paradis (Orígenes)

Nous trouvons en effet, dans le prophète Ézéchiel, deux prophéties s’adressant au Prince de Tyr. La première peut sembler, si on n’a pas encore entendu la seconde, concerner un homme qui fut le prince des Tyriens : c’est pourquoi, pour le moment, nous n’en prendrons rien. Mais il est tout à fait évident que la seconde ne doit pas du tout être comprise d’un homme, mais d’une puissance supérieure qui est tombée d’en-haut et a été rejetée dans les lieux inférieurs, les plus mauvais : aussi le prendrons-nous en exemple pour montrer très clairement que les puissances contraires et malignes n’ont pas été créées telles par nature, mais qu’elles sont tombées du meilleur au pire et se sont tournées vers le plus mauvais, et que les puissances bienheureuses de même n’ont pas une nature telle qu’elle ne puisse recevoir l’état contraire si elle le veut, si elle se néglige et ne garde pas avec tout le soin possible l’état de béatitude. S’il est rapporté que celui qui est appelé le Prince de Tyr était parmi les saints, immaculé, établi dans le paradis de Dieu, orné d’une couronne éclatante et magnifique, si celui-ci, dis-je, était tel, comment pourrait-on penser qu’il était inférieur à l’un ou l’autre des saints ? Il est représenté comme une couronne éclatante et magnifique, comme se déplaçant immaculé dans le paradis de Dieu : peut-on s’imaginer qu’étant tel, il n’était pas l’une de ces puissances saintes et bienheureuses que, puisque assurément elles sont dans la béatitude, on ne doit pas croire revêtues d’un autre honneur que celui-là ? LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Mais voyons ce que nous enseignent les paroles de cette prophétie : La parole du Seigneur se fil entendre à moi en ces termes : Fils d’homme, commence une lamentation sur le prince de Tyr et dis-lui: Voici ce que dit le Seigneur Dieu: Tu as été le sceau de la ressemblance et une couronne éclatante dans les délices du paradis de Dieu. Tu as été orné de toute sorte de pierres et de gemmes précieuses, tu as été revêtu de sardoine, de topaze, d’émeraude, d’escarboucle, de saphir, de jaspe, sertis dans l’argent et l’or, d’agate, d’améthyste, de chrysolithe, de béryl et d’onyx; tu as rempli d’or tes trésors et tes coffres en toi-même. Depuis le jour où tu as été créé avec les Chérubins, je t’ai placé sur la montagne sainte de Dieu. Tu t’es trouvé au milieu des pierres de feu, tu as été immaculé pendant tes jours, depuis que tu as été créé, jusqu’à ce qu’on ait trouvé en toi l’iniquité. Par l’ampleur de ton commerce, tu as rempli tes coffres d’iniquité; lu as péché et tu as été blessé et rejeté de la montagne de Dieu. Et le Chérubin t’a précipité du milieu des pierres de feu. Ton coeur s’est élevé à cause de ta magnificence, ta doctrine s’est corrompue avec ta beauté. A cause de la multitude de tes péchés je t’ai jeté à terre devant les rois; je t’ai donné en spectacle et en dérision à cause de la multitude de tes péchés et de tes iniquités ; de ton commerce tu as souillé tes sanctuaires. Je ferai sortir le feu du milieu de toi, il te dévorera et je te réduirai en cendre et poussière sur terre devant ceux qui te voient. Et tous ceux qui te connaissaient parmi les nations pleureront sur toi. Tu es devenu objet de perdition et tu ne subsisteras plus pour l’éternité. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Étant donné que le prophète s’est ainsi exprimé, qui pourrait en entendant : Tu as été le sceau de la ressemblance et une couronne éclatante dans les délices du paradis de Dieu, et : Depuis le jour où tu as été créé avec les Chérubins, je t’ai placé sur la montagne sainte de Dieu, interpréter largement son sens au point de penser que cela a été dit d’un homme ou d’un saint quelconque, pour ne pas parler d’un prince de Tyr ? Qui pensera ce que sont ces pierres de feu au milieu desquelles aura pu se tenir un homme ? Comment comprendre ce personnage immaculé depuis le jour de sa création, chez qui on a trouvé dans la suite des injustices, de sorte qu’il a été projeté à terre ? Cela signifie qu’il est dit de lui qu’il ne se trouvait pas sur la terre, puisqu’il a été projeté à terre, en souillant ses sanctuaires. Ces paroles de la prophétie d’Ézéchiel sur le prince de Tyr sont à rapporter à une puissance adverse comme nous l’avons montré : elles manifestent très clairement que cette puissance était auparavant sainte et bienheureuse, qu’elle est tombée de cette béatitude quand on a trouvé en elle l’iniquité, qu’elle a été précipitée sur la terre et qu’elle n’était pas mauvaise par sa nature et sa création. Nous pensons donc que tout cela concerne un ange qui avait reçu en office le gouvernement de la nation des Tyriens et qui avait aussi, semble-t-il, la charge de leurs âmes. De quelle Tyr s’agit-il et comment comprendre les âmes des Tyriens ? Faut-il y voir la ville située dans la province de Phénicie ou une autre ville dont celle que nous connaissons sur cette terre est la figure ? Les âmes des Tyriens sont-elles les âmes des Tyriens d’ici-bas ou de ceux qui sont les habitants de cette autre Tyr entendue spirituellement ? Ce n’est pas ici le moment de le rechercher, pour ne pas paraître traiter ainsi en passant des réalités si profondes et si cachées, qui exigent assurément un travail et des efforts particuliers. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Selon nous, en réalité, dans toute créature raisonnable, il n’y a rien qui ne soit capable de bien autant que de mal. Mais en disant qu’il n’y a aucune nature qui ne puisse recevoir le mal, nous n’affirmons pas, en conséquence, que toute nature a reçu le mal, c’est-à-dire a été faite mauvaise : lorsqu’on dit que toute nature d’homme a la possibilité de naviguer, ce n’est pas pour cela que tout homme naviguera ; de même il est possible à tout homme d’apprendre la grammaire ou la médecine, mais cela ne veut pas dire que tout homme soit médecin ou grammairien. Pareillement, si nous disons qu’il n’y a pas de nature qui ne puisse recevoir le mal, il n’est pas indiqué nécessairement par là qu’elle ait reçu le mal ; réciproquement il n’y a pas de nature incapable de recevoir le bien, mais cela ne prouve pas en conséquence que toute nature ait reçu le bien. Selon nous, en effet, le Diable lui-même n’était pas incapable de bien, mais, du fait qu’il ait pu recevoir le bien, il ne s’ensuit pas qu’il l’ait voulu, ni qu’il ait pratiqué la vertu. Comme nous l’ont appris les passages prophétiques que nous avons invoqués, il fut jadis bon, lorsqu’il se trouvait dans le paradis de Dieu, au milieu des Chérubins. Il possédait la faculté de recevoir la vertu ou la malice, mais s’écartant de la vertu il s’est tourné vers le mal de toute son intelligence : ainsi les autres créatures, tout en possédant cette double faculté, ont fui le mal avec leur libre arbitre et adhéré au bien. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section