paresse (Orígenes)

Cette puissance bienheureuse et souveraine, c’est-à-dire qui domine toutes choses, nous l’appelons Trinité. C’est le Dieu bon et le Père bienveillant de l’univers, et la puissance bienfaisante et démiurgique, c’est-à-dire celle de faire le bien, de créer et de pourvoir. Il est à la fois absurde et impie de penser que même un instant ces puissances de Dieu soient restées oisives. Car il n’est pas permis de se demander, même en passant, si ces puissances, qui permettent avant tout de comprendre Dieu dignement, ont cessé un moment de produire des oeuvres dignes de lui et sont restées immobiles. On ne peut penser en effet qu’étant en Dieu, bien mieux, qu’étant Dieu, elles aient été empêchées de l’extérieur, ni en revanche que, ne rencontrant pas d’obstacle, elles aient eu la paresse d’agir et de produire des oeuvres dignes d’elles ou aient négligé de le faire. Et c’est pourquoi on ne peut pas croire qu’il y ait eu absolument un seul moment où cette puissance bienfaisante n’ait pas fait le bien. Il s’ensuit qu’elle a toujours eu des bénéficiaires, par ses productions et ses créations, et que, dans sa bienfaisance, elle leur a dispensé ses bienfaits de façon ordonnée et suivant les mérites, en vertu de sa providence. Par conséquent il semble qu’il n’y a pas eu de moment où Dieu n’ait pas été créateur, bienfaisant et provident. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Appendice

