Voyons comment il prétend dénigrer la morale sous ce grief : Elle est banale et, par rapport aux autres philosophes, n’enseigne rien de vénérable ni de neuf. A quoi il faut répondre : ceux qui admettent un juste jugement de Dieu auraient repoussé le châtiment qui menace les pécheurs, si tous les hommes n’avaient pas, en vertu des notions communes, une saine prénotion dans le domaine de la morale. Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant que le même Dieu ait semé dans les âmes de tous les hommes ce qu’il a enseigné par les prophètes et le Sauveur ; cela, pour que chaque homme soit sans excuse au jugement divin, car il a l’exigence de la loi inscrite dans son coeur. La Bible l’insinua, en un passage que les Grecs tiennent pour un mythe, en représentant que Dieu a écrit de son propre doigt les commandements et les a donnés à MOÏSE. La malice de ceux qui fabriquèrent le veau d’or les brisa : ce qui veut dire que le débordement du péché les a submergés. Mais Dieu les écrivit une seconde fois et les redonna après que MOÏSE eut taillé des tables de pierre : comme si la prédication prophétique disposait l’âme, après la première faute, à une seconde écriture de Dieu. LIVRE I
Celse pense qu’il existe entre maints peuples une parenté dans la même doctrine. Il énumère tous ceux qui auraient tenu cette doctrine à l’origine. Mais je ne sais pourquoi il calomnie les seuls Juifs et n’ajoute pas leur peuple à la liste des autres, puisqu’il a partagé avec eux les mêmes labeurs, des sentiments identiques, des doctrines en bien des points semblables. Aussi convient-il de lui demander pourquoi donc il a cru aux histoires des barbares et des Grecs sur l’antiquité des peuples qu’il mentionne, tandis qu’il accuse de mensonge les histoires de ce seul peuple. Car si chacun a sincèrement raconté le passé de son peuple, pourquoi refuser de croire aux seuls prophètes des Juifs ? Et si c’est par complaisance pour leur doctrine propre que MOÏSE et les prophètes ont écrit bien des traits de leur histoire, pourquoi ne pas en dire autant des historiens des autres peuples ? Les Egyptiens qui vilipendent les Juifs dans leur histoire seraient-ils dignes de foi, et les Juifs qui accusent de même façon les Egyptiens quand ils rappellent les nombreuses vexations qu’ils en ont subies et y voient la raison de leur punition par Dieu, seraient-ils coupables de mensonge ? Et ce n’est pas des seuls Egyptiens qu’il faut le dire : on trouvera un conflit des Assyriens contre les Juifs et, qui plus est, relaté dans les archives assyriennes. Et de même les historiens juifs — pour ne pas sembler préjuger en disant : les prophètes — ont désigné les Assyriens comme leurs ennemis. Voilà bien l’arbitraire de cet homme : il croit ces peuples sages et condamne les Juifs comme totalement insensés ! Entends Celse en effet nous dire :” Il est une doctrine d’une haute antiquité, toujours maintenue par les peuples les plus sages, les villes, les sages”. Et il n’a pas voulu qualifier les Juifs “de peuple très sage” au même titre que “les Egyptiens, les Assyriens, les Indiens, les Perses, les Odryses, les habitants de Samothrace et d’Eleusis”. LIVRE I
Mais je m’étonne que Celse ait classé “les Odryses, les habitants de Samothrace et d’Eleusis, les Hyperboréens parmi les peuples les plus anciens et les plus sages”, et qu’il n’ait daigné admettre les Juifs ni avec les sages ni avec les anciens. Bien des ouvrages circulent en Egypte, en Phénicie, en Grèce qui témoignent de leur antiquité, mais j’ai jugé superflu de les citer. Tout le monde peut lire les deux livres de Flavius Josèphe sur “l’Antiquité des Juifs”, où il mentionne une importante collection d’écrivains qui attestent l’antiquité judaïque. On cite encore le “Discours aux Grecs” de Tatien le Jeune, très savant compilateur des historiens de l’antiquité des Juifs et de MOÏSE. Celse paraît donc avoir écrit cela sans souci de la vérité, mais par malveillance, pour attaquer l’origine du christianisme, qui dépend du judaïsme. Il dit de plus : “Les Galactophages d’Homère, les Druides de la Gaule, les Gètes sont des peuples antiques et de haute sagesse qui professent des doctrines apparentées à celle des Juifs”. En trouve-t-on des écrits, je l’ignore. Mais aux seuls Juifs il dénie autant qu’il peut l’antiquité et la sagesse. LIVRE I
De nouveau, dressant la liste “des sages anciens qui ont bien mérité de leurs contemporains et, par leurs écrits, de la postérité”, il exclut MOÏSE de la liste des sages. De Linos pourtant, qu’il nomme en tête, nulle loi, nulle doctrine n’existe qui ait converti et amélioré des nations ; tandis que les lois de MOÏSE, un peuple entier les transmet, répandu par toute la terre. Vois donc si ce n’est point pure méchanceté que d’avoir exclu jusqu’à MOÏSE de sa liste de sages ! Mais “Linos, Musée, Orphée, Phérécyde, le Perse Zoroastre et Pythagore ont traité de ces questions, et leurs doctrines sont consignées dans des livres et ont été conservées jusqu’à ce jour”. LIVRE I
Il a délibérément passé sous silence la légende des dieux supposés, aux passions tout humaines, due principalement aux poèmes d’Orphée. Mais ensuite, dans sa critique de l’histoire de MOÏSE, il accuse ceux qui en donnent une interprétation figurée et allégorique. On pourrait riposter à cet auteur illustre qui a intitule son livre “Discours véritable” quoi donc, mon brave, des dieux s’engagent dans des aventures telles que les décrivent tes sages poètes et philosophes, ils se livrent à des unions maudites, entrent en guerre contre leurs pères, leur tranchent les organes virils, et tu prends au sérieux l’histoire qui rapporte leur audace à commettre et a souffrir ces forfaits ! Mais lorsque MOÏSE ne dit rien de tel sur Dieu, ni même sur les saints anges, et qu’il raconte sur les hommes de bien moindres méfaits — chez lui personne n’a les audaces de Cronos envers Ouranos, ni celles de Zeus envers son père, sans ajouter que « le père des dieux et des hommes » s’est uni à sa fille —, on pense qu’il égare ceux qu’il a trompés en leur donnant sa loi. Celse me semble agir à peu près comme le Thrasymaque de Platon, qui ne permet point à Socrate de répondre à sa guise sur la justice, mais déclare : « Garde-toi de dire que le juste c’est l’utile, l’obligatoire ou quoi que ce soit de semblable » Lui aussi, lorsqu’il accuse, croit-il, les histoires de MOÏSE et qu’il blâme ceux qui les interprètent en allégories tout en les louant d’être les plus raisonnables, il voudrait bien, après son accusation fantaisiste, empêcher ceux qui le peuvent de répondre comme le demande la nature des choses. LIVRE I
Je pourrais l’inviter à comparer nos livres respectifs et dire : Allons, mon brave, apporte les poèmes de Linos, de Musée, d’Orphée, les écrits de Pherecyde, et confronte-les avec la loi de MOÏSE. Mets en parallèle les histoires avec les histoires, les préceptes de morale avec les lois et les commandements. Et vois lesquels d’entre eux sont plus capables de convertir d’emblée ceux qui les entendent, et lesquels d’entre eux de faire périr l’auditeur. Et remarque combien la cohorte de tes auteurs s’est peu inquiétée de ceux qui liraient sans préparation , c’est pour les seuls gens capables d’interprétation figurée et allégorique, qu’elle a écrit, dis-tu, sa propre philosophie. MOÏSE, au contraire, à procédé dans ses cinq livres comme un rhéteur de race qui soigne son style et veille a présenter partout le double sens des mots à la foule des Juifs soumis à ses lois, il ne donne pas d’occasions d’un dommage moral , à l’élite capable d’une lecture pénétrante, il ne présente pas de texte qui ne soit plein de spéculation pour qui peut chercher son intention profonde. Et les livres de tes sages poètes, à ce qu’il semble, ne sont même plus conservés, on les eût conservés si le lecteur en avait tiré profit. Mais les écrits de MOÏSE ont incité un grand nombre de gens, même étrangers à la culture juive, à croire, comme le proclament les écrits, que le premier auteur des lois données à MOÏSE, c’est Dieu le créateur du monde. Il convenait en effet que l’artisan de tout l’univers imposât ses lois à tout l’univers et donnât à ses paroles une puissance capable d’en soumettre tous les habitants. Et cela, je l’affirme sans traiter encore de Jésus, mais toujours de MOÏSE, qui est bien inférieur au Seigneur, et je montre, comme l’argument le prouvera, que MOÏSE est bien supérieur a tes sages poètes et philosophes. LIVRE I
Ensuite, dans le secret dessein de calomnier le récit de la création d’après MOÏSE, qui révèle que le monde n’a pas encore dix mille ans, tant s’en faut, Celse prend parti, tout en cachant son intention, pour ceux qui disent que le monde est incréé. Car en disant : “Il y eut de toute éternité bien des embrasements, bien des déluges, dont le plus récent est l’inondation survenue naguère au temps de Deucalion”, il suggère clairement à ceux qui sont capables de le comprendre que, selon lui, le monde est incréé. Mais qu’il nous dise, cet accusateur de la foi chrétienne, par quels arguments démonstratifs il a été contraint d’admettre qu’il y eut bien des embrasements, bien des déluges, et que les plus récents de tous furent l’inondation du temps de Deucalion et l’embrasement du temps de Phaéton ! S’il produit à leur sujet les dialogues de Platon, nous lui répondrons : à nous aussi il est permis de dire que dans l’âme pure et pieuse de MOÏSE, élevé au-dessus de tout le créé et uni au Créateur de l’univers, résidait un esprit divin qui fit connaître la vérité sur Dieu bien plus clairement que Platon et les sages grecs ou barbares. Et s’il nous demande des raisons de cette foi, qu’il nous en donne le premier de ce qu’il avance sans preuves, ensuite nous prouverons que nos affirmations sont fondées. LIVRE I
Cependant, même malgré lui, Celse en est venu à témoigner que le monde est plus récent et qu’il n’a pas encore dix mille ans, quand il dit : “Les Grecs tiennent ces événements pour antiques, car de plus anciens, ils n’en ont, du fait des déluges et des embrasements, ni observé, ni conservé de souvenirs”. Libre à Celse d’avoir, pour lui enseigner le mythe des embrasements et des inondations, les Egyptiens, gens, à son dire, d’une haute sagesse ! Sagesse dont les vestiges sont des animaux sans raison qu’ils adorent et des arguments qui prouvent que le culte ainsi rendu à la divinité est raisonnable et relève du secret et des mystères ! Ainsi quand les Egyptiens, pour vanter leur doctrine sur les animaux, apportent des raisons théologiques, les voilà devenus des sages. Mais, qu’on admette la loi et le législateur des Juifs, qu’on rapporte tout au Dieu unique, créateur de l’univers, on est moins considéré, aux yeux de Celse et de ses semblables, que si on ravale la divinité non seulement aux vivants raisonnables et mortels, mais encore aux êtres privés de raison, ce qui dépasse le mythe de la métensomatose concernant l’âme qui tombe de la voûte du ciel et descend jusqu’aux animaux sans raison, non seulement les animaux domestiques mais les bêtes les plus féroces. Et si les Egyptiens développent des mythes, c’est, croit-on, philosophie par énigmes et mystères ; mais si MOÏSE, qui écrit des histoires pour toute sa nation, lui laisse des récits et des lois, ses paroles, pense-t-on, sont fables vides et n’admettent pas d’allégorie ! . Voilà l’opinion de Celse et des Epicuriens. LIVRE I
“C’est donc cette doctrine, dit-il, courante chez les nations sages et les hommes illustres, que MOÏSE a connue par oui-dire et qui lui valut un nom divin”. A supposer que MOÏSE ait appris une doctrine plus ancienne et l’ait transmise aux Hébreux, il faut répondre : si, apprenant une doctrine mensongère, sans sagesse ni sainteté, il l’a acceptée et transmise à ses sujets, il est blâmable. Mais si, comme tu dis, il a donné son adhésion à des doctrines sages et vraies, et a fait l’éducation de son peuple grâce à elles, est-ce un acte qui mérite accusation ? Plût au ciel qu’Épicure, qu’Aristote un peu moins impie envers la providence, que les Stoïciens qui font de Dieu un être corporel, aient appris cette doctrine ! Le monde n’eût pas été plein d’une doctrine qui rejette ou coupe en deux la providence ; ou qui introduit un premier principe corruptible, corporel, en vertu duquel Dieu même est un corps pour les Stoïciens : ils n’ont pas honte de le dire susceptible de changement, d’altération intégrale, de transformation, bref, capable de corruption s’il avait un agent corrupteur, mais ayant la chance de n’être pas corrompu parce qu’il n’y a rien qui le corrompe. Mais la doctrine des Juifs et des chrétiens, qui garde l’invariabilité et l’immutabilité de Dieu, est tenue pour impie, parce qu’elle n’est pas complice de ceux qui ont sur Dieu des pensées impies : elle qui dit dans ses prières à la divinité : « Mais toi, tu es toujours le même », et qui croit que Dieu a dit : « Je ne change pas ». LIVRE I
Après cela, sans critiquer la circoncision qui est en usage chez les Juifs, il déclare qu’elle est venue des Egyptiens. Il a cru aux Egyptiens plus qu’à MOÏSE, selon qui le premier des hommes à être circoncis fut Abraham. Mais MOÏSE n’est pas le seul à rapporter le nom d’Abraham et sa familiarité avec Dieu. Maints charmeurs de démons emploient dans leurs formules l’expression « le Dieu d’Abraham » ; ils obtiennent de l’effet par la vertu du nom et de la familiarité entre Dieu et son juste. C’est pourquoi ils adoptent l’expression « le Dieu d’Abraham », sans savoir qui est Abraham. Il faut en dire autant d’Isaac, de Jacob et d’Israël : bien que ces noms, de l’aveu de tous, soient hébreux, les Egyptiens qui se targuent d’un pouvoir magique en parsèment fréquemment leurs formules. Mais, le sens de la circoncision, pratique inaugurée par Abraham, abrogée par Jésus qui ne voulait pas que ses disciples l’observent, n’a pas à être exposé pour l’instant. Il s’agit non pas d’instruire à ce sujet, mais de lutter pour détruire les griefs lancés contre la doctrine des Juifs par Celse ; car il pense montrer plus vite que le christianisme est faux s’il en établit la fausseté par l’attaque de sa source dans le judaïsme. LIVRE I
Ensuite, Celse prétend que sous “la conduite de MOÏSE leur chef, des gardeurs de chèvres et de moutons, l’esprit abusé d’illusions grossières, ont cru qu’il n’y a qu’un seul Dieu”. Qu’il nous montre alors comment, si des gardeurs de chèvres et de moutons, sans motif raisonnable, d’après lui, se sont détournés du culte des dieux, il peut lui-même justifier la multitude des dieux honorés chez les Grecs et les autres peuples barbares. Qu’il montre alors l’existence et la réalité de Mnémosyne rendue par l’action de Zeus mère des Muses, et celle de Thémis, mère des Heures. Qu’il établisse que les Grâces peuvent réellement avoir existé toujours nues. Mais il ne pourra montrer par les faits que les fictions des Grecs, qui semblent bien être des personnifications, sont des dieux. En quoi la mythologie religieuse des Grecs est-elle plus vraie, par exemple, que celle des Egyptiens qui ne connaissent dans leur langue ni Mnémosyne mère des neuf Muses, ni Thémis mère des Heures, ni Eurynome mère des Grâces, ni le nom des autres ? Combien plus efficace et supérieure à toutes ces fantaisies est la persuasion, par ce qui est visible, du bon ordre du monde et l’adoration de l’artisan unique d’un monde qui est un, en harmonie avec la réalité totale ; qui ne peut, en conséquence, avoir été l’oeuvre de plusieurs démiurges, ni être maintenu par plusieurs âmes mouvant l’ensemble du ciel. Une seule, en effet, suffît, portant tout le firmament du levant au couchant, contenant en elle-même tout ce qui est nécessaire au monde mais n’a pas sa fin en soi. Toutes choses sont parties du monde, mais Dieu n’est point partie du tout ; car Dieu ne doit pas être imparfait comme la partie est imparfaite. Mais sans doute un raisonnement plus profond montrerait-il que, en rigueur de termes, Dieu n’est pas plus un tout qu’il n’est une partie, puisque le tout est fait de parties. Et la raison ne permet pas d’admettre que le Dieu suprême soit fait de parties dont chacune ne peut faire ce que peuvent les autres. LIVRE I
Voyons comment Celse qui se vante de tout savoir accuse calomnieusement les Juifs, quand il dit : “Ils honorent les anges et s’adonnent à la magie à laquelle les initia MOÏSE”. Où donc a-t-il trouvé dans les écrits de MOÏSE que le législateur ait prescrit d’honorer les anges, qu’il le dise, lui qui proclame savoir les doctrines des chrétiens et des Juifs ! De plus, comment la magie peut-elle exister chez ceux qui ont reçu la loi de MOÏSE et qui lisent : « N’ayez pas de commerce avec les magiciens, car ils vous souilleraient». » ? Il promet ensuite “qu’il enseignera comment les Juifs aussi, bernés par ignorance, sont tombés dans l’erreur”. S’il reconnaissait que l’ignorance des Juifs sur Jésus-Christ venait de leur refus d’écouter les prophéties à son sujet, il aurait vraiment montré comment les Juifs sont tombés dans l’erreur ; mais en fait, parce qu’il n’a même pas voulu se représenter cela, il prend pour une erreur des Juifs ce qui n’est pas une erreur. LIVRE I
Puisqu’on vient de toucher à la question des prophètes, ce qui va suivre ne sera pas inutile, non seulement pour les Juifs qui croient que les prophètes ont parlé par l’esprit divin, mais même pour les Grecs de bonne foi. Je leur dirai qu’il est nécessaire d’admettre que les Juifs aussi ont eu des prophètes, puisqu’ils devaient être maintenus rassemblés sous la législation qui leur a été donnée, croire au Créateur selon les traditions qu’ils avaient reçues, et n’avoir, en vertu de la loi, aucun prétexte de passer par apostasie au polythéisme des païens. Et cette nécessité, je l’établirai ainsi. « Les païens », comme il est écrit dans la loi même des Juifs, « écouteront augures et devins », tandis qu’à ce peuple il est dit : « Mais tel n’a pas été pour toi le don du Seigneur ton Dieu » ; et il est ajouté : « Le Seigneur ton Dieu suscitera pour toi parmi tes frères un prophète. » Les païens usaient de divinations par les augures, les présages, les auspices, les ventriloques, les aruspices, les Chaldéens tireurs d’horoscopes, toutes choses interdites aux Juifs ; les Juifs dès lors, s’ils n’avaient eu aucune consolation de connaître le futur, sous la poussée de cet insatiable appétit humain de connaître l’avenir, auraient méprisé leurs propres prophètes comme n’ayant en eux rien de divin, et n’auraient pas reçu de prophètes après MOÏSE, ni inscrit leurs paroles dans les Écritures, mais se seraient tournés spontanément vers la divination et les oracles des païens ou auraient tenté d’établir chez eux quelque chose de semblable. Aussi n’y a-t-il rien d’étrange à ce que leurs prophètes aient fait des prédictions même sur des événements quotidiens, pour la consolation de ceux qui désiraient de tels oracles : ainsi la prophétie de Samuel même sur des ânesses perdues, et celle qu’on mentionne dans le troisième livre des Rois, sur la maladie du fils du roi. Sinon, comment ceux qui veillaient à l’observation des commandements de la loi auraient-ils condamné le désir d’obtenir un oracle des idoles ? C’est ainsi qu’on trouve Élie faisant à Ochosias cette réprimande : « N’y a-t-il pas de Dieu en Israël que vous alliez consulter en Baal une mouche, dieu d’Akkaron ? » LIVRE I
Et cela, je le dis au Juif, non que je refuse, moi chrétien, de croire à Ezéchiel et à Isaïe, mais pour lui inspirer de la honte grâce à ces prophètes auxquels nous croyons comme lui : car Jésus est bien plus digne de foi lorsqu’il a dit avoir eu cette vision, et qu’il a raconté aux disciples, comme c’est probable, la vision qu’il a vue et la voix qu’il a entendue. Une autre objection pourrait être que ceux qui ont mentionné par écrit la forme de la colombe et la voix céleste n’ont pas tous entendu Jésus leur faire ce récit. Mais l’Esprit qui enseigna à MOÏSE l’histoire plus ancienne que lui, celle qui commence à la création et va jusqu’au récit d’Abraham son ancêtre, enseigna de même aux évangélistes le miracle survenu au moment du baptême de Jésus. Celui qui a été orné du charisme qu’on appelle « discours de sagesse » » expliquera encore la raison de l’ouverture du ciel et de la forme de la colombe, et pourquoi le Saint-Esprit n’apparut point à Jésus sous la forme d’un autre être vivant que celui-là. Mais la raison ne demande pas de m’en expliquer ici : mon propos est de prouver que Celse n’a pas été judicieux d’attribuer à un Juif, avec de telles paroles, un manque de foi en un fait plus vraisemblable que ceux auxquels il croit. LIVRE I
Je me souviens d’avoir un jour, dans une discussion avec des Juifs dont on vantait la science, en présence de nombreux juges pour dirimer le débat, employé un argument de ce genre : « Dites-moi, mes amis : deux personnes sont venues au genre humain, dont on a relaté des prodiges bien au-dessus de la nature humaine ; je veux dire MOÏSE votre législateur qui a écrit sa propre histoire, et Jésus notre maître qui n’a laissé aucun livre sur lui mais à qui ses disciples rendent témoignage dans les Evangiles. Quel arbitraire de croire que MOÏSE dit la vérité, bien que les Egyptiens l’aient accusé d’être un sorcier qui semble avoir fait ses miracles par sorcellerie, mais de ne pas croire Jésus, puisque vous l’accusez ! A tous deux, des peuples rendent témoignage ; les Juifs, à MOÏSE ; et les chrétiens, loin de nier la mission prophétique de MOÏSE, partent de là pour prouver la vérité sur Jésus, acceptent comme vraies les histoires miraculeuses que racontent de lui ses disciples. Si donc vous nous demandez la raison de notre foi en Jésus, donnez d’abord celle de votre foi en MOÏSE, puisqu’il a vécu avant lui, ensuite nous vous donnerons celle de notre foi en lui ; si vous vous dérobez et refusez les preuves au sujet de MOÏSE, alors pour l’instant nous faisons comme vous et ne fournissons pas de preuves. Avouez néanmoins que vous n’avez pas de preuve à offrir pour MOÏSE, et écoutez les preuves tirées de la loi et des prophètes en faveur de Jésus. Bien plus, l’étonnant est que les preuves qui valent pour Jésus dans la loi et les prophètes prouvent aussi que MOÏSE et les prophètes étaient des prophètes de Dieu. » LIVRE I
