mort (Orígenes)

Et puisque ce Jésus-Christ est né et a souffert en vérité et non en apparence, il est mort de la mort commune; il est vraiment ressuscité des morts et, après sa résurrection, ayant vécu avec ses disciples, il fut enlevé (au ciel). Préface

Nous avons donc compris comment la Sagesse est le principe des voies de Dieu et comment elle est dite créée, en tant qu’elle préforme et contient en elle les espèces et les raisons de toute la création. Il faut comprendre de même qu’elle est la Parole de Dieu par le fait qu’elle ouvre à tous les autres êtres, c’est-à-dire à toute la création, la raison des mystères et des secrets, tous contenus sans exception dans la Sagesse de Dieu : et par là elle est appelée Parole, car elle est comme l’interprète des secrets de l’intelligence. C’est ainsi que me paraît juste ce mot que l’on trouve dans les Actes de Paul : Il est la Parole, un être animé et vivant. Mais Jean, d’une manière supérieure et bien plus belle, proclame au début de son évangile, en définissant à proprement parler que la Parole est Dieu : Et la Parole était Dieu et elle était au début auprès de Dieu. Celui qui attribue un commencement à la Parole de Dieu et à la Sagesse de Dieu, ne bafoue-t-il pas davantage encore de façon impie le Père inengendré, en lui refusant d’avoir toujours été père, d’avoir engendré une Parole et eu une Sagesse dans tous les temps et siècles antérieurs, de quelque façon qu’on puisse les nommer ? Ce Fils est aussi de tous les êtres la Vérité et la Vie : à juste titre. Car comment vivraient ceux qui ont été faits, sinon par le moyen de la Vie ? Comment seraient-ils fondés dans la vérité ceux qui sont, s’ils ne dérivaient pas de la Vérité ? Comment pourrait-il y avoir des êtres raisonnables si la Parole-Raison ne les précédait pas ? Comment pourrait-il y avoir des sages sans la Sagesse ? Mais puisqu’il devait arriver que quelques-uns s’écartent de la Vie et se donnent à eux-mêmes la mort par le fait même de s’écarter de la Vie – car mourir n’est pas autre chose que s’éloigner de la vie – et comme il n’était pas du tout normal que ce qui avait été une fois créé par Dieu pour vivre soit totalement perdu, il a fallu qu’existé, avant la mort, une puissance capable de détruire la mort à venir et d’être la Résurrection, qui s’est formée dans notre Seigneur et Sauveur : cette Résurrection existe dans la Sagesse de Dieu elle-même, sa Parole et sa Vie. Et ensuite, puisqu’il devait se faire que quelques-uns des êtres créés, possédant le bien non par nature, c’est-à-dire par substance, mais par accident, et n’ayant pas la force de rester inconvertibles et immuables et de persévérer toujours dans les mêmes biens avec équilibre et mesure, changent de condition et s’écartent de leur état, la Parole et Sagesse de Dieu s’est faite Voie : elle est appelée Voie parce qu’elle conduit au Père ceux qui la suivent. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

