magie (Orígenes)

Celse déclare ensuite, j’ignore sous quelle impulsion : Les chrétiens paraissent exercer un pouvoir par les invocations des noms de certains démons, faisant allusion, je pense, aux exorcistes qui chassent les démons. Mais il semble manifestement calomnier l’Evangile. Ce n’est point par des invocations qu’ils semblent exercer un pouvoir, mais par le nom de Jésus joint à la lecture publique des récits de sa vie. En effet, cette lecture aboutit souvent à chasser les démons des hommes, surtout lorsque les lecteurs lisent avec une disposition saine de foi véritable. Mais telle est la puissance du nom de Jésus contre les démons que parfois, même prononcé par des méchants, il réalise son effet. Voilà ce qu’enseignait Jésus en disant : « Beaucoup me diront en ce jour-là : par ton nom nous avons chassé les démons et fait des miracles». » Celse n’en fait pas mention : volontairement et par malice, ou par ignorance, je ne sais. Ensuite il accuse même le Sauveur : C’est par magie qu’il a pu faire les miracles qu’il parut accomplir; et prévoyant que d’autres, au courant des mêmes secrets, allaient faire la même chose en se vantant de le faire par la puissance de Dieu, Jésus les chassa de sa société. Et il élève cette accusation : S’il a le droit de les chasser, alors, coupable des mêmes fautes, il est lui-même un vilain personnage; ou si lui-même n’est pas vilain de les avoir faites, ceux qui agissent comme lui ne le sont pas non plus. Bien au contraire : même s’il semblait impossible de répondre à la question « comment Jésus a fait cela ? », il est manifeste que les chrétiens n’utilisent aucune pratique d’incantations, mais le nom de Jésus avec d’autres paroles auxquelles ils ont foi d’après la divine Ecriture. LIVRE I

Ensuite, il dit : “Ces gardeurs de chèvres et de moutons crurent en un seul Dieu Très-Haut, Adonaï, Ouranos, Sabaoth, ou tout autre nom qu’ils se plaisent à donner à ce monde, et ils n’en savent pas davantage”. Il ajoute ensuite : “Il n’importe en rien qu’on appelle le Dieu suprême « Zeus » du nom qu’il a chez les Grecs, ou « un tel » comme par exemple chez les Indiens, ou « un tel » comme chez les Egyptiens”. Il faut répondre que ce sujet touche à la question profonde et mystérieuse de la nature des noms. Sont-ils, comme croît Aristote, conventionnels ? ou, suivant l’opinion des Stoïciens, tires de la nature les premiers vocables imitant les objets qui sont à l’origine des noms, — vue selon laquelle ils proposent certains principes d’étymologie ? Ou bien, suivant l’enseignement d’Épicure, différent de l’opinion du Portique, les noms existent-ils naturellement, les premiers hommes ayant émis des vocables conformes aux choses ? Si nous pouvions, dans la question présente, établir la nature des noms « efficaces », dont certains sont en usage chez les sages d’Egypte, les doctes parmi les mages de Perse, les Brahmanes ou les Samanéens parmi les philosophes de l’Inde, et ainsi de suite pour chaque peuple , si nous étions capables de prouver que ce qu’on nomme la magie n’est pas, comme le pensent les disciples d’Épicure et d’Aristote, une pratique entièrement incohérente, mais, comme le démontrent les gens experts en cet art, un système cohérent, dont très peu connaissent les principes nous dirions alors que le nom de Sabaoth, d’Adonai, et tous les autres transmis chez les Hébreux avec une grande vénération, ne sont pas donnés d’après des réalités communes ou créées, mais d’après une mystérieuse science divine qui est attribuée au Créateur de l’univers Pour cette raison, ces noms ont de l’effet quand on les dit dans un enchaînement particulier qui les entrelace, de même encore d’autres noms prononcés en langue égyptienne à l’adresse de certains démons qui ont de l’effet dans tel domaine, ou d’autres en dialecte perse à l’adresse d’autres puissances, et ainsi dans chaque peuple. Et on trouverait de même que les noms des démons terrestres qui ont en partage des régions différentes sont prononcés de la façon qui convient au dialecte du lieu et du peuple. Celui donc qui possède de tout cela une plus noble compréhension, fut-elle restreinte, prendra soin d’adapter exactement chaque nom à chaque réalité, afin d’éviter toujours le malheur de ceux qui appliquent à faux le nom de Dieu à la matière inanimée, ou qui ravalent l’appellation du Bien, de la Cause première, de la vertu ou de la beauté à la richesse aveugle, à l’équilibre de la chair, du sang et des os qui font la santé et le bien-être, ou à ce qu’on regarde comme la noblesse de naissance. LIVRE I

Voyons comment Celse qui se vante de tout savoir accuse calomnieusement les Juifs, quand il dit : “Ils honorent les anges et s’adonnent à la magie à laquelle les initia Moïse”. Où donc a-t-il trouvé dans les écrits de Moïse que le législateur ait prescrit d’honorer les anges, qu’il le dise, lui qui proclame savoir les doctrines des chrétiens et des Juifs ! De plus, comment la magie peut-elle exister chez ceux qui ont reçu la loi de Moïse et qui lisent : « N’ayez pas de commerce avec les magiciens, car ils vous souilleraient». » ? Il promet ensuite “qu’il enseignera comment les Juifs aussi, bernés par ignorance, sont tombés dans l’erreur”. S’il reconnaissait que l’ignorance des Juifs sur Jésus-Christ venait de leur refus d’écouter les prophéties à son sujet, il aurait vraiment montré comment les Juifs sont tombés dans l’erreur ; mais en fait, parce qu’il n’a même pas voulu se représenter cela, il prend pour une erreur des Juifs ce qui n’est pas une erreur. LIVRE I