Après cela, je ne sais comment, le point capital de la démonstration de Jésus, à savoir qu’il a été prédit par les prophètes juifs, par MOÏSE et ceux qui lui ont succédé, voire par ceux qui l’ont précédé, est volontairement omis par lui, incapable qu’il était, je crois, de réfuter l’argument : car ni les Juifs, ni aucune de toutes leurs sectes n’ont nié que Jésus ait été prédit. Mais peut-être ne connaissait-il même pas les prophéties ; s’il avait compris ce qu’affirment les chrétiens, que de nombreux prophètes ont prédit la venue du Sauveur, il n’aurait pas attribué au personnage du Juif des paroles qui conviennent mieux à un Samaritain ou un Sadducéen. Et ce ne pourrait être un Juif, celui qui a dit dans son discours fictif : ” Mais mon prophète a dit un jour à Jérusalem que le Fils de Dieu viendrait rendre justice aux saints et châtier les pécheurs “. Car ce n’est pas un prophète unique qui a prophétisé sur le Christ. Et même si les Samaritains et les Sadducéens, qui acceptent les seuls livres de MOÏSE, affirment que le Christ y est prophétisé, ce n’est certes point à Jérusalem, qui n’est pas encore nommée au temps de MOÏSE, que la prophétie a été dite. Plût donc au ciel que tous les accusateurs de l’Évangile soient d’une égale ignorance non seulement des faits, mais des simples textes de l’Écriture, et qu’ils attaquent le christianisme sans que leur discours ait la moindre vraisemblance capable d’éloigner, je ne dis pas de leur foi, mais de leur peu de foi, les gens instables qui croient ” pour un temps “. Mais un Juif ne proclamerait pas qu’un prophète a dit que le Fils de Dieu viendrait, car ce qu’ils disent, c’est que viendra le Christ de Dieu. Bien plus, souvent, ils nous posent directement des questions sur le titre de Fils de Dieu, disant qu’un tel être n’existe pas et n’a pas été prophétisé. Et je ne veux pas dire que le Fils de Dieu n’est pas prédit par les prophètes, mais que c’est faire une attribution en désaccord avec le personnage d’un Juif, incapable de rien dire de tel, que de lui prêter ce mot : « Mon prophète a dit un jour à Jérusalem que le Fils de Dieu viendrait. » LIVRE I
Mais s’il est encore besoin, sur Jésus, d’une seconde prophétie évidente à nos yeux, nous citerons celle écrite par MOÏSE, bien des années avant la venue de Jésus. Il y affirme que Jacob, au moment de quitter la vie, adressa des prophéties à chacun de ses fils et dit entre autres à Juda : « Le prince ne s’éloignera pas de Juda, ni le chef, de sa race, jusqu’à ce que vienne celui à qui il est réservé de l’être. » A la lecture de cette prophétie, en vérité bien plus ancienne que MOÏSE, mais qu’un incroyant suspecterait d’avoir MOÏSE comme auteur, on peut s’étonner de la manière dont MOÏSE a pu prédire que les rois des Juifs, alors qu’il y avait parmi eux douze tribus, sortiraient de la tribu de Juda et gouverneraient le peuple ; c’est la raison pour laquelle tous les hommes de ce peuple sont nommés Judéens, du nom de la tribu régnante. Un second motif d’étonnement, à une lecture judicieuse de la prophétie, est la manière dont, après avoir dit que les chefs et les princes du peuple seraient de la tribu de Juda, elle a fixé le terme de leur gouvernement en disant que le prince ne s’éloignerait pas de Juda, ni le chef, de sa race, « jusqu’à ce que vienne celui à qui il est réservé de l’être, et il est lui-même l’attente des nations ». Il est venu, en effet, celui à qui il est réservé de l’être, le Christ de Dieu, « le prince » des promesses de Dieu. Manifestement seul, à l’exclusion de tous ceux qui l’ont précédé, j’oserais même dire et de ceux qui le suivront, il est « l’attente des nations », car, de toutes les nations, on a cru en Dieu par lui, et les nations ont espéré en son nom suivant la parole d’Isaïe : « En son nom espéreront les nations. » Et à « ceux qui sont dans les fers », suivant que « chaque homme est serré dans les liens de ses péchés », il dit : « Echappez-vous », et à ceux qui sont dans l’ignorance : venez à la lumière, en accomplissement de la prophétie : « Je t’ai donné pour une alliance des nations, pour relever le pays, pour hériter de l’héritage dévasté, disant à ceux qui sont dans les fers : Echappez-vous, et à ceux qui sont dans les ténèbres : Apparaissez à la lumière.» Et on peut voir, à son avènement, réalisé par ceux qui croient avec simplicité dans tous les lieux de la terre, l’accomplissement de cette parole : « Et sur toutes les routes ils paîtront, et sur toutes les hauteurs seront leurs pâturages. » LIVRE I
Son Juif déclare encore au Sauveur : ” Si tu dis que tout homme né conformément à la divine Providence est fils de Dieu, en quoi l’emporterais-tu sur un autre ?” A quoi je répondrai : tout homme qui, selon le mot de Paul, n’est plus mené par la crainte, mais embrasse la vertu pour elle-même, est fils de Dieu. Mais le Christ l’emporte du tout au tout sur quiconque reçoit pour sa vertu le titre de fils de Dieu, puisqu’il en est comme la source et le principe. Voici le passage de Paul : « Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; mais vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba, Père ! » Mais, dit le Juif de Celse, ” d’autres par milliers réfuteront Jésus en affirmant qu’à eux-mêmes s’applique ce qui est prophétisé de lui.” En vérité, je ne sais pas si Celse a connu des gens qui, après leur venue en cette vie, ont voulu rivaliser avec Jésus, et se proclamer eux-mêmes fils de Dieu ou puissance de Dieu. Mais puisque j’examine loyalement les objections comme elles se présentent, je dirai : un certain Theudas naquit en Judée avant la naissance de Jésus, qui se déclara « un grand personnage » ; à sa mort, ceux qu’il avait abusés se dispersèrent. Après lui, « aux jours du recensement », vers le temps, semble-t-il, où Jésus est né, un certain Judas Galiléen s’attira de nombreux partisans dans le peuple juif, se présentant comme sage et novateur. Après qu’il fut châtié lui aussi, son enseignement s’éteignit, n’ayant quelque survivance que chez un tout petit nombre de personnes insignifiantes. Et après le temps de Jésus, Dosithée de Samarie voulut persuader les Samaritains qu’il était le Christ en personne prédit par MOÏSE, et parut, par son enseignement, avoir conquis quelques adhérents. Mais la remarque pleine de sagesse de Gamaliel, rapportée dans les Actes des Apôtres, peut être raisonnablement citée pour montrer que ces hommes n’avaient rien à voir avec la promesse, n’étant ni fils ni puissances de Dieu, tandis que le Christ Jésus était véritablement Fils de Dieu. Or Gamaliel y dit : « Si c’est là une entreprise et une doctrine qui vient des hommes, elle se détruira d’elle-même », comme s’est évanouie celle de ces gens-là quand ils moururent, « mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez faire disparaître l’enseignement de cet homme : ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » De plus, Simon le magicien de Samarie voulut par la magie s’attacher certains hommes, et il parvint à en séduire, mais aujourd’hui de tous les Simoniens du monde on n’en trouverait pas trente, je crois, et peut-être que j’en exagère le nombre. Ils sont fort peu nombreux en Palestine, et en aucun point du reste de la terre son nom n’a cette gloire qu’il voulut répandre autour de sa personne. Car là où il est cité, il l’est d’après les Actes des Apôtres ; ce sont des chrétiens qui font mention de lui, et l’évidence a prouvé que Simon n’était nullement divin. LIVRE I
On a observé, lors des grands événements et des changements les plus considérables qui surviennent sur terre, que de tels astres se lèvent, indiquant des changements de règne, des guerres, tout ce qui peut advenir chez les hommes et provoquer des secousses dans le monde terrestre. J’ai lu dans le traité “Sur les comètes” de Chaerémon le Stoïcien comment il arrive parfois que des comètes se sont levées à l’approche d’événements heureux, et il en cite des exemples. Si donc à l’occasion de nouveaux règnes ou d’autres événements importants sur terre se lève une « comète » ou un des astres semblables, quoi d’étonnant qu’un astre se soit levé à la naissance de celui qui allait ouvrir de nouvelles voies pour la race humaine et introduire sa doctrine, non seulement chez les Juifs, mais encore chez nombre de Grecs et chez les peuples barbares? Quant à moi, je peux dire : au sujet des comètes, on ne rapporte aucune prophétie que sous tel règne, à telle époque, se lèverait telle comète ; mais sur l’astre qui s’est levé à la naissance de Jésus, Balaam a prophétisé, disant, comme le nota MOÏSE : « Un astre se lèvera de Jacob, et un homme s’élèvera d’Israël » Et s’il est nécessaire encore d’examiner ce que l’Écriture dit des mages à la naissance de Jésus, et de l’apparition de l’étoile, voici des observations que je pourrais présenter les unes aux Grecs, les autres aux Juifs. LIVRE I
Je dirai donc aux Grecs : les mages ont commerce avec les démons et les invoquent selon leur art et leurs desseins. Ils réussissent tant que rien de plus divin et de plus puissant que les démons et l’incantation qui les évoque n’apparaît pas ou n’est pas prononcée. Mais s’il survient une manifestation plus divine, sont détruites les puissances des démons, incapables de résister à la lumière de la divinité. Il est donc vraisemblable aussi qu’à la naissance de Jésus, lorsqu’« une troupe nombreuse de l’armée céleste », ainsi que l’écrivit Luc et que j’en suis persuadé, loua Dieu et dit : « Gloire à Dieu dans les hauteurs, paix sur la terre, et bienveillance divine chez les hommes » ! », de ce fait, les démons perdirent leur vigueur et leur force ; leur magie fut confondue et leur pouvoir cessa ; ils furent ruinés non seulement par la venue des anges à l’entoure de la terre pour la naissance de Jésus, mais encore par l’âme de Jésus et la divinité présente en lui. Aussi les mages, voulant accomplir comme auparavant leurs habituelles incantations et sorcelleries et n’y parvenant pas, en recherchèrent-ils la cause dont ils comprenaient l’importance. A la vue du signe céleste, ils désirèrent voir ce qu’il signalait. A mon sens donc, en possession des prophéties de Balaam rapportées par MOÏSE, lui aussi expert en cet art, ils y trouvèrent à propos de l’étoile ces mots : « Je lui montrerai, mais non maintenant ; je le félicite, mais il n’approchera pas. » Ils conjecturèrent que l’homme prédit avec l’étoile était venu à la vie, et, l’accueillant comme supérieur à tous les démons et aux êtres qui d’habitude leur apparaissaient et manifestaient leur puissance, ils voulurent « l’adorer ». Ils vinrent donc en Judée parce qu’ils étaient persuadés qu’un roi était né, mais sans savoir la nature de sa royauté, et parce qu’ils connaissaient le pays où il naîtrait. Ils apportaient « des présents » qu’ils offrirent comme à quelqu’un qui tienne à la fois, pour ainsi dire, de Dieu et de l’homme mortel, et des présents symboliques : l’or comme à un roi, la myrrhe comme à un être mortel, l’encens comme à un Dieu ; ils les « offrirent » après s’être informés du lieu de sa naissance. Mais puisqu’il était Dieu, ce Sauveur du genre humain élevé bien au-dessus des anges qui secourent les hommes, un ange récompensa la piété des mages à adorer Jésus, et les avertit de ne pas aller vers Hérode, mais de retourner chez eux par un autre chemin. LIVRE I
Il faut donc examiner ce qu’il dit contre les croyants venus du judaïsme. Il affirme qu’« abandonnant la loi de leurs pères, à cause de la séduction exercée par Jésus, ils ont été bernés de la plus ridicule façon et ont déserté, changeant de nom et de genre de vie ». Il n’a pas remarqué que ceux des Juifs qui croient en Jésus n’ont pas abandonné la loi de leurs pères. Car ils vivent en conformité avec elle, et doivent leur appellation à la pauvreté d’interprétation de la loi. « Ebion » est en effet le nom du pauvre chez les Juifs et « Ebionites », l’appellation que se donnent ceux des Juifs qui ont reçu Jésus comme Christ. De plus, Pierre paraît avoir gardé longtemps les coutumes juives prescrites par la loi de MOÏSE, comme s’il n’avait pas encore appris de Jésus à s’élever du sens littéral de la loi à son sens spirituel. Nous l’apprenons des Actes des Apôtres. Car, « le lendemain » de l’apparition à Corneille de l’ange de Dieu lui enjoignant d’envoyer « à Joppé » vers Simon surnommé Pierre, « Pierre monta sur la terrasse vers la sixième heure pour prier. Il sentit la faim et voulut manger. Or, pendant qu’on préparait un repas, il lui survint une extase : il voit le ciel ouvert, et un objet, semblable à une grande nappe nouée aux quatre coins, en descendre vers la terre. Et dedans, il y avait tous les quadrupèdes et les reptiles de la terre, et tous les oiseaux du ciel. Une voix lui dit alors : Debout, Pierre, immole et mange ! Mais Pierre répondit : Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. Et de nouveau la voix lui dit : Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé ». Vois donc ici comment on représente que Pierre garde encore les coutumes juives sur la pureté et l’impureté. Et la suite montre qu’il lui fallut une vision pour communiquer les doctrines de la foi à Corneille qui n’était pas israélite selon la chair, et à ses compagnons : car, resté juif, il vivait selon les traditions ancestrales et méprisait ceux qui étaient hors du judaïsme. Et dans l’épître aux Galates, Paul montre que Pierre, toujours par crainte des Juifs, cessa de manger avec les Gentils, et, à la venue de Jacques vers lui, « se tint à l’écart » des Gentils « par peur des circoncis » ; et le reste des Juifs ainsi que Barnabé firent de même. LIVRE II
Il était bien logique que ceux qui étaient envoyés aux circoncis ne s’écartent pas des coutumes juives, quand « ceux que l’on considérait comme des colonnes donnèrent en signe de communion la main » à Paul et à Barnabé, et partirent « eux vers les circoncis », afin que les autres aillent prêcher aux Gentils. Mais, que dis-je, ceux qui prêchent aux circoncis se retiraient des Gentils et se tenaient à l’écart ? Paul lui-même se fit « Juif pour gagner les Juifs ». C’est la raison pour laquelle, comme il est encore écrit dans les Actes des Apôtres, il présenta même une oblation à l’autel, afin de persuader les Juifs qu’il n’était point un apostat de la loi. Si Celse avait su tout cela, il n’aurait pas mis en scène un Juif qui dit aux croyants issus du judaïsme : “Quel malheur vous est donc survenu, mes compatriotes, que vous ayez abandonné la loi de nos pères, et que, séduits par celui avec qui je discutais tout à l’heure, vous ayez été bernés de la plus ridicule façon, et nous ayez désertés pour changer de nom et de genre de vie ?” Puisque j’en suis à parler de Pierre et de ceux qui ont enseigné le christianisme aux circoncis, je ne crois pas hors de propos de citer une déclaration de Jésus, tirée de l’Évangile selon Jean, et de l’expliquer. Voici donc ce qu’il dit d’après l’Écriture : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entendra, il le dira. » La question est de savoir quel était ce « grand nombre de choses » que Jésus avait à dire à ses disciples, mais qu’ils n’étaient pas encore en état de porter. Je réponds : parce que les apôtres étaient des Juifs, instruits de la loi de MOÏSE prise à la lettre, il avait peut-être à dire quelle était la loi véritable, de quelles « réalités célestes » le culte des Juifs était l’accomplissement « en figure et en image », quels étaient les « biens à venir » dont l’ombre était contenue dans la loi sur les aliments, les boissons, les fêtes, les nouvelles lunes et les sabbats. Voilà « le grand nombre de choses » qu’il avait à leur dire. Mais il voyait l’extrême difficulté d’arracher de l’âme des opinions pour ainsi dire congénitales et développées jusqu’à l’âge mûr, ayant laissé ceux qui les avaient reçues persuadés qu’elles étaient divines et qu’il était impie de les en dépouiller. Il voyait la difficulté de prouver, jusqu’à en persuader les auditeurs, qu’en comparaison de la suréminence de la « connaissance » selon le Christ, c’est-à-dire selon la vérité, elle n’étaient que « déchets » et « dommages ». Il remit donc cette tâche à une occasion plus favorable, après sa passion et sa résurrection. Et en effet, il était vraiment hors de propos d’apporter du secours à ceux qui n’étaient pas encore capables de le recevoir ; cela pouvait détruire l’impression, qu’ils avaient déjà reçue, que Jésus était le Christ, le Fils du Dieu vivant. Considère s’il n’y a pas un sens respectable à entendre ainsi le passage : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant » : par un grand nombre de choses, il entendait la méthode d’explication et d’éclaircissement de la loi dans un sens spirituel ; et les disciples ne pouvaient en quelque sorte les porter, parce qu’ils étaient nés et avaient été jusqu’alors élevés parmi les Juifs. Et, je pense, c’est parce que les pratiques légales étaient une figure, et que la vérité était ce que le Saint-Esprit allait leur enseigner, qu’il a été dit : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière » ; comme s’il disait : vers la vérité intégrale des réalités dont, ne possédant que les figures, vous croyiez adorer Dieu de l’adoration véritable. Conformément à la promesse de Jésus, l’Esprit de vérité vint sur Pierre et lui dit, à propos des quadrupèdes et des reptiles de la terre et des oiseaux du ciel : « Debout, Pierre, immole et mange ! » Il vint à lui, bien qu’il fût encore imbu de superstition, car même à la voix divine il répond : « Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. » Et il lui enseigna la doctrine sur les aliments véritables et spirituels par ces mots : « Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé. » Et après cette vision, l’Esprit de vérité, conduisant Pierre « vers la vérité tout entière », lui dit « le grand nombre de choses » qu’il ne pouvait pas « porter » alors que Jésus lui était encore présent selon la chair. LIVRE II
Mais sur ce point il y aura une autre occasion d’expliquer la manière d’interpréter la loi de MOÏSE. LIVRE II
Pour l’instant, il s’agit de réfuter l’ignorance de Celse, chez qui le Juif dit à ses compatriotes et aux Israélites qui ont cru en Jésus : « Quel malheur vous est donc survenu que vous ayez abandonné la loi de nos pères… » Mais dans quel sens ont-ils abandonné la loi de leurs pères, ceux qui blâment les gens qui refusent de l’entendre et leur disent : « Dites-moi, vous qui lisez la loi, n’entendez-vous pas la loi ? Il est écrit, en effet, qu’Abraham eut deux fils… » jusqu’à « Il y a là une allégorie » et la suite. Dans quel sens ont-ils abandonné la loi de leurs pères ceux qui ne cessent dans leurs paroles d’en appeler à leurs ancêtres et disent : « La loi ne le dit-elle pas aussi ? C’est bien dans la loi de MOÏSE qu’il est écrit : Tu ne muselleras pas le boef qui foule le grain. Dieu se met-il en peine de boefs ? N’est-ce pas pour nous qu’il parle évidemment ? Oui, c’est pour nous que cela a été écrit » etc. De plus, avec quelle confusion le Juif de Celse parle de tout cela, alors qu’il aurait pu dire de façon plus plausible : certains d’entre vous ont abandonné ces coutumes, sous prétexte d’interprétations et d’allégories ; d’autres, tout en leur donnant, comme vous le proclamez, une interprétation spirituelle, conservent néanmoins les coutumes de vos pères ; d’autres enfin n’interprètent rien ; et vous prétendez à la fois accepter Jésus comme objet de prophétie, et garder la loi de MOÏSE selon les coutumes de vos pères, comme si elle contenait dans sa lettre tout le sens spirituel ! Mais comment Celse eut-il pu élucider ce point : il rappelle, par la suite, des sectes athées et complètement étrangères à Jésus, et d’autres qui ont abandonné le Créateur, mais il n’a pas vu qu’il y a aussi des Israélites qui croient en Jésus sans avoir abandonné la loi de leurs pères ! Car il n’avait pas l’intention d’examiner loyalement l’ensemble de la question pour admettre ce qu’il trouverait de valable , mais s’il a écrit tout cela, c’est en ennemi, tout à la tâche de détruire ç mesure qu’il apprenait. LIVRE II
Son Juif continue à l’adresse de ceux de son peuple devenus croyants “C’est hier ou avant-hier, quand nous avons puni celui qui vous menait comme un troupeau, que vous avez déserté la loi de vos pères”. Mais il ne sait rien de précis du sujet qu’il traite, je l’ai montré. Dans la suite, il me semble avoir plus de force en disant “Comment, débutant par nos textes sacrés, pouvez-vous, en progressant, les mépriser, n’ayant d’autre origine à alléguer pour votre doctrine que notre loi ?” Il est vrai que l’initiation chrétienne se fait d’abord par les textes sacrés de MOÏSE et par les écrits des prophètes. Et après l’initiation, dans leur explication et leur élucidation, se fait le progrès pour les initiés, qui cherchent à connaître le mystère « selon la révélation, enveloppe de silence aux siècles éternels, mais aujourd’hui manifeste par les paroles prophétiques et la manifestation de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ ». Ce n’est pas, comme vous dites, « qu’en progressant on méprise » ce qui est écrit dans la loi on l’entoure au contraire d’un plus grand honneur en montrant quelle profondeur de doctrines sages et mystérieuses renferment ces textes que les Juifs n’ont pas scrutés profondément, dans leur lecture trop superficielle et trop attachée aux fables. LIVRE II
Mais qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que la loi soit l’origine de notre doctrine, c’est-à-dire de l’Évangile. N’est-ce pas ce que notre Sauveur lui-même dit à ceux qui refusent de croire en lui « Si vous croyiez MOÏSE, vous me croiriez aussi, car c’est de moi qu’il a écrit. Mais si vous ne croyez pas ses écrits, comment croirez-vous mes paroles » De plus, un des évangélistes, Marc, affirme « Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, selon ce qui est écrit dans le prophète Isaïe ” Voici que j’envoie mon messager en avant de toi pour frayer ta route devant toi ” , et il montre que le commencement de l’Évangile se rattache aux écritures juives. Pourquoi donc cette parole du Juif de Celse contre nous : ” Si quelqu’un vous a prédit que le Fils de Dieu viendrait en effet vers les hommes, c’était notre prophète et le prophète de notre Dieu ? ” Et quelle charge constitue pour le christianisme la qualité juive de Jean qui a baptisé Jésus ? Car il ne s’en suit pas, du fait qu’il était juif, que tout croyant, qu’il vienne des Gentils ou des Juifs, doive garder la loi juive au sens littéral. LIVRE II
