Marcion

Apres cela il dit ” Quelques fidèles, comme des gens pris d’ivresse qui en viennent a porter la main sur eux-mêmes, ont remanié le texte original de l’Évangile trois ou quatre fois, ou plus encore, et l’ont altéré pour pouvoir opposer des négations aux critiques “. Mais, de gens qui ont remanié l’Évangile, je n’en connais pas d’autres que les partisans de MARCION, de Valentin et, je croîs de Lucain. En convenir ne constitue pas un grief contre notre doctrine, mais contre ceux qui ont ose falsifier les Evangiles. Et comme il n’y a pas à reprocher à la philosophie l’existence des Sophistes, des Epicuriens, des Péripatéticiens ou de n’importe quels tenants d’opinions fausses, ce n’est pas non plus un grief contre le véritable christianisme que l’existence de ceux qui remanient les Evangiles et introduisent des sectes étrangères au sens de l’enseignement de Jésus. LIVRE II

Il continue : Même si cet ange est venu aux hommes, fut-il le premier à venir et le seul, ou y en eut-il d’autres auparavant ? Et il pense répondre à chaque membre de l’alternative par plusieurs arguments. En fait, aucun véritable chrétien ne dit que le Christ est le seul à être venu visiter le genre humain. Mais comme si on répondait qu’il fut le seul, Celse réplique que d’autres sont apparus aux hommes. Ensuite, il se réfute lui-même à sa guise : ” On est bien loin de dire qu’il est le seul à être venu au genre humain. Même ceux qui sous prétexte d’enseigner au nom de Jésus se sont écartés du Créateur comme d’un être inférieur, et sont allés comme à un être supérieur au Dieu et Père de celui qui est venu, reconnaissent que même avant lui quelques-uns sont venus d’auprès du Créateur visiter le genre humain.” Examinant loyalement la question, je dirai qu’Apelles, le disciple de MARCION, qui devint l’auteur d’une hérésie et regarde comme un mythe les Ecritures juives, affirme que seul Jésus est venu visiter le genre humain. Donc, à son affirmation que Jésus est le seul à être venu aux hommes de la part de Dieu, Celse ne pourrait logiquement opposer que d’autres encore sont venus, puisque Apelles, comme on l’a déjà dit, ne croit pas aux Ecritures juives rapportant les miracles : à bien plus forte raison refusera-t-il d’admettre le passage que Celse paraît avoir cité du livre d’Enoch sans l’avoir compris. Personne donc ne nous convainc de mensonge et de contradiction, comme si nous disions que notre Sauveur est venu seul et que cependant il en est souvent venu d’autres. C’est avec une confusion totale, quand il discute la venue des anges vers les hommes, qu’il cite des passages obscurs tirés du livre d’Enoch. Il ne semble ni l’avoir lu, ni avoir su que le livre intitulé Enoch n’est pas généralement tenu pour divin dans les églises ; on pourrait cependant croire qu’il en a tiré l’affirmation : Il en est descendu à la fois soixante et soixante-dix qui se sont pervertis. Mais accordons-lui généreusement ce qu’il n’a pas découvert du livre de la Genèse : « Les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles et prirent pour femmes celles qu’ils avaient choisies entre toutes. » Néanmoins à ce sujet je persuaderai ceux qui sont capables de comprendre l’intention du prophète que, selon un de nos prédécesseurs, le passage concerne la doctrine des âmes qui se trouvaient désireuses de vivre dans un corps humain et que, selon lui, on appelle au figuré « filles des hommes ». Mais quoi qu’il en soit du passage sur les fils de Dieu qui désirèrent les filles des hommes, il ne fournit à Celse aucun appui pour soutenir que Jésus ne fut pas le seul à venir comme un ange auprès des hommes, lui qui manifestement est le Sauveur et le bienfaiteur de tous ceux qui se sont convertis du flot du vice. Puis, brouillant et confondant ce qu’il a appris on ne sait quand, dans on ne sait quel texte, que ce soit tenu ou non comme doctrine divine par les chrétiens, il dit que ceux qui sont descendus à la fois soixante ou soixante-dix ont été en punition enchaînés sous terre. Et il cite apparemment Enoch, mais sans le nommer : D’où vient que les sources chaudes sont leurs larmes, ce que l’on ne dit ni n’entend dans les églises de Dieu. Car personne n’est assez stupide pour se représenter matériellement comme des larmes d’hommes les larmes des anges descendus du ciel. Et, s’il était permis de répondre par une plaisanterie au sérieux des objections de Celse contre nous, on pourrait dire : personne, parlant des sources chaudes, dont la plupart sont de l’eau douce, ne les appellerait des larmes d’anges, puisque les larmes sont naturellement salées ; à moins peut-être que les anges de Celse ne pleurent des larmes d’eau douce ! LIVRE V

