mondes (Orígenes)

Quant à ceux qui affirment une succession de mondes qui seraient sans différences et tout à fait semblables, je ne sais sur quels arguments ils s’appuient. Si en effet on se représente un monde parfaitement semblable à un autre monde, il sera tel qu’Adam ou Eve y referont tout ce qu’ils ont fait, qu’il y aura un nouveau déluge, que le même Moïse fera sortir une autre fois d’Egypte une population de six cent mille personnes ; Judas lui-même trahira deux fois son maître, Paul gardera une seconde fois les habits de ceux qui lapidaient Étienne, et tout ce qui s’est passé dans cette vie se passera à nouveau. Je ne vois pas avec quelles raisons on pourrait soutenir de telles affirmations, si les âmes possèdent un libre arbitre et sont l’origine de leurs progrès ou de leurs régressions selon le pouvoir de leur volonté. Les âmes ne sont pas déterminées à faire ou à désirer ceci ou cela par un mouvement qui revient sur lui-même suivant les mêmes cercles après beaucoup de siècles, mais elles dirigent le cours de leurs actes là où tendent librement leurs dispositions. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Les affirmations de ces gens-là sont comparables à celle de quelqu’un qui voudrait qu’il soit possible en jetant à terre une mesure de blé, que la chute des grains se produise une seconde fois d’une manière tout à fait semblable à la précédente, que tous les grains versés retrouvent les mêmes places que la première fois, suivant le même ordre et les mêmes figures que celles qu’ils formaient lorsqu’ils avaient été répandus auparavant : étant donné la quantité innombrable de grains contenus dans cette mesure, il est absolument impossible que cela se produise, même si on recommençait cette opération indéfiniment et continuellement à travers des siècles sans fin. Il me paraît également impossible qu’un monde puisse être rétabli une seconde fois dans le même ordre et la même manière en ce qui concerne les naissances, les morts et les actions ; mais c’est avec des changements non négligeables que des mondes divers peuvent exister, de sorte que des raisons manifestes rendent l’état d’un monde meilleur que celui d’un autre, ou selon les cas pire ou équivalent. Quant à ce qu’il en est du nombre et de la manière d’être de ces mondes, je reconnais mon ignorance. Si quelqu’un pouvait me le montrer, je l’apprendrais volontiers. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Après avoir discuté selon nos forces de ce qu’est le monde, il ne paraîtra pas inconvenant de rechercher ce que veut dire l’appellation de monde, que l’on trouve fréquemment dans les Écritures saintes avec diverses significations. Ce que nous appelons en latin mundus se dit en grec cosmos : cependant le mot cosmos ne signifie pas seulement monde, mais encore ornement. En effet, quand Isaïe réprimande les filles nobles de Sion, il dit : A la place de l’ornement d’or de ta tête, tu auras la calvitie à cause de tes oeuvres; ornement traduit le même mot que monde, c’est-à-dire cosmos. Il est dit aussi que dans le vêtement du grand-prêtre était contenue l’explication du monde, selon ce que nous trouvons dans la Sagesse de Salomon : Dans la longue robe des prêtres était le monde entier. On appelle aussi notre monde le cercle terrestre avec ses habitants, comme dans l’Écriture : Tout le monde est sous l’autorité du Malin. Clément, disciple des apôtres, rappelle ceux que les Grecs nomment les Antichthoniens et d’autres parties du cercle terrestre, où aucun de nous ne peut aller, ni aucun de ceux qui y habitent venir jusqu’à nous, et il les appelle aussi des mondes lorsqu’il dit : L’Océan ne peut être traversé par les hommes, ainsi que les mondes qui sont de l’autre côté et sont gouvernés par les mêmes dispositions du Dieu souverain. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