Par ailleurs nous trouvons un même enseignement concernant une autre puissance contraire dans le prophète Isaïe : Comment est-il tombé du ciel, Lucifer, celui qui se levait à l’aurore ? Il a été brisé et abattu sur terre, celui qui attaquait toutes les nations. Tu as dit dans ton coeur: Je monterai au ciel, au-dessus des étoiles du ciel je placerai mon trône, je siégerai sur un mont plus haut que toutes les montagnes les plus élevées qui sont au nord, je monterai sur les nuées, je serai semblable au Très-Haut. Maintenant, au contraire, tu seras plongé dans l’Hadès et dans les profondeurs de la terre. Ceux qui t’auront vu seront dans la stupéfaction à ton sujet et diront: Voici l’homme qui irritait toute la terre, qui renversait les rois, qui a fait de toute la terre un désert, qui a détruit les villes et qui n’a pas libéré ceux qui se trouvaient en prison. Tous les rois des nations se sont endormis avec honneur, chacun dans sa maison; toi, tu seras jeté dans les montagnes comme un mort abominable, au milieu de nombreux morts qui ont été percés du glaive et sont descendus dans l’Hadès. Comme un vêtement durci et souillé par le sang ne sera pas pur, ainsi toi non plus tu ne seras pas pur, parce que tu as dévasté ma terre et tué mon peuple : tu ne demeureras pas éternellement, engeance très mauvaise. Prépare tes fils à être tués pour les péchés de leur père, pour qu’ils ne se relèvent plus, qu’ils ne possèdent plus le pays en héritage et qu’ils ne remplissent plus la terre de guerres. Je me lèverai contre eux, dit le Seigneur Sabaoth, et je ferai disparaître leur nom, leurs restes et leur semence. Cela montre très clairement qu’il est assurément tombé du ciel, celui qui était auparavant Lucifer et qui se levait à l’aurore. Si, comme certains le pensent, il était de la nature des ténèbres, comment l’appelle-t-on auparavant Lucifer ? Comment pouvait-il se lever à l’aurore, lui qui n’avait en lui rien de la lumière ? Mais le Seigneur lui-même nous enseigne ce qui suit du Diable : Voici que je vois Satan tombé du ciel comme la foudre. Il fut donc jadis lumière. Mais notre Seigneur, qui est la Vérité, a comparé cependant à la foudre la grandeur de sa venue glorieuse : Comme la foudre brille d’un sommet du ciel à un autre sommet du ciel, ainsi sera aussi la venue du Fils de l’homme. Et il compare malgré cela Satan à la foudre, et il dit qu’il est tombé du ciel pour montrer qu’il a été lui-même jadis dans le ciel, qu’il eut place parmi les saints, qu’il a participé à la lumière à laquelle tous les saints participent, cette lumière qui fait les anges de lumière et qui fait appeler les apôtres par le Seigneur lumière du monde. De la même manière, il était donc jadis lumière avant de prévariquer et de tomber en ce lieu, avant que sa gloire ne se change en poussière, ce qui est le propre des impies, comme le dit le prophète. Et c’est pourquoi il est appelé Prince de ce monde, c’est-à-dire de cette habitation terrestre; et il gouverne ceux qui l’ont suivi dans sa malice puisque ce monde tout entier – j’appelle maintenant monde ce lieu terrestre – est placé sous le pouvoir du Malin, c’est-à-dire de cet apostat. Il est donc un apostat – c’est-à-dire un transfuge -, et c’est le Seigneur qui le dit dans le Livre de Job : Tu prendras à l’hameçon le dragon apostat, c’est-à-dire transfuge. Il est certain en effet que ce dragon désigne le Diable. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Nous voyons ce qu’est la fin, lorsque tous les ennemis seront soumis au Christ, lorsque le dernier ennemi sera détruit, la mort, et lorsque la royauté sera transmise à Dieu le Père par le Christ à qui tout a été soumis : à partir de cette fin, dis-je, examinons les commencements des choses. La fin est en effet toujours semblable au commencement : et c’est pourquoi, de même que la fin de toutes choses est l’unité, de même il faut comprendre que le commencement de tout est l’unité. Comme cette fin unique est celle de nombreux êtres, ainsi à partir d’un commencement unique, il y a beaucoup de différences et de variétés qui de nouveau, par la bonté de Dieu, la soumission du Christ et l’unité de l’Esprit Saint, sont ramenées à une seule fin semblable au début. Il s’agit de tous ceux qui, fléchissant le genou devant Jésus, donnent par là témoignage de leur soumission, parmi les êtres célestes, terrestres et infernaux : ces trois catégories désignent tout l’univers, c’est-à-dire ceux qui, à partir d’un commencement unique, se comportant de façon variée chacun de son propre mouvement, ont été répartis en divers ordres selon leur mérite ; car la bonté n’était pas en eux de façon substantielle, comme en Dieu, dans son Christ et dans le Saint Esprit. Dans cette Trinité seule, qui est l’auteur de tout, la bonté est présente de façon substantielle : tous les autres êtres ont une bonté accidentelle et qui peut défaillir ; ils sont donc dans la béatitude quand ils participent à la sainteté, à la sagesse et à la divinité elles-mêmes. Si cependant ils négligent cette participation et ne s’en occupent pas, alors par la faute de leur propre paresse, l’un plus tôt, l’autre plus tard, un troisième plus ou moins profondément, chacun devient pour lui-même cause de sa chute et de sa déchéance. Et puisque, comme nous l’avons dit, cette chute ou cette déchéance, qui éloigne chacun de son état, se produit avec une très grande diversité selon les mouvements de l’intelligence et de la volonté qui font pencher vers le bas, l’un plus légèrement, l’autre plus lourdement, en cela le jugement de la providence de Dieu est juste, car il atteint chacun selon la diversité de ses mouvements dans la mesure de son éloignement et de son agitation. Certes, parmi ceux qui sont restés dans l’état initial, que nous avons décrit semblable à la fin à venir, les uns obtiennent par eux-mêmes dans l’ordonnance et le gouvernement de l’univers le rang des anges, d’autres celui des Vertus, d’autres celui des Principautés, d’autres celui des Puissances – par là évidemment ils exercent leur puissance sur ceux qui ont besoin d’avoir la puissance sur leur tête -, d’autres l’ordre des Trônes, ayant la charge de juger et de diriger ceux qui en ont besoin, d’autres la Domination, sans aucun doute sur des serviteurs : tout cela leur est accordé par la divine providence selon un jugement équitable et juste, d’après leur mérite et leurs progrès, qui les ont fait croître dans la participation et l’imitation de Dieu. Mais ceux qui se sont écartés de l’état de béatitude première, non cependant de façon irrémédiable, sont soumis aux ordres saints et bienheureux que nous avons décrits plus haut, pour être gouvernés et dirigés, afin que, s’ils usent de leur aide, s’ils se réforment d’après leurs instructions et leurs doctrines salutaires, ils puissent revenir à leur état bienheureux et y être rétablis. C’est avec ceux-ci, autant que je puisse le penser, qu’a été constitué cet ordre du genre humain, qui assurément dans le siècle futur ou dans les siècles qui surviendront, lorsqu’il y aura selon Isaïe un ciel nouveau et une terre nouvelle, sera rétabli dans cette unité que promet le Seigneur Jésus lorsqu’il dit à Dieu le Père au sujet de ses disciples : Ce n’est pas pour eux seuls que je te prie, mais pour tous ceux qui croiront par leur parole en moi, afin que tous soient un, comme moi je suis en toi, Père, et toi en moi, afin que ceux-ci soient un en nous. Il ajoute : Afin qu’ils soient un, comme nous, nous sommes un, moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient eux-mêmes consommés en un. L’apôtre Paul lui aussi le confirme : Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité de la foi pour former l’homme parfait, dans la mesure de la pleine maturité du Christ. Et de même cet apôtre nous exhorte, alors que nous sommes encore dans la vie présente, dans l’Église, où se trouve assurément la figure du royaume à venir, à une unité semblable à celle-là : Afin que vous disiez tous les mêmes choses et qu’il n’y ait pas parmi vous de dissensions, afin que vous soyez parfaits dans une seule et même pensée, dans une seule et même opinion. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Pour faire apparaître avec plus de clarté si la matière corporelle subsiste seulement par intervalles et si, de même qu’elle n’existait pas avant d’être, de même elle sera dissoute et ne sera plus, voyons d’abord s’il peut se faire que quelqu’un vive sans corps. En effet si quelqu’un peut vivre sans corps, tous les êtres le peuvent, car le traité précédent a montré que tous tendent vers une seule fin. Si donc tous les êtres peuvent être dépourvus de corps, sans aucun doute il n’existera plus de substance corporelle, car elle n’aura plus d’utilité. Et comment entendrons-nous ce que dit l’Apôtre, dans ce passage où il discute de la résurrection des morts : Il faut que ce qui est corruptible revête l’incorruption et que ce qui est mortel revête l’immortalité. Lorsque ce qui est corruptible aura revêtu l’incorruption et ce qui est mortel l’immortalité, alors s’accomplira cette parole de l’Écriture : La mort a été absorbée dans la victoire. Où est, mort, ta victoire ? Où est, mort, ton aiguillon ? En effet l’aiguillon de la mort c’est le péché, la force du péché c’est la loi. L’Apôtre donc semble suggérer une signification semblable. En effet ces expressions : ce qui est corruptible, et : ce qui est mortel, prononcées comme avec le sentiment de celui qui touche et qui montre, à quoi peuvent-elles s’appliquer sinon à la matière corporelle ? Donc cette matière du corps, maintenant corruptible, revêtira l’incorruption, lorsque l’âme parfaite, instruite des doctrines de l’incorruption, aura commencé à l’utiliser. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Cependant ceux qui pensent que les créatures raisonnables peuvent vivre sans corps peuvent ici faire quelques difficultés. S’il est vrai que ce qui est corruptible revêtira l’incorruption et ce qui est mortel l’immortalité, et que la mort sera absorbée à la fin, cela ne veut pas dire autre chose que la destruction complète de la nature matérielle, sur laquelle la mort pouvait avoir une certaine action, puisque l’acuité intellectuelle de ceux qui sont dans le corps semble émoussée par la nature de la matière corporelle. S’ils sont dépouillés du corps, ils échapperont aux embarras causés par ce genre de troubles. Mais parce qu’ils ne peuvent pas être débarrassés d’un seul coup de tout revêtement corporel, on pense qu’ils doivent d’abord demeurer dans des corps plus subtils et plus purs, qui ne peuvent plus désormais être vaincus par la mort ni blessés par l’aiguillon de la mort : ainsi, la nature matérielle s’amenuisant progressivement, la mort sera absorbée et finalement détruite et son aiguillon sera complètement émoussé par la grâce divine dont l’âme est devenue capable, méritant d’obtenir l’incorruption et l’immortalité. Et alors tous diront avec raison : Où est, mort, ta victoire ? Où est, mort, ton aiguillon ? Car l’aiguillon de la mort est le péché. Si tout cela paraît bien raisonné, il nous reste à croire qu’un jour nous serons dans un état incorporel. Si cela est accepté et s’il est dit que tous seront soumis au Christ, il faut que cette assertion soit appliquée à tous ceux à qui s’étend la soumission au Christ, parce que tous ceux qui sont soumis au Christ seront aussi soumis à la fin à Dieu le Père, à qui, selon l’Écriture, le Christ transmettra le royaume, et il paraît ainsi que cessera alors l’usage des corps. S’il cesse, il revient dans le néant où il était auparavant. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Mais ils diront : Dieu est invisible. Que ferez-vous alors ? Si vous le dites invisible par nature, il ne sera même pas visible pour le Sauveur. Bien plus, le Dieu Père du Christ est vu selon l’Écriture puisque : qui a vu le Fils a vu aussi le Père. Cette parole, qui vous gêne fortement, est comprise par nous plus justement non de la vision mais de la compréhension. Celui qui a compris le Fils a compris aussi le Père. C’est ainsi qu’on pense que Moïse a vu Dieu, non pas en le regardant avec les yeux charnels, mais en le comprenant par la vue du coeur et le sens de l’intelligence, et cela seulement en partie. Il est dit en effet clairement par celui qui répondait à Moïse : Tu ne verras pas ma face, mais mon dos. Tout cela est assurément à comprendre selon le mystère habituel aux paroles divines, en rejetant certes et en méprisant ces fables de bonne femme, oeuvres d’ignorants, qui imaginent en Dieu une face et un dos. Que personne ne nous attribue une pensée impie lorsque nous disons que Dieu n’est même pas visible pour le Sauveur, mais qu’il considère les distinctions que nous devons utiliser pour traiter avec les hérétiques. Nous avons dit en effet qu’autre chose est voir et être vu, autre chose connaître et être connu. Voir et être vu sont donc le propre des corps et ne peuvent être appliqués aux relations réciproques du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Car la nature de la Trinité excède les capacités de la vue, tout en accordant à tous les êtres corporels, c’est-à-dire à tous les autres êtres, les créatures, la possibilité de voir dans leurs relations réciproques, mais à une nature incorporelle, et surtout à une nature intellectuelle, ne conviennent que connaître et être connu, selon cette parole du Sauveur : Personne ne connaît le Fils sinon le Père, ni le Père sinon le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. Il a dit fort clairement, non : Personne ne voit sinon le Fils, mais : Personne ne connaît sinon le Fils. Mais si, à cause de ce qui est dit dans l’Ancien Testament sur Dieu qui s’irrite, se repent, ou éprouve toute autre passion humaine, les hérétiques pensent avoir de quoi nous réfuter, puisqu’ils affirment qu’on doit se représenter Dieu comme absolument impassible et exempt de tout sentiment de cette sorte, il faut leur montrer que même dans les paraboles évangéliques on trouve des expressions semblables : par exemple celui qui planta une vigne, la loua à des agriculteurs qui tuèrent les serviteurs qu’il leur envoya et à la fin mirent à mort même son fils qu’il leur avait député, est dit s’être mis en colère, leur avoir enlevé la vigne, avoir fait périr ces mauvais agriculteurs et avoir confié la vigne à d’autres disposés à lui remettre les fruits au moment voulu. On peut citer aussi ces concitoyens qui, après que le père de famille fut parti pour recevoir la royauté, dépêchèrent à sa suite des envoyés pour dire : Nous ne voulons pas qu’il règne sur nous ; et quand il revint, ayant obtenu la royauté, le père de famille irrité les fit tuer en sa présence et détruire leur ville par le feu. Mais nous, lorsque nous voyons l’Ancien ou le Nouveau Testament parler de la colère de Dieu, nous ne prenons pas à la lettre ce qui y est dit, mais nous y cherchons une compréhension spirituelle, pour penser selon une intelligence digne de Dieu. Lorsque nous avons commenté ce verset du Psaume 2 : Alors il leur parlera dans sa colère et les épouvantera dans sa fureur, nous avons montré comment il fallait entendre cela, comme nous l’avons pu, avec les faibles ressources de notre intelligence. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Première section

