Noumenios (Orígenes)

Mais je conjecture que Celse n’a pas lu les livres, car ils me paraissent en bien des points si heureux que même les philosophes grecs seraient conquis par ce qu’ils disent. On y trouve une élaboration non seulement de style, mais aussi de pensées et de doctrines, et l’emploi de ce que Celse juge mythes dans les Écritures. Je sais même que Noumenios le Pythagoricien, de loin le meilleur commentateur de Platon et l’auteur le plus versé en doctrines pythagoriciennes, cite en maints endroits de ses traités les passages de Moïse et des prophètes, et en donne des interprétations allégoriques qui ne sont pas sans vraisemblance, comme dans celui qu’il intitule Epops, ou dans ses traités “Sur les Nombres et Sur le Lieu”. Et dans le troisième livre Sur le Bien, il cite même une histoire sur Jésus, sans toutefois en mentionner le nom, et l’interprète allégoriquement ; est-ce avec succès ou non, c’est à une autre occasion qu’on peut le dire. Il cite encore l’histoire de Moïse, Jannès et Jambrès. Ce n’est point que nous trouvions là un motif de nous glorifier, mais nous approuvons plus que Celse et les autres Grecs l’auteur qui a voulu sincèrement examiner même nos Écritures, et fut conduit à y voir des livres pleins de significations allégoriques et non de folies. LIVRE IV

Je veux montrer à quel point Celse déraisonne en disant que chacun doit rendre un culte aux dieux particuliers de son pays. Il dit que les Ethiopiens qui habitent Méroé connaissent deux seuls dieux, Zeus et Dionysos, les seuls qu’ils adorent ; que les Arabes de même n’en adorent que deux seuls, Dionysos comme les Ethiopiens, et Uranie qui leur est propre. Et d’après ce qu’il rapporte, ni les Ethiopiens n’adorent Uranie, ni les Arabes Zeus. Dès lors, qu’un Ethiopien se trouve d’aventure chez les Arabes, qu’on le juge impie pour son refus d’adorer Uranie et de ce chef qu’il risque sa vie, cet homme devra-t-il mourir ou violer ses traditions et adorer Uranie ? S’il a le devoir de violer ses traditions, il commettrait une impiété d’après les arguments de Celse. Mais s’il était conduit au supplice, que Celse montre qu’il est raisonnable de choisir la mort. Je ne sais si la doctrine des Ethiopiens leur enseigne à philosopher sur l’immortalité de l’âme et la récompense due à la piété quand ils adorent, conformément aux lois traditionnelles, de prétendus dieux. On dirait la même chose pour des Arabes venus par hasard vivre parmi les Ethiopiens qui habitent autour de Méroé. Eux aussi, formés à l’adoration des seuls Uranie et Dionysos, refuseraient d’adorer Zeus avec les Ethiopiens. Si alors, considérés comme impies, ils étaient conduits au supplice, que devraient-ils faire d’après la raison, à Celse de le dire ! Détailler les mythes d’Osiris et d’Isis serait ici un hors d’oeuvre superflu. Même interprétés allégoriquement, ils nous enseigneraient à adorer l’eau inanimée et la terre que foulent les hommes et tous les animaux : c’est ainsi qu’ils font, je crois, d’Osiris l’eau et d’Isis la terre. De Sérapis il existe une histoire longue et incohérente : il fut introduit hier ou avant-hier par certains sortilèges de Ptolémée, désireux de le présenter aux Alexandrins comme un dieu visible. J’ai lu chez le Pythagoricien Noumenios, à propos de la nature de Sérapis, qu’il participerait à l’être de tous les animaux et végétaux régis par la nature. Il paraît ainsi avoir été établi comme dieu grâce aux mystères profanes et aux pratiques de sorcellerie qui évoquent les démons : ce n’était pas seulement le fait des sculpteurs mais aussi des magiciens, des sorciers et des démons que charment leurs incantations. LIVRE V

