’homme y mena d’abord et celle qui suivit par la force des circonstances quand il en fut banni par son péché et fut établi à l’opposé du jardin de délices. Pour affirmer que ce sont là de belles naïvetés, il faudrait d’abord examiner chaque point, en particulier cette parole : « Il plaça les Chérubins et la flamme tournoyante de l’épée pour garder le chemin de l’arbre de vie. » Peut-être, ajoute-t-il, Moïse a-t-il écrit cela sans rien comprendre mais pour composer un poème analogue à ceux qu’en badinant avaient écrits les auteurs de l’ancienne comédie : Proétos donna sa fille à Bellérophon, Pégase était d’Arcadie. Mais ces auteurs les ont composés dans le dessein de faire rire, tandis qu’il est incroyable que Celui qui a laissé pour un peuple entier les Écritures, en voulant persuader tous ceux à qui il donnait sa loi qu’elles venaient de Dieu, ait écrit des extravagances et qu’il n’ait donné aucun sens à l’affirmation : « Il plaça les Chérubins et la flamme tournoyante de l’épée pour garder le chemin de l’arbre de la vie », ni à toute autre de celles qui traitent de l’origine des hommes et furent interprétées philosophiquement par les sages du peuple hébreu. LIVRE VI
A propos des jours de la création, comme s’il en avait des idées claires et précises, il objecte que certains ont eu lieu avant l’existence de la lumière, du ciel, du soleil, de la lune, des étoiles, et d’autres après cette création. Je lui répliquerai par cette simple observation : Moïse avait-il oublié ce qu’il venait de dire, que le monde fut créé en six jours, pour ajouter par oubli : « Voici le livre de la génération des hommes, le jour où Dieu créa le ciel et la terre » ? Mais il n’y a aucune vraisemblance que Moïse, après ce qu’il avait dit des six jours, ait pu ajouter sans avoir rien compris : « le jour où Dieu créa le ciel et la terre. » Si l’on pense que ces mots peuvent se rapporter au texte : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre », qu’on le sache, la parole : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » est dite avant les paroles : « Que la lumière soit, et la lumière fut », et « Dieu appela la lumière jour. » LIVRE VI
A la question suivante : Comment est-il incapable de persuader, de réprimander ? on a déjà répondu que si c’est là un grief, la phrase de Celse peut s’adresser à tous ceux qui admettent la Providence. On peut y répondre que Dieu n’est pas incapable de réprimander : il réprimande par toute l’Écriture et par ceux qui, avec la grâce de Dieu, enseignent les auditeurs, à moins d’attacher au terme réprimander le sens spécial de réussir à faire entendre de celui qu’on réprimande la parole du maître, ce qui est une notion étrangère au sens consacré par l’usage. LIVRE VI
On pourrait, sans erreur, en dire autant de ceux qu’on appelle « artisans de persuasion ». Car il est possible que même l’homme qui possède à fond les préceptes de la rhétorique et en use comme il se doit fasse tout pour persuader et cependant, faute d’obtenir l’adhésion de celui qui doit être persuadé, semble ne point persuader. C’est que, si la force persuasive des paroles vient de Dieu, la persuasion, elle, ne vient pas de Dieu. Telle est la leçon expresse de Paul : « Cette persuasion ne vient pas de celui qui vous appelle » ; tel est aussi le sens de la parole : « Si vous voulez m’obéir, vous mangerez les biens de la terre ; mais si vous ne voulez pas m’obéir, l’épée vous dévorera ». LIVRE VI
En effet, pour vouloir ce que dit la personne qui réprimande et, en y obtempérant, mériter les promesses divines, il faut la libre détermination de l’auditeur et l’assentiment à ce qui est dit. De là, me semble-t-il, cette parole solennelle dans le Deutéronome : « Et maintenant, Israël, que demande de toi le Seigneur ton Dieu, si ce n’est de craindre le Seigneur ton Dieu, de marcher dans toutes ses voies, de l’aimer et de garder ses commandements ? » LIVRE VI
Il est vrai que Dieu ne participe pas à l’être. Il est participé plutôt qu’il ne participe, et il est participé par ceux qui ont « l’Esprit de Dieu ». Et notre Sauveur ne participe pas à la justice mais, étant « justice », il est participé par les justes. Cependant il y aurait à élaborer une doctrine profonde et ardue sur l’essence, surtout sur l’essence proprement dite, permanente et incorporelle ; et cela, pour découvrir si Dieu « est au delà de l’essence en dignité et en pouvoir » et fait participer à l’essence ceux qu’il rend participants selon son Logos et son Logos lui-même ; ou bien s’il est lui-même une essence, bien qu’il soit dit invisible par sa nature dans la parole qui affirme du Sauveur : « IL est l’image du Dieu invisible », et où ce mot « invisible » signifie qu’il est incorporel. Il resterait à chercher si le Fils unique, Premier-né de toute créature, doit être dit essence des essences, idée des idées, et principe, tandis que Dieu son Père est au-dessus de tout cela. LIVRE VI
Dire que les péchés sont bois, herbe ou chaume ne veut pas dire que les péchés soient des corps, et dire que les bonnes actions sont or, argent, pierres précieuses ne veut pas déclarer que les bonnes actions soient des corps ; ainsi, la parole : « Dieu est un feu qui dévore le bois, l’herbe, le chaume » et toute réalité de péché, ne veut pas faire penser que Dieu soit un corps. Et comme le dire « feu » n’est pas comprendre qu’il soit un corps, de même dire que Dieu est esprit ne veut pas dire qu’il soit un corps. C’est pour les opposer aux choses sensibles que l’Écriture a coutume de nommer esprits et spirituelles les réalités intelligibles. Par exemple, quand Paul dit : « Mais notre qualité vient de Dieu, qui nous a qualifiés pour être ministres d’une alliance nouvelle, non de la lettre mais de l’esprit ; car la lettre tue, mais l’esprit vivifie », il a nommé l’interprétation sensible des divines Écritures « la lettre », et « l’esprit » l’interprétation intelligible. LIVRE VI
Si la Pythie est hors d’elle-même et sans conscience lorsqu’elle rend des oracles, quelle nature faut-il attribuer à l’esprit qui répand la nuit sur son intelligence et ses pensées ? N’est-ce pas ce genre de démons que beaucoup de chrétiens chassent des malades à l’aide non point d’un procédé magique, incantatoire ou médical, mais par la seule prière, de simples adjurations et des paroles à la portée de l’homme le plus simple ? Car ce sont généralement des gens simples qui l’opèrent. La grâce contenue dans la parole du Christ a prouvé la faiblesse et l’impuissance des démons : pour qu’ils soient vaincus et se retirent sans résistance de l’âme et du corps de l’homme, il n’est pas besoin d’un savant capable de fournir des démonstrations rationnelles de la foi. LIVRE VI