De plus, il accepte bien, de l’histoire écrite dans l’Évangile de Matthieu, la venue de Jésus en Egypte ; mais il refuse de croire aux prodiges qui l’ont provoquée, à l’ordre transmis par l’ange, à toute la signification mystérieuse possible du départ de Jésus de la Judée et de son séjour en Egypte. Il invente encore autre chose : d’un côté, il donne une certaine adhésion aux miracles extraordinaires accomplis par Jésus, grâce auxquels celui-ci persuada la multitude de le suivre comme Christ, de l’autre, il entend les disqualifier comme dus à la magie et non à la puissance divine. Car il affirme : Il fut élevé en secret, s’en fut en Egypte louer ses services, et, ayant acquis là l’expérience de certains pouvoirs, il s’en revint, proclamant grâce à ces pouvoirs qu’il était Dieu. Quant à moi, je ne comprends pas comment un magicien aurait pu prendre la peine d’enseigner une doctrine persuadant de tout faire dans la pensée que Dieu juge chacun sur toutes ses actions, et de donner cette disposition à ses disciples dont il allait faire les ministres de son enseignement. Ceux-ci gagnaient-ils leurs auditeurs par les miracles appris de cette façon, ou sans faire aucun miracle ? Dire qu’ils ne faisaient pas de miracle du tout, mais qu’après avoir cru, sans aucune puissance de raisons qui ressemblât à la sagesse dialectique des Grecs, ils se sont voués à l’enseignement d’une doctrine nouvelle pour ceux chez qui ils séjournaient, c’est le comble de l’absurdité : d’où leur fût venue l’audace pour enseigner la doctrine et les innovations ? Et s’ils accomplissaient des miracles, quelle vraisemblance y a-t-il que des magiciens se fussent exposés à de si graves périls pour un enseignement interdisant la magie ? LIVRE I

Son Juif déclare encore au Sauveur : ” Si tu dis que tout homme né conformément à la divine Providence est fils de Dieu, en quoi l’emporterais-tu sur un autre ?” A quoi je répondrai : tout homme qui, selon le mot de Paul, n’est plus mené par la crainte, mais embrasse la vertu pour elle-même, est fils de Dieu. Mais le Christ l’emporte du tout au tout sur quiconque reçoit pour sa vertu le titre de fils de Dieu, puisqu’il en est comme la source et le principe. Voici le passage de Paul : « Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; mais vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba, Père ! » Mais, dit le Juif de Celse, ” d’autres par milliers réfuteront Jésus en affirmant qu’à eux-mêmes s’applique ce qui est prophétisé de lui.” En vérité, je ne sais pas si Celse a connu des gens qui, après leur venue en cette vie, ont voulu rivaliser avec Jésus, et se proclamer eux-mêmes fils de Dieu ou puissance de Dieu. Mais puisque j’examine loyalement les objections comme elles se présentent, je dirai : un certain Theudas naquit en Judée avant la naissance de Jésus, qui se déclara « un grand personnage » ; à sa mort, ceux qu’il avait abusés se dispersèrent. Après lui, « aux jours du recensement », vers le temps, semble-t-il, où Jésus est né, un certain Judas Galiléen s’attira de nombreux partisans dans le peuple juif, se présentant comme sage et novateur. Après qu’il fut châtié lui aussi, son enseignement s’éteignit, n’ayant quelque survivance que chez un tout petit nombre de personnes insignifiantes. Et après le temps de Jésus, Dosithée de Samarie voulut persuader les Samaritains qu’il était le Christ en personne prédit par Moïse, et parut, par son enseignement, avoir conquis quelques adhérents. Mais la remarque pleine de sagesse de Gamaliel, rapportée dans les Actes des Apôtres, peut être raisonnablement citée pour montrer que ces hommes n’avaient rien à voir avec la promesse, n’étant ni fils ni puissances de Dieu, tandis que le Christ Jésus était véritablement Fils de Dieu. Or Gamaliel y dit : « Si c’est là une entreprise et une doctrine qui vient des hommes, elle se détruira d’elle-même », comme s’est évanouie celle de ces gens-là quand ils moururent, « mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez faire disparaître l’enseignement de cet homme : ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » De plus, Simon le magicien de Samarie voulut par la magie s’attacher certains hommes, et il parvint à en séduire, mais aujourd’hui de tous les Simoniens du monde on n’en trouverait pas trente, je crois, et peut-être que j’en exagère le nombre. Ils sont fort peu nombreux en Palestine, et en aucun point du reste de la terre son nom n’a cette gloire qu’il voulut répandre autour de sa personne. Car là où il est cité, il l’est d’après les Actes des Apôtres ; ce sont des chrétiens qui font mention de lui, et l’évidence a prouvé que Simon n’était nullement divin. LIVRE I

