loi (Orígenes)

Voici le premier grief formulé par Celse dans son désir de diffamer le christianisme : Les chrétiens forment entre eux, au mépris des lois établies, des conventions secrètes. Parmi les conventions, les unes sont publiques, toutes celles qui se conforment aux lois, les autres sont occultes, toutes celles dont l’accomplissement viole les lois établies. Il veut incriminer la charité mutuelle des chrétiens, comme née d’un danger commun et plus forte que tout serment. Comme il invoque la loi commune et la dit enfreinte par les conventions des chrétiens, il faut répondre : si un étranger se trouvait au milieu des Scythes aux lois impies, ne pouvant s’éloigner et contraint de vivre chez eux, il aurait raison, au nom de la loi de la vérité, qui est pour les Scythes une violation de la loi, de former avec ceux qui sont de même sentiment des conventions au mépris de leurs lois établies. Ainsi, au tribunal de la vérité, les lois des païens relatives aux statues et au polythéisme athée sont des lois de Scythes ou sont plus impies que les leurs, s’il en est. Il est donc raisonnable de former contre les lois établies des conventions pour la défense de la vérité. En effet, si des gens, pour chasser le tyran usurpateur du pouvoir de la cité, formaient des conventions secrètes, leur acte serait honnête. Ainsi en est-il des chrétiens : sous la tyrannie de celui qu’ils nomment le diable et du mensonge, ils forment des conventions au mépris des lois établies par le diable, contre le diable, et pour le salut des autres qu’ils peuvent persuader de se soustraire à ce qui est comme une loi de Scythes et de tyran. LIVRE I

Voyons comment il prétend dénigrer la morale sous ce grief : Elle est banale et, par rapport aux autres philosophes, n’enseigne rien de vénérable ni de neuf. A quoi il faut répondre : ceux qui admettent un juste jugement de Dieu auraient repoussé le châtiment qui menace les pécheurs, si tous les hommes n’avaient pas, en vertu des notions communes, une saine prénotion dans le domaine de la morale. Aussi n’y a-t-il rien d’étonnant que le même Dieu ait semé dans les âmes de tous les hommes ce qu’il a enseigné par les prophètes et le Sauveur ; cela, pour que chaque homme soit sans excuse au jugement divin, car il a l’exigence de la loi inscrite dans son coeur. La Bible l’insinua, en un passage que les Grecs tiennent pour un mythe, en représentant que Dieu a écrit de son propre doigt les commandements et les a donnés à Moïse. La malice de ceux qui fabriquèrent le veau d’or les brisa : ce qui veut dire que le débordement du péché les a submergés. Mais Dieu les écrivit une seconde fois et les redonna après que Moïse eut taillé des tables de pierre : comme si la prédication prophétique disposait l’âme, après la première faute, à une seconde écriture de Dieu. LIVRE I

Ensuite Celse déclare en propres termes : “S’ils veulent bien répondre à mes questions, non que je cherche à me documenter, car je sais tout, mais je porte à tous une égale sollicitude, à la bonne heure ! Mais s’ils ne veulent pas, avec leur habituelle fin de non recevoir: N’examine pas… etc., alors il sera nécessaire de leur apprendre la nature vraie des doctrines qu’ils professent et la source dont elles proviennent…” etc. A son « car je sais tout », le comble de vantardise dont il ait eu l’audace, il faut répliquer : si jamais il avait lu les prophètes notamment, remplis de ce que tout le monde reconnaît comme des énigmes et des paroles qui restent obscures à la foule, s’il avait abordé les paraboles évangéliques, le reste de l’Ecriture, la loi, l’histoire juive, les discours des apôtres, et s’il avait voulu, par une lecture judicieuse, pénétrer jusqu’au sens des expressions, il n’aurait pas eu cette audace de dire « car je sais tout ». Même moi, qui leur ai consacré mon temps, je ne dirais pas «car je sais tout», car j’aime la vérité. Nul d’entre nous ne dira « car je sais tout » du système d’Épicure, ou n’aura la témérité de croire qu’il sait tout du platonisme, tant sont nombreuses les divergences même entre ceux qui en font l’exposé. Qui donc est assez téméraire pour dire « car je sais tout » du stoïcisme, tout du péripatétisme ? A moins par hasard qu’il n’ait appris ce « car je sais tout » de gens du peuple inconscients de leur propre ignorance, et qu’il ne croie tout connaître pour avoir eu de tels maîtres ! Son attitude évoque celle d’un homme qui aurait séjourné en Egypte ; là les sages donnent, d’après les livres sacrés du pays, nombre d’interprétations philosophiques d’usages qu’ils tiennent pour divins, tandis que le vulgaire, connaissant par ouï-dire quelques mythes dont il ne sait pas la portée doctrinale, en conçoit un vif orgueil ; et notre homme croirait savoir toute la doctrine des Egyptiens, pour s’être fait disciple des profanes de là-bas, sans avoir fréquenté un seul des prêtres, ni reçu d’aucun d’eux les enseignements secrets des Egyptiens. Et ce que j’ai dit des sages et des profanes de l’Egypte, on peut le voir également chez les Perses : là aussi il y a des initiations interprétées rationnellement par l’élite du pays, mais accomplies dans leurs figures extérieures par la multitude plus superficielle. Et il faut en dire autant des Syriens, des Indiens, de tous ceux qui possèdent des mythes et des livres sacrés. LIVRE I

De nouveau, dressant la liste “des sages anciens qui ont bien mérité de leurs contemporains et, par leurs écrits, de la postérité”, il exclut Moïse de la liste des sages. De Linos pourtant, qu’il nomme en tête, nulle loi, nulle doctrine n’existe qui ait converti et amélioré des nations ; tandis que les lois de Moïse, un peuple entier les transmet, répandu par toute la terre. Vois donc si ce n’est point pure méchanceté que d’avoir exclu jusqu’à Moïse de sa liste de sages ! Mais “Linos, Musée, Orphée, Phérécyde, le Perse Zoroastre et Pythagore ont traité de ces questions, et leurs doctrines sont consignées dans des livres et ont été conservées jusqu’à ce jour”. LIVRE I

Il a délibérément passé sous silence la légende des dieux supposés, aux passions tout humaines, due principalement aux poèmes d’Orphée. Mais ensuite, dans sa critique de l’histoire de Moïse, il accuse ceux qui en donnent une interprétation figurée et allégorique. On pourrait riposter à cet auteur illustre qui a intitule son livre “Discours véritable” quoi donc, mon brave, des dieux s’engagent dans des aventures telles que les décrivent tes sages poètes et philosophes, ils se livrent à des unions maudites, entrent en guerre contre leurs pères, leur tranchent les organes virils, et tu prends au sérieux l’histoire qui rapporte leur audace à commettre et a souffrir ces forfaits ! Mais lorsque Moïse ne dit rien de tel sur Dieu, ni même sur les saints anges, et qu’il raconte sur les hommes de bien moindres méfaits — chez lui personne n’a les audaces de Cronos envers Ouranos, ni celles de Zeus envers son père, sans ajouter que « le père des dieux et des hommes » s’est uni à sa fille —, on pense qu’il égare ceux qu’il a trompés en leur donnant sa loi. Celse me semble agir à peu près comme le Thrasymaque de Platon, qui ne permet point à Socrate de répondre à sa guise sur la justice, mais déclare : « Garde-toi de dire que le juste c’est l’utile, l’obligatoire ou quoi que ce soit de semblable » Lui aussi, lorsqu’il accuse, croit-il, les histoires de Moïse et qu’il blâme ceux qui les interprètent en allégories tout en les louant d’être les plus raisonnables, il voudrait bien, après son accusation fantaisiste, empêcher ceux qui le peuvent de répondre comme le demande la nature des choses. LIVRE I

Je pourrais l’inviter à comparer nos livres respectifs et dire : Allons, mon brave, apporte les poèmes de Linos, de Musée, d’Orphée, les écrits de Pherecyde, et confronte-les avec la loi de Moïse. Mets en parallèle les histoires avec les histoires, les préceptes de morale avec les lois et les commandements. Et vois lesquels d’entre eux sont plus capables de convertir d’emblée ceux qui les entendent, et lesquels d’entre eux de faire périr l’auditeur. Et remarque combien la cohorte de tes auteurs s’est peu inquiétée de ceux qui liraient sans préparation , c’est pour les seuls gens capables d’interprétation figurée et allégorique, qu’elle a écrit, dis-tu, sa propre philosophie. Moïse, au contraire, à procédé dans ses cinq livres comme un rhéteur de race qui soigne son style et veille a présenter partout le double sens des mots à la foule des Juifs soumis à ses lois, il ne donne pas d’occasions d’un dommage moral , à l’élite capable d’une lecture pénétrante, il ne présente pas de texte qui ne soit plein de spéculation pour qui peut chercher son intention profonde. Et les livres de tes sages poètes, à ce qu’il semble, ne sont même plus conservés, on les eût conservés si le lecteur en avait tiré profit. Mais les écrits de Moïse ont incité un grand nombre de gens, même étrangers à la culture juive, à croire, comme le proclament les écrits, que le premier auteur des lois données à Moïse, c’est Dieu le créateur du monde. Il convenait en effet que l’artisan de tout l’univers imposât ses lois à tout l’univers et donnât à ses paroles une puissance capable d’en soumettre tous les habitants. Et cela, je l’affirme sans traiter encore de Jésus, mais toujours de Moïse, qui est bien inférieur au Seigneur, et je montre, comme l’argument le prouvera, que Moïse est bien supérieur a tes sages poètes et philosophes. LIVRE I

Cependant, même malgré lui, Celse en est venu à témoigner que le monde est plus récent et qu’il n’a pas encore dix mille ans, quand il dit : “Les Grecs tiennent ces événements pour antiques, car de plus anciens, ils n’en ont, du fait des déluges et des embrasements, ni observé, ni conservé de souvenirs”. Libre à Celse d’avoir, pour lui enseigner le mythe des embrasements et des inondations, les Egyptiens, gens, à son dire, d’une haute sagesse ! Sagesse dont les vestiges sont des animaux sans raison qu’ils adorent et des arguments qui prouvent que le culte ainsi rendu à la divinité est raisonnable et relève du secret et des mystères ! Ainsi quand les Egyptiens, pour vanter leur doctrine sur les animaux, apportent des raisons théologiques, les voilà devenus des sages. Mais, qu’on admette la loi et le législateur des Juifs, qu’on rapporte tout au Dieu unique, créateur de l’univers, on est moins considéré, aux yeux de Celse et de ses semblables, que si on ravale la divinité non seulement aux vivants raisonnables et mortels, mais encore aux êtres privés de raison, ce qui dépasse le mythe de la métensomatose concernant l’âme qui tombe de la voûte du ciel et descend jusqu’aux animaux sans raison, non seulement les animaux domestiques mais les bêtes les plus féroces. Et si les Egyptiens développent des mythes, c’est, croit-on, philosophie par énigmes et mystères ; mais si Moïse, qui écrit des histoires pour toute sa nation, lui laisse des récits et des lois, ses paroles, pense-t-on, sont fables vides et n’admettent pas d’allégorie ! . Voilà l’opinion de Celse et des Epicuriens. LIVRE I

Voyons comment Celse qui se vante de tout savoir accuse calomnieusement les Juifs, quand il dit : “Ils honorent les anges et s’adonnent à la magie à laquelle les initia Moïse”. Où donc a-t-il trouvé dans les écrits de Moïse que le législateur ait prescrit d’honorer les anges, qu’il le dise, lui qui proclame savoir les doctrines des chrétiens et des Juifs ! De plus, comment la magie peut-elle exister chez ceux qui ont reçu la loi de Moïse et qui lisent : « N’ayez pas de commerce avec les magiciens, car ils vous souilleraient». » ? Il promet ensuite “qu’il enseignera comment les Juifs aussi, bernés par ignorance, sont tombés dans l’erreur”. S’il reconnaissait que l’ignorance des Juifs sur Jésus-Christ venait de leur refus d’écouter les prophéties à son sujet, il aurait vraiment montré comment les Juifs sont tombés dans l’erreur ; mais en fait, parce qu’il n’a même pas voulu se représenter cela, il prend pour une erreur des Juifs ce qui n’est pas une erreur. LIVRE I

Et après avoir promis de “continuer son enseignement sur le judaïsme”, Celse engage le débat sur notre Sauveur devenu notre chef à notre naissance comme chrétiens, et il affirme : “Cet homme, il y a bien peu d’années, inaugura cet enseignement et les chrétiens ont cru qu’il était Fils de Dieu”. Sur son existence même, il y a peu d’années, voici la réponse. Pouvait-il arriver sans l’aide de Dieu qu’en si peu d’années, ayant formé le projet de répandre sa doctrine et son enseignement, Jésus ait pu le réaliser au point de convertir à sa doctrine en beaucoup d’endroits de notre terre un grand nombre de Grecs et de barbares, de savants et d’ignorants, qui préfèrent mourir en luttant pour le christianisme plutôt que de l’abjurer, chose inouïe dans l’histoire d’une autre doctrine ? Quant à moi, sans flatter la doctrine, mais tentant d’examiner à fond l’histoire, je puis dire : même les médecins qui traitent de nombreux corps malades n’atteignent pas sans l’aide de Dieu leur but de rendre la santé au corps. Mais qu’un homme puisse délivrer les âmes du flot de vice, du désordre, de l’injustice et du mépris de la divinité, et donner en preuve d’un tel acte une centaine de convertis, pour prendre un chiffre, n’aura-t-on point raison de dire qu’il n’a pu implanter sans l’aide de Dieu dans une centaine d’hommes une doctrine délivrant de tous ces maux ? Un examen judicieux fera convenir qu’aucune amélioration n’arrive aux hommes sans l’aide de Dieu ; combien plus hardiment le dira-t-on de Jésus en comparant l’ancienne conduite de nombreux convertis à sa doctrine avec celle qu’ils ont menée depuis, en réfléchissant à l’abîme de licence, d’injustice et de convoitise où chacun d’eux se trouvait plongé avant, pour prendre l’expression de Celse et de ses adeptes, “d’être égarés et d’embrasser”, c’est leur mot, “une doctrine nuisible à la vie humaine”. De quelle manière au contraire, depuis qu’ils ont reçu cette doctrine, ils ont acquis plus de raison, de sérieux et de fermeté, si bien que certains d’entre eux, par désir d’une éminente pureté et pour honorer d’un culte plus pur la divinité, refusent même de goûter les plaisirs de l’amour permis par la loi ! LIVRE I

Qui donc, s’il ne parcourt d’un regard superficiel la nature des faits, ne serait frappé d’admiration devant cet homme qui a vaincu et qui a pu dépasser, par sa gloire, toutes les causes d’obscurité et tous les hommes glorieux de tous les temps ? En vérité, les hommes glorieux ont rarement été capables de s’acquérir la gloire à plusieurs titres en même temps. C’est, l’un pour sa sagesse, l’autre pour sa valeur militaire, certains barbares pour leur merveilleux pouvoir d’incantation, d’autres pour d’autres titres toujours en petit nombre, qu’ils ont à la fois suscité l’admiration et acquis la renommée. Mais lui, outre ses autres titres, est admiré à la fois pour sa sagesse, pour ses miracles et pour son autorité. Il n’a pas persuadé, comme un tyran, quelques hommes de se joindre à lui au mépris des lois, ni comme un brigand qui excite contre les gens les hommes de sa bande, ni comme un riche qui pourvoit aux besoins de ceux qui l’approchent, ni comme un de ceux qui sont l’objet d’un blâme unanime ; mais il a agi en maître de la doctrine du Dieu de l’univers, du culte à lui rendre et de toute la loi morale, doctrine capable d’unir familièrement au Dieu suprême quiconque y conforme sa vie. Et Thémistocle et les autres hommes glorieux n’ont rien rencontré pour offusquer leur gloire ; lui au contraire, outre les circonstances indiquées, trop capables de faire sombrer dans l’ignominie le caractère le plus noble, sa mort apparemment infamante de crucifié était suffisante pour anéantir même sa gloire précédemment acquise ; et, dans la pensée de ceux qui n’adhèrent pas à son enseignement, elle devait amener les dupes qu’il aurait faites à se dégager de la duperie et à condamner celui qui les avait dupées. LIVRE I

Puisqu’on vient de toucher à la question des prophètes, ce qui va suivre ne sera pas inutile, non seulement pour les Juifs qui croient que les prophètes ont parlé par l’esprit divin, mais même pour les Grecs de bonne foi. Je leur dirai qu’il est nécessaire d’admettre que les Juifs aussi ont eu des prophètes, puisqu’ils devaient être maintenus rassemblés sous la législation qui leur a été donnée, croire au Créateur selon les traditions qu’ils avaient reçues, et n’avoir, en vertu de la loi, aucun prétexte de passer par apostasie au polythéisme des païens. Et cette nécessité, je l’établirai ainsi. « Les païens », comme il est écrit dans la loi même des Juifs, « écouteront augures et devins », tandis qu’à ce peuple il est dit : « Mais tel n’a pas été pour toi le don du Seigneur ton Dieu » ; et il est ajouté : « Le Seigneur ton Dieu suscitera pour toi parmi tes frères un prophète. » Les païens usaient de divinations par les augures, les présages, les auspices, les ventriloques, les aruspices, les Chaldéens tireurs d’horoscopes, toutes choses interdites aux Juifs ; les Juifs dès lors, s’ils n’avaient eu aucune consolation de connaître le futur, sous la poussée de cet insatiable appétit humain de connaître l’avenir, auraient méprisé leurs propres prophètes comme n’ayant en eux rien de divin, et n’auraient pas reçu de prophètes après Moïse, ni inscrit leurs paroles dans les Écritures, mais se seraient tournés spontanément vers la divination et les oracles des païens ou auraient tenté d’établir chez eux quelque chose de semblable. Aussi n’y a-t-il rien d’étrange à ce que leurs prophètes aient fait des prédictions même sur des événements quotidiens, pour la consolation de ceux qui désiraient de tels oracles : ainsi la prophétie de Samuel même sur des ânesses perdues, et celle qu’on mentionne dans le troisième livre des Rois, sur la maladie du fils du roi. Sinon, comment ceux qui veillaient à l’observation des commandements de la loi auraient-ils condamné le désir d’obtenir un oracle des idoles ? C’est ainsi qu’on trouve Élie faisant à Ochosias cette réprimande : « N’y a-t-il pas de Dieu en Israël que vous alliez consulter en Baal une mouche, dieu d’Akkaron ? » LIVRE I