Il pense en outre que ceux qui arguent des prophètes pour plaider la cause du Christ n’ont plus rien à dire si l’on trouve à propos de Dieu une parole perverse, honteuse, impure, souillée. Aussi, croyant son attaque sans réplique, il s’accorde mille conclusions à partir de prémisses qu’on n’a point concédées. Il faut savoir que ceux qui veulent vivre selon les divines Écritures ont appris que la « science de l’insensé n’est que discours incohérents », et qu’ils ont entendu la parole : « Soyez toujours prêts à la défense contre quiconque nous demande raison de l’espérance qui est en nous »; ceux-là ne cherchent pas refuge dans la simple allégation des prophéties. Ils s’efforcent d’expliquer les obscurités apparentes et de montrer qu’aucune des paroles n’est perverse, honteuse, impure, souillée, mais qu’elles le deviennent pour ceux qui ne comprennent pas comment il faut recevoir la divine Écriture. Il aurait dû citer parmi les paroles des prophètes celle qui lui semble perverse, qui lui paraît honteuse, qu’il juge impure, qu’il suppose souillée, si vraiment il avait découvert de telles paroles chez les prophètes. Alors son argument eût été plus impressionnant et plus efficace pour son dessein. Bien au contraire, sans un exemple, il a l’outrecuidance de proclamer avec menace qu’il s’en trouve de telles dans les Écritures, ce qui est une calomnie. A un cliquetis de mots vide de sens il n’y a aucune raison de répondre pour montrer que parmi les paroles des prophètes il n’en est aucune qui soit perverse, honteuse, impure, souillée. LIVRE VI
De plus, si la parole de la loi « Tu domineras des nations nombreuses, mais elles ne te domineront pas » n’avait été, sans une signification plus profonde, que la promesse qu’ils seraient puissants, le peuple eût évidemment méprisé bien davantage les promesses de la loi. Celse paraphrase le sens de certaines expressions déclarant que la postérité des Hébreux remplirait toute la terre. Historiquement cela eut lieu après la venue de Jésus, mais pour ainsi dire comme un effet du courroux de Dieu plutôt que de sa bénédiction. De plus, si dans la promesse il est dit aux Juifs de massacrer les ennemis, il faut dire qu’une lecture et une étude soigneuses des termes révèle qu’une interprétation littérale est impossible. Il suffira pour l’instant d’extraire entre autres des Psaumes ces paroles mises dans la bouche du juste : « Chaque matin, j’exterminais tous les pécheurs de la terre, afin de retrancher de la cité du Seigneur tous les artisans d’iniquité. » A considérer les termes et l’intention de l’auteur est-il possible que, après avoir rappelé ses exploits faciles à lire par le premier venu, il ajoute ce qui peut ressortir du texte pris littéralement : qu’en aucun autre moment du jour que le matin il n’a détruit « tous les pécheurs de la terre » sans en laisser survivre un seul, et si vraiment il supprimait sans exception de Jérusalem tout homme qui commît l’iniquité ? On peut encore trouver dans la loi beaucoup d’exemples comme celui-ci : « Nous n’avons laissé à aucun d’eux la vie sauve ». LIVRE VI
En outre, les paroles : « Ne vous inquiétez pas de ce que vous mangerez ou de ce que vous boirez. Considérez les oiseaux du ciel, ou considérez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent, et notre Père céleste les nourrit. Combien plus valez-vous que les oiseaux ! » ; « Du vêtement, pourquoi vous inquiéter ? Considérez les lis des champs », non plus que celles qui suivent, ne sont contraires aux bénédictions de la loi qui enseignent que le juste mangera et sera rassasié, ni à cette parole de Salomon : « Le juste mange et rassasie son âme, les âmes des impies sont dans l’indigence. » Car il faut le remarquer : c’est la nourriture de l’âme qui est visée dans la bénédiction de la loi : elle rassasie non pas le composé humain, mais l’âme seule. Et de l’Évangile, il faut tirer peut-être une interprétation assez profonde, et peut-être aussi une interprétation plus simple, c’est qu’on ne doit point égarer son âme dans les soucis de la nourriture et du vêtement, mais pratiquer une vie frugale et avoir confiance que Dieu y pourvoira si on ne s’inquiète que du nécessaire. LIVRE VI
Sans mettre en parallèle les passages de la loi avec ceux de l’Évangile apparemment contraires, Celse ajoute qu’il faut, à qui vous a donné un coup, s’offrir à en recevoir un autre. Nous dirons que nous connaissons la parole dite aux Anciens : « oeil pour oeil, dent pour dent », mais que nous avons lu aussi cette autre : « EH bien, moi je vous dis : à qui te frappe à la joue, présente encore l’autre». » Cependant comme Celse, j’imagine, se fait l’écho de ceux qui mettent une distinction entre le Dieu de l’Évangile et le Dieu de la Loi, il faut répondre à son objection : l’Ancien Testament connaît aussi : « A qui te frappe la joue droite, présente encore l’autre. » Du moins il est écrit dans les Lamentations de Jérémie : « Il est bon pour l’homme de porter le joug dès sa jeunesse, de s’asseoir solitaire et silencieux parce qu’il l’a pris sur lui ; il tendra la joue à qui le frappe, et sera rassasié d’affronts. » L’Évangile ne contredit donc pas le Dieu de la Loi, même pas au sujet du soufflet entendu à la lettre. Aucun des deux ne ment, ni Moïse, ni Jésus, et le Père en envoyant Jésus n’avait pas oublié ce qu’il avait prescrit à Moïse ; il n’a pas non plus renié ses propres lois, changé d’avis et envoyé son messager dans un dessein contraire. LIVRE VI
Mais j’ai donné plus haut des explications détaillées sur Dieu dans une juste mesure en examinant comment comprendre la parole : « Dieu est esprit et il faut que ses adorateurs l’adorent en esprit et en vérité ». LIVRE VI
De plus, quand notre Sauveur dit : « Que celui qui a des oreilles pour entendre entende », même le premier venu comprend qu’il s’agit d’oreilles d’ordre spirituel. Et quand il est dit que « la parole du Seigneur » est dans la main du prophète Jérémie ou de quelque autre, ou la loi « dans la main » de Moïse, ou « J’ai cherché Dieu de mes mains et je n’ai pas été trompé », personne n’est assez sot pour ne pas comprendre qu’il s’agit de mains au sens figuré. C’est d’elles encore que Jean déclare : « Nos mains ont touché le Logos de vie. » Et pour apprendre des saintes Écritures qu’il existe un sens supérieur et non corporel, il faut entendre le mot de Salomon dans les Proverbes : « Tu trouveras un sens divin. » LIVRE VI
L’homme, donc, c’est-à-dire l’âme usant d’un corps, appelée « l’homme intérieur », et aussi « l’âme », ne va pas répondre ce qu’écrit Celse, mais ce qu’enseigne l’homme de Dieu. Le chrétien ne saurait tenir un propos de la chair ; il a appris à mortifier « par l’Esprit les actions du corps », et à porter « toujours dans son corps la mort de Jésus », et il a reçu cet ordre : « Mortifiez vos membres terrestres ». Il connaît le sens de la parole : « Mon esprit ne demeurera pas toujours dans ces hommes, car ils sont chair », il sait que « ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu », il fait tout pour n’être plus aucunement dans la chair mais seulement dans l’esprit. LIVRE VI