Nous reprochons donc aux Juifs de ne l’avoir pas tenu pour Dieu, alors que les prophètes ont souvent attesté qu’il est une grande puissance et un dieu au-dessous du Dieu et Père de l’univers. A lui, disons-nous, dans l’histoire de la création racontée par MOÏSE, le Père a donné l’ordre : « Que la lumière soit », « Que le firmament soit » et tout le reste dont Dieu a ordonné la venue à l’existence. A lui, il a été dit : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » Et le Logos, l’ordre reçu, a fait tout ce que le Père lui avait commande. Nous le disons en nous fondant non sur des conjectures, mais sur la foi aux prophéties reçues chez les Juifs, ou il est dit en propres termes de Dieu et des choses créées : « Il a dit et les choses furent, il a ordonné et elles furent créées. » Si donc Dieu donna l’ordre et les créatures furent faites, quel pourrait être, dans la perspective de l’esprit prophétique, celui qui fut capable d’accomplir le sublime commandement du Père, sinon Celui qui est, pour ainsi dire, Logos vivant et Vérité ? D’autre part, les Evangiles savent que celui qui dit en Jésus « Je suis la voie, la vérité, la vie » n’est pas circonscrit au point de n’exister en aucune manière hors de l’âme et du corps de Jésus. Cela ressort de nombreux passages dont nous citerons le peu que voici Jean-Baptiste, prophétisant que le Fils de Dieu allait bientôt paraître, sans se trouver seulement dans ce corps et cette âme mais présent partout, dit de lui « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Or s’il avait pensé que le Fils de Dieu est là seulement ou se trouvait le corps visible de Jésus, comment eut-il affirme : « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas » ? De plus, Jésus lui-même élevé l’intelligence de ses disciples à de plus hautes conceptions du Fils de Dieu, quand il dit : « Là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis présent au milieu d’eux. » Et telle est la signification de sa promesse à ses disciples : « Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Lorsque nous disons cela, nous ne séparons point le Fils de Dieu de Jésus, car c’est un seul être, après l’incarnation, qu’ont formé avec le Logos de Dieu l’âme et le corps de Jésus. Si en effet, selon l’enseignement de Paul qui dit : « Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui », quiconque a compris ce que c’est qu’être uni au Seigneur et s’est uni à lui est un seul esprit avec le Seigneur, de quelle manière bien plus divine et plus sublime le composé dont nous parlions est-il un seul être avec le Logos de Dieu ! Il s’est, de fait, manifesté parmi les Juifs comme « la Puissance de Dieu », et cela par les miracles qu’il accomplit, n’en déplaise à ceux qui le soupçonnent comme Celse de mettre en oevre la sorcellerie, et comme les Juifs d’alors, instruits à je ne sais quelle source sur Béelzébul, de chasser les démons « par Béelzébul prince des démons ». Notre Sauveur les convainquit alors de l’extrême absurdité de leurs dires par le fait que le règne du mal n’avait pas encore pris fin. Ce sera évident à tous les lecteurs sensés du texte évangélique ; il est hors de propos de l’expliquer maintenant. LIVRE II
Qu’on nous dise dès lors si un trait du texte de l’Évangile ou de l’Apôtre peut prêter au soupçon que la sorcellerie soit prédite dans ce passage ! Et quiconque le désire pourra extraire en outre de Daniel la prophétie sur l’Antéchrist. Mais Celse calomnie les paroles de Jésus : il n’a pas dit que d’autres se présenteraient, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers, comme Celse le lui fait dire. En effet, la puissance des incantations d’Egypte n’est point pareille à la grâce miraculeuse dont disposait MOÏSE : l’issue a manifesté que les actions des Egyptiens étaient des sorcelleries, et celles de MOÏSE des oevres divines. De la même façon, les actions des antéchrists et de ceux qui prétendent faire des miracles à l’égal des disciples de Jésus sont qualifiées de « signes et de prodiges mensongers, sévissant dans toutes les séductions du mal à l’adresse de ceux qui sont voués à la perdition » ; celles du Christ et de ses disciples, au contraire, ont pour fruit non la séduction mais le salut des âmes. Qui donc peut raisonnablement soutenir que la vie vertueuse qui réduit chaque jour à un plus petit nombre les actions mauvaises provient d’une séduction ? Celse a deviné un trait de l’Écriture, quand il fait dire à Jésus qu’un certain Satan serait habile à contrefaire ces prodiges. Mais il ajoute une pétition de principe en affirmant que Jésus ne nie pas en eux tout caractère divin, mais qu’il y voit l’oevre de méchants. C’est renfermer dans une même catégorie des choses de catégorie différente. Comme le loup n’est pas de même espèce que le chien, malgré une ressemblance apparente dans la forme du corps et dans la voix, ni le pigeon ramier de même espèce que la colombe, ainsi une oevre de la puissance de Dieu n’a rien de pareil à ce qui provient de la sorcellerie. Autre réponse aux déloyautés de Celse : est-ce que des méchants démons feraient des miracles par sorcellerie, sans que la nature divine et bienheureuse en accomplisse aucun ? L’existence humaine est-elle accablée de maux, sans la moindre place pour les biens ? Or voici mon avis : dans la mesure où l’on doit admettre le principe général que là où l’on suppose un mal de même espèce que le bien, il existe nécessairement en face de lui un bien, de même aussi, en regard des actes exécutés par sorcellerie il en existe nécessairement qui sont dus à l’activité divine dans l’existence. En conséquence du même principe on peut ou supprimer les deux membres de l’affirmation et dire que ni l’un m l’autre ne se réalise, ou, posé l’un, ici le mal, reconnaître aussi le bien. Mais admettre les effets de la sorcellerie et nier les effets de la puissance divine équivaut, me semble-t-il, à soutenir qu’il y a des sophismes et des arguments plausibles éloignés de la vérité bien qu’ils feignent de l’établir, mais que la vérité et la dialectique étrangère aux sophismes n’ont aucun droit de cité parmi les hommes. Admet-on l’existence de la magie et de la sorcellerie exercée par les méchants démons, charmés par des incantations spéciales et dociles aux invitations des sorciers ? Il s’ensuit que doivent exister parmi les hommes les effets de la puissance divine. Alors pourquoi ne pas examiner soigneusement ceux qui prétendent faire des miracles et voir si leur vie, leurs moers, les résultats de ces miracles nuisent aux hommes ou redressent leurs moers ? Qui donc, au service des démons, obtient de tels effets au moyen de pratiques incantatoires et magiques. Qui au contraire, après s’être uni à Dieu, dans un lieu pur et saint, par son âme, son esprit et je croîs aussi par son corps, et avoir reçu un esprit divin, accomplit de tels actes pour faire du bien aux hommes et les exhorter à croire au vrai Dieu ? Admet-on la nécessité de chercher, sans tirer une conclusion précipitée des miracles, qui accomplit ces prodiges par un principe bon et qui, par un principe mauvais, de manière à éviter soit de tout déprécier, soit de tout admirer et accueillir comme divin ? Comment alors ne sera-t-il pas évident, d’après les événements du temps de MOÏSE et du temps de Jésus, puisque des nations entières se sont constituées à la suite de leurs miracles, que c’est par une puissance divine qu’ils ont accompli les oevres que la Bible atteste ? Car la méchanceté et la magie n’auraient pas constitué une nation entière qui a dépasse non seulement les idoles et les monuments construits par les hommes, mais encore toute nature créée, et qui s’élève jusqu’au principe incréé du Dieu de l’univers. LIVRE II
Et comme c’est un Juif qui tient ces propos chez Celse, on pourrait lui dire et toi donc, mon brave, pourquoi enfin cette différence tu croîs divines les oevres que d’après tes Écritures Dieu accomplit par MOÏSE, et tu tâches de les justifier contre ceux qui les calomnient comme des effets de la sorcellerie, analogues à ceux qu’accomplissent les sages d’Egypte ; tandis que celles de Jésus dont tu reconnais l’existence, suivant l’exemple des Egyptiens qui te critiquent, tu les accuses de n’être pas divines ? Si en effet le résultat final, la nation entière constituée par les prodiges de MOÏSE, prouve évidemment que c’était Dieu l’auteur de ces miracles au temps de MOÏSE, comment cet argument ne sera-t-il pas plus démonstratif pour le cas de Jésus, auteur d’une plus grande oevre que celle de MOÏSE ? Car MOÏSE a pris ceux de la nation formée de la postérité d’Abraham qui avaient gardé le rite traditionnel de la circoncision, observateurs décidés des usages d’Abraham, et il les conduisit hors d’Egypte en leur imposant les lois que tu croîs divines. Jésus, avec une autre hardiesse, substitua au régime antérieur, aux habitudes ancestrales, aux manières de vivre d’après les lois établies, le régime de l’Évangile. Et, tout comme les miracles que MOÏSE fit d’après les Écritures étaient nécessaires pour lui obtenir l’audience non seulement de l’assemblée des Anciens, mais encore du peuple, pourquoi Jésus lui aussi, pour gagner la foi d’un peuple qui avait appris à demander des signes et des prodiges, n’aurait-il pas eu besoin de miracles capables, par leur grandeur et leur caractère divin supérieurs si on les compare à ceux de MOÏSE, de les détourner des fables juives et de leurs traditions humaines, et de leur faire accepter que l’auteur de cette doctrine et de ces prodiges était plus grand que les prophètes ? Comment donc n’était-il pas plus grand que les prophètes, lui que les prophètes proclament Christ et Sauveur du genre humain ? Bien plus, toutes les attaques du Juif de Celse contre ceux qui croient en Jésus peuvent se retourner en accusation contre MOÏSE , en sorte qu’il n’y a pas ou presque pas de différence à parler de la sorcellerie de Jésus et de celle de MOÏSE, tous deux pouvant, à s’en tenir a l’expression du Juif de Celse, être l’objet des mêmes critiques. Par exemple le Juif de Celse dit a propos du Christ « O lumière et vérité ! De sa propre voix, il annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers ». Mais a propos de MOÏSE, celui qui ne croît pas à ses miracles, qu’il soit d’Egypte ou de n’importe ou, pourrait dire au Juif « O lumière et vérité ! De sa propre voix, MOÏSE annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers » Car il est écrit dans votre loi : « Que surgisse en toi un prophète ou un faiseur de songes qui te propose un signe ou un prodige, et qu’ensuite ce signe ou ce prodige annoncé arrive, s’il te dit alors « Allons suivre d’autres dieux que vous ne connaissez pas et servons les », vous n’écouterez pas les paroles de ce prophète ni les songes de ce songeur » etc… L’un, dans sa critique des paroles de Jésus, dit encore « Et il nomme un certain Satan, habile à contrefaire ces prodiges » L’autre, dans l’application de ce trait à MOÏSE, dira « Et il nomme un prophète faiseur de songes habile à contrefaire ces prodiges ». Et de même que le Juif de Celse dit de Jésus : « Il ne nie pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » , ainsi, qui ne croît pas aux miracles de MOÏSE lui dira la même chose en citant la phrase précédente « Il ne nie même pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » Et ainsi fera-t-il pour cette parole « Sous la contrainte de la vérité, MOÏSE a en même temps démasqué la conduite des autres et confondu la sienne ». Et quand le Juif déclare « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la divinité de l’un et a la sorcellerie des autres ? » on pourrait lui répondre à cause des paroles de MOÏSE déjà citées « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la qualité de prophète et serviteur de Dieu de l’un et a la sorcellerie des autres ? » Mais insistant davantage, Celse ajoute aux comparaisons que j’ai citées « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à leur méchanceté plutôt qu’à la sienne sur son propre témoignage ? » On ajoutera à ce qui était dit « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à la méchanceté des gens auxquels MOÏSE défend de croire malgré leur étalage de signes et de prodiges, et non plutôt à la méchanceté de MOÏSE, quand il attaque les autres pour leurs signes et leurs prodiges ? » Il multiplie les paroles dans le même sens pour avoir l’air d’amplifier sa brève argumentation : « Elles sont en fait, et lui-même en convint, des signes distinctifs non d’une nature divine, mais de gens trompeurs et fort méchants. » Qui donc désigne ce « lui-même » ? Toi, Juif, tu dis que c’est Jésus ; mais celui qui t’accuse comme sujet aux mêmes critiques rapportera ce « lui-même » à MOÏSE. LIVRE II
Après cela, le Juif de Celse, à notre adresse sans doute – pour maintenir son propos initial -, déclare dans le discours à ses compatriotes devenus croyants : “Quelle raison, en fin de compte, vous a conduits, sinon qu’il a prédit qu’après sa mort il ressusciterait ? ” Question que j’appliquerai au cas de MOÏSE, comme ce que j’ai précédemment transposé, et je lui dirai : quelle raison, en fin de compte, vous a conduits, sinon qu’il a écrit sur sa mort en ces termes : « C’est là que mourut MOÏSE, serviteur du Seigneur, en terre de Moab, selon l’ordre du Seigneur ; on l’enterra en terre de Moab près de la maison de Phogor. Et jusqu’à ce jour, nul n’a connu son tombeau. » Car si notre Juif accuse Jésus d’avoir prédit qu’après sa mort il ressusciterait, à cette objection, usant du même procédé pour MOÏSE, on répondra : MOÏSE écrivit dans le Deutéronome dont il est l’auteur : « Jusqu’à ce jour nul n’a connu son tombeau », pour célébrer la gloire de son tombeau qui serait ignoré du genre humain. LIVRE II
Puisque l’auteur de tels propos est Juif, nous lui répondrons comme à un Juif pour défendre notre Jésus, appliquant encore son argument à MOÏSE : combien d’autres usent de ces contes merveilleux comme le fit MOÏSE pour persuader leurs auditeurs naïfs et tirer profit de l’imposture. L’évocation de Zamolxis, de Pythagore et de leurs contes merveilleux conviendrait mieux à quelqu’un qui ne croit pas à MOÏSE qu’à un Juif, pas précisément curieux des histoires grecques. Mais l’Égyptien même incrédule aux miracles de MOÏSE citerait vraisemblablement l’exemple de Rhampsinite en disant : l’histoire de sa descente chez Hadès, du jeu de dés avec Déméter, de la serviette lamée d’or conquise sur elle pour montrer un signe de sa descente chez Hadès et de sa remontée, est bien plus vraisemblable que celle de MOÏSE écrivant qu’« il était entré dans la nuée où était Dieu » et que seul il approcha de Dieu à l’exclusion des autres ; car voici ce qu’il a écrit : « MOÏSE seul s’approchera de Dieu, les autres ne s’approcheront pas. » En conséquence, au Juif qui tient ces propos, nous, disciples du Christ, nous dirons : Défends-toi donc, toi qui incrimines notre foi en Jésus, dis ce que tu répondras à l’Égyptien et aux Grecs sur les accusations que tu portes contre notre Jésus, mais qui peuvent d’abord s’appliquer à MOÏSE. Même si tu luttes fortement pour défendre MOÏSE, comme assurément son histoire peut recevoir une justification impressionnante et manifeste, à ton insu, dans ton apologie de MOÏSE, tu prouveras malgré toi que Jésus est plus divin que lui. LIVRE II
Jésus, quoiqu’il fût un, était pour l’esprit multiple d’aspects, et ceux qui le regardaient ne le voyaient pas tous de la même manière. Cette multiplicité d’aspects ressort des paroles « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie », « Je suis le Pain », « Je suis la Porte » et autres sans nombre. Et la vue qu’il offrait n’était pas identique pour tous les spectateurs, mais dépendait de leur capacité. Ce sera clair si l’on examine la raison pour laquelle, devant se transfigurer sur la haute montagne, il prit avec lui, non pas tous les apôtres, mais seuls Pierre, Jacques et Jean, comme les seuls capables de contempler la gloire qu’il aurait alors, et aptes à percevoir MOÏSE et Élie apparus dans la gloire, à entendre leur conversation et la voix venue de la nuée céleste. Mais je crois que même avant de gravir la montagne, ou seuls les disciples s’approchèrent de lui et ou il leur enseigna la doctrine des béatitudes, lorsqu’au pied de la montagne, « le soir venu », il guérit ceux qui s’approchaient de lui, les délivrant de toute maladie et de toute infirmité, il n’apparaissait pas identique aux malades implorant leur guérison et à ceux qui ont pu, grâce à leur santé, gravir avec lui la montagne. Bien plus, il a explique en particulier à ses propres disciples les paraboles dites avec un sens cache aux foules de l’extérieur et de même que ceux qui entendaient l’explication des paraboles avaient une plus grande capacité d’entendre que ceux qui entendaient les paraboles sans explication, ainsi en était-il des capacités de vision, certainement de leur âme, mais je croîs aussi de leur corps. Autre preuve qu’il n’apparaissait pas toujours identique, Judas qui allait le trahir dit aux foules qui s’avançaient vers lui comme si elles ne le connaissaient pas « Celui que je baiserai, c’est lui ». C’est aussi, je pense, ce que veut montrer le Sauveur lui-même dans la parole « Chaque jour j’étais assis parmi vous dans le temple à enseigner et vous ne m’avez pas arrêté ». Dés lors, comme nous élevons Jésus si haut, non seulement dans sa divinité intérieure et cachée à la foule, mais aussi dans son corps, transfiguré quand il voulait pour ceux qu’il voulait, nous affirmons avant qu’il eût dépouillé les Principautés et les Puissances » et « fût mort au péché », tous avaient la capacité de le regarder, mais quand il eut dépouillé les Principautés et les Puissances et ne posséda plus ce qui pouvait être visible de la foule, tous ceux qui le virent auparavant ne pouvaient plus le regarder. C’est donc pour les ménager qu’il ne se montrait point à tous après sa résurrection d’entre les morts. Mais pourquoi dire à tous ? Aux apôtres eux-mêmes et aux disciples, il n’était pas sans cesse présent et sans cesse visible, parce qu’ils étaient incapables de soutenir sa contemplation sans relâche. Sa divinité était plus resplendissante après qu’il eut mené a terme l’oevre de l’Économie. Céphas, qui est Pierre, en tant que « prémices » des apôtres, put la voir, et après lui, les Douze, Matthias ayant été choisi a la place de Judas. Apres eux, il apparut à « cinq cents frères a la fois, puis à Jacques, puis à tous les apôtres » hormis les Douze, peut-être les soixante-dix , et, « dernier de tous », à Paul, comme à l’avorton, qui savait dans quel sens il disait : « A moi, le plus petit de tous les saints a été donnée cette grâce », et sans doute que « le plus petit » et « l’avorton » sont synonymes. Aussi bien on ne pourrait faire un grief raisonnable à Jésus de n’avoir point conduit avec lui sur la haute montagne tous les apôtres, mais les trois seuls nommés précédemment, lorsqu’il allait se transfigurer et montrer la splendeur de ses vêtements et la gloire de MOÏSE et d’Élie en conversation avec lui , on ne saurait non plus adresser des critiques fondées aux paroles des apôtres, de présenter Jésus après sa résurrection apparaissant non point à tous, mais à ceux dont il savait les yeux capables de voir sa résurrection. LIVRE II
Tout cela, le Juif de Celse le conclut par ces mots : Toutes nos objections sont tirées de vos écrits, nous n’avons que faire d’autres témoins : vous tombez vous-mêmes dans vos pièges. Mais j’ai prouvé que c’est en déformant les textes de nos Évangiles que le Juif déclare tant de sornettes dans ses propos contre Jésus et contre nous. A mon sens, il n’a pas montré comment nous tombons dans nos pièges, il ne fait que l’imaginer. Et comme son Juif ajoute : O Très-Haut ou Céleste, quel dieu se présentant aux hommes les trouve-t-il complètement incrédules ? il faut lui répondre : il est écrit que, même au temps de la loi de MOÏSE, Dieu s’est présenté aux Hébreux dans le plus grand éclat, non seulement dans les signes et prodiges en Egypte, ensuite dans le passage de la Mer Rouge, la colonne de feu et la nuée lumineuse, mais encore dans la proclamation du décalogue à tout le peuple : et il trouva les témoins incrédules. Car s’ils avaient cru à celui qu’ils avaient vu et entendu, ils n’auraient pas élevé le veau d’or, ni « échangé leur gloire pour l’image d’un mangeur d’herbes », et ne se seraient pas dit mutuellement en parlant de ce veau : « Voici tes dieux, Israël, qui t’ont fait monter de la terre d’Égypte ». Et vois si la caractéristique de ce peuple ne fut pas, autrefois, d’avoir été incrédule aux prodiges éclatants et aux multiples manifestations de Dieu pendant toute la période du désert, comme il est écrit dans la loi des Juifs, puis, au temps de la venue miraculeuse de Jésus, de ne pas s’être laissé convaincre par ses paroles dites avec autorité et ses actions miraculeuses faites à la vue de tout le peuple ? LIVRE II
En voilà assez, je pense, pour permettre d’établir que l’incrédulité des Juifs à l’égard de Jésus était en accord avec ce qu’on rapporte du peuple dès l’origine. Le Juif de Celse objecte : Quel Dieu, se présentant aux hommes, les trouve-t-il incrédules ? Surtout quand il apparaît à ceux qui espèrent sa venue ? Pourquoi enfin n’est-il pas reconnu de ceux qui l’attendent depuis si longtemps? A quoi je pourrais dire : Voulez-vous, braves gens, répondre à mes questions? Quels miracles, à votre avis, vous apparaissent plus grands ? Ceux de l’Egypte et du désert, ou ceux que Jésus, je le disais, accomplit parmi nous ? Si les premiers vous semblent plus grands que les derniers, n’est-ce point là une preuve flagrante qu’il est bien conforme au caractère de ceux qui ont été incrédules aux grands de mépriser les petits ? Je suppose que c’est votre opinion sur ceux que nous racontons de Jésus. Si l’on dit les miracles de Jésus égaux à ceux que l’Écriture rapporte de MOÏSE, qu’y a-t-il d’étonnant dans l’incrédulité de ce peuple à l’origine de l’une et l’autre alliances ? Car de MOÏSE date l’origine de la législation, dans laquelle sont rapportées vos fautes d’incrédulité ; et l’origine de la législation et de l’alliance nouvelles date, selon notre foi, du temps de Jésus. Et vous attestez, par votre incrédulité à Jésus, que vous êtes bien les fils de ceux qui, au désert, furent incrédules aux apparitions de Dieu. Et le reproche de notre Sauveur vaudra aussi contre vous qui n’avez pas cru en lui : « Ainsi vous êtes des témoins et vous approuvez les actes de vos pères » ; et en vous s’accomplit la prophétie : « Votre vie sera comme en suspens devant vos yeux, et vous ne croirez pas à votre vie », car vous n’avez pas cru à la Vie venue habiter parmi les hommes. LIVRE II
De plus, je pourrais dire à ceux qui croient qu’en ces matières le Juif de Celse fait à Jésus de justes griefs : il y a dans le Lévitique et le Deutéronome un grand nombre d’imprécations ; dans la mesure où le Juif les défendra en avocat de l’Écriture, dans cette même mesure ou mieux encore, nous défendrons ces prétendues invectives et menaces de Jésus. Bien plus, de la loi de MOÏSE elle-même nous pourrons présenter une meilleure défense que celle du Juif, pour avoir appris de Jésus à comprendre plus intelligemment que lui les textes de la loi. En outre, si le Juif a vu le sens des discours prophétiques, il pourra montrer que Dieu n’use pas à la légère de menaces et d’invectives, quand il dit : « Malheur, Je vous prédis », et comment Dieu a pu employer pour la conversion des hommes ces expressions, qu’au jugement de Celse n’imaginerait même pas un homme de bon sens. Mais les chrétiens aussi, sachant que le même Dieu parle par les prophètes et par le Seigneur, prouveront le caractère raisonnable de ce que Celse juge des menaces et nomme des invectives. On fera sur la question une courte réplique à Celse qui se vante d’être philosophe et de savoir nos doctrines : Comment, mon brave, quand Hermès dans Homère dit à Ulysse : « Pourquoi donc, malheureux, t’en vas-tu seul le long de ces coteaux ? » tu supportes qu’on le justifie en disant qu’Hermès chez Homère interpelle Ulysse de la sorte pour le ramener au devoir ? car les paroles flatteuses et caressantes sont le fait des Sirènes, près de qui s’élève « tout autour un tas d’ossements », elles qui disent : « Viens ici, viens à nous, Ulysse tant vanté, l’honneur de l’Achaïe. » ? Mais lorsque mes prophètes et Jésus même, pour convertir les auditeurs, disent : « Malheur à vous ! » et ce que tu prends pour des invectives, ils ne s’adaptent point à la capacité des auditeurs par ces expressions, et ne leur appliquent pas cette manière de parler comme un remède de Péon ? A moins peut-être que tu ne veuilles que Dieu, ou Celui qui participe à la nature divine, conversant avec les hommes, n’ait en vue que les intérêts de sa nature et le respect qu’on lui doit, sans plus considérer ce qu’il convient de promettre aux hommes gouvernés et conduits par son Logos et de proposer à chacun d’une manière adaptée à son caractère fondamental ? De plus, comment n’est-elle pas ridicule cette impuissance à persuader qu’on attribue à Jésus ? Car elle s’applique aussi, non seulement au Juif qui a beaucoup d’exemples de ce genre dans les prophéties, mais encore aux Grecs : parmi eux, chacun de ceux que leur sagesse a rendus célèbres auraient été impuissants à persuader les conspirateurs, les juges, les accusateurs de quitter la voie du vice pour suivre, par la philosophie, celle de la vertu. LIVRE II