Je dirai donc aux Grecs : les mages ont commerce avec les démons et les invoquent selon leur art et leurs desseins. Ils réussissent tant que rien de plus divin et de plus puissant que les démons et l’incantation qui les évoque n’apparaît pas ou n’est pas prononcée. Mais s’il survient une manifestation plus divine, sont détruites les puissances des démons, incapables de résister à la lumière de la divinité. Il est donc vraisemblable aussi qu’à la naissance de Jésus, lorsqu’« une troupe nombreuse de l’armée céleste », ainsi que l’écrivit Luc et que j’en suis persuadé, loua Dieu et dit : « Gloire à Dieu dans les hauteurs, paix sur la terre, et bienveillance divine chez les hommes » ! », de ce fait, les démons perdirent leur vigueur et leur force ; leur magie fut confondue et leur pouvoir cessa ; ils furent ruinés non seulement par la venue des anges à l’entoure de la terre pour la naissance de Jésus, mais encore par l’âme de Jésus et la divinité présente en lui. Aussi les mages, voulant accomplir comme auparavant leurs habituelles incantations et sorcelleries et n’y parvenant pas, en recherchèrent-ils la cause dont ils comprenaient l’importance. A la vue du signe céleste, ils désirèrent voir ce qu’il signalait. A mon sens donc, en possession des prophéties de Balaam rapportées par Moïse, lui aussi expert en cet art, ils y trouvèrent à propos de l’étoile ces mots : « Je lui montrerai, mais non maintenant ; je le félicite, mais il n’approchera pas. » Ils conjecturèrent que l’homme prédit avec l’étoile était venu à la vie, et, l’accueillant comme supérieur à tous les démons et aux êtres qui d’habitude leur apparaissaient et manifestaient leur puissance, ils voulurent « l’adorer ». Ils vinrent donc en Judée parce qu’ils étaient persuadés qu’un roi était né, mais sans savoir la nature de sa royauté, et parce qu’ils connaissaient le pays où il naîtrait. Ils apportaient « des présents » qu’ils offrirent comme à quelqu’un qui tienne à la fois, pour ainsi dire, de Dieu et de l’homme mortel, et des présents symboliques : l’or comme à un roi, la myrrhe comme à un être mortel, l’encens comme à un Dieu ; ils les « offrirent » après s’être informés du lieu de sa naissance. Mais puisqu’il était Dieu, ce Sauveur du genre humain élevé bien au-dessus des anges qui secourent les hommes, un ange récompensa la piété des mages à adorer Jésus, et les avertit de ne pas aller vers Hérode, mais de retourner chez eux par un autre chemin. LIVRE I

On voit donc comment, par ces propos, il semble admettre l’existence de la magie. J’ignore s’il est aussi l’auteur de plusieurs livres contre la magie. Mais, le jugeant utile à son objet, il assimile les actes qu’on rapporte de Jésus aux effets de la magie. Ils leur seraient bien semblables si Jésus y avait d’abord fait montre d’une vaine exhibition à la manière des magiciens. Mais, en fait, aucun sorcier n’appelle par ses tours les spectateurs à une réforme des moeurs, ni n’enseigne la crainte de Dieu à ceux qu’ébahit le spectacle, ni ne s’efforce de persuader aux témoins de vivre en hommes qui seront jugés par Dieu. Les sorciers ne font rien de tel, car ils n’ont ni le pouvoir, ni le désir, ni la volonté de s’occuper de corriger les hommes, remplis qu’ils sont eux-mêmes des péchés les plus honteux et les plus infâmes. Mais Jésus ne faisait ses miracles que pour inviter les spectateurs à la réforme des moeurs : n’était-il pas naturel qu’il se présentât lui-même, non seulement à ses vrais disciples, mais encore au reste des hommes, comme le modèle de la vie la plus excellente ? A ses disciples pour qu’ils se consacrent à enseigner les hommes selon la volonté de Dieu ; au reste des hommes pour que, instruits tant par sa doctrine que par ses moeurs et ses miracles sur la manière de vivre comme il se doit, ils fassent tout en vue de plaire au Dieu suprême. Mais si la vie de Jésus avait ce caractère, comment raisonnablement la comparer aux prétentions des sorciers, et ne pas croire que, selon la promesse de Dieu, il est Dieu manifesté dans un corps d’homme pour le bienfait de notre race? LIVRE I