Nous affirmons donc que voir l’auteur et le père de l’univers est laborieux. On le voit cependant, de la manière qu’indiqué non seulement la promesse : « Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu », mais aussi la déclaration de Celui qui est l’« Image du Dieu invisible » : « Qui m’a vu a vu le Père qui m’a envoyé. » En effet, nul homme sensé ne dira que Jésus a dit : « Qui m’a vu a vu le Père qui m’a envoyé » en rapportant ces mots à son corps sensible et visible aux hommes. Sinon, ils auraient aussi vu Dieu le Père tous ceux qui disaient : « Crucifie-le, crucifie-le ! » ainsi que Pilate qui avait reçu le pouvoir sur la nature humaine de Jésus : ce qui est absurde. Que la parole : « Qui m’a vu a vu le Père qui m’a envoyé » ne doive pas être prise dans son acception ordinaire, la preuve en est dans celle qui est dite à Philippe : « Depuis si longtemps que je suis avec vous, Philippe, tu ne me connais pas ? » c’était une réponse à la demande : « Montre-nous le Père et cela nous suffit. » Donc, quand on a compris qu’il faut entendre ces paroles du Dieu monogène Fils de Dieu, le Premier-né de toute créature, en tant que le Logos s’est fait chair, on saura comment, voyant l’Image du Dieu invisibles, on connaîtra le père et l’auteur de cet univers. LIVRE VI
Mais voyons ce qu’il prétend nous enseigner, si jamais nous sommes capables de le suivre, quand il nous déclare étroitement rivés à la chair, alors que, si nous menons une vie droite suivant la doctrine de Jésus, nous écoutons la parole : « Vous n’êtes pas dans la chair, mais dans l’Esprit, si vraiment l’Esprit de Dieu habite en vous. » Il ajoute que notre regard n’a rien de pur, nous qui cependant nous efforçons jusque dans nos pensées d’éviter la souillure des suggestions du mal et disons dans notre prière : « Mon Dieu, crée en moi un coeur pur, et renouvelle au-dedans de moi un esprit droit », afin de pouvoir contempler Dieu d’un coeur pur, le seul qui soit capable de le voir. LIVRE VI
Et ils ajoutent : « J’ai été conçu dans l’iniquité, ma mère m’a enfanté dans le péché ». » De plus, ils déclarent que « les pécheurs sont devenus étrangers dès le sein de leur mère », et font cette remarque étonnante : « Ils se sont égarés dès le sein, ils ont dit des mensonges. » Mais nos sages ont un tel dédain pour la nature des choses sensibles qu’ils qualifient les corps tantôt de vanité : « Car la création fut soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de Celui qui l’a soumise avec l’espérance » ; tantôt, de vanité de vanités, selon le mot de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Où trouver un tel discrédit jeté sur la vie de l’âme humaine ici-bas que chez l’auteur qui dit : « Vanité cependant que toutes choses, que tout homme vivant ! » Il ne met pas en doute la différence pour l’âme entre la vie d’ici-bas et la vie hors de ce monde, il ne dit pas : « Qui sait si vivre n’est pas mourir, et si mourir n’est pas vivre ? » Mais il a le courage de la vérité dans ces paroles : « Notre âme a été humiliée dans la poussière » ; « Tu m’as fait descendre dans la poussière de la mort ». Et comme il est dit : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » ainsi encore : « Qui transformera notre corps de misère ? » Il y a aussi la parole du prophète : « Tu nous a humiliés dans un lieu d’affliction », où « lieu d’affliction désigne le lieu terrestre dans lequel vient Adam, qui est l’homme, après avoir été pour son péché expulsé du paradis. Et considère la profondeur de vue que possédait sur la condition de vie différente pour les âmes celui qui a dit : « Aujourd’hui nos voyons dans un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face » ; et encore : « Tant que nous demeurons dans ce corps, nous vivons en exil loin du Seigneur », aussi « préférons-nous déloger de ce corps et aller demeurer près du Seigneur ». LIVRE VI
Mais pourquoi devrais-je multiplier les citations contre la parole de Celse pour prouver que ces doctrines ont été professées chez nous bien avant les siennes, quand mon propos est évident d’après les témoignages rapportés ? Ici pourtant, il semble l’admettre, en disant que si un esprit divin descend d’auprès de Dieu pour annoncer d’avance les choses divines, ce peut être cet esprit qui proclame tout cela ; en vérité c’est tout pénétrés de lui que les anciens ont annoncé tant d’excellentes doctrines. Mais il n’a pas vu la supériorité des idées précises que nous avons quand nous disons : « Ton esprit incorruptible est en tout, aussi, peu à peu » Dieu convainc « ceux qui tombent ». Et nous affirmons, entre autres choses, que la parole : « Recevez le Saint-Esprit » indique que le don diffère en intensité de celui que désigne la parole : « Vous serez baptisés dans l’Esprit-Saint sous peu de jours. » LIVRE VI
Que Celse n’aille pas s’indigner si nous traitons de boiteux et mutilés des jambes de l’âme ceux qui s’empressent autour des objets tenus pour sacrés comme s’ils l’étaient en vérité, et qui ne voient pas qu’aucune ?uvre d’artisans ne peut être sacrée. Mais ceux qui professent la piété conforme à l’enseignement de Jésus courent aussi, jusqu’à ce que, parvenus au terme de la course, ils s’écrient d’un coeur ferme et sincère : « J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi : il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne de justice. » C’est bien « ainsi et non à l’aventure » que court chacun de nous, « ainsi » qu’il fait du pugilat, « sans frapper dans le vide », mais frappant ceux que domine « le Prince de l’empire de l’air, cet esprit qui agit actuellement dans les fils de la désobéissance ». Libre à Celse de dire que nous vivons pour le corps, qui est chose morte ! Nous entendons la parole : « Si vous vivez selon la chair, vous devez mourir ; mais si par l’Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez. » Nous avons appris : « Si nous vivons par l’Esprit, suivons aussi l’Esprit. » Ah ! puissions-nous montrer par nos actions qu’il a menti en disant de nous que nous vivons pour le corps, qui est une chose morte. LIVRE VI
Anaxarque, j’en conviens, fut héroïque dans son mot au tyran de Chypre Aristocréon : « Broie, broie le sac qui enveloppe Anaxarque ! » Mais c’est l’unique trait admirable que les Grecs savent de lui ; dut-on pour cela, comme Celse le pense, honorer le courage de cet homme, il serait déraisonnable de proclamer dieu Anaxarque. Il nous renvoie encore à Epictète dont il admire la noble parole. Mais ce qu’il a dit quand on lui cassait la jambe n’a rien de comparable aux ?uvres miraculeuses de Jésus auxquelles Celse refuse de croire, ni à ses paroles qui, prononcées avec une puissance divine, convertissent aujourd’hui encore non seulement quelques individus de la foule des simples, mais aussi un bon nombre d’hommes intelligents. LIVRE VI
