Parole (Orígenes)

logos

Tous ceux qui croient en toute certitude que la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ, qui savent que le Christ est la Vérité puisqu’il a dit lui-même : Je suis la Vérité, ne reçoivent pas d’ailleurs que des paroles mêmes et de la doctrine du Christ la connaissance qui invite les hommes à une vie bonne et bienheureuse. Par paroles du Christ, nous n’entendons pas seulement ce qu’il a enseigné quand il s’est fait homme et quand il a vécu dans la chair : car auparavant le Christ, Parole de Dieu, se trouvait déjà en Moïse et dans les prophètes. En effet, sans la Parole de Dieu, comment auraient-ils pu prophétiser au sujet du Christ ? Il ne serait pas difficile de prouver cela en montrant à partir des divines Écritures comment Moïse et les prophètes ont parlé, ou ont accompli tout ce qu’ils ont fait, parce qu’ils étaient remplis de l’Esprit du Christ : mais notre propos est de traiter le sujet présent avec toute la brièveté possible. C’est pourquoi il suffira, je pense, d’utiliser seulement ce témoignage de Paul dans la lettre qu’il écrivit aux Hébreux : A cause de sa foi Moïse, devenu grand, refusa d’être dit le fils de la fille de Pharaon, préférant souffrir avec le peuple de Dieu que jouir quelque temps de la volupté du péché, estimant qu’il y a plus de richesse dans les outrages subis par le Christ que dans les trésors des Égyptiens. Et Paul indique en ces termes que Jésus a parlé en ses apôtres, même après son assomption dans le ciel : Cherchez-vous une preuve de celui qui parle en moi, le Christ ? Préface

Je sais que certains essaieront de dire que Dieu est un corps, et même en invoquant les Écritures, car ils lisent chez Moïse : Notre Dieu est un feu qui consume, et dans l’évangile de Jean : Dieu est souffle (esprit) et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit (souffle) et en vérité. Le feu et le souffle (esprit), ils ne les prennent que comme des corps. Je veux leur demander ce qu’ils disent de cette affirmation scripturaire : Dieu est lumière. En effet Jean écrit dans son épître : Dieu est lumière et il n’y a pas en lui de ténèbres. C’est assurément cette lumière qui illumine toute l’intelligence de ceux qui peuvent saisir la vérité, comme le dit le Psaume 35 : Dans ta lumière nous verrons la lumière. Que faut-il appeler lumière de Dieu, dans laquelle on voit la lumière, sinon la Puissance de Dieu qui fait voir à celui qu’elle illumine la vérité de toutes choses ou lui fait connaître Dieu lui-même, qui est nommé Vérité ? C’est cela que signifie la phrase : Dans ta lumière nous verrons la lumière ; c’est-à-dire dans ta Parole et ta Sagesse, à savoir dans ton Fils, nous te verrons, toi, le Père. Faut-il, puisqu’il est appelé Lumière, le juger semblable à la lumière de ce soleil-ci ? Et comment nous en sera-t-il donné quelque intelligence, même faible, pour concevoir, à partir de cette lumière corporelle, la cause de la connaissance, et trouver la compréhension de la vérité ? LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Si donc nos interlocuteurs acquiescent à notre assertion – car la raison même montre la nature de cette lumière – et reconnaissent qu’on ne peut comprendre Dieu comme un corps d’après la signification de cette lumière, on pourra leur donner une raison semblable à propos du feu qui consume. En effet, que consume Dieu en tant qu’il est feu ? Peut-on croire qu’il consume une matière corporelle, telle que bois, foin ou paille ! Que fait-il là qui soit digne de louange, s’il est un feu consumant de telles matières ? Mais considérons donc ce que Dieu consume et supprime : il consume les mauvaises pensées, il consume les actes honteux, il consume les désirs de péché, lorsqu’il pénètre dans les intelligences des croyants, lorsqu’il habite avec son Fils dans les âmes qui ont été rendues capables de recevoir sa Parole et sa Sagesse, selon ce qui est dit : Moi et mon Père nous viendrons et nous ferons chez lui notre demeure, et qu’ayant consumé en elles tous les vices et toutes les passions, il s’en fait un temple pur et digne de lui. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Quant à ceux qui, parce que Dieu est appelé souffle (esprit), jugent qu’il est corps, il faut leur répondre ainsi : L’Écriture sainte a l’habitude, lorsqu’elle veut désigner quelque chose de contraire à ce corps que voici plus épais et plus solide, de le nommer esprit (souffle). Elle dit ainsi : La lettre tue, mais l’esprit vivifie. Sans aucun doute, la lettre désigne les réalités corporelles, l’esprit les intellectuelles, que nous disons aussi spirituelles. L’Apôtre écrit en outre : Jusqu’à aujourd’hui, lorsqu’ils lisent Moïse, un voile est posé sur leur coeur; mais lorsqu’on se sera tourné vers le Seigneur, le voile sera ôté ; là où est l’Esprit du Seigneur se trouve la liberté. Tant qu’on ne se convertit pas à l’intelligence spirituelle, un voile est posé sur le coeur : par ce voile, c’est-à-dire par une intelligence plus grossière, l’Écriture, selon ce que l’on dit et pense, est elle-même voilée ; tel était le voile posé sur le visage de Moïse lorsqu’il parlait au peuple, c’est-à-dire lorsque la loi est lue à la foule. Si nous nous tournons vers le Seigneur, là où est aussi la Parole de Dieu, là où l’Esprit Saint révèle la science spirituelle, alors le voile est ôté, et alors, la face dévoilée, nous contemplons dans les Écritures saintes la gloire du Seigneur. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Nous avons donc compris comment la Sagesse est le principe des voies de Dieu et comment elle est dite créée, en tant qu’elle préforme et contient en elle les espèces et les raisons de toute la création. Il faut comprendre de même qu’elle est la Parole de Dieu par le fait qu’elle ouvre à tous les autres êtres, c’est-à-dire à toute la création, la raison des mystères et des secrets, tous contenus sans exception dans la Sagesse de Dieu : et par là elle est appelée Parole, car elle est comme l’interprète des secrets de l’intelligence. C’est ainsi que me paraît juste ce mot que l’on trouve dans les Actes de Paul : Il est la Parole, un être animé et vivant. Mais Jean, d’une manière supérieure et bien plus belle, proclame au début de son évangile, en définissant à proprement parler que la Parole est Dieu : Et la Parole était Dieu et elle était au début auprès de Dieu. Celui qui attribue un commencement à la Parole de Dieu et à la Sagesse de Dieu, ne bafoue-t-il pas davantage encore de façon impie le Père inengendré, en lui refusant d’avoir toujours été père, d’avoir engendré une Parole et eu une Sagesse dans tous les temps et siècles antérieurs, de quelque façon qu’on puisse les nommer ? Ce Fils est aussi de tous les êtres la Vérité et la Vie : à juste titre. Car comment vivraient ceux qui ont été faits, sinon par le moyen de la Vie ? Comment seraient-ils fondés dans la vérité ceux qui sont, s’ils ne dérivaient pas de la Vérité ? Comment pourrait-il y avoir des êtres raisonnables si la Parole-Raison ne les précédait pas ? Comment pourrait-il y avoir des sages sans la Sagesse ? Mais puisqu’il devait arriver que quelques-uns s’écartent de la Vie et se donnent à eux-mêmes la mort par le fait même de s’écarter de la Vie – car mourir n’est pas autre chose que s’éloigner de la vie – et comme il n’était pas du tout normal que ce qui avait été une fois créé par Dieu pour vivre soit totalement perdu, il a fallu qu’existé, avant la mort, une puissance capable de détruire la mort à venir et d’être la Résurrection, qui s’est formée dans notre Seigneur et Sauveur : cette Résurrection existe dans la Sagesse de Dieu elle-même, sa Parole et sa Vie. Et ensuite, puisqu’il devait se faire que quelques-uns des êtres créés, possédant le bien non par nature, c’est-à-dire par substance, mais par accident, et n’ayant pas la force de rester inconvertibles et immuables et de persévérer toujours dans les mêmes biens avec équilibre et mesure, changent de condition et s’écartent de leur état, la Parole et Sagesse de Dieu s’est faite Voie : elle est appelée Voie parce qu’elle conduit au Père ceux qui la suivent. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

Tout ce que nous avons dit de la Sagesse de Dieu s’applique et s’entend aussi quand nous disons que le Fils de Dieu est Vie, Parole, Vérité, Voie, Résurrection : tous ces termes concernent ses oeuvres et ses puissances, et aucun d’eux ne permet de comprendre, même de façon fugitive, quelque chose de corporel, comme le seraient la grandeur, la forme ou la couleur. Certes, chez nous, les enfants des hommes ou les petits des autres animaux correspondent à la semence des pères qui les ont engendrés et des mères qui les ont formés et nourris dans leurs entrailles, tenant d’eux tout ce qu’ils possèdent en venant au jour et tout ce qu’ils emportent dans leur croissance. Cependant il n’est pas admissible de comparer Dieu le Père dans la génération de son Fils unique, quand il lui donne l’être, à un homme ou à un animal qui engendre. Mais il faut que cela ait lieu autrement, de manière digne de Dieu, car absolument rien ne peut lui être comparé, non seulement dans la réalité, mais même en pensée, afin que l’homme puisse concevoir comment le Dieu inengendré devient père du Fils unique. Cette génération éternelle et perpétuelle est comme celle du rayonnement engendré par la lumière. En effet le Fils ne devient pas tel du dehors, par l’adoption de l’Esprit, mais il est Fils par nature. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

Le Fils en effet est la Parole, et pour cela il ne faut rien entendre de sensible en lui ; il est la Sagesse, et dans la Sagesse il n’y a rien de corporel à soupçonner; il est la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, mais il n’a rien de commun avec la lumière de notre soleil. Notre Sauveur est donc l’image du Dieu invisible, le Père : en relation avec le Père il est Vérité ; en relation à nous, à qui il révèle le Père, il est l’image par laquelle nous connaissons le Père que personne d’autre ne connaît si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. Il révèle par le fait d’être lui-même compris. Dès qu’il est lui-même compris, le Père est en conséquence compris lui aussi, selon ce que le Christ a dit : Qui m’a vu a vu aussi le Père. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

Mais puisque nous avons cité la parole de Paul disant du Christ qu’il est le rayonnement de la gloire de Dieu et la figure et expression de sa substance, voyons ce qu’il faut en penser. Dieu est Lumière, selon Jean. Le Fils unique est le rayonnement de cette Lumière, il procède inséparablement de lui comme le rayonnement de la lumière et il illumine toute la création. Nous avons exposé plus haut comment il est la Voie et conduit au Père, comment il est la Parole interprétant et exprimant à la créature raisonnable les secrets de la sagesse et les mystères de la connaissance, comment il est la Vérité, la Vie et la Résurrection : conformément à cela, nous devons comprendre l’action du rayonnement; par lui, en effet, on connaît et on perçoit ce qu’est la lumière elle-même. Ce rayonnement, s’offrant avec plus de modération et de douceur aux yeux fragiles et faibles des mortels, leur apprend peu à peu et les accoutume à supporter la clarté de la lumière, en écartant tout ce qui obscurcit et empêche la vision, selon cette parole du Seigneur : Ote la poutre de ton oeil : il les rend ainsi capables d’accueillir la lumière dans toute sa gloire, et là aussi il agit comme un médiateur entre les hommes et la Lumière. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

Mais puisqu’il n’est pas dit seulement par l’Apôtre le rayonnement de sa gloire, mais aussi la figure et expression de sa substance ou de sa subsistance, il ne paraît pas vain de tourner l’attention sur la question suivante : comment autre chose que la substance de Dieu, qu’on l’appelle substance ou subsistance, peut être dit figure de sa substance ? Voyons si on ne peut pas dire que le Fils de Dieu, appelé aussi sa Parole et sa Sagesse, lui qui seul connaît le Père et le révèle à ceux qu’il veut, c’est-à-dire à ceux qui sont devenus capables de recevoir sa Parole et sa Sagesse, par le fait même qu’il fait comprendre et connaître Dieu, est dit exprimer la figure de sa substance ou subsistance : ainsi, puisque la Sagesse reproduit en elle-même ce qu’elle veut révéler aux autres, pour qu’à partir de cela ils connaissent et comprennent Dieu, elle est dite la figure et expression de la substance de Dieu. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