Après cela, je ne sais pour quelle raison, il ajoute cette remarque fort niaise :” Si, en forgeant des justifications absurdes à ce qui vous a ridiculement abusés, vous croyez offrir une justification valable, qu’est-ce qui empêche de penser que tous les autres qui ont été condamnés et ont disparu d’une manière plus misérable encore sont des messagers plus grands et plus divins que lui ? ” Mais il est d’une évidence manifeste et claire à tout homme que Jésus, dans les souffrances qui sont rapportées, n’a rien de comparable a ceux qui ont disparu d’une manière plus misérable encore, à cause de leur magie ou de quelque autre grief que ce soit. Car personne ne peut montrer qu’une pratique de sorcellerie ait converti les âmes de la multitude des pèches qui règnent parmi les hommes et du débordement de vice. Et le Juif de Celse, assimilant Jésus aux brigands, déclare ” On pourrait dire avec une égale impudence d’un brigand et d’un assassin mis au supplice ce n’était pas un brigand, mais un Dieu, car il a prédit à ses complices qu’il souffrirait le genre de supplice qu’il a souffert “.Mais d’abord on peut dire ce n’est pas du fait qu’il a prédit ce qu’il souffrirait que nous avons de tels sentiments sur Jésus, comme par exemple lorsque nous professons sincèrement et hardiment qu’il est venu de Dieu à nous , ensuite, nous disons que cette assimilation même est prédite en quelque sorte dans les Evangiles, puisque Jésus « fut compte parmi les malfaiteurs » par des malfaiteurs car ils ont préféré qu’un brigand, emprisonné « pour sédition et meurtre », fût mis en liberté, et que Jésus soit crucifié, et ils le crucifièrent entre deux brigands. De plus, sans cesse, dans la personne de ses disciples véritables et qui rendent témoignage à la vérité, Jésus est crucifié avec des brigands et souffre la même condamnation qu’eux parmi les hommes. Nous disons dans la mesure ou il y a une analogie entre des brigands et ceux qui, pour leur piété envers le Créateur qu’ils veulent garder intacte et pure comme l’enseigna Jésus acceptent tous les genres d’outrages et de morts, il est clair que Celse a quelque raison de comparer aux chefs de brigands Jésus, l’initiateur de cet enseignement sublime. Mais ni Jésus qui meurt pour le salut de tous, ni ceux qui endurent ces souffrances à cause de leur piété, seuls de tous les hommes à être persécutés pour la manière dont ils croient devoir honorer Dieu, ne sont mis à mort sans injustice, et Jésus ne fut pas persécuté sans impiété. Note aussi le caractère superficiel de ce qu’il dit de ceux qui furent alors les disciples de Jésus : “Alors les compagnons de sa vie, qui entendaient sa voix, l’avaient pour maître, quand ils le virent torturé et mourant, ne voulurent ni mourir avec lui ni mourir pour lui, et, loin de consentir à mépriser des supplices, ils nièrent qu’ils fussent ses disciples. Et vous, maintenant, voulez mourir avec lui”. Ici donc Celse, pour attaquer notre doctrine, ajoute foi au péché commis par les disciples encore débutants et imparfaits, que rapportent les Evangiles. Mais leur redressement après leur faute, leur assurance à prêcher devant les Juifs, les maux sans nombre endurés de leur part, leur mort enfin pour l’enseignement de Jésus, il n’en dit mot. C’est qu’il n’a pas voulu considérer la prédiction de Jésus à Pierre « Vieilli, tu étendras les mains… » etc. ; à quoi l’Écriture ajoute « Il indiquait ainsi la mort par laquelle il rendrait gloire à Dieu » , ni considérer la mort par le glaive au temps d’Hérode, pour la doctrine du Christ, de Jacques frère de Jean, apôtre et frère d’apôtre , ni considérer non plus tous les exploits de Pierre et des autres apôtres dans leur intrépide prédication de l’Évangile, et comment ils s’en allèrent du Sanhédrin après leur flagellation, « tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour son nom », surpassant de loin tout ce que les Grecs racontent de l’endurance et du courage des philosophes. Des l’origine donc, prévalait chez les auditeurs de Jésus cette leçon capitale de son enseignement le mépris de la vie recherchée par la foule et l’empressement à mener une vie semblable à celle de Dieu. Et comment n’est-ce pas un mensonge que la parole du Juif de Celse “Au cours de sa vie, il ne gagna qu’une dizaine de mariniers et publicains des plus perdus, et encore pas tous ?” Il est bien clair, même des Juifs en conviendraient, qu’il à gagné non seulement dix hommes, ni cent, ni mille, mais en bloc tantôt cinq mille, tantôt quatre mille» , et gagné au point qu’ils le suivaient jusqu’aux déserts, seuls capables de contenir la multitude assemblée de ceux qui croyaient en Dieu par Jésus, et ou il leur présentait non seulement ses discours mais ses actes. Par ses redites, Celse me force à l’imiter puisque j’évite avec soin de paraître négliger l’un quelconque de ses griefs. Sur ce point donc, suivant l’ordre de son écrit, il déclare “Alors que de son vivant il n’a persuadé personne, après sa mort ceux qui en ont le désir persuadent des multitudes n’est-ce point le comble de l’absurde. Il aurait dû dire, pour garder la logique si, après sa mort ceux qui en ont, pas simplement le désir, mais le désir et la puissance, persuadent des multitudes, combien est-il plus vraisemblable que pendant sa vie il en ait persuadé bien davantage par sa puissante parole et par ses actes. LIVRE II