Après la liste de ces grands hommes, il ajoute : Qu’est-ce que votre Dieu a dit de pareil dans son supplice ? On peut lui répondre : son silence au milieu des coups et des nombreux outrages manifeste plus de fermeté et de patience que toutes les paroles dites par les Grecs soumis à la torture, si toutefois Celse veut bien croire le récit loyal fait par des hommes sincères : ils ont raconté sans mentir les faits extraordinaires, au nombre desquels ils ont compté son silence sous les coups. Même insulté et revêtu de la robe de pourpre, la couronne d’épines autour de la tête et à la main le roseau en guise de sceptre, il garda une extrême douceur sans une parole vulgaire ou indignée contre les auteurs capables de ce forfait. LIVRE VI
Mais, à l’entendre plus simplement, vois si la prière n’est pas imprégnée de piété envers Dieu. Chacun sait que ce qui arrive par occasion n’est pas le principal, mais il supporte, quand l’occasion l’exige, ce qui peut survenir sans être principal. De plus, la parole : « Cependant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux » n’était point une parole de quelqu’un qui s’abandonne, mais qui accepte ce qui survient et qui préfère les circonstances permises par la Providence. LIVRE VI
Vois donc là encore combien il s’accorde de points qui exigent un examen sérieux et même une connaissance des profondes et mystérieuses doctrines sur la direction de l’universelle réalité. En effet, il faut examiner en quel sens tout est régi conformément à la volonté de Dieu, et si cette direction s’étend oui ou non jusqu’aux péchés. Car si cette direction s’étend même aux péchés commis non seulement parmi les hommes mais encore par les démons et tous les autres êtres incorporels qui sont capables de pécher, il faut voir l’absurdité qu’impliqué cette parole : tout est régi conformément la volonté de Dieu. La conséquence en serait que même les péchés et tout ce qui provient du vice sont régis conformément à la volonté de Dieu ; ce qui n’est pas la même chose que dire : cela arrive parce que Dieu ne s’y oppose pas. Mais à prendre « être régi » au sens propre, on veut dire que les conséquences du vice sont régies, car il est clair que tout est régi conformément à la volonté de Dieu ; et ainsi, quiconque pèche ne commet pas de faute contre la direction de Dieu. LIVRE VI
Il a beau dire encore qu’on trouve préposé à chaque office, ayant obtenu la puissance du Dieu très grand, un être jugé digne d’une tâche quelconque. Il faudrait une science bien profonde pour pouvoir résoudre cette question: à la manière des bourreaux dans les cités et des hommes préposés aux fonctions cruelles mais nécessaires dans les états, les mauvais démons sont-ils préposés à certains offices par le Logos de Dieu qui gouverne l’univers, ou à la manière de ces brigands qui, dans des lieux déserts, établissent un chef pour les commander, les démons, organisés pour ainsi dire en cohortes dans les diverses régions de la terre, se sont-ils donnés un chef qui fût leur guide dans les entreprises qu’ils ont décidées pour voler et rançonner les âmes humaines ? Veut-on traiter convenablement ce point pour défendre les chrétiens qui évitent d’adorer autre chose que le Dieu suprême et son Logos, le « Premier-né de toute créature» », on devra alors expliquer les passages suivants : « Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs ou des brigands, et les brebis ne les ont pas écoutés » ; « Le voleur ne vient que pour voler, égorger, détruire », et toute autre parole semblable des saintes Écritures, comme : « Voici que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents et scorpions, et toute la puissance de l’ennemi sans que rien puisse vous nuire » ; « Sur l’aspic et le basilic tu marcheras et tu fouleras lion et dragons. » Celse ignorait tout de ces paroles. S’il les avait connues, il n’aurait pas dit : Ce qui existe dans l’univers, ?uvre de Dieu, des anges, d’autres démons ou de héros, tout cela n’a-t-il point une loi qui vient du Dieu très grand ? A chaque office ne trouve-t-on pas préposé, ayant obtenu la puissance, un être jugé digne ? N’est-il donc pas juste que celui qui adore Dieu rende un culte à cet être qui a obtenu de lui l’autorité ? A quoi il ajoute : Non, car il n’est pas possible que le même homme serve plusieurs maîtres. On traitera ce point dans le livre suivant, car le septième que j’ai écrit contre le traité de Celse a atteint une dimension suffisante. LIVRE VI
Avant de poursuivre, voyons nos bonnes raisons d’approuver la parole : « Nul ne peut servir deux maîtres », avec ce qui s’y ajoute : « Car ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre », et ensuite : « Vous ne pouvez pas servir Dieu et Mammon. » LIVRE VIII
Sa justification nous conduit à une profonde et mystérieuse doctrine au sujet des dieux et des seigneurs. Car la divine Écriture sait que le souverain Seigneur est « au-dessus de tous les dieux ». Par le mot dieux, nous n’entendons pas ceux qui sont adorés par les païens, car nous avons appris que « tous les dieux des païens sont des démons. » Il s’agit de dieux qui, d’après la parole prophétique, forment une sorte d’assemblée : le Dieu suprême les juge, assignant à chacun son ” oeuvre propre. Car « Dieu se tient dans l’assemblée des dieux, et au milieu d’eux il jugera les dieux. » De plus, « le Seigneur est Dieu des dieux », c’est lui qui, par son Fils « a appelé la terre du levant au couchant » ; et nous avons l’ordre de « confesser le Dieu des dieux », sachant aussi que Dieu « n’est pas le Dieu des morts mais des vivants ». Voilà ce qu’affirment non seulement ces passages mais encore une infinité d’autres. LIVRE VIII