Je me souviens d’avoir un jour, dans une discussion avec des Juifs dont on vantait la science, en présence de nombreux juges pour dirimer le débat, employé un argument de ce genre : « Dites-moi, mes amis : deux personnes sont venues au genre humain, dont on a relaté des prodiges bien au-dessus de la nature humaine ; je veux dire Moïse votre législateur qui a écrit sa propre histoire, et Jésus notre maître qui n’a laissé aucun livre sur lui mais à qui ses disciples rendent témoignage dans les Evangiles. Quel arbitraire de croire que Moïse dit la vérité, bien que les Egyptiens l’aient accusé d’être un sorcier qui semble avoir fait ses miracles par sorcellerie, mais de ne pas croire Jésus, puisque vous l’accusez ! A tous deux, des peuples rendent témoignage ; les Juifs, à Moïse ; et les chrétiens, loin de nier la mission prophétique de Moïse, partent de là pour prouver la vérité sur Jésus, acceptent comme vraies les histoires miraculeuses que racontent de lui ses disciples. Si donc vous nous demandez la raison de notre foi en Jésus, donnez d’abord celle de votre foi en Moïse, puisqu’il a vécu avant lui, ensuite nous vous donnerons celle de notre foi en lui ; si vous vous dérobez et refusez les preuves au sujet de Moïse, alors pour l’instant nous faisons comme vous et ne fournissons pas de preuves. Avouez néanmoins que vous n’avez pas de preuve à offrir pour Moïse, et écoutez les preuves tirées de la loi et des prophètes en faveur de Jésus. Bien plus, l’étonnant est que les preuves qui valent pour Jésus dans la loi et les prophètes prouvent aussi que Moïse et les prophètes étaient des prophètes de Dieu. » LIVRE I

Or, la loi et les prophètes sont remplis de traits aussi miraculeux que celui qu’on raconte de la colombe et de la voix céleste au baptême de Jésus. Et la preuve, à mon avis, que le Saint-Esprit est alors apparu sous la forme d’une colombe, ce sont les miracles accomplis par Jésus, en dépit des affirmations mensongères de Celse, que Jésus avait appris en Egypte l’art de les faire. Et même je ne tirerai point parti seulement de ceux-là, mais encore, comme il convient, des miracles qu’accomplirent les apôtres de Jésus. Car sans miracles et sans prodiges, ils n’auraient pas poussé ceux qui entendaient de nouvelles doctrines et des enseignements nouveaux à laisser leurs croyances ancestrales et accepter, au péril de leur vie, les enseignements qu’ils donnaient. Et de cet Esprit Saint alors apparu sous la forme d’une colombe, il subsiste encore des traces chez les chrétiens : ils chassent les démons, guérissent maintes maladies, et ont, au gré du Logos, certaines visions de l’avenir. Dussé-je provoquer les railleries de Celse ou du Juif son porte-parole par ce que je vais dire, j’affirmerai néanmoins : beaucoup sont venus au christianisme comme malgré eux, un certain esprit ayant soudain tourné leur coeur de la haine de la doctrine à la résolution de mourir pour elle, en leur présentant une vision ou un songe. J’en ai connu bien des exemples. Si je les mettais par écrit, tout témoin oculaire que j’en aie été, j’offrirais une vaste cible à la risée des incroyants qui penseraient que moi aussi, comme ceux qu’ils suspectent d’avoir forgé de telles fictions, je leur en conte. Mais Dieu est témoin de ma conscience et de son désir de confirmer, non par des récits mensongers, mais dans une évidence riche d’aspects, l’enseignement divin de Jésus. LIVRE I

Il n’est pas étonnant qu’Hérode ait tramé un complot contre le nouveau-né, même si le Juif de Celse refuse de le croire : la méchanceté est aveugle et voudrait, comme si elle était plus forte que lui, vaincre le destin. Dans ce sentiment, Hérode crut bien à la naissance du roi des Juifs, mais il prit une décision en désaccord avec cette croyance, sans avoir vu le dilemme : ou effectivement il était roi et il régnerait, ou il ne régnerait pas et vouloir sa mort était mutile. Il désira donc le mettre à mort, ayant à cause de sa méchanceté des jugements discordants, poussé par le diable aveugle et méchant qui, dès l’origine, conspirait contre le Sauveur, et présageant que Celui-ci était et deviendrait quelqu’un de grand. Cependant un ange, qui, bien que Celse refuse de le croire, veillait à la suite des événements, avertit Joseph de partir en Egypte avec l’enfant et sa mère ; mais Hérode fit tuer tous les enfants de Bethléem et des alentours, dans l’espoir de supprimer le roi des Juifs qui venait de naître. C’est qu’il ne voyait pas la Puissance toujours vigilante à protéger ceux qui méritent d’être gardés avec soin pour le salut de l’humanité. Au premier rang, supérieur à tous en honneur et en excellence, se trouvait Jésus : il serait roi, non pas au sens où l’entendait Hérode, mais où il convenait que Dieu lui conférât la royauté, pour le bienfait de ceux qui seraient sous sa loi : à lui qui allait non point accorder à ses sujets un bienfait ordinaire et pour ainsi dire indifférent, mais les former et les soumettre à des lois qui sont vraiment celles de Dieu. Cela aussi, Jésus le savait : il nia être roi au sens reçu par la multitude, et enseigna l’excellence de sa royauté personnelle en ces mots : « Si ma royauté était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour que je ne fusse pas livré aux Juifs. Mais en fait, elle n’est pas de ce monde, ma royauté ». » Si Celse l’avait vu, il n’aurait pas dit : ” Si c’était de peur que, devenu grand, tu ne règnes à sa place, pourquoi, maintenant que te voilà grandi, ne règnes-tu pas, toi le Fils de Dieu, au lieu de mendier si lâchement, courbant l’échine de crainte, et te consumant par monts et par vaux ?” Mais il n’y a pas de lâcheté à éviter prudemment de s’exposer aux dangers, non par crainte de la mort, mais pour secourir utilement les autres en continuant à vivre, jusqu’à ce que vienne le temps opportun pour que Celui qui avait pris une nature humaine meure d’une mort d’homme, utile aux hommes ; c’est une évidence pour qui a compris que Jésus est mort pour le salut des hommes, comme je l’ai dit précédemment de mon mieux. LIVRE I

Il faut donc examiner ce qu’il dit contre les croyants venus du judaïsme. Il affirme qu’« abandonnant la loi de leurs pères, à cause de la séduction exercée par Jésus, ils ont été bernés de la plus ridicule façon et ont déserté, changeant de nom et de genre de vie ». Il n’a pas remarqué que ceux des Juifs qui croient en Jésus n’ont pas abandonné la loi de leurs pères. Car ils vivent en conformité avec elle, et doivent leur appellation à la pauvreté d’interprétation de la loi. « Ebion » est en effet le nom du pauvre chez les Juifs et « Ebionites », l’appellation que se donnent ceux des Juifs qui ont reçu Jésus comme Christ. De plus, Pierre paraît avoir gardé longtemps les coutumes juives prescrites par la loi de Moïse, comme s’il n’avait pas encore appris de Jésus à s’élever du sens littéral de la loi à son sens spirituel. Nous l’apprenons des Actes des Apôtres. Car, « le lendemain » de l’apparition à Corneille de l’ange de Dieu lui enjoignant d’envoyer « à Joppé » vers Simon surnommé Pierre, « Pierre monta sur la terrasse vers la sixième heure pour prier. Il sentit la faim et voulut manger. Or, pendant qu’on préparait un repas, il lui survint une extase : il voit le ciel ouvert, et un objet, semblable à une grande nappe nouée aux quatre coins, en descendre vers la terre. Et dedans, il y avait tous les quadrupèdes et les reptiles de la terre, et tous les oiseaux du ciel. Une voix lui dit alors : Debout, Pierre, immole et mange ! Mais Pierre répondit : Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. Et de nouveau la voix lui dit : Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé ». Vois donc ici comment on représente que Pierre garde encore les coutumes juives sur la pureté et l’impureté. Et la suite montre qu’il lui fallut une vision pour communiquer les doctrines de la foi à Corneille qui n’était pas israélite selon la chair, et à ses compagnons : car, resté juif, il vivait selon les traditions ancestrales et méprisait ceux qui étaient hors du judaïsme. Et dans l’épître aux Galates, Paul montre que Pierre, toujours par crainte des Juifs, cessa de manger avec les Gentils, et, à la venue de Jacques vers lui, « se tint à l’écart » des Gentils « par peur des circoncis » ; et le reste des Juifs ainsi que Barnabé firent de même. LIVRE II

Il était bien logique que ceux qui étaient envoyés aux circoncis ne s’écartent pas des coutumes juives, quand « ceux que l’on considérait comme des colonnes donnèrent en signe de communion la main » à Paul et à Barnabé, et partirent « eux vers les circoncis », afin que les autres aillent prêcher aux Gentils. Mais, que dis-je, ceux qui prêchent aux circoncis se retiraient des Gentils et se tenaient à l’écart ? Paul lui-même se fit « Juif pour gagner les Juifs ». C’est la raison pour laquelle, comme il est encore écrit dans les Actes des Apôtres, il présenta même une oblation à l’autel, afin de persuader les Juifs qu’il n’était point un apostat de la loi. Si Celse avait su tout cela, il n’aurait pas mis en scène un Juif qui dit aux croyants issus du judaïsme : “Quel malheur vous est donc survenu, mes compatriotes, que vous ayez abandonné la loi de nos pères, et que, séduits par celui avec qui je discutais tout à l’heure, vous ayez été bernés de la plus ridicule façon, et nous ayez désertés pour changer de nom et de genre de vie ?” Puisque j’en suis à parler de Pierre et de ceux qui ont enseigné le christianisme aux circoncis, je ne crois pas hors de propos de citer une déclaration de Jésus, tirée de l’Évangile selon Jean, et de l’expliquer. Voici donc ce qu’il dit d’après l’Écriture : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entendra, il le dira. » La question est de savoir quel était ce « grand nombre de choses » que Jésus avait à dire à ses disciples, mais qu’ils n’étaient pas encore en état de porter. Je réponds : parce que les apôtres étaient des Juifs, instruits de la loi de Moïse prise à la lettre, il avait peut-être à dire quelle était la loi véritable, de quelles « réalités célestes » le culte des Juifs était l’accomplissement « en figure et en image », quels étaient les « biens à venir » dont l’ombre était contenue dans la loi sur les aliments, les boissons, les fêtes, les nouvelles lunes et les sabbats. Voilà « le grand nombre de choses » qu’il avait à leur dire. Mais il voyait l’extrême difficulté d’arracher de l’âme des opinions pour ainsi dire congénitales et développées jusqu’à l’âge mûr, ayant laissé ceux qui les avaient reçues persuadés qu’elles étaient divines et qu’il était impie de les en dépouiller. Il voyait la difficulté de prouver, jusqu’à en persuader les auditeurs, qu’en comparaison de la suréminence de la « connaissance » selon le Christ, c’est-à-dire selon la vérité, elle n’étaient que « déchets » et « dommages ». Il remit donc cette tâche à une occasion plus favorable, après sa passion et sa résurrection. Et en effet, il était vraiment hors de propos d’apporter du secours à ceux qui n’étaient pas encore capables de le recevoir ; cela pouvait détruire l’impression, qu’ils avaient déjà reçue, que Jésus était le Christ, le Fils du Dieu vivant. Considère s’il n’y a pas un sens respectable à entendre ainsi le passage : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant » : par un grand nombre de choses, il entendait la méthode d’explication et d’éclaircissement de la loi dans un sens spirituel ; et les disciples ne pouvaient en quelque sorte les porter, parce qu’ils étaient nés et avaient été jusqu’alors élevés parmi les Juifs. Et, je pense, c’est parce que les pratiques légales étaient une figure, et que la vérité était ce que le Saint-Esprit allait leur enseigner, qu’il a été dit : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière » ; comme s’il disait : vers la vérité intégrale des réalités dont, ne possédant que les figures, vous croyiez adorer Dieu de l’adoration véritable. Conformément à la promesse de Jésus, l’Esprit de vérité vint sur Pierre et lui dit, à propos des quadrupèdes et des reptiles de la terre et des oiseaux du ciel : « Debout, Pierre, immole et mange ! » Il vint à lui, bien qu’il fût encore imbu de superstition, car même à la voix divine il répond : « Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. » Et il lui enseigna la doctrine sur les aliments véritables et spirituels par ces mots : « Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé. » Et après cette vision, l’Esprit de vérité, conduisant Pierre « vers la vérité tout entière », lui dit « le grand nombre de choses » qu’il ne pouvait pas « porter » alors que Jésus lui était encore présent selon la chair. LIVRE II

Mais sur ce point il y aura une autre occasion d’expliquer la manière d’interpréter la loi de Moïse. LIVRE II

Pour l’instant, il s’agit de réfuter l’ignorance de Celse, chez qui le Juif dit à ses compatriotes et aux Israélites qui ont cru en Jésus : « Quel malheur vous est donc survenu que vous ayez abandonné la loi de nos pères… » Mais dans quel sens ont-ils abandonné la loi de leurs pères, ceux qui blâment les gens qui refusent de l’entendre et leur disent : « Dites-moi, vous qui lisez la loi, n’entendez-vous pas la loi ? Il est écrit, en effet, qu’Abraham eut deux fils… » jusqu’à « Il y a là une allégorie » et la suite. Dans quel sens ont-ils abandonné la loi de leurs pères ceux qui ne cessent dans leurs paroles d’en appeler à leurs ancêtres et disent : « La loi ne le dit-elle pas aussi ? C’est bien dans la loi de Moïse qu’il est écrit : Tu ne muselleras pas le boef qui foule le grain. Dieu se met-il en peine de boefs ? N’est-ce pas pour nous qu’il parle évidemment ? Oui, c’est pour nous que cela a été écrit » etc. De plus, avec quelle confusion le Juif de Celse parle de tout cela, alors qu’il aurait pu dire de façon plus plausible : certains d’entre vous ont abandonné ces coutumes, sous prétexte d’interprétations et d’allégories ; d’autres, tout en leur donnant, comme vous le proclamez, une interprétation spirituelle, conservent néanmoins les coutumes de vos pères ; d’autres enfin n’interprètent rien ; et vous prétendez à la fois accepter Jésus comme objet de prophétie, et garder la loi de Moïse selon les coutumes de vos pères, comme si elle contenait dans sa lettre tout le sens spirituel ! Mais comment Celse eut-il pu élucider ce point : il rappelle, par la suite, des sectes athées et complètement étrangères à Jésus, et d’autres qui ont abandonné le Créateur, mais il n’a pas vu qu’il y a aussi des Israélites qui croient en Jésus sans avoir abandonné la loi de leurs pères ! Car il n’avait pas l’intention d’examiner loyalement l’ensemble de la question pour admettre ce qu’il trouverait de valable , mais s’il a écrit tout cela, c’est en ennemi, tout à la tâche de détruire ç mesure qu’il apprenait. LIVRE II

Son Juif continue à l’adresse de ceux de son peuple devenus croyants “C’est hier ou avant-hier, quand nous avons puni celui qui vous menait comme un troupeau, que vous avez déserté la loi de vos pères”. Mais il ne sait rien de précis du sujet qu’il traite, je l’ai montré. Dans la suite, il me semble avoir plus de force en disant “Comment, débutant par nos textes sacrés, pouvez-vous, en progressant, les mépriser, n’ayant d’autre origine à alléguer pour votre doctrine que notre loi ?” Il est vrai que l’initiation chrétienne se fait d’abord par les textes sacrés de Moïse et par les écrits des prophètes. Et après l’initiation, dans leur explication et leur élucidation, se fait le progrès pour les initiés, qui cherchent à connaître le mystère « selon la révélation, enveloppe de silence aux siècles éternels, mais aujourd’hui manifeste par les paroles prophétiques et la manifestation de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ ». Ce n’est pas, comme vous dites, « qu’en progressant on méprise » ce qui est écrit dans la loi on l’entoure au contraire d’un plus grand honneur en montrant quelle profondeur de doctrines sages et mystérieuses renferment ces textes que les Juifs n’ont pas scrutés profondément, dans leur lecture trop superficielle et trop attachée aux fables. LIVRE II

Mais qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que la loi soit l’origine de notre doctrine, c’est-à-dire de l’Évangile. N’est-ce pas ce que notre Sauveur lui-même dit à ceux qui refusent de croire en lui « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car c’est de moi qu’il a écrit. Mais si vous ne croyez pas ses écrits, comment croirez-vous mes paroles » De plus, un des évangélistes, Marc, affirme « Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, selon ce qui est écrit dans le prophète Isaïe ” Voici que j’envoie mon messager en avant de toi pour frayer ta route devant toi ” , et il montre que le commencement de l’Évangile se rattache aux écritures juives. Pourquoi donc cette parole du Juif de Celse contre nous : ” Si quelqu’un vous a prédit que le Fils de Dieu viendrait en effet vers les hommes, c’était notre prophète et le prophète de notre Dieu ? ” Et quelle charge constitue pour le christianisme la qualité juive de Jean qui a baptisé Jésus ? Car il ne s’en suit pas, du fait qu’il était juif, que tout croyant, qu’il vienne des Gentils ou des Juifs, doive garder la loi juive au sens littéral. LIVRE II

Après cela, en dépit de la redite de Celse sur Jésus qui répète alors une seconde fois : ” Il a subi chez les Juifs le châtiment de ses fautes”, je ne recommencerai pas à le défendre, me contentant de qui a été dit. Ensuite son Juif déprécie, comme vieilleries, “renseignement sur la résurrection des morts et le jugement de Dieu, la récompense pour les justes et le feu pour les injustes,” et il croit détruire le christianisme en déclarant qu’en ces matières les chrétiens n’enseignent rien de neuf. Il faut lui répondre : notre Jésus, voyant que la conduite des Juifs n’était en rien digne des enseignements prophétiques, enseigna, par une parabole, que « le Règne de Dieu leur serait enlevé et serait donné » à ceux qui viendraient de la gentilité. Et c’est pourquoi on peut vraiment regarder toutes les doctrines des Juifs actuels comme des fables et des futilités – car ils n’ont pas la lumière de l’intelligence des Écritures -, et les doctrines des chrétiens comme la vérité, aptes qu’elles sont à élever et à exalter l’âme et l’esprit de l’homme, et à persuader qu’ils ont une « cité » non point en bas en quelque sorte comme les Juifs de la terre, mais « dans le ciel ». Cela est manifeste chez ceux qui perçoivent la sublimité des pensées de la loi et des prophètes, et qui sont capables de la faire voir aux autres. Même si “Jésus a observé tous les usages en vigueur chez les Juifs, y compris les pratiques sacrificielles,” en résulte-t-il qu’il ne faut pas croire en lui comme au Fils de Dieu ? Jésus est Fils du Dieu qui a donné la loi et les prophètes ; et cette loi, nous qui sommes de son Église, nous ne la transgressons pas, mais nous avons fui les fables des Juifs et nous retirons sagesse et instruction de la contemplation mystique de la loi et des prophètes. En effet, les prophètes ne restreignent pas le sens de leurs paroles au récit dans sa teneur obvie et à la loi dans son texte littéral ; mais tantôt ils déclarent, sur le point de raconter des histoires : « Je vais ouvrir la bouche en paraboles, je vais évoquer les mystères de l’origine», tantôt ils disent dans leurs prières, à propos de la loi, comme si elle n’était pas claire mais demandait le secours de Dieu pour être comprise : « Ouvre mes yeux, et je comprendrai les merveilles de ta loi. » LIVRE II