Si donc des puissances contraires sont appelées transfuges et s’il est dit qu’elles furent autrefois immaculées, il n’appartient à personne si ce n’est au Père, au Fils et au Saint-Esprit d’être immaculé de façon substantielle, mais la sainteté dans toute créature est une réalité accidentelle et ce qui est accidentel peut déchoir. Ces puissances contraires ont été autrefois immaculées et se sont trouvées au milieu de celles qui restent encore immaculées : cela montre que personne n’est immaculé de façon substantielle ou naturelle, ni souillé de façon substantielle. Il s’ensuit qu’il dépend de nous et de nos mouvements d’être saints et bienheureux, ou bien par paresse et négligence de nous écarter de la béatitude pour tomber dans la malice et dans la perdition, tellement qu’un progrès excessif – si l’on peut ainsi parler – dans le mal, lorsque quelqu’un s’est à ce point négligé, le fasse parvenir à un tel état qu’il devienne ce qui est dit au sujet de la puissance contraire. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Nous voyons ce qu’est la fin, lorsque tous les ennemis seront soumis au Christ, lorsque le dernier ennemi sera détruit, la mort, et lorsque la royauté sera transmise à Dieu le Père par le Christ à qui tout a été soumis : à partir de cette fin, dis-je, examinons les commencements des choses. La fin est en effet toujours semblable au commencement : et c’est pourquoi, de même que la fin de toutes choses est l’unité, de même il faut comprendre que le commencement de tout est l’unité. Comme cette fin unique est celle de nombreux êtres, ainsi à partir d’un commencement unique, il y a beaucoup de différences et de variétés qui de nouveau, par la bonté de Dieu, la soumission du Christ et l’unité de l’Esprit Saint, sont ramenées à une seule fin semblable au début. Il s’agit de tous ceux qui, fléchissant le genou devant Jésus, donnent par là témoignage de leur soumission, parmi les êtres célestes, terrestres et infernaux : ces trois catégories désignent tout l’univers, c’est-à-dire ceux qui, à partir d’un commencement unique, se comportant de façon variée chacun de son propre mouvement, ont été répartis en divers ordres selon leur mérite ; car la bonté n’était pas en eux de façon substantielle, comme en Dieu, dans son Christ et dans le Saint Esprit. Dans cette Trinité seule, qui est l’auteur de tout, la bonté est présente de façon substantielle : tous les autres êtres ont une bonté accidentelle et qui peut défaillir ; ils sont donc dans la béatitude quand ils participent à la sainteté, à la sagesse et à la divinité elles-mêmes. Si cependant ils négligent cette participation et ne s’en occupent pas, alors par la faute de leur propre paresse, l’un plus tôt, l’autre plus tard, un troisième plus ou moins profondément, chacun devient pour lui-même cause de sa chute et de sa déchéance. Et puisque, comme nous l’avons dit, cette chute ou cette déchéance, qui éloigne chacun de son état, se produit avec une très grande diversité selon les mouvements de l’intelligence et de la volonté qui font pencher vers le bas, l’un plus légèrement, l’autre plus lourdement, en cela le jugement de la providence de Dieu est juste, car il atteint chacun selon la diversité de ses mouvements dans la mesure de son éloignement et de son agitation. Certes, parmi ceux qui sont restés dans l’état initial, que nous avons décrit semblable à la fin à venir, les uns obtiennent par eux-mêmes dans l’ordonnance et le gouvernement de l’univers le rang des anges, d’autres celui des Vertus, d’autres celui des Principautés, d’autres celui des Puissances – par là évidemment ils exercent leur puissance sur ceux qui ont besoin d’avoir la puissance sur leur tête -, d’autres l’ordre des Trônes, ayant la charge de juger et de diriger ceux qui en ont besoin, d’autres la Domination, sans aucun doute sur des serviteurs : tout cela leur est accordé par la divine providence selon un jugement équitable et juste, d’après leur mérite et leurs progrès, qui les ont fait croître dans la participation et l’imitation de Dieu. Mais ceux qui se sont écartés de l’état de béatitude première, non cependant de façon irrémédiable, sont soumis aux ordres saints et bienheureux que nous avons décrits plus haut, pour être gouvernés et dirigés, afin que, s’ils usent de leur aide, s’ils se réforment d’après leurs instructions et leurs doctrines salutaires, ils puissent revenir à leur état bienheureux et y être rétablis. C’est avec ceux-ci, autant que je puisse le penser, qu’a été constitué cet ordre du genre humain, qui assurément dans le siècle futur ou dans les siècles qui surviendront, lorsqu’il y aura selon Isaïe un ciel nouveau et une terre nouvelle, sera rétabli dans cette unité que promet le Seigneur Jésus lorsqu’il dit à Dieu le Père au sujet de ses disciples : Ce n’est pas pour eux seuls que je te prie, mais pour tous ceux qui croiront par leur parole en moi, afin que tous soient un, comme moi je suis en toi, Père, et toi en moi, afin que ceux-ci soient un en nous. Il ajoute : Afin qu’ils soient un, comme nous, nous sommes un, moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient eux-mêmes consommés en un. L’apôtre Paul lui aussi le confirme : Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité de la foi pour former l’homme parfait, dans la mesure de la pleine maturité du Christ. Et de même cet apôtre nous exhorte, alors que nous sommes encore dans la vie présente, dans l’Église, où se trouve assurément la figure du royaume à venir, à une unité semblable à celle-là : Afin que vous disiez tous les mêmes choses et qu’il n’y ait pas parmi vous de dissensions, afin que vous soyez parfaits dans une seule et même pensée, dans une seule et même opinion. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Voyons d’abord ce que la raison permet de trouver à propos du soleil, de la lune et des étoiles pour juger s’il est vrai, selon l’opinion de certains, qu’ils sont exempts de toute possibilité de changement : et d’abord, dans la mesure du possible, examinons ce qu’affirme l’Écriture. En effet Job semble montrer, non seulement que les étoiles pourraient pécher, mais même qu’elles ne sont pas pures de la contagion du péché. Il est en effet écrit : Les étoiles mêmes ne sont pas pures à sa vue. Il ne faut pas comprendre cela de l’éclat de leur corps, comme si l’on disait : Ce vêtement n’est pas propre. Une telle compréhension, sans aucun doute, rapporterait l’injustice sur le Créateur, puisqu’il serait accusé pour quelque impureté dans l’éclat de leur corps. En effet, si leur activité n’a pas permis aux astres d’acquérir un corps plus lumineux ou si leur paresse ne leur a pas donné un corps moins pur, pourquoi blâmerait-on les étoiles pour n’être pas pures, alors qu’on ne les louera pas parce qu’elles sont pures. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section