Que Celse donc, et ceux qui se plaisent à ses attaques contre nous le disent : quel rapport y a-t-il entre l’ombre d’un âne et le fait que les prophètes juifs ont prédit le lieu de naissance du futur chef de ceux à qui leur vie vertueuse mériterait d’être appelés « la part d’héritage » de Dieu ; qu’une vierge concevrait l’Emmanuel ; que tels signes et prodiges seraient accomplis par le personnage prédit et que « sa parole courrait si vite » que la voix de ses apôtres « parviendrait à toute la terre » ; quelles souffrances il subirait après sa condamnation par les Juifs et comment il ressusciterait ? Peut-on voir en ces paroles un effet du hasard sans qu’aucun motif plausible incitât les prophètes non seulement à les prononcer mais à les juger dignes d’être notées ? Est-ce que la puissante nation des Juifs qui s’était emparée depuis longtemps d’une contrée particulière pour l’habiter, n’avait pas de motif plausible pour proclamer certains d’entre eux prophètes et rejeter les autres comme faux prophètes ? Est-ce que rien ne les engageait à joindre aux livres de MOÏSE qu’ils tenaient pour sacrés les discours de ceux que dans la suite ils ont considérés comme des prophètes ? Et peuvent-ils nous prouver, ceux qui reprochent leur sottise aux Juifs et aux chrétiens, que la nation juive aurait pu subsister sans qu’il y ait eu chez elle aucune annonce d’événements connus d’avance ? Les nations dont elle était environnée croyaient chacune selon ses traditions recevoir des oracles et des divinations de ceux qu’elles vénéraient comme dieux ; eux au contraire avaient été élevés dans le mépris de tous ceux que les nations tenaient pour dieux et y voyaient non pas des dieux mais des démons puisque leurs prophètes disaient : « Tous les dieux des nations sont des démons » : auraient-ils été les seuls à n’avoir personne qui fît profession de prédire et fût capable de retenir ceux qui, par désir de prévision des événements futurs, voulaient s’en aller vers les démons des autres nations ? Juge, dès lors, s’il n’était pas nécessaire qu’une nation entière, élevée dans le mépris pour les dieux des autres nations, eût en abondance des prophètes manifestant d’emblée leur excellence et leur supériorité sur les oracles de tout pays. LIVRE III
Ensuite Celse imagine que les Juifs, Egyptiens de race, auraient abandonne l’Egypte après s’être révoltes contre l’État égyptien et avoir méprisé les cérémonies religieuses usitées en Egypte , et il affirme : ce qu’ils ont fait aux Egyptiens, ils l’ont subi de ceux qui ont pris le parti de Jésus et cru en lui comme au Christ. Dans les deux cas, la cause de l’innovation fut la révolte contre l’État. Or il faut remarquer ici le procédé de Celse. Les Egyptiens d’autrefois ont accablé d’avanies la race des Hébreux qui, par suite d’une famine sévissant en Judée, étaient venus en Egypte. Et pour les torts infligés à des hôtes et des suppliants, ils ont subi le châtiment que devait nécessairement subir de la divine Providence toute une nation unanime dans son hostilité contre toute la race de ses hôtes qui ne lui avait fait aucun tort. Sous le coup des fléaux de Dieu, peu de temps après ils laissèrent, non sans peine, aller où ils voulaient ceux qu’ils avaient injustement asservis. En égoïstes qui font plus de cas de n’importe quels compatriotes que d’hôtes plus vertueux, ils n’abandonnèrent pas une seule accusation portée contre MOÏSE et les Hébreux : sans nier entièrement les miracles prodigieux de MOÏSE, ils les attribuèrent à la magie, non à une puissance divine. Mais MOÏSE était non pas magicien mais un homme pieux ; consacré au Dieu de l’univers, participant d’un esprit divin, il institua des lois pour les Hébreux sous la dictée de Dieu, et consigna les événements tels qu’ils existèrent en réalité. LIVRE III
Or Celse, loin de soumettre à une critique impartiale les récits contradictoires des Egyptiens et des Hébreux, par prévention en faveur des Egyptiens ses préférés, a fait crédit aux auteurs d’injustices envers leurs hôtes, comme s’ils étaient des témoins véridiques, et a affirmé que les Hébreux, victimes de ces injustices, ont, dans un accès de révolte, abandonné l’Egypte. C’était ne pas voir à quel point il était impossible pour une telle foule révoltée d’Egyptiens, n’ayant pour origine que la révolte, de devenir une nation au moment même de sa révolte, et de changer de langage, au point que ceux qui, jusque-là, parlaient la langue égyptienne adoptent tous subitement la langue hébraïque. Mais admettons, comme il le suppose, qu’ils aient, en quittant l’Egypte, pris en haine jusqu’à leur langue maternelle : comment donc n’ont-ils pas adopté plus tard le langage des Syriens et des Phéniciens plutôt que de créer la langue hébraïque si différente de l’un et de l’autre ? Et ce que veut prouver mon argument, c’est la fausseté de l’assertion que des gens, Egyptiens de race, se soient révoltés contre des Egyptiens, aient abandonné l’Egypte, et soient venus en Palestine habiter la région appelée maintenant Judée. Car les Hébreux, avant leur descente en Egypte, avaient déjà un langage ancestral, et les lettres hébraïques différaient des lettres égyptiennes, et c’est elles que MOÏSE employa pour écrire les cinq livres que les Juifs tiennent pour sacrés. LIVRE III
Cependant, un examen approfondi de la question permet de dire de ceux qui sont sortis de la terre d’Egypte : c’est un miracle que tout le peuple en masse ait repris, comme un présent de Dieu, la langue dite hébraïque ; dans ce sens, un de leurs prophètes a dit : « Lorsqu’ils sortirent de la terre d’Egypte, il entendit une langue qu’il ne connaissait pas. » Et l’on peut donner une autre preuve que ceux qui sont sortis d’Egypte avec MOÏSE n’étaient pas des Egyptiens. S’ils l’avaient été, leurs noms auraient dû être égyptiens, puisque chaque langue a ses dénominations du même type. Mais il est clair qu’ils n’étaient pas des Egyptiens du fait que leurs noms sont hébreux, car l’Écriture est remplie de noms hébreux et de gens qui ont donné en Egypte de tels noms à leurs enfants ; il est donc manifeste que l’affirmation des Egyptiens est fausse, selon laquelle, étant des Égyptiens, ils furent chassés d’Egypte avec MOÏSE. Et il est parfaitement clair que, tenant leur race d’ancêtres hébreux, conformément à l’histoire écrite par MOÏSE, ils parlaient une langue propre dont ils tiraient aussi les noms de leurs enfants. LIVRE III
En effet, parce que la médecine est utile et nécessaire au genre humain, et qu’elle comporte bien des questions débattues sur la manière de soigner les corps, on trouve, pour cette raison, dans la médecine chez les Grecs des écoles assez nombreuses, de l’aveu de tous ; il en va de même, je suppose, chez les barbares, chez ceux du moins qui font profession de pratiquer la médecine. De son côté, la philosophie, promettant la vérité et la connaissance des êtres, prescrit comment il faut vivre et s’efforce d’enseigner ce qui est utile à notre race et l’objet de ses recherches présente une grande diversité ; pour cette raison, se sont constituées dans la philosophie des écoles si nombreuses, les unes célèbres, les autres moins. De plus, le judaïsme offrit le prétexte à la naissance de sectes dans l’interprétation différente donnée aux écrits de MOÏSE et aux discours prophétiques. Dès lors aussi, quand le christianisme prit sa valeur aux yeux des hommes, non seulement du ramassis d’esclaves que croit Celse, mais de nombreux lettrés grecs, inévitablement des sectes se formèrent, nullement du fait des rivalités et de l’esprit de querelle, mais parce que bon nombre de ces lettrés, eux aussi, s’efforçaient de comprendre les mystères du christianisme. Le résultat de leurs interprétations différentes des Écritures, que tous ensemble croyaient divines, fut la naissance de sectes patronnées par des auteurs que leur admiration pour l’origine de la doctrine n’avait pas empêchés d’être incités d’une manière ou de l’autre, pour des raisons plausibles, à des vues divergentes. Mais il serait déraisonnable de fuir la médecine à cause de ses écoles ; déraisonnable aussi, si l’on vise au mieux, de haïr la philosophie en alléguant pour justifier cette antipathie la multitude de ses écoles ; déraisonnable de même, à cause des sectes du judaïsme, de condamner les livres sacrés de MOÏSE et des prophètes. LIVRE III
Pour en venir aux livres écrits après Jésus, on y trouverait que les foules de croyants écoutent les paraboles comme si elles étaient au dehors et seulement dignes des doctrines exotériques ; mais les disciples reçoivent en particulier l’explication des paraboles. Car Jésus « expliquait toutes choses en particulier à ses disciples », préférant aux foules ceux qui aspiraient à sa sagesse. Il fait la promesse à ceux qui croient en lui de leur envoyer sages et scribes : « Voici que je vais vous envoyer des sages et des scribes, et on en fera mourir sur la croix. » De plus, dans sa liste des charismes donnés par Dieu, Paul place d’abord le discours de sagesse, en second lieu, comme lui étant inférieur, le discours de science, et en troisième lieu, comme au-dessous encore, la foi. Et parce qu’il estimait davantage le discours que les réalisations de prodiges, il met les « actes de puissance » et les « dons de guérir » au-dessous des charismes de discours. Et dans les Actes des apôtres, Étienne atteste la science étendue de MOÏSE, en se fondant certainement sur des livres anciens et inaccessibles à la foule. Car il dit : « MOÏSE fut instruit dans toute la sagesse des Égyptiens. » Et c’est pourquoi, lors de ses prodiges, on le soupçonnait de les accomplir non pas, comme il le proclamait, par la puissance de Dieu, mais grâce à son habileté dans les sciences d’Egypte. C’est bien ce soupçon qui poussa le roi à mander les enchanteurs, les sages et les magiciens d’Egypte, mais leur néant se révéla devant la sagesse de MOÏSE qui surpassait toute la sagesse des Égyptiens. LIVRE III
Après cela, il insulte de nouveau le prédicateur du christianisme, lui reprochant d’exposer des choses ridicules mais sans désigner ni établir clairement ce qu’il entend par choses ridicules. Il continue ses insultes : Nul homme sensé ne croit à cette doctrine, dont l’éloigné la foule de ses adeptes. Cela revient à dire : à cause de la foule des gens simples qui se laissaient mener par leurs lois, nul homme sensé n’obéit, par exemple, à Solon, Lycurgue, Zaleukos ou tout autre législateur, surtout si on entend par homme sensé un homme vertueux. En effet, dans ces exemples, les législateurs ont accompli ce qui leur parut bienfaisant en entourant leurs peuples d’une discipline et de lois particulières ; de même Dieu, légiférant en Jésus pour les hommes de partout, conduit même ceux qui n’ont pas de bon sens, dans la mesure où il est possible de les conduire au mieux. Telle était bien sa pensée, comme on l’a dit plus haut, quand il déclare par MOÏSE : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles, EH bien ! moi, je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai au moyen d’une nation inintelligente. » Telle était aussi la pensée de Paul : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages », appelant sages au sens large tous ceux que leur apparent progrès dans les sciences n’a pas empêchés de sombrer dans le polythéisme athée, puisque, « dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles ». LIVRE III
Et s’il le sait, pourquoi ne réforme-t-il pas ? Nous faut-il expliquer pourquoi, bien qu’il le sache, il ne réforme pas? Alors que toi qui, dans ton ouvrage, ne te montres pas précisément comme épicurien, mais affectes de reconnaître la Providence, tu n’auras pas eu à dire également pourquoi Dieu, sachant tout ce qui se passe chez les hommes, ne réforme pas, et ne délivre point tous les hommes du mal par sa puissance divine. Mais nous n’avons pas honte de dire que Dieu envoie sans cesse des gens pour réformer les hommes : c’est par un don de Dieu que se trouvent dans l’humanité les doctrines qui les invitent aux plus hautes vertus. Or parmi les ministres de Dieu, il y a bien des différences : il en est peu qui prêchent dans toute sa pureté la doctrine de la vérité et réalisent une parfaite réforme. Tels furent MOÏSE et les prophètes. Mais supérieure à leur oeuvre à tous est la réforme opérée par Jésus qui a voulu guérir, non seulement les habitants d’un coin de la terre, mais, autant qu’il dépendait de lui, ceux du monde entier ; car il est venu comme « Sauveur de tous les hommes ». LIVRE IV
Ensuite, il veut établir que nous ne disons rien de remarquable ni de neuf sur le déluge et l’embrasement, bien plus, que c’est pour avoir mal compris ce qu’on en dit chez les Grecs ou les barbares que nous avons cru au récit qu’en font nos Écritures, et il déclare : Pour avoir mal compris ces doctrines, il leur est venu l’idée qu’après des cycles de longues durées et des retours et des conjonctions d’étoiles ont lieu des embrasements et des déluges, et qu’après le dernier déluge au temps de Deucalion, le retour périodique selon l’alternance de l’univers exige un embrasement. De là vient l’opinion erronée qui leur faire dire: Dieu va descendre en bourreau armé de feu. Je répliquerai : je ne sais comment Celse, homme d’une ample lecture, montrant qu’il connaît beaucoup d’histoires, n’a point prêté attention à l’antiquité de MOÏSE, dont certains écrivains grecs entre bien d’autres : « Qu’est-ce qui a été ? ? Cela même qui sera. Qu’est-ce qui s’est fait ? ? Cela même qui se refera », etc., ce n’est pas le moment d’en traiter. Il suffit de remarquer simplement que MOÏSE et quelques-uns des prophètes, auteurs très anciens, n’ont pas emprunté à d’autres leur doctrine de l’embrasement ; mais plutôt, en tenant compte des dates, les autres les ont mal compris et, faute de savoir exactement ce qu’ils avaient dit, ont imaginé dans chaque cycle des répétitions toutes semblables dans leurs caractéristiques essentielles et accidentelles. Pour nous, loin d’attribuer le déluge et l’embrasement aux cycles et aux retours périodiques des étoiles, nous leur donnons pour cause le débordement du vice, détruit par le déluge ou l’embrasement. Et les expressions prophétiques sur Dieu qui descend et dit : « Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas, moi ? dit le Seigneur », nous les entendons au figuré. Car Dieu descend de sa propre grandeur et majesté en prenant soin des affaires humaines et surtout des méchants. Et comme le langage usuel dit que les maîtres descendent au niveau des enfants, et les sages ou les progressants à celui des jeunes gens qui viennent de se tourner vers la philosophie, sans qu’il s’agisse d’une descente corporelle, de même, s’il est dit quelque part dans les saintes Écritures que Dieu descend, on le comprend d’après cet emploi habituel du terme ; et il en est de même pour monter. LIVRE IV
Et puisqu’il croit que MOÏSE, qui a raconté l’histoire de la tour et de la confusion des langues, a démarqué pour ce récit la légende des Aloïdes, il faut répondre : à mon sens, personne avant Homère, n’a jamais parlé des Aloïdes mais je suis certain que MOÏSE a écrit l’histoire de la tour bien avant Homère et même l’invention de l’alphabet grec. Dès lors, lesquels démarquent-ils plutôt l’histoire des autres ? Ceux qui racontent la légende des Aloïdes démarquent-ils l’histoire de la tour, ou celui qui a écrit l’histoire de la tour et de la confusion des langues démarque-t-il la légende des Aloïdes ? Il est bien clair au lecteur impartial que MOÏSE est plus ancien qu’Homère. LIVRE IV
Celse compare l’histoire de Sodome et Gomorrhe, détruites par le feu pour leur péché, narrée par MOÏSE dans la Genèse, au mythe de Phaéton. LIVRE IV
Et tout provient d’une seule faute : il n’a point tenu compte de l’ancienneté de MOÏSE. On ne paraît guère avoir rapporté le mythe de Phaéton que postérieurement à Homère, lequel est bien plus récent que MOÏSE. Nous ne nions donc pas le feu purificateur et la destruction du monde, pour supprimer le vice et rénover toutes choses : c’est la leçon que nous disons avoir reçue des prophètes par les livres sacrés. En vérité puisque les prophètes, comme je l’ai dit plus haut, dans leurs multiples prédictions de l’avenir ont montré qu’ils avaient dit la vérité sur bien des événements accomplis et fait la preuve qu’un Esprit divin les habitait, il est clair qu’on doit aussi les croire sur l’avenir, ou plutôt croire à l’Esprit divin qui était en eux. LIVRE IV
Après quoi, s’en prenant aux récits du premier livre de MOÏSE intitulé Genèse, Celse dit : Ils ont tenté avec impudence de rattacher leur généalogie à une première génération de sorciers et de vagabonds, invoquant le témoignage de paroles obscures, équivoques, comme cachées dans l’ombre, qu’ils interprètent à tort devant les ignorants et les sots, et cela sans que jamais, au cours de la longue période qui précède, ce point fût mis en discussion. Il me paraît avoir donné là de sa pensée une expression fort obscure. Sans doute a-t-il gardé l’obscurité sur ce point, voyant bien la force de l’argument qui prouve que la nation juive descendait de tels ancêtres. D’autre part, il a voulu ne point paraître ignorer une question primordiale pour les Juifs et leur race. Il est bien clair que les Juifs rattachent leur généalogie aux trois ancêtres Abraham, Isaac, Jacob ; leurs noms ont un tel pouvoir, quand ils sont joints à l’appellation de Dieu, que non seulement les gens de cette nation, dans les prières adressées à Dieu et dans les exorcismes contre les démons, usent de la formule « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob », mais encore presque tous ceux qui se livrent aux pratiques d’incantation et de magie. Car dans les livres de magie, on trouve souvent cette invocation de Dieu et cet emploi du nom de Dieu, conjoint aux noms de ces hommes dans les exorcismes. Ces raisons produites par les Juifs et les chrétiens pour prouver la sainteté d’Abraham, Isaac, Jacob, les ancêtres de la race juive, je ne pense pas que Celse les ait entièrement ignorées mais il s’abstient d’une exposition claire, incapable d’affronter l’argument. LIVRE IV
Ensuite, Celse cite les traits d’une histoire étrangère à la divine Écriture : Les peuples qui revendiquent l’ancienneté, Athéniens, Égyptiens, Arcadiens, Phrygiens, affirment que certains de leurs membres sont nés de la terre, et en fournissent chacun les preuves. Puis il ajoute : Les Juifs, blottis dans un coin de la Palestine, n’ayant pas entendu dire que cela fut chanté jadis par Hésiode et mille autres auteurs inspirés, composèrent une histoire fort invraisemblable et fort grossière: Un homme modelé par les mains de Dieu et recevant son souffle, une femme tirée de son côté, des commandements de Dieu, un serpent se rebellant contre eux et le serpent victorieux des prescriptions de Dieu. Conte de bonnes femmes, impiété majeure que cette fiction où Dieu est si faible dès l’origine qu’il ne peut même convaincre le seul homme qu’il a lui-même modelé ! Voilà bien par où Celse, l’auteur très savant et très instruit qui reproche aux Juifs et aux chrétiens leur manque de savoir et de culture, montre la précision avec laquelle il savait les dates de chaque écrivain grec et barbare ! Il croit Hésiode et mille autres auteurs, qualifiés par lui d’inspirés, plus anciens que MOÏSE et ses écrits, MOÏSE qui manifestement est bien antérieur à la guerre de Troie ! Donc, ce ne sont pas les Juifs qui ont composé l’histoire fort invraisemblable et grossière sur l’homme né de la terre, ce sont les auteurs inspirés, au dire de Celse, Hésiode et mille autres. Sans avoir rien appris ni entendu dire des traditions bien plus anciennes et très vénérables répandues dans la Palestine, ils ont écrit des histoires sur les origines, Ehées et Théogonies, attribuant, autant qu’ils le pouvaient, à leurs dieux une naissance et une infinité d’autres sottises ! Avec raison Platon chasse de sa République, comme corrupteurs de la jeunesse, Homère et les auteurs de ces poèmes. LIVRE IV
A la sentence qu’il porte sur le récit de MOÏSE : Impiété majeure que cette fiction où Dieu est si faible dès l’origine qu’il ne peut même convaincre le seul homme qu’il a lui-même modelé ! je répondrai qu’elle se rattache à la critique de l’existence même du mal, que Dieu n’a pu écarter d’un seul homme pour qu’au moins un seul homme quelconque s’en fût trouvé exempt dès l’origine. De même que sur ce point le souci de défendre la Providence fournit des justifications aussi nombreuses que valables, ainsi pour Adam et sa faute, on trouvera l’explication en sachant que, traduit en grec, le mot Adam signifie homme, et que, dans ce qui paraît concerner Adam, MOÏSE traite de la nature de l’homme. C’est que, dit l’Écriture, « en Adam tous meurent », et ils ont été condamnés « pour une transgression semblable à celle d’Adam », l’affirmation de la parole divine portant moins sur un seul individu que sur la totalité de la race. Et de fait, dans la suite des paroles qui semblent viser un seul individu, la malédiction d’Adam est commune à tous ; et il n’est pas de femme à laquelle ne s’applique ce qui est dit contre la femme. De plus, le récit de l’homme chassé du jardin avec sa femme, revêtu de « tuniques de peaux » que Dieu, à cause de la transgression des hommes, confectionna pour les pécheurs, contient un enseignement secret et mystérieux bien supérieur à la doctrine de Platon sur la descente de l’âme qui perd ses ailes et est entraînée ici-bas « jusqu’à ce qu’elle se saisisse de quelque chose de solide ». LIVRE IV