De plus, si nous refusons de servir un autre que Dieu par son Logos et sa Vérité, ce n’est point parce que Dieu subirait un tort comme paraît en subir l’homme dont le serviteur sert encore un autre maître. C’est pour ne pas subir de tort nous-mêmes en nous séparant de la part d’héritage du Dieu suprême, où nous menons une vie qui participe à sa propre béatitude par un exceptionnel esprit d’adoption. Grâce à sa présence en eux, les fils du Père céleste prononcent dans le secret, non en paroles mais en réalité, ce cri sublime : « Abba, Père ! » Sans doute, les ambassadeurs de Lacédémone refusèrent d’adorer le roi de Perse, malgré la vive pression des gardes, par révérence pour leur unique seigneur, la loi de Lycurgue. Mais ceux qui s’acquittent pour le Christ d’une ambassade bien plus noble et plus divine refuseraient d’adorer aucun prince de Perse, de Grèce, d’Egypte ou de toute autre nation, malgré la volonté qu’ont les démons, satellites de ces princes et messagers du diable, de les contraindre à le faire et de les persuader de renoncer à Celui qui est supérieur à toutes les lois terrestres. Car le Seigneur de ceux qui sont en ambassade pour le Christ, c’est le Christ dont ils sont les ambassadeurs, le Logos qui est « au commencement », qui est près de Dieu, qui est Dieu. Celse a cru bon ensuite d’avancer, parmi les opinions qu’il fait siennes, une doctrine très profonde sur les héros et certains démons. Ayant remarqué, à propos des relations de service entre les hommes, que ce serait infliger un tort au premier maître qu’on veut servir que de consentir à en servir un second, il ajoute qu’il en irait de même pour les héros et les démons de ce genre. Il faut lui demander ce qu’il entend par les héros et quelle nature il attribue aux démons de ce genre, pour que le serviteur d’un héros déterminé doive éviter d’en servir un autre, et celui d’un de ces démons, d’en servir encore un autre : comme si le premier démon subissait un tort comme font les hommes quand on passe de leur service à celui d’autres maîtres. Qu’il établisse en outre le tort qu’il juge ainsi causé aux héros et aux démons de ce genre ! Il lui faudra alors répéter son propos en tombant dans un océan de niaiseries et réfuter ce qu’on a dit ou, s’il se refuse aux niaiseries, avouer ne connaître ni les héros, ni la nature des démons. Et quand il dit des hommes que les premiers subissent un tort du service rendu à un second, il faut demander comment il définit le tort subi par le premier quand son serviteur consent à en servir un autre. En effet, s’il entendait par là, comme un homme vulgaire et sans philosophie, un tort concernant les biens que nous appelons extérieurs, on le convaincrait de méconnaître la belle parole de Socrate : « Anytos et Mélètos peuvent me faire mourir, mais non me faire du tort ; car il n’est point permis que le supérieur subisse un tort de la part de l’inférieur. » S’il définit ce tort par une motion ou un état concernant le vice, il est évident, puisqu’aucun tort de ce genre n’existe pour les sages, qu’on peut servir deux sages vivant en des lieux séparés. Et quand ce raisonnement ne serait pas plausible, c’est en vain qu’il argue de cet exemple pour critiquer la parole : « Nul ne peut servir deux maîtres » : et elle n’aura que plus de force si on l’applique au service du Dieu de l’univers par son Fils qui nous conduit à Dieu. De plus, nous ne rendons pas un culte à Dieu dans la pensée qu’il a en besoin et qu’il se chagrinerait qu’on ne le lui rende pas, mais pour l’avantage que nous retirons de ce culte rendu à Dieu, étant libérés de chagrin et de passion en servant Dieu par son Fils unique Logos et Sagesse. LIVRE VIII
L’honneur qu’on rend au Fils de Dieu, et au même titre celui qu’on rend à Dieu le Père, consiste dans une vie honnête. N’est-ce pas ce que nous enseigne la parole : « Toi qui te glorifies dans la loi, en transgressant cette loi, c’est Dieu que tu déshonores », et cette autre : « De quel châtiment bien plus grave ne pensez-vous pas que sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, tenu pour profane le sang de l’alliance dans lequel il a été sanctifié, et outragé l’Esprit de la grâce ? » Si transgresser la loi c’est outrager Dieu par cette transgression même, si refuser l’Évangile c’est fouler aux pieds le Fils de Dieu, il est clair qu’observer la loi c’est honorer Dieu, qu’être orné de la parole de Dieu et de ses oeuvres c’est adorer Dieu. Si Celse avait connu ceux qui appartiennent à Dieu, et il n’en est pas d’autres que les sages, s’il avait connu ceux qui lui sont étrangers, et ce sont tous les hommes méchants qui n’ont aucun souci d’acquérir la vertu, il aurait compris le vrai sens de la parole : L’honneur et l’adoration rendus à tous ceux qui appartiennent à Dieu ne peuvent le chagriner, puisqu’ils sont tous à lui. LIVRE VIII
On pourrait juger plausible l’attaque qui suit : Encore, si ces gens-là ne rendaient un culte à nul autre que Dieu seul, ils auraient peut-être une raison valable à opposer aux autres. Mais non, ils rendent un culte excessif à Celui qui vient d’apparaître, et pourtant ne croient point offenser Dieu en rendant aussi un culte à son ministre. Il faut répondre : si Celse avait compris la parole : « Le Père et moi sommes un », et celle du Fils de Dieu dans sa prière : « Comme toi et moi sommes un », il ne penserait pas que nous rendons un culte à un autre que le Dieu suprême, car Jésus a dit : « Le Père est en moi et je suis dans le Père. » Si l’on craignait que ces paroles nous amènent au parti de ceux qui nient l’existence de deux hypostases, un Père et un Fils, que l’on considère la parole : « Tous ceux qui croyaient n’avaient qu’un coeur et qu’une âme », afin de comprendre : « Le Père et moi sommes un ». C’est donc à un seul Dieu, comme on vient de l’expliquer, le Père et le Fils, que nous rendons un culte, et il nous reste une raison valable à opposer aux autres. Et nous ne rendons pas un culte excessif à Celui qui viendrait d’apparaître comme s’il n’avait jamais existé auparavant. Car nous le croyons quand il a dit : « Avant qu’Abraham fût, je suis » et qu’il affirme : « Je suis la Vérité ». Personne d’entre nous n’a la stupidité de croire que la vérité n’existait pas avant le temps de la manifestation du Christ. C’est pourquoi nous rendons un culte au Père de la Vérité et au Fils qui est la Vérité : ils sont deux réalités par l’hypostase, mais une seule par l’humanité, la concorde, l’identité de la volonté ; en sorte que celui qui a vu le Fils, rayonnement de la gloire, empreinte de la substance de Dieu, a vu Dieu en lui qui est l’image de Dieu. LIVRE VIII
Après cela, Celse continue : Pour montrer que cette opinion ne s’écarte pas du but, je citerai leurs paroles mêmes. Dans un passage du Dialogue céleste, ils s’expriment en ces termes : « Si le Fils de Dieu est plus puissant, et si le Fils de l’homme est son Maître ( et quel autre dominera le Dieu souverain ? ), pourquoi tant de gens autour du puits et personne pour y descendre ? Pourquoi au terme d’une si longue route manquer d’audace ? – Erreur! J’ai du courage et une épée. » Ainsi leur dessein n’est pas d’adorer le Dieu supracéleste, mais le Père qu’ils ont donné à celui autour duquel ils se sont rassemblés : sous prétexte que ce serait lui le Grand Dieu, ils rendent un culte à celui-là seul qu’ils prennent comme chef, le Fils de l’homme qu’ils proclament plus puissant que le Dieu souverain et son Maître. De là chez eux, cette défense de servir deux maîtres pour maintenir leur faction groupée autour de lui seul. Le voilà encore qui emprunte à je ne sais quelle secte très obscure ce dont il fait grief à tous les chrétiens. Si je dis très obscure, c’est que même après tant de controverses avec les fauteurs de sectes, je ne puis voir clairement la doctrine à laquelle il a emprunté ses propos ; du moins s’il s’agit d’un emprunt et non pas d’une invention ou d’une conclusion de sa part. Nous affirmons clairement en effet, nous pour qui même le monde sensible est l’oeuvre du Créateur de toutes choses, que le Fils n’est pas plus puissant que le Père, mais qu’il lui est inférieur ; et nous le disons parce que nous croyons en la parole : « Le Père qui m’a envoyé est plus grand que moi. » LIVRE VIII