Mais qu’on nous montre où se trouve même l’apparence d’un mot de Jésus dit par arrogance ! Arrogant celui qui dit : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coer, et vous trouverez soulagement pour vos âmes »? Arrogant, celui qui, au cours d’un repas, « quitte son manteau » en présence de ses disciples, ceint « un linge », verse « l’eau dans un bassin », lave « les pieds de chacun », et inflige un blâme à celui qui refuse de les présenter : « Si je ne te lave pas, tu n’as plus de part avec moi » ? Arrogant, celui qui affirme : « Et moi, j’ai été au milieu de vous, non comme celui qui est à table, mais comme celui qui sert »? Qu’on montre de même quels mensonges il a dit, qu’on présente ses grands et ses petits mensonges pour établir que Jésus a dit de grands mensonges ! Il y a encore une autre manière de réfuter Celse : c’est que, comme un mensonge n’est pas plus mensonger qu’un mensonge, ainsi n’est-il pas davantage plus grand ; tout comme une vérité n’est pas plus vraie qu’une vérité ou une plus grande vérité. Et que le Juif de Celse rapporte surtout quelles sont les impiétés de Jésus ! Est-ce impiété de renoncer, dans leur acception littérale, à la circoncision, aux sabbats, aux fêtes, aux nouvelles lunes, aux aliments purs ou impurs, et de tourner l’esprit vers une loi digne de Dieu, véritable, spirituelle, quand celui qui est en ambassade pour le Christ a su « se faire Juif pour les Juifs afin de gagner les Juifs », « et comme un sujet de la loi pour les sujets de la loi afin de gagner les sujets de la loi ». LIVRE II

Après cela, le Juif nous dit encore : ” Nous reprochez-vous donc, gens d’une crédulité extrême, de ne pas le considérer comme Dieu, et de ne pas convenir avec vous qu’il ait enduré ces souffrances pour le bien de l’humanité, afin que nous aussi nous puissions mépriser les supplices ?” Voici notre réponse. Nous reprochons aux Juifs, nourris de la loi et des prophètes qui annoncent d’avance le Christ, de ne pas réfuter les preuves que nous leur donnons qu’il est vraiment le Christ, bien qu’ils allèguent cette réfutation pour justifier leur incrédulité, et, malgré l’absence de réfutation, de ne pas croire en celui qui avait été prédit. Mais Jésus a prouvé de manière éclatante, en ceux qui ont été ses disciples même après le temps de son incarnation, qu’il avait enduré ces souffrances pour le bien de l’humanité. Le but de son premier avènement ne fut pas de juger les actions des hommes avant de leur avoir donné l’enseignement et l’exemple du devoir, ni de punir les méchants et sauver les bons, mais de répandre miraculeusement sa doctrine avec une puissance divine à travers tout le genre humain, comme l’avaient aussi montré les prophètes. Nous leur reprochons encore d’avoir refusé de croire à la manifestation de la puissance dont il disposait, mais d’avoir dit que c’était par Beelzébul prince des démons qu’il chassait les démons des âmes des hommes. Nous leur reprochons de calomnier même son amour pour les hommes et, alors qu’il ne dédaigna ni une ville, ni même un village de la Judée, pour annoncer partout le règne de Dieu, de l’accuser calomnieusement d’avoir été un vagabond menant une vie errante et inquiète dans un corps sans noblesse. Ce n’est pas sans noblesse qu’il endura tant de fatigues pour l’utilité de ceux qui, en tout lieu, étaient capables de comprendre. LIVRE II

Et comme c’est un Juif qui tient ces propos chez Celse, on pourrait lui dire et toi donc, mon brave, pourquoi enfin cette différence tu croîs divines les oevres que d’après tes Écritures Dieu accomplit par Moïse, et tu tâches de les justifier contre ceux qui les calomnient comme des effets de la sorcellerie, analogues à ceux qu’accomplissent les sages d’Egypte ; tandis que celles de Jésus dont tu reconnais l’existence, suivant l’exemple des Egyptiens qui te critiquent, tu les accuses de n’être pas divines ? Si en effet le résultat final, la nation entière constituée par les prodiges de Moïse, prouve évidemment que c’était Dieu l’auteur de ces miracles au temps de Moïse, comment cet argument ne sera-t-il pas plus démonstratif pour le cas de Jésus, auteur d’une plus grande oevre que celle de Moïse ? Car Moïse a pris ceux de la nation formée de la postérité d’Abraham qui avaient gardé le rite traditionnel de la circoncision, observateurs décidés des usages d’Abraham, et il les conduisit hors d’Egypte en leur imposant les lois que tu croîs divines. Jésus, avec une autre hardiesse, substitua au régime antérieur, aux habitudes ancestrales, aux manières de vivre d’après les lois établies, le régime de l’Évangile. Et, tout comme les miracles que Moïse fit d’après les Écritures étaient nécessaires pour lui obtenir l’audience non seulement de l’assemblée des Anciens, mais encore du peuple, pourquoi Jésus lui aussi, pour gagner la foi d’un peuple qui avait appris à demander des signes et des prodiges, n’aurait-il pas eu besoin de miracles capables, par leur grandeur et leur caractère divin supérieurs si on les compare à ceux de Moïse, de les détourner des fables juives et de leurs traditions humaines, et de leur faire accepter que l’auteur de cette doctrine et de ces prodiges était plus grand que les prophètes ? Comment donc n’était-il pas plus grand que les prophètes, lui que les prophètes proclament Christ et Sauveur du genre humain ? Bien plus, toutes les attaques du Juif de Celse contre ceux qui croient en Jésus peuvent se retourner en accusation contre Moïse , en sorte qu’il n’y a pas ou presque pas de différence à parler de la sorcellerie de Jésus et de celle de Moïse, tous deux pouvant, à s’en tenir a l’expression du Juif de Celse, être l’objet des mêmes critiques. Par exemple le Juif de Celse dit a propos du Christ « O lumière et vérité ! De sa propre voix, il annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers ». Mais a propos de Moïse, celui qui ne croît pas à ses miracles, qu’il soit d’Egypte ou de n’importe ou, pourrait dire au Juif « O lumière et vérité ! De sa propre voix, Moïse annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers » Car il est écrit dans votre loi : « Que surgisse en toi un prophète ou un faiseur de songes qui te propose un signe ou un prodige, et qu’ensuite ce signe ou ce prodige annoncé arrive, s’il te dit alors « Allons suivre d’autres dieux que vous ne connaissez pas et servons les », vous n’écouterez pas les paroles de ce prophète ni les songes de ce songeur » etc… L’un, dans sa critique des paroles de Jésus, dit encore « Et il nomme un certain Satan, habile à contrefaire ces prodiges » L’autre, dans l’application de ce trait à Moïse, dira « Et il nomme un prophète faiseur de songes habile à contrefaire ces prodiges ». Et de même que le Juif de Celse dit de Jésus : « Il ne nie pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » , ainsi, qui ne croît pas aux miracles de Moïse lui dira la même chose en citant la phrase précédente « Il ne nie même pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » Et ainsi fera-t-il pour cette parole « Sous la contrainte de la vérité, Moïse a en même temps démasqué la conduite des autres et confondu la sienne ». Et quand le Juif déclare « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la divinité de l’un et a la sorcellerie des autres ? » on pourrait lui répondre à cause des paroles de Moïse déjà citées « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la qualité de prophète et serviteur de Dieu de l’un et a la sorcellerie des autres ? » Mais insistant davantage, Celse ajoute aux comparaisons que j’ai citées « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à leur méchanceté plutôt qu’à la sienne sur son propre témoignage ? » On ajoutera à ce qui était dit « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à la méchanceté des gens auxquels Moïse défend de croire malgré leur étalage de signes et de prodiges, et non plutôt à la méchanceté de Moïse, quand il attaque les autres pour leurs signes et leurs prodiges ? » Il multiplie les paroles dans le même sens pour avoir l’air d’amplifier sa brève argumentation : « Elles sont en fait, et lui-même en convint, des signes distinctifs non d’une nature divine, mais de gens trompeurs et fort méchants. » Qui donc désigne ce « lui-même » ? Toi, Juif, tu dis que c’est Jésus ; mais celui qui t’accuse comme sujet aux mêmes critiques rapportera ce « lui-même » à Moïse. LIVRE II

Tout cela, le Juif de Celse le conclut par ces mots : Toutes nos objections sont tirées de vos écrits, nous n’avons que faire d’autres témoins : vous tombez vous-mêmes dans vos pièges. Mais j’ai prouvé que c’est en déformant les textes de nos Évangiles que le Juif déclare tant de sornettes dans ses propos contre Jésus et contre nous. A mon sens, il n’a pas montré comment nous tombons dans nos pièges, il ne fait que l’imaginer. Et comme son Juif ajoute : O Très-Haut ou Céleste, quel dieu se présentant aux hommes les trouve-t-il complètement incrédules ? il faut lui répondre : il est écrit que, même au temps de la loi de Moïse, Dieu s’est présenté aux Hébreux dans le plus grand éclat, non seulement dans les signes et prodiges en Egypte, ensuite dans le passage de la Mer Rouge, la colonne de feu et la nuée lumineuse, mais encore dans la proclamation du décalogue à tout le peuple : et il trouva les témoins incrédules. Car s’ils avaient cru à celui qu’ils avaient vu et entendu, ils n’auraient pas élevé le veau d’or, ni « échangé leur gloire pour l’image d’un mangeur d’herbes », et ne se seraient pas dit mutuellement en parlant de ce veau : « Voici tes dieux, Israël, qui t’ont fait monter de la terre d’Égypte ». Et vois si la caractéristique de ce peuple ne fut pas, autrefois, d’avoir été incrédule aux prodiges éclatants et aux multiples manifestations de Dieu pendant toute la période du désert, comme il est écrit dans la loi des Juifs, puis, au temps de la venue miraculeuse de Jésus, de ne pas s’être laissé convaincre par ses paroles dites avec autorité et ses actions miraculeuses faites à la vue de tout le peuple ? LIVRE II

De plus, je pourrais dire à ceux qui croient qu’en ces matières le Juif de Celse fait à Jésus de justes griefs : il y a dans le Lévitique et le Deutéronome un grand nombre d’imprécations ; dans la mesure où le Juif les défendra en avocat de l’Écriture, dans cette même mesure ou mieux encore, nous défendrons ces prétendues invectives et menaces de Jésus. Bien plus, de la loi de Moïse elle-même nous pourrons présenter une meilleure défense que celle du Juif, pour avoir appris de Jésus à comprendre plus intelligemment que lui les textes de la loi. En outre, si le Juif a vu le sens des discours prophétiques, il pourra montrer que Dieu n’use pas à la légère de menaces et d’invectives, quand il dit : « Malheur, Je vous prédis », et comment Dieu a pu employer pour la conversion des hommes ces expressions, qu’au jugement de Celse n’imaginerait même pas un homme de bon sens. Mais les chrétiens aussi, sachant que le même Dieu parle par les prophètes et par le Seigneur, prouveront le caractère raisonnable de ce que Celse juge des menaces et nomme des invectives. On fera sur la question une courte réplique à Celse qui se vante d’être philosophe et de savoir nos doctrines : Comment, mon brave, quand Hermès dans Homère dit à Ulysse : « Pourquoi donc, malheureux, t’en vas-tu seul le long de ces coteaux ? » tu supportes qu’on le justifie en disant qu’Hermès chez Homère interpelle Ulysse de la sorte pour le ramener au devoir ? car les paroles flatteuses et caressantes sont le fait des Sirènes, près de qui s’élève « tout autour un tas d’ossements », elles qui disent : « Viens ici, viens à nous, Ulysse tant vanté, l’honneur de l’Achaïe. » ? Mais lorsque mes prophètes et Jésus même, pour convertir les auditeurs, disent : « Malheur à vous ! » et ce que tu prends pour des invectives, ils ne s’adaptent point à la capacité des auditeurs par ces expressions, et ne leur appliquent pas cette manière de parler comme un remède de Péon ? A moins peut-être que tu ne veuilles que Dieu, ou Celui qui participe à la nature divine, conversant avec les hommes, n’ait en vue que les intérêts de sa nature et le respect qu’on lui doit, sans plus considérer ce qu’il convient de promettre aux hommes gouvernés et conduits par son Logos et de proposer à chacun d’une manière adaptée à son caractère fondamental ? De plus, comment n’est-elle pas ridicule cette impuissance à persuader qu’on attribue à Jésus ? Car elle s’applique aussi, non seulement au Juif qui a beaucoup d’exemples de ce genre dans les prophéties, mais encore aux Grecs : parmi eux, chacun de ceux que leur sagesse a rendus célèbres auraient été impuissants à persuader les conspirateurs, les juges, les accusateurs de quitter la voie du vice pour suivre, par la philosophie, celle de la vertu. LIVRE II

Aussi ne cesserons-nous pas de croire en Dieu selon les règles données par Jésus et de chercher la conversion de ceux qui sont aveugles au point de vue religieux. Les aveugles véritables peuvent nous blâmer d’être aveugles, et ceux, Juifs et Grecs, qui séduisent leurs adeptes, nous reprocher à nous aussi de séduire les hommes. Belle séduction, en vérité, que de conduire de la licence à la tempérance, ou du moins au progrès vers la tempérance ; de l’injustice à la justice ou au progrès vers la justice, de la folie à la sagesse, ou sur le chemin de la sagesse ; de la timidité, du manque de caractère, de la lâcheté, au courage et à la persévérance exercée principalement dans les luttes pour garder la piété envers Dieu créateur de l’univers ! Jésus-Christ est donc venu, après avoir été prédit non par un seul prophète, mais par tous. Et c’est une nouvelle preuve de l’ignorance de Celse que de faire dire au personnage du Juif qu’un seul prophète a prédit le Christ. Le Juif mis en scène par Celse, et qui prétend parler au nom de sa propre loi, achève ici son argumentation, sans rien dire d’autre qui mérite d’être mentionné. Je terminerai donc, moi aussi, le second livre que j’ai composé contre son traité. Avec l’aide de Dieu, et par la puissance du Christ habitant dans notre âme, je m’appliquerai à répondre, dans un troisième livre, à ce que Celse a écrit dans la suite. LIVRE II

D’ailleurs des miracles s’opéraient partout, ou du moins en beaucoup d’endroits, et Celse lui-même mentionne ensuite Asclépios qui accordait des guérisons et des prédictions de l’avenir à toutes les villes à lui consacrées comme Trikkè, Épidaure, Cos, Pergame, Aristéas de Proconnèse, le héros de Clazomène, et Cléomède d’Astypalée.” Et chez les seuls Juifs, affirmant leur consécration au Dieu de l’univers, il n’y aurait eu aucun signe ou prodige pour aider et affermir leur foi au Créateur de l’univers et leur espérance d’une autre vie meilleure ? Mais comment eût-ce été possible ? Ils auraient aussitôt passé au culte des démons diseurs d’oracles et guérisseurs et auraient abandonné le Dieu au secours duquel théoriquement on avait foi, mais qui ne leur eût pas donné la moindre manifestation de lui-même. Et puisqu’il n’en est rien, qu’au contraire ils ont enduré des maux sans nombre plutôt que de désavouer le judaïsme et sa loi, et souffert en Syrie, en Perse, sous Antiochus, comment n’est-ce pas la démonstration plausible pour ceux qui refusent de croire aux récits de miracles et aux prophéties, qu’il n’y a point là de fictions, mais au contraire qu’un esprit divin résidait dans les âmes pures des prophètes qui ont accepté toutes les peines pour la défense de la vertu, et les incitait à prédire certaines choses pour leurs contemporains, d’autres pour la postérité, mais spécialement la venue future d’un Sauveur au genre humain ? LIVRE III

Et non moins fausse que l’assertion : Les Hébreux, qui étaient des Égyptiens, ont dû leur origine à une révolte, est la suivante : D’autres, qui étaient des Juifs, se sont révoltés, au temps de Jésus, contre l’État juif, et mis à la suite de Jésus. Celse et ses adeptes seraient bien incapables de montrer de la part des chrétiens le moindre acte de révolte. Or, si la révolte avait donné naissance à la société des chrétiens, comme ils tirent leur origine des Juifs, à qui il était permis de prendre les armes pour défendre leurs biens et de mettre à mort leurs ennemis, le Législateur des chrétiens n’eût pas fait une interdiction absolue de l’homicide. S’il enseigna que jamais ne peut être juste la violence de ses disciples contre un homme, fut-il le plus injuste, c’est qu’il jugeait contraire à l’inspiration divine de sa législation d’autoriser quelque homicide que ce fût. Et si les chrétiens avaient dû leur origine à une révolte, ils n’auraient pas admis des lois si pacifiques qu’elles les amènent parfois à être mis à mort « comme des brebis », et les rend incapables de jamais se venger de leurs persécuteurs, puisque, instruits à ne pas se venger de leurs ennemis, ils ont gardé la loi de douceur et de charité. Aussi, ce qu’ils n’auraient pas accompli s’ils avaient eu l’autorisation de combattre, même s’ils avaient été tout-puissants, ils l’ont reçu de Dieu qui a toujours combattu pour eux et, aux temps voulus, a contenu les adversaires des chrétiens dressés contre eux, acharnés à les détruire. LIVRE III

Comme nous enseignons : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, et n’habitera pas dans un corps tributaire du péché », nous disons aussi : « Quiconque a les mains pures » et, pour cette raison, élève vers Dieu « des mains innocentes », et parce qu’offrant des sacrifices sublimes et célestes, peut dire : « L’élévation de mes mains est un sacrifice du soir » : qu’il vienne à nous ! Quiconque a la langue avisée, parce qu’il médite « jour et nuit » la loi du Seigneur, et que « ses facultés ont été formées par la pratique au discernement du bien et du mal », qu’il ne craigne pas d’en venir aux solides nourritures spirituelles qui conviennent aux athlètes de la piété et de toutes les vertus. Et comme « la grâce de Dieu est avec tous ceux qui aiment d’un amour incorruptible » le Maître qui enseigne l’immortalité, quiconque a les mains pures, non seulement de toute souillure, mais encore des fautes regardées comme plus légères, qu’il se fasse hardiment initier aux mystères de la religion de Jésus, qui ne sont raisonnablement transmis qu’aux saints et aux purs. Le myste de Celse peut dire : Que celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal vienne ; mais celui qui, selon Jésus, conduit les initiés à Dieu, dira à ceux dont l’âme est purifiée : Celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal depuis longtemps, et surtout depuis qu’il est venu se faire guérir par le Logos, que celui-là entende aussi ce que Jésus a découvert en particulier à ses véritables disciples. Ainsi donc, dans le contraste qu’il établit entre l’initiation des Grecs et celle que donnent les maîtres de la doctrine de Jésus, Celse n’a pas vu la différence entre l’appel des méchants à la guérison de leurs âmes et l’appel des hommes déjà très purs à de plus profonds mystères. LIVRE III