Il faut se garder de tomber dans les fables ineptes et impies de ceux qui imaginent des natures spirituelles différentes, tant parmi les êtres célestes que parmi les âmes humaines, oeuvres de créateurs différents, puisqu’il leur semble absurde, ce qui est la vérité, d’attribuer à un seul et même créateur l’origine de natures différentes parmi les êtres raisonnables et qu’ils ignorent cependant la cause de cette diversité. Ils disent en effet qu’il ne leur paraît pas logique qu’un seul et même créateur, sans tenir compte des mérites, attribue aux uns un pouvoir de domination et leur soumette les autres, donne aux uns le principat et assujettisse les autres à ces chefs. Tout cela assurément, à mon avis, la logique du raisonnement développé plus haut le réfute et le convainc de fausseté : elle montre que l’origine des diversités et des différences dans chaque créature est à chercher dans la vivacité ou la paresse plus ou moins grande de leurs mouvements, tournés vers la vertu ou vers la malice, et non dans la partialité de celui qui a tout ordonné. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section

Mais puisque ces natures raisonnables, qui au début ont été faites, comme nous l’avons dit plus haut, ont été créées alors qu’elles n’existaient pas auparavant, elles sont, puisqu’elles n’existaient pas et qu’elles ont commencé à être, nécessairement convertibles et changeantes : en effet la puissance qui était en elle et en faisait des êtres substantiels, elles ne la possédaient pas par nature, mais par un bienfait du créateur. Ce qu’elles sont n’est pas en elles propre et éternellement durable, mais donné par Dieu : il n’a pas toujours été et ce qui a été donné peut être enlevé ou régresser. La cause de cette régression sera en lui, si les mouvements des intelligences ne sont pas dirigés de manière convenable et louable. Car le créateur a accordé aux intelligences créées par lui des mouvements volontaires et libres, afin que certainement le bien devienne leur propriété lorsqu’elles le conservent par leur volonté propre; mais la paresse, le dégoût de la peine à prendre pour conserver le bien, l’aversion et la négligence à l’égard des valeurs supérieures a été le début d’un éloignement du bien. Or s’éloigner du bien n’est pas autre chose que de tomber dans le mal. En effet il est certain que le mal est la privation du bien. Il arrive donc que, dans la mesure où l’on se détourne du bien, on en vient au mal dans la même proportion. Par conséquent chaque intelligence en négligeant le bien selon ses mou-vements, soit gravement soit de façon plus restreinte, était attirée dans le contraire du bien qui est sans aucun doute le mal. Il semble donc que le créateur de l’univers ait ainsi accepté comme des semences et des causes de variété et de diversité pour créer un monde divers et varié selon la diversité des intelligences, c’est-à-dire des créatures raisonnables, diversité que, je pense, elles ont produite pour la cause signalée plus haut. Quand nous parlons d’un monde divers et varié, c’est proprement ce que nous voulons indiquer. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

Cette possibilité qui nous est donnée de pouvoir vaincre, selon la faculté du libre arbitre, ou bien nous l’employons avec diligence et nous vainquons, ou bien avec paresse et nous sommes défaits. Si tout nous était donné pour l’emporter de toute façon, c’est-à-dire pour n’être vaincu en aucune manière, resterait-il une raison de combattre à celui qui ne peut être vaincu ? La palme a-t-elle quelque mérite quand on a ôté à l’adversaire la faculté de vaincre ? Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

Tout cela est dit de ce qui paraît arriver à l’homme dès la naissance et même avant qu’il ne vienne à la lumière du jour. De tout ce qui est suggéré par des esprits divers à l’âme, c’est-à-dire aux pensées de l’homme, et le pousse au bien et au mal, il faut penser qu’il y a parfois des causes antécédentes à la naissance corporelle. Tantôt l’intelligence vigilante, rejetant d’elle le mal, s’attire l’aide des bons esprits ; ou au contraire, négligente et lâche, elle ne se tient guère sur ses gardes et donne place à ces esprits qui, comme des larrons machinant leurs embûches en cachette, s’arrangent pour faire irruption dans les intelligences humaines, lorsqu’ils voient que la paresse leur a fait place, comme le dit l’apôtre Pierre : Votre adversaire le diable tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer. C’est pourquoi il faut garder de toute façon notre coeur jour et nuit et ne pas donner place au diable, mais faire tout ce qu’il faut pour que les ministres de Dieu, à savoir ces esprits envoyés au service de ceux qui sont appelés à hériter du salut, trouvent en nous une place et se réjouissent d’entrer dans le gîte de notre âme : habitant chez nous, c’est-à-dire en notre coeur, ils nous dirigeront par des conseils meilleurs, si toutefois ils trouvent l’habitacle de notre coeur orné des parures de la vertu et de la sainteté. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section