Remarque ici encore la haine bien peu philosophique de cet auteur contre la très ancienne Écriture des Juifs. Car, il ne peut dénigrer l’histoire du déluge. Il ignore même les objections possibles contre l’arche et ses dimensions, par exemple, qu’en acceptant comme le vulgaire les chiffres de « trois cents coudées » de longueur, de « cinquante » de largeur, de « trente » de hauteur, on ne pouvait maintenir qu’elle a contenu les animaux qui sont sur terre, quatorze de chaque espèce pure, quatre de chaque espèce impure. Alors il se contente de la qualifier d’arche étrange contenant tous les êtres. Mais qu’a-t-elle d’étrange, puisqu’on raconte qu’elle fut construite en cent ans, et qu’elle fut réduite des trois cents coudées de longueur, des cinquante de largeur, jusqu’à ce que les trente coudées de sa hauteur se terminent en une seule coudée de longueur et de largeur ? Ne serait-ce pas plutôt admirable que cette construction, semblable à une très grande ville, soit décrite par les dimensions prises à la puissance, en sorte qu’elle était, à la base, de neuf myriades de coudées de longueur, et de deux mille cinq cents de largeur ? Ne devrait-on pas admirer le dessein de la rendre solide et capable de supporter la tempête cause du déluge? Et en effet, ce n’est ni de poix, ni de quelque autre matière de cette nature, mais d’asphalte qu’elle a été fortement enduite ? Et n’est-ce point admirable que les survivants de chaque espèce aient été introduits à l’intérieur par la Providence de Dieu, afin que la terre ait de nouveau les semences de tous les êtres vivants, Dieu s’étant servi de l’homme le plus juste qui serait le père de ceux qui naîtraient après le déluge ? Celse a rejeté l’histoire de la colombe pour se donner l’air d’avoir lu le livre de la Genèse, mais n’a rien pu donner comme preuve du caractère fictif de ce trait. Puis, à son habitude de traduire l’Écriture en termes ridicules, il change le corbeau en une corneille et il suppose que MOÏSE a transcrit là sans scrupule l’histoire grecque de Deucalion ; à moins peut-être qu’il ne considère le livre comme l’oeuvre non du seul MOÏSE mais de plusieurs autres, comme l’indique la phrase : Démarquage sans scrupule de l’histoire de Deucalion ; ou encore celle-ci : Ils ne s’étaient point avisés, je pense, que cette fable paraîtrait au grand jour. Mais comment se fait-il que ceux qui ont donné des Écritures à la nation tout entière ne se soient point avisés qu’elle paraîtrait au grand jour, alors qu’ils ont même prédit que cette religion serait prêchée à toutes les nations ? Et quand Jésus dit aux Juifs : « Le Règne de Dieu vous sera retiré pour être confié à une nation qui en portera les fruits1 », quelle autre disposition a-t-il en vue que celle de présenter lui-même au grand jour, par la puissance divine, toute l’Écriture juive qui contient les mystères du Règne de Dieu ? Après cela, lecteurs des théogonies des Grecs, et des histoires de leurs douze dieux, ils leur attribuent un caractère vénérable par des interprétations allégoriques ; détracteurs de nos histoires, ils les disent fables bonnement racontées aux petits enfants ! LIVRE IV
Entre bien d’autres, je citerai quelques passages pour montrer la calomnie gratuite de Celse quand il dit que les Écritures ne sont pas susceptibles d’allégorie. Voici une déclaration de Paul, l’Apôtre de Jésus : « Il est écrit dans la loi de MOÏSE : ” Tu ne muselleras pas le boeuf qui foule le grain. ” Dieu se met-il en peine des boeufs, ou n’est-ce point surtout pour nous qu’il parle évidemment ? C’est bien pour nous qu’il a été écrit : celui qui laboure doit labourer dans l’espérance et celui qui foule le grain doit le faire dans l’espérance d’y avoir part. » Et le même écrivain dit ailleurs : « Car il est écrit : ” C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair. ” Ce mystère est de grande portée : je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église. » Et encore à un autre endroit : « Mais, nous le savons : nos pères ont tous été baptisés en MOÏSE dans la nuée et dans la mer. » Puis, interprétant l’histoire de la manne et de l’eau sortie miraculeusement du rocher, au dire de l’Écriture, il s’exprime en ces termes : « Tous ont mangé le même aliment spirituel, et tous ont bu la même boisson spirituelle ; ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher spirituel, c’était le Christ. » Et Asaph a montré que les histoires de l’Exode et des Nombres sont des mystères et des paraboles, comme il est écrit dans le livre des Psaumes ; car à leur narration il donne cette préface : « Écoutez, ô mon peuple, ma loi : tendez l’oreille aux paroles de ma bouche. J’ouvrirai la bouche en paraboles, j’évoquerai les mystères de l’origine, ce que nous avons entendu et appris, et que nos pères ont raconté. » De plus si la loi de MOÏSE ne contenait rien que mettent en lumière les significations symboliques, le prophète ne dirait pas à Dieu dans sa prière : « Ote le voile de mes yeux pour que je contemple les merveilles de ta loi. » Mais en réalité il savait bien qu’il y a un « voile » d’ignorance étendu sur le coeur de ceux qui lisent et ne comprennent pas les significations figurées. Ce voile est ôté par faveur divine, quand Dieu exauce celui qui a fait tout ce qui dépend de lui, qui a pris l’habitude d’exercer ses facultés à distinguer le bien et le mal et qui dit continuellement dans sa prière : « Ote le voile de mes yeux pour que je contemple les merveilles de ta loi. » LIVRE IV
Mais je conjecture que Celse n’a pas lu les livres, car ils me paraissent en bien des points si heureux que même les philosophes grecs seraient conquis par ce qu’ils disent. On y trouve une élaboration non seulement de style, mais aussi de pensées et de doctrines, et l’emploi de ce que Celse juge mythes dans les Écritures. Je sais même que Noumenios le Pythagoricien, de loin le meilleur commentateur de Platon et l’auteur le plus versé en doctrines pythagoriciennes, cite en maints endroits de ses traités les passages de MOÏSE et des prophètes, et en donne des interprétations allégoriques qui ne sont pas sans vraisemblance, comme dans celui qu’il intitule Epops, ou dans ses traités “Sur les Nombres et Sur le Lieu”. Et dans le troisième livre Sur le Bien, il cite même une histoire sur Jésus, sans toutefois en mentionner le nom, et l’interprète allégoriquement ; est-ce avec succès ou non, c’est à une autre occasion qu’on peut le dire. Il cite encore l’histoire de MOÏSE, Jannès et Jambrès. Ce n’est point que nous trouvions là un motif de nous glorifier, mais nous approuvons plus que Celse et les autres Grecs l’auteur qui a voulu sincèrement examiner même nos Écritures, et fut conduit à y voir des livres pleins de significations allégoriques et non de folies. LIVRE IV
Je n’ai pas encore fait remarquer que s’il avait eu la patience de supporter la lecture, comme il dit, des écrits de MOÏSE et des prophètes, il se serait demandé : pourquoi donc l’expression « Dieu fit » ne s’applique-t-elle qu’au ciel, à la terre, au « firmament », puis aux luminaires et aux étoiles, ensuite aux grands monstres marins et à chacun « des êtres vivants qui glissent et grouillent dans les eaux selon leur espèce », à tout volatile ailé « selon son espèce », après eux aux fauves de la terre « selon leur espèce », aux bestiaux « selon leur espèce », aux bestioles « selon leur espèce », enfin à l’homme, tandis que ce mot « il fit » n’est pas appliqué au reste. Quand il s’agit de créer la lumière, l’Écriture se borne à dire : « et la lumière fut », et quand il s’agit de rassembler en une masse unique toute l’eau qui est sous le ciel, elle ajoute : « et il en fut ainsi ». De même quand il s’agit des produits de la terre, elle dit : « La terre produisit de la verdure, des herbes portant semence selon leur espèce et ressemblance, des arbres fruitiers donnant des fruits contenant leur semence selon leur espèce sur la terre. » Il aurait cherché à quel être ou quels êtres s’adressent dans la Bible les commandements de Dieu sur la formation de chaque partie du monde. Et il n’aurait pas aisément critiqué comme inintelligible et sans signification secrète ce qui est écrit dans ces livres par MOÏSE, ou dirions-nous, par l’Esprit divin qui était en MOÏSE et par lequel il a prophétisé, puisqu’« il connaissait le présent, l’avenir et le passé » plus que les devins pourvus chez les poètes de telles connaissances. LIVRE IV
Mais je ne sais pourquoi Celse a jugé utile, en écrivant contre nous, de traiter à la légère une doctrine qui demanderait une longue démonstration, au moins plausible, pour montrer dans la mesure du possible que la période des êtres mortels est semblable du commencement à la fin, et au cours des cycles déterminés, nécessairement ont été, sont et seront toujours les mêmes choses. Si cela était, c’en serait fait de notre liberté. Car si, au cours des cycles déterminés, nécessairement ont été, sont et seront toujours les mêmes choses dans la période des êtres mortels, il est clair que nécessairement toujours Socrate s’adonnera à la philosophie, sera accusé d’introduire des divinités nouvelles et de corrompre la jeunesse, et qu’Anytos et Mélétos toujours l’accuseront, et le Conseil dans l’Aéropage prononcera par décret contre lui la condamnation à mort par la ciguë. Nécessairement toujours aussi, au cours des périodes déterminées Phalaris sera tyran et Alexandre de Phères commettra les mêmes cruautés, et les condamnés au taureau de Phalaris mugiront toujours en lui. Qu’on admette cela, et je ne sais comment notre liberté sera sauvée, et comment on pourra raisonnablement mériter louange ou blâme. A l’hypothèse de Celse on opposera que, si la période des êtres mortels est toujours semblable du commencement à la fin, et que, au cours des cycles déterminés, nécessairement ont été, sont, et seront toujours les mêmes choses, alors au cours des périodes déterminées nécessairement toujours MOÏSE avec le peuple juif sort d’Egypte, et Jésus revient au monde pour faire les mêmes choses qu’il a faites non pas une fois, mais un nombre infini de fois au cours des périodes. De plus, les mêmes gens seront chrétiens dans les cycles déterminés et Celse, de nouveau, écrira ce livre qu’il a auparavant écrit une infinité de fois. LIVRE IV
De plus, la parole de Dieu, rapportée par MOÏSE, a présenté les premiers hommes comme écoutant la voix divine et ses oracles, et ayant parfois des visions d’anges de Dieu venant les visiter. Il convenait en effet qu’au début du monde la nature humaine ait été davantage secourue, jusqu’au moment où par leurs progrès dans la voie de l’intelligence et des autres vertus, dans l’invention des arts, les hommes ont pu vivre par eux-mêmes, sans qu’il leur fallût l’aide et le gouvernement continuels, miraculeusement manifestés, des serviteurs du vouloir divin. LIVRE IV
Aussi bien, entre autres choses que je trouve admirables en MOÏSE, je signalerai comme dignes d’admiration sa connaissance des différentes natures des animaux, et le fait que, pour avoir appris de Dieu la vérité sur eux et sur les démons apparentés à chaque animal, ou bien pour l’avoir trouvé par ses progrès en sagesse, il ait, dans sa liste des animaux, déclaré impurs tous ceux que les Égyptiens et le reste des hommes considèrent comme aptes à la divination, et généralement purs ceux qui ne sont pas de cette espèce. Sont impurs pour MOÏSE le loup, le renard, le dragon, l’aigle, le faucon et leurs pareils. Et en général, non seulement dans la Loi, mais aussi dans les prophètes on peut trouver que ces animaux sont donnés en exemple des vices les plus odieux, et que jamais le loup et le renard n’y sont nommés en bonne part. Il semble donc qu’il y ait affinité entre chaque espèce de démons et chaque espèce d’animaux. Et comme, parmi les hommes, il en est de plus forts que d’autres, indépendamment de tout caractère moral, ainsi des démons peuvent être plus forts que d’autres en matières indifférentes. Certains utilisent des animaux déterminés pour tromper les hommes, suivant l’intention de celui que les Écritures appellent « le prince de ce siècle », et d’autres prédisent par l’intermédiaire d’une autre espèce. LIVRE IV
Elle était divine, tandis que le grand Ulysse, l’ami de l’Athéna d’Homère, n’était pas divin, mais il se réjouit quand il comprit le présage annoncé par la meunière divine, au dire du poète : « Et le divin Ulysse fut plein de joie à ce présage. » Considère donc que si les oiseaux ont l’âme divine et sentent Dieu, ou, comme le dit Celse, les dieux, manifestement, nous aussi les hommes, quand nous éternuons nous le faisons parce qu’une divinité est présente en nous qui accorde à notre âme une puissance divinatrice. C’est chose attestée par un grand nombre. D’où ces mots du poète : « Mais lui éternua en faisant un voeu » ; et ces mots de Pénélope : « Ne vois-tu pas ? Mon fils a éternué à toutes tes paroles. » La véritable Divinité n’emploie, pour la connaissance de l’avenir, ni les animaux sans raison, ni les hommes quelconques, mais les plus saintes et les plus pures des âmes humaines qu’elle inspire et fait prophétiser. C’est pourquoi, entre autres admirables paroles contenues dans la Loi de MOÏSE, il faut placer celle-ci : « Gardez-vous de prendre des auspices et d’observer les oiseaux » ; et ailleurs : « Car les nations que le Seigneur ton Dieu anéantira devant toi écouteront présages et divinations ; mais tel n’a pas été pour toi le don du Seigneur ton Dieu. » Et il ajoute immédiatement : « Le Seigneur ton Dieu te suscitera un prophète parmi tes frères. » Et Dieu, voulant un jour détourner par un devin de la pratique de la divination, fit parler son esprit par la bouche d’un devin : « Car il n’y a pas de présage en Jacob, ni de divination en Israël ; mais en son temps il sera dit à Jacob et à Israël ce que Dieu voudra. » Reconnaissant donc la valeur de telles injonctions et d’autres semblables, nous tenons à garder ce commandement qui a un sens mystique : « Avec grand soin garde ton coeur », afin qu’aucun des démons ne pénètre dans notre esprit, et qu’aucun des esprits hostiles ne tourne à son gré notre imagination. Mais nous prions pour que resplendisse « dans nos coeurs la lumière de la connaissance de la gloire de Dieu », l’Esprit de Dieu résidant dans notre imagination et nous suggérant des images dignes de Dieu : car « ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu ». LIVRE IV
Il faut savoir que la prévision de l’avenir n’est pas nécessairement divine : elle est de soi chose indifférente qui échoit aux méchants et aux bons. Les médecins, par exemple, font des prévisions grâce à leur habileté médicale, même s’ils sont moralement mauvais. De même aussi les pilotes, fussent-ils pervers, prévoient les symptômes et la violence des vents, les changements des conditions atmosphériques, en se fondant sur l’expérience et l’observation. Et je ne suppose pas que ce soit une raison de les dire divins s’ils sont moralement mauvais. Mensonge donc l’assertion de Celse : que pourrait-on déclarer plus divin que la prévision et la prédiction de l’avenir ? Mensonge aussi de dire que beaucoup d’animaux revendiquent des notions divines : aucun des animaux sans raison ne possède une notion de Dieu. Mensonge enfin de dire que les animaux sans raison sont plus proches de l’union avec Dieu. En fait, parmi les hommes ceux qui sont encore méchants, fussent-ils à la tête du progrès, restent loin de l’union avec Dieu. Seuls, donc, les vrais sages qui pratiquent sincèrement la piété sont plus proches de l’union avec Dieu. Tels étaient nos prophètes, et MOÏSE à qui l’Écriture a rendu témoignage pour son extrême pureté : « MOÏSE seul s’approchera de Dieu, les autres n’approcheront pas. » LIVRE IV
J’aborde maintenant un cinquième livre contre le traité de Celse, pieux Ambroise : non pour me livrer à un bavardage injustifiable puisqu’il n’irait pas sans péché, mais je fais de mon mieux pour ne laisser sans examen aucun de ses propos, notamment là où d’aucuns pourraient croire qu’il a dirigé des critiques pertinentes contre nous ou contre les Juifs. S’il m’était possible, par ce discours, de pénétrer la conscience de chaque lecteur de son ouvrage, d’en arracher tout trait blessant une âme que ne protège pas entièrement l’armure de Dieu, d’appliquer un remède spirituel guérissant la blessure causée par Celse, blessure empêchant qui se fie à ses arguments d’être robuste dans la foi, c’est bien ce que j’aurais fait. Mais c’est l’oeuvre de Dieu d’habiter invisiblement par son Esprit et l’Esprit du Christ ceux qu’il juge devoir habiter. Pour moi, en tâchant, par des discours et des traités, de raffermir les hommes dans la foi, je dois faire tous mes efforts pour mériter le titre d’ouvrier qui n’a pas à rougir, de fidèle dispensateur de «la parole de la vérité». Et l’un de ces efforts me semble être de réfuter de mon mieux les arguments plausibles de Celse, exécutant avec confiance le mandat que tu m’as donné. Je vais donc citer les arguments de Celse qui suivent ceux auxquels j’ai déjà répondu – au lecteur de juger si je les ai renversés -, je vais leur opposer mes réfutations. Que Dieu m’accorde de ne point aborder mon sujet en laissant mon esprit et ma raison purement humains et vides d’inspiration divine, « pour que la foi » de ceux que je désire aider « ne repose pas sur la sagesse des hommes », mais que je reçoive de son Père qui seul peut l’accorder « la pensée du Christ » et la grâce de participer au Logos de Dieu, et qu’ainsi je puisse détruire « toute puissance altière qui s’élève contre la connaissance de Dieu » et la suffisance de Celse qui s’élève contre nous et contre notre Jésus, et encore contre MOÏSE et les prophètes. Et que celui qui donne « aux messagers son Logos avec une grande puissance » me l’accorde à moi aussi et me fasse don de cette grande puissance, et que naisse chez les lecteurs la foi fondée sur le Logos et la puissance de Dieu ! LIVRE V
Ensuite, il a ce passage sur les Juifs : ” Voici un premier trait surprenant chez les Juifs : ils vénèrent le ciel et les anges qui s’y trouvent, mais les parties du ciel les plus respectables et les plus puissantes, le soleil, la lune et les autres astres, étoiles et planètes, ils n’en ont cure: comme s’il était admissible que le tout soit dieu et que ses parties ne soient pas divines; ou que l’on rende un culte suprême à des êtres apparaissant, dit-on, je ne sais dans quelles ténèbres, à ceux qu’aveugle une magie suspecte ou qui voient en rêve des fantômes indistincts, tandis que ceux qui prédisent avec tant de clarté et d’éclat pour tout le monde, par qui sont dispensés les pluies, les chaleurs, les nuées, les tonnerres que les Juifs adorent, les éclairs, les fruits et tous les produits de la terre, ceux par qui Dieu se révèle à eux, les hérauts les plus manifestes d’en haut, les véritables messagers célestes, on les tienne pour rien ! ” Celse me semble là être tombé dans la confusion et avoir écrit des choses apprises par ouï-dire, qu’il ne comprenait pas. Car l’examen du judaïsme et sa comparaison avec le christianisme le manifestent clairement : les Juifs observent la loi disant au nom de Dieu : « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi. Tu ne te feras pas d’image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans le ciel là-haut, ni à ce qui est sur la terre ici-bas, ou dans les eaux en-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas. » Ils n’adorent que le Dieu suprême Créateur du ciel et de tout le reste. Il est clair que ceux qui vivent selon la loi, s’ils adorent celui qui a fait le ciel, n’adorent point en même temps le ciel et Dieu. De plus, aucun observateur de la loi de MOÏSE n’adore les anges qui sont au ciel. N’adorant pas le soleil, la lune, les étoiles, « le monde du ciel », ils évitent aussi bien d’adorer le ciel et les anges qui s’y trouvent, par obéissance à leur loi : « Quand tu lèveras les yeux vers le ciel, quand tu verras le soleil, la lune, les étoiles et tout le monde du ciel, ne va pas te laisser entraîner à les adorer et à les servir : le Seigneur ton Dieu les a donnés en partage à tous les peuples. » LIVRE V
Bien plus, supposant que les Juifs regardent le ciel comme dieu, il ajoute que c’est absurde et leur reproche d’adorer le ciel mais non le soleil, la lune et les étoiles, et ainsi de se comporter comme s’il était admissible que le tout soit dieu et que ses parties ne soient pas divines ; il semble dire que le ciel est le tout, et le soleil, la lune et les étoiles sont ses parties. Or il est bien clair que ni Juifs ni chrétiens ne disent que le ciel est dieu. Mais accordons qu’il ait raison de dire que les Juifs nomment dieu le ciel, supposons même que le ciel, la lune et les étoiles soient des parties du ciel, – ce qui n’est pas absolument vrai, pas plus que les animaux sur la terre ne sont parties de la terre – : serait-il donc vrai, même aux yeux des Grecs, que si le tout est dieu alors aussi ses parties soient divines ? Sans aucun doute ils disent que le monde en sa totalité est dieu, les Stoïciens, qu’il est le premier, les Platoniciens le second, certains d’entre eux le troisième. Est-ce donc que d’après eux, puisque le monde en sa totalité est dieu, alors aussi ses parties sont divines : si bien que non seulement les hommes mais encore tous les animaux sans raison, comme parties du monde, sont des êtres divins, et en plus d’eux même les plantes ? Et si les montagnes, les fleuves et les mers sont des parties du monde est-ce que, le monde en sa totalité étant dieu, alors aussi les fleuves et les mers sont des dieux ? Mais non, les Grecs ne diraient point cela : ce sont les êtres, démons sans doute, ou dieux selon l’appellation de certains, préposés aux fleuves et aux mers qu’ils appelleraient dieux. Même pour les Grecs qui admettent la Providence, est fausse l’affirmation générale de Celse : si le tout est dieu, nécessairement ses parties sont divines. Il suit de son argument que, si le monde était dieu, toutes les choses qui y sont, étant des parties du monde, seraient divines. A ce compte, les animaux seraient divins : mouches, vers de bois, vers de terre, chaque espèce de serpents, et encore, d’oiseaux et de poissons ; assertion que ne tiendraient pas même ceux qui disent que le monde est dieu. Mais les Juifs, qui vivent selon la loi de MOÏSE, même s’ils ne savent pas interpréter la signification obscure de la loi dans son sens caché, ne diront jamais que le ciel ou les anges sont des dieux. LIVRE V