Pour comprendre plus clairement ce qu’est la gloire de la toute-puissance, ajoutons encore ce qui suit. Dieu le Père est tout-puissant en ce qu’il possède la domination de tout, le ciel et la terre, le soleil, la lune et les étoiles et tout ce qu’ils contiennent. Il exerce cette domination par sa Parole, puisque, au nom de Jésus, tout genou fléchit des êtres célestes, terrestres et infernaux. Et si tout genou fléchit devant Jésus, sans aucun doute c’est à Jésus que tout est soumis, c’est lui qui exerce la domination sur tout et par qui tout est soumis au Père : tout est soumis par le moyen de la Sagesse, c’est-à-dire par la Parole et la Raison et non par force et nécessité. C’est pourquoi sa gloire est dans le fait même qu’il tient toutes choses : la gloire très pure et très limpide de la toute-puissance, c’est quand par raison et sagesse, non par force et nécessité, tout est soumis. On nomme, avec à-propos, très pure et très limpide la gloire de la Sagesse pour la distinguer de celle qui n’est pas appelée purement ni franchement gloire. Toute nature convertible et muable en effet, même si elle est glorifiée par les oeuvres de la justice et de la sagesse, par le fait même qu’elle possède la justice et la sagesse de manière accidentelle et que ce qui est accidentel peut aussi déchoir, ne peut avoir une gloire franche et limpide. Mais la Sagesse de Dieu, son Fils unique, en toutes choses inconvertible et immuable, possédant tout bien de façon substantielle, sans possibilité de mutation ou de changement, peut pour ces raisons se voir attribuer une gloire pure et franche. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

Maintenant, continuant notre exposé, recherchons brièvement ce que nous pouvons dire de l’Esprit Saint. Tous ceux qui croient de quelque façon qu’il y a une providence, confessent un Dieu inengendré qui a créé et qui gouverne l’univers et reconnaissent qu’il est le père de l’univers. Qu’il ait un Fils, nous ne sommes pas les seuls à l’affirmer, bien que cela paraisse assez étrange et incroyable à ceux que, chez les Grecs et les barbares, on considère comme des philosophes : cependant cette opinion semble tenue par quelques-uns d’entre eux, lorsqu’ils confessent que tout a été créé par la Parole ou la Raison de Dieu. Mais nous, faisant foi à sa doctrine que nous tenons avec certitude pour divinement inspirée, nous croyons qu’il n’est possible de parler du Fils de Dieu d’une manière plus éminente et plus divine et d’en donner la connaissance aux hommes que par le moyen de son Écriture, inspirée par l’Esprit Saint, c’est-à-dire de l’Évangile et des écrits apostoliques, de la loi et des prophètes, comme le Christ lui-même l’a affirmé. Quant à l’être substantiel qu’est l’Esprit Saint, personne n’a pu en avoir le moindre soupçon, si ce n’est ceux qui connaissent la loi et les prophètes ou qui professent la foi dans le Christ. Car si personne ne peut parler dignement de Dieu le Père, il est cependant possible d’en acquérir quelque compréhension à l’occasion des créatures visibles et de ce que l’intelligence humaine perçoit naturellement : en outre tout cela peut être confirmé par le témoignage des Écritures saintes. Et quant au Fils de Dieu, bien que personne ne connaisse le Fils si ce n’est le Père, l’intelligence humaine apprend cependant des divines Écritures ce qu’il faut penser de lui : il ne s’agit pas alors seulement du Nouveau Testament, mais encore de l’Ancien, en rapportant de façon figurée au Christ les actions des saints, qui nous font connaître la nature divine et aussi la nature humaine qu’il a assumée. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section

De nombreux passages des Écritures nous apprennent qu’il y a un Saint Esprit. Ainsi David dans le Psaume 50 : Ne m’ôte pas ton Esprit Saint; et Daniel : L’Esprit Saint qui est en toi. D’abondants témoignages du Nouveau Testament nous l’enseignent, lorsqu’il rapporte que l’Esprit Saint descendit sur le Christ et lorsque le Sauveur souffla sur les apôtres après la Résurrection en leur disant : Recevez l’Esprit Saint. A Marie, l’ange a annoncé : L’Esprit Saint viendra sur toi. Paul enseigne : Personne ne peut dire Jésus Seigneur, si ce n’est dans l’Esprit Saint. Et dans les Actes des Apôtres, les apôtres par l’imposition des mains donnaient l’Esprit Saint dans le baptême. Tout cela nous révèle la grande autorité et dignité qu’a l’Esprit Saint en tant qu’être substantiel, telle que le baptême de salut ne peut être accompli que par l’autorité de la Trinité la plus excellente de toutes, par l’invocation du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, et ainsi au Père inengendré et à son Fils unique est associé le nom du Saint Esprit. N’est-il pas stupéfiant de constater la majesté de l’Esprit Saint, quand on voit que celui qui parlera mal du Fils de l’homme pourra espérer le pardon, mais que celui qui aura blasphémé contre l’Esprit Saint n’aura de pardon ni dans le siècle présent ni dans le futur ? Tout a été créé par Dieu et il n’y a pas d’être qui n’ait reçu de lui l’existence : cela est affirmé par de nombreux passages de toute l’Écriture et permet de rejeter et de réfuter des fausses affirmations faites par certains, au sujet de la matière qui serait coéternelle à Dieu, au sujet des âmes qui seraient inengendrées, Dieu ayant mis en elles non tant l’existence que la qualité et l’ordonnance de la vie. Car dans le petit livre du Pasteur, l’Ange de la Pénitence, rédigé par Hermas, il est écrit : Crois avant tout qu’il y a un seul Dieu qui a tout créé et ordonné; qui, alors que rien n’était, a tout fait; qui contient toutes choses et n’est contenu par aucune. On trouve des affirmations semblables dans le Livre d’Enoch. Mais jusqu’à présent nous n’avons pu trouver dans les Écritures saintes aucune parole disant que le Saint Esprit ait été fait ou créé, même pas de la manière dont nous avons vu Salomon parler de la Sagesse, ou selon les explications que nous avons données de la Vie, de la Parole et des autres dénominations du Fils de Dieu. L’Esprit de Dieu qui se déplaçait sur les eaux, comme c’est écrit, au début de la création du monde, je ne le crois pas autre que l’Esprit Saint, selon ce que je puis comprendre, comme nous l’avons montré en exposant ce passage, non selon l’histoire, mais selon la compréhension spirituelle. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section

Puisque l’action du Père et du Fils s’exerce sur les saints et les pécheurs, elle se manifeste en ce que tous les êtres raisonnables participent à la Parole de Dieu, c’est-à-dire à la Raison, et pour cela portent en eux comme des semences de la Sagesse et de la Justice, ce qu’est le Christ. De celui qui est vraiment, qui a dit par Moïse : Je suis celui qui suis, tous les êtres tirent participation. Cette participation du Père parvient à tous, justes ou pécheurs, êtres raisonnables et déraisonnables, et absolument à tout ce qui est. L’apôtre Paul montre, certes, que tous ont la participation au Christ quand il dit : Ne dis pas dans ton coeur : Qui montera dans le ciel, c’est-à-dire pour en faire descendre le Christ ? Ou: Qui descendra dans l’abîme, c’est-à-dire pour rappeler le Christ des morts ? Mais que dit l’Écriture: La Parole est tout près de toi, dans ta bouche et dans ton coeur. Par là il signifie que le Christ est dans le coeur de tous, en tant que Parole ou Raison, dont la participation fait les êtres raisonnables. Ce texte de l’Évangile : Si je n’étais pas venu et si je ne leur avais pas parlé, ils n’auraient pas de péché; maintenant ils n’ont pas d’excuse pour leur péché est clair pour ceux qui savent expliquer jusqu’à quel moment l’homme n’a pas de péché et à quel âge il devient sujet au péché : on voit ainsi comment, à cause de leur participation à la Parole ou à la Raison, on dit que les hommes ont le péché, à savoir à partir du moment où ils sont devenus capables de compréhension et de connaissance, lorsque la raison, mise à l’intérieur d’eux-mêmes, leur aura apporté le discernement du bien et du mal. Lorsqu’ils ont commencé à savoir ce qu’est le mal, s’ils le font, ils deviennent coupables de péché. C’est ce que veut dire : Les hommes n’ont pas d’excuse pour leur péché : la parole ou raison divine a commencé à leur montrer dans le coeur le discernement du bien et du mal, pour qu’ils puissent ainsi échapper au mal et s’en garder; qui connaît le bien et ne le fait pas, est-il écrit, le péché est en lui. De même, aucun homme n’est hors de la communion de Dieu ; l’Évangile l’enseigne par la bouche du Sauveur : Le royaume de Dieu ne se laisse pas observer quand il vient et on ne dit pas : Le voici ici ou là. Mais le royaume de Dieu est au dedans de vous. Il faut voir aussi si on ne trouve pas la même signification dans cette parole de la Genèse : Et il souffla sur sa face un souffle de vie et l’homme fut fait comme une âme vivante. S’il faut comprendre que cela a été donné à tous les hommes en général, tous les hommes ont une participation à Dieu ; s’il faut entendre de l’Esprit de Dieu cette parole, puisque Adam lui-même, semble-t-il, a prophétisé sur plusieurs points, on ne peut l’appliquer de façon générale, mais seulement à quelques saints. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section

De cette manière l’action de la puissance de Dieu, Père et Fils, s’étend sans distinction sur toute créature, mais nous trouvons que seuls les saints possèdent la participation au Saint Esprit. C’est pourquoi il est dit : Personne ne peut dire: Jésus est Seigneur, sinon dans l’Esprit Saint. Et c’est à peine une fois que les apôtres ont mérité d’entendre : Vous recevrez la puissance de l’Esprit Saint venant sur vous. C’est ainsi que je pense logique que celui qui a péché contre le Fils de l’homme soit digne de pardon, parce que celui qui participe à la Parole – ou à la Raison -, s’il cesse de vivre de façon raisonnable, on jugera qu’il est tombé dans l’ignorance ou la sottise et qu’il peut donc mériter le pardon; mais celui qui a été digne de participer au Saint Esprit et est revenu en arrière, est considéré comme ayant, par le fait même et par son action, blasphémé contre l’Esprit Saint. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section