Il accuse encore le maître de chercher les sots. On pourrait lui répondre : qu’appelles-tu sots ? A strictement parler, tout méchant est un sot. Si donc tu appelles sots les méchants, est-ce que toi, en gagnant des hommes à la philosophie, tu cherches à gagner des méchants ou des bons ? Mais ce ne peut être des bons, ils sont déjà devenus philosophes ; ce sont donc des méchants ; mais s’ils sont méchants, ils sont sots. Et tu cherches à en gagner beaucoup à la philosophie : donc, toi aussi, tu cherches les sots. Pour moi, même si je cherche ceux que tu nommes des sots, j’agis comme un médecin généreux qui chercherait des malades pour leur administrer des remèdes et les fortifier. Mais si tu appelles sots les gens à l’esprit superficiel et entre tous extravagants, je te répondrai que même ceux-là je m’efforce de les rendre meilleurs, autant qu’il dépend de moi, sans vouloir pourtant constituer avec eux l’assemblée des chrétiens. Je cherche plutôt les esprits vifs et pénétrants parce qu’ils sont capables de suivre l’élucidation des énigmes et des significations cachées de la loi, des prophètes et des évangiles, que tu as méprisés comme s’ils ne contenaient rien de valable, faute d’avoir examiné le sens qu’ils renferment et essayé de pénétrer l’intention des écrivains. LIVRE III

J’en viens à un quatrième livre contre les objections qui suivent, après avoir prié Dieu par le Christ. Puissent m’être données de ces paroles dont il est écrit dans Jérémie, quand le Seigneur parlait au prophète : « Voici que j’ai mis dans ta bouche mes paroles comme un feu, voici que je t’ai établi en ce jour sur les nations et les royaumes, pour déraciner et pour détruire, pour perdre et pour abattre, pour bâtir et pour planter. » J’ai besoin désormais de paroles capables de déraciner les idées contraires à la vérité de toute âme trompée par le traité de Celse ou par des pensées semblables aux siennes. J’ai aussi besoin d’idées qui renversent les édifices de toute opinion fausse et les prétentions de l’édifice de Celse dans son traité, pareilles à la construction de ceux qui disent : « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel. » J’ai encore besoin d’une sagesse qui abatte toutes les puissances altières qui s’élèvent « contre la connaissance de Dieu », et la puissance altière de la jactance de Celse qui s’élève contre nous. Et puisque je ne dois pas me borner à déraciner et à détruire toutes ces erreurs, mais, à la place de ce qui est déraciné, planter la plantation du champ de Dieu, à la place de ce qui est détruit, construire l’édifice de Dieu et le temple de la gloire de Dieu, voilà autant de raisons pour lesquelles je dois prier le Seigneur, dispensateur des dons mentionnés dans Jérémie, de me donner à moi aussi des paroles efficaces pour bâtir l’édifice du Christ et planter la loi spirituelle et les paroles des prophètes qui s’y rapportent. Il me faut surtout établir, contre les objections actuelles de Celse faisant suite aux précédentes, que l’avènement du Christ a bel et bien été prédit. En effet, il se dresse à la fois contre les Juifs et les chrétiens : les Juifs qui refusent que la venue du Christ soit déjà réalisée mais espèrent qu’elle aura lieu, et les chrétiens qui professent que Jésus est le Christ prédit, et il affirme : Voici la prétention de certains chrétiens et des Juifs : un Dieu ou Fils de Dieu, selon les uns est descendu, selon les autres descendra sur la terre pour en juger les habitants : propos si honteux qu’il n’est pas besoin d’un long discours pour le réfuter. Il semble bien parler avec exactitude quand il dit, non pas certains Juifs, mais tous les Juifs croient que quelqu’un descendra sur la terre, tandis que certains chrétiens seulement disent qu’il est descendu. Il veut indiquer ceux qui établissent par les Écritures juives que la venue du Christ a déjà eu lieu, et il paraît connaître l’existence de sectes qui nient que le Christ Jésus soit la personne prophétisée. Or j’ai déjà établi plus haut de mon mieux que le Christ avait été prophétisé ; aussi ne reviendrai-je pas sur les nombreuses preuves qui pourraient être fournies sur ce point, afin d’éviter les redites. Vois donc que s’il avait voulu, avec une logique au moins apparente, renverser la foi aux prophéties ou à l’avènement futur ou passé du Christ, il devait citer les prophéties mêmes auxquelles, chrétiens ou Juifs, nous avons recours dans nos débats. Ainsi il eût, du moins en apparence, détourné ceux qui sont attirés, à l’en croire, par leur caractère spécieux, de l’adhésion aux prophéties et de la foi, fondée sur elles, en Jésus comme au Christ. LIVRE IV

S’il croit établir qu’ils n’ont jamais compté par le rang et par le nombre, du fait qu’on ne trouve guère d’allusion à leur histoire chez les Grecs, je répondrai : à fixer les yeux sur leur régime initial et les dispositions de leurs lois, on trouvera que ce furent des hommes qui présentaient sur terre une esquisse de la vie céleste. Chez eux, nul autre dieu que le Dieu suprême; nul faiseur d’images qui eût droit de cité. Ni peintre, ni sculpteur n’avaient place dans leur État, la loi bannissant tous les artistes de ce genre pour ôter toute idée de faire des statues, pratique qui attire les simples et détourne les yeux de l’âme loin de Dieu vers la terre. Il y avait donc chez eux cette loi : « N’allez pas transgresser la loi et vous faire une image sculptée, représentant quoi que ce soit : image de mâle ou de femelle, image d’aucune des bêtes de la terre, image d’aucun oiseau qui vole dans le ciel, image d’aucun reptile qui rampe sur la terre, image d’aucun poisson, de rien de ce qui vit dans les eaux au-dessous de la terre. » L’intention de la loi était d’attacher à la réalité de chaque être, en empêchant de modeler en dehors de la vérité des images mensongères sur la vérité du mâle, la réalité de la femelle, la nature des bêtes, le genre des oiseaux, des reptiles, des poussons. Et le motif en était vénérable et sublime : « de peur que, levant les yeux au ciel, et voyant le soleil, la lune, les étoiles, et toute l’armée du ciel, tu ne sois attiré à les adorer et à les servir ». LIVRE IV

Qu’il faille comprendre allégoriquement les jeunes femmes et les jeunes servantes, ce n’est pas nous qui l’enseignons, mais nous l’avons appris des sages qui nous ont précédé. L’un d’eux disait, élevant l’auditeur au sens spirituel : « Dites-moi, vous qui voulez vous soumettre à la loi, n’entendez-vous pas la loi ? Il est écrit, en effet, qu’Abraham eut deux fils, l’un de l’esclave, l’autre de la femme libre. Mais celui de l’esclave est né selon la chair, celui de la femme libre, en vertu de la promesse. Il y a là une allégorie : ces femmes représentent deux alliances, l’une, celle du mont Sina, enfante pour la servitude : c’est Agar. » Et, peu après : « Mais la Jérusalem d’en haut est libre, et elle est notre mère. » Et quiconque voudra prendre l’Épître aux Galates saura de quelle manière comprendre allégoriquement les passages sur les mariages et les unions avec les servantes, la volonté de l’Écriture étant que nous recherchions avec ardeur les actions de ceux qui les ont accomplies, non point dans leur apparence corporelle, mais, comme ont coutume de les nommer les apôtres de Jésus, dans leurs significations spirituelles. LIVRE IV

Entre bien d’autres, je citerai quelques passages pour montrer la calomnie gratuite de Celse quand il dit que les Écritures ne sont pas susceptibles d’allégorie. Voici une déclaration de Paul, l’Apôtre de Jésus : « Il est écrit dans la loi de Moïse : ” Tu ne muselleras pas le boeuf qui foule le grain. ” Dieu se met-il en peine des boeufs, ou n’est-ce point surtout pour nous qu’il parle évidemment ? C’est bien pour nous qu’il a été écrit : celui qui laboure doit labourer dans l’espérance et celui qui foule le grain doit le faire dans l’espérance d’y avoir part. » Et le même écrivain dit ailleurs : « Car il est écrit : ” C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair. ” Ce mystère est de grande portée : je veux dire qu’il s’applique au Christ et à l’Église. » Et encore à un autre endroit : « Mais, nous le savons : nos pères ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer. » Puis, interprétant l’histoire de la manne et de l’eau sortie miraculeusement du rocher, au dire de l’Écriture, il s’exprime en ces termes : « Tous ont mangé le même aliment spirituel, et tous ont bu la même boisson spirituelle ; ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher spirituel, c’était le Christ. » Et Asaph a montré que les histoires de l’Exode et des Nombres sont des mystères et des paraboles, comme il est écrit dans le livre des Psaumes ; car à leur narration il donne cette préface : « Écoutez, ô mon peuple, ma loi : tendez l’oreille aux paroles de ma bouche. J’ouvrirai la bouche en paraboles, j’évoquerai les mystères de l’origine, ce que nous avons entendu et appris, et que nos pères ont raconté. » De plus si la loi de Moïse ne contenait rien que mettent en lumière les significations symboliques, le prophète ne dirait pas à Dieu dans sa prière : « Ote le voile de mes yeux pour que je contemple les merveilles de ta loi. » Mais en réalité il savait bien qu’il y a un « voile » d’ignorance étendu sur le coeur de ceux qui lisent et ne comprennent pas les significations figurées. Ce voile est ôté par faveur divine, quand Dieu exauce celui qui a fait tout ce qui dépend de lui, qui a pris l’habitude d’exercer ses facultés à distinguer le bien et le mal et qui dit continuellement dans sa prière : « Ote le voile de mes yeux pour que je contemple les merveilles de ta loi. » LIVRE IV

Vois donc s’il faut prendre parti pour l’homme qui, avec de pareilles doctrines, accuse les chrétiens, et s’il faut abandonner une doctrine qui explique la diversité par les qualités inhérentes aux corps ou qui leur sont extérieures. Nous savons, nous aussi, qu’il y a « des corps célestes et des corps terrestres » et que, autre est « l’éclat des corps célestes » et autre celui des « terrestres » ; et que, même entre « les corps célestes » il n’est pas identique, car « autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat des étoiles » ; et que, parmi les étoiles, « une étoile diffère d’une étoile en éclat ». Et c’est pourquoi, comme nous attendons la résurrection des morts, nous disons que les qualités inhérentes « aux corps » changent ; certains d’entre eux, semés « dans la corruption, se lèvent dans l’incorruptibilité » ; semés « dans l’ignominie, ils se lèvent dans la gloire » ; semés « dans la faiblesse, ils se lèvent dans la puissance », semés corps psychiques, ils se lèvent spirituels. Que la matière fondamentale est capable de recevoir les qualités que veut le Créateur, nous tous qui avons admis la Providence, nous en sommes assurés : par la volonté de Dieu, quelle que soit la qualité actuelle de telle matière, elle sera dans la suite, disons-le, meilleure et supérieure. De plus, puisqu’il y a des lois établies concernant les changements qui s’effectuent dans les corps depuis le commencement jusqu’à la fin du monde, leur succédera peut-être une loi nouvelle et différente après la destruction du monde que nos Écritures nomment sa consommation. Aussi n’est-il pas étonnant que dès à présent, comme on le dit couramment, d’un cadavre d’homme soit formé un serpent venant de la moelle épinière, du boeuf une abeille, d’un cheval une guêpe, d’un âne un scarabée, et généralement de la plupart, des vers. Celse juge que cela peut fournir la preuve qu’aucun d’eux n’est oeuvre de Dieu, qu’au contraire, les qualités, déterminées pour je ne sais quelles raisons à changer d’un caractère à l’autre, ne sont pas l’oeuvre d’une raison divine qui ferait se succéder les qualités inhérentes à la matière. LIVRE IV

Ensuite, il a ce passage sur les Juifs : ” Voici un premier trait surprenant chez les Juifs : ils vénèrent le ciel et les anges qui s’y trouvent, mais les parties du ciel les plus respectables et les plus puissantes, le soleil, la lune et les autres astres, étoiles et planètes, ils n’en ont cure: comme s’il était admissible que le tout soit dieu et que ses parties ne soient pas divines; ou que l’on rende un culte suprême à des êtres apparaissant, dit-on, je ne sais dans quelles ténèbres, à ceux qu’aveugle une magie suspecte ou qui voient en rêve des fantômes indistincts, tandis que ceux qui prédisent avec tant de clarté et d’éclat pour tout le monde, par qui sont dispensés les pluies, les chaleurs, les nuées, les tonnerres que les Juifs adorent, les éclairs, les fruits et tous les produits de la terre, ceux par qui Dieu se révèle à eux, les hérauts les plus manifestes d’en haut, les véritables messagers célestes, on les tienne pour rien ! ” Celse me semble là être tombé dans la confusion et avoir écrit des choses apprises par ouï-dire, qu’il ne comprenait pas. Car l’examen du judaïsme et sa comparaison avec le christianisme le manifestent clairement : les Juifs observent la loi disant au nom de Dieu : « Tu n’auras pas d’autres dieux que moi. Tu ne te feras pas d’image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans le ciel là-haut, ni à ce qui est sur la terre ici-bas, ou dans les eaux en-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras pas devant elles et tu ne les serviras pas. » Ils n’adorent que le Dieu suprême Créateur du ciel et de tout le reste. Il est clair que ceux qui vivent selon la loi, s’ils adorent celui qui a fait le ciel, n’adorent point en même temps le ciel et Dieu. De plus, aucun observateur de la loi de Moïse n’adore les anges qui sont au ciel. N’adorant pas le soleil, la lune, les étoiles, « le monde du ciel », ils évitent aussi bien d’adorer le ciel et les anges qui s’y trouvent, par obéissance à leur loi : « Quand tu lèveras les yeux vers le ciel, quand tu verras le soleil, la lune, les étoiles et tout le monde du ciel, ne va pas te laisser entraîner à les adorer et à les servir : le Seigneur ton Dieu les a donnés en partage à tous les peuples. » LIVRE V

Bien plus, supposant que les Juifs regardent le ciel comme dieu, il ajoute que c’est absurde et leur reproche d’adorer le ciel mais non le soleil, la lune et les étoiles, et ainsi de se comporter comme s’il était admissible que le tout soit dieu et que ses parties ne soient pas divines ; il semble dire que le ciel est le tout, et le soleil, la lune et les étoiles sont ses parties. Or il est bien clair que ni Juifs ni chrétiens ne disent que le ciel est dieu. Mais accordons qu’il ait raison de dire que les Juifs nomment dieu le ciel, supposons même que le ciel, la lune et les étoiles soient des parties du ciel, – ce qui n’est pas absolument vrai, pas plus que les animaux sur la terre ne sont parties de la terre – : serait-il donc vrai, même aux yeux des Grecs, que si le tout est dieu alors aussi ses parties soient divines ? Sans aucun doute ils disent que le monde en sa totalité est dieu, les Stoïciens, qu’il est le premier, les Platoniciens le second, certains d’entre eux le troisième. Est-ce donc que d’après eux, puisque le monde en sa totalité est dieu, alors aussi ses parties sont divines : si bien que non seulement les hommes mais encore tous les animaux sans raison, comme parties du monde, sont des êtres divins, et en plus d’eux même les plantes ? Et si les montagnes, les fleuves et les mers sont des parties du monde est-ce que, le monde en sa totalité étant dieu, alors aussi les fleuves et les mers sont des dieux ? Mais non, les Grecs ne diraient point cela : ce sont les êtres, démons sans doute, ou dieux selon l’appellation de certains, préposés aux fleuves et aux mers qu’ils appelleraient dieux. Même pour les Grecs qui admettent la Providence, est fausse l’affirmation générale de Celse : si le tout est dieu, nécessairement ses parties sont divines. Il suit de son argument que, si le monde était dieu, toutes les choses qui y sont, étant des parties du monde, seraient divines. A ce compte, les animaux seraient divins : mouches, vers de bois, vers de terre, chaque espèce de serpents, et encore, d’oiseaux et de poissons ; assertion que ne tiendraient pas même ceux qui disent que le monde est dieu. Mais les Juifs, qui vivent selon la loi de Moïse, même s’ils ne savent pas interpréter la signification obscure de la loi dans son sens caché, ne diront jamais que le ciel ou les anges sont des dieux. LIVRE V

Puisque j’ai signalé la confusion qui résulte de ses méprises, tâchons de mettre au clair ce point du mieux possible, et d’établir que Celse a beau considérer comme juive la pratique d’adorer le ciel et les anges qui s’y trouvent, une telle pratique, loin d’être juive, est au contraire une transgression du judaïsme, tout comme celle d’adorer le soleil, la terre, les étoiles et encore les statues. Du moins on trouve en particulier dans Jérémie que le Logos de Dieu, par le prophète, reproche au peuple juif d’adorer ces êtres et de sacrifier « à la reine du ciel » et « à toute l’armée du ciel ». De plus, lorsque les chrétiens dans leurs écrits accusent ceux des Juifs qui ont péché, ils montrent que si Dieu abandonne ce peuple c’est entre autres à cause de ce péché. Car il est écrit dans les Actes des Apôtres à propos des Juifs : « Alors Dieu se détourna d’eux et les livra au culte de l’armée du ciel, ainsi qu’il est écrit au livre des prophètes : M’avez-vous offert victimes et sacrifices pendant quarante ans au désert, maison d’Israël ? Et vous avez porté la tente de Moloch, et l’étoile du dieu Rompha, les figures que vous aviez faites pour les adorer. » Et chez Paul, scrupuleusement élevé dans la pratique des Juifs, et plus tard converti au christianisme par une apparition miraculeuse de Jésus, voici une parole de l’Épître aux Colossiens : « Que personne n’aille vous frustrer, se complaisant dans son humilité et dans son culte des anges : visions d’illuminés qui, tout enflés du sot orgueil de leur intelligence charnelle, ne s’attachent pas à la Tête, d’où le corps tout entier, par le jeu des ligaments et jointures, tire nourriture et cohésion, pour réaliser la croissance voulue par Dieu. » Mais Celse qui n’a ni lu ni appris cela a imaginé, je ne sais pourquoi, que les Juifs ne transgressent pas leur loi en adorant le ciel et les anges qui s’y trouvent. C’est encore la confusion et la vue superficielle du sujet qui lui fait croire que les Juifs furent incités à adorer les anges du ciel par les incantations de la magie et de la sorcellerie qui font apparaître des fantômes aux incantateurs. Il n’a pas remarqué que c’eût été enfreindre la loi qui dit précisément à ceux qui veulent le faire : « Ne suivez pas les ventriloques, ne vous attachez pas aux incantateurs pour être souillés par eux : je suis le Seigneur votre Dieu». » Il lui fallait donc ou bien s’abstenir totalement d’attribuer ces pratiques aux Juifs, s’il continuait à voir en eux des observateurs de la loi et à dire qu’ils vivent selon la loi ; ou bien les leur attribuer en prouvant qu’elles étaient le fait des Juifs transgresseurs de la loi. Bien plus, si c’est déjà transgresser la loi que de rendre un culte à des êtres cachés dans je ne sais quelles ténèbres, parce qu’on est aveuglé par l’effet de la magie et qu’on voit en rêves des fantômes indistincts, et que d’adorer ces êtres qui, dit-on, alors vous apparaissent, de même aussi sacrifier au soleil, à la lune et aux étoiles, c’est commettre la transgression suprême de la loi. Donc le même homme ne pouvait dire que les Juifs se gardent d’adorer le soleil, la lune et les étoiles, mais ne se gardent pas d’adorer le ciel et ses anges. LIVRE V