Ils pensent en effet que la bonté est un sentiment qui désire pour tous le bien, même si le bénéficiaire en est indigne et ne mérite pas d’obtenir le bien ; à ce qu’il me semble, ils n’ont pas utilisé correctement une telle définition, pensant que celui à qui arrive quelque chose de pénible et de triste ne reçoit pas le bien. Ils ont considéré la justice comme un sentiment qui veut rendre à chacun selon son mérite. Mais là aussi, ils n’interprètent pas correctement le sens de leur définition. Ils pensent en effet qu’il est juste de faire le mal aux mauvais, le bien aux bons, c’est-à-dire que, selon leur signification, le juste ne paraîtrait pas vouloir le bien aux mauvais, mais être animé d’une certaine façon de haine à leur égard : et ils recueillent ainsi tout ce qu’ils trouvent comme récits dans les écrits de l’Ancien Testament, par exemple le châtiment du déluge et de ceux qui y furent noyés, la dévastation de Sodome et de Gomorrhe par une pluie de feu et de soufre, la mort dans le désert à cause de leurs péchés de tous ceux qui avaient quitté l’Egypte, de telle sorte qu’aucun ne put entrer dans la terre des promesses sinon Josué et Caleb. Du Nouveau Testament ils rassemblent les paroles de miséricorde et de pitié que le Sauveur a dites à ses disciples pour les former, celles qui semblent déclarer que Personne n’est bon si ce n’est un seul, Dieu le Père; et ainsi ils ont osé, tout en proclamant bon le Dieu Père du Sauveur Jésus-Christ, dire que le Dieu du monde est autre et l’appeler juste, mais non bon. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section

Qu’ils disent alors, en examinant les Écritures divines, ce qu’est chaque vertu, et qu’ils ne cherchent pas à s’esquiver en disant que le Dieu qui rétribue chacun selon ses mérites, leur rend le mal pour le mal par haine des méchants et que ce n’est pas parce que ceux qui ont péché ont besoin d’être soignés par des remèdes plus pénibles qu’il leur applique un traitement qui, en vue de leur amendement, semble présentement les faire souffrir. Il ne lisent pas ce qui est écrit de l’espérance de ceux qui ont péri par le déluge, espérance dont Pierre dit dans sa Première Épître : Le Christ est mort selon la chair, mais a été vivifié selon l’esprit. Dans cet esprit il est allé prêcher aux esprits maintenus en prison, ceux qui avaient été autrefois incrédules, lorsque Dieu attendait avec patience quand Noé construisait l’arche; dans l’arche un petit nombre, c’est-à-dire huit personnes, ont été sauvées par le moyen de l’eau; vous aussi, de façon semblable, il vous sauve aujourd’hui par le baptême. Au sujet de Sodome et de Gomorrhe, qu’ils nous disent s’ils croient que les paroles prophétiques viennent du Dieu dont on rapporte qu’il fit pleuvoir sur eux une pluie de feu et de soufre! Que dit de ces villes le prophète Ézéchiel ? Sodome sera restaurée dans son état ancien. En punissant ceux qui méritaient le châtiment, ne l’a-t-il pas fait pour leur bien ? Il a dit à la Chaldée : Tu as des charbons de feu, assieds-toi dessus et ils te seront utiles. A propos de ceux qui sont tombés dans le désert, que les hérétiques écoutent ce qui est rapporté dans le Psaume 77, attribué par son titre à Asaph : Lorsqu’il les tuait, alors ils le cherchaient. Il n’a pas dit que, les uns étant tués, les autres le recherchaient, mais que ceux qui étaient tués l’étaient de telle sorte que, mis à mort, ils recherchaient Dieu. Tout cela montre que le Dieu juste et bon, le Dieu de la loi et des Évangiles, est un seul et même Dieu, qu’il fait le bien avec justice et punit avec bonté, puisque ni la bonté sans la justice, ni la justice sans la bonté, ne sont le signe de la dignité de la nature divine. Ajoutons encore ce qui suit, forcés par leurs artifices. Si la justice est autre chose que le bien, puisque le mal est contraire au bien et l’injuste au juste, sans aucun doute l’injuste sera autre que le mal ; et puisque, selon vous, celui qui est juste n’est pas bon, celui qui est injuste ne sera pas mauvais ; de même, puisque celui qui est bon n’est pas juste, celui qui est mauvais ne sera pas injuste. Ne sera-t-il pas absurde, à ce qu’il semble, que celui qui est mauvais soit le contraire du Dieu bon, mais que personne ne soit le contraire du Dieu juste qu’ils présentent comme inférieur au bon ? A Satan qui est appelé le Malin ne correspond donc pas quelqu’un autre qui serait dit l’Injuste. Qu’en est-il donc ? Remontons au point d’où nous sommes descendus. Ils ne pourront pas dire que le mauvais n’est pas en même temps injuste, ni l’injuste mauvais. Mais si, dans ces contraires, il y a une liaison indissociable entre l’injustice et le mal et entre le mal et l’injustice, le bon sera certainement indissociable du juste et le juste du bon : de même que nous disons que la malice et l’injustice sont un seul et même mal, de même nous tenons que la bonté et la justice sont une seule et même vertu. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section

Mais de nouveau ils nous ramènent aux paroles de l’Écriture en posant leur fameuse question. Il est écrit, disent-ils, qu’un arbre bon ne peut pas produire de mauvais fruits ni un arbre mauvais de bons fruits : par son fruit on reconnaît l’arbre. Qu’en est-il donc, disent-ils ? De quelle nature est l’arbre de la loi, cela est manifesté par ses fruits, c’est-à-dire par les paroles de ses préceptes. Si on trouve la loi bonne, sans aucun doute on peut croire que celui qui l’a donnée est aussi le Dieu bon ; mais si elle est plus juste que bonne, on pensera que son Dieu est un législateur juste. L’apôtre Paul n’a employé aucune circonlocution pour dire : Donc la loi est bonne, le commandement saint, juste et bon. De là il est clair que Paul ne s’était pas instruit dans les écrits de ceux qui séparent le juste du bon, mais avait été enseigné par ce Dieu et illuminé par l’Esprit de ce Dieu qui est à la fois saint, bon et juste : parlant par son Esprit, il disait que le commandement de la loi est saint, juste et bon. Pour montrer avec plus d’évidence qu’il y a dans le commandement plus de bonté encore que de sainteté et de justice, il répète sa parole en parlant seulement de la bonté au lieu des trois : Ce qui est donc bon serait mort pour moi ? Qu’il n’en soit pas ainsi. Parce qu’il savait que, parmi les vertus, la bonté représente le genre, la justice et la sainteté les espèces du genre, voilà pourquoi, alors que plus haut il avait nommé le genre et les espèces, en redisant cette parole il a répété seulement le genre. Mais dans ce qui suit il dit : Le péché, par le bien, a opéré en moi la mort. Là il conclut par le genre ce qu’il avait exposé auparavant par les espèces. Il faut comprendre aussi de la même manière ces paroles : L’homme bon, du bon trésor de son coeur, profère le bien et l’homme mauvais, de son mauvais trésor, le mal. Ici aussi l’auteur a pris le genre, bien ou mal, montrant sans aucun doute qu’il y a dans l’homme bon la justice, la tempérance, la prudence, la piété (ou miséricorde) et tout ce qui peut être dit ou compris bon. Pareillement il a parlé de l’homme mauvais, qui serait certainement injuste, impur, impie et tout ce qui forme l’homme mauvais dans ses divers éléments. De même que sans ces malices on ne peut penser qu’un homme est mauvais et qu’il ne peut être mauvais, de même sans ces vertus il est certain que personne ne peut être jugé bon. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section

