S’il en est ainsi de la qualité du corps qui ressuscitera des morts, voyons ce que signifie la menace du feu éternel. Nous trouvons en effet dans le prophète Isaïe l’indication que le feu qui punit est propre à chacun : Marchez dans la lumière de voire feu et dans la flamme que vous vous êtes allumée à vous-mêmes. Ces paroles semblent montrer que chacun s’allume à lui-même la flamme d’un feu qui lui est propre, au lieu d’être plongé dans un autre feu qui aurait été auparavant allumé par un autre et subsisterait avant lui. La nourriture de ce feu, la matière qui l’alimente, ce sont nos péchés, appelés par l’apôtre Paul bois, foin et paille. A mon avis, de même que l’abondance de la nourriture dans le corps, les aliments dont la qualité et la quantité nous sont contraires, engendrent des fièvres de nature et de durée diverses dans la mesure où les excédents accu-mulés ont fourni à ces fièvres une matière et un excitant – cette quantité de matière, accumulée par divers excès est cause de l’acuité et de la longueur de la maladie -, de même, lorsque l’âme a accumulé en elle une foule de mauvaises oeuvres et une abondance de péchés, toute cette accumulation de maux bouillonne au moment convenable pour son supplice et s’enflamme pour son châtiment. Par ailleurs l’intelligence elle-même ou plutôt la conscience, se rappelant par la puissance divine tous les actes dont les empreintes et les formes s’étaient imprimées en elle quand elle péchait, tout ce qu’elle a fait de laid et de honteux et même tout ce qu’elle a commis d’impie, verra ainsi en quelque sorte étalée devant ses yeux l’histoire de ses crimes ; alors la conscience est agitée et comme piquée par des aiguillons dont elle est elle-même la cause et elle devient l’accusatrice d’elle-même et son témoin à charge. A mon avis l’apôtre Paul a eu une idée semblable quand il a dit : Nos pensées s’accusant ou même s’excusant réciproquement au jour où Dieu jugera les actions secrètes des hommes selon mon évangile par Jésus-Christ. Par là il faut comprendre que, en ce qui concerne la substance même de l’âme, les mauvais sentiments des pécheurs engendrent eux-mêmes certains tourments. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Seconde section
Il y a aussi bien d’autres choses qui nous échappent, connues seulement de celui qui est le médecin de nos âmes. En effet pour guérir nos corps des maladies contractées par la nourriture et la boisson, il nous est de temps en temps nécessaire de nous soigner par des médi-cations plus sévères et plus amères ; parfois même, quand la nature du mal l’exige, nous avons besoin de la dureté du fer et de la rudesse des opérations chirurgicales ; bien plus, dans le cas où ces remèdes sont impuissants devant la gravité de la maladie, le feu brûle en dernier lieu le mal qui nous tient. A bien plus forte raison ne faut-il pas penser que Dieu, notre médecin, pour détruire les maux de nos âmes, contractés par suite de nos divers péchés et crimes, utilise pour nous soigner des châtiments de ce genre, appliquant même le supplice du feu à ceux qui ont perdu la santé de l’âme ? Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Seconde section
Certains, refusant en quelque sorte le travail de l’intelligence, s’ap-pliquant de façon superficielle au sens littéral de la loi, se complaisant d’une certaine manière dans ce qui les délecte et leur cause du plaisir, disciples de la lettre seule, pensent qu’il nous faut attendre l’accomplissement futur des promesses dans la volupté et la sensualité corporelles. Et c’est pourquoi ils désirent retrouver à la résurrection un corps charnel qui leur laisse pour toujours la possibilité de manger, de boire, et d’accomplir tous les actes qui relèvent de la chair et du sang : ils ne suivent pas l’opinion de l’apôtre Paul sur la résurrection du corps spirituel. A cela ils ajoutent logiquement la faculté de contracter mariage et de procréer des enfants même après la résurrection ; ils imaginent Jérusalem comme une ville terrestre qui sera réédifiée sur des pierres précieuses mises dans ses fondements, avec des murs bâtis en jaspe, des retranchements ornés de cristal et une enceinte de pierres choisies et diverses, jaspe, saphir, chalcédoine, émeraude, sardoine, onyx, chrysolithe, chrysoprase, hyacinthe et améthyste. Ils pensent qu’ils