Et nul d’entre nous n’est assez stupide pour dire : le Fils de l’homme est le Maître de Dieu. Nous affirmons au contraire que le Sauveur, envisagé précisément comme Dieu Logos, Sagesse, Justice, Vérité, domine tout ce qui lui a été soumis en raison de ces titres, mais non pas le Dieu et Père qui le domine. En outre, comme le Logos ne domine personne’ malgré lui, et qu’il y a encore des méchants, hommes, anges et tous les démons, nous disons qu’il ne les domine pas encore, puisqu’ils ne se soumettent pas à lui de bon gré. Mais suivant un autre sens du mot dominer, il les domine eux aussi, au sens où l’on dit que l’homme domine les animaux sans raison, même sans avoir soumis leur faculté principale, comme il apprivoise et aussi domine les lions et les bêtes de somme qu’il a domptées. D’ailleurs il fait tout pour persuader ceux qui refusent encore de lui obéir et pour les dominer eux aussi. C’est donc pour nous un mensonge de Celse que de nous attribuer la parole : Quel autre dominera le Dieu souverain ? LIVRE VIII
On objectera nos célébrations des dimanches, de la Parascève, de Pâques, de la Pentecôte ? Il faut répondre : si l’on est un chrétien parfait, quand on ne cesse de s’appliquer aux paroles, aux actions, aux pensées du Logos de Dieu qui par nature est le Seigneur, on vit sans cesse dans les jours du Seigneur, on célèbre sans cesse les dimanches. De plus, quand on se prépare sans cesse à la vie véritable, et qu’on s’éloigne des plaisirs de la vie qui trompent la multitude, sans nourrir « le désir de la chair », mais châtiant au contraire son corps et le réduisant à la servitude, on ne cesse de célébrer la Parascève. En outre, quand on a compris que « le Christ notre Pâque a été immolé » et qu’on doit célébrer la fête en mangeant la chair du Logos, il n’est pas d’instant où on n’accomplisse la Pâque, terme qui veut dire sacrifice pour un heureux passage : car par la pensée, par chaque parole, par chaque action on ne cesse de passer des affaires de cette vie à Dieu en se hâtant vers la cité divine. Enfin, si l’on peut dire avec vérité : « Nous sommes ressuscites avec le Christ », et aussi : « Il nous a ressuscites ensemble et nous a fait asseoir ensemble au ciel dans le Christ », on se trouve sans cesse aux jours de la Pentecôte, surtout lorsque, monté dans la chambre haute comme les apôtres de Jésus, on vaque à la supplication et à la prière pour devenir digne « du souffle impétueux qui descend du ciel » anéantir par sa violence la malice des hommes et ses effets, et pour mériter aussi d’avoir part à la langue de feu qui vient de Dieu. LIVRE VIII
Celse, ici, dit que les démons appartiennent à Dieu et que, pour cette raison, il faut croire en eux et leur offrir selon les lois des sacrifices et des prières afin de les rendre bienveillants. Il faut donc enseigner sur ce point à qui le désire que le Logos de Dieu refuse de déclarer propriété de Dieu des êtres mauvais, car il les juge indignes d’un si grand Seigneur. C’est pourquoi tous les hommes ne sont pas nommés hommes de Dieu, mais seuls ceux qui sont dignes de Dieu : tels étaient Moïse, Élie, et tout autre qui reçoit dans l’Écriture le titre d’homme de Dieu, ou qui est semblable à ceux qui le reçoivent. Et de même, tous les anges ne sont point appelés anges de Dieu, mais seuls les bienheureux, alors que ceux qui se sont tournés vers le mal sont nommés anges du diable, comme les hommes mauvais sont appelés hommes de péché, fils de pestilence, fils d’iniquité. C’est parce que les hommes sont les uns bons, les autres mauvais, que l’on dit des uns qu’ils sont de Dieu, des autres qu’ils sont du diable, et les anges aussi sont les uns de Dieu, les autres mauvais ; mais la division en deux ne vaut plus pour les démons : il est prouvé qu’ils sont tous mauvais. Aussi déclarerons-nous fausse la parole de Celse : Si ce sont des démons, il est évident qu’eux aussi appartiennent à Dieu. Ou alors montre qui voudra qu’il n’y a pas de raison valable de faire la distinction dans le cas des hommes et des anges, ou bien qu’on peut fournir une raison de même valeur au sujet des démons. LIVRE VIII
Ce n’est donc pas des démons qu’on reçoit les différentes choses nécessaires à la vie, spécialement quand on a appris à en user comme il se doit. On n’est point le commensal des démons quand on reçoit du pain, du vin, des fruits, de l’eau et de l’air, mais bien plutôt commensal des anges divins chargés de ces éléments, qui sont, pour ainsi dire, invités à la table de l’homme pieux, attentif à l’enseignement de l’Écriture : « Que vous mangiez, que vous buviez et quoi que vous fassiez, faites tout pour glorifier Dieu. » Il est encore dit en un autre endroit : « Que vous mangiez, que vous buviez, faites tout au nom de Dieu. » Quand donc nous mangeons, buvons, respirons pour glorifier Dieu et faisons tout suivant l’Écriture, nous ne sommes pas les commensaux de l’un des démons, mais ceux des anges divins. En effet, « tout ce que Dieu a créé est bon et rien n’est à rejeter quand on le prend avec action de grâce ; car la parole de Dieu et la prière le sanctifient. » Mais ces créatures n’auraient pas été bonnes ni capables d’être sanctifiées si, comme le croit Celse, les démons en avaient reçu l’administration. LIVRE VIII
Il est clair que par là j’ai répliqué d’avance à ce qu’il dit ensuite : Ou bien donc il faut absolument renoncer à vivre et à venir ici-bas, ou si on est venu à la vie dans ces conditions, il faut rendre grâce aux démons qui ont reçu en partage les choses de la terre, leur offrir des prémices et des prières toute sa vie, afin d’obtenir leur bienveillance. Certes il faut vivre, et vivre selon la parole de Dieu autant qu’il est possible et qu’il est donné de vivre selon elle. Or cela nous est donné même quand nous mangeons et quand nous buvons en faisant tout pour glorifier Dieu. Il ne faut pas refuser de manger avec action de grâce au Créateur ces choses qui ont été créées pour nous. C’est dans ces conditions que nous avons été amenés par Dieu à cette vie et non pas dans celles qu’imaginé Celse. Ce n’est pas aux démons que nous sommes soumis, mais au Dieu suprême par Jésus-Christ qui nous a menés à lui. Selon les lois de Dieu, aucun démon n’a reçu en partage les choses de la terre. Mais à cause de leur transgression, peut-être se sont-ils partagé ces lieux d’où est absente la connaissance de Dieu et de la vie conforme à ses préceptes, ou dans lesquels affluent les hommes étrangers à la divinité. Peut-être aussi, parce qu’ils étaient dignes de gouverner et de châtier les méchants, le Logos qui administre toutes choses les a mis à la tête de ceux qui se sont soumis au mal et non à Dieu. Voilà pourquoi Celse, dans son ignorance de Dieu, peut bien témoigner aux démons sa reconnaissance. Pour nous, qui rendons grâce au Créateur de l’univers, nous mangeons les pains offerts avec action de grâce et prière sur les oblats, pains devenus par la prière un corps saint et qui sanctifie ceux qui en usent avec une intention droite. LIVRE VIII