Mais après toutes ces merveilles et magnificences, la capacité d’étonnement de l’intelligence humaine est complètement dépassée et la fragilité d’un entendement mortel ne voit pas comment elle pourrait penser et comprendre que cette Puissance si grande de la majesté divine, cette Parole du Père lui-même, cette Sagesse de Dieu dans laquelle ont été créés tout le visible et tout l’invisible, ait pu, comme il faut le croire, exister dans les étroites limites d’un homme qui s’est montré en Judée, et bien mieux que la Sagesse de Dieu ait pénétré dans la matrice d’une femme, soit née comme un petit enfant, ait émis des vagissements à la manière des nourrissons qui pleurent; et ensuite qu’elle ait été troublée par sa mort, comme on le rapporte et comme Jésus le reconnaît lui-même : Mon âme est triste jusqu’à la mort; et enfin qu’elle ait été conduite à la mort que les hommes jugent la plus indigne, bien qu’elle soit ressuscitée le troisième jour après. Tantôt nous voyons en lui certains traits humains qui paraissent ne différer en rien de la fragilité commune des mortels, tantôt des traits si divins qu’ils ne conviennent à personne d’autre qu’à la nature première et ineffable de la divinité : aussi l’entendement humain reste immobile par suite de son étroitesse et frappé d’une telle stupéfaction qu’il ignore où aller, que tenir, vers où se tourner. Pense-t-il le Dieu, il voit le mortel. Pense-t-il l’homme, il l’aperçoit, ayant vaincu le règne de la mort, revenir des morts avec ses dépouilles. C’est pourquoi ce mystère doit être contemplé en toute crainte et révérence pour montrer en un seul et même être la vérité de chaque nature, afin de ne rien penser d’indigne et d’indécent sur cet être substantiel divin et ineffable, ni juger au contraire que ce qu’il a fait soit l’illusion d’une imagination fausse. Exposer cela à des oreilles humaines et l’expliquer par des paroles excède de beaucoup les possibilités de notre mérite, de notre talent et de notre discours. Je juge que cela dépasse même la mesure des saints apôtres : bien mieux l’explication de ce mystère est peut-être au-dessus des puissances célestes de toute la création. Ce n’est pas cependant par témérité, mais parce que la suite du développement le demande, que nous exposerons en peu de mots, plutôt ce que notre foi contient que ce que les assertions de la raison humaine pourraient revendiquer, en présentant davantage ce que nous supposons que des affirmations manifestes. Donc le Fils unique de Dieu, par qui tout a été fait, le visible et l’invisible, comme nous l’a appris plus haut cette discussion, a fait toute chose, selon l’attestation de l’Écriture, et aime tout ce qu’il a fait. Car, alors que du Dieu invisible il est lui-même l’image invisible, il a donné à toutes les créatures raisonnables de participer à lui de telle sorte que chaque créature adhère à lui par le sentiment de l’amour dans la mesure où elle participe davantage à lui. Mais puisque la faculté du libre arbitre a mis une variété et une diversité parmi les intelligences, les unes ayant un amour plus ardent envers leur créateur, les autres un amour plus faible et plus chétif, cette âme, dont Jésus dit : Personne ne m’ôte mon âme, adhérant à lui depuis sa création et dans la suite d’une manière inséparable et indissociable, comme à la Sagesse et à la Parole de Dieu, à la Vérité et à la Vraie Lumière, le recevant tout entier en elle tout entière et se changeant en sa lumière et en sa splendeur, est devenue avec lui dans son principe un seul esprit, de même que l’apôtre a promis à ceux qui devaient imiter cette âme que : Celui qui se joint au Seigneur est un seul esprit avec lui. De cette substance de l’âme servant d’intermédiaire entre un Dieu et la chair – car il n’était pas possible que la nature d’un Dieu se mêlât à la chair sans médiateur – naît, comme nous l’avons dit, le Dieu-Homme : cette substance était l’intermédiaire, car il n’était pas contre nature pour elle d’assumer un corps. Et de même il n’était pas contre nature que cette âme, substance raisonnable, puisse contenir Dieu, puisque, nous l’avons dit plus haut, elle s’était déjà toute changée en lui, comme en la Parole, la Sagesse et la Vérité. C’est pourquoi, à bon droit, parce qu’elle était tout entière dans le Fils de Dieu ou qu’elle contenait tout entier en elle le Fils de Dieu, elle est appelée elle-même, avec la chair qu’elle a assumée, Fils de Dieu et Puissance de Dieu, Christ et Sagesse de Dieu ; et réciproquement, le Fils de Dieu par qui tout a été créé est nommé Jésus-Christ et Fils de l’homme. Car on dit que le Fils de Dieu est mort, à savoir à cause de cette nature qui pouvait parfaitement recevoir la mort ; et il est appelé Fils de l’homme, celui que l’on prêche comme devant venir dans la gloire de Dieu le Père avec les saints anges. Pour cette raison, dans toute l’Écriture la divine nature est appelée par des vocables humains et la nature humaine est ornée des titres réservés à Dieu. Dans ce cas plus que dans tout autre, on peut dire ce qui est écrit : Ils seront les deux dans une chair une: désormais ils ne sont plus deux, mais une chair une. Car la Parole de Dieu est bien plus avec son âme dans une chair une que ce que l’on pense du mari avec son épouse. Mais à qui convient-il mieux d’être un seul esprit avec Dieu qu’à cette âme qui s’est si bien jointe à Dieu par l’amour qu’elle peut être dite à bon droit un seul esprit avec lui. La perfection de l’amour et la sincérité d’une affection pure ont fait l’unité inséparable de cette âme avec un Dieu, tellement que l’assomption de cette âme n’est pas le produit du hasard ni le résultat d’une partialité envers une personne, mais vient du mérite de ses vertus. C’est ce que dit le prophète s’adressant à elle : Tu as aimé la justice et haï l’iniquité: c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a ointe de l’huile de joie plus que tes participants. A cause du mérite de son amour elle est ointe de l’huile de joie, c’est-à-dire l’âme avec la Parole de Dieu devient le Christ. Etre oint de l’huile de joie ne veut pas dire autre chose qu’être rempli de l’Esprit Saint. Ce qui est dit : plus que tes participants, indique que la grâce de l’Esprit ne lui a pas été donnée comme aux prophètes, mais qu’elle avait en elle la plénitude substantielle de la Parole de Dieu, selon l’Apôtre : En qui habite corporellement la plénitude de la divinité. Et enfin il n’est pas dit seulement : Tu as aimé la justice, mais : Et tu as haï l’iniquité. Haïr l’iniquité revient à ce que l’Écriture dit du Christ : Il n’a pas commis de péché et on n’a pas trouvé de ruse dans sa bouche, et : Il a été éprouvé en tout de manière semblable sans péché. Mais le Seigneur lui-même dit : Qui de vous me convainc de péché ? De nouveau il dit de lui-même : Voici que vient le prince de ce monde et en moi il ne trouve rien. Tout cela montre qu’il n’y a en lui aucune pensée de péché. Le prophète exprime avec plus de clarté encore que jamais aucune pensée d’iniquité n’est entrée en lui quand il dit : Avant que l’enfant ait su appeler son père ou sa mère, il s’est détourné de l’iniquité. Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section

Que le lecteur ajoute ce qui suit à notre discussion : on peut observer que, quand l’Évangile parle de l’âme du Sauveur, autre est ce qui lui est attribué avec le mot âme, autre est ce qui lui est attribué avec le mot esprit. Lorsque l’Évangile mentionne quelque passion ou trouble, il emploie le mot âme, comme dans : Maintenant mon âme est troublée; Mon âme est triste jusqu’à la mort et : Personne ne m’ôte mon âme, mais c’est moi qui la dépose. Mais ce qu’il confie aux mains du Père, ce n’est pas son âme, mais son esprit, et, lorsqu’il dit que la chair est infirme, il ne dit pas que l’âme est prompte, mais que l’esprit est prompt : d’où il semble que l’âme soit quelque chose d’intermédiaire entre la chair infirme et l’esprit prompt. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section

Mais quelqu’un nous objectera peut-être, sur un point que nous avons déjà mentionné dans notre exposé : Comment est-il parlé d’une anthropomorphismes âme de Dieu ? Nous lui répondrons ce qui suit : Tout ce qui est attribué à Dieu de corporel, doigts, mains, bras, yeux, bouche, pieds, ne désigne pas selon nous des membres humains, mais certaines facultés de Dieu sous ces appellations de membres corporels ; il faut penser de même que quelque chose d’autre est indiqué par cette appellation d’âme de Dieu. Si nous pouvons nous permettre l’audace de parler encore sur un tel sujet, on peut entendre peut-être par âme de Dieu son Fils unique. En effet, de même que l’âme, insérée par tout le corps, fait tout mouvoir, opère et accomplit toutes choses, de même le Fils unique de Dieu, sa Parole et sa Sagesse, atteint et parvient à toute la puissance de Dieu, car il y est inséré. Et c’est peut-être pour indiquer ce mystère que, dans les Écritures, Dieu est représenté ou décrit comme un corps. Il faut, certes, examiner si on ne peut pas encore comprendre le Fils unique comme l’âme de Dieu parce qu’il est venu lui-même dans ce lieu d’affliction et qu’il est descendu dans cette vallée de larmes, dans le lieu de notre humiliation, comme dit le psaume : Parce que tu nous as humiliés dans le lieu d’affliction. Je sais enfin que quelques-uns, commentant ce qui est dit par le Sauveur dans l’Évangile : Mon âme est triste jusqu’à la mort, l’ont interprété des apôtres ; il les avait appelés son âme parce qu’ils étaient meilleurs que le reste du corps. Puisque la multitude des croyants est dite le corps du Sauveur, ils ont soutenu qu’il fallait comprendre les apôtres comme son âme, parce qu’ils sont meilleurs que le reste de la multitude. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section