Celse poursuit : ” Qu’on n’aille pas imaginer que je l’ignore: certains d’entre eux conviendront qu’ils ont le même Dieu que les Juifs, mais les autres pensent qu’il y a un dieu différent auquel le premier est opposé, et de qui est venu le Fils “. S’il croit que l’existence de plusieurs sectes parmi les chrétiens constitue un grief contre le christianisme, pourquoi ne verrait-on pas un grief analogue contre la philosophie dans le désaccord entre les écoles philosophiques, non pas sur des matières légères sans importance mais sur les questions capitales ? Il faudrait aussi accuser la médecine à cause des écoles qu’elle présente. Admettons que certains d’entre nous nient que notre Dieu soit le même que le Dieu des Juifs : ce n’est pourtant pas une raison d’accuser ceux qui prouvent par les mêmes Écritures qu’il y a un seul et même Dieu pour les Juifs et les Gentils. Paul le dit clairement, lui qui est passé du judaïsme au christianisme : « Je rends grâces à mon Dieu que je sers comme mes ancêtres avec une conscience pure. » Admettons encore qu’il y ait une troisième espèce, ceux qui nomment les uns psychiques, les autres pneumatiques. Je pense qu’il veut parler des disciples de Valentin. Quelle conclusion en tirer contre nous qui appartenons à l’Église, et condamnons ceux qui imaginent des natures sauvées en vertu de leur constitution ou perdues en vertu de leur constitution ? Admettons même que certains se proclament Gnostiques, à la façon dont les Epicuriens se targuent d’être philosophes. Mais ceux qui nient la Providence ne peuvent être véritablement philosophes, ni ceux qui introduisent ces fictions étranges désavouées par les disciples de Jésus être des chrétiens. Admettons enfin que certains acceptent Jésus, et c’est pour cela qu’ils se vantent d’être chrétiens, mais ils veulent encore vivre selon la loi des Juifs comme la foule des Juifs. Ce sont les deux sortes d’Ébionites : ceux qui admettent comme nous que Jésus est né d’une vierge, ceux qui ne le croient pas né de cette manière mais comme le reste des hommes. Quel grief tirer de tout cela contre les membres de l’Église que Celse a nommés ceux de la foule ? Il ajoute : Parmi eux, il y a encore des Sibyllistes, peut-être pour avoir compris de travers des gens qui blâment ceux qui croient au don prophétique de la Sibylle et les ont appelés Sibyllistes. Puis, déversant sur nous une masse de noms, il déclare connaître encore certains Simoniens qui vénèrent Hélène ou Hélénos leur maître et sont appelés Héléniens. Celse ignore que les Simoniens refusent absolument de reconnaître Jésus comme Fils de Dieu : ils affirment que Simon est une puissance de Dieu et racontent les prodiges de cet homme qui, en simulant les prodiges analogues à ceux que Jésus avait simulés, selon lui, avait cru qu’il aurait autant de pouvoir sur les hommes que Jésus parmi la foule. Mais il était impossible à Celse comme à Simon de comprendre la manière dont Jésus a pu ensemencer, en bon « laboureur » de la parole de Dieu, la majeure partie de la Grèce et la majeure partie de la barbarie, et remplir ces pays des paroles qui détournent l’âme de tout mal et la font monter au Créateur de l’univers. Celse connaît encore les Marcelliniens disciples de Marcellina, les Harpocratiens disciples de Salomé, d’autres disciples de Mariamme et d’autres disciples de Marthe. Malgré mon zèle à l’étude, non seulement pour scruter le contenu de notre doctrine dans la variété de ses aspects, mais encore, autant que possible, pour m’enquérir sincèrement des opinions des philosophes, je n’ai jamais rencontré ces gens-là. Celse mentionne encore les MARCIONites qui mettent à leur tête MARCION. Ensuite, pour donner l’apparence qu’il en connaît encore d’autres que ceux qu’il a nommés, il généralise à son habitude : Certains ont trouvé comme maître un chef et un démon, d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans d’épaisses ténèbres à perpétrer plus d’impiétés et de souillures que les thyases d’Egypte. En effleurant le sujet, il me paraît bien avoir dit quelque chose de vrai : certains ont trouvé comme chef un démon, et d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans les épaisses ténèbres de l’ignorance. Mais j’ai déjà parlé d’Antinoos qu’il compare à notre Jésus et je n’y reviendrai pas. LIVRE V