auront là comme ministres de leurs plaisirs des étrangers, servant de laboureurs ou de vignerons, et des maçons pour reconstruire leur cité démolie et écroulée ; ils jugent qu’ils y recevront pour nourriture les biens des nations et qu’ils seront maîtres de leurs richesses, de sorte que même les chameaux de Madian et d’Épha viendront leur apporter l’or, l’encens et les pierres précieuses. Ils s’efforcent de confirmer cela par l’autorité des prophètes lorsqu’ils parlent des promesses faites à Jérusalem : car il y est dit que ceux qui servent Dieu mangeront et boiront, que les pécheurs auront faim et soif, que les justes seront dans la joie et les impies dans la honte. Du Nouveau Testament, ils invoquent la parole du Sauveur promettant aux disciples de trouver la joie dans le vin : Je ne boirai plus de cela désormais jusqu’à ce que je le boive avec vous nouveau dans le royaume de mon Père. Ils ajoutent encore que le Sauveur proclame bienheureux ceux qui maintenant ont faim et soif, leur promettant d’être rassasiés; et ils apportent beaucoup d’autres textes des Écritures, sans voir qu’il faut les comprendre de façon figurée et spirituelle. Alors ils estiment qu’ils seront rois et princes, comme ceux d’ici-bas, comprenant cela selon les conditions de cette vie, selon les dignités et les classes instituées en ce monde ou selon les degrés d’autorité, assurément à cause de cette parole évangélique : Tu auras autorité sur cinq villes. Bref, ils veulent que tout ce qu’ils attendent de l’accomplissement des promesses soit exactement semblable à la manière de vivre ici-bas, c’est-à-dire que le monde actuel recommence à être. Telles sont les pensées de gens qui croient, certes, au Christ, mais comprenant à la juive les Écritures divines, n’y soupçonnent rien qui soit digne des promesses divines. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section
Mais si ces promesses ne paraissent guère aptes à susciter dans les intelligences de ceux qui espèrent en elles un désir adéquat, demandons-nous, en nous répétant un peu, dans quelle mesure est naturel et inséré dans l’âme le désir de la réalité elle-même, pour décrire enfin en quelque sorte, par la voie de l’interprétation spirituelle, la forme de ce pain de vie, la qualité de ce vin et la caractéristique des Principautés. De même que dans les métiers manuels la pensée donne l’idée de l’oeuvre, indiquant ce qui est à faire, comment le faire et pour quels usages le faire, puis l’exécution a lieu par le moyen des mains, de même, en ce qui concerne les oeuvres de Dieu, qui ont été faites par lui, il faut penser que l’idée et la compréhension de ce qu’il a fait et que nous voyons restent cachées. Quand nous contemplons de nos yeux des objets fabriqués par un artisan, si l’un d’eux nous paraît particulièrement bien fait, aussitôt nous désirons ardemment apprendre de quelle façon, comment et pour quels usages il a été fait : bien plus et sans comparaison possible nous brûlons du désir ineffable de connaître la raison des oeuvres de Dieu que nous voyons. Ce désir, cet amour, nous croyons que sans aucun doute ils ont été mis en nous par Dieu. Comme l’oeil recherche par nature la lumière et la vision, comme notre corps désire par nature nourriture et boisson, de même notre intelligence porte en elle un désir qui lui est propre et naturel de connaître la vérité divine et les causes des choses. Ce désir nous ne l’avons pas reçu de Dieu pour qu’il ne doive ni ne puisse jamais recevoir de satisfaction : autrement c’est en vain que l’amour de la vérité semblerait avoir été mis dans notre intelligence par le Dieu créateur, s’il ne pouvait jamais obtenir ce qu’il désire. C’est pourquoi ceux qui, même en cette vie, se sont mis à étudier, au prix d’un grand labeur, la piété et la religion, ne comprennent, certes, que peu de choses des trésors nombreux et immenses de la connaissance divine, mais cependant, par le fait même d’occuper à cela leur entendement et leur intelligence et de progresser dans ce désir, ils en reçoivent beaucoup d’utilité, parce qu’ils se sont tournés vers le goût et l’amour de la recherche de la vérité et qu’ils se sont rendus plus disposés à recevoir l’instruction future. Ainsi, lorsqu’on veut peindre une image, avant de tracer les lignes de la forme à venir, on en dessine l’esquisse