Mais pour y arriver selon un ordre convenable, il faut parler, ce me semble, de la résurrection afin de savoir la nature de ce qui ira soit au châtiment, soit au repos et à la béatitude : de tout cela nous avons discuté plus complètement dans d’autres livres, ceux que nous avons écrits sur la résurrection et nous y avons exprimé notre opinion. Mais maintenant il ne paraîtra pas absurde de revenir un peu sur le sujet à cause de la suite des idées, surtout parce que certains, des hérétiques principalement, trouvent dans la foi de l’Église occasion de scandale, pensant que notre foi dans la résurrection est stupide et complètement insensée. A mon avis il faut leur répondre ainsi : S’ils reconnaissent eux-mêmes qu’il y a une résurrection des morts, qu’ils nous répondent : Qu’est-ce qui est mort, sinon le corps ? Il y a donc une résurrection du corps. Qu’ils nous disent ensuite si nous utiliserons alors des corps ou non. Je pense que, puisque l’apôtre Paul a dit : Un corps animal est semé, un corps spirituel ressuscitera, ils ne peuvent refuser la résurrection du corps et que dans la résurrection nous nous servirons de corps. Qu’en est-il donc ? S’il est certain que nous utiliserons des corps et que ce sont les corps tombés qui se relèveront, selon la prédication apostolique – car on ne peut pas à proprement parler se relever si on n’est pas tombé auparavant -, il n’y a aucun doute que ce sont ces corps qui se relèveront pour que nous les revêtions à nouveau dans la résurrection. Les deux affirmations sont liées. Car si les corps ressuscitent c’est sans aucun doute pour nous revêtir, et s’il est nécessaire que nous soyons dans des corps – c’est effectivement nécessaire -, nous ne devons pas être dans d’autres corps que dans les nôtres. S’il est vrai que les corps ressusciteront et ressusciteront spirituels, il est clair qu’ils le feront après avoir rejeté la corruption et déposé la mortalité ; autrement il semblerait vain et superflu que quelqu’un ressuscite des morts pour mourir à nouveau. On peut assurément comprendre cela avec plus d’évidence si on considère soigneusement quelle est la qualité du corps animal, qui, semée en terre, se renouvelle dans la qualité du corps spirituel. Car du corps animal la puissance même de la résurrection et sa grâce tirent le corps spirituel, quand elles le font passer de l’indignité à la gloire. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Première section

Maintenant nous nous adres-sons à quelques-uns des nôtres qui, par suite de l’étroitesse de leur compréhension et par pauvreté d’expli-cation, donnent de la résurrection des corps une signification tout à fait basse et abjecte. Nous leur demandons comment ils entendent le changement que subira le corps animal, grâce à la résurrection, et la nature du corps spirituel futur : comment pensent-ils que ce qui est semé dans l’infirmité ressuscitera dans la force, que ce qui est semé dans l’obscurité ressuscitera dans la gloire, que ce qui est semé dans la corruption passera à l’incorruption ? S’ils croient ce que dit l’Apôtre, que le corps ressuscitant dans la gloire, la force et l’incorruptibilité sera désormais devenu spirituel, il paraît donc absurde, contraire à la pensée de l’Apôtre, qu’il soit de nouveau empêtré dans les passions de la chair et du sang, alors que l’Apôtre dit clairement : La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu et la corruption ne possédera pas l’incorruption. Comment conçoivent-ils aussi cette autre parole de l’Apôtre : Tous nous serons changés. Ce changement est à attendre selon la norme que nous avons exposée plus haut, qui nous permet sans aucun doute d’espérer une solution digne de la grâce divine. Nous pensons que cela se passera de la même manière que le simple grain de blé, ou celui d’autres plantes, qui, semé en terre, suivant la description de l’Apôtre, reçoit de Dieu le corps que Dieu veut, après la mort en terre de ce même grain de blé. Il faut en effet penser que nos corps aussi tomberont en terre comme le grain. Mais il y a en eux une raison qui maintient unie la substance corporelle ; bien que les corps soient morts, corrompus et dispersés, cette raison elle-même qui est toujours intacte dans la substance du corps, par l’action de la Parole de Dieu, relèvera ces corps de la terre, les reconstituera, les restaurera, de même que la force qui est dans le grain de blé, après sa corruption et sa mort, restaure et reconstitue le grain dans le corps de la paille et de l’épi. Et ainsi, pour ceux qui mériteront d’obtenir l’héritage du royaume des cieux, cette raison qui se trouve dans le corps à réparer, celle dont nous avons parlé plus haut, refait sur l’ordre de Dieu un corps terrestre et animal en un corps spirituel qui puisse habiter dans les cieux. Mais ceux qui auront été inférieurs ou même assez bas en mérite, bien mieux ceux qui auront été les derniers et les rejetés, recevront la gloire et la dignité du corps en proportion de la dignité de l’âme et de la vie de chacun, de telle sorte cependant que le corps de ceux qui sont destinés au feu éternel et aux supplices sera, certes, incorrompu par suite de la transformation opérée par la résurrection, mais pour que les supplices ne puissent le corrompre ni le détruire. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Première section

Pour que cela ne semble pas trop difficile à comprendre, on peut considérer les passions vicieuses qui s’emparent souvent des âmes, par exemple lorsqu’elles sont embrasées des flammes de l’amour, énervées par les feux de la jalousie ou de l’envie, agitées par une colère folle, consumées d’une tristesse sans bornes, et voir comment quelques-uns jugeant intolérables ces excès de maux ont préféré subir la mort que de supporter des tourments de cette sorte. On peut, certes, se demander si ceux qui ont été impliqués dans les malheurs et les vices indiqués plus haut, n’ont jamais pu trouver ici-bas le moin-dre adoucissement et ont laissé ce monde de cette façon, en seront quittes en ce qui concerne le châtiment avec les tourments que leur infligeront la continuation en eux de ces passions malfaisantes, colère, fureur, folie ou tristesse, quand aucun remède ou aucun adoucissement n’a apaisé en cette vie leur venin mortel, ou si, leurs passions ayant changé, ils seront torturés alors par les souffrances du châtiment commun aux pécheurs. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Seconde section

Après tout cela il faut penser qu’il ne s’écoulera pas un laps de temps de peu de durée jusqu’à ce que soit montrée après leur mort, aux hommes qui en sont dignes et l’ont mérité, la raison de ce qui se passe sur la terre pour que la connaissance de tous ces mystères et la grâce d’une science complète les fasse jouir d’une joie inénarrable. Alors s’il est vrai que l’air que voici, qui s’étend entre le ciel et la terre, n’est pas dépourvu d’êtres animés, et d’êtres animés raisonnables, d’après ces paroles de l’Apôtre : Vous avez vécu jadis dans ces péchés, selon ce siècle et ce monde, selon le prince qui a puissance sur l’air, sur l’esprit (le souffle) qui agit maintenant dans les fils de la désobéissance, ou d’après celles-ci : Nous serons ravis sur les nuées à la rencontre du Christ dans l’air et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur, il faut penser en conséquence que les saints y demeureront un certain temps pour connaître de deux manières la raison qui dispose ce qui se passe dans les airs. J’ai employé comme il suit l’expression « de deux manières » : tant que nous étions sur terre, par exemple, nous avons vu les animaux et les arbres, nous avons constaté leurs différences, ainsi que la diversité extrême qu’il y a parmi les hommes; mais en les voyant nous n’avons pas compris leurs raisons, seulement cette diversité que nous avons perçue nous a amenés à rechercher et à scruter pourquoi tous ces êtres ont été créés si différents ou sont gouvernés de façon variée ; après avoir conçu sur terre le goût et l’amour de cette connaissance, nous en recevrons après la mort la science et la compréhension, si cependant nous en avons le désir; lorsque nous aurons une intelligence complète de leurs raisons, alors nous comprendrons des deux manières ce que nous avons vu sur terre. Il faut parler de même de ce qui se passe dans le séjour aérien. Je pense en effet que les saints, en quittant cette vie, demeureront en un lieu situé sur la terre, celui que l’Écriture divine appelle le Paradis, comme dans un lieu d’instruction, ou, pour ainsi dire, un auditoire ou une école des âmes, pour être instruits de tout ce qu’ils ont vu sur la terre, pour recevoir aussi quelques indications sur les réalités qu’ils verront dans la suite. De la même façon, quand ils étaient encore en cette vie, ils ont conçu quelque idée des réalités futures, à travers un miroir, en énigme, certes, mais cependant en partie : ces réalités seront révélées de façon plus claire et plus lumineuse aux saints dans les lieux et temps convenables. Si quelqu’un, certes, a le coeur pur, l’intelligence plus limpide et la pensée plus exercée, il progressera plus rapidement, montera vite à travers l’espace aérien et parviendra aux royaumes des cieux à travers ce que l’on pourrait appeler les demeures d’étape de chaque lieu, que les Grecs ont nommées sphères, c’est-à-dire globes, et que l’Écriture divine nomme les cieux. Dans chacune il apercevra d’abord ce qui s’y passe et ensuite même la raison de ce qui s’y passe ; et ainsi il parcourra dans l’ordre chaque chose à la suite de celui qui a pénétré les cieux, Jésus fils de Dieu, qui a dit : Je veux que là oh je suis, ceux-ci soient avec moi. Il donne une idée de cette diversité de lieux quand il dit : Il y a beaucoup de demeures auprès du Père. Quant à lui il est partout et parcourt toutes choses : ne le comprenons plus désormais dans l’exiguïté qu’il a assumée à nos yeux pour nous, c’est-à-dire dans les limites étroites qui l’ont enserré quand il était sur terre dans notre corps parmi les hommes et qui peuvent faire penser qu’il est circonscrit dans un seul lieu. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section