Que personne ne pense qu’en disant que l’Esprit Saint n’est donné qu’aux saints, tandis que les bienfaits et l’action du Père et du Fils parviennent aux bons et aux mauvais, aux justes et aux injustes, nous mettons le Saint Esprit au-dessus du Père et du Fils et nous lui attribuons une plus grande dignité : cela manquerait tout à fait de conséquence. Car nous avons décrit le caractère propre de sa grâce et de son action. Cependant il n’est pas question de plus ou de moins dans la Trinité, puisque une unique source de divinité gouverne l’univers par sa Parole et sa Raison et sanctifie par l’Esprit (le souffle) de sa bouche tout ce qui est digne de sanctification, comme il est écrit dans le Psaume : Par la Parole du Seigneur les deux ont été affermis et par l’Esprit (le souffle) de sa bouche toute leur puissance. C’est en effet une opération principale de Dieu le Père en plus de celle par laquelle il donne à tous les êtres d’exister selon leur nature. Il y a aussi un ministère principal du Seigneur Jésus-Christ à l’égard de ceux à qui il confère d’être raisonnables par nature, ministère par lequel il leur accorde en outre de bien l’être. Il y a encore une autre grâce de l’Esprit Saint attribuée à ceux qui en sont dignes, par le ministère du Christ, par l’opération du Père, d’après le mérite de ceux qui en sont faits capables. C’est ce qu’indiqué très clairement l’apôtre Paul, montrant qu’il y a une seule et même puissance de la Trinité quand il dit : Les dons sont différents, mais l’Esprit est le même; les ministères sont différents, mais le Seigneur est le même; les actions sont différentes, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. A chacun il est donné de manifester l’Esprit selon ce qui convient. Il explique par là très clairement qu’il n’y a dans la Trinité aucune séparation, mais que ce qui est appelé don de l’Esprit, vient du ministère du Fils et est opéré par Dieu le Père : Tout est l’oeuvre d’un seul et même Esprit, répartissant à chacun comme il veut. Après ces mises au point sur l’unité du Père, du Fils et du Saint Esprit, revenons à ce que nous avons commencé de discuter. Dieu le Père donne à tous les êtres l’existence, mais la participation du Christ selon qu’il est Parole – ou Raison – les rend raisonnables. Ils s’ensuit qu’ils sont dignes de louange ou d’accusation parce qu’ils sont capables de vertu ou de malice. En conséquence la grâce de l’Esprit Saint est en eux pour rendre saints par sa participation ceux qui ne le sont pas par leur substance. Puisqu’ils ont reçu d’abord de Dieu le Père l’être, ensuite de la Parole la rationalité, en troisième lieu du Saint Esprit la sainteté, ils deviennent en revanche capables de recevoir le Christ en tant qu’il est la Justice de Dieu, ceux qui ont été déjà auparavant sanctifiés par l’Esprit Saint; et ceux qui ont mérité de parvenir à ce degré par la sanctification reçue de l’Esprit Saint, obtiennent néanmoins le don de sagesse par la vertu de l’action de l’Esprit de Dieu. C’est, je pense, ce que dit Paul lorsqu’il écrit qu’à certains est donnée la parole de sagesse, à d’autres la parole de connaissance selon le même Esprit. Et désignant chaque sorte de dons, il rapporte toutes choses à la source de l’univers par ces mots : Les opérations sont différentes, mais c’est un seul Dieu qui opère tout en tous. Par là, l’action du Père qui donne l’existence à tous apparaît plus brillante et plus magnifique, lorsque chacun, en participant au Christ en tant que Sagesse, Connaissance et Sanctification, se perfectionne et monte dans son progrès à des degrés supérieurs. Sanctifié par la participation au Saint Esprit, on devient ainsi de plus en plus pur, on reçoit plus dignement la grâce de la sagesse et de la connaissance, et en rejetant toutes les taches de la souillure et de l’ignorance et en s’en nettoyant, on en arrive à un tel progrès de pureté, qu’ayant reçu de Dieu l’existence, on parvient à être digne de Dieu, qui donne d’être d’une manière pure et parfaite : tellement que la créature devient aussi digne que l’est celui qui l’a créée. Ainsi celui qui est tel que l’a voulu son créateur comprendra par l’action de Dieu que sa puissance existe toujours et demeure éternellement. Pour que cela se produise et pour que les créatures adhèrent sans fin et sans séparation possible à celui qui est, c’est l’oeuvre de la Sagesse de les enseigner et de les conduire à la perfection par l’Esprit Saint qui les affermit et les sanctifie continuellement, condition qui seule rend possible la réception de Dieu. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section

Toutes les âmes, toutes les natures raisonnables, ont été faites ou créées, qu’elles soient saintes ou mauvaises. Toutes, de leur nature propre, sont incorporelles : bien qu’elles soient telles, elles n’en ont pas moins été créées. En effet tout a été fait par Dieu par le moyen du Christ, comme Jean l’enseigne dans son évangile de la manière la plus générale : Dans le Principe était la Parole et la Parole était auprès de Dieu et la Parole était Dieu. Elle était dans le Principe auprès de Dieu. Tout a été fait par elle et sans elle rien n’a été fait. Décrivant tout ce qui a été fait suivant les espèces, les nombres et les ordres, l’apôtre Paul s’exprime ainsi pour montrer que tout a été fait par le moyen du Christ : Et tout a été créé en lui, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre, le visible et l’invisible, que ce soit les Trônes, les Dominations, les Principautés et les Puissances, tout a été créé par son intermédiaire et en lui, et il est lui-même avant tous, il est lui-même la tête. Il affirme donc clairement que tout a été fait et créé dans le Christ et par le moyen du Christ, que ce soit le visible qui est le corporel, que ce soit l’invisible, c’est-à-dire à mon avis les puissances incorporelles et substantielles. Ensuite, à ce qu’il me semble, il énumère les espèces des êtres qu’il avait déclarés en général corporels ou incorporels, c’est-à-dire les Trônes, Dominations, Principautés, Puissances, Vertus. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section

Il n’y a donc pas de nature incapable de recevoir le bien ou le mal, si ce n’est celle de Dieu, source de tous les biens, et celle du Christ : il est en effet Sagesse, et la sagesse ne peut en aucune façon recevoir la sottise ; il est aussi Justice, et jamais assurément la justice n’acquerra l’injustice ; il est Parole ou Raison, une raison qui ne peut jamais devenir déraisonnable; mais il est aussi Lumière, et certainement les ténèbres ne peuvent saisir la lumière. Pareillement, la nature du Saint Esprit qui est sainte ne peut souffrir de souillure : car elle est sainte par nature et de façon substantielle. Mais toute autre nature qui est sainte tient sa sanctification de ce qu’elle a assumé l’Esprit Saint et de ce qu’il l’a inspirée : elle ne la possède pas par nature, mais de manière accidentelle, or ce qui est accidentel peut déchoir. On peut avoir ainsi une justice accidentelle, d’où il suit qu’on peut la perdre. On a pareillement une sagesse accidentelle, mais il est en notre pouvoir, par notre zèle et le mérite de notre vie, par la pratique de la sagesse, de devenir sages : si nous y mettons tous nos soins, nous participons toujours à la sagesse, et ceci plus ou moins selon le mérite de notre vie ou l’importance de notre zèle. Car la bonté de Dieu, selon ce qui lui convient, invite tous les êtres et les attire à la fin bienheureuse, où cessent et disparaissent douleurs, tristesses et gémissements de toute sorte. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section

Le troisième ordre de la création raisonnable est formé de ces esprits qui ont été jugés par Dieu aptes à remplir le genre humain, c’est-à-dire les âmes des hommes ; parmi eux nous en voyons que leurs progrès ont haussé jusqu’à l’ordre des anges, ceux qui sont devenus fils de Dieu ou de la résurrection, ou ceux qui, laissant les ténèbres, ont préféré la lumière et sont devenus fils de lumière, ou ceux qui, ayant surpassé toute lutte et devenus pacifiques, sont faits fils de la paix et fils de Dieu, ou ceux qui, mortifiant leurs membres terrestres et transcendant non seulement la nature corporelle, mais encore les mouvements ambigus et fragiles de l’âme, se sont attachés au Seigneur, devenus entièrement esprits, pour être toujours avec lui un seul esprit, jugeant avec lui de toutes choses, jusqu’à ce qu’ils parviennent au degré des spirituels parfaits qui discernent tout et que, leur intelligence étant éclairée dans la plénitude de la sainteté par la Parole et la Sagesse de Dieu, ils ne puissent plus du tout être jugés par personne. Nous pensons, certes, qu’on ne doit en aucune façon accepter les questions ou les affirmations de certains, qui pensent que les âmes peuvent atteindre un tel degré de déchéance qu’oublieuses de leur nature raisonnable et de leur dignité, elles vont même jusqu’à se précipiter dans la classe des êtres animés déraisonnables, des animaux et des bestiaux. Ils tirent des Écritures des arguments mensongers, s’appuyant par exemple sur le précepte d’inculper et de lapider avec la femme l’animal auquel elle se serait unie contre nature et de lapider aussi le taureau qui donne des coups de corne; ou sur l’histoire de l’ânesse de Balaam qui parla, Dieu lui ouvrant la bouche, lorsque une bête de somme répondant avec une voix humaine, bien qu’elle fût muette, dénonça la folie du prophète. Tout cela, non seulement nous ne l’acceptons pas, mais encore nous réfutons et rejetons ces assertions contraires à notre foi. Cependant, lorsque nous aurons, au moment et à l’endroit convenables, confondu et réfuté cette doctrine perverse, nous montrerons comment il faut comprendre les passages des Écritures saintes qu’ils ont invoqués. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section

Mais Dieu, avec l’art ineffable de sa sagesse, transforme et restaure toutes choses, de quelque façon qu’elles se produisent, pour l’utilité et le profit commun du tout : ces créatures elles-mêmes, si éloignées les unes des autres par la diversité de leurs mentalités, il les ramène d’une certaine façon à un unique accord, dans leur activité et leurs intentions, pour consommer, malgré la diversité des mouvements des intelligences, l’accomplissement et la perfection d’un monde unique et diriger la variété des intelligences elles-mêmes vers une seule fin parfaite. Il est en effet l’unique puissance qui embrasse et maintient en lui toute la diversité du monde, ramène à l’unité ses mouvements variés, pour empêcher que son ouvrage si immense, le monde, ne soit brisé par les divisions des intelligences. Et c’est pourquoi nous pensons que Dieu, père de l’univers, pour sauver toutes ses créatures, par le moyen ineffable de sa Parole et Sagesse, a disposé chaque chose de telle manière qu’aucun esprit, intelligence, ou être rationnel subsistant, de quelque manière qu’on l’appelle, ne soit contraint par force, malgré la liberté de sa volonté, à faire autre chose que ce que lui commande le mouvement de son intelligence, car autrement lui serait enlevée, semble-t-il, la faculté du libre arbitre et la qualité de sa nature en serait tout à fait modifiée ; mais il a agencé les mouvements divers de leurs intentions avec à-propos et utilité pour assurer l’accord d’un monde unique ; et c’est ainsi que parmi ces êtres raisonnables, les uns ont besoin d’aide, les autres peuvent aider, d’autres encore soulèvent devant ceux qui progressent des luttes et des combats pour éprouver davantage leur diligence, pour rendre plus stable après la victoire l’état de la dignité qu’ils ont récupéré, affermi par leurs difficultés et leurs peines. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): « Le monde et les créatures qui s’y trouvent »

Il faut encore rechercher si avant le monde de maintenant a existé un autre monde et, dans ce cas, s’il a été semblable au monde de maintenant, ou quelque peu supérieur ou inférieur ; ou bien s’il n’y a eu absolument aucun monde, mais un état pareil à la fin qui, pensons-nous, surviendra après toutes choses, lorsque le royaume sera transmis au Dieu et Père ; si cet état néanmoins n’a pas été la fin d’un autre monde, à savoir de celui après lequel le monde actuel a commencé, quand, dans sa diversité, la chute des natures intellectuelles a décidé Dieu à créer ce monde de façon diverse et variée. Mais à mon avis il faut pareillement se demander si, après ce monde-ci, interviendront une correction et une purification, dures certes et très douloureuses, pour ceux qui auront refusé d’obéir à la Parole (Verbe) de Dieu, mais consistant pour les autres en une instruction et une éducation dans les réalités intelligibles, qui fera parvenir à une compréhension plus riche de la vérité ceux qui se sont déjà adonnés dans la vie présente à ce genre d’études et, ayant purifié leurs intelligences, sont devenus capables de recevoir la sagesse divine, ou si, sitôt après, suivra la fin de toutes choses ; ou si pour corriger et amender ceux qui en ont besoin, existera un autre monde, soit semblable à l’actuel, soit meilleur ou bien pire ; et quel sera ce monde qui suivra l’actuel, combien de temps il durera ou s’il existera vraiment; s’il y aura un moment où il n’existera plus aucun monde ou s’il fut un moment où aucun monde n’a existé ; ou s’il y en eut ou s’il y en aura plusieurs à la fois, ou s’il arrivera un jour qu’un monde sera entièrement égal ou semblable à un autre sans aucune distinction. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Ne nous étonnons pas si nous appelons vêtement du corps l’âme parfaite, qui est nommée ici incorruption à cause de la Parole et Sagesse de Dieu : en effet celui-là même qui est le Seigneur et le créateur de l’âme, le Christ Jésus, est dit un vêtement pour les saints, selon ces paroles de l’Apôtre : Révélez-vous du Seigneur Jésus-Christ. Comme le Christ est un vêtement pour l’âme, de même par une raison d’ordre intelligible l’âme est appelée vêtement du corps. Elle est son ornement, qui cache et couvre sa nature mortelle. Dire : Il faut que ce qui est corruptible revête l’incorruption, équivaut à ceci : il faut que cette nature corruptible du corps reçoive le vêtement de l’incorruption, c’est-à-dire l’âme qui a en elle l’incorruption, parce que, assurément, elle a revêtu le Christ, Sagesse et Parole de Dieu. Lorsque ce corps, que nous posséderons un jour sous une forme plus glorieuse, participera à la Vie, il accédera à ce qui est immortel, de sorte qu’il deviendra incorruptible. Ce qui est mortel est par le fait même corruptible : on ne peut pas dire cependant que ce qui est corruptible soit par le fait même mortel. Nous disons corruptibles la pierre ou le bois, mais il ne s’ensuit pas que nous les disions mortels, puisqu’ils n’ont jamais eu la vie. Mais le corps qui participe à la vie, puisque la vie peut lui être enlevée et qu’elle l’est effectivement, nous le nommons en conséquence mortel et, selon un autre aspect, nous l’appelons aussi corruptible. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