Pour nous qui n’adorons pas plus les anges que le soleil, la lune et les étoiles, s’il faut justifier notre refus d’adorer ceux que les Grecs nomment des dieux visibles et sensibles, nous dirons : même la loi de Moïse sait que ces êtres ont été donnés par Dieu en partage « à toutes les nations qui sont sous le ciel », mais non plus à ceux qui ont été pris par Dieu pour sa part choisie de préférence à toutes les nations qui sont sur la terre. Du moins il est écrit dans le Deutéronome : « Quand tu lèveras les yeux vers le ciel, quand tu verras le soleil, la lune et les étoiles, et toute l’armée du ciel, ne va pas te laisser entraîner à les adorer et à les servir. Le Seigneur ton Dieu les a donnés en partage à toutes les nations qui sont sous le ciel. Mais vous, le Seigneur Dieu vous a pris et vous a fait sortir du creuset, l’Egypte, pour que vous deveniez le peuple de son héritage, comme vous l’êtes encore aujourd’hui. » Le peuple des Hébreux a donc été appelé par Dieu à être « une race choisie », « un sacerdoce royal », « une nation sainte », « un peuple qu’il s’est acquis » : lui dont il avait été prédit à Abraham par la parole du Seigneur s’adressant à lui : « Lève les yeux au ciel et compte les étoiles si tu peux les compter. Et il lui dit : Ainsi sera ta postérité. » Un peuple qui avait l’espérance de devenir comme les étoiles du ciel n’allait pas adorer celles à qui il allait devenir semblable parce qu’il comprenait et observait la loi de Dieu. En effet, il a été dit aux Juifs : « Le Seigneur votre Dieu vous a multipliés et vous êtes aujourd’hui comme les étoiles du ciel. » Voici encore, dans Daniel, une prophétie sur la résurrection : « En ce temps là, ton peuple sera sauvé, quiconque est inscrit dans le livre. Et beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre s’éveilleront, les uns pour une vie éternelle, les autres pour une réprobation et une honte éternelles. Les sages resplendiront comme la splendeur du firmament, et du fait des justes en grand nombre, comme les étoiles pour toujours et à jamais. » De là vient aussi que Paul traitant de la résurrection dit : « Il y a des corps célestes et des corps terrestres ; mais autre est l’éclat des célestes, autre celui des terrestres. Autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat de la lune, autre l’éclat des étoiles. Car une étoile diffère en éclat d’une étoile. Ainsi en va-t-il de la résurrection des morts. » LIVRE V

Ces remarques non seulement réfutent sa théorie des puissances tutélaires, mais dans une certaine mesure préviennent ce que dit Celse contre nous : Mais que paraisse le second choeur: je leur demanderai d’où ils viennent, quel est l’auteur de leurs lois traditionnelles. Ils ne pourront désigner personne. En fait, c’est de là qu’ils sont venus eux aussi, ils ne peuvent indiquer pour leur maître et chef de choeur une autre origine. Néanmoins, ils se sont séparés des Juifs. EH bien ! nous venons tous, « en ces derniers jours » où notre Jésus nous a visités, « à la splendide montagne du Seigneur », sa Parole, « bien au-dessus » de toute autre parole, et à la maison de Dieu, « qui est l’Église du Dieu vivant, colonne et soutien de la vérité ». Nous la voyons bâtie « sur les sommets des montagnes », les paroles de tous les prophètes qui lui servent de fondation. Cette maison s’élève « bien au-dessus des collines », ces hommes qui paraissent promettre une supériorité en sagesse et en vérité. Et nous, « toutes les nations », nous montons vers elle, nous avançons, nations en foule, nous exhortant mutuellement à l’adoration de Dieu qui, « en ces derniers jours », a resplendi par Jésus-Christ : « Allons et montons à la montagne du Seigneur et à la maison du Dieu de Jacob. Il nous annoncera sa voie, et nous avancerons par elle. » Car « la loi » est sortie des habitants de « Sion », et elle est passée à nous toute spirituelle. De plus, « la parole du Seigneur » est sortie de cette « Jérusalem » pour être partout répandue et pour juger « chacun au milieu des nations » en se réservant ceux qu’elle voit dociles, mais pour condamner « la multitude » indocile. LIVRE V

A qui nous demande d’où nous venons et quel est notre chef nous répondons : nous venons, suivant les conseils de Jésus, briser les épées rationnelles de nos contestations et de nos violences pour en faire des socs de charrue et forger en faucilles les lances auparavant employées à la lutte. Car nous ne tirons plus l’épée contre aucun peuple ni ne nous entraînons à faire la guerre : nous sommes devenus enfants de la paix par Jésus qui est notre chef, au lieu de suivre les traditions qui nous rendaient « étrangers aux alliances »; nous recevons une loi dont nous rendons grâces à celui qui nous a tirés de l’erreur, en disant : « Combien fausses les idoles qu’ont possédées nos pères, et il n’en est pas une parmi elles qui fasse pleuvoir ! » Oui, notre chef de choeur et notre Maître est sorti des Juifs, et il fait paître la terre entière par la parole de son enseignement. J’ai pris d’avance ce passage de Celse, ajouté à beaucoup d’autres, et l’ai réfuté de mon mieux en le joignant aux paroles déjà citées. LIVRE V

Celse dit : Il n’y a nulle injustice à ce que chacun veuille observer les pratiques religieuses de son pays. Il en résulte, d’après lui, que les Scythes ne commettent pas d’injustice en mangeant les hommes suivant leurs traditions. Les Indiens qui mangent leurs pères s’imaginent, c’est l’opinion de Celse, accomplir une action sainte ou du moins ne pas commettre d’injustice. En tout cas, il cite un passage d’Hérodote en faveur du principe qu’il convient que tout homme suive les lois de son pays, et il semble approuver les Indiens qu’on nomme Callaties au temps de Darius, qui mangeaient leurs parents, puisque, à la demande de Darius : à quel prix voudraient-ils abandonner cette loi, « ils poussèrent de grands cris et le prièrent de ne pas prononcer des paroles de mauvais augure. » LIVRE V

Il y a donc, à parler en général, deux lois : l’une, la loi de la nature, dont on peut dire que Dieu est l’auteur ; l’autre, la loi écrite des cités. Il est bon, quand la loi écrite ne contredit pas celle de Dieu, de ne pas troubler les citoyens par des lois étrangères. Mais quand la loi de la nature, c’est-à-dire de Dieu, ordonne le contraire de la loi écrite, vois si la raison n’impose pas de congédier les textes et l’intention des législateurs, pour se donner au Dieu Législateur et choisir une vie conforme à son Logos, dut-on affronter des risques, mille souffrances, la mort et l’infamie. Quand les actions qui plaisent à Dieu sont contraires à celles qui plaisent à certaines lois des cités, et qu’il est impossible de plaire à Dieu et à ceux qui veillent à l’application de ces lois, il serait absurde de mépriser les actions par lesquelles on plairait au Créateur de l’univers et de choisir celles par lesquelles on déplaira à Dieu tout en donnant satisfaction aux lois qui ne sont pas des lois et à ceux qui les aiment. S’il est raisonnable de préférer sur les autres points la loi de la nature, qui est la loi de Dieu, à celle qui est écrite et promulguée par les hommes en contradiction avec la loi de Dieu, combien plus ne le sera-t-il pas quand il s’agit de lois sur le culte à rendre à Dieu ? Aussi n’irons-nous pas comme les Égyptiens habitant les alentours de Méroé, adorer les seuls Zeus et Dionysos comme il leur plaît de faire, ni accorder le moindre honneur aux dieux d’Ethiopie à la manière éthiopienne ; ni comme les Arabes penser qu’Uranie et Dionysos soient les seuls dieux, ni même du tout admettre qu’ils sont des dieux en qui on honore les sexes masculin et féminin, car les Arabes adorent Uranie comme femelle et Dionysos comme mâle ; ni non plus comme tous les Égyptiens regarder Osiris et Isis comme des dieux, ni leur joindre Athéné suivant l’opinion des Saïtes. Et même si les Naucratites autrefois décidèrent d’adorer d’autres dieux, et ont commencé hier ou avant-hier à vénérer Sérapis qui n’avait jamais été dieu, nous n’irons pas pour autant faire un nouveau dieu de celui qui auparavant n’était pas dieu, et n’était pas même connu des hommes. Mais le Fils de Dieu, « Premier-né de toute créature », bien qu’il ait paru s’être fait homme récemment, n’en est pas du tout nouveau pour cela. Les divines Écritures le savent bien antérieur à toutes les créatures : c’est à lui que Dieu, lors de la création de l’homme, adressa la parole : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » LIVRE V

Après avoir ainsi traité des différentes lois, Celse conclut : A mon avis, Pindare a eu raison de dire que la loi règne sur tous. Qu’on me laisse encore insister sur ce point. De quelle loi, mon brave, dis-tu qu’elle règne sur tous ? Si tu entends les lois de chaque état, c’est un mensonge, car tous ne sont pas régis par la même loi ; il aurait alors fallu dire : les lois règnent sur tous, en ce sens que dans chaque nation une loi règne sur tous les citoyens. Mais à prendre la loi au sens strict, c’est bien elle qui, par nature, règne sur tous, en dépit de ceux qui, à la manière des brigands, font bon marché de la loi, la renient pour vivre de pillage et d’injustice. Nous donc, les chrétiens, sachant que la loi qui par nature règne sur tous est identique à la loi de Dieu, nous nous efforcerons de vivre d’après elle, disant adieu aux lois qui ne sont pas des lois. LIVRE V

Voyons aussi les paroles suivantes de Celse, dont très peu concernent les chrétiens et la plupart concernent les Juifs : ” Si donc, en vertu de ce principe, les Juifs gardaient jalousement leur propre loi on ne saurait les blâmer, mais bien plutôt ceux qui ont abandonné leurs traditions pour adopter celles des Juifs. Mais s’ils veulent s’enorgueillir d’une sagesse plus profonde et fuir la société des autres qu’ils estiment moins purs, ils ont déjà la réponse : même leur doctrine sur le ciel ne leur est pas propre, mais, pour omettre tous les autres exemples, c’était aussi depuis longtemps la doctrine des Perses, comme l’indique quelque part Hérodote: « Ils ont coutume de monter sur les plus hauts sommets pour offrir des sacrifices à Zeus, appelant Zeus tout le cercle du ciel. » Or je pense qu’il est indifférent d’appeler Zeus Très-Haut, Zen, Adonaï, Sabaoth, Amon comme chez les Égyptiens, Papaeos comme les Scythes. Et certainement les Juifs ne sont pas plus saints que les autres peuples pour être circoncis : les Égyptiens et les Colchidiens l’ont été avant eux ; ni pour s’abstenir des porcs: ainsi font les Égyptiens qui s’abstiennent en outre des chèvres, des brebis, des b?ufs et des poissons ; ainsi font Pythagore et ses disciples qui s’abstiennent de fèves et de tout être animé vivant. Il n’est pas du tout vraisemblable qu’ils jouissent de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres, ni que des anges soient envoyés du ciel à eux seuls, comme s’ils avaient obtenu en partage une terre de bienheureux: nous voyons assez quel traitement ils ont mérité eux et leur pays. LIVRE V

Qu’il était beau, chez eux, d’être instruit dès le plus jeune âge à s’élever au-dessus de toute la nature sensible, à penser que Dieu ne réside nulle part en elle, et à le chercher au-dessus et au delà des corps ! Qu’il était grand d’être instruit, presque dès la naissance et la formation de la raison, de l’immortalité de l’âme, des tribunaux souterrains, des récompenses méritées par une vie vertueuse ! Ces vérités étaient alors prêchées sous la forme d’histoire à des enfants, parce qu’ils avaient l’intelligence des enfants. Mais bientôt, pour ceux qui cherchaient la doctrine et voulaient y progresser, les histoires de naguère se transfiguraient pour ainsi dire en laissant voir la vérité qu’elles renfermaient. Et je pense qu’ils ont mérité d’être appelés la part de l’héritage de Dieu pour avoir méprisé toute divination comme une vaine fascination des hommes, venant de démons pervers plutôt que d’une nature supérieure, et pour avoir cherché à connaître l’avenir auprès d’âmes qui avaient obtenu par leur extrême pureté l’esprit du Dieu suprême. Faut-il dire à quel point la loi interdisant aux Juifs de maintenir en esclavage plus de six ans un coreligionnaire est conforme à la raison, et cela sans injustice ni pour le maître ni pour l’esclave ? Si donc les Juifs doivent garder jalousement leur propre loi, ce n’est pas en vertu des mêmes principes que les autres peuples. Ils mériteraient le blâme et le reproche d’être insensibles à la supériorité de leurs lois, s’ils croyaient qu’elles ont été écrites de la même manière que les lois des autres peuples. Et, en dépit de Celse, les Juifs ont une sagesse plus profonde non seulement que celle de la foule, mais que celle des hommes qui passent pour philosophes, car les philosophes, après leurs sublimes raisonnements philosophiques s’abaissent jusqu’aux idoles et aux démons, tandis que même le dernier des Juifs attache son regard au seul Dieu suprême. Et ils ont bien raison, pour cela au moins, de se glorifier et d’éviter la société des autres qu’ils jugent souillés et impies. Plût au ciel qu’ils n’aient point péché par leurs transgressions, d’abord en tuant les prophètes, ensuite en conspirant contre Jésus ! Nous aurions en eux un modèle de la cité céleste que Platon a cherché lui-même à décrire ; mais je ne sais s’il aurait pu accomplir tout ce que réalisèrent Moïse et ses successeurs qui ont fait l’éducation d’une « race choisie », « d’une nation sainte » et consacrée à Dieu, par des doctrines exemptes de toute superstition. LIVRE V

Puisque Celse entend assimiler les lois sacrées des Juifs aux lois de certains peuples, qu’on me laisse examiner encore ce point. Il pense que la doctrine sur le ciel n’est pas différente de la doctrine sur Dieu, et il dit que les Perses, comme les Juifs, offrent des sacrifices à Zeus, en montant sur les plus hauts sommets. Il ne voit pas que les Juifs ne reconnaissent qu’un seul Dieu, et de même n’ont qu’une sainte maison de la prière, qu’un autel des holocaustes, qu’un encensoir pour l’encens, qu’un grand-prêtre de Dieu. Les Juifs n’avaient donc rien de commun avec les Perses qui montent sur les plus hauts sommets qui sont en grand nombre, et accomplissent des sacrifices qui n’ont rien de comparable à ceux de la loi mosaïque. D’après celle-ci, les prêtres juifs célébraient un culte « qui était l’image et l’ombre des réalités célestes », mais exposaient en secret la signification de la loi sur les sacrifices et les réalités dont ils étaient les figures. Que les Perses appellent donc Zeus tout le cercle du ciel ; pour nous, nous déclarons que le ciel n’est ni Zeus, ni Dieu, car nous savons qu’il y a aussi des êtres inférieurs à Dieu, élevés au-dessus des cieux et de toute nature sensible. Voilà dans quel sens nous comprenons les paroles : « Louez Dieu, cieux des cieux, et eaux par-dessus les cieux : qu’ils louent le nom du Seigneur ! » LIVRE V

La circoncision des Juifs n’a pas la même raison que la circoncision des Égyptiens ou des Colchidiens. Aussi ne faut-il pas y voir une circoncision identique à la leur. De même que le sacrificateur ne sacrifie pas à la même divinité, même s’il semble offrir des rites sacrificiels semblables, et que l’homme qui prie ne prie pas la même divinité, même si les demandes des prières sont identiques, ainsi il est faux de dire qu’il n’y ait aucune différence entre les circoncisions, puisqu’elles deviennent tout autres par le but, la loi, l’intention de celui qui les pratique. Pour mieux le faire comprendre on peut dire encore : le nom de la justice est le même pour tous les Grecs. Mais la preuve en est faite : autre est la justice d’Épicure, autre celle des Stoïciens qui nient la division tripartite de l’âme, autre celle des Platoniciens qui voient dans la justice un acte de chacune des parties de l’âme. De même, autre est le courage d’Épicure qui supporte des peines pour en éviter un plus grand nombre, autre celui du Stoïcien qui choisit toute vertu pour elle-même, autre celui du Platonicien qui soutient que c’est une vertu de la partie irascible de l’âme et la localise autour de la poitrine. Ainsi, selon les différentes doctrines de ceux qui se font circoncire, la circoncision peut être différente. C’est un sujet dont il n’est pas nécessaire de parler maintenant dans un traité comme celui-ci ; si on aimait voir les motifs qui m’ont amené à cette position, qu’on lise sur ce point mon commentaire sur l’Épître de Paul aux Romains. LIVRE V

Délibérément je m’abstiendrai de revenir aux mots que j’ai déjà cités en enseignant d’où nous venons, quel est notre chef, quelle est sa loi. La prétention de Celse à ne mettre aucune différence entre nous et les Égyptiens qui adorent le bouc, le bélier, le crocodile, le b?uf, l’hippopotame, le cynocéphale, le chat, ne regarde que lui-même et ceux qui sur ce point se rangent à son opinion. Mais par les nombreux arguments qui précèdent, j’ai justifié de mon mieux l’honneur rendu à notre Jésus, et montré que nous avons trouvé un bien supérieur. Et lorsque, seuls, nous affirmons que la vérité pure et sans mélange d’erreur est dans l’enseignement de Jésus-Christ, ce n’est pas nous-mêmes que nous exaltons, c’est notre Maître à qui le Dieu suprême a rendu témoignage par tant de signes, par les discours prophétiques des Juifs, et par l’évidence elle-même. Car il est manifeste qu’il n’a pu accomplir sans l’aide de Dieu de pareilles oeuvres. LIVRE V