d’un trait léger et on prépare les indications aptes à recevoir les visages qui seront peints par-dessus : il est clair que la figure ébauchée par l’esquisse sera davantage susceptible de recevoir les vraies couleurs. Cela vaut aussi pour la connaissance de la vérité, si dans ce cas l’esquisse et l’ébauche elles-mêmes sont dessinées sur les tablettes de notre coeur par le stylet de notre Seigneur Jésus-Christ. Pour cela il est dit peut-être : A celui qui a on donnera et on ajoutera ?. Il est donc clair qu’à ceux qui ont déjà en cette vie une certaine ébauche de la vérité et de la connaissance, sera ajoutée dans le futur la beauté de l’image parfaite. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section
Lorsque les saints seront parvenus, pour ainsi dire, dans les lieux célestes, ils contempleront alors la nature des astres un à un et ils sauront s’ils sont des êtres animés ou quelque chose d’autre. Mais ils comprendront aussi les raisons des autres oeuvres de Dieu, car lui-même les leur révélera. Alors il leur montrera comme à ses fils les causes des choses et la puissance de sa création, leur enseignera pourquoi telle étoile est placée à tel endroit du ciel, pourquoi elle est séparée d’une autre par tel intervalle : si elle avait été plus proche, par exemple, quelles en auraient été les conséquences, et si elle avait été plus éloignée qu’est-ce qui serait arrivé ? Ou si cette étoile avait été plus grande que cette autre, comment l’univers ne serait pas resté semblable, mais tout aurait pris une autre forme. Ainsi donc, après avoir parcouru la science de la nature des astres et des relations des êtres célestes, ils en viendront à ce qui ne se voit pas, ce que nous connaissons seulement de nom, aux réalités invisibles. L’apôtre Paul nous a appris qu’elles sont nombreuses, mais nous ne pouvons faire la moindre conjecture sur leur nature et leurs différences. Et ainsi, la nature raisonnable croissant peu à peu, non comme elle le faisait en cette vie quand elle était dans la chair ou le corps et l’âme, mais grandissant par la compréhension et la pensée, parvient, en tant qu’elle est une intelligence parfaite, à la connaissance parfaite, sans que les sentiments charnels lui fassent désormais obstacle, mais dans sa croissance intellectuelle elle contemple toujours dans leur pureté et, pour ainsi dire, face à face, les causes des choses ; elle acquiert ainsi la perfection, d’abord celle qui permet son ascension, ensuite celle qui demeure, et elle a comme nourriture la contemplation et la compréhension des choses et de ce qui les cause. En effet dans cette vie corporelle se produit d’abord la croissance du corps jusqu’à l’état où nous sommes pendant les premières années, par le moyen d’une nourriture suffisante, mais ensuite, quand nous avons atteint la taille convenant à la mesure de notre croissance, nous n’usons plus de la nourriture pour grandir, mais pour vivre et nous conserver en vie : ainsi, à mon avis, quand l’intelligence parvient à la perfection, elle se nourrit, elle use des aliments qui lui sont propres et lui conviennent, dans une mesure où il n’y a ni défaut ni excès. En tout il faut entendre comme nourriture la contemplation et la compréhension de Dieu suivant les mesures qui sont propres et qui conviennent à la nature qui a été faite et créée; il faut que ceux qui commencent à voir Dieu, c’est-à-dire à le comprendre par leur pureté de coeur, observent ces mesures. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section
Mais, lorsque nous en examinons plus attentivement la raison, nous ne pensons pas que cela soit vrai, en considérant tout ce qui vient clairement en nous d’une nécessité corporelle. Faut-il penser que c’est le diable qui est en nous la cause de la faim et de la soif ? Personne, à mon avis, n’oserait affirmer cela. S’il n’est pas pour nous la cause de la faim et de la soif, qu’en est-il quand chacun, avançant en âge, parvient au temps de la virilité et est livré aux stimulations qu’excité l’ardeur de la nature ? Il est logique sans aucun doute de dire que, de même que le diable n’est pas la cause de la faim et de la soif, il ne l’est pas non plus des impulsions qu’apporté naturellement l’âge adulte, c’est-à-dire du désir de rechercher l’union sexuelle. Il est certain assurément que ce n’est pas