Pour nous qui n’adorons pas plus les anges que le soleil, la lune et les étoiles, s’il faut justifier notre refus d’adorer ceux que les Grecs nomment des dieux visibles et sensibles, nous dirons : même la loi de MOÏSE sait que ces êtres ont été donnés par Dieu en partage « à toutes les nations qui sont sous le ciel », mais non plus à ceux qui ont été pris par Dieu pour sa part choisie de préférence à toutes les nations qui sont sur la terre. Du moins il est écrit dans le Deutéronome : « Quand tu lèveras les yeux vers le ciel, quand tu verras le soleil, la lune et les étoiles, et toute l’armée du ciel, ne va pas te laisser entraîner à les adorer et à les servir. Le Seigneur ton Dieu les a donnés en partage à toutes les nations qui sont sous le ciel. Mais vous, le Seigneur Dieu vous a pris et vous a fait sortir du creuset, l’Egypte, pour que vous deveniez le peuple de son héritage, comme vous l’êtes encore aujourd’hui. » Le peuple des Hébreux a donc été appelé par Dieu à être « une race choisie », « un sacerdoce royal », « une nation sainte », « un peuple qu’il s’est acquis » : lui dont il avait été prédit à Abraham par la parole du Seigneur s’adressant à lui : « Lève les yeux au ciel et compte les étoiles si tu peux les compter. Et il lui dit : Ainsi sera ta postérité. » Un peuple qui avait l’espérance de devenir comme les étoiles du ciel n’allait pas adorer celles à qui il allait devenir semblable parce qu’il comprenait et observait la loi de Dieu. En effet, il a été dit aux Juifs : « Le Seigneur votre Dieu vous a multipliés et vous êtes aujourd’hui comme les étoiles du ciel. » Voici encore, dans Daniel, une prophétie sur la résurrection : « En ce temps là, ton peuple sera sauvé, quiconque est inscrit dans le livre. Et beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre s’éveilleront, les uns pour une vie éternelle, les autres pour une réprobation et une honte éternelles. Les sages resplendiront comme la splendeur du firmament, et du fait des justes en grand nombre, comme les étoiles pour toujours et à jamais. » De là vient aussi que Paul traitant de la résurrection dit : « Il y a des corps célestes et des corps terrestres ; mais autre est l’éclat des célestes, autre celui des terrestres. Autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat de la lune, autre l’éclat des étoiles. Car une étoile diffère en éclat d’une étoile. Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts. » LIVRE V
Mais accordons, pour citer les expressions de Celse, que le soleil, la lune, les étoiles prédisent d’avance les pluies, les chaleurs, les nuées, les tonnerres. S’ils font des prédictions si importantes, n’est-ce pas une raison d’adorer davantage Dieu qu’ils servent par leurs prédictions et de l’honorer lui et non ses prophètes ? Qu’ils prédisent donc les éclairs, les fruits et tous les produits de la terre, et qu’ils dispensent tous les biens de ce genre ! Nous n’irons pas pour autant adorer ces adorateurs, et pas davantage MOÏSE et ses successeurs qui ont prédit par Dieu les biens d’un genre supérieur aux pluies, à la chaleur, aux nuées, aux tonnerres, aux éclairs, aux fruits et à tous les produits sensibles. Bien plus, même s’il est au pouvoir du soleil, de la lune et des étoiles de prédire des événements plus importants que les pluies, ce n’est pas eux pour autant que nous adorerons, mais l’Auteur de leurs prophéties et le Logos de Dieu leur ministre. LIVRE V
établi des lois conformément aux coutumes de leur pays. Ils les maintiennent parmi eux aujourd’hui encore et observent une religion qui, quelle qu’elle soit, est du moins traditionnelle. Ils agissent là comme les autres hommes, car chacun a en honneur les coutumes traditionnelles, de quelque manière qu’elles aient pu être établies. Et il semble qu’il en arrive ainsi, non seulement parce qu’il est venu à l’esprit de différents peuples de se donner des lois différentes et que c’est un devoir de garder ce qui a été décidé pour le bien commun, mais encore parce que vraisemblablement les différentes parties de la terre ont été dès l’origine attribuées à différentes puissances tutélaires et réparties en autant de gouvernements, et c’est ainsi qu’elles sont administrées. Dès lors, ce qui est fait dans chaque nation est accompli avec rectitude si c’est de la manière agréée de ces puissances; mais il y aurait impiété à enfreindre les lois établies dès l’origine dans chaque région. Celse affirme donc ici que les Juifs, autrefois des Égyptiens, devinrent dans la suite une nation particulière et ont établi des lois qu’ils respectent. Et, pour ne pas répéter ses expressions déjà citées, il dit qu’il leur est arrivé de garder les pratiques religieuses traditionnelles à l’instar des autres nations qui ont en honneur leurs propres coutumes. Il avance une raison plus profonde pour laquelle il est arrivé aux Juifs d’avoir en honneur leurs coutumes traditionnelles, en insinuant que les êtres qui ont obtenu d’être les puissances tutélaires de la terre ont coopéré avec les législateurs à l’institution des lois de chaque peuple. Il semble donc indiquer que soit le pays des Juifs, soit la nation qui l’habite sont sous la tutelle d’un ou plusieurs êtres, par la collaboration duquel ou desquels avec MOÏSE les lois des Juifs ont été établies. LIVRE V
Nous affirmons que MOÏSE, pour nous le prophète de Dieu et son véritable serviteur, retrace ainsi le partage des peuples de la terre dans le Cantique du Deutéronome : « Quand le Très-Haut divisait les nations, quand il répartissait les fils d’Adam, il fixa les limites des nations suivant le nombre d’anges de Dieu, mais le lot du Seigneur, ce fut son peuple Jacob, et le lot de son héritage Israël. » Sur la division des nations, le même MOÏSE, dans son livre de la Genèse, raconte sous la forme d’une histoire : « Et toute la terre n’avait qu’une langue, avec les mêmes mots pour tous. Et il advint que, se déplaçant du Levant, ils trouvèrent une plaine au pays de Sennaar et ils s’y établirent. » Et peu après : « Le Seigneur descendit voir la ville et la tour que les fils des hommes avaient bâtie. Et le Seigneur dit : ” Voici qu’ils ne forment qu’une seule race avec une seule langue pour tous. Ils ont commencé là leurs entreprises, et maintenant, ils n’auront de cesse qu’ils n’aient accompli tout ce qu’ils désirent. Allons ! Descendons ! Et là confondons leur langage, pour que chacun ne comprenne plus la parole de son voisin. ” Et le Seigneur les dispersa de là sur la face de toute la terre, et ils cessèrent de bâtir la ville et la tour. Voilà pourquoi on lui donna le nom de Confusion, car c’est là que le Seigneur confondit la langue de toute la terre, et c’est de là que le Seigneur les dispersa sur la face de toute la terre “. Dans le livre intitulé la Sagesse de Salomon traitant de la sagesse et de ceux qui vivaient lors de la confusion des langues, quand eut lieu le partage des peuples de la terre, il est ainsi parlé de la sagesse : « Et lorsque, unanimes en leur perversité, les nations eurent été confondues, c’est elle qui discerna le juste, le conserva sans reproche devant Dieu, et le garda fort contre sa tendresse pour son enfant.» Le sujet comporte une profonde doctrine mystique à laquelle s’applique la parole : « Il est bon de cacher le secret du roi. » Il ne faut pas livrer aux oreilles profanes la doctrine sur l’entrée des âmes dans le corps qui n’est pas due à la métensomatose ; il ne faut pas donner aux chiens les choses sacrées, ni jeter les perles aux pourceaux. Ce serait une impiété impliquant une trahison des secrets oracles de la sagesse de Dieu, d’après la belle sentence : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, elle n’habitera pas dans un corps tributaire du péché. » Pour les vérités cachées sous la forme d’une histoire, il suffît de les présenter selon la forme de cette histoire pour permettre à ceux qui le peuvent de dégager pour eux-mêmes la signification du passage. Qu’on se représente donc tous les peuples sur la terre, usant d’une même langue divine et, aussi longtemps du moins qu’ils vivent en accord les uns avec les autres, persistant à user de cette langue divine. Ils restent sans s’éloigner du Levant tant qu’ils ont l’esprit sensible aux effets de la lumière et du rayonnement « de la lumière éternelle ». Et quand, l’esprit rempli de préoccupations étrangères au Levant, ils se sont éloignés du Levant, ils trouvent « une plaine dans le pays de Sennaar », ce qui s’interprète ébranlement des dents pour indiquer symboliquement qu’ils ont perdu les moyens de se nourrir ; et ils y habitent. Ils veulent ensuite rassembler des matériaux et unir au ciel ce qui ne peut naturellement y être uni, pour conspirer avec la matière contre ce qui est immatériel. LIVRE V
Que ce choeur s’en aille donc, après avoir reçu le châtiment de son arrogance, puisqu’il n’a pas connu le Grand Dieu mais que, séduit et abusé par l’imposture de MOÏSE, il s’est mis à son école pour son malheur. Il est clair que Celse reproche là aux Juifs de mentir en se prétendant la part choisie du Dieu suprême , de préférence à toutes les nations. Ainsi il les accuse d’arrogance, parce qu’ils se font gloire du Grand Dieu alors qu’ils ne l’ont pas connu mais que, séduits par l’imposture de MOÏSE et abusés par lui, ils se sont mis à son école pour leur malheur. Or, dans les pages précédentes, j’ai déjà partiellement décrit le régime vénérable et supérieur des Juifs, au temps où subsistait pour eux l’image idéale de la Cité de Dieu et de son Temple, et du culte sacerdotal dans le temple et sur l’autel. Et si, l’esprit fixé sur l’intention du législateur et le régime qu’il a établi, on examinait les pratiques juives pour les comparer à la conduite actuelle des autres peuples, on n’en admirerait aucun davantage puisque, dans la mesure humainement possible, ils avaient répudié tout ce qui est inutile à l’humanité, ne gardant que les vrais biens. C’est pourquoi ils n’avaient pas de jeux publics, de spectacles, de courses de chevaux, ni de femmes vendant leur beauté à qui désire gaspiller sa semence en outrageant la nature de la procréation humaine. LIVRE V
Qu’il était beau, chez eux, d’être instruit dès le plus jeune âge à s’élever au-dessus de toute la nature sensible, à penser que Dieu ne réside nulle part en elle, et à le chercher au-dessus et au delà des corps ! Qu’il était grand d’être instruit, presque dès la naissance et la formation de la raison, de l’immortalité de l’âme, des tribunaux souterrains, des récompenses méritées par une vie vertueuse ! Ces vérités étaient alors prêchées sous la forme d’histoire à des enfants, parce qu’ils avaient l’intelligence des enfants. Mais bientôt, pour ceux qui cherchaient la doctrine et voulaient y progresser, les histoires de naguère se transfiguraient pour ainsi dire en laissant voir la vérité qu’elles renfermaient. Et je pense qu’ils ont mérité d’être appelés la part de l’héritage de Dieu pour avoir méprisé toute divination comme une vaine fascination des hommes, venant de démons pervers plutôt que d’une nature supérieure, et pour avoir cherché à connaître l’avenir auprès d’âmes qui avaient obtenu par leur extrême pureté l’esprit du Dieu suprême. Faut-il dire à quel point la loi interdisant aux Juifs de maintenir en esclavage plus de six ans un coreligionnaire est conforme à la raison, et cela sans injustice ni pour le maître ni pour l’esclave ? Si donc les Juifs doivent garder jalousement leur propre loi, ce n’est pas en vertu des mêmes principes que les autres peuples. Ils mériteraient le blâme et le reproche d’être insensibles à la supériorité de leurs lois, s’ils croyaient qu’elles ont été écrites de la même manière que les lois des autres peuples. Et, en dépit de Celse, les Juifs ont une sagesse plus profonde non seulement que celle de la foule, mais que celle des hommes qui passent pour philosophes, car les philosophes, après leurs sublimes raisonnements philosophiques s’abaissent jusqu’aux idoles et aux démons, tandis que même le dernier des Juifs attache son regard au seul Dieu suprême. Et ils ont bien raison, pour cela au moins, de se glorifier et d’éviter la société des autres qu’ils jugent souillés et impies. Plût au ciel qu’ils n’aient point péché par leurs transgressions, d’abord en tuant les prophètes, ensuite en conspirant contre Jésus ! Nous aurions en eux un modèle de la cité céleste que Platon a cherché lui-même à décrire ; mais je ne sais s’il aurait pu accomplir tout ce que réalisèrent MOÏSE et ses successeurs qui ont fait l’éducation d’une « race choisie », « d’une nation sainte » et consacrée à Dieu, par des doctrines exemptes de toute superstition. LIVRE V
S’il en va ainsi des noms humains, que faut-il penser des noms attribués pour une raison ou l’autre à la divinité ? Par exemple, il y a en grec une traduction du mot Abraham, une signification du nom Isaac, un sens évoqué par le son Jacob. Et si, dans une invocation ou un serment, on nomme « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob », la formule produit son effet, soit par la qualité naturelle de ces noms, soit par leur puissance. Car les démons sont vaincus et dominés par celui qui prononce ces noms. Mais si l’on dit : le Dieu du père choisi de l’écho, le Dieu du rire, le Dieu du supplanteur, on n’obtient pas plus d’effet qu’avec un autre nom dépourvu de puissance. On n’aurait pas plus de résultat en traduisant en grec ou dans une autre langue le nom d’Israël ; mais, en le conservant et en lui adjoignant ceux auxquels ont coutume de l’unir les gens experts en la matière, on peut réaliser l’effet promis à ces invocations faites dans cette langue. On dira la même chose du mot Sabaoth, fréquemment employé dans les incantations. A traduire ce nom : Seigneur des puissances, Seigneur des Armées, Tout-Puissant – car ses traducteurs lui donnent différentes acceptions ?, l’effet en sera nul ; alors que si on lui garde sa sonorité propre, on obtiendra de l’effet, au dire des spécialistes. On dira la même chose du mot Adonaï. Si donc ni Sabaoth, ni Adonaï, dans la traduction grecque de ce qu’ils semblent signifier n’ont aucun effet, combien plus seront-ils dépourvus d’efficacité et de puissance quand on croit qu’il est indifférent d’appeler Zeus Très-Haut, Zen, Adonaï, Sabaoth ! Instruits de tels secrets et d’autres semblables, MOÏSE et les prophètes ont interdit de prononcer « les noms d’autres dieux » par une bouche habituée à ne prier que le Dieu suprême, et de se ressouvenir d’eux dans un c?ur exercé à se garder de toute vanité de pensées et de paroles. C’est aussi la raison pour laquelle nous préférons supporter tous les mauvais traitements plutôt que de reconnaître Zeus pour Dieu. Car nous pensons que Zeus n’est pas identique à Sabaoth mais que, loin d’être une divinité, il n’est qu’un démon prenant plaisir à être ainsi nommé, ennemi des hommes et du Dieu véritable. Et même si les Égyptiens nous proposent Amon en nous menaçant de châtiments, nous mourrons plutôt que de proclamer Amon dieu : c’est un nom probablement usité dans certaines incantations égyptiennes qui évoquent ce démon. Libre aux Scythes de nommer Papaeos le Dieu suprême : nous ne le croirons pas. Nous admettons bien le Dieu suprême, mais refusons de donner à Dieu le nom propre de Papaeos, qui n’est qu’un nom agréable au démon ayant en partage le désert, la race et la langue des Scythes. Mais ce n’est pas pécher que de donner à Dieu le nom commun en langue scythe, égyptienne, ou toute autre langue maternelle. LIVRE V
Les Juifs, il est vrai, s’enorgueillissent de leur circoncision, la distinguant non seulement de celle des Colchidiens et des Égyptiens, mais encore de celle des Arabes Ismaélites, bien qu’Ismaël soit fils d’Abraham leur ancêtre et ait été circoncis avec lui. D’après les Juifs, la circoncision principale est celle qui se fait le huitième jour et il n’en est pas de même pour celle qui est due aux circonstances. Peut-être était-elle pratiquée à cause d’un ange ennemi de la nation des Juifs, capable de nuire à ceux d’entre eux qui étaient incirconcis, mais sans pouvoir contre les circoncis. Voilà, dirait-on, ce que montre le passage de l’Exode où l’ange, avant la circoncision d’Éléazar pouvait agir contre MOÏSE, mais après qu’il fut circoncis n’eut plus de force. Et parce qu’elle le savait, « Séphora prit une pierre tranchante et circoncit » son fils en disant, au témoignage des leçons communes des copies : « Le sang de la circoncision de mon fils est arrêté », mais selon le texte hébreu lui-même : « Tu es pour moi un époux de sang » ; car elle savait l’histoire de cet ange qui avait un pouvoir avant l’effusion du sang, pouvoir que lui fit perdre le sang de la circoncision : voilà pourquoi elle lui dit : « Tu es pour moi un époux de sang. » LIVRE V
Après avoir répondu, autant que possible, aux accusations portées par Celse contre les Juifs et leur doctrine, qu’on me permette, à propos du passage qui suit, de prouver qu’il n’y a pour nous aucune arrogance à prétendre connaître le Grand Dieu, et que nous n’avons pas été séduits, comme le croit Celse, par l’imposture de MOÏSE ou de notre Sauveur lui-même. Et c’est pour notre bien que nous écoutons Dieu qui parle par MOÏSE, et sur son témoignage qu’il est Dieu, nous avons accepté Jésus comme Fils de Dieu. Et nous espérons les plus belles espérances quand nous vivons selon sa parole. LIVRE V
Voici le passage de Celse que je veux maintenant examiner : ” soit ! Nous laissons de côté tout ce qui les confond au sujet de leur maître; admettons qu’il fut un ange véritable. Fut-il le premier et le seul à venir ou y en eut-il d’autres auparavant? S’ils répondaient qu’il fut le seul, ils seraient convaincus de mensonge et de contradiction. Car ils disent qu’il en est souvent venu d’autres, et même jusqu’à soixante ou soixante-dix à la fois; qu’ils se sont pervertis et, en punition, ont été enchaînés sous terre, d’où vient que les sources chaudes sont leurs larmes. De plus, à son tombeau il vint, les uns disent un ange, les autres deux, annoncer aux femmes qu’il était ressuscité. Car le Fils de Dieu, à ce qu’il paraît, ne pouvait ouvrir le tombeau, mais il a eu besoin d’un autre pour déplacer la pierre. Bien plus, il vint encore un ange auprès du charpentier pour expliquer la grossesse de Marie, et un autre ange pour les faire fuir en arrachant le bébé au péril. Mais à quoi bon tout rechercher avec minutie et dénombrer ceux qu’on dit avoir été envoyés à MOÏSE et à d’autres des leurs? Or, si d’autres encore ont été envoyés, il est manifeste que Jésus est lui aussi venu de la part du même Dieu. Accordons même qu’il ait eu un message d’une autre importance: par exemple, que les Juifs étaient en train de commettre des fautes, de falsifier la religion, d’accomplir des actions impies. C’est ce qu’on nous laisse entendre.” Il suffirait, pour répondre aux paroles de Celse, de renvoyer à ce que j’ai dit dans les recherches particulières sur notre Sauveur Jésus-Christ. Mais pour ne point paraître négliger exprès un passage de son traité comme si j’étais incapable de le réfuter, qu’on me permette, au risque de me répéter puisque Celse m’y engage, de le discuter aussi brièvement que possible : peut-être les mêmes questions présentent-elles un aspect plus clair ou plus nouveau. Il déclare bien avoir laissé de côté tout ce qui confond les chrétiens au sujet de leur Maître, mais il n’a rien laissé de ce qu’il pouvait dire, comme le montre la précédente tirade, ce qui n’est après tout qu’un procédé de rhétorique. Mais nous ne sommes pas confondus à propos de notre si grand Sauveur, bien que notre calomniateur se figure nous confondre : c’est ce que fera ressortir une lecture soigneuse et loyale de tout ce qui le concerne, prophéties et histoire. LIVRE V
Après cela il ajoute, je ne sais pourquoi, car j’ignore quel avantage il en espère pour son propos : Il vint un ange auprès de Joseph pour expliquer la grossesse de Marie, puis de nouveau pour les faire fuir en Egypte en arrachant le bébé au complot qui le menaçait. Ce point a été de même discuté plus haut dans mes répliques à ses attaques. Mais quelle est l’intention de Celse en objectant que, d’après le récit des Écritures, des anges furent envoyés à MOÏSE et aux autres ? Cela ne me semble être d’aucun appui à son propos, pour cette raison surtout qu’aucun d’eux n’a lutté de toutes ses forces pour détourner le genre humain de ses péchés. Il est vrai que d’autres encore ont été envoyés de Dieu et que Jésus eut un message d’une autre importance ; que les Juifs étant en train de commettre des fautes, de falsifier la religion, d’accomplir des actions impies, le Règne de Dieu a été remis à « d’autres vignerons »; à ceux qui partout prenant soin d’eux dans les églises mettent tout en oeuvre afin d’en amener d’autres encore suivant l’enseignement de Jésus, par une vie pure et une doctrine en accord avec la vie, au Dieu de l’univers. LIVRE V
Celse ajoute encore :” C’est donc le même Dieu qu’ont les Juifs et ces gens-là, ” évidemment les chrétiens. Et comme s’il tirait une conclusion qu’on ne saurait lui accorder, il dit :” C’est bien ce que reconnaissent ouvertement ceux de la grande Église qui reçoivent pour véridique la tradition courante parmi les Juifs sur la création du monde, par exemple sur les six jours et sur le septième. Ce jour-là,” dit l’Écriture, ” Dieu arrêta ses travaux, se retirant dans la contemplation de lui-même. Celse, ne remarquant pas ou ne comprenant pas ce qui est écrit, traduit se reposa, ce qui n’est pas écrit. Mais la création du monde et le repos sabbatique réservé après elle au peuple de Dieu offrent matière à une doctrine ample, profonde et difficile à expliquer. Il me paraît ensuite gonfler son livre et lui donner quelque importance en ajoutant des traits au hasard, par exemple l’histoire du premier homme que nous disons identique à celui que nommèrent les Juifs; et la généalogie de ses descendants que nous déterminons comme eux. Quant au complot que les frères ont ourdi l’un contre l’autre, je l’ignore. Je connais celui de Caïn contre Abel et celui d’Esaü contre Jacob. Mais il n’y en eut pas d’Abel contre Caïn, ni de Jacob contre Esaü. S’il y en avait eu, Celse aurait raison de dire que nous racontons après les Juifs les mêmes complots que les frères ont ourdis l’un contre l’autre. Accordons encore que nous parlons, eux et nous, de la même descente en Egypte, et du même exode de ce pays, et non pas d’une fuite comme pense Celse. Y a-t-il là de quoi fonder une accusation contre nous ou contre les Juifs ? Quand il pensait nous ridiculiser par l’histoire des Hébreux, il parlait de fuite ; mais quand il s’agissait d’examiner l’histoire des plaies que Dieu infligea à l’Egypte, il a préféré se taire. S’il faut préciser ma réponse à Celse, pour qui nous avons les mêmes opinions que les Juifs sur ces questions, je dirai : nous reconnaissons comme eux que ces livres ont été écrits par inspiration divine, mais nous ne sommes plus d’accord sur l’interprétation de leur contenu. Nous ne vivons pas comme les Juifs, car nous pensons que le sens de la législation dépasse l’interprétation littérale des lois. Et nous disons : « Toutes les fois que MOÏSE est lu, un voile est étendu sur leur c?ur », car l’intention de la loi de MOÏSE est cachée à ceux qui ne sont pas engagés avec ardeur sur la voie indiquée par Jésus-Christ. Nous savons que, « quand on se convertit au Seigneur – et le Seigneur c’est l’Esprit -, le voile » tombe ; l’on réfléchit pour ainsi dire comme en un miroir « à visage découvert la gloire du Seigneur » qui est dans les pensées cachées sous la lettre, et l’on participe pour sa propre gloire à ce qu’on appelle la gloire divine. Le mot visage, employé au figuré, est tout simplement ce qu’on pourrait dire entendement, et tel est le visage « selon l’homme intérieur », rempli de lumière et de gloire par la vérité contenue dans ces lois. LIVRE V