Que bien vivre soit notre oeuvre et que Dieu nous le demande, non comme étant son oeuvre à lui ni celle de quelqu’un d’autre ou, comme certains le pensent, du destin, mais comme notre oeuvre à nous, le prophète Michée en témoignera en ces termes : S’il t’a été annoncé, homme, ce qu’est le bien, ou ce que Dieu demande de toi, pas autre chose que de pratiquer le jugement, d’aimer la miséricorde et d’être prêt à aller avec le Seigneur ton Dieu. De même Moïse : J’ai mis devant toi la voie de la vie et la voie de la mort: choisis le bien et marche dans sa voie. Ou encore Isaïe : Si vous le voulez et si vous m’écoutez, vous mangerez les biens de la terre; si vous ne le voulez pas et ne m’écoutez pas, un glaive vous dévorera; car la bouche du Seigneur a parlé ainsi. Et dans les Psaumes: Si mon peuple m’écoulait et si Israël avait marché dans mes voies, j’aurais réduit au néant leurs ennemis [et j’aurais mis la main sur ceux qui les persécutent]. Cela suppose qu’écouter et marcher dans les voies de Dieu est au pouvoir du peuple. Et le Seigneur, quand il dit : Moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Et : Celui qui s’emporte contre son frère sera coupable du jugement. Et : Si quelqu’un regarde une femme pour la convoiter, il a déjà commis l’adultère dans son coeur. Et par tous les autres commandements qu’il donne, il affirme qu’il est en notre pouvoir d’observer les préceptes et que nous serons à bon droit condamnés au jugement si nous les transgressons. C’est pourquoi, dit-il, celui qui entend mes paroles et les accomplit sera comparé à un homme sensé qui a bâti sa maison sur la pierre, etc. Celui qui entend, mais n’accomplit pas, est semblable à un fou qui a bâti sa maison sur le sable, etc. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Il faut voir maintenant selon les Écritures comment les puissances contraires et le diable lui-même combattent le genre humain, le provoquant et l’incitant au péché. D’abord le Livre de la Genèse rapporte que le serpent séduisit Eve ; dans l’Ascension de Moïse, livre que mentionne dans son épître l’apôtre Jude, l’archange Michel se disputant avec le diable au sujet du corps de Moïse dit que ce serpent, inspiré par le diable, fut cause de la prévarication d’Adam et d’Eve. Mais certains se demandent aussi quel est l’ange qui du ciel parle à Abraham en ces termes : Maintenant je sais que tu crains Dieu et que tu n’as pas épargné ton fils bien-aimé, que tu aimais, à cause de moi. Il est écrit clairement qu’il s’agit d’un ange, qui dit savoir alors qu’Abraham craignait Dieu et n’avait pas épargné son fils bien-aimé, comme l’Écriture le dit, mais il n’a pas déclaré (qu’Abraham avait fait cela) pour Dieu, mais pour lui, c’est-à-dire pour celui qui parlait ainsi. Il faut se demander aussi de qui parle l’Exode quand il est dit que ce personnage voulut tuer Moïse parce qu’il partait pour l’Egypte. Mais ensuite quel est l’ange dit exterminateur et celui qui est appelé dans le Lévitique apopompaeus, c’est-à-dire celui qui emporte, et dont l’Écriture dit : Un sort pour le Seigneur et un sort pour l’apopompaeus – c’est-à-dire pour celui qui emporte. Mais dans le premier Livre des Rois il est écrit qu’un esprit très mauvais suffoquait Saul. Dans le troisième Livre des Bois, le prophète Michée dit : J’ai vu le Dieu d’Israël siégeant sur son trône et toute la milice du ciel se tenait autour de lui à sa droite et à sa gauche. Et le Seigneur dit: Qui trompera Achab, roi d’Israël, pour qu’il monte et tombe à Ramot de Galaad. Et celui-ci parla ainsi et celui-là parla ainsi. Mais un esprit sortit (de la foule), se tint devant le Seigneur et dit: Je le tromperai. Et le Seigneur lui dit: Comment ? Il répondit: J’irai et je serai un esprit menteur dans la bouche de tous ses prophètes. Le Seigneur lui dit: Tu le tromperas, certainement tu le pourras ; va donc et agis ainsi. Et maintenant le Seigneur a mis un esprit menteur dans la bouche de tous tes prophètes ; et le Seigneur a appelé sur toi le mal. Cela montre clairement qu’un esprit a choisi avec toute sa volonté et son propos de tromper et d’opérer le mensonge, et que Dieu s’est servi de cet esprit pour la mort d’Achab qui méritait de souffrir tout cela. Dans le premier Livre des Paralipomènes : Le diable suscita un Satan en Israël et il poussa David à recenser le peuple. D’après les Psaumes, un ange malin écrase certaines personnes. Dans l’Ecclésiaste, Salomon dit : Si l’esprit de celui qui a le pouvoir monte sur toi, ne quitte pas ta place, parce que la guérison arrêtera des péchés nombreux. Nous lisons dans Zacharie que le diable se tenait à la droite de Jésus et lui résistait. Isaïe dit que le glaive de Dieu se lève sur le dragon, le serpent pervers. Que dirai-je d’Ézéchiel prophétisant très clairement dans sa seconde vision au prince de Tyr au sujet d’une puissance contraire, lui qui dit aussi que le dragon habite dans les fleuves d’Egypte ? Tout le livre qui parle de Job parle-t-il d’autre chose que du diable, demandant que lui soit donné pouvoir sur tout ce que possède Job, y compris ses fils, et même sur son corps. Et cependant, il est vaincu par la patience de Job. Dans ce livre, le Seigneur par ses réponses nous a instruits abondamment sur la puissance de ce dragon qui nous est hostile. Voici les textes de l’Ancien Testament qui ont pu pour le moment se présenter à notre mémoire : ils affirment que des puissances contraires sont mentionnées dans les Écritures, s’opposent au genre humain et seront finalement punies. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

A cause de cette puissance, assurément non humaine, qui agissait et parlait en lui, Paul disait : Je suis certain que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les principautés ni les puissances, ni le présent ni le futur, ni la force ni la hauteur ni la profondeur, ni aucune créature, ne pourra nous séparer de la charité de Dieu, qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. Je ne pense pas que la nature humaine laissée à elle seule pourrait entrer en lutte contre les anges, contre les hauteurs et les profondeurs, contre les autres créatures, mais lorsqu’elle aura senti le Seigneur présent en elle et y habitant, dans sa confiance en l’aide divine elle dira : Le Seigneur est ma lumière et mon salut, que craindrai-je ? Le Seigneur est le protecteur de ma vie, de quoi aurai-je peur ? Pendant que s’approchent de moi ceux qui veulent me nuire pour manger mes chairs, mes ennemis qui me tourmentent ont été pris de faiblesse et sont tombés. S’ils établissent contre moi un camp, mon coeur ne craindra pas; si une bataille s’engage contre moi, en celui-ci (le Seigneur) j’espérerai. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

Quelqu’un objectera que cela est dit de la nature du corps, mort selon sa nature propre, mais possédant à son avis une pensée ou une sagesse, ennemie de Dieu et luttant contre l’esprit, comme lorsqu’on prétend que la chair elle-même a de quelque façon une voix, qui proclame qu’elle ne veut pas avoir faim ou soif, qu’elle ne veut pas Livre III: Septième traité (III, 2-4): Troisième section