Qu’on nous dise dès lors si un trait du texte de l’Évangile ou de l’Apôtre peut prêter au soupçon que la sorcellerie soit prédite dans ce passage ! Et quiconque le désire pourra extraire en outre de Daniel la prophétie sur l’Antéchrist. Mais Celse calomnie les paroles de Jésus : il n’a pas dit que d’autres se présenteraient, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers, comme Celse le lui fait dire. En effet, la puissance des incantations d’Egypte n’est point pareille à la grâce miraculeuse dont disposait Moïse : l’issue a manifesté que les actions des Egyptiens étaient des sorcelleries, et celles de Moïse des oevres divines. De la même façon, les actions des antéchrists et de ceux qui prétendent faire des miracles à l’égal des disciples de Jésus sont qualifiées de « signes et de prodiges mensongers, sévissant dans toutes les séductions du mal à l’adresse de ceux qui sont voués à la perdition » ; celles du Christ et de ses disciples, au contraire, ont pour fruit non la séduction mais le salut des âmes. Qui donc peut raisonnablement soutenir que la vie vertueuse qui réduit chaque jour à un plus petit nombre les actions mauvaises provient d’une séduction ? Celse a deviné un trait de l’Écriture, quand il fait dire à Jésus qu’un certain Satan serait habile à contrefaire ces prodiges. Mais il ajoute une pétition de principe en affirmant que Jésus ne nie pas en eux tout caractère divin, mais qu’il y voit l’oevre de méchants. C’est renfermer dans une même catégorie des choses de catégorie différente. Comme le loup n’est pas de même espèce que le chien, malgré une ressemblance apparente dans la forme du corps et dans la voix, ni le pigeon ramier de même espèce que la colombe, ainsi une oevre de la puissance de Dieu n’a rien de pareil à ce qui provient de la sorcellerie. Autre réponse aux déloyautés de Celse : est-ce que des méchants démons feraient des miracles par sorcellerie, sans que la nature divine et bienheureuse en accomplisse aucun ? L’existence humaine est-elle accablée de maux, sans la moindre place pour les biens ? Or voici mon avis : dans la mesure où l’on doit admettre le principe général que là où l’on suppose un mal de même espèce que le bien, il existe nécessairement en face de lui un bien, de même aussi, en regard des actes exécutés par sorcellerie il en existe nécessairement qui sont dus à l’activité divine dans l’existence. En conséquence du même principe on peut ou supprimer les deux membres de l’affirmation et dire que ni l’un m l’autre ne se réalise, ou, posé l’un, ici le mal, reconnaître aussi le bien. Mais admettre les effets de la sorcellerie et nier les effets de la puissance divine équivaut, me semble-t-il, à soutenir qu’il y a des sophismes et des arguments plausibles éloignés de la vérité bien qu’ils feignent de l’établir, mais que la vérité et la dialectique étrangère aux sophismes n’ont aucun droit de cité parmi les hommes. Admet-on l’existence de la magie et de la sorcellerie exercée par les méchants démons, charmés par des incantations spéciales et dociles aux invitations des sorciers ? Il s’ensuit que doivent exister parmi les hommes les effets de la puissance divine. Alors pourquoi ne pas examiner soigneusement ceux qui prétendent faire des miracles et voir si leur vie, leurs moers, les résultats de ces miracles nuisent aux hommes ou redressent leurs moers ? Qui donc, au service des démons, obtient de tels effets au moyen de pratiques incantatoires et magiques. Qui au contraire, après s’être uni à Dieu, dans un lieu pur et saint, par son âme, son esprit et je croîs aussi par son corps, et avoir reçu un esprit divin, accomplit de tels actes pour faire du bien aux hommes et les exhorter à croire au vrai Dieu ? Admet-on la nécessité de chercher, sans tirer une conclusion précipitée des miracles, qui accomplit ces prodiges par un principe bon et qui, par un principe mauvais, de manière à éviter soit de tout déprécier, soit de tout admirer et accueillir comme divin ? Comment alors ne sera-t-il pas évident, d’après les événements du temps de Moïse et du temps de Jésus, puisque des nations entières se sont constituées à la suite de leurs miracles, que c’est par une puissance divine qu’ils ont accompli les oevres que la Bible atteste ? Car la méchanceté et la magie n’auraient pas constitué une nation entière qui a dépasse non seulement les idoles et les monuments construits par les hommes, mais encore toute nature créée, et qui s’élève jusqu’au principe incréé du Dieu de l’univers. LIVRE II

Ensuite Celse imagine que les Juifs, Egyptiens de race, auraient abandonne l’Egypte après s’être révoltes contre l’État égyptien et avoir méprisé les cérémonies religieuses usitées en Egypte , et il affirme : ce qu’ils ont fait aux Egyptiens, ils l’ont subi de ceux qui ont pris le parti de Jésus et cru en lui comme au Christ. Dans les deux cas, la cause de l’innovation fut la révolte contre l’État. Or il faut remarquer ici le procédé de Celse. Les Egyptiens d’autrefois ont accablé d’avanies la race des Hébreux qui, par suite d’une famine sévissant en Judée, étaient venus en Egypte. Et pour les torts infligés à des hôtes et des suppliants, ils ont subi le châtiment que devait nécessairement subir de la divine Providence toute une nation unanime dans son hostilité contre toute la race de ses hôtes qui ne lui avait fait aucun tort. Sous le coup des fléaux de Dieu, peu de temps après ils laissèrent, non sans peine, aller où ils voulaient ceux qu’ils avaient injustement asservis. En égoïstes qui font plus de cas de n’importe quels compatriotes que d’hôtes plus vertueux, ils n’abandonnèrent pas une seule accusation portée contre Moïse et les Hébreux : sans nier entièrement les miracles prodigieux de Moïse, ils les attribuèrent à la magie, non à une puissance divine. Mais Moïse était non pas magicien mais un homme pieux ; consacré au Dieu de l’univers, participant d’un esprit divin, il institua des lois pour les Hébreux sous la dictée de Dieu, et consigna les événements tels qu’ils existèrent en réalité. LIVRE III

Après quoi, s’en prenant aux récits du premier livre de Moïse intitulé Genèse, Celse dit : Ils ont tenté avec impudence de rattacher leur généalogie à une première génération de sorciers et de vagabonds, invoquant le témoignage de paroles obscures, équivoques, comme cachées dans l’ombre, qu’ils interprètent à tort devant les ignorants et les sots, et cela sans que jamais, au cours de la longue période qui précède, ce point fût mis en discussion. Il me paraît avoir donné là de sa pensée une expression fort obscure. Sans doute a-t-il gardé l’obscurité sur ce point, voyant bien la force de l’argument qui prouve que la nation juive descendait de tels ancêtres. D’autre part, il a voulu ne point paraître ignorer une question primordiale pour les Juifs et leur race. Il est bien clair que les Juifs rattachent leur généalogie aux trois ancêtres Abraham, Isaac, Jacob ; leurs noms ont un tel pouvoir, quand ils sont joints à l’appellation de Dieu, que non seulement les gens de cette nation, dans les prières adressées à Dieu et dans les exorcismes contre les démons, usent de la formule « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob », mais encore presque tous ceux qui se livrent aux pratiques d’incantation et de magie. Car dans les livres de magie, on trouve souvent cette invocation de Dieu et cet emploi du nom de Dieu, conjoint aux noms de ces hommes dans les exorcismes. Ces raisons produites par les Juifs et les chrétiens pour prouver la sainteté d’Abraham, Isaac, Jacob, les ancêtres de la race juive, je ne pense pas que Celse les ait entièrement ignorées mais il s’abstient d’une exposition claire, incapable d’affronter l’argument. LIVRE IV