toujours le diable qui soulève une telle cause : autrement on pourrait penser que si le diable n’existait pas, les corps n’éprouveraient pas le désir d’une telle union. Si, comme cela a été montré plus haut, l’appétit de nourriture qu’ont les hommes ne vient pas du diable mais d’une tendance naturelle, poussons notre réflexion plus loin : pourrait-il se faire, si le diable n’existait pas, que l’expérience humaine s’imposerait en ce qui concerne la nourriture assez de discipline pour ne jamais dépasser du tout la mesure, c’est-à-dire pour ne pas en prendre autrement que la situation ne le demande, ni davantage que la raison ne le permet, et pour qu’il n’arrive jamais aux hommes de pécher en ce qui concerne la quantité et la mesure de nourriture qui est à garder ? Quant à moi je ne pense pas que, même s’il n’y avait pas d’incitation du diable pour provoquer l’homme, elles puissent être si bien gardées qu’en prenant de la nourriture personne ne dépasse la mesure et la discipline, avant de l’avoir appris d’une longue habitude et d’une grande expérience. Qu’en est-il donc ? En matière de nourriture et de boisson, il nous serait possible de pécher même sans y être incités par le diable, simplement parce que nous serions insuffisamment tempérants et attentifs ; dans le désir de l’union sexuelle et le gouvernement des tendances de la nature faut-il penser que nous ne subirions rien de semblable ? Je crois que l’on peut appliquer le même raisonnement à tous les autres mouvements naturels, qu’il s’agisse de la cupidité, de la colère ou de la tristesse, et absolument de tout ce qui, par le vice de l’intempérance, dépasse la proportion et la mesure qu’imposé la nature. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section
L’interprétation spirituelle est pour celui qui peut montrer quelles sont les réalités célestes dont on trouve les symboles et les ombres dans le culte des Juifs selon la chair et quels sont les biens à venir dont la loi possède l’ombre. Bref, en toutes choses, selon le commandement apostolique, il faut chercher la sagesse cachée dans le mystère, celle que Dieu a prédestinée avant tous les siècles à la gloire des justes, celle qu’aucun des princes de ce monde n’a connue. L’Apôtre dit quelque part, en se servant de certains textes de l’Exode et des Nombres, que : Cela leur est arrivé comme des figures, mais fut écrit pour nous, pour qui survient la fin des siècles. Et il donne l’occasion de comprendre de quoi ces événements étaient des figures lorsqu’il dit : Ils buvaient du rocher spirituel qui les accompagnait, ce rocher était le Christ. Et pour esquisser ce qui concerne le tabernacle, dans une autre épître il a utilisé la phrase : Tu feras tout selon le modèle qui t’a été montré sur la montagne. Certes, dans l’Épître aux Galates, comme pour blâmer ceux qui pensent lire la loi et ne la comprennent pas, jugeant qu’ils ne la comprennent pas parce qu’ils croient qu’il n’y a pas des allégories dans ces écrits, il leur dit : Dites-moi, vous qui voulez être sous la loi, n’entendez-vous pas la loi ? Il est écrit qu’Abraham eut deux fils, l’un de la servante, l’autre de la femme libre. Mais celui de l’esclave est né selon la chair, celui de la femme libre selon la promesse: ce sont des allégories. Ce sont en effet les deux Testaments, etc. Il faut observer chacune de ses paroles ; il dit en effet : Vous qui voulez être sous la loi – non : vous qui êtes sous la loi – et : N’entendez-vous pas la loi ? Il pense en effet qu’entendre signifie comprendre et connaître. Dans l’Epître aux Colossiens, il résume en peu de mots la volonté de toute la législation : Que personne ne vous juge sur la nourriture ou la boisson, sur les fêtes, néoménies ou sabbats, avec leur caractère partiel, car ce sont l’ombre des réalités futures. Ecrivant aussi aux Hébreux et discutant de ceux de la circoncision, il écrit : Ceux qui adorent selon la figure et l’ombre des réalités célestes. Mais vraisemblablement, par là, ceux qui acceptent une bonne fois l’Apôtre comme un homme de Dieu ne pourraient douter des cinq livres attribués à Moïse ; mais en ce qui concerne le reste de l’histoire, ils veulent apprendre si celle-là aussi est arrivée comme des figures. Il faut remarquer ce passage de l’Épître aux Romains : Je me suis réservé sept mille hommes qui n’ont pas fléchi le genou devant Baal, qui se trouve dans le Troisième Livre des Rois : Paul l’a compris des Israélites selon l’élection, car il n’y a pas que les Gentils qui ont tiré profit de la venue du Christ, mais aussi quelques-uns de la race divine. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section