D’une manière admirable, le saint apôtre, considérant d’abord la condition générale de la matière corporelle dont l’âme se sert, dans quelque qualité que cette matière se trouve, actuellement dans la qualité charnelle, plus tard dans une qualité subtile et plus pure, appelée spirituelle, dit : Il faut que ce qui est corruptible revête l’incorruption. Ensuite, considérant la condition spéciale du corps il dit : Il faut que ce qui est mortel revête l’immortalité. L’incorruption et l’immortalité seront-elles autre chose que la Sagesse, la Parole et la Justice de Dieu qui forment l’âme, l’habillent et l’ornent ? Et ainsi se fait-il qu’on dit que ce qui est corruptible revêt l’incorruption et ce qui est mortel l’immortalité. En ce monde-ci, quelle que soit l’importance de nos progrès, puisque nous connaissons en partie et prophétisons en partie, puisque nous voyons à travers un miroir, en énigme ce que nous paraissons comprendre, ce qui est corruptible n’a pas encore revêtu l’incorruption et ce qui est mortel n’est pas encore enveloppé d’immortalité. Et puisque, sans aucun doute, notre instruction qui s’opère dans le corps est prolongée assez longtemps, à savoir jusqu’à ce que ces corps eux-mêmes qui nous enveloppent méritent l’incorruption et l’immortalité par la Parole de Dieu, sa Sagesse et sa parfaite Justice, il est écrit : Il faut que ce qui est corruptible revête l’incorruption et ce qui est mortel l’immortalité. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Nous avons esquissé comme nous avons pu les comprendre ces trois opinions sur la fin de toutes choses et la béatitude suprême : que chaque lecteur juge en lui-même avec diligence et minutie, s’il veut en approuver et en choisir une. Il est dit qu’on pense pouvoir mener une vie incorporelle quand tout aura été soumis au Christ et par le Christ à Dieu le Père, lorsque Dieu sera tout en tous ; ou bien cependant que lorsque tout sera soumis au Christ et par le Christ à Dieu, avec qui les natures raisonnables formeront un seul esprit, puisqu’elles sont des esprits, la substance corporelle elle-même associée à des esprits excellents et très purs brillera, changée dans un état éthéré selon la qualité ou les mérites de ceux qui l’assument, d’après cette parole de l’Apôtre : Nous aussi nous serons changés ; ou encore que, lorsque la condition des choses qui se voient aura passé, toute corruptibilité ayant été rejetée et purifiée et tout l’état de ce monde, où l’on dit que se trouvent les sphères des planètes, ayant été dépassé et transcendé, c’est au-dessus de la sphère dite des étoiles fixes que la demeure des pieux et des bienheureux sera établie, comme dans la bonne terre, la terre des vivants, que recevront les paisibles et les doux. A cette terre correspond le ciel qui l’entoure et l’enferme comme dans une enceinte plus magnifique, le ciel au sens strict et premier. Dans ce ciel et dans cette terre trouveront place l’achèvement et la perfection de toutes choses d’une manière stable, sûre et très durable. C’est là que ceux qui auront été corrigés par les peines subies pour être purifiés de leurs péchés, lorsque tout aura été accompli et payé, mériteront d’habiter cette terre, et ceux qui ont obéi à la Parole de Dieu, se sont montrés capables de recevoir sa Sagesse et l’ont suivie, mériteront, selon l’Écriture, les royaumes de ce ciel ou de ces cieux. Ainsi s’accompliront ces paroles : Bienheureux les doux car ils recevront en héritage la terre. Bienheureux les pauvres par l’esprit car ils auront l’héritage du royaume des cieux, et ce que dit le Psaume : Il t’élèvera pour que tu hérites la terre. Pour cette terre-ci on emploie l’expression descendre, pour cette terre-là, qui est en haut, celle d’être élevé. Il semble ainsi que soit ouvert par les progrès des saints comme un chemin de cette terre-là à ces cieux-là : ils ne paraissent pas tant devoir rester dans cette terre que l’habiter, pour passer ensuite, lorsqu’ils auront fait quelque progrès, à l’héritage du royaume des cieux. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Après avoir traité ces sujets, il est temps de revenir à l’incarnation de notre Seigneur et Sauveur pour voir comment il s’est fait homme et il a vécu parmi les hommes. Selon nos faibles forces, nous avons donc considéré la nature divine par l’examen plutôt de ses oeuvres que de notre intelligence, nous avons néanmoins regardé ses créatures visibles et contemplé par la foi les invisibles, puisque la fragilité humaine nous empêche de tout voir de nos yeux ou de tout embrasser par la raison : en effet de tous les êtres raisonnables nous sommes, nous hommes, l’être animé le plus faible et le plus fragile, dépassé par ceux qui se trouvent dans le ciel ou au-dessus du ciel. Il nous reste à chercher l’intermédiaire, c’est-à-dire le médiateur, entre toutes ces créatures et Dieu, celui que l’apôtre Paul appelle le premier-né de toute créature. Nous voyons en effet ce que les Écritures saintes nous rapportent de sa grandeur, qu’il est appelé Image du Dieu invisible et premier-né de toute créature, que, en lui, toutes choses ont été créées, visibles et invisibles, Trônes, Dominations, Principautés, Puissances: tout a été créé par lui et en lui; il est lui-même avant toutes choses et tout subsiste en lui, qui est la Tête de tous, étant le seul à avoir pour Tête Dieu le Père selon ce qui est écrit : La Tête du Christ est Dieu. Nous voyons en outre ce qui est écrit : Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père. Qui peut en effet connaître ce qu’est la Sagesse si ce n’est celui qui l’a engendrée ? Qui peut savoir clairement ce qu’est la Vérité si ce n’est le Père de la Vérité ? Qui a pu scruter toute la nature de sa Parole et de ce Dieu lui-même, nature qui vient de Dieu, si ce n’est Dieu seul, auprès duquel était la Parole ? Nous devons accepter en toute certitude que cette Parole – qu’on doit aussi appeler Raison -, que cette Sagesse, que cette Vérité, personne d’autre que le Père ne la connaît, elle dont il est écrit : Je pense que le monde lui-même ne contiendrait pas les livres qui seraient écrits, évidemment sur la gloire et la majesté du Fils de Dieu. Car il est impossible de mettre par écrit ce qui concerne la gloire du Sauveur. Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section

Mais après toutes ces merveilles et magnificences, la capacité d’étonnement de l’intelligence humaine est complètement dépassée et la fragilité d’un entendement mortel ne voit pas comment elle pourrait penser et comprendre que cette Puissance si grande de la majesté divine, cette Parole du Père lui-même, cette Sagesse de Dieu dans laquelle ont été créés tout le visible et tout l’invisible, ait pu, comme il faut le croire, exister dans les étroites limites d’un homme qui s’est montré en Judée, et bien mieux que la Sagesse de Dieu ait pénétré dans la matrice d’une femme, soit née comme un petit enfant, ait émis des vagissements à la manière des nourrissons qui pleurent; et ensuite qu’elle ait été troublée par sa mort, comme on le rapporte et comme Jésus le reconnaît lui-même : Mon âme est triste jusqu’à la mort; et enfin qu’elle ait été conduite à la mort que les hommes jugent la plus indigne, bien qu’elle soit ressuscitée le troisième jour après. Tantôt nous voyons en lui certains traits humains qui paraissent ne différer en rien de la fragilité commune des mortels, tantôt des traits si divins qu’ils ne conviennent à personne d’autre qu’à la nature première et ineffable de la divinité : aussi l’entendement humain reste immobile par suite de son étroitesse et frappé d’une telle stupéfaction qu’il ignore où aller, que tenir, vers où se tourner. Pense-t-il le Dieu, il voit le mortel. Pense-t-il l’homme, il l’aperçoit, ayant vaincu le règne de la mort, revenir des morts avec ses dépouilles. C’est pourquoi ce mystère doit être contemplé en toute crainte et révérence pour montrer en un seul et même être la vérité de chaque nature, afin de ne rien penser d’indigne et d’indécent sur cet être substantiel divin et ineffable, ni juger au contraire que ce qu’il a fait soit l’illusion d’une imagination fausse. Exposer cela à des oreilles humaines et l’expliquer par des paroles excède de beaucoup les possibilités de notre mérite, de notre talent et de notre discours. Je juge que cela dépasse même la mesure des saints apôtres : bien mieux l’explication de ce mystère est peut-être au-dessus des puissances célestes de toute la création. Ce n’est pas cependant par témérité, mais parce que la suite du développement le demande, que nous exposerons en peu de mots, plutôt ce que notre foi contient que ce que les assertions de la raison humaine pourraient revendiquer, en présentant davantage ce que nous supposons que des affirmations manifestes. Donc le Fils unique de Dieu, par qui tout a été fait, le visible et l’invisible, comme nous l’a appris plus haut cette discussion, a fait toute chose, selon l’attestation de l’Écriture, et aime tout ce qu’il a fait. Car, alors que du Dieu invisible il est lui-même l’image invisible, il a donné à toutes les créatures raisonnables de participer à lui de telle sorte que chaque créature adhère à lui par le sentiment de l’amour dans la mesure où elle participe davantage à lui. Mais puisque la faculté du libre arbitre a mis une variété et une diversité parmi les intelligences, les unes ayant un amour plus ardent envers leur créateur, les autres un amour plus faible et plus chétif, cette âme, dont Jésus dit : Personne ne m’ôte mon âme, adhérant à lui depuis sa création et dans la suite d’une manière inséparable et indissociable, comme à la Sagesse et à la Parole de Dieu, à la Vérité et à la Vraie Lumière, le recevant tout entier en elle tout entière et se changeant en sa lumière et en sa splendeur, est devenue avec lui dans son principe un seul esprit, de même que l’apôtre a promis à ceux qui devaient imiter cette âme que : Celui qui se joint au Seigneur est un seul esprit avec lui. De cette substance de l’âme servant d’intermédiaire entre un Dieu et la chair – car il n’était pas possible que la nature d’un Dieu se mêlât à la chair sans médiateur – naît, comme nous l’avons dit, le Dieu-Homme : cette substance était l’intermédiaire, car il n’était pas contre nature pour elle d’assumer un corps. Et de même il n’était pas contre nature que cette âme, substance raisonnable, puisse contenir Dieu, puisque, nous l’avons dit plus haut, elle s’était déjà toute changée en lui, comme en la Parole, la Sagesse et la Vérité. C’est pourquoi, à bon droit, parce qu’elle était tout entière dans le Fils de Dieu ou qu’elle contenait tout entier en elle le Fils de Dieu, elle est appelée elle-même, avec la chair qu’elle a assumée, Fils de Dieu et Puissance de Dieu, Christ et Sagesse de Dieu ; et réciproquement, le Fils de Dieu par qui tout a été créé est nommé Jésus-Christ et Fils de l’homme. Car on dit que le Fils de Dieu est mort, à savoir à cause de cette nature qui pouvait parfaitement recevoir la mort ; et il est appelé Fils de l’homme, celui que l’on prêche comme devant venir dans la gloire de Dieu le Père avec les saints anges. Pour cette raison, dans toute l’Écriture la divine nature est appelée par des vocables humains et la nature humaine est ornée des titres réservés à Dieu. Dans ce cas plus que dans tout autre, on peut dire ce qui est écrit : Ils seront les deux dans une chair une: désormais ils ne sont plus deux, mais une chair une. Car la Parole de Dieu est bien plus avec son âme dans une chair une que ce que l’on pense du mari avec son épouse. Mais à qui convient-il mieux d’être un seul esprit avec Dieu qu’à cette âme qui s’est si bien jointe à Dieu par l’amour qu’elle peut être dite à bon droit un seul esprit avec lui. La perfection de l’amour et la sincérité d’une affection pure ont fait l’unité inséparable de cette âme avec un Dieu, tellement que l’assomption de cette âme n’est pas le produit du hasard ni le résultat d’une partialité envers une personne, mais vient du mérite de ses vertus. C’est ce que dit le prophète s’adressant à elle : Tu as aimé la justice et haï l’iniquité: c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a ointe de l’huile de joie plus que tes participants. A cause du mérite de son amour elle est ointe de l’huile de joie, c’est-à-dire l’âme avec la Parole de Dieu devient le Christ. Etre oint de l’huile de joie ne veut pas dire autre chose qu’être rempli de l’Esprit Saint. Ce qui est dit : plus que tes participants, indique que la grâce de l’Esprit ne lui a pas été donnée comme aux prophètes, mais qu’elle avait en elle la plénitude substantielle de la Parole de Dieu, selon l’Apôtre : En qui habite corporellement la plénitude de la divinité. Et enfin il n’est pas dit seulement : Tu as aimé la justice, mais : Et tu as haï l’iniquité. Haïr l’iniquité revient à ce que l’Écriture dit du Christ : Il n’a pas commis de péché et on n’a pas trouvé de ruse dans sa bouche, et : Il a été éprouvé en tout de manière semblable sans péché. Mais le Seigneur lui-même dit : Qui de vous me convainc de péché ? De nouveau il dit de lui-même : Voici que vient le prince de ce monde et en moi il ne trouve rien. Tout cela montre qu’il n’y a en lui aucune pensée de péché. Le prophète exprime avec plus de clarté encore que jamais aucune pensée d’iniquité n’est entrée en lui quand il dit : Avant que l’enfant ait su appeler son père ou sa mère, il s’est détourné de l’iniquité. Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section