Telle est la disposition que Dieu a réalisée dans la suite, mais que déjà, dès l’origine du monde, il avait prise, ayant prévu les raisons et les causes, soit de ceux qui méritaient de venir dans des corps par suite de la défaillance de leur intelligence, soit de ceux qui étaient entraînés par le désir des réalités visibles, soit encore de ceux qui selon leur volonté ou sans le vouloir étaient obligés de remplir certains offices à l’égard de ceux qui étaient tombés dans cet état, et cela par celui qui les y soumettait dans l’espoir. Mais certains, sans comprendre ni voir que ces dispositions diverses avaient été prises par Dieu à la suite de causes antécédentes tenant au libre arbitre, ont pensé que tout ce qui se passe dans le monde était mené par des mouvements fortuits ou par une nécessité fatale et que rien ne dépendait de notre libre arbitre. Par là, ils n’ont pu montrer que la providence de Dieu était sans faute. Nous avons dit que toutes les âmes qui se sont trouvées dans ce monde ont eu besoin de beaucoup d’assistants, de directeurs, d’auxiliaires ; de même dans les derniers temps, alors que déjà la fin du monde était imminente et que tout le genre humain tournait à sa perte définitive, comme non seulement ceux qui étaient gouvernés, mais même ceux à qui avait été confié le soin de les gouverner, étaient atteints de faiblesse, le genre humain n’a plus eu besoin seulement d’une telle aide et de défenseurs semblables à lui, mais il a réclamé le secours de son auteur et créateur lui-même pour restaurer la discipline corrompue et profanée de l’obéissance chez les uns et de l’autorité chez les autres. C’est pourquoi le Fils Unique de Dieu, qui était la Parole et la Sagesse du Père lorsqu’il se trouvait auprès du Père dans cette gloire qu’il avait avant l’existence du monde, s’est anéanti lui-même et, prenant la forme de l’esclave, s’est fait obéissant jusqu’à la mort pour enseigner l’obéissance à ceux qui ne pouvaient pas obtenir le salut autrement que par l’obéissance, pour restaurer aussi les lois corrompues de l’art de gouverner et de régner, en soumettant tous ses ennemis sous ses pieds, et puisqu’il lui est nécessaire de régner jusqu’à ce qu’il ait mis ses ennemis sous ses pieds et qu’il ait détruit le dernier ennemi, la mort, pour apprendre à ceux qui gouvernent eux-mêmes les règles du gouvernement. Puisque donc, comme nous l’avons dit, il était venu restaurer la discipline non seulement de l’art de gouverner et de régner, mais aussi de celui d’obéir, accomplissant en lui-même ce qu’il voulait être accompli par les autres, il ne s’est pas fait seulement obéissant au Père jusqu’à la mort de la croix, mais aussi à la consommation du siècle, embrassant en lui-même tous ceux qu’il a soumis à son Père et qui par lui viennent au salut, il est dit qu’avec eux et en eux il se soumettra au Père, puisque tout subsiste en lui et qu’il est la tête de toute chose et qu’en lui se trouve la plénitude de ceux qui obtiennent le salut. C’est ce que dit de lui l’Apôtre : Lorsque tout lui sera soumis, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Je pense que cette expression attribuée à Dieu être tout en tout signifie aussi qu’il sera tout en chaque être. Il sera tout en chaque être en ce sens que tout ce qu’une intelligence raisonnable, purifiée de toutes les ordures des vices et nettoyée complètement de tous les nuages de la malice, peut sentir, comprendre et croire, tout cela sera Dieu, et elle ne fera rien d’autre que sentir Dieu, penser Dieu, voir Dieu, tenir Dieu, Dieu sera tous ses mouvements : et c’est ainsi que Dieu lui sera tout. Il n’y aura plus de discernement du mal et du bien, car il n’y aura plus de mal – Dieu en effet lui est tout, lui en qui il n’y a pas de mal – et celui-là ne désirera plus manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal qui est toujours dans le bien et à qui Dieu est tout. Si donc la fin restituée selon la condition initiale et la consommation des choses rapportée à leur début restaureront l’état qu’avait alors la nature raisonnable, quand elle n’avait pas besoin de manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, après avoir écarté tout sentiment de malice, l’avoir nettoyé pour parvenir à la propreté et à la pureté, celui-là seul qui est l’unique Dieu bon lui deviendra tout et il sera tout, non seulement en quelques-uns, ni en beaucoup, mais en tous, quand il n’y aura plus de mort, plus d’aiguillon de la mort, et absolument plus de mal : alors Dieu sera vraiment tout en tous. Mais cette perfection et cette béatitude des natures raisonnables, certains pensent qu’elle perdurera dans l’état dont nous avons parlé, c’est-à-dire celui où tous les êtres possèdent Dieu et où Dieu est pour eux tout, si leur union avec la nature corporelle ne les en éloigne pas du tout. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section

C’est pourquoi en effet même le dernier ennemi appelé la mort sera détruit selon ce qui est dit, de sorte qu’il n’y aura plus rien de funeste puisque la mort ne sera plus, ni de différent puisqu’il n’y aura plus d’ennemi. Il faut comprendre cette destruction du dernier ennemi non en ce sens que sa substance faite par Dieu périra, mais en celui que son propos et sa volonté d’inimitié, qui proviennent non de Dieu mais de lui-même, disparaîtront. Il est donc détruit, non pour qu’il n’existe plus, mais pour qu’il ne soit plus ennemi et mort. Rien en effet n’est impossible au Tout-Puissant, rien n’est inguérissable pour son créateur : il a fait toutes choses pour qu’elles existent ; et tout ce qui a été fait pour exister ne peut pas cesser d’exister. C’est pourquoi si elles subissent des changements et des diversités, c’est pour qu’elles se trouvent dans un état meilleur ou pire conformément à leurs mérites. Mais les êtres qui ont été faits par Dieu pour exister et durer ne peuvent recevoir une mort qui les atteigne dans leur substance. En effet, si l’opinion du vulgaire pense que des êtres ont péri, il ne s’ensuit pas que la règle de la foi et de la vérité accepte qu’ils aient péri. Enfin si notre chair périt après la mort, au jugement des ignorants et des incroyants, de telle sorte que rien ne reste absolument de sa substance selon ce qu’ils croient, nous, qui croyons à sa résurrection, nous comprenons seulement que la mort opère là un changement, mais nous sommes certains que sa substance subsiste et qu’à un certain moment, selon la volonté du créateur, elle sera de nouveau restaurée pour vivre et subira encore un changement : en effet, ce qui fut d’abord une chair terrestre venue de la terre, dissoute ensuite par la mort et de nouveau faite cendre et terre – car tu es terre, dit l’Écriture, et tu iras dans la terre – ressuscitera de la terre et après cela désormais, selon que le demandent les mérites de l’âme qui l’habite, progressera jusqu’à la gloire du corps spirituel. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section

Il faut penser que toute notre substance corporelle que voici sera menée à cet état, lorsque tout sera restauré pour être un et lorsque Dieu sera tout en tous. Il ne faut pas comprendre que tout cela s’accomplira d’un seul coup, mais peu à peu et par parties, à travers une succession de siècles sans fin et sans mesure, lorsque insensiblement et point par point l’amendement et la correction seront accomplis : les uns viendront en tête et tendront vers la perfection dans une course plus rapide, d’autres les suivront à une courte distance, d’autres enfin seront beaucoup plus loin ; ainsi à travers quantité de degrés innombrables constitués par ceux qui progressent et se réconcilient avec Dieu, d’ennemis qu’ils étaient auparavant, on parvient au dernier ennemi appelé mort et à sa destruction, pour qu’il ne soit plus ennemi. Lorsque toutes les âmes raisonnables auront été rétablies en cet état, alors la nature de notre corps que voici sera elle aussi menée à la gloire du corps spirituel. De même que, selon ce que nous voyons, parmi les natures raisonnables, celles qui ont vécu de façon indigne à cause de leurs péchés ne sont pas différentes de celles qui ont été invitées à la béatitude à cause de leurs mérites, mais nous voyons les âmes qui étaient auparavant pécheresses, à la suite de leur conversion et de leur réconciliation avec Dieu, appelées de nouveau à la béatitude, de même faut-il penser au sujet de la nature du corps : le corps dont nous nous servons maintenant avec sa grossièreté, sa corruption et son infirmité n’est pas autre que celui dont nous nous servirons alors dans l’incorruption, la force et la gloire, mais ce sera le même qui aura rejeté les infirmités dont il souffre maintenant et se sera changé en gloire, devenu spirituel, de sorte que ce qui avait été un vase d’indignité deviendra par sa purification un vase d’honneur et une demeure de béatitude. Il faut croire qu’il subsistera toujours et immuablement dans cet état par la volonté du créateur ; nous en voyons la garantie dans cette phrase de l’apôtre Paul : Nous avons une maison non faite de main d’homme, éternelle dans les deux. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section

Il y a eu certes beaucoup de législateurs chez les Grecs et les barbares, beaucoup de maîtres qui prêchaient des doctrines promettant la vérité ; nous ne connaissons cependant aucun législateur qui ait pu faire naître dans les autres nations le désir de recevoir ses paroles ; et alors que ceux qui promettaient de philosopher au sujet de la vérité y apportaient tout un appareil probatoire avec des démonstrations qui paraissaient raisonnables, aucun n’a pu répandre ce qu’il croyait la vérité dans des nations différentes ou même dans un nombre suffisant de gens appartenant à une seule nation. Et cependant les législateurs auraient bien voulu que les lois qui leur paraissaient bonnes aient autorité, si c’était possible, sur toute la race humaine, et les maîtres que ce qu’ils s’imaginaient être la vérité se soit répandu partout sur la terre. Mais comme ils ne pouvaient pas exhorter ceux qui parlaient d’autres dialectes ou appartenaient à de nombreuses nations à observer leurs lois et à recevoir leurs enseignements, ils n’ont même pas essayé de commencer à le faire, car, non sans raison, ils constataient qu’il leur était impossible d’y parvenir. En revanche, tout pays du monde, qu’il soit grec ou barbare, a des myriades de nos fidèles qui ont abandonné les lois paternelles et ceux qu’on croit être des dieux, pour observer les lois de Moïse et pour suivre en disciples les paroles de Jésus-Christ ; et cependant ceux qui se sont livrés à la loi de Moïse sont haïs de ceux qui adorent les statues, et ceux qui ont reçu la parole de Jésus-Christ risquent en outre, par suite de cette haine, une sentence de mort. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Première section

Si nous considérons comment, en très peu d’années, malgré les embûches qui menacent ceux qui professent le christianisme, malgré même la mort de certains, la spoliation d’autres, la Parole a pu, sans posséder des maîtres en abondance, être prêchée partout sur la terre, de sorte que Grecs et barbares, sages et insensés, se sont adjoints à la religion annoncée par Jésus, nous ne pouvons douter que ce fait est au-dessus des forces de l’homme, puisque Jésus a enseigné avec toute l’autorité et la force persuasive nécessaires pour que la Parole s’impose. Ainsi c’est à bon droit que nous pouvons considérer ses paroles comme des prédictions, par exemple : Fous serez conduits devant les rois et les chefs à cause de moi, pour rendre témoignage devant eux et devant les nations ; et : Beaucoup me diront ce jour-là : Seigneur ! Seigneur ! n’est-ce pas en ton nom que nous avons mangé, en ton nom que nous avons bu et en ton nom que nous avons chassé les démons ? Et je leur dirai: Eloignez-vous de moi, vous qui pratiquez l’injustice, jamais je ne vous ai connus. Il aurait pu être vraisemblable que cela ait été dit en vain, de sorte que ces paroles ne soient pas vraies ; mais lorsque a été réalisé ce qu’il a dit avec tant d’autorité, cela montre qu’il est véritablement Dieu, devenu homme pour donner aux hommes ses doctrines salutaires. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Première section