Après cela, comme s’il s’acharnait à rabaisser davantage la race des hommes en les assimilant aux êtres sans raison, et voulait ne rien omettre des traits qui manifestent la supériorité qui est dans les êtres sans raison, il déclare que même les pouvoirs de la magie sont aussi dans quelques-uns des êtres sans raison, en sorte que, jusqu’en cette matière, les hommes ne sauraient se glorifier spécialement, ni prétendre détenir la supériorité sur les êtres sans raison. Voici ses paroles : Mais si les hommes tirent vanité des pouvoirs de la magie, même en cette matière encore, serpents et aigles ont plus de science : ils connaissent du moins beaucoup de remèdes contre les poisons et les maladies, ainsi que les vertus de certaines pierres qu’ils utilisent pour sauver leurs petits; les hommes, s’ils les trouvent, s’estiment en possession d’un merveilleux trésor. Et d’abord, je ne sais pourquoi il donne le nom de magie à la connaissance de contrepoisons naturels dont les animaux ont soit l’expérience, soit une perception naturelle ; car le mot de magie a d’ordinaire une autre acception. Peut-être, cependant, veut-il, en épicurien, attaquer sans en avoir l’air tout usage de ces pratiques qui aurait pour base la prétention des sorciers. Malgré cela, en lui concédant que les hommes, sorciers ou non, tirent vanité de la connaissance de ces secrets, est-ce une raison de dire que les serpents ont plus de science que les hommes en cette matière, pour la raison qu’ils emploient le fenouil pour aviver leur vue et se mouvoir plus vite, quand c’est pour eux un don naturel venant non du raisonnement, mais de leur constitution. Les hommes n’y arrivent point par la seule nature, à la manière des serpents, mais soit par expérience, soit par la raison et parfois par l’exercice du raisonnement scientifique. De même, si les aigles, pour sauver leurs petits dans leur nid, y portent l’aétite qu’ils trouvent, pourquoi conclure que les aigles ont une science, et même une science supérieure à celle des hommes qui ont, par expérience, découvert grâce à leur raisonnement et employé avec intelligence ce secours naturellement donné aux aigles ? Mais accordons que d’autres contrepoisons soient connus des animaux. LIVRE IV

Ensuite, il a ce passage sur les Juifs : ” Voici un premier trait surprenant chez les Juifs : ils vénèrent le ciel et les anges qui s’y trouvent, mais les parties du ciel les plus respectables et les plus puissantes, le soleil, la lune et les autres astres, étoiles et planètes, ils n’en ont cure: comme s’il était admissible que le tout soit dieu et que ses parties ne soient pas divines; ou que l’on rende un culte suprême à des êtres apparaissant, dit-on, je ne sais dans quelles ténèbres, à ceux qu’aveugle une magie suspecte ou qui voient en rêve des fantômes indistincts, tandis que ceux qui prédisent avec tant de clarté et d’éclat pour tout le monde, par qui sont dispensés les pluies, les chaleurs, les nuées, les tonnerres que les Juifs adorent, les éclairs, les fruits et tous les produits de la terre, ceux par qui Dieu se révèle à eux, les hérauts les plus manifestes d’en haut, les véritables messagers célestes, on les tienne pour rien ! ” Celse me semble là être tombé dans la confusion et avoir écrit des choses apprises par ouï-dire, qu’il ne comprenait pas. Car l’examen du judaïsme et sa comparaison avec le christianisme le manifestent clairement : les Juifs observent la loi disant au nom de Dieu : « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi. Tu ne te feras pas d’image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans le ciel là-haut, ni à ce qui est sur la terre ici-bas, ou dans les eaux en-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas. » Ils n’adorent que le Dieu suprême Créateur du ciel et de tout le reste. Il est clair que ceux qui vivent selon la loi, s’ils adorent celui qui a fait le ciel, n’adorent point en même temps le ciel et Dieu. De plus, aucun observateur de la loi de Moïse n’adore les anges qui sont au ciel. N’adorant pas le soleil, la lune, les étoiles, « le monde du ciel », ils évitent aussi bien d’adorer le ciel et les anges qui s’y trouvent, par obéissance à leur loi : « Quand tu lèveras les yeux vers le ciel, quand tu verras le soleil, la lune, les étoiles et tout le monde du ciel, ne va pas te laisser entraîner à les adorer et à les servir : le Seigneur ton Dieu les a donnés en partage à tous les peuples. » LIVRE V