Pour expliquer plus complètement cela, il ne semblera pas absurde d’user d’une comparaison, bien que dans un sujet si ardu et difficile il ne soit pas aisé de se servir d’exemples commodes. Cependant, pour parler sans nuire à ce que nous allons dire, le métal appelé fer est capable de recevoir le froid et la chaleur : si donc une masse de fer est toujours placée dans le feu, le recevant dans tous ses pores et ses veines et devenue ainsi entièrement feu, dans le cas où le feu ne s’éloigne jamais d’elle et où elle n’est pas séparée du feu, ne dirons-nous pas que ce qui est par nature une masse de fer, placée dans le feu et continuellement brûlante, puisse jamais recevoir le froid ? Bien mieux – et cela est encore plus vrai -, nous la disons plutôt devenue tout entière feu, et nous constatons souvent de nos yeux qu’il en est ainsi dans les fours, car on ne voit en elle rien d’autre que du feu ; et si quelqu’un essaie de la toucher il ne sentira pas l’effet du fer, mais du feu. Pareillement cette âme qui, comme le fer dans le feu, se trouve toujours dans la Parole, toujours dans la Sagesse, toujours en Dieu, tout ce qu’elle fait, tout ce qu’elle pense, tout ce qu’elle comprend est Dieu. Et c’est pourquoi on ne peut la dire convertible ni muable, car, toujours enflammée, elle possède l’inconvertibilité par son unité avec la Parole de Dieu. On peut penser que parvient à tous les saints une certaine chaleur de la Parole de Dieu ; mais dans cette âme il faut croire que le feu divin lui-même repose substantiellement, ce feu dont les autres tirent un peu de chaleur. Enfin la phrase : Dieu, ton Dieu, t’a oint de l’huile de joie plus que tes participants, montre que cette âme est ointe de l’huile de joie, c’est-à-dire de la Parole de Dieu et de sa Sagesse, d’une autre manière que ses participants, les saints prophètes et apôtres. De ceux-ci on dit qu’ils ont couru dans l’odeur de ses parfums, mais cette âme fut le vase contenant le parfum lui-même : tous les prophètes et les apôtres devenaient dignes de participer à sa bonne odeur. Autre est l’odeur du parfum, autre sa substance ; ainsi autre est le Christ, autres ses participants. De même que le vase qui contient la substance du parfum ne peut en aucune façon recevoir de mauvaise senteur, mais que ceux qui participent à son odeur, s’ils s’en écartent un peu trop, sont susceptibles d’être atteints par les senteurs fétides ; de même le Christ, qui est le vase lui-même où se trouve la substance du parfum, ne pouvait recevoir l’odeur opposée, mais ses participants, dans la mesure où ils se tiendront proches du vase, participeront à l’odeur et pourront la contenir. Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section

Après les exposés que nous avons faits au début du livre sur le Père, le Fils et le Saint Esprit, selon que le demandait le sujet, il nous a paru bon de revenir sur ces points et de montrer que le même Dieu est le créateur et artisan du monde et le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, c’est-à-dire que le Dieu de la loi et des prophètes et celui des l’Évangiles sont un seul et même Dieu ; ensuite il a fallu indiquer au sujet du Christ que celui qui avait été désigné plus haut comme la Parole et la Sagesse de Dieu a été fait dans la suite comme un homme ; il nous reste à revenir, le plus brièvement possible, sur le Saint Esprit. Livre II: Troisième traité (II, 7): Section unique

Nous, de notre côté, nous pensons que toute créature raisonnable peut participer à lui comme à la Sagesse de Dieu et à la Parole de Dieu, sans qu’on puisse faire de différence. Je vois cependant que la principale descente du Saint Esprit sur les hommes s’est produite, selon l’Écriture, plutôt après l’ascension du Christ au ciel qu’avant la venue de ce dernier. Auparavant, l’Esprit Saint était donné aux seuls prophètes et au petit nombre de ceux du peuple saint qui l’avaient mérité. Après la venue du Sauveur fut accompli selon l’Écriture ce qui avait été dit par le prophète Joël : Il arrivera dans les derniers jours que je répandrai de mon Esprit sur toute chair et qu’ils prophétiseront; dans le même sens il est écrit : Toutes les nations le serviront. Donc par la grâce de l’Esprit Saint, avec bien d’autres vérités très nombreuses, on a vu se manifester de la façon la plus magnifique le fait suivant : ce qui est écrit dans les prophètes et dans la loi de Moïse, autrefois un petit nombre, les prophètes eux-mêmes et à peine quelques personnages de tout le peuple, pouvaient en dépasser la compréhension corporelle et en percevoir une signification plus haute, c’est-à-dire comprendre un peu spirituellement la loi et les prophètes ; mais maintenant il y a des foules innombrables de croyants qui, sans pouvoir cependant tous expliquer de façon ordonnée et claire la logique de la compréhension spirituelle, sont cependant tous à peu près persuadés qu’on ne doit pas prendre au sens corporel la circoncision, ni le repos du sabbat, ni l’effusion du sang des bestiaux, et que ce n’est pas à ce sujet que Dieu a répondu à Moïse. Il n’est pas douteux que ce sens est suggéré à tous par la puissance du Saint-Esprit. Livre II: Troisième traité (II, 7): Section unique

Il nous faut donc savoir que l’Esprit Saint est Paraclet et qu’il enseigne des vérités trop grandes pour être exprimées, des vérités, pour ainsi dire, ineffables et qu’il n’est pas permis à l’homme de dire, c’est-à-dire qui ne peuvent être dévoilées par une parole humaine. Cette expression : il n’est pas permis, nous pensons qu’elle est employée par Paul au lieu de : il n’est pas possible, comme quand il dit : Tout est permis, mais tout ne convient pas; tout est permis, mais tout n’édifie pas. Ce dont nous avons la possibilité, parce que nous pouvons l’avoir, il dit que c’est permis. Le Paraclet, terme appliqué au Saint Esprit, vient du mot consolation – paraclèsis en effet se dit en latin consolatio – : celui en effet qui aura mérité de participer au Saint Esprit par la connaissance des mystères ineffables, reçoit sans aucun doute consolation et joie du coeur. Lorsqu’il aura connu en effet la nature de tout ce qui se fait, qu’il saura, sur l’indication de l’Esprit, pourquoi et comment cela se fait, son âme ne pourra absolument plus être troublée ni accueillir aucun sentiment de peine : il ne sera plus terrifié par rien, lorsque, adhérant à la Parole de Dieu et à sa Sagesse, il dit dans l’Esprit Saint que Jésus est Seigneur. Livre II: Troisième traité (II, 7): Section unique

Mais le sens même du mot âme, tel qu’il est en grec (psyché) a paru à certains de ceux qui cherchent avec plus de soin, suggérer une signification qui n’est pas sans intérêt. Car la parole divine dit que Dieu est feu : Notre Dieu est un feu qui consume. Et de la substance des anges elle affirme : Celui qui a fait de ses anges des esprits (souffles) et de ses ministres un feu qui brûle. Et ailleurs : L’Ange du Seigneur apparut en flamme de feu dans le buisson. Bien plus, nous avons reçu le commandement d’être brûlants par l’esprit : par là sans aucun doute il est montré que la Parole de Dieu est enflammée et chaude. Mais le prophète Jérémie entendait de celui qui lui répondait : Voici que j’ai mis mes paroles dans ta bouche comme du feu. De même que Dieu est feu, que les anges sont la flamme du feu et que les saints brûlent par l’esprit, de même au contraire ceux qui sont tombés de l’amour de Dieu se sont refroidis dans leur charité pour lui et on dit qu’ils sont devenus froids. En effet le Seigneur dit : Par suite de la multiplication de l’iniquité, la charité de beaucoup se refroidira. Et tout ce qui, de quelque manière, symbolise dans les Écritures saintes la puissance adverse est toujours froid, comme on peut le remarquer. En effet le diable est appelé le serpent et le dragon : que peut-on trouver de plus froid ? Le dragon est représenté régnant dans les eaux, et ceci revient aussi à propos d’un des esprits malins que le prophète montre dans la mer. En un autre endroit le prophète dit : Je lancerai l’épée sainte sur le dragon, le serpent qui fuit, sur le dragon, le serpent pervers, et l’épée le tuera. Et ailleurs : Même s’ils s’éloignaient de mes yeux et descendaient dans les profondeurs de la mer, je commanderai au dragon et il les mordra. Dans Job, le dragon est dit le roi de tous ceux qui sont dans les eaux. Le prophète annonce que de Borée viendront des maux sur tous ceux qui habitent la terre. Or Borée désigne dans les Écritures le vent froid, comme l’écrit la Sagesse: Borée est le vent froid. Cela, sans aucun doute, il faut l’entendre du diable. Si donc les réalités saintes sont appelées feu, lumière, et sont dites brûlantes, si les réalités contraires sont froides et si la charité se refroidit, selon l’Écriture, dans les pécheurs, on peut se demander si peut-être le mot âme, qui se dit en grec psyché, ne viendrait pas au figuré de ce refroidissement à partir d’un état plus divin et meilleur, c’est-à-dire que l’âme se serait refroidie de sa chaleur naturelle et divine pour recevoir l’état et la dénomination qu’elle a actuellement. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section