Qui sera assez sot pour penser que, comme un homme qui est agriculteur, Dieu a planté un jardin en Eden du côté de l’orient et a fait dans ce jardin un arbre de vie visible et sensible, de sorte que celui qui a goûté de son fruit avec des dents corporelles reçoive la vie? Et de même que quelqu’un participe au bien et au mal pour avoir mâché le fruit pris à cet arbre. Si Dieu est représenté se promenant le soir dans le jardin et Adam se cachant sous l’arbre, on ne peut douter, je pense, que tout cela, exprimé dans une histoire qui semble s’être passée, mais ne s’est pas passée corporellement, indique de façon figurée certains mystères. Quant à Caïn fuyant de devant la face de Dieu, selon l’avis clair des gens compétents, ce passage amènera celui qui réfléchit à se demander qu’est-ce que la face de Dieu et qu’est-ce que fuir de devant elle. Qu’y a-t-il à ajouter à cela ? Ceux dont l’intelligence n’est pas tout à fait obtuse peuvent recueillir bon nombre de choses semblables, qui sont représentées comme si elles s’étaient passées, alors qu’elles ne se sont pas passées littéralement. Mais les Évangiles aussi sont pleins d’expressions de cette espèce : le diable a porté Jésus sur une haute montagne pour lui montrer de là-haut les royaumes du monde entier et leur gloire. Quand on lit cela sans superficialité, ne blâmera-t-on pas ceux qui pensent qu’avec l’oeil du corps, qui a besoin d’une certaine hauteur pour apercevoir ce qui est placé plus bas, on peut voir les royaumes des Perses, des Scythes, des Indiens et des Parthes, et la gloire que leurs souverains reçoivent des hommes ? Celui qui cherche l’exactitude peut observer d’autres expressions semblables en très grand nombre dans les Évangiles et admettre que, dans les histoires qui se sont passées selon la lettre, sont tissées d’autres histoires qui ne se sont pas passées. Si nous en venons à la législation de Moise, nombreuses sont les lois, pour autant qu’on puisse l’observer par soi-même, qui manifestent des illogismes, ou même des impossibilités. Des commandements déraisonnables, lorsqu’il est interdit de manger des vautours, car même dans les plus grandes famines personne n’a été forcé par la pénurie d’en arriver à manger un tel animal. Lorsqu’il est ordonné d’exterminer de la race les enfants de huit jours qui n’ont pas été circoncis, il faudrait, s’il fallait qu’une telle législation ait été donnée au sens littéral, ordonner que leurs pères ou ceux qui les élèvent soient mis à mort. Or l’Écriture dit : Tout mâle incirconcis, qui n’a pas été circoncis le huitième jour, sera exterminé de la race. Si vous voulez voir des préceptes impossibles, remarquons que le tragélaphe est un animal qui ne peut pas exister, et cependant, puisqu’il est pur, Moïse ordonne de le prendre pour nourriture ; on ne dit pas que le griffon soit jamais tombé sous la main des hommes et cependant le législateur défend de le manger. A propos du sabbat dont on parle tant, si on réfléchit sur le précepte : Vous serez assis chacun dans sa maison; que personne ne quitte sa place le septième jour, il est impossible de l’observer selon la lettre, car aucun vivant ne peut rester assis toute la journée et demeurer sans mouvement après qu’il s’est assis. C’est pourquoi ceux qui appartiennent à la circoncision et tous ceux qui refusent de voir quelque chose de supérieur à la lettre n’ont jamais commencé à se poser des questions sur quelques points, comme en ce qui concerne le tragélaphe, le griffon et le vautour ; mais sur d’autres ils radotent, parlant beaucoup et inutilement, rapportant des traditions insipides, comme lorsqu’ils disent au sujet du sabbat que l’espace concédé à chacun pour ses déplacements est de deux mille coudées. D’autres, comme Dosithée le Samaritain, tout en blâmant de telles explications, pensent que l’on doit rester jusqu’au soir dans la position dans laquelle on a été surpris par le jour du sabbat. Mais il est impossible de ne pas lever de fardeau le jour du sabbat: c’est pourquoi les docteurs des Juifs en sont venus à des bavardages interminables, disant que tel genre de soulier est un fardeau mais non pas tel autre, que la sandale à clous est un fardeau et non celle qui n’en a pas, que ce qui est porté sur une épaule est un fardeau et non ce qui l’est sur les deux. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Peut-être, de même que ceux d’ici, quand ils meurent de la mort commune, obtiennent comme destin d’après ce qu’ils ont fait ici-bas, s’ils sont jugés dignes du lieu appelé Hadès, des endroits différents suivant le degré de leurs péchés, de même ceux de là-haut, pour ainsi dire, à leur mort descendent dans cet Hadès qui est ce monde-ci, jugés dignes d’occuper dans tout l’espace qui est autour de la terre, des habitacles divers meilleurs ou pires, ou chez tels ou tels parents : de sorte qu’il peut arriver à un Israélite de tomber chez les Scythes et à un Egyptien de descendre en Judée. Mais le Sauveur est venu rassembler les brebis perdues de la maison d’Israël : et beaucoup de ceux d’Israël n’ayant pas obéi à son enseignement, alors ceux des nations sont appelés. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

On ne doit pas penser que nous affirmons ainsi qu’il y avait dans le Christ une partie de la divinité du Fils de Dieu, le reste se trouvant ailleurs ou partout : ceux qui peuvent penser ainsi ignorent la nature de la substance incorporelle et invisible. Il est impossible de parler d’une partie de l’incorporel ou qu’il y ait en lui une division ; mais il est en tout et à travers tout et au-dessus de tout, de la manière indiquée plus haut, c’est-à-dire qu’il est compris comme Sagesse, Parole, Vie et Vérité, compréhension qui exclut sans aucun doute qu’il soit enfermé dans un lieu. Donc le Fils de Dieu, voulant se montrer aux hommes et vivre parmi eux pour le salut du genre humain, a reçu non seulement, comme certains le pensent, un corps humain, mais aussi une âme, semblable par sa nature aux nôtres, mais semblable à lui, le Fils, par son propos et sa vertu, de façon qu’elle puisse accomplir sans aucune défaillance toutes les volontés et tous les desseins de la Parole et de la Sagesse. Qu’il ait possédé une âme, le Sauveur lui-même l’affirme très clairement dans les Évangiles : Personne ne m’enlève mon âme, mais c’est moi qui la dépose de moi-même. J’ai le pouvoir de la déposer et j’ai le pouvoir de la reprendre. Et pareillement : Mon âme est triste jusqu’à la mort. Ou encore : Maintenant mon âme est troublée. Il ne faut pas entendre dans cette âme triste et troublée la Parole de Dieu, qui dit par contre avec l’autorité de la divinité : J’ai le pouvoir de déposer mon âme. Nous ne disons pas non plus que le Fils de Dieu se soit trouvé dans cette âme comme il fut dans les âmes de Paul, de Pierre ou des autres saints, dans lesquels on croit que le Christ a parlé comme en Paul. Mais de tous ceux-ci il faut penser ce que dit l’Écriture : Personne n’est pur de souillure, même si sa vie n’a duré qu’un jour. Mais au contraire l’âme qui fut en Jésus, avant de connaître le mal, a choisi le bien; et parce qu’elle a aimé la justice et haï l’iniquité, à cause de cela Dieu l’a ointe de l’huile d’allégresse plus que ses compagnes. Elle a été ointe de l’huile d’allégresse lorsqu’elle fut jointe à la Parole de Dieu par une union sans tache et, à cause de cela, seule de toutes les âmes, elle a été incapable de pécher, puisqu’elle a contenu le Fils de Dieu d’une manière bonne et pleine ; c’est pourquoi elle est un avec lui, on la nomme des mêmes vocables que lui et on l’appelle Jésus-Christ, par qui, dit l’Écriture, tout a été fait. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

D’autre part, considérons s’il ne paraît pas impie de dire que l’intelligence, capable de comprendre Dieu, puisse recevoir la mort dans sa substance : comme si le fait qu’elle puisse comprendre et penser Dieu ne pouvait pas suffire à lui conférer la perpétuité. D’autant plus que, même si l’intelligence peut tomber par négligence au point de ne pouvoir recevoir Dieu en elle avec pureté et intégrité, elle possède cependant toujours en elle comme des semences qui lui permettent de restaurer et de retrouver une meilleure compréhension, puisque l’homme intérieur, dit aussi raisonnable, est renouvelé selon l’image et la ressemblance de Dieu qui l’a créé. C’est pourquoi le prophète dit : Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui, et toutes les patries des nations l’adoreront en sa présence. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section