Il mélange des choses incompatibles et assimile entre elles des choses dissemblables ; car après avoir parlé des soixante ou soixante-dix anges descendus, selon lui, et dont les pleurs, à l’en croire, seraient les sources chaudes, il ajoute qu’il vint alors, dit-on, au tombeau de Jésus deux anges d’après les uns, un seul d’après les autres. Il n’a pas observé, je pense, que Matthieu et Marc ont parlé d’un seul, Luc et Jean de deux, ce qui n’est pas contradictoire. Les auteurs désignent par un seul ange celui qui a fait rouler la pierre loin du tombeau, et par deux anges ceux qui se sont présentés « en robe étincelante » aux femmes venues au tombeau, ou ceux qui ont été vus à l’intérieur « assis dans leurs vêtements blancs ». Il serait possible de montrer ici que chacune de ces apparitions est à la fois un événement historique et une manifestation d’un sens allégorique relatif aux vérités qui apparaissent à ceux qui sont prêts à contempler la résurrection du Logos; cela ne relève pas de l’étude actuelle, mais plutôt des commentaires de l’Évangile. Des réalités merveilleuses se sont parfois manifestées aux hommes : c’est ce que rapportent aussi parmi les Grecs non seulement ceux qu’on pourrait soupçonner d’inventer des fables, mais encore ceux qui ont donné maintes preuves de la rigueur philosophique et de leur loyauté à citer les faits qui leur sont parvenus. J’ai lu de ces traits chez Chrysippe de Soles, d’autres chez Pythagore ; et depuis, chez certains aussi plus récents, nés d’hier ou d’avant-hier, comme chez Plutarque de Chéronée dans le “Traité de l’âme”, et le Pythagoricien Noumenios dans le deuxième livre “Sur l’incorruptibilité de l’âme”. Ainsi donc, quand les Grecs, et surtout leurs philosophes, racontent des faits de cet ordre, leurs récits ne provoquent ni moquerie ni dérision et on ne les traite pas de fictions et de fables. Au contraire, quand des hommes voués au Dieu de l’univers et qui, pour ne pas dire une parole mensongère sur Dieu, acceptent d’être maltraités jusqu’à la mort, annoncent qu’ils ont vu des apparitions d’anges, ils ne mériteraient pas créance et leurs paroles ne seraient pas reconnues véridiques ? Il serait déraisonnable de trancher ainsi entre la sincérité et le mensonge. La rigueur de la critique exige une recherche longue et précise, un examen de chaque point, après lesquels, avec lenteur et précaution, on prononce que tels auteurs disent vrai et tels auteurs mentent sur les prodiges qu’ils racontent. Tous ne manifestent pas qu’ils sont dignes de foi, tous ne montrent pas clairement qu’ils transmettent aux hommes des fictions et des fables. Il faut ajouter à propos de la résurrection de Jésus d’entre les morts : il n’est pas étonnant qu’alors un ange ou deux soient apparus pour annoncer qu’il était ressuscité, et qu’ils aient pourvu à la sécurité de ceux qui pour leur salut croyaient à ce miracle. Et il ne me semble pas déraisonnable que toujours ceux qui croient Jésus ressuscité et présentent comme un fruit appréciable de leur foi la générosité de leur vie et leur aversion pour le débordement du vice, ne soient point séparés des anges qui les accompagnent pour leur porter secours dans leur conversion à Dieu. Celse reproche aussi à l’Écriture d’affirmer qu’un ange avait roulé la pierre loin du tombeau où était le corps de Jésus : il ressemble à un jeune homme qui s’exerce à user de lieux communs pour soutenir une accusation. Comme s’il avait trouvé contre l’Écriture une objection subtile, il ajoute : Le Fils de Dieu, à ce qu’il paraît, ne pouvait ouvrir le tombeau, mais il a eu besoin d’un autre pour déplacer la pierre. Mais je ne veux pas perdre mon temps à discuter l’objection ni, en développant ici une interprétation allégorique, paraître introduire mal à propos des considérations philosophiques. Du récit lui-même je dirai que d’emblée il semble plus digne que ce fût l’inférieur et le serviteur, plutôt que celui qui ressuscitait pour le bien des hommes, qui ait fait rouler la pierre. Je m’abstiens de souligner que ceux qui conspiraient contre le Logos, qui avaient décidé de le tuer et de montrer à tous qu’il était mort et réduit à rien, ne voulaient pas du tout que son tombeau fût ouvert, afin que personne ne pût voir le Logos vivant après leur conspiration. Mais « l’Ange de Dieu » venu sur terre pour le salut des hommes coopère avec l’autre ange et, plus fort que les auteurs de la conspiration, fait rouler la lourde pierre, afin que ceux qui croient le Logos mort soient persuadés qu’« il n’est point parmi les morts », mais qu’il vit et « précède » ceux qui consentent à le suivre, pour expliquer la suite de ce qu’il avait commencé à leur expliquer auparavant, lorsqu’au premier temps de leur initiation ils n’étaient pas encore capables de saisir les vérités plus profondes. LIVRE V

Combien supérieur à Celse, fut le Pythagoricien Noumenios ! Il a fourni maintes preuves de sa haute compétence, poussé à fond l’examen de nombreuses doctrines et fait, à partir de multiples sources, la synthèse de celles qui lui paraissent vraies. Dans son premier livre “Sur le Bien”, où il parle des peuples qui ont défini Dieu comme incorporel, il a classé les Juifs parmi eux, n’hésitant pas à citer dans son ouvrage même des paroles prophétiques et à en montrer le sens figuré. On dit encore qu’Hermippos, dans son premier livre “Sur les Législateurs”, raconte que Pythagore emprunta aux Juifs sa philosophie pour l’introduire en Grèce. De plus, il existe, dit-on, un livre de l’historien Hécataeos sur les Juifs, où il loue plus nettement la nation de sa sagesse, à tel point qu’Herennius Philon, dans son traité “Sur les Juifs”, doute d’abord si l’ouvrage est de l’historien, puis déclare que, s’il est authentique, c’est que l’auteur a probablement été séduit par la force persuasive des Juifs et a donné son adhésion à leur doctrine. LIVRE I