A quoi je puis répondre que nous n’insultons personne : nous sommes convaincus que « ceux qui disent des insultes seront exclus du royaume de Dieu »; nous lisons les textes : « Bénissez ceux qui vous maudissent », « bénissez ne maudissez pas » ; nous connaissons la parole : Insultés, nous bénissons. » Et quoique l’insulte trouve une excuse dans la défense à opposer aux torts que l’on craint, même alors la parole de Dieu nous l’interdit ; combien plus doit-on s’abstenir si l’insulte manifeste une grande sottise. Or ce serait pareille sottise que d’insulter la pierre, l’or ou l’argent auxquels on a donné une forme que regardent comme celle des dieux des gens bien éloignés de la divinité. LIVRE VIII
Les Grecs diront que ce sont là des fables, bien que la vérité de ces histoires soit attestée par deux peuples entiers. Mais pourquoi donc les récits des Grecs ne seraient-ils pas des fables plutôt que celles-ci ? Si l’on aborde directement la question sans être arbitrairement prévenu en faveur de ses propres histoires ni incrédules à celles des étrangers, on pourra dire : celles des Grecs viennent des démons, celles des Juifs de Dieu par les prophètes, ou des anges et de Dieu par les anges, et celles des chrétiens de Jésus et de sa puissance qui résidait dans ses apôtres. Qu’on me permette de les comparer toutes entre elles en voyant le but poursuivi par ceux qui les ont accomplies et leur résultat, profit ou dommage ou inefficacité pour ceux qui en ont éprouvé les prétendus bienfaits. On verra sans doute la sagesse de l’antique peuple des Juifs avant qu’il outrageât la divinité. Celle-ci les a plus tard abandonnés pour la gravité de leur malice. Mais elle a miraculeusement rassemblé les chrétiens, amenés dès le début, plus par les prodiges que par la force persuasive des discours, à délaisser les croyances traditionnelles pour choisir celles qui leur étaient étrangères. En effet, s’il faut une explication vraisemblable du rassemblement initial des chrétiens, on dira qu’il n’est pas plausible que les apôtres de Jésus, hommes illettrés et ignorants, aient fondé leur assurance pour annoncer le christianisme aux hommes sur autre chose que sur la puissance qui leur avait été donnée et sur la grâce unie à la parole pour montrer la vérité des faits ; ni non plus que leurs auditeurs aient renoncé à leurs habitudes ancestrales invétérées sans qu’une puissance notable et des actes miraculeux les aient amenés à des doctrines si nouvelles, étrangères à celles dans lesquelles ils avaient été élevés. LIVRE VIII
Après avoir tant insisté là-dessus, voyons encore un autre passage de Celse que voici : Les hommes naissent liés à un corps, soit en raison de l’économie de l’univers, soit en expiation de leur faute, soit parce que l’âme est chargée de passions jusqu’à ce qu’elle soit purifiée à des périodes déterminées. Car, selon Empédocle, il faut que « pendant mille ans erre loin des bienheureux l’âme des mortels changeant de forme avec le temps ». Il faut donc croire que les hommes ont été confiés à la garde de certains geôliers de cette prison. Observe ici encore qu’en de si graves questions, il hésite d’une manière bien humaine, et il fait preuve de prudence en citant les théories de nombreux auteurs sur la cause de notre naissance, sans oser affirmer que l’une d’elles soit fausse. Mais une fois décidé à ne pas donner son assentiment à la légère et à ne pas opposer un refus téméraire aux opinions des Anciens, ne parvenait-il pas à cette conséquence logique : s’il ne voulait pas croire à la doctrine des Juifs énoncée par leurs prophètes ni à Jésus, il devait rester hésitant et admettre comme probable que ceux qui ont rendu leur culte au Dieu de l’univers et qui, pour l’honneur qui lui est dû et pour l’observation des lois qu’ils croyaient tenir de lui, se sont exposés maintes fois à des dangers sans nombre et à la mort, n’ont pas encouru le mépris de Dieu, mais qu’une révélation leur a été faite à eux aussi : car ils ont dédaigné les statues produites par l’art humain et ont tâché de monter par le raisonnement jusqu’au Dieu suprême lui-même. Ils auraient dû considérer que le Père et Créateur commun de tous les êtres, qui voit tout, entend tout, et juge selon son mérite la détermination de quiconque à le chercher et à vouloir vivre dans la piété, accorde à ceux-là aussi le fruit de sa protection, pour qu’ils progressent dans l’idée de Dieu qu’ils ont une fois reçue. Réfléchissant sur ce point, Celse et ceux qui haïssent Moïse et les prophètes parmi les Juifs, Jésus et ses véritables disciples qui se dépensent pour sa parole, n’auraient pas insulté de la sorte Moïse et les prophètes, Jésus et ses apôtres. Ils ne mettraient pas les seuls Juifs au-dessous de toutes les nations de la terre, en les disant inférieurs même aux Égyptiens qui, par superstition ou toute autre cause ou erreur, ravalent autant qu’ils peuvent jusqu’à des animaux sans raison l’honneur qu’ils doivent à la divinité. LIVRE VIII
Mais il me semble ici commettre une confusion : parfois il a l’esprit troublé par les démons, parfois aussi, sortant de l’irréflexion qu’ils lui infligent, il entrevoit une lueur de vérité. Car de nouveau il ajoute : Quant à Dieu, il ne faut jamais le quitter d’aucune façon, ni jour ni nuit, ni en public ni en privé, en toute parole et en toute action d’une manière continue. Mais que, dans ces activités ou sans elles, l’âme ne cesse d’être tendue vers Dieu. LIVRE VIII
J’entends l’expression « dans ces activités » au même sens que « en public, en toute action, en toute parole ». LIVRE VIII
Oui certes, il nous faut mépriser la faveur des hommes et des rois, non seulement si elle ne s’obtient qu’au prix de meurtres, d’impuretés et d’actions criminelles, mais encore si c’est au prix de l’impiété envers le Dieu de l’univers, ou d’une parole de servilité et de bassesse, indigne d’hommes courageux et magnanimes qui veulent unir aux autres vertus, comme la plus noble de toutes, la fermeté de l’âme. Là pourtant, nous ne faisons rien de contraire à la loi et au Logos de Dieu, nous n’avons pas la folie de courir exciter contre nous la colère de l’empereur ou du prince, braver les mauvais traitements, les supplices et même la mort. LIVRE VIII