Puisque j’ai signalé la confusion qui résulte de ses méprises, tâchons de mettre au clair ce point du mieux possible, et d’établir que Celse a beau considérer comme juive la pratique d’adorer le ciel et les anges qui s’y trouvent, une telle pratique, loin d’être juive, est au contraire une transgression du judaïsme, tout comme celle d’adorer le soleil, la terre, les étoiles et encore les statues. Du moins on trouve en particulier dans Jérémie que le Logos de Dieu, par le prophète, reproche au peuple juif d’adorer ces êtres et de sacrifier « à la reine du ciel » et « à toute l’armée du ciel ». De plus, lorsque les chrétiens dans leurs écrits accusent ceux des Juifs qui ont péché, ils montrent que si Dieu abandonne ce peuple c’est entre autres à cause de ce péché. Car il est écrit dans les Actes des Apôtres à propos des Juifs : « Alors Dieu se détourna d’eux et les livra au culte de l’armée du ciel, ainsi qu’il est écrit au livre des prophètes : M’avez-vous offert victimes et sacrifices pendant quarante ans au désert, maison d’Israël ? Et vous avez porté la tente de Moloch, et l’étoile du dieu Rompha, les figures que vous aviez faites pour les adorer. » Et chez Paul, scrupuleusement élevé dans la pratique des Juifs, et plus tard converti au christianisme par une apparition miraculeuse de Jésus, voici une parole de l’Épître aux Colossiens : « Que personne n’aille vous frustrer, se complaisant dans son humilité et dans son culte des anges : visions d’illuminés qui, tout enflés du sot orgueil de leur intelligence charnelle, ne s’attachent pas à la Tête, d’où le corps tout entier, par le jeu des ligaments et jointures, tire nourriture et cohésion, pour réaliser la croissance voulue par Dieu. » Mais Celse qui n’a ni lu ni appris cela a imaginé, je ne sais pourquoi, que les Juifs ne transgressent pas leur loi en adorant le ciel et les anges qui s’y trouvent. C’est encore la confusion et la vue superficielle du sujet qui lui fait croire que les Juifs furent incités à adorer les anges du ciel par les incantations de la magie et de la sorcellerie qui font apparaître des fantômes aux incantateurs. Il n’a pas remarqué que c’eût été enfreindre la loi qui dit précisément à ceux qui veulent le faire : « Ne suivez pas les ventriloques, ne vous attachez pas aux incantateurs pour être souillés par eux : je suis le Seigneur votre Dieu». » Il lui fallait donc ou bien s’abstenir totalement d’attribuer ces pratiques aux Juifs, s’il continuait à voir en eux des observateurs de la loi et à dire qu’ils vivent selon la loi ; ou bien les leur attribuer en prouvant qu’elles étaient le fait des Juifs transgresseurs de la loi. Bien plus, si c’est déjà transgresser la loi que de rendre un culte à des êtres cachés dans je ne sais quelles ténèbres, parce qu’on est aveuglé par l’effet de la magie et qu’on voit en rêves des fantômes indistincts, et que d’adorer ces êtres qui, dit-on, alors vous apparaissent, de même aussi sacrifier au soleil, à la lune et aux étoiles, c’est commettre la transgression suprême de la loi. Donc le même homme ne pouvait dire que les Juifs se gardent d’adorer le soleil, la lune et les étoiles, mais ne se gardent pas d’adorer le ciel et ses anges. LIVRE V

Il faut pourtant savoir que les auteurs de ces formules n’ont pas compris les secrets de la magie, ni discerné les sens des divines Écritures, et ont tout confondu. Ils tirent de la magie Ialdabaoth, Astaphaios, Horaios, et des écrits hébraïques celui qu’on appelle chez les Hébreux Iao ou la, Sabaoth, Adonaï, Eloaios. Mais les noms tirés des Écritures sont ceux d’un seul et même Dieu. Les ennemis de Dieu ne l’ont pas compris, eux-mêmes le reconnaissent : ils ont cru que Iao était un dieu, Sabaoth un autre, Adonaios un troisième que les Écritures appellent Adonaï, et Eloaios un quatrième que les prophètes nomment en hébreu Eloaï. LIVRE VI

Ensuite, à l’adresse de ceux qui, pratiquant la magie et la sorcellerie invoquent les noms barbares de certains démons, il dit que ces gens font la même chose que ceux qui font des prestiges en invoquant les mêmes démons devant ceux qui ignorent que les noms des démons sont différents chez les Grecs et chez les Scythes. Et il tire d’Hérodote l’affirmation que les Scythes appellent Apollon Gongosyre, Poséidon Thagimasade, Aphrodite Argimpase, Hestia Tabiti. Aux gens compétents d’examiner si là encore Celse ne partage point la méprise d’Hérodote, car les Scythes n’ont pas les mêmes idées que les Grecs sur les prétendus dieux. Quelle vraisemblance y a t-il que chez les Scythes Apollon soit appelé Gongosyre ? Je ne crois pas que traduit en grec le mot Gongosyre présente le même sens qu’Apollon, ou qu’Apollon traduit en langue scythe signifie Gongosyre. Ainsi des autres noms, on ne dira pas davantage qu’ils aient la même signification. Les Grecs et les Scythes, à partir de raisons et d’étymologies différentes, ont donné des noms différents à ceux qu’ils considéraient comme des dieux : de même pour les Perses et les Indiens, les Ethiopiens et les Libyens : chaque peuple donnait ainsi le nom qui lui plaisait parce qu’il n’avait pas gardé la pure conception originelle du Créateur de l’univers. Mais j’en ai suffisamment parlé dans les pages précédentes en tentant d’établir que Sabaoth n’est pas identique à Zeus, et en citant les passages des divines Écritures relatifs aux langues. Je laisse donc délibérément de côté ce point où Celse provoque aux redites. LIVRE VI