Celse ajoute encore :” C’est donc le même Dieu qu’ont les Juifs et ces gens-là, ” évidemment les chrétiens. Et comme s’il tirait une conclusion qu’on ne saurait lui accorder, il dit :” C’est bien ce que reconnaissent ouvertement ceux de la grande Église qui reçoivent pour véridique la tradition courante parmi les Juifs sur la création du monde, par exemple sur les six jours et sur le septième. Ce jour-là,” dit l’Écriture, ” Dieu arrêta ses travaux, se retirant dans la contemplation de lui-même. Celse, ne remarquant pas ou ne comprenant pas ce qui est écrit, traduit se reposa, ce qui n’est pas écrit. Mais la création du monde et le repos sabbatique réservé après elle au peuple de Dieu offrent matière à une doctrine ample, profonde et difficile à expliquer. Il me paraît ensuite gonfler son livre et lui donner quelque importance en ajoutant des traits au hasard, par exemple l’histoire du premier homme que nous disons identique à celui que nommèrent les Juifs; et la généalogie de ses descendants que nous déterminons comme eux. Quant au complot que les frères ont ourdi l’un contre l’autre, je l’ignore. Je connais celui de Caïn contre Abel et celui d’Esaü contre Jacob. Mais il n’y en eut pas d’Abel contre Caïn, ni de Jacob contre Esaü. S’il y en avait eu, Celse aurait raison de dire que nous racontons après les Juifs les mêmes complots que les frères ont ourdis l’un contre l’autre. Accordons encore que nous parlons, eux et nous, de la même descente en Egypte, et du même exode de ce pays, et non pas d’une fuite comme pense Celse. Y a-t-il là de quoi fonder une accusation contre nous ou contre les Juifs ? Quand il pensait nous ridiculiser par l’histoire des Hébreux, il parlait de fuite ; mais quand il s’agissait d’examiner l’histoire des plaies que Dieu infligea à l’Egypte, il a préféré se taire. S’il faut préciser ma réponse à Celse, pour qui nous avons les mêmes opinions que les Juifs sur ces questions, je dirai : nous reconnaissons comme eux que ces livres ont été écrits par inspiration divine, mais nous ne sommes plus d’accord sur l’interprétation de leur contenu. Nous ne vivons pas comme les Juifs, car nous pensons que le sens de la législation dépasse l’interprétation littérale des lois. Et nous disons : « Toutes les fois que Moïse est lu, un voile est étendu sur leur c?ur », car l’intention de la loi de Moïse est cachée à ceux qui ne sont pas engagés avec ardeur sur la voie indiquée par Jésus-Christ. Nous savons que, « quand on se convertit au Seigneur – et le Seigneur c’est l’Esprit -, le voile » tombe ; l’on réfléchit pour ainsi dire comme en un miroir « à visage découvert la gloire du Seigneur » qui est dans les pensées cachées sous la lettre, et l’on participe pour sa propre gloire à ce qu’on appelle la gloire divine. Le mot visage, employé au figuré, est tout simplement ce qu’on pourrait dire entendement, et tel est le visage « selon l’homme intérieur », rempli de lumière et de gloire par la vérité contenue dans ces lois. LIVRE V

Celse poursuit : ” Qu’on n’aille pas imaginer que je l’ignore: certains d’entre eux conviendront qu’ils ont le même Dieu que les Juifs, mais les autres pensent qu’il y a un dieu différent auquel le premier est opposé, et de qui est venu le Fils “. S’il croit que l’existence de plusieurs sectes parmi les chrétiens constitue un grief contre le christianisme, pourquoi ne verrait-on pas un grief analogue contre la philosophie dans le désaccord entre les écoles philosophiques, non pas sur des matières légères sans importance mais sur les questions capitales ? Il faudrait aussi accuser la médecine à cause des écoles qu’elle présente. Admettons que certains d’entre nous nient que notre Dieu soit le même que le Dieu des Juifs : ce n’est pourtant pas une raison d’accuser ceux qui prouvent par les mêmes Écritures qu’il y a un seul et même Dieu pour les Juifs et les Gentils. Paul le dit clairement, lui qui est passé du judaïsme au christianisme : « Je rends grâces à mon Dieu que je sers comme mes ancêtres avec une conscience pure. » Admettons encore qu’il y ait une troisième espèce, ceux qui nomment les uns psychiques, les autres pneumatiques. Je pense qu’il veut parler des disciples de Valentin. Quelle conclusion en tirer contre nous qui appartenons à l’Église, et condamnons ceux qui imaginent des natures sauvées en vertu de leur constitution ou perdues en vertu de leur constitution ? Admettons même que certains se proclament Gnostiques, à la façon dont les Epicuriens se targuent d’être philosophes. Mais ceux qui nient la Providence ne peuvent être véritablement philosophes, ni ceux qui introduisent ces fictions étranges désavouées par les disciples de Jésus être des chrétiens. Admettons enfin que certains acceptent Jésus, et c’est pour cela qu’ils se vantent d’être chrétiens, mais ils veulent encore vivre selon la loi des Juifs comme la foule des Juifs. Ce sont les deux sortes d’Ébionites : ceux qui admettent comme nous que Jésus est né d’une vierge, ceux qui ne le croient pas né de cette manière mais comme le reste des hommes. Quel grief tirer de tout cela contre les membres de l’Église que Celse a nommés ceux de la foule ? Il ajoute : Parmi eux, il y a encore des Sibyllistes, peut-être pour avoir compris de travers des gens qui blâment ceux qui croient au don prophétique de la Sibylle et les ont appelés Sibyllistes. Puis, déversant sur nous une masse de noms, il déclare connaître encore certains Simoniens qui vénèrent Hélène ou Hélénos leur maître et sont appelés Héléniens. Celse ignore que les Simoniens refusent absolument de reconnaître Jésus comme Fils de Dieu : ils affirment que Simon est une puissance de Dieu et racontent les prodiges de cet homme qui, en simulant les prodiges analogues à ceux que Jésus avait simulés, selon lui, avait cru qu’il aurait autant de pouvoir sur les hommes que Jésus parmi la foule. Mais il était impossible à Celse comme à Simon de comprendre la manière dont Jésus a pu ensemencer, en bon « laboureur » de la parole de Dieu, la majeure partie de la Grèce et la majeure partie de la barbarie, et remplir ces pays des paroles qui détournent l’âme de tout mal et la font monter au Créateur de l’univers. Celse connaît encore les Marcelliniens disciples de Marcellina, les Harpocratiens disciples de Salomé, d’autres disciples de Mariamme et d’autres disciples de Marthe. Malgré mon zèle à l’étude, non seulement pour scruter le contenu de notre doctrine dans la variété de ses aspects, mais encore, autant que possible, pour m’enquérir sincèrement des opinions des philosophes, je n’ai jamais rencontré ces gens-là. Celse mentionne encore les Marcionites qui mettent à leur tête Marcion. Ensuite, pour donner l’apparence qu’il en connaît encore d’autres que ceux qu’il a nommés, il généralise à son habitude : Certains ont trouvé comme maître un chef et un démon, d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans d’épaisses ténèbres à perpétrer plus d’impiétés et de souillures que les thyases d’Egypte. En effleurant le sujet, il me paraît bien avoir dit quelque chose de vrai : certains ont trouvé comme chef un démon, et d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans les épaisses ténèbres de l’ignorance. Mais j’ai déjà parlé d’Antinoos qu’il compare à notre Jésus et je n’y reviendrai pas. LIVRE V

5. Ensuite, que soudain comme d’une flamme jaillissante surgit une lumière dans l’âme, le Logos l’a su le premier, au dire du prophète : « Illuminez-vous vous-mêmes de la lumière de la connaissance. » Et Jean, qui a vécu après lui, dit encore : « Ce qui fut fait » était « vie » dans le Logos, « et la vie était la lumière des hommes, lumière véritable, qui éclaire tout homme qui vient dans le monde » véritable et intelligible, et qui le constitue « lumière du monde ». Car « il a fait luire cette lumière dans nos coeurs pour qu’y resplendisse l’Évangile de la gloire de Dieu qui est sur la face du Christ ». C’est pourquoi un prophète très ancien, dans ses prédictions antérieures de plusieurs générations au règne de Cyrus qu’il précède de quatorze générations, a pu dire : « Le Seigneur est mon illumination et mon Sauveur : qui craindrai-je ? » ; « Ta loi est un flambeau sur mes pas, une lumière sur mon sentier » ; « La lumière de ta face est scellée sur nous, Seigneur » ; « Par ta lumière nous voyons la lumière. » C’est à cette lumière que le Logos nous exhorte dans Isaïe : « Illumine-toi, illumine-toi, Jérusalem ; car voici ta lumière, et sur toi s’est levée la gloire du Seigneur. » Et ce même auteur prophétise sur la venue de Jésus qui détournerait du culte des idoles, des statues et des démons : « Une lumière s’est levée pour ceux qui se tenaient dans le pays et l’ombre de la mort » ; et de nouveau : « Le peuple qui se tenait dans les ténèbres a vu une grande lumière. » LIVRE VI

Toujours le suit de près Justice, qui venge la loi divine de ceux qui s’en écartent; et qui veut le bonheur s’attache à elle pour la suivre de près, humble et rangé. » Il n’a pas vu que chez des sages bien antérieurs à Platon il est dit dans une prière : « Seigneur, mon coeur n’est pas devenu hautain, ni mes regards altiers ; je n’aurais point marché dans des chemins sublimes et admirables qui me dépassent, si je ne m’étais humilié. » Ce texte montre bien d’emblée qu’il n’est pas du tout nécessaire que celui qui s’humilie s’abaisse d’une manière inconvenante et déshonorante, se précipite à terre sur les genoux et se prosterne, se revête de haillons et se couvre de cendre. Car, selon le prophète, celui qui s’humilie en marchant dans des chemins sublimes et admirables qui le dépassent, dans des doctrines véritablement sublimes et admirables, s’humilie lui-même « sous la puissante main de Dieu ». LIVRE VI

Si Celse avait lu les Évangiles sans haine ni animosité, mais par amour du vrai, il eût examiné ceci : pourquoi donc prendre pour le comparer au riche le chameau, animal difforme entre tous par nature, et quel sens avait le chas étroit de l’aiguille dans l’affirmation que « la voie est étroite et resserrée qui conduit les hommes à la vie ». Pourquoi d’après la loi, cet animal est-il réputé impur, acceptable en ce qu’il rumine, mais blâmable en ce qu’il est solipède ? Il eût aussi cherché combien de fois le chameau dans les saintes Écritures est pris comme comparaison et avec quoi, pour comprendre le sens de la parole sur les riches. Il n’eût pas omis d’examiner les passages où Jésus proclame la béatitude des pauvres et le malheur des riches, pour voir s’il s’agissait de pauvres et de riches dans l’ordre des choses sensibles, ou si le Logos entendait bénir absolument une certaine pauvreté et blâmer absolument la richesse, car n’importe qui n’aurait pas loué sans discernement les pauvres, dont la plupart ont des moeurs détestables. Mais en voilà assez sur la question. LIVRE VI

Ensuite, comme si le reproche atteignait les chrétiens, quand il accuse ceux qui appellent Dieu maudit le Dieu de Moïse et de sa loi, et s’imagine que ceux qui le disent sont des chrétiens, il ajoute : Peut-il y avoir sottise plus délirante que cette sagesse stupide ? Quelle erreur a donc commise le législateur des Juifs ? D’où vient alors que tu adoptes, grâce, dis-tu, à une allégorie sommaire, sa cosmogonie ou la loi des Juifs et que tu loues bien malgré loi, ô très impie, le Créateur du monde, celui qui a tout promis aux Juifs, annonçant que leur race se multiplierait jusqu’aux extrémités de la terre et ressusciterait d’entre les morts avec la même chair et le même sang, et celui qui inspirait les prophètes; et qu’en même temps tu l’injuries ? Cependant, lorsque les Juifs le pressent, tu reconnais que tu adores le même Dieu; mais quand ton maître Jésus, et Moise, le maître des Juifs, établissent des lois contraires, tu cherches un autre dieu à la place de celui-ci, le Père. LIVRE VI

Veut-on apprendre encore les artifices par lesquels ces sorciers, prétendant posséder certains secrets, ont voulu gagner les hommes à leur enseignement et sans beaucoup de succès ? Qu’on écoute ce qu’ils apprennent à dire une fois passé ce qu’ils nomment « la barrière de la malice », les portes des Archontes éternellement fermées de chaînes : « Roi solitaire, bandeau d’aveuglement, oubli inconscient, je te salue, première puissance, gardée par l’esprit de providence et par la sagesse ; d’auprès de toi je suis envoyé pur, faisant partie déjà de la lumière du Fils et du Père ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Voilà, d’après eux, où commence l’Ogdoade8. Puis, ils apprennent à dire ensuite, en traversant ce qu’on nomme Ialdabaoth : « O toi, premier et septième, né pour dominer avec assurance, Ialdabaoth, raison souveraine de la pure intelligence, chef-d’oeuvre du Fils et du Père, je porte un symbole empreint d’une image de vie ; j’ai ouvert au monde la porte que tu avais fermée pour ton éternité, et retrouvant ma liberté je traverse ton empire ; que la grâce soit avec moi, oui, Père, qu’elle soit avec moi ! » Et ils disent que l’astre brillant est en sympathie avec l’archonte à forme de lion. Ils croient ensuite qu’après avoir traversé Ialdabaoth, et être arrivé à la on doit dire : « 0 toi qui présides aux mystères cachés du Fils et du Père, et qui brilles pendant la nuit, Iao second et premier, maître de la mort, lot de l’innocent, voici que, portant comme symbole la soumission de mon esprit, je m’apprête à traverser ton empire ; car, par une parole vivante, je l’ai emporté sur celui qui vient de toi ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » Immédiatement après, c’est Sabaoth à qui, selon eux, on devra dire : « Archonte du cinquième empire, puissant Sabaoth, premier défenseur de la loi de ta création, que la grâce a libérée par la vertu plus puissante du nombre cinq, laisse-moi passer en voyant intact ce symbole de ton art que je conserve dans l’empreinte d’une image, un corps délivré par le nombre cinq ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! »… A sa suite, c’est Astaphaios auquel ils pensent qu’on doit s’adresser en ces termes ! «Archonte de la troisième porte, Astaphaios, qui veilles sur la source originelle de l’eau, regarde-moi comme un myste, et laisse-moi passer, car j’ai été purifié par l’esprit d’une vierge, toi qui vois l’essence du monde ; que la grâce soit avec moi, Père, qu’elle soit avec moi ! » LIVRE VI

La locution ruisseau de l’église terrestre et de la circoncision provient peut-être de ce que certains disent que l’église terrestre est un ruisseau dérivé d’une église céleste et d’un éon supérieur, et que la circoncision prescrite dans la loi est le symbole de celle qui s’effectue là-haut dans quelque lieu de purification. Le nom de Prunicos est celui que donnent les Valentiniens à une certaine sagesse, dans l’égarement de leur propre sagesse symbolisée d’après eux par l’hémorroïsse depuis douze ans malade ; se méprenant sur le sens et brouillant toutes les opinions des Grecs, des barbares et des sectes, Celse a dit que d’une certaine vierge Prunicos émane une vertu. LIVRE VI

Il proclame ensuite que le récit scripturaire sur l’origine des hommes est une belle naïveté, mais sans citer les textes ni les combattre ; c’est, je pense, qu’il n’avait pas d’arguments capables de réfuter l’affirmation que « l’homme a été créé à l’image de Dieu ». Il ne comprend pas davantage le jardin planté par Dieu, la vie que l’homme y mena d’abord et celle qui suivit par la force des circonstances quand il en fut banni par son péché et fut établi à l’opposé du jardin de délices. Pour affirmer que ce sont là de belles naïvetés, il faudrait d’abord examiner chaque point, en particulier cette parole : « Il plaça les Chérubins et la flamme tournoyante de l’épée pour garder le chemin de l’arbre de vie. » Peut-être, ajoute-t-il, Moïse a-t-il écrit cela sans rien comprendre mais pour composer un poème analogue à ceux qu’en badinant avaient écrits les auteurs de l’ancienne comédie : Proétos donna sa fille à Bellérophon, Pégase était d’Arcadie. Mais ces auteurs les ont composés dans le dessein de faire rire, tandis qu’il est incroyable que Celui qui a laissé pour un peuple entier les Écritures, en voulant persuader tous ceux à qui il donnait sa loi qu’elles venaient de Dieu, ait écrit des extravagances et qu’il n’ait donné aucun sens à l’affirmation : « Il plaça les Chérubins et la flamme tournoyante de l’épée pour garder le chemin de l’arbre de la vie », ni à toute autre de celles qui traitent de l’origine des hommes et furent interprétées philosophiquement par les sages du peuple hébreu. LIVRE VI

Mais, à prendre le terme au sens impropre de maux physiques et extérieurs, on accorde que parfois Dieu en crée un certain nombre qu’il fait servir à la conversion. Et qu’y a-t-il d’absurde dans cette doctrine ? Si l’on entend par maux au sens impropre les peines qu’infligent les pères, les maîtres et les pédagogues à ceux qu’ils éduquent, ou les médecins à ceux qu’ils amputent ou cautérisent pour les guérir, on peut dire que le père fait mal à ses enfants comme les maîtres, les pédagogues ou les médecins, sans accuser le moins du monde ceux qui frappent ou qui amputent. Ainsi, la doctrine n’a-t-elle rien d’absurde quand l’Écriture dit que Dieu applique de pareils traitements pour convertir et guérir ceux qui ont besoin de ces peines, ni quand elle dit que « les maux descendent d’auprès du Seigneur contre les portes de Jérusalem », puisque ces maux consistent dans des peines infligées par les ennemis pour la conversion ; ou qu’il châtie « avec la verge les iniquités » de ceux qui ont transgressé la loi de Dieu, et « leurs péchés avec les fouets » ; ou quand Dieu dit : « Tu as des charbons de feu ; assieds-toi sur eux, ce sera ton secours. » De cette manière aussi nous expliquons : « C’est moi qui fais la paix et qui crée le mal. » Il crée les maux physiques et extérieurs pour purifier et pour élever ceux qui ont refusé l’éducation par une doctrine et un enseignement sains. Voilà pour répondre à sa question : Comment Dieu pouvait-il créer le mal ? LIVRE VI

Exprimé en termes corporels et prêché comme chair, il appelle à lui ceux qui sont chair pour les rendre conformes au Logos qui s’est fait chair, et pour les faire monter ensuite, afin qu’ils le voient tel qu’il était avant qu’il se fît chair ; de telle sorte qu’ils reçoivent ce bienfait, s’élèvent à partir de cette initiation selon la chair et peuvent dire : « Même si nous avons connu autrefois le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus à présent. » Donc «il s’est fait chair », et, fait chair, il a habité parmi nous et non pas loin de nous. Ayant habité et vécu parmi nous, il n’est pas resté sous sa première forme ; il nous a fait monter sur « la haute montagne » spirituelle, il nous a montré sa forme glorieuse et l’éclat de ses vêtements : non seulement celle qui lui est propre, mais encore celle de la loi spirituelle, et c’est Moïse apparu dans la gloire avec Jésus. Il nous a montré également toute la prophétie, qui n’est pas morte après son incarnation, mais qui était transportée au ciel et symbolisée par Élie. Qui a contemplé pareil spectacle peut dire : « Et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. » Elle est donc par trop simpliste la réponse que, d’après Celse, nous ferions à sa question : Comment pensons-nous apprendre à connaître Dieu et trouver le salut près de lui ? Car notre réponse est dans ce qui précède. LIVRE VI