Qui sera assez sot pour penser que, comme un homme qui est agriculteur, Dieu a planté un jardin en Eden du côté de l’orient et a fait dans ce jardin un arbre de vie visible et sensible, de sorte que celui qui a goûté de son fruit avec des dents corporelles reçoive la vie? Et de même que quelqu’un participe au bien et au mal pour avoir mâché le fruit pris à cet arbre. Si Dieu est représenté se promenant le soir dans le jardin et Adam se cachant sous l’arbre, on ne peut douter, je pense, que tout cela, exprimé dans une histoire qui semble s’être passée, mais ne s’est pas passée corporellement, indique de façon figurée certains mystères. Quant à Caïn fuyant de devant la face de Dieu, selon l’avis clair des gens compétents, ce passage amènera celui qui réfléchit à se demander qu’est-ce que la face de Dieu et qu’est-ce que fuir de devant elle. Qu’y a-t-il à ajouter à cela ? Ceux dont l’intelligence n’est pas tout à fait obtuse peuvent recueillir bon nombre de choses semblables, qui sont représentées comme si elles s’étaient passées, alors qu’elles ne se sont pas passées littéralement. Mais les Évangiles aussi sont pleins d’expressions de cette espèce : le diable a porté Jésus sur une haute montagne pour lui montrer de là-haut les royaumes du monde entier et leur gloire. Quand on lit cela sans superficialité, ne blâmera-t-on pas ceux qui pensent qu’avec l’oeil du corps, qui a besoin d’une certaine hauteur pour apercevoir ce qui est placé plus bas, on peut voir les royaumes des Perses, des Scythes, des Indiens et des Parthes, et la gloire que leurs souverains reçoivent des hommes ? Celui qui cherche l’exactitude peut observer d’autres expressions semblables en très grand nombre dans les Évangiles et admettre que, dans les histoires qui se sont passées selon la lettre, sont tissées d’autres histoires qui ne se sont pas passées. Si nous en venons à la législation de Moise, nombreuses sont les lois, pour autant qu’on puisse l’observer par soi-même, qui manifestent des illogismes, ou même des impossibilités. Des commandements déraisonnables, lorsqu’il est interdit de manger des vautours, car même dans les plus grandes famines personne n’a été forcé par la pénurie d’en arriver à manger un tel animal. Lorsqu’il est ordonné d’exterminer de la race les enfants de huit jours qui n’ont pas été circoncis, il faudrait, s’il fallait qu’une telle législation ait été donnée au sens littéral, ordonner que leurs pères ou ceux qui les élèvent soient mis à mort. Or l’Écriture dit : Tout mâle incirconcis, qui n’a pas été circoncis le huitième jour, sera exterminé de la race. Si vous voulez voir des préceptes impossibles, remarquons que le tragélaphe est un animal qui ne peut pas exister, et cependant, puisqu’il est pur, Moïse ordonne de le prendre pour nourriture ; on ne dit pas que le griffon soit jamais tombé sous la main des hommes et cependant le législateur défend de le manger. A propos du sabbat dont on parle tant, si on réfléchit sur le précepte : Vous serez assis chacun dans sa maison; que personne ne quitte sa place le septième jour, il est impossible de l’observer selon la lettre, car aucun vivant ne peut rester assis toute la journée et demeurer sans mouvement après qu’il s’est assis. C’est pourquoi ceux qui appartiennent à la circoncision et tous ceux qui refusent de voir quelque chose de supérieur à la lettre n’ont jamais commencé à se poser des questions sur quelques points, comme en ce qui concerne le tragélaphe, le griffon et le vautour ; mais sur d’autres ils radotent, parlant beaucoup et inutilement, rapportant des traditions insipides, comme lorsqu’ils disent au sujet du sabbat que l’espace concédé à chacun pour ses déplacements est de deux mille coudées. D’autres, comme Dosithée le Samaritain, tout en blâmant de telles explications, pensent que l’on doit rester jusqu’au soir dans la position dans laquelle on a été surpris par le jour du sabbat. Mais il est impossible de ne pas lever de fardeau le jour du sabbat: c’est pourquoi les docteurs des Juifs en sont venus à des bavardages interminables, disant que tel genre de soulier est un fardeau mais non pas tel autre, que la sandale à clous est un fardeau et non celle qui n’en a pas, que ce qui est porté sur une épaule est un fardeau et non ce qui l’est sur les deux. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section