Ensuite il mélange les sectes, je pense, et ne précise pas les doctrines d’une secte et celles d’une autre. Ce sont nos propres critiques à MARCION qu’il nous oppose ; peut-être les a-t-il mal comprises de la bouche de certains qui s’en prennent à la doctrine d’une manière vulgaire et triviale, et assurément sans aucune intelligence. Il cite donc les attaques faites à MARCION et, omettant d’indiquer qu’il parle contre lui, il déclare : Pourquoi envoyer secrètement détruire les oeuvres du démiurge ? Pourquoi l’irruption clandestine, la séduction, la tromperie? Pourquoi ramener les âmes que, d’après vous, le démiurge a condamnées ou maudites, et les dérober comme un marchand d’esclave ? Pourquoi leur enseigner à se soustraire à leur Seigneur ? Pourquoi, à fuir leur Père ? Pourquoi les adopter contre la volonté du Père? Pourquoi se proclamer le Père d’enfants étrangers ? A quoi il ajoute, feignant la surprise : Le beau dieu, en vérité, qui désire être le père de pécheurs condamnés par un autre, d’indigents ou, comme ils disent eux-mêmes, de déchets ! Le dieu incapable de reprendre et de punir celui qu’il a envoyé pour les dérober ! Après quoi, comme s’il s’adressait à nous qui confessons que ce monde n’est pas l’oeuvre d’un dieu étranger ou hostile, il déclare : Si ces oeuvres sont de Dieu, comment pouvait-il créer le mal ? Comment est-il incapable de persuader, de réprimander ? Comment peut-il, quand les hommes sont devenus ingrats et pervers, se repentir, blâmer et haïr son oeuvre, menacer et détruire ses propres enfants ? Sinon, où donc peut-il les reléguer hors de ce monde qu’il a lui-même créé ? Là encore, faute d’élucider la question du mal, alors que même parmi les Grecs il y a plusieurs écoles sur le bien et le mal, il me semble bien faire une pétition de principe : de notre affirmation que même ce monde est l’oeuvre du Dieu suprême, il conclut que, d’après nous, Dieu serait l’auteur du mal. LIVRE VI

Il revient ensuite au système de MARCION déjà maintes fois abordé, et en donne un exposé en partie fidèle, en partie déformé. Il n’est pas nécessaire d’y répondre ou même de le réfuter. Il reprend à sa guise les arguments pour et contre MARCION, disant : Ils échappent à certaines critiques, mais tombent sous d’autres. Et quand il veut appuyer la doctrine affirmant que Jésus a été prédit, pour attaquer MARCION et ses disciples il déclare sans ambages : Comment prouverait-on, après qu’il a enduré de pareils supplices, qu’il est le Fils de Dieu, à moins que ses souffrances n’aient été prédites ? LIVRE VI

Alors, de nouveau il badine et raille à son habitude, introduisant deux fils de dieux: l’un, fils du démiurge, l’autre, de Dieu, d’après MARCION. Il décrit leurs combats singuliers et les dit combats de cailles, comme l’étaient ceux des dieux leurs pères: rendus par la vieillesse inutiles et radoteurs, incapables d’animosité réciproque, ils laissent combattre leurs enfants. Il nous faut donc lui appliquer ce qu’il a dit plus haut : quelle vieille femme, fredonnant pour endormir un bébé, n’aurait honte de sornettes pareilles aux siennes dans ce qu’il intitule ” Discours véritable “. Il aurait dû s’opposer sérieusement aux doctrines. Mais laissant la question, il badine et bouffonne, croyant écrire des mimes ou autres satires, sans voir qu’une telle méthode d’argumenter contredit son propos de nous faire abandonner le christianisme pour adopter ses doctrines. Présentées avec plus de sérieux, elles eussent peut-être été plus plausibles ; mais puisqu’il se fait railleur, badin et bouffon, on doit dire : c’est faute d’arguments sérieux – et de fait il n’en avait pas et n’en connaissait pas – qu’il est tombé dans cette profonde niaiserie. LIVRE VI