Car nous avons lu la parole : « Que chacun se soumette aux autorités en charge. Car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu. Si bien que celui qui résiste à l’autorité se rebelle contre l’ordre établi par Dieu.» Certes, dans le Commentaire sur l’Épître aux Romains, j’ai fourni de mon mieux des explications longues et variées sur ces paroles. Ici, je ne les applique au sujet qu’au sens simple et selon l’interprétation commune, puisque Celse déclare : Ce n’est pas sans une force démoniaque qu’ils ont obtenu leur dignité sur terre. LIVRE VIII
Or nous disons : pour bénir le soleil, nous n’attendons pas qu’on nous l’ordonne, nous qui avons appris à bénir non seulement ceux qui se rangent sous le même ordre que nous, mais encore les ennemis. Nous bénirons donc le soleil comme une belle créature de Dieu qui garde les lois de Dieu, entend la parole : « Soleil et mer, louez le Seigneur ! » et de toute sa puissance chante un hymne au Père et Créateur de l’univers. Toutefois, en rangeant Athènè avec le soleil, les traditions des Grecs ont inventé la fable, avec ou sans significations allégoriques, qu’elle est née toute armée du cerveau de Zeus et que, poursuivie un jour par Hèphaestos qui voulait corrompre sa virginité, elle lui échappa ; mais elle en aima la semence, dans l’ardeur du désir tombée à terre ; et elle éleva sous le nom d’Érichthonios, comme on le dit, « l’enfant de la glèbe féconde qu’Athènè, fille de Zeus, jadis éleva. « On voit ainsi que pour reconnaître Athènè, fille de Zeus, on doit admettre bien des mythes et des fictions que ne peut admettre celui qui fuit les mythes et cherche la vérité. LIVRE VIII
Nous refusons donc la doctrine d’une royauté octroyée par le fils de Cronos le fourbe, persuadés que Dieu ou le Père de Dieu ne veut rien de fourbe ni de tortueux. Mais nous ne refusons pas la doctrine de la Providence et des choses produites par elle soit principalement soit par voie de conséquence. De plus, il n’est pas probable qu’un empereur nous punirait pour notre affirmation que ce n’est pas le fils de Cronos le fourbe qui lui a octroyé de régner, mais Celui qui établit les rois et les dépose. Oui donc, que tous les hommes fassent comme moi, qu’ils refusent la doctrine d’Homère, mais qu’ils gardent la doctrine sur l’empereur et pratiquent le commandement : « Honorez l’empereur ! » Alors certes, l’empereur ne sera point laissé seul et abandonné, et les biens de la terre ne deviendront pas la proie des barbares très iniques et très sauvages. A supposer, comme le dit Celse, que tous les hommes fassent comme moi, il est évident que les barbares, eux aussi, convertis à la parole de Dieu, seront très soumis aux lois et très civilisés ; que tous les cultes seront abandonnés et que seul le culte des chrétiens sera en vigueur : oui, seul un jour il sera en vigueur puisque le Logos conquiert sans cesse un plus grand nombre d’âmes. LIVRE VIII
Il se demande ce qui arriverait si les Romains étaient convaincus par la doctrine chrétienne, négligeaient les honneurs à rendre aux prétendus dieux et les coutumes autrefois en usage chez les hommes, et adoraient le Très-Haut. Qu’il entende notre opinion sur ce point. Nous disons : « Si deux ou trois d’entre vous s’accordent sur la terre à demander quoi que ce soit, cela sera accordé par le Père des justes qui est dans les cieux. » Car Dieu prend plaisir à l’accord des êtres raisonnables et se détourne de leur désaccord. Que faut-il penser pour le cas où l’accord existerait non seulement comme aujourd’hui entre très peu de personnes mais dans tout l’empire romain ? Alors ils prieront le Logos qui autrefois dit aux Hébreux poursuivis par les Égyptiens : « Le Seigneur combattra pour vous et vous n’aurez qu’à vous taire. » Et l’ayant prié d’un accord total, ils pourront détruire un bien plus grand nombre d’ennemis lancés à leur poursuite que n’en détruisit la prière de Moïse poussant des cris vers Dieu en même temps que ceux qui étaient avec lui. Si les promesses de Dieu à ceux qui observent la loi ne sont pas réalisées, ce n’est pas que Dieu aurait menti, mais que les promesses étaient faites sous cette condition qu’ils garderaient la loi et y conformeraient leur vie. Et si les Juifs qui avaient reçu ces promesses conditionnelles n’ont plus ni feu ni lieu, il faut en accuser toutes leurs transgressions de la loi et singulièrement leur faute contre Jésus. Mais, comme Celse le suppose, que tous les Romains, convaincus, se mettent à prier, ils triompheront de leurs ennemis ; ou plutôt, ils n’auront même plus de guerre du tout, car ils seront protégés par la puissance divine qui avait promis, pour cinquante justes, de garder intactes cinq villes entières. Car les hommes de Dieu sont le sel du monde assurant la consistance des choses de la terre, et les choses terrestres se maintiennent tant que le sel ne s’affadit pas : « Car si le sel perd sa saveur, il n’est plus bon ni pour la terre, ni pour le fumier, mais on le jette dehors et les hommes le foulent aux pieds. Que celui qui a des oreilles entende » le sens de cette parole. Pour nous, quand Dieu, laissant la liberté au Tentateur, lui donne tout pouvoir de nous persécuter, nous sommes persécutés. Mais lorsqu’il veut nous soustraire à cette épreuve, en dépit de la haine du monde qui nous entoure, nous jouissons d’une paix miraculeuse, nous confiant en Celui qui a dit : « Courage, moi j’ai vaincu le monde. » En toute vérité, il a vaincu le monde, et le monde n’a de force que dans la mesure où le veut son vainqueur qui tient de son Père sa victoire sur le monde. Notre courage repose sur sa victoire. LIVRE VIII
A celui qui peut saisir le sens profond de l’Écriture et comprendre tout ce passage, d’élucider la prophétie. Qu’il examine en particulier le sens de cette parole : après la destruction de toute la terre, sera redonnée « aux peuples une langue pour sa génération », comme elle était avant la Confusion. Qu’il considère les sens de ces paroles : « Afin qu’ils invoquent tous le nom du Seigneur, qu’ils le servent sous un seul joug », en sorte que soit ôté « le mépris de l’arrogance », et qu’il n’y ait plus d’injustice, de paroles vaines, de langue trompeuse. Voilà ce que j’ai cru bon de citer simplement et sans démonstration rigoureuse, à cause de Celse qui croit impossible que les habitants de l’Asie, de l’Europe, de la Libye, Grecs et barbares, s’accordent pour observer une seule loi. Peut-être en effet est-ce impossible pour ceux qui sont toujours dans les corps, mais non pour ceux qui en sont délivrés. Aussitôt après, Celse nous exhorte à secourir l’empereur de toutes nos forces, collaborer à ses justes entreprises, combattre pour lui, servir avec ses soldats s’il l’exige, et avec ses stratèges. LIVRE VIII