Il en va de même pour l’expression « Dieu est esprit ». Parce que et les Samaritains et les Juifs pratiquaient les préceptes de la loi d’après la lettre et en figures, le Sauveur dit à la Samaritaine : « L’heure vient où ce n’est ni à Jérusalem, ni sur cette montagne qu’on adorera le Père ; Dieu est esprit, et ceux qui adorent, c’est en esprit et en vérité qu’ils doivent adorer. » Il nous a enseigné par là que ce n’est pas charnellement, ni par des victimes charnelles qu’il faut adorer Dieu, mais « en esprit ». En effet, lui-même sera compris comme Esprit dans la mesure où on lui rendra une adoration intelligible et « en esprit ». En outre, ce n’est plus en figures qu’il faut adorer le Père, mais dans la vérité qui est venue par le Christ Jésus, après que la loi eut été donnée par Moïse. C’est « quand on se convertit au Seigneur, et le Seigneur est Esprit, que le voile est enlevé qui était posé sur le coeur lors de la lecture de Moïse. » LIVRE VI

S’il avait été de bonne foi dans son accusation, il aurait dû citer les prophéties dans leur texte : celles dont l’auteur s’est proclamé le Dieu tout-puissant, ou celles où l’on croit entendre le Fils de Dieu ou le Saint-Esprit. Car ainsi il eût au moins tâché d’en réfuter la teneur et de montrer qu’il n’y a aucune inspiration divine dans les discours qui par leur contenu détournent des fautes, blâment l’état présent, annoncent l’avenir. Aussi les contemporains des prophètes ont-ils écrit et gardé leurs prophéties pour que la postérité, en les lisant, les admire comme des paroles de Dieu et que, bénéficiant non seulement de celles qui blâment et qui convertissent, mais encore de celles qui prédisent, et convaincue par les événements que c’était l’Esprit divin qui avait prédit, elle persévère dans la piété conforme au Logos, persuadée par la loi et les prophètes. LIVRE VI

Si Celse avait lu la loi de Moïse, il aurait probablement pensé que l’aphorisme « Tu prêteras à beaucoup de nations, mais tu n’emprunteras point », adressé à celui qui observe la loi, doit être compris comme une promesse faite au juste : il s’enrichirait de la richesse aveugle à un tel point que l’abondance de ses biens lui permettrait de prêter non seulement aux Juifs, ni même à une, deux ou trois des autres nations, mais à un grand nombre. Que de richesses ne devrait pas posséder ainsi le juste en récompense de sa justice selon la loi, pour pouvoir prêter à de nombreuses nations ? La conséquence logique d’une telle interprétation nous ferait aussi croire que jamais le juste n’empruntera, puisqu’il est écrit : « mais tu n’emprunteras point. » La nation serait-elle donc restée si longtemps dans la religion de Moïse si, comme le pense Celse elle avait pris son législateur en flagrant délit de mensonge ? De personne on ne raconte qu’il se soit enrichi au point de prêter à de nombreuses nations. De plus il n’est pas vraisemblable qu’ayant appris à entendre la loi dans le sens que lui donne Celse, et devant le mensonge flagrant des promesses de la loi, ils aient combattu pour la loi. LIVRE VI

Les péchés du peuple relatés dans l’Écriture seraient-ils une preuve qu’ils ont méprisé la loi, sans doute parce qu’il l’ont méprisée comme mensongère ? Il faudrait répondre qu’on doit également lire les circonstances où il est écrit que le peuple entier, après avoir fait le mal en présence du Seigneur, s’est converti à uns vie meilleure et à la piété selon la loi. LIVRE VI

De plus, si la parole de la loi « Tu domineras des nations nombreuses, mais elles ne te domineront pas » n’avait été, sans une signification plus profonde, que la promesse qu’ils seraient puissants, le peuple eût évidemment méprisé bien davantage les promesses de la loi. Celse paraphrase le sens de certaines expressions déclarant que la postérité des Hébreux remplirait toute la terre. Historiquement cela eut lieu après la venue de Jésus, mais pour ainsi dire comme un effet du courroux de Dieu plutôt que de sa bénédiction. De plus, si dans la promesse il est dit aux Juifs de massacrer les ennemis, il faut dire qu’une lecture et une étude soigneuses des termes révèle qu’une interprétation littérale est impossible. Il suffira pour l’instant d’extraire entre autres des Psaumes ces paroles mises dans la bouche du juste : « Chaque matin, j’exterminais tous les pécheurs de la terre, afin de retrancher de la cité du Seigneur tous les artisans d’iniquité. » A considérer les termes et l’intention de l’auteur est-il possible que, après avoir rappelé ses exploits faciles à lire par le premier venu, il ajoute ce qui peut ressortir du texte pris littéralement : qu’en aucun autre moment du jour que le matin il n’a détruit « tous les pécheurs de la terre » sans en laisser survivre un seul, et si vraiment il supprimait sans exception de Jérusalem tout homme qui commît l’iniquité ? On peut encore trouver dans la loi beaucoup d’exemples comme celui-ci : « Nous n’avons laissé à aucun d’eux la vie sauve ». LIVRE VI

Celse ajoute la prédiction faite aux Juifs que leur désobéissance à la loi leur ferait souffrir les traitements qu’ils infligeaient à leurs ennemis. Mais avant que Celse n’allègue un exemple des traits de l’enseignement de Jésus qu’il croît contradictoires à la loi, il faut rappeler ce qui a déjà été dit. Pour nous la loi a deux sens : l’un littéral, l’autre spirituel, comme on l’a enseigné avant nous. Au sens littéral elle est qualifiée, moins par nous que par Dieu s’exprimant dans l’un des prophètes, de «jugements qui ne sont pas bons » et de « prescriptions qui ne sont pas bonnes » ; au sens spirituel elle est qualifiée par le même prophète, au nom de Dieu, de « jugements qui sont bons » et de « prescriptions qui sont bonnes ». Car il est clair que le prophète ne dit pas des choses contradictoires dans le même passage. LIVRE VI

Avec lui s’accorde Paul lui-même, selon qui « la lettre tue », autant dire le sens littéral, et « l’esprit vivifie », autant dire le sens spirituel. On peut ainsi trouver chez Paul quelque chose d’analogue aux contradictions apparentes du prophète. Ézéchiel avait dit : « Je leur ai donné des jugements qui ne sont pas bons et des prescriptions qui ne sont pas bonnes, dont ils ne pourront vivre » ; et ailleurs : « Je leur ai donné des jugements bons et des prescriptions bonnes, dont ils pourront vivre », ou l’équivalent. Paul de même, pour attaquer le légalisme littéral, dit : « Or, si le ministère de la mort, gravé en lettres sur des pierres, a été entouré d’une telle gloire que les enfants d’Israël ne pouvaient regarder fixement le visage de Moïse en raison de la gloire pourtant passagère de ce visage, comment le ministère de l’Esprit ne serait-il pas plus glorieux ? » Et ailleurs il admire et loue la loi qu’il nomme spirituelle : « Mais nous savons que la loi est spirituelle », et il l’approuve : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. » LIVRE VI

Si donc le texte de la loi promet la richesse aux justes, Celse peut suivre « la lettre » qui tue et penser que la promesse vise la richesse aveugle. Nous pensons, nous, qu’il s’agit de l’homme doué d’une vue pénétrante : au sens où on est riche « en tout discours et en toute science », et où nous recommandons « aux riches du monde présent de ne pas s’enorgueillir, de ne pas mettre leur espoir dans la richesse précaire, mais en Dieu qui nous pourvoit largement de tout pour que nous puissions en jouir, faire le bien, nous enrichir de bonnes ?uvres, être généreux et bienfaisants » Car, d’après Salomon, la richesse en véritables biens « est rançon d’une âme d’homme », tandis que la pauvreté qui lui est contraire est ruineuse, à cause d’elle « le pauvre ne supporte pas la menace ». LIVRE VI

Dans le même sens, les justes détruisent tout ce qu’il y a de vie dans leurs ennemis issus du vice, sans faire grâce à un mal infime qui vient de naître. C’est encore dans ce sens que nous comprenons le passage du psaume cent trente-sixième : « Fille de Babylone, misérable ! Heureux qui te revaudra les maux que tu nous as valus, heureux qui saisira et brisera tes petits contre le roc ! » Les petits de Babylone, qui signifie confusion, sont les pensées confuses inspirées par le vice qui naissent et se développent dans l’âme. S’en rendre assez maître pour briser leurs têtes contre la fermeté et la solidité du Logos, c’est briser les petits de Babylone contre le roc et à ce titre, devenir heureux. Dès lors, admettons que Dieu ordonne d’exterminer les ?uvres d’iniquité, toute la race sans épargner la jeunesse : il n’enseigne rien qui contredise la prédication de Jésus. Admettons que sous les yeux de ceux qui sont Juifs dans le secret Dieu réalise la destruction de leurs ennemis et de toutes les ?uvres de malice. Et qui plus est, admettons que ceux qui refusent d’obéir à la loi et au Logos de Dieu se soient assimilés à ses ennemis et portent la marque du vice : ils devront souffrir les peines que méritent la désobéissance aux paroles de Dieu. LIVRE VI

En outre, les paroles : « Ne vous inquiétez pas de ce que vous mangerez ou de ce que vous boirez. Considérez les oiseaux du ciel, ou considérez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent, et notre Père céleste les nourrit. Combien plus valez-vous que les oiseaux ! » ; « Du vêtement, pourquoi vous inquiéter ? Considérez les lis des champs », non plus que celles qui suivent, ne sont contraires aux bénédictions de la loi qui enseignent que le juste mangera et sera rassasié, ni à cette parole de Salomon : « Le juste mange et rassasie son âme, les âmes des impies sont dans l’indigence. » Car il faut le remarquer : c’est la nourriture de l’âme qui est visée dans la bénédiction de la loi : elle rassasie non pas le composé humain, mais l’âme seule. Et de l’Évangile, il faut tirer peut-être une interprétation assez profonde, et peut-être aussi une interprétation plus simple, c’est qu’on ne doit point égarer son âme dans les soucis de la nourriture et du vêtement, mais pratiquer une vie frugale et avoir confiance que Dieu y pourvoira si on ne s’inquiète que du nécessaire. LIVRE VI

Sans mettre en parallèle les passages de la loi avec ceux de l’Évangile apparemment contraires, Celse ajoute qu’il faut, à qui vous a donné un coup, s’offrir à en recevoir un autre. Nous dirons que nous connaissons la parole dite aux Anciens : « oeil pour oeil, dent pour dent », mais que nous avons lu aussi cette autre : « EH bien, moi je vous dis : à qui te frappe à la joue, présente encore l’autre». » Cependant comme Celse, j’imagine, se fait l’écho de ceux qui mettent une distinction entre le Dieu de l’Évangile et le Dieu de la Loi, il faut répondre à son objection : l’Ancien Testament connaît aussi : « A qui te frappe la joue droite, présente encore l’autre. » Du moins il est écrit dans les Lamentations de Jérémie : « Il est bon pour l’homme de porter le joug dès sa jeunesse, de s’asseoir solitaire et silencieux parce qu’il l’a pris sur lui ; il tendra la joue à qui le frappe, et sera rassasié d’affronts. » L’Évangile ne contredit donc pas le Dieu de la Loi, même pas au sujet du soufflet entendu à la lettre. Aucun des deux ne ment, ni Moïse, ni Jésus, et le Père en envoyant Jésus n’avait pas oublié ce qu’il avait prescrit à Moïse ; il n’a pas non plus renié ses propres lois, changé d’avis et envoyé son messager dans un dessein contraire. LIVRE VI

S’il faut caractériser brièvement la différence entre le régime d’abord en vigueur chez les Juifs suivant les lois de Moïse, et le régime plus pariait que les chrétiens veulent suivre maintenant d’après l’enseignement de Jésus, voici ce que je dirai. D’une part il ne convenait pas aux Gentils appelés à la foi de suivre à la lettre le régime de Moïse, puisqu’ils étaient soumis aux Romains. De l’autre, il n’était pas possible aux Juifs d’autrefois de conserver intacte leur constitution, puisque par hypothèse ils obéissaient au régime évangélique. Les chrétiens ne pouvaient se conformer à la loi de Moïse en massacrant leurs ennemis ou ceux que leurs transgressions de la loi condamnaient à périr brûlés ou lapidés, puisque même les Juifs, malgré leur désir, ne pouvaient leur infliger cette peine ordonnée par la loi. LIVRE VI

En revanche, aux Juifs d’alors, possédant en propre une constitution et un territoire, interdire d’attaquer leurs ennemis et de faire campagne pour la défense de leurs traditions, de mettre à mort ou châtier de quelque manière les adultères, les meurtriers, les criminels de cette espèce, c’eût été les réduire en masse à une destruction totale au moment d’une attaque ennemie contre la nation, car leur propre loi les aurait privés de force et empêchés de repousser les ennemis. Mais la Providence, qui avait jadis donné la loi et de nos jours l’Évangile de Jésus-Christ, ne voulait plus que le judaïsme restât en vigueur ; elle a donc détruit leur ville, leur temple, et le service de Dieu effectué dans le temple par le culte et le sacrifice qu’elle avait prescrits. Et de même que la Providence a mis fin à ces pratiques dont elle ne voulait plus, de même elle a donné au christianisme un essor croissant de jour en jour, lui accordant désormais la liberté de s’exprimer, malgré les obstacles innombrables opposés à la diffusion de l’enseignement de Jésus dans le monde. Et comme c’est Dieu qui a voulu étendre aux Gentils le bienfait de l’enseignement de Jésus-Christ, tout projet des hommes contre les chrétiens a été mis en échec, et plus les empereurs, les chefs de nations, le peuple les humiliaient en tous lieux, plus ils devenaient nombreux « et puissants à l’extrême ». LIVRE VI

Celse donc suppose que notre idée d’une autre terre, meilleure et bien supérieure à celle-ci, nous l’avons empruntée à certains hommes des anciens temps qu’il juge divins, et surtout à Platon qui, dans le Phédon, avait spéculé sur la terre pure qui se trouve dans la partie pure du ciel. Il ne voit pas que Moïse, bien antérieur même à l’alphabet grec, a représenté Dieu promettant la terre sainte « bonne et spacieuse où coulent le lait et le miel » pour ceux qui auraient vécu selon sa loi. Cette bonne terre n’est point, comme certains le pensent, la Judée d’ici-bas qui se trouve, elle aussi, sur la terre maudite dès l’origine à cause des ?uvres de la transgression d’Adam. Car la sentence : « La terre est maudite à cause de tes ?uvres : c’est à force de peines que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie », s’applique à la terre entière dont tout homme, mort en Adam, tire sa nourriture à force de peines, c’est-à-dire de travaux, et cela tous les jours de sa vie. LIVRE VI

Jamais non plus on ne poserait la question, comme si Dieu était dans un lieu : comment aller à lui ? Car Dieu est supérieur à tout lieu et contient tout ce qui peut être, et il n’est rien qui contienne Dieu. Ce n’est point d’aller à Dieu corporellement que nous ordonne le précepte : « Marche à la suite du Seigneur ton Dieu » ; ce n’est pas corporellement que le prophète veut adhérer à Dieu, quand il dit, dans la prière : « Mon âme adhère à toi. » Celse nous calomnie donc en disant que nous espérons voir Dieu des yeux de notre corps, entendre sa voix de nos oreilles, le toucher de nos mains sensibles. Nous savons au contraire que les divines Écritures emploient des termes homonymes pour des yeux autres que les yeux du corps, de même que pour les oreilles ou les mains ; et, ce qui est plus remarquable, pour un sens divin et d’un autre ordre que le sens désigné communément par ce mot. Car lorsque le prophète dit : « Ouvre mes yeux et je contemplerai les merveilles de ta loi » ; « Le commandement du Seigneur est plein de lumière, il illumine mes yeux » ; « Illumine mes yeux afin que je ne m’endorme pas dans la mort », personne n’est assez stupide pour penser que les yeux du corps comprennent les merveilles de la loi divine, ou que le commandement du Seigneur illumine les yeux du corps, ou qu’il puisse leur survenir un sommeil qui cause la mort. LIVRE VI

De plus, quand notre Sauveur dit : « Que celui qui a des oreilles pour entendre entende », même le premier venu comprend qu’il s’agit d’oreilles d’ordre spirituel. Et quand il est dit que « la parole du Seigneur » est dans la main du prophète Jérémie ou de quelque autre, ou la loi « dans la main » de Moïse, ou « J’ai cherché Dieu de mes mains et je n’ai pas été trompé », personne n’est assez sot pour ne pas comprendre qu’il s’agit de mains au sens figuré. C’est d’elles encore que Jean déclare : « Nos mains ont touché le Logos de vie. » Et pour apprendre des saintes Écritures qu’il existe un sens supérieur et non corporel, il faut entendre le mot de Salomon dans les Proverbes : « Tu trouveras un sens divin. » LIVRE VI

Tout cela, je ne le dis point pour rivaliser avec les belles pensées des Grecs, ni pour critiquer les doctrines saines, mais je veux établir que ces pensées mêmes et d’autres, plus profondes et plus divines encore, ont été exprimées par des hommes divins, prophètes de Dieu et apôtres de Jésus, scrutées par ceux qui veulent être parfaitement chrétiens, sachant que « la bouche du juste méditera la sagesse et sa langue dira le jugement ; la loi de Dieu est dans son coeur ». De plus, il y a des gens qui ne voient pas aussi clairement ces vérités, par suite de leur profonde ignorance, de leur simplicité, ou du manque de conseillers qui les aient poussés à une piété raisonnable ; ils croient pourtant au Dieu suprême et à son Fils unique Logos de Dieu ; et l’on peut trouver chez eux un degré de sérieux et de pureté, une innocence de m?urs et une simplicité souvent supérieure, que n’ont pas atteints ceux « qui affirment être sages » et se vautrent dans l’immoralité avec des enfants, « perpétrant l’infamie d’homme à homme ». LIVRE VI

EH bien, voyons ce qu’il déclare ensuite : Tenons-nous en là ! Ils ne peuvent tolérer la vue des temples, des autels, des statues. Mais les Scythes non plus, ni les Nomades de Libye, ni les Sères, peuple sans dieu, ni d’autres nations sans foi ni loi. C’est aussi le sentiment des Perses, ainsi que le rapporte Hérodote : « Les Perses, à ma connaissance, observent les coutumes suivantes: ils n’ont pas l’usage d’élever des statues, ni des temples, ni des autels ; au contraire, ils taxent de folie ceux qui le font ; la raison en est, à mon avis, qu’ils n’ont jamais pensé, comme les Grecs, que les dieux soient de même nature que les hommes. » Bien plus, voici à peu près ce que déclare Héraclite : « Et encore ces statues qu’ils prient, comme si l’on bavardait avec des maisons. Ils ne savent rien de la vraie nature des dieux et des héros. » Que nous enseignent-ils donc de plus sage qu’Héraclite ? Lui, du moins, insinue qu’il est stupide de prier les statues quand on ne connaît pas la vraie nature des dieux et des héros. LIVRE VI