Mais d’abord nos sages, MOÏSE le plus ancien et les prophètes après lui, savaient que le Souverain Bien est absolument ineffable. Et comme Dieu se manifeste à ceux qui en sont dignes et prêts à le recevoir, ils ont écrit qu’il apparut entre autres à Abraham, à Isaac, à Jacob. Mais avec quelle qualité, en quel état, de quelle manière, et auquel d’entre nous apparut-il ? Ils ont laissé ces questions à résoudre par ceux qui peuvent montrer eux-mêmes qu’ils sont semblables à ceux auxquels Dieu est apparu : Dieu qu’ils ont vu non par les yeux de leur corps mais par leur coeur pur ; car, selon notre Jésus, « Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu ». LIVRE VI
Déjà chez MOÏSE et les prophètes, antérieurs non seulement à Platon mais encore à Homère et à l’invention de l’alphabet chez les Grecs, on trouve bien des passages répondant à la grâce que Dieu leur avait donnée et pleins de pensées sublimes. Ils étaient loin d’avoir dit cela pour avoir compris Platon de travers, comme le croit Celse : comment eussent-ils pu entendre celui qui n’était pas encore né ? Et pour appliquer le mot de Celse aux apôtres de Jésus, plus récents que Platon, vois s’il n’est pas d’emblée invraisemblable de dire que Paul le fabricant de tentes, Pierre le pêcheur, Jean qui a laissé les filets de son père, aient transmis une telle doctrine sur Dieu pour avoir compris de travers les propos de Platon dans ses Lettres. Et, bien que souvent déjà Celse ait répété que nous demandons une foi immédiate, il l’affirme encore comme une nouveauté qui s’ajouterait à ses propos antérieurs ; mais la réponse déjà faite suffit. LIVRE VI
Ensuite, au lieu de débattre, comme c’était son devoir, le point controversé, il nous traite d’imposteurs et dit que nous fuyons en désordre les gens distingués, non disposés à être dupes, mais prenons au piège les rustres. C’est qu’il a ignoré que dès les tout premiers temps nos sages ont été élevés dans les sciences des étrangers : MOÏSE, « dans toute la sagesse égyptienne » ; Daniel, Ananias, Azarias, et Misaël, dans toute la littérature assyrienne, au point d’être trouvés dix fois supérieurs à tous les sages de là-bas. Aujourd’hui encore, les églises possèdent, bien qu’en petit nombre par rapport à la multitude, des sages qui sont venus même de la sagesse que nous appelons « charnelle » et elles possèdent aussi ceux qui ont progressé de celle-ci à la sagesse divine. LIVRE VI
Et pour faire voir que la connaissance de Dieu a été rarement accordée aux hommes et ne se trouvait que chez un très petit nombre, il est écrit que MOÏSE « pénétra dans la ténèbre où était Dieu », et encore de MOÏSE : « MOÏSE seul s’approchera de Dieu, les autres ne s’en approcheront pas. » Et encore, pour montrer que la profondeur des idées sur Dieu se trouve incompréhensible à ceux qui ne possèdent pas l’Esprit qui scrute tout et jusqu’aux « profondeurs de Dieu », le prophète a dit : « L’abîme comme un vêtement l’enveloppe. » LIVRE VI
Les Écritures reçues dans les églises de Dieu ne rapportent pas qu’il y ait sept deux, ou même un nombre nettement défini ; mais la Bible paraît enseigner qu’il y a plusieurs cieux, qu’il s’agisse des sphères de ce que les Grecs nomment des planètes ou de quelque chose d’autre plus mystérieux. Celse, après Platon, dit que la route des âmes pour aller vers la terre et en revenir passe par les planètes. Mais MOÏSE, notre prophète le plus ancien, raconte la vision de notre patriarche Jacob : dans un songe envoyé de Dieu, lui apparut une échelle arrivant jusqu’au ciel, par où les anges de Dieu montaient et descendaient, tandis que le Seigneur s’appuyait à son somme». Peut-être à propos de cette échelle suggérait-il les vues précédentes, ou quelques vérités supérieures. Cette échelle a fourni le sujet d’un livre de Philon qui mérite l’examen réfléchi et intelligent de ceux qui aiment la vérité. LIVRE VI
Veut-on avoir un aperçu d’une réflexion plus profonde sur l’entrée des âmes dans les réalités divines ? Qu’on laisse de côté la secte fort insignifiante qu’il a citée, qu’on interroge les livres, les uns juifs, lus dans les synagogues et admis par les chrétiens, les autres seulement chrétiens ! Qu’on lise, à la fin de la prophétie d’Ézéchiel, les détails de la vision du prophète, où la description des différentes portes insinue certaines vérités sur les différentes voies par lesquelles accèdent à une vie supérieure les âmes plus parfaites ! Qu’on lise encore, dans l’Apocalypse de Jean les détails sur la Cité de Dieu, la Jérusalem céleste, ses fondations et ses portes. Et si l’on est capable d’apprendre à travers les symboles la route indiquée pour ceux qui s’avanceront vers les réalités divines, on lira le livre de MOÏSE intitulé les Nombres ; on cherchera l’homme qui peut initier aux mystères représentés par les campements des fils d’Israël : quelles tribus étaient placées au Levant, étant les premières, quelles autres étaient au sud-ouest et au sud, quelles autres du côté de la mer, quelles autres vers le nord, étant les dernières. On y percevra des considérations profondes et non point, comme le croit Celse, exigeant pour auditeurs des sots ou des esclaves. On discernera les peuples mentionnés là, la nature des nombres énumérés en ces lieux comme appartenant à chaque tribu, matière que je juge hors de propos d’exposer ici. LIVRE VI
Puis s’en prenant à l’expression, il critique avec raison l’audace d’un tel propos. Sur ce point nous partageons nous aussi l’indignation de ceux qui blâment ces gens, s’ils existent, qui appellent Dieu maudit le Dieu des Juifs, le maître de la pluie et du tonnerre, le créateur de ce monde, le Dieu de MOÏSE et de la création décrite par lui. Les paroles de Celse ne laissent voir aucune bienveillance ; au contraire, elles sont inspirées par sa haine, indigne d’un philosophe, d’une extrême malveillance envers nous. Il a voulu qu’à la lecture de son livre, ceux qui n’ont pas l’expérience de nos doctrines nous attaquent comme si nous disions que le magnifique Créateur de ce monde est un dieu maudit. Son procédé me semble analogue à celui des Juifs qui, au début de l’enseignement du christianisme, répandirent contre l’Évangile la calomnie qu’on immolait un petit enfant dont on se partageait la chair, et encore que les disciples de l’Évangile, pour accomplir les oeuvres de ténèbres, éteignaient la lumière et chacun s’unissait à sa voisine. LIVRE VI
Ensuite, comme si le reproche atteignait les chrétiens, quand il accuse ceux qui appellent Dieu maudit le Dieu de MOÏSE et de sa loi, et s’imagine que ceux qui le disent sont des chrétiens, il ajoute : Peut-il y avoir sottise plus délirante que cette sagesse stupide ? Quelle erreur a donc commise le législateur des Juifs ? D’où vient alors que tu adoptes, grâce, dis-tu, à une allégorie sommaire, sa cosmogonie ou la loi des Juifs et que tu loues bien malgré loi, ô très impie, le Créateur du monde, celui qui a tout promis aux Juifs, annonçant que leur race se multiplierait jusqu’aux extrémités de la terre et ressusciterait d’entre les morts avec la même chair et le même sang, et celui qui inspirait les prophètes; et qu’en même temps tu l’injuries ? Cependant, lorsque les Juifs le pressent, tu reconnais que tu adores le même Dieu; mais quand ton maître Jésus, et Moise, le maître des Juifs, établissent des lois contraires, tu cherches un autre dieu à la place de celui-ci, le Père. LIVRE VI
Voilà le point où le très illustre philosophe Celse calomnie manifestement les chrétiens, quand il dit que lorsque les Juifs les pressent, ils reconnaissent le même Dieu, mais lorsque Jésus établit des lois contraires à celles de MOÏSE, ils en cherchent un autre à sa place. LIVRE VI
Puis il plaisante sur le bois par une double raillerie, le disant introduit pour la raison ou bien que notre maître a été cloué à la croix ou qu’il était charpentier de profession ; il ne voit pas que le bois de la croix est décrit dans les livres de MOÏSE ; en outre il n’observe pas que nulle part dans les Évangiles reçus dans les Eglises Jésus n’est lui-même qualifié de charpentier. LIVRE VI
Vois donc si manifestement il ne s’égare pas lui-même quand il nous accuse de nous égarer dans une impiété extrême très loin des énigmes divines : il n’a pas remarqué que les écrits de MOÏSE, bien antérieurs non seulement à Héraclite et Phérécyde mais encore à Homère, ont introduit la doctrine de cet esprit pervers tombé du ciel. Car cette doctrine est suggérée par l’histoire du serpent, origine de l’Ophionée de Phérécyde, serpent qui provoqua l’expulsion de l’homme du Paradis de Dieu : il avait trompé la femme en lui promettant la divinité et les biens supérieurs, et on nous dit que l’homme l’avait suivie. Et l’Exterminateur dont parle l’Exode de MOÏSE, quel autre peut-il être sinon celui qui cause la perte de ceux qui lui obéissent sans résister à sa malice ni la combattre ? Et le bouc émissaire du Lévitique, nommé par l’écriture hébraïque Azazel, c’est encore lui : il fallait que celui sur qui était tombé le sort fût chassé et offert en sacrifice expiatoire dans le désert ; tous ceux en effet qui par leur malice font partie du mauvais lot, ennemis de ceux qui forment l’héritage de Dieu, sont désertés de Dieu. Et « les fils de Bélial », dans les Juges, de quel autre sinon de lui sont-ils dits les fils à cause de leur perversité ? Outre tous ces exemples, dans le livre de Job, plus ancien que MOÏSE lui-même, il est dit clairement que « le diable » s’est présenté à Dieu et a demandé la puissance sur Job, afin de lui infliger de très lourdes épreuves : la première, la perte de tous ses biens et de ses enfants, la seconde, de couvrir tout le corps de Job d’une cruelle éléphantiasis, comme on appelle cette maladie». Je laisse de côté les récits évangéliques des tentations que le diable fit subir au Sauveur, je ne veux pas sembler prendre dans les Écritures plus récentes les arguments de la discussion avec Celse. Mais encore dans les dernières pages de Job, où du milieu de l’ouragan et des nuées le Seigneur adressa à Job le discours rapporté au livre qui porte son nom, il est possible de prendre plusieurs renseignements sur le dragon. Et je ne parle pas encore des indications tirées d’Ézéchiel, comme sur « Pharaon ou Nabuchodonosor » ou le prince de Tyr ; ou d’Isaïe où on se lamente sur le roi de Babylone ; on peut en tirer bien des renseignements sur la malice, son origine et son commencement, et la manière dont cette malice résulta de ce que certains êtres perdirent leurs ailes et prirent la suite du premier qui avait perdu ses ailes. LIVRE VI
Voilà quelques réflexions que j’ai eu l’audace et la témérité de confier à cet écrit inutilement peut-être. Si on avait le loisir, en examinant les saintes Écritures, de réunir en un seul corps la doctrine partout éparse sur la malice, son origine, la manière dont elle est détruite, on verrait que la pensée de MOÏSE et des prophètes sur Satan n’a été aperçue même en songe ni par Celse ni par aucun de ceux dont l’âme est précipitée par ce démon mauvais et emportée loin de Dieu et de sa notion droite et loin de son Logos. LIVRE VI
Belle ressemblance vraiment entre l’un et l’autre enfant de Dieu ! Il a donc cru que nous l’appelions Fils de Dieu en déformant des traditions qui disent que le monde vient de Dieu, est son Fils, et est Dieu. C’est qu’il n’a pu connaître l’époque de MOÏSE et des prophètes et voir que, bien avant les Grecs et ceux que lui, Celse, déclare les Anciens, les prophètes juifs en général avaient prophétisé l’existence du Fils de Dieu. Il n’a même pas voulu citer la parole des Lettres de Platon rappelée plus haut, sur l’ordonnateur de l’univers qu’il présente comme le Fils de Dieu ; il voulait éviter que Platon, qu’il a maintes fois exalté, ne le contraigne à admettre lui-même que le Créateur de cet univers est Fils de Dieu et que le Dieu premier et suprême est son Père. LIVRE VI
Voyons la suite. Il y exprime d’un mot, sans le moindre argument plausible, son accusation contre le récit de la création de MOÏSE : Encore une belle naïveté que leur cosmogonie ! Or s’il avait dit pourquoi elle lui paraît une naïveté et présenté quelques raisons plausibles, j’aurais argumenté contre elles. Mais il ne me semble pas raisonnable de prouver, en réplique à son assertion, comment elle n’est pas une naïveté. LIVRE VI
Si l’on désire connaître ce qui m’a persuadé, avec preuves manifestes à l’appui, dans le récit de MOÏSE sur la création, on n’a qu’à prendre mon traité sur la Genèse depuis le début du livre jusqu’à « voici le livre de la génération des hommes ». Je me suis efforcé d’y établir, d’après le texte même des divines Écritures, ce que sont le ciel créé « au commencement », la terre, la partie invisible et informe de la terre ; l’abîme et les ténèbres qui le couvrent ; l’eau et « l’Esprit de Dieu porté sur elle » ; la lumière créée ; le firmament distinct du ciel créé au commencement, etc. LIVRE VI
Il proclame ensuite que le récit scripturaire sur l’origine des hommes est une belle naïveté, mais sans citer les textes ni les combattre ; c’est, je pense, qu’il n’avait pas d’arguments capables de réfuter l’affirmation que « l’homme a été créé à l’image de Dieu ». Il ne comprend pas davantage le jardin planté par Dieu, la vie que l’homme y mena d’abord et celle qui suivit par la force des circonstances quand il en fut banni par son péché et fut établi à l’opposé du jardin de délices. Pour affirmer que ce sont là de belles naïvetés, il faudrait d’abord examiner chaque point, en particulier cette parole : « Il plaça les Chérubins et la flamme tournoyante de l’épée pour garder le chemin de l’arbre de vie. » Peut-être, ajoute-t-il, MOÏSE a-t-il écrit cela sans rien comprendre mais pour composer un poème analogue à ceux qu’en badinant avaient écrits les auteurs de l’ancienne comédie : Proétos donna sa fille à Bellérophon, Pégase était d’Arcadie. Mais ces auteurs les ont composés dans le dessein de faire rire, tandis qu’il est incroyable que Celui qui a laissé pour un peuple entier les Écritures, en voulant persuader tous ceux à qui il donnait sa loi qu’elles venaient de Dieu, ait écrit des extravagances et qu’il n’ait donné aucun sens à l’affirmation : « Il plaça les Chérubins et la flamme tournoyante de l’épée pour garder le chemin de l’arbre de la vie », ni à toute autre de celles qui traitent de l’origine des hommes et furent interprétées philosophiquement par les sages du peuple hébreu. LIVRE VI
Ensuite, en se bornant à les énoncer, il amasse les différences des opinions sur l’origine du monde et des hommes, soutenues par les Anciens et dit que MOÏSE et les prophètes qui ont laissé nos écrits, dans l’ignorance de la nature du monde et des hommes ont composé les pires balivernes. Or, s’il avait dit en quel sens les divines Écritures lui paraissent les pires balivernes, j’aurais essayé de réfuter les arguments plausibles qui lui semblaient prouver que ce sont là les pires balivernes. En fait, usant du même procédé, je dirai en badinant que Celse, dans son ignorance de la nature du sens et de la doctrine chez les prophètes, a composé les pires balivernes, qu’il a intitulées par vantardise Discours véritable. LIVRE VI
A propos des jours de la création, comme s’il en avait des idées claires et précises, il objecte que certains ont eu lieu avant l’existence de la lumière, du ciel, du soleil, de la lune, des étoiles, et d’autres après cette création. Je lui répliquerai par cette simple observation : MOÏSE avait-il oublié ce qu’il venait de dire, que le monde fut créé en six jours, pour ajouter par oubli : « Voici le livre de la génération des hommes, le jour où Dieu créa le ciel et la terre » ? Mais il n’y a aucune vraisemblance que MOÏSE, après ce qu’il avait dit des six jours, ait pu ajouter sans avoir rien compris : « le jour où Dieu créa le ciel et la terre. » Si l’on pense que ces mots peuvent se rapporter au texte : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre », qu’on le sache, la parole : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » est dite avant les paroles : « Que la lumière soit, et la lumière fut », et « Dieu appela la lumière jour. » LIVRE VI
Exprimé en termes corporels et prêché comme chair, il appelle à lui ceux qui sont chair pour les rendre conformes au Logos qui s’est fait chair, et pour les faire monter ensuite, afin qu’ils le voient tel qu’il était avant qu’il se fît chair ; de telle sorte qu’ils reçoivent ce bienfait, s’élèvent à partir de cette initiation selon la chair et peuvent dire : « Même si nous avons connu autrefois le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus à présent. » Donc «il s’est fait chair », et, fait chair, il a habité parmi nous et non pas loin de nous. Ayant habité et vécu parmi nous, il n’est pas resté sous sa première forme ; il nous a fait monter sur « la haute montagne » spirituelle, il nous a montré sa forme glorieuse et l’éclat de ses vêtements : non seulement celle qui lui est propre, mais encore celle de la loi spirituelle, et c’est MOÏSE apparu dans la gloire avec Jésus. Il nous a montré également toute la prophétie, qui n’est pas morte après son incarnation, mais qui était transportée au ciel et symbolisée par Élie. Qui a contemplé pareil spectacle peut dire : « Et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. » Elle est donc par trop simpliste la réponse que, d’après Celse, nous ferions à sa question : Comment pensons-nous apprendre à connaître Dieu et trouver le salut près de lui ? Car notre réponse est dans ce qui précède. LIVRE VI
Il en va de même pour l’expression « Dieu est esprit ». Parce que et les Samaritains et les Juifs pratiquaient les préceptes de la loi d’après la lettre et en figures, le Sauveur dit à la Samaritaine : « L’heure vient où ce n’est ni à Jérusalem, ni sur cette montagne qu’on adorera le Père ; Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent adorer. » Il nous a enseigné par là que ce n’est pas charnellement, ni par des victimes charnelles qu’il faut adorer Dieu, mais « en esprit ». En effet, lui-même sera compris comme Esprit dans la mesure où on lui rendra une adoration intelligible et « en esprit ». En outre, ce n’est plus en figures qu’il faut adorer le Père, mais dans la vérité qui est venue par le Christ Jésus, après que la loi eut été donnée par MOÏSE. C’est « quand on se convertit au Seigneur, et le Seigneur est Esprit, que le voile est enlevé qui était posé sur le coeur lors de la lecture de MOÏSE. » LIVRE VI
Or de l’aveu général, les Écritures disent que le corps de Jésus était laid, mais non pas vulgaire, comme l’a expliqué Celse, et il n’est pas d’indication claire qu’il était petit. Voici en quels termes Isaïe annonce qu’il ne viendrait pas aux foules dans une forme agréable et une beauté supérieure : « Seigneur, qui a cru à ce que nous entendons dire ? Et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été révélé ? Nous l’avons annoncé devant lui, comme un jeune enfant, comme une racine dans une terre desséchée ; nulle forme pour lui, nulle gloire ; nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté ; mais sa forme était méprisable, inférieure à celle des enfants des hommes. » Celse a-t-il donc retenu ces paroles parce qu’il les croyait utiles à son accusation contre Jésus, mais n’a-t-il plus prêté attention aux paroles du psaume quarante-quatrième, et à la manière dont il est dit : « Ceins ton épée sur ta cuisse, héros, dans ta splendeur et ta beauté tends ton arc, avance, et règne » ? Accordons qu’il n’a pas lu la prophétie, ou qu’il l’a lue mais fut égaré par ceux qui l’interprètent à tort comme si elle n’était pas une prophétie sur Jésus-Christ : que dira-t-il du passage même de l’Évangile où Jésus, « ayant gravi une haute montagne », « fut transfiguré devant » ses disciples et apparut en gloire pendant que « MOÏSE et Élie » « apparus en gloire parlaient de sa sortie du monde qu’il allait accomplir à Jérusalem». » Qu’un prophète dise : « Nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté » etc., Celse lui-même accepte que cette prophétie se rapporte à Jésus, bien qu’il s’aveugle sur son interprétation et ne voie pas que, du fait que bien des années avant sa naissance même sa forme a été l’objet d’une prophétie, il y a une forte preuve que ce Jésus, quoique sans forme en apparence, est le Fils de Dieu. Et qu’un autre prophète parle de sa grâce et de sa beauté, Celse ne veut-il plus admettre que cette prophétie se rapporte à Jésus-Christ ? Si l’on pouvait tirer clairement de l’Évangile qu’il « n’avait ni forme ni beauté, mais que sa forme était méprisable, inférieure à celle des enfants des hommes », on conviendrait que les dires de Celse s’inspirent non des prophètes mais de l’Évangile. Mais en fait, comme ni les Évangiles ni les apôtres ne déclarent qu’il n’avait ni forme ni beauté, le voilà manifestement contraint d’admettre que la prophétie s’est réalisée dans le Christ : ce qui coupe court aux critiques contre Jésus. LIVRE VI
La vie de chacun des prophètes a été écrite ; mais il suffira pour l’instant de mentionner la vie de MOÏSE, dont on rapporte également des prophéties inscrites dans la Loi ; celle de Jérémie, relatée dans la prophétie qui porte son nom ; celle d’Isaïe qui, surpassant toute austérité, marcha « nu et déchaussé » pendant trois ans. Considère encore la vie pleine de force des tout jeunes gens Daniel et ses compagnons, en lisant que leur habitude était de ne boire que de l’eau et que, s’abstenant de viande, ils ne se nourrissaient que de légumes. LIVRE VI
Ensuite, Celse continue : Ne vont-ils pas encore réfléchir à ce point ? Si les prophètes du Dieu des Juifs avaient prédit que Jésus serait son enfant, comment Dieu, par MOÏSE leur donne-t-il comme lois : de s’enrichir, d’être puissants», de remplir la terre, de massacrer leurs ennemis sans en épargner la jeunesse, d’en exterminer toute la race, ce qu’il fait lui-même sous les yeux des Juifs, au témoignage de MOÏSE ? Et en outre, s’ils n’obéissent pas, il les menace expressément de les traiter en ennemis ? Alors que son Fils, l’homme de Nazareth, promulgue des lois contraires : le riche n’aura point accès auprès du Père, ni celui qui ambitionne la puissance, ni celui qui prétend à la sagesse ou à la gloire ; on doit ne pas se soucier de nourriture et de grenier plus que ne font les corbeaux et moins se soucier du vêtement que ne font les lis ; et à qui vous a donné un coup, il faut s’offrir à en recevoir un autres ! Qui donc ment de MOÏSE ou de Jésus ? Est-ce que le Père en envoyant Jésus a oublié ce qu’il avait prescrit à MOÏSE ? A-t-il renié ses propres lois, changé d’avis et envoyé son messager dans un dessein contraire? LIVRE VI