On appelle encore monde l’univers composé du ciel et de la terre, selon ces paroles de Paul : L’état de ce monde passera. Notre Seigneur et Sauveur désigne aussi un monde autre que le visible, qu’il est vraiment difficile de décrire et de caractériser. Il dit en effet : Je ne suis pas de ce monde. Comme s’il venait d’un autre monde, il affirme qu’il n’est pas de ce monde. Nous venons de dire qu’il est difficile d’exposer ce qu’est ce monde, de peur que quelques-uns n’y trouvent occasion de comprendre que nous affirmons par là l’existence de certaines images que les Grecs appellent idées : il est cependant tout à fait étranger à notre mode de penser de parler d’un monde incorporel qui n’a de consistance que dans l’imagination et sur le terrain glissant des pensées ; et je ne vois pas comment ils pourront affirmer que le Sauveur en vient et que les saints s’y rendront. Cependant il n’est pas douteux que le Sauveur nous indique par là quelque chose de plus éclatant et de plus splendide que le monde présent, et qu’il invite et exhorte ceux qui croient en lui à y aspirer. Ce monde en question, dont il veut donner la pensée, est-il séparé de celui-ci, très éloigné de lui par le lieu, la qualité et la gloire, ou bien le dépasse-t-il seulement en gloire et en qualité, tout en étant contenu dans les limites de ce monde, opinion qui me paraît plus vraisemblable, cela est incertain et, à mon avis, étranger aux pensées et aux compréhensions humaines. Cependant des indications que semble donner Clément par ces paroles : L’Océan ne peut être traversé par les hommes, ainsi que les mondes qui sont au delà de lui, en parlant au pluriel des mondes qui sont au delà de lui et qu’il représente dirigés et régis par la même providence du Dieu suprême, paraissent venir à nous quelques germes de compréhension, nous suggérant que tout l’univers de ce qui est et existe, des réalités célestes et supracélestes, terrestres et infernales, forme au sens général un seul monde parfait, dans lequel et par lequel les autres, s’il y en a, sont contenus. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

De là certains soutiennent que les globes de la lune, du soleil ou des autres astres appelés planètes sont chacun nommés un monde ; mais ils veulent néanmoins appeler un monde au sens propre le globe qui les dépasse, celui des étoiles fixes. Ils invoquent, comme témoignage de cette assertion, le livre du prophète Baruch qui indique plus clairement les sept mondes ou cieux. Ils veulent que, au-dessus de cette sphère qu’ils appellent la sphère des étoiles fixes, il y en ait une autre qui, de même que chez nous le ciel contient tout ce qui est au-dessous de lui, renfermerait, selon leur opinion, dans sa grandeur sans mesure et son étreinte ineffable, les espaces de toutes les autres sphères, les entourant magnifiquement. Ainsi toutes choses seraient à l’intérieur de cette sphère de la même manière que notre terre est au-dessus du ciel. Ce que les Écritures saintes nomment, nous le croyons, bonne terre et terre des vivants, a pour ciel ce dont nous avons parlé plus haut, le ciel où, selon la parole du Sauveur, sont écrits ou ont été écrits les noms des saints, et ce ciel renferme et embrasse cette terre que le Sauveur dans l’Évangile a promis aux paisibles et aux doux. Les mêmes veulent que notre terre, dont l’appellation première était l’aride, ait tiré son nom de cette terre-là, de même que le firmament, notre ciel, a été désigné du même terme que ce ciel-là. Mais nous avons traité plus complètement de cela lorsque nous avons recherché le sens de la phrase : Dans le principe Dieu a fait le ciel et la ferre. Par là sont désignés un autre ciel et une autre terre que le firmament qui a été fait, selon l’Écriture, deux jours après et que l’aride qui a été ensuite nommée terre. Traité des Principes: Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes

Mais on nous objecte d’ordinaire : Si le monde a commencé dans le temps, que faisait Dieu avant que le monde ne commence ? Dire que la nature de Dieu est oisive et immobile est à la fois impie et absurde, de même que penser qu’il fut un temps où la bonté ne faisait pas le bien et où la toute-puissance n’exerçait pas sa domination. On nous fait couramment cette objection quand nous disons que le monde a commencé à un certain temps et quand nous comptons les années de sa durée selon le témoignage de l’Écriture. A ces propositions je ne crois pas qu’un hérétique pourrait facilement répondre en gardant la logique de sa doctrine. Mais nous, nous répondrons logiquement en restant fidèles à la règle de la piété : ce n’est pas lorsque Dieu a fait ce monde visible qu’il a commencé à travailler, mais de même qu’après la corruption de ce monde il y en aura un autre, de même, avant que celui-ci soit, il y en a eu, croyons-nous, d’autres. Ces deux points seront confirmés par l’autorité de l’Écriture divine. Isaïe enseigne qu’après ce monde il y en aura un autre : Il y aura un monde nouveau et une terre nouvelle, que je ferai subsister toujours devant ma face, dit le Seigneur. Et l’Ecclésiaste montre qu’avant ce monde il y en eut d’autres : Qu’est-ce qui a été fait ? La même chose que ce qui sera. Et qu’est-ce qui a été créé ? La même chose que ce qui sera créé. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Si quelqu’un dit: voilà cela qui est nouveau. Mais cela a déjà été dans les siècles qui nous ont précédés. Les témoignages prouvent les deux points, que des siècles ont existé avant nous et que des siècles existeront après nous. Il ne faut pas penser que plusieurs mondes ont existé à la fois, mais qu’après celui-ci cependant suivra celui-là : à ce sujet il n’est pas nécessaire de tout reprendre dans le détail, car nous l’avons fait plus haut. Traité des Principes: Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section