Après cela, comme s’il oubliait son propos d’écrire contre les chrétiens, il déclare avoir ouï dire à un certain Denys d’Egypte, musicien, que les pratiques de la magie n’ont de pouvoir que sur les gens sans culture et aux moeurs corrompues, mais restent sans effet sur les philosophes parce qu’ils ont à coeur de mener une vie saine. S’il était question pour moi de discuter ici de magie, j’aurais à ajouter quelques remarques à ce que j’en ai dit plus haut ; mais puisqu’il faut répondre du mieux possible au traité de Celse, je dis : pour savoir si même les philosophes sont séduits ou non par la magie, il n’y a qu’à lire ce qu’a écrit Méragène des mémoires d’Apollonius de Tyane, mage et philosophe. L’auteur, non chrétien mais philosophe, a observé que certains philosophes de valeur, séduits par le pouvoir magique d’Apollonius, étaient venus à lui le regardant comme un sorcier ; de ce nombre il mentionne, je crois, le fameux Euphratès et un Epicurien. Mais nous, nous affirmons avec énergie et savons par expérience que ceux qui servent le Dieu suprême selon la doctrine chrétienne et vivent en conformité avec son Évangile, s’acquittant des prières prescrites continuellement et avec la révérence exigée de nuit et de jour, ne sont séduits ni par la magie ni par les démons. Car en vérité, « l’ange du Seigneur établit ses tentes autour de ceux qui le craignent et il les protège » de tout mal. Et les anges des petits enfants de l’Église, préposés à leur garde, est-il dit, « voient sans cesse la face du Père qui est au ciel », quel que soit le sens du mot « face » et le sens du mot « voir ». LIVRE VI

Ensuite, Celse juge bon de dire : Les peuples les plus inspirés dès l’origine furent les Chaldéens. C’est à partir d’eux cependant que l’art fallacieux des horoscopes s’est répandu parmi les hommes. En outre, Celse range au nombre des peuples les plus inspirés, les Mages, bien que la magie tire d’eux son nom et ait été transmise aux autres peuples pour la corruption et la ruine de ceux qui l’emploient. Quant aux Égyptiens, les pages précédentes et Celse ont montré leur erreur d’avoir des enceintes vénérables pour leurs prétendus temples, mais à l’intérieur rien d’autre que des singes, des crocodiles, des chèvres, des aspics ou quelque autre animal. Et ici, il a paru bon à Celse de dire : Le peuple d’Egypte aussi est très inspiré, et inspiré dès l’origine : sans doute pour avoir dès l’origine combattu les Juifs ! Les Perses encore, qui épousent leurs mères et s’unissent à leurs filles, semblent à Celse un peuple inspiré, et aussi les Indiens dont il disait, aux pages précédentes, que certains ont mangé la chair humaine. Mais les Juifs, surtout ceux d’autrefois, qui ne font rien de tout cela, non seulement il ne les a pas dits les plus inspirés, mais il affirme leur perte imminente. Voilà le sort qu’il prédit d’eux, comme un devin, sans voir toute l’économie de Dieu relative aux Juifs et à leur vénérable régime d’autrefois, et comment leur faux pas a procuré le salut aux païens, « et leur faux pas a fait la richesse du monde et leur amoindrissement la richesse des païens », « jusqu’à ce que la totalité soit entrée », afin qu’ensuite « tout Israël », dont Celse ne comprend pas le sens, « soit sauvé ». LIVRE VI

Remarquons l’étourderie de son propos : Si en effet on rendre un culte à un autre des êtres de l’univers. Il indique par là que nous pouvons sans aucun tort pour nous-mêmes rendre un culte divin à l’un quelconque des êtres qui appartiennent à Dieu. Mais comme s’il sentait lui-même l’insanité du propos : si en effet on veut rendre un culte à un autre des êtres de l’univers, il se reprend et ajoute cette correction : il n’est pas permis d’honorer celui à qui Dieu n’a pas donné ce privilège. Demandons à Celse, à propos des honneurs qu’on rend aux dieux, aux démons, aux héros : comment peux-tu montrer, mon brave, que ces honneurs qu’ils reçoivent sont dus à un privilège donné par Dieu et non à l’ignorance et à la sottise humaine de ceux qui sont dans l’erreur et sont tombés loin de Celui à qui de plein droit revient l’honneur ? On honore par exemple, comme tu viens de le dire, Celse, le mignon d’Hadrien. Tu ne vas pas dire, je suppose, que le privilège d’être honoré comme dieu a été donné à Antinoos par le Dieu de l’univers ! On dira la même chose des autres, demandant la preuve que le privilège d’être honoré comme dieux leur a été accordé par le Dieu suprême. Si on nous fait la même réplique sur Jésus, nous prouverons que le privilège d’être honoré lui a été donné par Dieu, « pour que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Déjà les prophéties, avant sa naissance, affirmaient son droit à cet honneur. Plus tard les miracles qu’il accomplit, non par magie comme le croit Celse, mais par sa divinité prédite par les prophètes, bénéficiaient du témoignage de Dieu. Ainsi en honorant le Fils qui est Logos, on ne fait rien de déraisonnable : on tire avantage de l’honneur qu’on lui rend et en l’honorant, lui qui est la Vérité, on devient meilleur parce qu’on honore la vérité ; ainsi en est-il quand on honore la Sagesse, la Justice et toutes les prérogatives que les divines Écritures accordent au Fils de Dieu. LIVRE VIII

Celse en tout cas devine qu’il de la connaissance de ces pratiques à la magie et, conscient du dommage qui en résulterait pour ses auditeurs, il dit : Il faut toutefois, quand on s’unit à ces démons, prendre garde qu’on ne soit absorbé par le culte à leur rendre et que par amour du corps on ne se détourne des biens supérieurs et on ne soit retenu loin d’eux en les oubliant. Peut-être ne faut-il pas refuser de croire les sages : ils disent que la plupart des démons terrestres, absorbés dans la génération, rivés au sang et au fumet de graisse, liés par des incantations et d’autres pratiques de ce genre, ne peuvent rien de mieux que de guérir les corps, prédire leur destinée prochaine d l’individu et à la cité, et que leur science et leur puissance ne s’étendent qu’aux activités mortelles. LIVRE VIII