Mais voici un point que je ne pense pas sans mystère : quelques-uns possédant beaucoup de bestiaux et d’animaux précèdent les autres et s’emparent de lieux propres aux pâturages et à la nourriture des bêtes, le premier territoire que l’armée israélite avait revendiqué par la guerre. Ils le demandent à Moïse et ainsi ils se séparent de l’autre côté des flots du Jourdain et s’excluent de la possession de la Terre sainte. Ce Jourdain peut être considéré, en tant que symbole des réalités célestes, comme celui qui arrose et inonde les âmes assoiffées et les intelligences qui sont proches de lui. A cet endroit ne paraît pas être sans raison le fait que Moïse a entendu de Dieu ce qui est raconté dans la loi du Lévitique, mais que le peuple dans le Deutéronome est devenu auditeur de Moïse et a appris de lui ce qu’il n’a pu entendre de Dieu. C’est pourquoi le Deutéronome a reçu le nom de seconde loi ; certains penseront que lorsque a cessé la première, donnée par l’intermédiaire de Moïse, une seconde législation semble s’être formée, qui a été confiée spécialement par Moïse à Jésus (Josué) son successeur : ce dernier symbolise, à ce qu’on croit, notre Sauveur, dont la seconde loi, c’est-à-dire les préceptes de l’Évangile, conduit toutes choses à leur perfection. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section
Il faut d’abord savoir que nous n’avons nulle part jusqu’à maintenant trouvé dans les Écritures canoniques ce mot de matière pour désigner la substance qu’on considère comme sous-jacente aux corps. Lorsque Isaïe dit : Et il mangera comme du foin l’hylè, c’est-à-dire la matière, il parle de ceux qui se trouvent dans les supplices et par matière désigne les péchés. Si on trouve dans un autre endroit le mot de matière, nulle part, à mon avis, on ne le voit signifier ce dont nous parlons, excepté seulement dans la Sagesse dite de Salomon, livre dont l’autorité n’est pas reconnue de tous. On y trouve donc ceci : Ta main toute-puissante qui avait créé le monde à partir de la matière informe n’était pas embarrassée pour leur envoyer une foule d’ours ou des lions féroces. Beaucoup pensent, certes, qu’il s’agit de la matière même des choses dans ce qui a été écrit par Moïse au début de la Genèse : Au début, Dieu fit le ciel et la terre ; la terre était invisible et sans ordre. Par cette terre invisible et sans ordre, Moïse n’a pas semblé indiquer autre chose que la matière informe. S’il s’agit vraiment là de la matière, il s’ensuit que les principes des corps ne sont pas immuables. Car ceux qui ont mis pour principes des choses corporelles les atomes, qu’il s’agisse de ce qui ne peut être divisé ou de ce qui peut l’être en parties égales, ou l’un des quatre éléments, n’ont pu placer parmi les principes le mot de matière, c’est-à-dire ce qui définit au premier chef la matière. Et lorsqu’ils font de la matière le substrat de tous les corps, comme une substance convertible, changeable et divisible de toute manière, ils ne pourront le faire selon sa nature propre en faisant abstraction des qualités. Nous acceptons ce qu’ils disent, nous qui refusons de toute manière de dire la matière incréée ou non faite, comme nous l’avons montré plus haut selon nos possibilités, lorsque nous avons signalé que les diverses sortes de fruits sont produits par les différentes espèces d’arbres à partir de l’eau et de la terre, de l’air et de la chaleur, et lorsque nous avons enseigné que le feu, l’air, l’eau et la terre se changent l’un dans l’autre, et que chaque élément se résout en un autre par suite d’une parenté réciproque ; pareillement, lorsque nous avons prouvé que chez les hommes et les animaux la substance de la chair tire son existence de la nourriture et que l’humeur de la semence naturelle se change en une chair solide et dans des os. Tout cela nous enseigne que la substance corporelle est transformable et qu’elle passe d’une qualité à l’autre. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section