Mais quelqu’un nous objectera peut-être, sur un point que nous avons déjà mentionné dans notre exposé : Comment est-il parlé d’une anthropomorphismes âme de Dieu ? Nous lui répondrons ce qui suit : Tout ce qui est attribué à Dieu de corporel, doigts, mains, bras, yeux, bouche, pieds, ne désigne pas selon nous des membres humains, mais certaines facultés de Dieu sous ces appellations de membres corporels ; il faut penser de même que quelque chose d’autre est indiqué par cette appellation d’âme de Dieu. Si nous pouvons nous permettre l’audace de parler encore sur un tel sujet, on peut entendre peut-être par âme de Dieu son Fils unique. En effet, de même que l’âme, insérée par tout le corps, fait tout mouvoir, opère et accomplit toutes choses, de même le Fils unique de Dieu, sa Parole et sa Sagesse, atteint et parvient à toute la puissance de Dieu, car il y est inséré. Et c’est peut-être pour indiquer ce mystère que, dans les Écritures, Dieu est représenté ou décrit comme un corps. Il faut, certes, examiner si on ne peut pas encore comprendre le Fils unique comme l’âme de Dieu parce qu’il est venu lui-même dans ce lieu d’affliction et qu’il est descendu dans cette vallée de larmes, dans le lieu de notre humiliation, comme dit le psaume : Parce que tu nous as humiliés dans le lieu d’affliction. Je sais enfin que quelques-uns, commentant ce qui est dit par le Sauveur dans l’Évangile : Mon âme est triste jusqu’à la mort, l’ont interprété des apôtres ; il les avait appelés son âme parce qu’ils étaient meilleurs que le reste du corps. Puisque la multitude des croyants est dite le corps du Sauveur, ils ont soutenu qu’il fallait comprendre les apôtres comme son âme, parce qu’ils sont meilleurs que le reste de la multitude. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section

Il est dit que tout ce qui a été fait l’a été par le Christ et dans le Christ, comme l’apôtre Paul l’affirme très clairement : Car en lui et par lui tout a été créé, ce qui est au ciel, ce qui est sur la terre, les réalités visibles et les invisibles, soit les Trônes, les Dominations, les Principautés ou les Puissances : tout a été créé par lui et en lui. Jean dans son Évangile parle de même : Dans le principe était la Parole et la Parole était auprès de Dieu et la Parole était Dieu; elle était dans le principe auprès de Dieu. Tout a été fait par elle et sans elle rien n’a été fait. Il est écrit pareillement dans les Psaumes : Tu as tout fait dans ta Sagesse. Puisque le Christ, de même qu’il est Parole et Sagesse, est aussi Justice, il s’ensuivra sans aucun doute que tout ce qui a été fait dans la Parole et la Sagesse a été fait aussi, il faut le dire, dans la Justice, le Christ. C’est pourquoi dans ce qui a été fait il ne faut voir rien d’injuste ni rien de fortuit, mais enseigner que tout est conforme à ce que demande la règle de l’équité et de la justice. Comment peut-on comprendre la très grande justice et la très grande équité d’une telle variété et diversité des êtres ? Je suis certain que ni l’entendement ni la parole humaine ne peuvent l’expliquer, si nous n’implorons pas, prosternés et suppliants, celui qui est lui-même Parole, Sagesse et Justice, le Fils unique de Dieu, pour qu’il daigne, en se répandant par sa grâce dans nos pensées, illuminer ce qui est obscur, ouvrir ce qui est fermé et dévoiler ce qui est secret. Il faut pour cela que nous demandions, que nous cherchions, que nous frappions à la porte d’une façon assez digne pour que, lorsque nous demandons, nous méritions de recevoir, lorsque nous cherchons, nous méritions de trouver, lorsque nous frappons à la porte, l’ordre soit donné de nous ouvrir. Ce n’est donc pas en nous appuyant sur notre propre talent, mais sur l’aide de cette même Sagesse qui a créé l’univers et de cette Justice que nous croyons présente dans toutes les créatures, même si pour le moment nous n’avons pas la force de rien affirmer, c’est donc en nous confiant en sa miséricorde que nous tenterons de rechercher et d’examiner comment cette si grande variété et diversité du monde paraît s’accorder avec toutes les raisons de la justice. Quand je parle de raison je le dis seulement dans un sens général. Car chercher la raison particulière de chaque être est le propre de quelqu’un qui est sans expérience et vouloir en rendre compte est celui d’un insensé. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

En considérant ce que dit l’apôtre parlant de la naissance d’Ésaü et de Jacob : Y a-t-il injustice de la part de Dieu ? Qu’il n’en soit pas ainsi! j’estime juste d’appliquer cette même affirmation à toutes les créatures, puisque, comme on l’a dit plus haut, la justice du créateur doit apparaître en toutes. Cela serait montré plus clairement, à mon avis, si chaque être céleste, terrestre ou infernal portait en lui, précédant sa naissance corporelle, les causes de ces différences. Tout en effet a été créé par la Parole de Dieu et par sa Sagesse, et a été ordonné par sa Justice. Il pourvoit à tous les êtres par la grâce de sa miséricorde, il les exhorte à se laisser soigner par tous les remèdes possibles et les invite au salut. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

Puisqu’il n’est pas douteux qu’au jour du Jugement les bons seront séparés des mauvais et les justes des injustes et que chacun sera réparti selon son mérite par le juge-ment de Dieu dans les lieux dont il est digne – nous le montrerons dans la suite, si Dieu le veut -, je pense que quelque chose de semblable a déjà été fait. Il faut croire que Dieu opère et gouverne toujours toutes choses avec jugement. Ce qu’enseigne l’Apôtre en disant que : Dans une grande maison se trouvent non seulement des vases d’or et d’argent, mais aussi de bois et de terre, les uns pour un usage honorable, les autres pour un usage méprisable; et ce qu’il ajoute : Si quelqu’un s’est purifié il sera un vase sanctifié pour un usage honorable, utile au Seigneur et prêt à toute tâche bonne, montre sans aucun doute que celui qui s’est purifié dans cette vie sera préparé à toute oeuvre bonne dans la future, mais que celui qui ne s’est pas purifié sera, en proportion de son impureté, un vase destiné à un usage méprisable, c’est-à-dire un vase indigne. On peut donc comprendre que ces vases raisonnables aient été auparavant purifiés ou non purifiés, c’est-à-dire qu’ils se soient purifiés ou non purifiés eux-mêmes, et que pour cette raison chacun de ces vases ait obtenu, dans la mesure de sa pureté ou de son impureté, tel lieu, telle région, telle condition pour naître ou pour faire quelque chose dans ce monde. Le Dieu qui pourvoit à tout jusque dans le détail par la puissance de sa Sagesse, qui discerne tout quand il gouverne par son jugement, a disposé toutes choses suivant une rétribution très équitable, afin que chacun soit secouru et qu’il soit veillé sur lui selon son mérite. Là se manifeste assurément le point de vue de l’équité, car l’inégalité des conditions observe l’équité dans la rétribution des mérites. Dieu seul avec la Parole, son Fils unique, qui est sa Sagesse, et le Saint Esprit, connaît de façon véritable et claire la mesure des mérites pour chaque créature. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

Maintenant nous nous adres-sons à quelques-uns des nôtres qui, par suite de l’étroitesse de leur compréhension et par pauvreté d’expli-cation, donnent de la résurrection des corps une signification tout à fait basse et abjecte. Nous leur demandons comment ils entendent le changement que subira le corps animal, grâce à la résurrection, et la nature du corps spirituel futur : comment pensent-ils que ce qui est semé dans l’infirmité ressuscitera dans la force, que ce qui est semé dans l’obscurité ressuscitera dans la gloire, que ce qui est semé dans la corruption passera à l’incorruption ? S’ils croient ce que dit l’Apôtre, que le corps ressuscitant dans la gloire, la force et l’incorruptibilité sera désormais devenu spirituel, il paraît donc absurde, contraire à la pensée de l’Apôtre, qu’il soit de nouveau empêtré dans les passions de la chair et du sang, alors que l’Apôtre dit clairement : La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu et la corruption ne possédera pas l’incorruption. Comment conçoivent-ils aussi cette autre parole de l’Apôtre : Tous nous serons changés. Ce changement est à attendre selon la norme que nous avons exposée plus haut, qui nous permet sans aucun doute d’espérer une solution digne de la grâce divine. Nous pensons que cela se passera de la même manière que le simple grain de blé, ou celui d’autres plantes, qui, semé en terre, suivant la description de l’Apôtre, reçoit de Dieu le corps que Dieu veut, après la mort en terre de ce même grain de blé. Il faut en effet penser que nos corps aussi tomberont en terre comme le grain. Mais il y a en eux une raison qui maintient unie la substance corporelle ; bien que les corps soient morts, corrompus et dispersés, cette raison elle-même qui est toujours intacte dans la substance du corps, par l’action de la Parole de Dieu, relèvera ces corps de la terre, les reconstituera, les restaurera, de même que la force qui est dans le grain de blé, après sa corruption et sa mort, restaure et reconstitue le grain dans le corps de la paille et de l’épi. Et ainsi, pour ceux qui mériteront d’obtenir l’héritage du royaume des cieux, cette raison qui se trouve dans le corps à réparer, celle dont nous avons parlé plus haut, refait sur l’ordre de Dieu un corps terrestre et animal en un corps spirituel qui puisse habiter dans les cieux. Mais ceux qui auront été inférieurs ou même assez bas en mérite, bien mieux ceux qui auront été les derniers et les rejetés, recevront la gloire et la dignité du corps en proportion de la dignité de l’âme et de la vie de chacun, de telle sorte cependant que le corps de ceux qui sont destinés au feu éternel et aux supplices sera, certes, incorrompu par suite de la transformation opérée par la résurrection, mais pour que les supplices ne puissent le corrompre ni le détruire. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Première section

