Un jour que le prêtre Anastase, syncèle de Nestorius, faisait l’instruction au peuple en présence du patriarche, il s’arrêta tout à coup comme pour donner à son auditoire un avertissement important. « Gardez-vous bien, dit-il, d’attribuer à la Vierge Marie le titre de mère de Dieu, theotokos ; Marie était une créature humaine, et le créateur n’a pu naître de la créature. » A ces mots, qui contredisaient l’enseignement de l’Église de Constantinople, il se fit une grande rumeur dans l’auditoire, à ce point que l’archevêque dut se lever pour défendre son catéchiste. « Anastase a raison, dit-il; il ne faut point appeler Marie mère de Dieu, theotokos; elle est seulement mère de l’homme, anthropotocos. » C’était une scène préparée entre lui et le syncèle, et les termes en avaient été convenus d’avance; mais les paroles prononcées par le patriarche achevèrent de soulever l’assemblée, qui se retira en tumulte. Pendant toute la soirée et les jours suivants, il ne fut question dans la ville entière que de l’aventure de l’église et des doctrines que prêchait le nouvel archevêque. Une grande émotion se manifestait non moins parmi les laïques que dans le clergé. On en parla beaucoup au palais impérial ; les amis de Nestorius s’inquiétèrent, ils lui firent sentir la nécessité de s’expliquer catégoriquement devant le peuple assemblé, afin d’éviter les malentendus et de bien déterminer sur quel terrain l’on marchait de part et d’autre. Nestorius promit de le faire, et, comme le 25 décembre, fête de la Nativité, était proche, il remit ses explications à ce grand jour : on ne pouvait effectivement en choisir un plus opportun pour parler sur le dogme de l’Incarnation.
Le 25 décembre, toute la ville s’était portée à la basilique, sénateurs, prêtres et peuple. L’archevêque prêcha sur la Providence et les inénarrables desseins de Dieu concernant l’homme, œuvre de ses mains. Il rappela le crime de nos premiers parents, la condamnation dont ce crime avait frappé toute la race humaine, et la nécessité d’un rachat pour l’affranchir de la mort et du péché. Abordant alors le sujet direct de son discours, il s’écria : « J’ai été informé depuis peu que plusieurs d’entre vous désiraient savoir de moi s’il faut appeler la Vierge Marie mère de Dieu ou mère de l’homme, theotokos ou anthropotocos. Que ceux qui m’ont fait la demande veuillent maintenant écouter la réponse. Dire que le Verbe divin, seconde hypostase de la très-sainte Trinité, a une mère, n’est-ce pas justifier la folie des païens, qui donnent des mères à leurs dieux? La chair ne peut engendrer que la chair, et Dieu, pur esprit, ne peut avoir été engendré par une femme; la créature d’ailleurs n’a pu enfanter le créateur. » A l’appui de sa thèse que Jésus, né de Marie, était un homme, il cita ce passage de saint Paul : « par un homme la mort, et par un homme la résurrection. » Il cita encore cet autre passage du même apôtre sur le Sauveur du monde : « sans père, sans mère, sans généalogie. » — « Venir nous avancer le contraire, ajouta Nestorius, c’est soutenir que saint Paul a menti. Non, Marie n’a point enfanté le Dieu par qui est venue la rédemption des hommes, et le Saint-Esprit n’a point créé le Verbe divin, hypostase comme lui de la Trinité. Marie a enfanté l’homme dans lequel le Verbe s’est incarné ; elle a engendré l’instrument humain de notre salut. Le Verbe a pris chair dans un homme mortel ; mais lui-même n’est point mort, et il a ressuscité celui dans lequel il s’est incarné. Jésus est cependant un Dieu pour moi, car il renferme Dieu. J’adore le vase pour ce qu’il contient, j’adore le vêtement pour ce qu’il recouvre, j’adore enfin ce qui m’apparaît au dehors à cause du Dieu caché que je n’en sépare pas. » (Extrait de Nestorius et Eutychès: les grandes hérésies du Ve siècle