Si Celse avait lu la loi de MOÏSE, il aurait probablement pensé que l’aphorisme « Tu prêteras à beaucoup de nations, mais tu n’emprunteras point », adressé à celui qui observe la loi, doit être compris comme une promesse faite au juste : il s’enrichirait de la richesse aveugle à un tel point que l’abondance de ses biens lui permettrait de prêter non seulement aux Juifs, ni même à une, deux ou trois des autres nations, mais à un grand nombre. Que de richesses ne devrait pas posséder ainsi le juste en récompense de sa justice selon la loi, pour pouvoir prêter à de nombreuses nations ? La conséquence logique d’une telle interprétation nous ferait aussi croire que jamais le juste n’empruntera, puisqu’il est écrit : « mais tu n’emprunteras point. » La nation serait-elle donc restée si longtemps dans la religion de MOÏSE si, comme le pense Celse elle avait pris son législateur en flagrant délit de mensonge ? De personne on ne raconte qu’il se soit enrichi au point de prêter à de nombreuses nations. De plus il n’est pas vraisemblable qu’ayant appris à entendre la loi dans le sens que lui donne Celse, et devant le mensonge flagrant des promesses de la loi, ils aient combattu pour la loi. LIVRE VI
Avec lui s’accorde Paul lui-même, selon qui « la lettre tue », autant dire le sens littéral, et « l’esprit vivifie », autant dire le sens spirituel. On peut ainsi trouver chez Paul quelque chose d’analogue aux contradictions apparentes du prophète. Ézéchiel avait dit : « Je leur ai donné des jugements qui ne sont pas bons et des prescriptions qui ne sont pas bonnes, dont ils ne pourront vivre » ; et ailleurs : « Je leur ai donné des jugements bons et des prescriptions bonnes, dont ils pourront vivre », ou l’équivalent. Paul de même, pour attaquer le légalisme littéral, dit : « Or, si le ministère de la mort, gravé en lettres sur des pierres, a été entouré d’une telle gloire que les enfants d’Israël ne pouvaient regarder fixement le visage de MOÏSE en raison de la gloire pourtant passagère de ce visage, comment le ministère de l’Esprit ne serait-il pas plus glorieux ? » Et ailleurs il admire et loue la loi qu’il nomme spirituelle : « Mais nous savons que la loi est spirituelle », et il l’approuve : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. » LIVRE VI
Sans mettre en parallèle les passages de la loi avec ceux de l’Évangile apparemment contraires, Celse ajoute qu’il faut, à qui vous a donné un coup, s’offrir à en recevoir un autre. Nous dirons que nous connaissons la parole dite aux Anciens : « oeil pour oeil, dent pour dent », mais que nous avons lu aussi cette autre : « EH bien, moi je vous dis : à qui te frappe à la joue, présente encore l’autre». » Cependant comme Celse, j’imagine, se fait l’écho de ceux qui mettent une distinction entre le Dieu de l’Évangile et le Dieu de la Loi, il faut répondre à son objection : l’Ancien Testament connaît aussi : « A qui te frappe la joue droite, présente encore l’autre. » Du moins il est écrit dans les Lamentations de Jérémie : « Il est bon pour l’homme de porter le joug dès sa jeunesse, de s’asseoir solitaire et silencieux parce qu’il l’a pris sur lui ; il tendra la joue à qui le frappe, et sera rassasié d’affronts. » L’Évangile ne contredit donc pas le Dieu de la Loi, même pas au sujet du soufflet entendu à la lettre. Aucun des deux ne ment, ni MOÏSE, ni Jésus, et le Père en envoyant Jésus n’avait pas oublié ce qu’il avait prescrit à MOÏSE ; il n’a pas non plus renié ses propres lois, changé d’avis et envoyé son messager dans un dessein contraire. LIVRE VI
S’il faut caractériser brièvement la différence entre le régime d’abord en vigueur chez les Juifs suivant les lois de MOÏSE, et le régime plus pariait que les chrétiens veulent suivre maintenant d’après l’enseignement de Jésus, voici ce que je dirai. D’une part il ne convenait pas aux Gentils appelés à la foi de suivre à la lettre le régime de MOÏSE, puisqu’ils étaient soumis aux Romains. De l’autre, il n’était pas possible aux Juifs d’autrefois de conserver intacte leur constitution, puisque par hypothèse ils obéissaient au régime évangélique. Les chrétiens ne pouvaient se conformer à la loi de MOÏSE en massacrant leurs ennemis ou ceux que leurs transgressions de la loi condamnaient à périr brûlés ou lapidés, puisque même les Juifs, malgré leur désir, ne pouvaient leur infliger cette peine ordonnée par la loi. LIVRE VI
Celse donc suppose que notre idée d’une autre terre, meilleure et bien supérieure à celle-ci, nous l’avons empruntée à certains hommes des anciens temps qu’il juge divins, et surtout à Platon qui, dans le Phédon, avait spéculé sur la terre pure qui se trouve dans la partie pure du ciel. Il ne voit pas que MOÏSE, bien antérieur même à l’alphabet grec, a représenté Dieu promettant la terre sainte « bonne et spacieuse où coulent le lait et le miel » pour ceux qui auraient vécu selon sa loi. Cette bonne terre n’est point, comme certains le pensent, la Judée d’ici-bas qui se trouve, elle aussi, sur la terre maudite dès l’origine à cause des ?uvres de la transgression d’Adam. Car la sentence : « La terre est maudite à cause de tes ?uvres : c’est à force de peines que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie », s’applique à la terre entière dont tout homme, mort en Adam, tire sa nourriture à force de peines, c’est-à-dire de travaux, et cela tous les jours de sa vie. LIVRE VI
Pour se convaincre que cette interprétation de la terre bonne et spacieuse dont parle MOÏSE n’a rien de contraire au sens de l’Esprit divin, qu’on prête attention à tous les prophètes : ils enseignent le retour à Jérusalem de ceux qui se sont écartés et sont tombés loin d’elle, et en général, le rétablissement dans la place et la cité de Dieu, ainsi que les nomme celui qui a dit : « Il a sa place dans la paix sainte », ou encore : « Il est grand le Seigneur, très digne de louanges dans la cité de notre Dieu, sa montagne sainte, bien enracinée pour l’allégresse de toute la terre. » LIVRE VI
Mon propos était uniquement de montrer que notre doctrine sur la terre sainte ne doit rien aux Grecs ni à Platon. Ce sont eux qui, venus bien après le très ancien MOÏSE et même la plupart des prophètes, ont ainsi parlé de la terre supérieure, soit qu’ils aient mal compris certains termes énigmatiques employés par eux à ce sujet, soit qu’ils aient lu et plagié les saintes Écritures. Bien plus, Aggée établit une distinction manifeste entre le sol ferme et la terre, en appelant sol ferme cette terre que nous foulons. Il dit : « Une fois encore j’ébranlerai le ciel et la terre, le sol ferme et la mer. » LIVRE VI
Celse renvoie à plus tard l’explication du mythe de Platon qui se trouve dans le Phédon : Mais que veut-il indiquer par là ? Il n’est pas facile à tout le monde de le savoir, à moins qu’on puisse comprendre ce que signifie ce qu’il dit : « La faiblesse et la lenteur nous rendent incapables de parvenir à la limite de l’air ; si notre nature était capable de soutenir cette contemplation, on reconnaîtrait là le vrai ciel et la véritable lumière. » A son exemple moi aussi, pensant qu’il n’est pas de mon propos actuel d’élucider le thème de la terre sainte et bonne, de la cité de Dieu qui s’y trouve, je renvoie aux Commentaires des prophètes, ayant en partie expliqué autant que je pouvais la cité de Dieu dans mes études sur le quarante-cinquième et le quarante-septième psaumes. Mais la très ancienne doctrine de MOÏSE et des prophètes savait que les réalités véritables ont toutes le même nom que les choses plus communes d’ici-bas : par exemple, il y a une lumière véritable et un ciel qui est différent du firmament, et le soleil de justice est autre que le soleil sensible. Bref, en contraste avec les choses sensibles dont aucune n’est véritable, elle déclare : « Dieu dont les ?uvres sont véritables » ; elle met au rang des réalités véritables les ?uvres de Dieu, et au rang des choses inférieures « les ?uvres de ses mains ». LIVRE VI
De plus, quand notre Sauveur dit : « Que celui qui a des oreilles pour entendre entende », même le premier venu comprend qu’il s’agit d’oreilles d’ordre spirituel. Et quand il est dit que « la parole du Seigneur » est dans la main du prophète Jérémie ou de quelque autre, ou la loi « dans la main » de MOÏSE, ou « J’ai cherché Dieu de mes mains et je n’ai pas été trompé », personne n’est assez sot pour ne pas comprendre qu’il s’agit de mains au sens figuré. C’est d’elles encore que Jean déclare : « Nos mains ont touché le Logos de vie. » Et pour apprendre des saintes Écritures qu’il existe un sens supérieur et non corporel, il faut entendre le mot de Salomon dans les Proverbes : « Tu trouveras un sens divin. » LIVRE VI
Il faut répondre que MOÏSE, décrivant la création du monde, représente l’être humain avant sa transgression tantôt voyant, tantôt ne voyant pas : il est dit voyant, lorsqu’il est écrit de la femme : « La femme vit que l’arbre était appétissant à manger, séduisant pour les yeux, désirable pour acquérir l’entendement. » Il est dit ne voyant pas, non seulement dans les paroles du serpent à la femme, qui supposent des yeux aveugles : « Car Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront », mais encore lorsqu’il est dit : « Ils en mangèrent et leurs yeux à tous deux s’ouvrirent. » Ils s’ouvrirent donc, les yeux de leurs sens qu’ils avaient eu raison de tenir fermés, pour n’être pas empêchés par les distractions de regarder avec l’oeil de l’âme ; mais les yeux de l’âme qu’ils avaient jusqu’alors plaisir à tenir ouverts sur Dieu et son Paradis, voilà ceux, je crois, qu’ils fermèrent par leur péché. LIVRE VI
Et quels sont donc les sages ou philosophes auprès desquels Celse veut nous faire apprendre maintes vérités divines ? Car il veut nous faire abandonner MOÏSE, le serviteur de Dieu, les prophètes du Créateur de l’univers qui, véritablement inspirés, ont dit tant de vérités. Il veut nous faire abandonner Celui-là même qui a illuminé le genre humain, annoncé la voie de la véritable piété ; qui, autant qu’il dépendait de lui, n’a laissé personne sans participation à ses mystères ; qui, au contraire, dans l’excès de son amour pour les hommes, peut donner aux esprits plus intelligents une conception de Dieu capable d’élever l’âme au-dessus des affaires d’ici-bas ; qui néanmoins condescend à venir en aide aux pauvres moyens des hommes ignorants, des simples femmes, des esclaves, bref, de ceux qui n’ont de secours de personne sinon de Jésus seul pour leur faire mener une vie meilleure autant que possible, avec les doctrines qu’ils ont pu recevoir sur Dieu. LIVRE VI
Sur cette maxime et toutes les autres citées par Celse qui, ne pouvant résister à leur vérité, affirme qu’elles avaient été dites par les Grecs, voici ce qu’il faut dire. Que la doctrine soit bienfaisante et de sens raisonnable, qu’elle soit enseignée chez les Grecs par Platon ou l’un de leurs sages, chez les Juifs par MOÏSE ou l’un des prophètes, chez les chrétiens dans les paroles évangéliques de Jésus ou les discours des apôtres : on ne doit pas juger blâmable une affirmation des Juifs et des chrétiens du fait qu’elle a été dite aussi chez les Grecs, surtout quand est démontrée l’antériorité des écrits des Juifs par rapport à ceux des Grecs. On ne doit pas juger non plus la même doctrine revêtue de la beauté du style grec absolument supérieure à celle qui est énoncée dans un style plus vulgaire et en des termes plus simples chez les Juifs et chez les chrétiens. Cependant, le texte original des Juifs dans lequel les prophètes nous ont laissé leurs livres a été écrit en langue hébraïque avec l’art de composition littéraire de leur langue. LIVRE VI
Puisqu’il y a nombre de dieux prétendus ou réels, comme aussi de seigneurs, nous faisons tout pour nous élever au-dessus, non des seuls êtres honorés comme dieux par les nations de la terre, mais encore même de ceux qui sont appelés dieux par les Écritures. Ces derniers sont ignorés de ceux qui sont étrangers aux alliances de Dieu données par MOÏSE et notre Sauveur Jésus, et de ceux qui sont exclus de ses promesses qu’ils ont rendues manifestes. On s’élève au-dessus de l’esclavage de tous les démons quand on s’abstient de toute ” oeuvre chère aux démons. On s’élève au-dessus de la catégorie de ceux que Paul nomme des dieux, quand on regarde comme eux, ou de toute autre manière, « non aux choses visibles, mais aux invisibles ». Et, à voir comment « la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu, car la création a été soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de Celui qui l’a soumise, avec l’espérance », à bénir la création et à considérer comment elle sera toute entière « libérée de l’esclavage de la corruption » et parviendra « à la liberté de la gloire des enfants de Dieu », on ne peut être entraîné à servir Dieu et un autre avec lui, ni à servir deux maîtres. Il ne s’agit donc point d’un cri de révolte, chez ceux qui ont compris les réflexions de ce genre et qui refusent de servir plusieurs maîtres. Aussi se contentent-ils du Seigneur Jésus-Christ qui enseigne par lui-même ceux qui le servent, pour que, une fois instruits et devenus un royaume digne de Dieu, il les remette à son Dieu et Père. De plus, ils se séparent et ils rompent avec ceux qui sont étrangers à la cité de Dieu, exclus de ses alliances, pour vivre en citoyens du ciel en s’avançant vers le Dieu vivant et « la cité de Dieu, la Jérusalem céleste, ses myriades d’anges en réunion de fête, et l’église des premiers-nés qui sont inscrits au ciel. » LIVRE VIII
Celse, ici, dit que les démons appartiennent à Dieu et que, pour cette raison, il faut croire en eux et leur offrir selon les lois des sacrifices et des prières afin de les rendre bienveillants. Il faut donc enseigner sur ce point à qui le désire que le Logos de Dieu refuse de déclarer propriété de Dieu des êtres mauvais, car il les juge indignes d’un si grand Seigneur. C’est pourquoi tous les hommes ne sont pas nommés hommes de Dieu, mais seuls ceux qui sont dignes de Dieu : tels étaient MOÏSE, Élie, et tout autre qui reçoit dans l’Écriture le titre d’homme de Dieu, ou qui est semblable à ceux qui le reçoivent. Et de même, tous les anges ne sont point appelés anges de Dieu, mais seuls les bienheureux, alors que ceux qui se sont tournés vers le mal sont nommés anges du diable, comme les hommes mauvais sont appelés hommes de péché, fils de pestilence, fils d’iniquité. C’est parce que les hommes sont les uns bons, les autres mauvais, que l’on dit des uns qu’ils sont de Dieu, des autres qu’ils sont du diable, et les anges aussi sont les uns de Dieu, les autres mauvais ; mais la division en deux ne vaut plus pour les démons : il est prouvé qu’ils sont tous mauvais. Aussi déclarerons-nous fausse la parole de Celse : Si ce sont des démons, il est évident qu’eux aussi appartiennent à Dieu. Ou alors montre qui voudra qu’il n’y a pas de raison valable de faire la distinction dans le cas des hommes et des anges, ou bien qu’on peut fournir une raison de même valeur au sujet des démons. LIVRE VIII
Il faut pourtant savoir que les Juifs, pensant comprendre la loi de MOÏSE, veillent attentivement à n’user que des aliments considérés comme purs et à s’abstenir des impurs et, en outre, à ne pas faire entrer dans leur nourriture ni le sang des animaux ni les animaux saisis par les fauves et bien d’autres : matière d’une ample doctrine qu’il n’est donc pas opportun d’examiner ici. Mais Jésus dans son enseignement voulait amener tous les hommes à la pure adoration de Dieu et éviter qu’une législation trop sévère sur les aliments n’écartât un grand nombre de gens dont les m?urs pourraient être améliorées par le christianisme. LIVRE VIII
Voyons encore le passage suivant : Faut-il énumérer tous les oracles rendus dans les sanctuaires d’une voix divine par les prophètes et prophétesses et d’autres inspirés, hommes et femmes; toutes les merveilles qu’on a entendues au fond de leurs sanctuaires ; toutes les révélations obtenues des victimes et des sacrifices ; toutes les manifestations venant d’autres prodiges ? D’autres ont bénéficié d’apparitions notoires. La vie entière est remplie de ces faits ! Combien de cités ont été bâties grâce aux oracles ou délivrées d’épidémies ou de famines ! Combien, pour les avoir méprisés ou négligés ont misérablement péri ! Combien furent fondées de colonies sur leur ordre, et qui ont prospéré pour avoir suivi leurs prescriptions ! Combien de princes, combien de particuliers ont dû au même motif leur succès ou leur échec ! Combien de personnes désolées de n’avoir pas d’enfants ont obtenu ce qu’elles ont demandé et échappé à la colère des démons ! Combien d’infirmités corporelles ont été guéries ! Combien, en revanche, pour avoir outragé des sanctuaires, en ont été aussitôt châtiés ! Les uns furent à l’instant frappés de démence, les autres avouèrent leurs forfaits, ceux-ci se donnèrent la mort, ceux-là furent saisis de maladies incurables. Il y en eut même qui furent anéantis par une voix redoutable venant du sanctuaire. Je ne sais pourquoi Celse, qui présente ces histoires comme manifestes, a considéré comme fables les prodiges relatés dans nos écrits à propos des Juifs, de Jésus et de ses disciples. Pourquoi nos écrits ne seraient-ils pas vrais, et les histoires de Celse des inventions fabuleuses ? Elles ne trouvent même pas créance auprès d’écoles philosophiques des Grecs comme celles de Démocrite, d’Épicure, d’Aristote, qui peut-être eussent ajouté foi aux nôtres à cause de leur évidence, s’ils avaient connu MOÏSE ou l’un des prophètes qui ont accompli des miracles, ou encore Jésus lui-même. On raconte que la Pythie s’est parfois laissée corrompre pour rendre des oracles. Nos prophètes, au contraire, ont été admirés pour la clarté de leurs messages, non seulement par leurs contemporains mais aussi par la postérité. Car, grâce aux oracles des prophètes, des cités ont été bâties, des hommes ont recouvré la santé, des famines ont pris fin. De plus, il est clair que la nation entière des Juifs, selon les oracles, vint d’Egypte fonder une colonie en Palestine. Tant qu’elle suivit les prescriptions de Dieu, elle a prospéré ; quand elle s’en écarta elle eut à s’en repentir. Et qu’est-il besoin de dire combien de princes et combien de particuliers d’après les récits de l’Écriture ont connu le succès ou l’échec suivant qu’ils ont été fidèles aux prophéties ou qu’ils les ont méprisées ? LIVRE VIII
Après avoir tant insisté là-dessus, voyons encore un autre passage de Celse que voici : Les hommes naissent liés à un corps, soit en raison de l’économie de l’univers, soit en expiation de leur faute, soit parce que l’âme est chargée de passions jusqu’à ce qu’elle soit purifiée à des périodes déterminées. Car, selon Empédocle, il faut que « pendant mille ans erre loin des bienheureux l’âme des mortels changeant de forme avec le temps ». Il faut donc croire que les hommes ont été confiés à la garde de certains geôliers de cette prison. Observe ici encore qu’en de si graves questions, il hésite d’une manière bien humaine, et il fait preuve de prudence en citant les théories de nombreux auteurs sur la cause de notre naissance, sans oser affirmer que l’une d’elles soit fausse. Mais une fois décidé à ne pas donner son assentiment à la légère et à ne pas opposer un refus téméraire aux opinions des Anciens, ne parvenait-il pas à cette conséquence logique : s’il ne voulait pas croire à la doctrine des Juifs énoncée par leurs prophètes ni à Jésus, il devait rester hésitant et admettre comme probable que ceux qui ont rendu leur culte au Dieu de l’univers et qui, pour l’honneur qui lui est dû et pour l’observation des lois qu’ils croyaient tenir de lui, se sont exposés maintes fois à des dangers sans nombre et à la mort, n’ont pas encouru le mépris de Dieu, mais qu’une révélation leur a été faite à eux aussi : car ils ont dédaigné les statues produites par l’art humain et ont tâché de monter par le raisonnement jusqu’au Dieu suprême lui-même. Ils auraient dû considérer que le Père et Créateur commun de tous les êtres, qui voit tout, entend tout, et juge selon son mérite la détermination de quiconque à le chercher et à vouloir vivre dans la piété, accorde à ceux-là aussi le fruit de sa protection, pour qu’ils progressent dans l’idée de Dieu qu’ils ont une fois reçue. Réfléchissant sur ce point, Celse et ceux qui haïssent MOÏSE et les prophètes parmi les Juifs, Jésus et ses véritables disciples qui se dépensent pour sa parole, n’auraient pas insulté de la sorte MOÏSE et les prophètes, Jésus et ses apôtres. Ils ne mettraient pas les seuls Juifs au-dessous de toutes les nations de la terre, en les disant inférieurs même aux Égyptiens qui, par superstition ou toute autre cause ou erreur, ravalent autant qu’ils peuvent jusqu’à des animaux sans raison l’honneur qu’ils doivent à la divinité. LIVRE VIII
Il se demande ce qui arriverait si les Romains étaient convaincus par la doctrine chrétienne, négligeaient les honneurs à rendre aux prétendus dieux et les coutumes autrefois en usage chez les hommes, et adoraient le Très-Haut. Qu’il entende notre opinion sur ce point. Nous disons : « Si deux ou trois d’entre vous s’accordent sur la terre à demander quoi que ce soit, cela sera accordé par le Père des justes qui est dans les cieux. » Car Dieu prend plaisir à l’accord des êtres raisonnables et se détourne de leur désaccord. Que faut-il penser pour le cas où l’accord existerait non seulement comme aujourd’hui entre très peu de personnes mais dans tout l’empire romain ? Alors ils prieront le Logos qui autrefois dit aux Hébreux poursuivis par les Égyptiens : « Le Seigneur combattra pour vous et vous n’aurez qu’à vous taire. » Et l’ayant prié d’un accord total, ils pourront détruire un bien plus grand nombre d’ennemis lancés à leur poursuite que n’en détruisit la prière de MOÏSE poussant des cris vers Dieu en même temps que ceux qui étaient avec lui. Si les promesses de Dieu à ceux qui observent la loi ne sont pas réalisées, ce n’est pas que Dieu aurait menti, mais que les promesses étaient faites sous cette condition qu’ils garderaient la loi et y conformeraient leur vie. Et si les Juifs qui avaient reçu ces promesses conditionnelles n’ont plus ni feu ni lieu, il faut en accuser toutes leurs transgressions de la loi et singulièrement leur faute contre Jésus. Mais, comme Celse le suppose, que tous les Romains, convaincus, se mettent à prier, ils triompheront de leurs ennemis ; ou plutôt, ils n’auront même plus de guerre du tout, car ils seront protégés par la puissance divine qui avait promis, pour cinquante justes, de garder intactes cinq villes entières. Car les hommes de Dieu sont le sel du monde assurant la consistance des choses de la terre, et les choses terrestres se maintiennent tant que le sel ne s’affadit pas : « Car si le sel perd sa saveur, il n’est plus bon ni pour la terre, ni pour le fumier, mais on le jette dehors et les hommes le foulent aux pieds. Que celui qui a des oreilles entende » le sens de cette parole. Pour nous, quand Dieu, laissant la liberté au Tentateur, lui donne tout pouvoir de nous persécuter, nous sommes persécutés. Mais lorsqu’il veut nous soustraire à cette épreuve, en dépit de la haine du monde qui nous entoure, nous jouissons d’une paix miraculeuse, nous confiant en Celui qui a dit : « Courage, moi j’ai vaincu le monde. » En toute vérité, il a vaincu le monde, et le monde n’a de force que dans la mesure où le veut son vainqueur qui tient de son Père sa victoire sur le monde. Notre courage repose sur sa victoire. LIVRE VIII