Voilà ce que dira celui qui supprime le libre arbitre à partir du sens littéral seul. Mais nous, nous répondrons qu’il faut l’entendre de la façon suivante : lorsque quelqu’un, ignorant et inculte, mais conscient des maux dont il souffre, soit par suite des exhortations d’un maître, soit d’une autre façon de lui-même, se livre à celui qui peut, à son avis, le mener à l’éducation et à la vertu, et que ce maître lui promet d’ôter son inculture et de lui donner la culture, ce dernier ne veut pas dire que celui qui se confie à ses soins n’a rien à faire pour être instruit et pour fuir l’inculture, sinon se présenter pour être soigné, mais il promet seulement d’améliorer celui qui le désire. C’est de la même façon que la Parole divine promet à ceux qui vont à elle d’ôter leur malice, ce qu’elle appelle le coeur de pierre, non quand ils s’y opposent, mais quand ils se livrent eux-mêmes au Médecin des malades. On trouve pareillement dans les Évangiles des malades qui vont au Sauveur en demandant à recevoir la guérison, et qui sont soignés. Recouvrer la vue, par exemple, si on considère la demande, faite avec foi, de pouvoir être soigné, c’est l’oeuvre des malades ; mais si on considère le rétablissement de la vision, c’est l’oeuvre de notre Sauveur. C’est ainsi que la Parole de Dieu promet de donner la science à ceux qui s’approchent d’elle, enlevant le coeur de pierre, le coeur endurci, c’est-à-dire la malice, afin qu’on puisse marcher dans les préceptes divins et garder les commandements divins. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Nous disions, quand nous examinions le cas de Pharaon, que parfois il n’est pas bon pour ceux qui sont soignés de l’être trop rapidement, si, étant tombés par eux-mêmes dans des difficultés, ils étaient ainsi éloignés plus aisément de ce en quoi ils étaient tombés : car ils méprisent alors le mal, le considérant comme facile à guérir, et une autre fois, ne prenant pas garde à l’éviter, ils y resteront. C’est pourquoi dans des cas semblables, le Dieu éternel qui connaît les secrets, lui qui sait toute chose avant qu’elle ne se produise, diffère dans sa bonté de leur apporter un secours qui serait autrement trop rapide et, pour ainsi dire, il les secourt en ne les secourant pas, car cela leur est utile. Vraisemblablement ceux du dehors, à qui s’appliquait cette parole, le Sauveur voyait, selon le texte proposé, qu’ils ne seraient pas solides dans leur conversion, s’ils entendaient distinctement ce qui leur était dit, et c’est pourquoi le Seigneur a fait en sorte qu’ils n’entendent pas plus clairement les paroles plus profondes, de peur que, trop vite convertis et guéris en obtenant la rémission, méprisant comme bénignes et faciles à guérir les blessures de la malice, ils n’y retombent bien vite. Peut-être, subissant alors la peine des péchés qu’ils ont commis autrefois contre la vertu en l’abandonnant, n’ont-ils pas encore atteint le temps convenable où, après avoir été privés des visites divines et rassasiés par les maux qu’ils ont eux-mêmes semés, ils seront appelés plus tard à une pénitence plus solide, et ne retomberont pas si vite dans les maux où auparavant ils sont tombés, quand ils insultaient la dignité du bien et qu’ils se livraient au pire. Ceux qui sont dehors, évidemment par comparaison avec ceux du dedans, ne se trouvant pas totalement éloignés de ceux du dedans, alors que ces derniers entendent clairement, entendent de manière obscure parce qu’il leur est parlé en paraboles : ils entendent cependant. D’autres que ceux du dehors, ceux qui sont appelés Tyriens, bien que le Seigneur ait prévu qu’ils auraient fait déjà pénitence assis dans le sac et la cendre, si le Sauveur s’était approché de leurs frontières, n’entendent même pas ce qu’entendent ceux du dehors, comme c’est vraisemblable, car ils sont plus loin de la dignité de ceux du dehors ; mais à un autre moment, après que leur sort sera devenu plus supportable que celui de ceux qui n’ont pas accueilli la Parole – c’est à leur sujet que le Seigneur mentionne aussi les Tyriens -, ayant entendu d’une manière plus opportune, ils feront une pénitence plus solide. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Telle est la disposition que Dieu a réalisée dans la suite, mais que déjà, dès l’origine du monde, il avait prise, ayant prévu les raisons et les causes, soit de ceux qui méritaient de venir dans des corps par suite de la défaillance de leur intelligence, soit de ceux qui étaient entraînés par le désir des réalités visibles, soit encore de ceux qui selon leur volonté ou sans le vouloir étaient obligés de remplir certains offices à l’égard de ceux qui étaient tombés dans cet état, et cela par celui qui les y soumettait dans l’espoir. Mais certains, sans comprendre ni voir que ces dispositions diverses avaient été prises par Dieu à la suite de causes antécédentes tenant au libre arbitre, ont pensé que tout ce qui se passe dans le monde était mené par des mouvements fortuits ou par une nécessité fatale et que rien ne dépendait de notre libre arbitre. Par là, ils n’ont pu montrer que la providence de Dieu était sans faute. Nous avons dit que toutes les âmes qui se sont trouvées dans ce monde ont eu besoin de beaucoup d’assistants, de directeurs, d’auxiliaires ; de même dans les derniers temps, alors que déjà la fin du monde était imminente et que tout le genre humain tournait à sa perte définitive, comme non seulement ceux qui étaient gouvernés, mais même ceux à qui avait été confié le soin de les gouverner, étaient atteints de faiblesse, le genre humain n’a plus eu besoin seulement d’une telle aide et de défenseurs semblables à lui, mais il a réclamé le secours de son auteur et créateur lui-même pour restaurer la discipline corrompue et profanée de l’obéissance chez les uns et de l’autorité chez les autres. C’est pourquoi le Fils Unique de Dieu, qui était la Parole et la Sagesse du Père lorsqu’il se trouvait auprès du Père dans cette gloire qu’il avait avant l’existence du monde, s’est anéanti lui-même et, prenant la forme de l’esclave, s’est fait obéissant jusqu’à la mort pour enseigner l’obéissance à ceux qui ne pouvaient pas obtenir le salut autrement que par l’obéissance, pour restaurer aussi les lois corrompues de l’art de gouverner et de régner, en soumettant tous ses ennemis sous ses pieds, et puisqu’il lui est nécessaire de régner jusqu’à ce qu’il ait mis ses ennemis sous ses pieds et qu’il ait détruit le dernier ennemi, la mort, pour apprendre à ceux qui gouvernent eux-mêmes les règles du gouvernement. Puisque donc, comme nous l’avons dit, il était venu restaurer la discipline non seulement de l’art de gouverner et de régner, mais aussi de celui d’obéir, accomplissant en lui-même ce qu’il voulait être accompli par les autres, il ne s’est pas fait seulement obéissant au Père jusqu’à la mort de la croix, mais aussi à la consommation du siècle, embrassant en lui-même tous ceux qu’il a soumis à son Père et qui par lui viennent au salut, il est dit qu’avec eux et en eux il se soumettra au Père, puisque tout subsiste en lui et qu’il est la tête de toute chose et qu’en lui se trouve la plénitude de ceux qui obtiennent le salut. C’est ce que dit de lui l’Apôtre : Lorsque tout lui sera soumis, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Si nous considérons comment, en très peu d’années, malgré les embûches qui menacent ceux qui professent le christianisme, malgré même la mort de certains, la spoliation d’autres, la Parole a pu, sans posséder des maîtres en abondance, être prêchée partout sur la terre, de sorte que Grecs et barbares, sages et insensés, se sont adjoints à la religion annoncée par Jésus, nous ne pouvons douter que ce fait est au-dessus des forces de l’homme, puisque Jésus a enseigné avec toute l’autorité et la force persuasive nécessaires pour que la Parole s’impose. Ainsi c’est à bon droit que nous pouvons considérer ses paroles comme des prédictions, par exemple : Fous serez conduits devant les rois et les chefs à cause de moi, pour rendre témoignage devant eux et devant les nations ; et : Beaucoup me diront ce jour-là : Seigneur ! Seigneur ! n’est-ce pas en ton nom que nous avons mangé, en ton nom que nous avons bu et en ton nom que nous avons chassé les démons ? Et je leur dirai: Eloignez-vous de moi, vous qui pratiquez l’injustice, jamais je ne vous ai connus. Il aurait pu être vraisemblable que cela ait été dit en vain, de sorte que ces paroles ne soient pas vraies ; mais lorsque a été réalisé ce qu’il a dit avec tant d’autorité, cela montre qu’il est véritablement Dieu, devenu homme pour donner aux hommes ses doctrines salutaires. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Première section

Que dire des prophéties sur le Christ contenues dans les Psaumes, du cantique qui a pour titre Pour le bien-aimé dont la langue est appelée le calame d’un scribe qui écrit vite, le plus beau des fils des hommes, puisque la grâce a été répandue sur ses lèvres. Un indice de cette grâce répandue sur ses lèvres est que, passé le court moment de son enseignement – il a enseigné à peu près une année et quelques mois – toute la terre a été remplie de sa doctrine et de la religion qu’il a introduite. Car dans ses jours se sont levées la justice et une abondance de paix subsistant jusqu’à la consommation qui est appelée disparition de la lune, et il subsiste dominant de la mer à la mer et des fleuves aux confins de la terre. Et il a été donné un signe à la maison de David, car la vierge a porté dans son sein et a engendré un fils qui s’appelle Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous. Ce que dit le même prophète s’accomplit : Dieu avec nous : sachez-le, nations, et soyez vaincues, vous qui êtes puissants soyez vaincus. Nous avons eu le dessous et nous avons été vaincus, nous qui venons des nations, saisis par la grâce de sa Parole. Mais le lieu de sa naissance est prédit chez Michée : Et toi, dit-il, Bethléem, terre de Juda, tu n’es en rien la plus petite parmi les chefs de Juda, car de toi sortira le chef qui paîtra mon peuple Israël. Et les soixante-dix semaines ont été accomplies jusqu’au Christ chef, selon Daniel. Il est venu aussi selon Job, celui qui a dompté le grand cétacé et qui a donné à ses authentiques disciples le pouvoir de fouler aux pieds serpents et scorpions, ainsi que toute la puissance de l’ennemi, sans recevoir d’eux aucun dommage. Qu’on réfléchisse sur la venue en tous lieux des apôtres, de ceux qui ont été envoyés par Jésus annoncer l’Évangile, et l’on verra que leur audace dépassait l’homme et que leur entreprise était divine. Et lorsque nous examinons comment des hommes écoutant cet enseignement nouveau et ces paroles étrangères sont venus à eux, vaincus, quand ils voulaient leur tendre des embûches, par une puissance divine qui les protégeait, nous ne sommes pas incroyants à l’égard des prodiges qu’ils ont faits, Dieu apportant à leurs paroles son témoignage par des signes, des prodiges et des puissances diverses. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Première section

Mais comme certaines Écritures n’ont pas du tout de sens corporel, ainsi que nous le montrerons dans la suite, il y a des cas où il faut chercher seulement, pour ainsi dire, l’âme et l’esprit de l’Écriture. Et c’est peut-être pour cela que les urnes qui sont dites servir à la purification des Juifs, comme nous le lisons dans l’Évangile selon Jean, contiennent deux ou trois métrètes : la Parole insinue par là, à propos de ceux que l’Apôtre appelle les Juifs dans le secret, que ceux-ci sont purifiés par la parole des Écritures, contenant tantôt deux métrètes, c’est-à-dire le sens psychique et le sens spirituel, tantôt trois, puisque certaines possèdent, outre ceux que nous avons indiqués, le sens corporel qui peut édifier. Les six urnes s’appliquent à bon droit à ceux qui sont purifiés étant en ce monde, car le monde a été fait en six jours, chiffre parfait. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Les choses étant ainsi, il nous faut esquisser ce que nous pensons des caractères de cette compréhension des Écritures. Il faut d’abord montrer que le but que se propose l’Esprit, qui illumine par suite de la Providence divine et par le moyen de la Parole qui est dans le principe auprès de Dieu les ministres de la vérité, prophètes et apôtres, vise principalement les mystères ineffables qui se rapportent aux affaires concernant les hommes – j’entends maintenant par hommes les âmes qui se servent de corps – pour que celui qui peut être enseigné, ayant examiné les textes et s’étant adonné à la recherche de leur sens profond, communie à toutes les doctrines que ce sens veut exprimer. Pour connaître les mystères concernant les âmes, qui ne peuvent autrement obtenir la perfection sans participer à toute la richesse et la sagesse de la vérité sur Dieu, les mystères concernant Dieu sont nécessairement rangés en tête, comme les plus importants, ainsi que ceux qui concernent son Fils Unique : quelle est sa nature, de quelle façon est-il fils de Dieu, quelles sont les causes de sa descente jusqu’à une chair humaine et de son assomption totale de l’homme, quelle est son activité, sur qui et quand s’exerce-t-elle ? Nécessairement encore, au sujet des créatures raisonnables qui nous sont parentes, et aussi des autres, les plus divines et celles qui sont tombées de la béatitude, au sujet des causes de leur chute, il faudrait recevoir ce que dit l’enseignement divin, et de même en ce qui regarde les différences des âmes, l’origine de ces différences, la nature du monde et la cause de son existence, et il nous est encore nécessaire d’apprendre d’où viennent sur terre tant de si grands maux, et non seulement sur terre, mais encore ailleurs. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Mais si l’utilité de cette législation apparaissait d’elle-même clairement dans tous les passa-ges, ainsi que la logique et l’habileté du récit historique, nous ne croirions pas qu’on puisse comprendre dans les Écritures quelque chose d’autre que le sens obvie. C’est pourquoi la Parole de Dieu a fait en sorte d’insérer au milieu de la loi et du récit comme des pierres d’achoppement, des passages choquants et des impossibilités, de peur que, complètement entraînés par le charme sans défaut du texte, soit nous ne nous écartions finalement des doctrines comme n’y apprenant rien qui soit digne de Dieu, soit ne trouvant aucune incitation dans la lettre, nous n’apprenions rien de plus divin. Il faut savoir aussi que, puisque le but principal est de présenter la logique qui est dans les réalités spirituelles à travers les événements qui se sont produits et les actions qu’on doit faire, là où la Parole a trouvé que les faits historiques pouvaient s’harmoniser aux réalités mystiques, elle s’en est servi pour cacher à la plupart le sens plus profond. Là où, pour l’exposition de la logique des réalités intelligibles, l’action de tel ou de tel, décrite auparavant, ne s’accordait pas avec elle à cause des significations plus mystiques, l’Écriture a tissé dans le récit ce qui ne s’est pas passé, tantôt parce que cela ne pouvait pas se passer, tantôt parce que cela pouvait se passer, mais ne s’est pas passé. Parfois il y a peu de phrases qui sont ainsi ajoutées bien qu’elles ne soient pas vraies selon le sens corporel, parfois il y en a davantage. Il faut traiter de façon semblable la législation : on y trouve fréquemment des préceptes qui d’eux-mêmes sont utiles et adaptés de façon opportune à la législation, mais parfois cette utilité n’apparaît pas. D’autres fois même, ce sont des choses impossibles qui sont prescrites, à cause de ceux qui sont le plus diligents et aiment le plus la recherche, pour qu’ils s’adonnent à l’étude et à la recherche de ce qui est écrit et qu’ils deviennent suffisamment persuadés de la nécessité de chercher là un sens digne de Dieu. Ce n’est pas seulement pour les livres antérieurs à la venue du Christ que l’Esprit s’est ainsi comporté, mais, comme il est le même Esprit et provient d’un même Dieu, il a agi de même pour les Évangiles et les apôtres : car chez eux aussi le récit est quelquefois mêlé d’ajouts qui y ont été tissés selon le sens corporel, mais qui ne correspondent pas à des événements réels, et pareillement la législation et les préceptes ne manifestent pas toujours des exigences raisonnables. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Récapitulation sur le Père, le Fils l’Esprit Saint et les autres points qui ont été traités plus haut: Le moment est venu, après avoir parcouru selon nos forces tout ce qui a été dit plus haut, de récapituler en guise de rappel chacun des points que nous avons traités séparément et d’abord de revenir sur le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Puisque Dieu le Père est invisible et inséparable de son Fils, il n’a pas engendré le Fils par prolation comme certains le pensent. En effet si le Fils est une prolation du Père, comme ce mot de prolation exprime une génération semblable au mode ordinaire de reproduction des animaux ou des hommes, il faut nécessairement que celui qui a mis au jour et celui qui a été mis au jour soient corps. Nous ne disons donc pas, comme le pensent les hérétiques, qu’une partie de la substance de Dieu se soit changée en fils ou que le Fils a été procréé par le Père à partir de rien, c’est-à-dire en dehors de sa substance, de telle sorte qu’il fut un moment où il n’était pas, mais nous disons, en supprimant toute signification corporelle, que la Parole et Sagesse est née du Père invisible et incorporel, sans que rien ne se produise corporellement, comme la volonté procède de l’intelligence. Il ne paraîtra pas absurde, puisqu’il est appelé fils de la charité, de penser qu’il est pareillement fils de la volonté. Mais Jean indique aussi que Dieu est lumière, et Paul montre que le Fils est le rayonnement de la lumière éternelle. De même que jamais la lumière n’a pu exister sans son rayonnement, de même le Fils ne peut être compris sans le Père, lui qui est appelé l’empreinte et l’expression de sa substance, sa Parole et sa Sagesse. Comment peut-il être dit qu’il fut un moment où le Fils n’aurait pas été ? Cela revient à dire qu’il fut un moment où la Vérité n’aurait pas été, où la Sagesse n’aurait pas été, où la Vie n’aurait pas été, alors que dans tous ces aspects est dénombrée parfaitement la substance du Père. Ils ne peuvent pas être séparés de lui et ne peuvent jamais être séparés de sa substance. Bien qu’on dise qu’ils sont multiples sous le regard de l’intelligence, ils sont un par leur substance et en eux se trouve la plénitude de la divinité. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Si quelqu’un disait que, par l’intermédiaire de ceux qui participent à la Parole de Dieu, ou à sa Sagesse, sa Vérité et sa Vie, la Parole et la Sagesse mêmes paraissent être dans un lieu, il faut répondre que sans aucun doute le Christ, en tant que Parole, Sagesse et les autres dénominations, se trouvait dans Paul, et c’est pourquoi ce dernier disait : Ou bien cherchez-vous une preuve de celui qui parle en moi, le Christ ? et de même : Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. Mais alors, lorsqu’il était en Paul, peut-on douter qu’il se trouvait pareillement en Pierre, en Jean et dans chacun des saints, et pas seulement dans ceux qui sont sur terre, mais aussi dans ceux qui sont dans les cieux ? Il est absurde en effet de dire que le Christ était en Pierre et en Paul, mais non dans l’archange Michel ou dans Gabriel. On saisit là clairement que la divinité du Fils n’était pas enfermée dans un lieu, autrement il aurait été seulement en celui-ci et non en un autre ; mais, puisqu’il n’est pas enfermé dans un lieu selon la majesté de la nature incorporelle, il faut comprendre qu’il ne manque aussi à aucun. La seule différence qu’il faille remarquer est que, bien qu’il soit en des êtres divers, en Pierre ou Paul ou Michel ou Gabriel comme nous l’avons dit, il n’est pas de la même façon en tous. Il se trouve plus pleinement, plus glorieusement, et pour ainsi dire plus ouvertement dans les archanges que dans les autres hommes saints. Cela est clair, puisque, lorsque tous les saints seront arrivés au sommet de la perfection, on dit qu’ils seront faits semblables aux anges et égaux à eux, selon la parole évangélique. C’est pourquoi il est clair que le Christ est formé en chacun selon que le permet la mesure de ses mérites. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Maintenant que nous sommes brièvement revenus sur la manière d’être de la Trinité, il nous faut ensuite rappeler également qu’il est dit que par le Fils tout a été créé, tout ce qui est au ciel et tout ce qui est sur terre, le visible et l’invisible, les Trônes, Dominations, Principautés et Puissances ; tout a été créé par lui et en lui, et il est avant tous, et toutes choses existent en lui qui est la tête. Avec cela concorde ce que dit Jean dans son Évangile que tout a été fait par lui et sans lui rien n’a été fait. Et David, exprimant le mystère de toute la Trinité dans la création de l’univers, dit : Les deux ont été affermis par la Parole du Seigneur et toute leur puissance par l’Esprit de sa bouche. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Après cela, nous rappellerons dûment la venue corporelle et l’incarnation du Fils Unique de Dieu. Il ne faut pas comprendre que toute la gloire de sa divinité a été enfermée dans l’enceinte d’un tout petit corps, de sorte que toute la Parole de Dieu, sa Sagesse, sa Vérité qui est substance, sa Vie, ont été arrachés au Père et ont été contraints de se circonscrire dans la petitesse de ce corps, sans qu’on puisse penser que par la suite ils aient aussi agi ailleurs ; mais la profession de foi doit se garder prudemment de deux excès : de croire d’une part que quelque chose de la divinité aurait manqué dans le Christ et de penser par ailleurs qu’il se serait produit comme un arrachement de la substance du Père qui est partout. Car Jean le Baptiste exprime aussi quelque chose de semblable lorsqu’il disait aux foules, alors que Jésus était absent corporellement : Au milieu de vous se tient celui que vous ignorez, qui est venu après moi et dont je ne suis pas digne de dénouer la courroie des chaussures. Il ne pouvait pas dire de quelqu’un qui était absent en ce qui concerne sa présence corporelle qu’il se tenait au milieu d’eux, alors qu’il n’était pas là corporellement. Cela montre que le Fils de Dieu était présent tout entier dans son corps et tout entier partout. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

On ne doit pas penser que nous affirmons ainsi qu’il y avait dans le Christ une partie de la divinité du Fils de Dieu, le reste se trouvant ailleurs ou partout : ceux qui peuvent penser ainsi ignorent la nature de la substance incorporelle et invisible. Il est impossible de parler d’une partie de l’incorporel ou qu’il y ait en lui une division ; mais il est en tout et à travers tout et au-dessus de tout, de la manière indiquée plus haut, c’est-à-dire qu’il est compris comme Sagesse, Parole, Vie et Vérité, compréhension qui exclut sans aucun doute qu’il soit enfermé dans un lieu. Donc le Fils de Dieu, voulant se montrer aux hommes et vivre parmi eux pour le salut du genre humain, a reçu non seulement, comme certains le pensent, un corps humain, mais aussi une âme, semblable par sa nature aux nôtres, mais semblable à lui, le Fils, par son propos et sa vertu, de façon qu’elle puisse accomplir sans aucune défaillance toutes les volontés et tous les desseins de la Parole et de la Sagesse. Qu’il ait possédé une âme, le Sauveur lui-même l’affirme très clairement dans les Évangiles : Personne ne m’enlève mon âme, mais c’est moi qui la dépose de moi-même. J’ai le pouvoir de la déposer et j’ai le pouvoir de la reprendre. Et pareillement : Mon âme est triste jusqu’à la mort. Ou encore : Maintenant mon âme est troublée. Il ne faut pas entendre dans cette âme triste et troublée la Parole de Dieu, qui dit par contre avec l’autorité de la divinité : J’ai le pouvoir de déposer mon âme. Nous ne disons pas non plus que le Fils de Dieu se soit trouvé dans cette âme comme il fut dans les âmes de Paul, de Pierre ou des autres saints, dans lesquels on croit que le Christ a parlé comme en Paul. Mais de tous ceux-ci il faut penser ce que dit l’Écriture : Personne n’est pur de souillure, même si sa vie n’a duré qu’un jour. Mais au contraire l’âme qui fut en Jésus, avant de connaître le mal, a choisi le bien; et parce qu’elle a aimé la justice et haï l’iniquité, à cause de cela Dieu l’a ointe de l’huile d’allégresse plus que ses compagnes. Elle a été ointe de l’huile d’allégresse lorsqu’elle fut jointe à la Parole de Dieu par une union sans tache et, à cause de cela, seule de toutes les âmes, elle a été incapable de pécher, puisqu’elle a contenu le Fils de Dieu d’une manière bonne et pleine ; c’est pourquoi elle est un avec lui, on la nomme des mêmes vocables que lui et on l’appelle Jésus-Christ, par qui, dit l’Écriture, tout a été fait. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

C’est de cette âme, parce qu’elle avait reçu en elle toute la Sagesse de Dieu, toute sa Vérité et sa Vie, que l’Apôtre, à mon avis, a dit : Votre vie est cachée avec le Christ en Dieu; lorsque le Christ, votre vie, sera apparu, alors vous aussi vous apparaîtrez avec lui dans la gloire. Que faut-il entendre ici par le Christ qui est montré caché en Dieu et devant apparaître, sinon celui qui, comme on le rapporte, a été oint de l’huile d’allégresse, c’est-à-dire a été rempli, dans sa substance même, de Dieu, dans lequel on le dit maintenant caché ? C’est pourquoi le Christ est donné en exemple à tous les croyants, puisque toujours, et avant même de connaître, le moins que ce soit, le mal, il a choisi le bien, aimé la justice et haï l’iniquité et, pour cette raison, fut oint par Dieu de l’huile d’allégresse ; ainsi, que celui qui a péché ou erré se purifie de ses taches selon l’exemple proposé et que, l’ayant pour guide de sa route, il avance sur le dur chemin de la vertu, pour que par là, dans la mesure du possible, nous soyons faits en l’imitant participants de la nature divine, selon ce qui est écrit : Celui qui dit qu’il croit au Christ doit se conduire comme lui il s’est conduit. Donc cette Parole (Raison) et cette Sagesse, que nous imitons quand nous sommes dits sages ou raisonnables, se fait toutes choses à tous pour les gagner tous : il devient faible avec les faibles pour gagner les faibles. Et parce qu’il est devenu faible, il est dit de lui : Même s’il a été crucifié par faiblesse, il vit cependant de la force de Dieu. En fait, parmi les Corinthiens qui étaient faibles, Paul juge qu’il ne connaît rien quand il est avec eux, sinon Jésus-Christ et encore crucifié. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section