A quoi il faut répondre : si vraiment les Scythes, les Nomades de la Libye, les Sères que Celse déclare peuple sans dieu, et bien d’autres nations sans foi ni loi, et si les Perses même ne peuvent tolérer la vue des temples, des autels, des statues, la raison de leur intolérance n’est pas la même que la nôtre. Il faut examiner en effet les doctrines qui poussent à l’intolérance ceux qui ne peuvent tolérer les temples et les statues, afin de pouvoir louer cette intolérance si elle est motivée par de saines doctrines, et la blâmer si les motifs sont erronés. LIVRE VI

Par exemple, les philosophes qui suivent Zénon de Cittium évitent l’adultère ; mais aussi les adeptes d’Épicure, et même des hommes sans instruction. Mais observe le profond désaccord de tous ces gens sur les motifs d’éviter l’adultère. Les Stoïciens le font au nom du bien commun et parce qu’il est contraire à la nature, pour un être raisonnable, de corrompre une femme déjà donnée à un autre par les lois et de détruire le foyer d’un autre homme. Les Épicuriens, quand ils s’abstiennent de l’adultère, ne l’évitent pas pour cette raison, mais parce qu’ils ont pensé que la fin est le plaisir, et vu les multiples obstacles au plaisir inévitables pour celui qui a cédé à l’unique plaisir de l’adultère : parfois la prison, la fuite, la mort ; souvent d’autres périls avant ceux-là, quand on guette le moment où sortent de la maison le mari et ceux qui veillent à ses intérêts ; ainsi, en admettant qu’il fût possible à qui tente l’adultère d’échapper au regard du mari de la femme, de tous ses familiers et de ceux pour qui l’adultère est un déshonneur, le plaisir attirerait à l’adultère même l’Épicurien. Et si parfois l’ignorant refuse l’adultère même quand il a l’occasion de le commettre, peut-être s’en abstient-il par la crainte que lui inspirent la loi et les châtiments, et ce n’est point par la recherche de plaisirs plus nombreux qu’un tel homme s’abstiendrait de l’adultère. On voit donc qu’une action supposée la même, l’abstention de l’adultère, en raison des intentions de ceux qui s’abstiennent, n’est pas identique, mais différente. Ils s’inspirent ou de doctrines saines, ou de mobiles pervers et très impies comme ceux de l’Épicurien ou de cet ignorant. LIVRE VI

De même qu’on découvre dans cette attitude, l’abstention de l’adultère, bien qu’elle semble la même, une diversité provenant des doctrines et des intentions diverses, ainsi en va-t-il du refus d’honorer la divinité dans les autels, les temples et les statues. Les Scythes, les Nomades de la Libye, les Sères peuple sans dieu, les Perses fondent leur attitude sur d’autres doctrines que celles pour lesquelles les chrétiens et les Juifs ne tolèrent pas ce culte qu’on prétend offert à la divinité. Car aucun de ces peuples ne peut tolérer les autels et les statues parce qu’il refuserait de dégrader et d’avilir l’adoration due à la divinité en l’adressant à une matière ainsi modelée. Ce n’est pas non plus parce qu’ils ont compris que des démons hantent ces images et ces localités, appelés par des sortilèges, ou ayant d’eux-mêmes pu d’une autre manière prendre possession des lieux où ils reçoivent gloutonnement le tribut des victimes et sont en quête de plaisir illicite et d’individus sans loi. Mais les chrétiens et les Juifs ont ces commandements : « Tu craindras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul » ; «Tu n’auras point d’autres dieux que moi » ; « Tu ne te feras point d’idole, ni rien qui ressemble à ce qui est dans le ciel là-haut, ni à ce qui est sur la terre ici-bas, ni à ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras point devant ces images, ni ne les serviras » ; « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul » ; et bien d’autres de même sens. A cause d’eux, non seulement ils se détournent des temples, des autels, des statues, mais encore ils vont avec empressement à la mort quand il le faut, pour éviter de souiller leur notion du Dieu de l’univers par une infraction de ce genre à sa loi. LIVRE VI

Après avoir plus haut longuement parlé de Jésus, il n’est pas nécessaire ici d’y revenir pour répondre à son objection : Et certes on les convainc manifestement de de n’adorer ni un dieu, ni un démon, mais un mort. Laissant donc ce point, voyons immédiatement ce qu’il ajoute : D’abord, je leur demanderai : pour quelle raison il ne faut pas rendre un culte aux démons ? Cependant est-ce que tout n’est pas régi conformément à la volonté de Dieu, et toute providence ne relève-t-elle pas de lui? Ce qui existe dans l’univers, ?uvre de Dieu, des anges, d’autres démons ou de héros, tout cela n’a-t-il point une loi venant du Dieu très grand ? A chaque office ne trouve-t-on pas préposé, ayant obtenu la puissance, un être jugé digne? N’est-il donc pas juste que celui qui adore Dieu rende un culte à cet être qui a obtenu de lui l’autorité ? Non certes, dit-il, il n’est pas possible que le même homme serve plusieurs maîtres. LIVRE VI

Il déclare encore : Tout ce qui existe dans l’univers, ?uvre de Dieu, des anges, d’autres démons ou de héros, n’a-t-il pas une loi venant du Dieu très grand ? Là du moins il cesse de tenir un discours véritable. LIVRE VI

Car les êtres qui commettent des transgressions ne les commettent pas en observant une loi venant du Dieu très grand. Et l’Écriture montre que les auteurs de ces transgressions sont non seulement des hommes mauvais, mais encore les démons mauvais et les anges mauvais. LIVRE VI

Nous ne sommes pas les seuls à dire qu’il y a des mauvais démons, c’est aussi la pensée de presque tous ceux qui affirment l’existence des démons. Il n’est donc pas vrai que tout a une loi venant du Dieu très grand. Tous les êtres en effet qui, par inattention personnelle, malice, perversité, ignorance du bien, dérogent à la loi divine ne suivent pas la loi de Dieu ; mais pour employer une expression différente et d’ailleurs scripturaire, « ils suivent la loi du péché ». Selon la majorité de ceux qui admettent l’existence des démons, les mauvais démons ne suivent pas la loi de Dieu, mais la transgressent. Selon nous, tous les démons sont sortis de la voie menant au bien, auparavant ils n’étaient pas démons ; il y a une espèce des êtres tombés d’auprès de Dieu, celle des démons. C’est pourquoi on ne doit pas rendre un culte aux démons quand on adore Dieu. LIVRE VI

Il a beau dire encore qu’on trouve préposé à chaque office, ayant obtenu la puissance du Dieu très grand, un être jugé digne d’une tâche quelconque. Il faudrait une science bien profonde pour pouvoir résoudre cette question: à la manière des bourreaux dans les cités et des hommes préposés aux fonctions cruelles mais nécessaires dans les états, les mauvais démons sont-ils préposés à certains offices par le Logos de Dieu qui gouverne l’univers, ou à la manière de ces brigands qui, dans des lieux déserts, établissent un chef pour les commander, les démons, organisés pour ainsi dire en cohortes dans les diverses régions de la terre, se sont-ils donnés un chef qui fût leur guide dans les entreprises qu’ils ont décidées pour voler et rançonner les âmes humaines ? Veut-on traiter convenablement ce point pour défendre les chrétiens qui évitent d’adorer autre chose que le Dieu suprême et son Logos, le « Premier-né de toute créature» », on devra alors expliquer les passages suivants : « Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs ou des brigands, et les brebis ne les ont pas écoutés » ; « Le voleur ne vient que pour voler, égorger, détruire », et toute autre parole semblable des saintes Écritures, comme : « Voici que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents et scorpions, et toute la puissance de l’ennemi sans que rien puisse vous nuire » ; « Sur l’aspic et le basilic tu marcheras et tu fouleras lion et dragons. » Celse ignorait tout de ces paroles. S’il les avait connues, il n’aurait pas dit : Ce qui existe dans l’univers, ?uvre de Dieu, des anges, d’autres démons ou de héros, tout cela n’a-t-il point une loi qui vient du Dieu très grand ? A chaque office ne trouve-t-on pas préposé, ayant obtenu la puissance, un être jugé digne ? N’est-il donc pas juste que celui qui adore Dieu rende un culte à cet être qui a obtenu de lui l’autorité ? A quoi il ajoute : Non, car il n’est pas possible que le même homme serve plusieurs maîtres. On traitera ce point dans le livre suivant, car le septième que j’ai écrit contre le traité de Celse a atteint une dimension suffisante. LIVRE VI

De plus, si nous refusons de servir un autre que Dieu par son Logos et sa Vérité, ce n’est point parce que Dieu subirait un tort comme paraît en subir l’homme dont le serviteur sert encore un autre maître. C’est pour ne pas subir de tort nous-mêmes en nous séparant de la part d’héritage du Dieu suprême, où nous menons une vie qui participe à sa propre béatitude par un exceptionnel esprit d’adoption. Grâce à sa présence en eux, les fils du Père céleste prononcent dans le secret, non en paroles mais en réalité, ce cri sublime : « Abba, Père ! » Sans doute, les ambassadeurs de Lacédémone refusèrent d’adorer le roi de Perse, malgré la vive pression des gardes, par révérence pour leur unique seigneur, la loi de Lycurgue. Mais ceux qui s’acquittent pour le Christ d’une ambassade bien plus noble et plus divine refuseraient d’adorer aucun prince de Perse, de Grèce, d’Egypte ou de toute autre nation, malgré la volonté qu’ont les démons, satellites de ces princes et messagers du diable, de les contraindre à le faire et de les persuader de renoncer à Celui qui est supérieur à toutes les lois terrestres. Car le Seigneur de ceux qui sont en ambassade pour le Christ, c’est le Christ dont ils sont les ambassadeurs, le Logos qui est « au commencement », qui est près de Dieu, qui est Dieu. Celse a cru bon ensuite d’avancer, parmi les opinions qu’il fait siennes, une doctrine très profonde sur les héros et certains démons. Ayant remarqué, à propos des relations de service entre les hommes, que ce serait infliger un tort au premier maître qu’on veut servir que de consentir à en servir un second, il ajoute qu’il en irait de même pour les héros et les démons de ce genre. Il faut lui demander ce qu’il entend par les héros et quelle nature il attribue aux démons de ce genre, pour que le serviteur d’un héros déterminé doive éviter d’en servir un autre, et celui d’un de ces démons, d’en servir encore un autre : comme si le premier démon subissait un tort comme font les hommes quand on passe de leur service à celui d’autres maîtres. Qu’il établisse en outre le tort qu’il juge ainsi causé aux héros et aux démons de ce genre ! Il lui faudra alors répéter son propos en tombant dans un océan de niaiseries et réfuter ce qu’on a dit ou, s’il se refuse aux niaiseries, avouer ne connaître ni les héros, ni la nature des démons. Et quand il dit des hommes que les premiers subissent un tort du service rendu à un second, il faut demander comment il définit le tort subi par le premier quand son serviteur consent à en servir un autre. En effet, s’il entendait par là, comme un homme vulgaire et sans philosophie, un tort concernant les biens que nous appelons extérieurs, on le convaincrait de méconnaître la belle parole de Socrate : « Anytos et Mélètos peuvent me faire mourir, mais non me faire du tort ; car il n’est point permis que le supérieur subisse un tort de la part de l’inférieur. » S’il définit ce tort par une motion ou un état concernant le vice, il est évident, puisqu’aucun tort de ce genre n’existe pour les sages, qu’on peut servir deux sages vivant en des lieux séparés. Et quand ce raisonnement ne serait pas plausible, c’est en vain qu’il argue de cet exemple pour critiquer la parole : « Nul ne peut servir deux maîtres » : et elle n’aura que plus de force si on l’applique au service du Dieu de l’univers par son Fils qui nous conduit à Dieu. De plus, nous ne rendons pas un culte à Dieu dans la pensée qu’il a en besoin et qu’il se chagrinerait qu’on ne le lui rende pas, mais pour l’avantage que nous retirons de ce culte rendu à Dieu, étant libérés de chagrin et de passion en servant Dieu par son Fils unique Logos et Sagesse. LIVRE VIII

L’honneur qu’on rend au Fils de Dieu, et au même titre celui qu’on rend à Dieu le Père, consiste dans une vie honnête. N’est-ce pas ce que nous enseigne la parole : « Toi qui te glorifies dans la loi, en transgressant cette loi, c’est Dieu que tu déshonores », et cette autre : « De quel châtiment bien plus grave ne pensez-vous pas que sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, tenu pour profane le sang de l’alliance dans lequel il a été sanctifié, et outragé l’Esprit de la grâce ? » Si transgresser la loi c’est outrager Dieu par cette transgression même, si refuser l’Évangile c’est fouler aux pieds le Fils de Dieu, il est clair qu’observer la loi c’est honorer Dieu, qu’être orné de la parole de Dieu et de ses oeuvres c’est adorer Dieu. Si Celse avait connu ceux qui appartiennent à Dieu, et il n’en est pas d’autres que les sages, s’il avait connu ceux qui lui sont étrangers, et ce sont tous les hommes méchants qui n’ont aucun souci d’acquérir la vertu, il aurait compris le vrai sens de la parole : L’honneur et l’adoration rendus à tous ceux qui appartiennent à Dieu ne peuvent le chagriner, puisqu’ils sont tous à lui. LIVRE VIII

Il y aurait maintenant beaucoup à dire sur la raison pour laquelle la loi de Dieu prescrit, aux jours de fête, de manger « le pain de la misère » ou « des azymes avec des herbes amères », et pourquoi elle dit : « Humiliez vos âmes » ou d’autres formules semblables. C’est que l’homme étant composé, il ne lui est pas possible, tant que « la chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair », d’être tout entier à la célébration de la fête : ou on célèbre la fête par l’esprit en affligeant le corps incapable, à cause « du désir de la chair », de la célébrer avec l’esprit ; ou on la célèbre selon la chair en ne faisant plus de place à la fête selon l’esprit. Mais en voilà assez pour l’instant au sujet des fêtes. LIVRE VIII

Il faut pourtant savoir que les Juifs, pensant comprendre la loi de Moïse, veillent attentivement à n’user que des aliments considérés comme purs et à s’abstenir des impurs et, en outre, à ne pas faire entrer dans leur nourriture ni le sang des animaux ni les animaux saisis par les fauves et bien d’autres : matière d’une ample doctrine qu’il n’est donc pas opportun d’examiner ici. Mais Jésus dans son enseignement voulait amener tous les hommes à la pure adoration de Dieu et éviter qu’une législation trop sévère sur les aliments n’écartât un grand nombre de gens dont les m?urs pourraient être améliorées par le christianisme. LIVRE VIII

Par ailleurs, nous refusons de rendre les honneurs habituels aux êtres que Celse dit préposés aux choses d’ici-bas. Nous adorons le Seigneur notre Dieu et nous le servons lui seul, priant pour devenir les imitateurs du Christ. Car, à la suggestion du diable : « Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes et m’adores », il répondit : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul. » Voilà donc pourquoi nous refusons de rendre les honneurs habituels aux êtres que Celse dit préposés aux choses d’ici-bas, puisque « Personne ne peut servir deux maîtres », et que nous ne pouvons à la fois « servir Dieu et Mammon », que ce mot désigne un seul être ou plusieurs. De plus, si « en transgressant la lois » n refuse d’honorer le législateur, il nous paraît manifeste que, devant l’opposition des deux lois, celle de Dieu et celle de Mammon, il est préférable pour nous de refuser l’honneur à Mammon en transgressant la loi de Mammon afin d’honorer Dieu en observant la loi de Dieu, au lieu de refuser l’honneur à Dieu en transgressant la loi de Dieu, afin d’honorer Mammon en observant la loi de Mammon. LIVRE VIII

Oui certes, il nous faut mépriser la faveur des hommes et des rois, non seulement si elle ne s’obtient qu’au prix de meurtres, d’impuretés et d’actions criminelles, mais encore si c’est au prix de l’impiété envers le Dieu de l’univers, ou d’une parole de servilité et de bassesse, indigne d’hommes courageux et magnanimes qui veulent unir aux autres vertus, comme la plus noble de toutes, la fermeté de l’âme. Là pourtant, nous ne faisons rien de contraire à la loi et au Logos de Dieu, nous n’avons pas la folie de courir exciter contre nous la colère de l’empereur ou du prince, braver les mauvais traitements, les supplices et même la mort. LIVRE VIII

Il se demande ce qui arriverait si les Romains étaient convaincus par la doctrine chrétienne, négligeaient les honneurs à rendre aux prétendus dieux et les coutumes autrefois en usage chez les hommes, et adoraient le Très-Haut. Qu’il entende notre opinion sur ce point. Nous disons : « Si deux ou trois d’entre vous s’accordent sur la terre à demander quoi que ce soit, cela sera accordé par le Père des justes qui est dans les cieux. » Car Dieu prend plaisir à l’accord des êtres raisonnables et se détourne de leur désaccord. Que faut-il penser pour le cas où l’accord existerait non seulement comme aujourd’hui entre très peu de personnes mais dans tout l’empire romain ? Alors ils prieront le Logos qui autrefois dit aux Hébreux poursuivis par les Égyptiens : « Le Seigneur combattra pour vous et vous n’aurez qu’à vous taire. » Et l’ayant prié d’un accord total, ils pourront détruire un bien plus grand nombre d’ennemis lancés à leur poursuite que n’en détruisit la prière de Moïse poussant des cris vers Dieu en même temps que ceux qui étaient avec lui. Si les promesses de Dieu à ceux qui observent la loi ne sont pas réalisées, ce n’est pas que Dieu aurait menti, mais que les promesses étaient faites sous cette condition qu’ils garderaient la loi et y conformeraient leur vie. Et si les Juifs qui avaient reçu ces promesses conditionnelles n’ont plus ni feu ni lieu, il faut en accuser toutes leurs transgressions de la loi et singulièrement leur faute contre Jésus. Mais, comme Celse le suppose, que tous les Romains, convaincus, se mettent à prier, ils triompheront de leurs ennemis ; ou plutôt, ils n’auront même plus de guerre du tout, car ils seront protégés par la puissance divine qui avait promis, pour cinquante justes, de garder intactes cinq villes entières. Car les hommes de Dieu sont le sel du monde assurant la consistance des choses de la terre, et les choses terrestres se maintiennent tant que le sel ne s’affadit pas : « Car si le sel perd sa saveur, il n’est plus bon ni pour la terre, ni pour le fumier, mais on le jette dehors et les hommes le foulent aux pieds. Que celui qui a des oreilles entende » le sens de cette parole. Pour nous, quand Dieu, laissant la liberté au Tentateur, lui donne tout pouvoir de nous persécuter, nous sommes persécutés. Mais lorsqu’il veut nous soustraire à cette épreuve, en dépit de la haine du monde qui nous entoure, nous jouissons d’une paix miraculeuse, nous confiant en Celui qui a dit : « Courage, moi j’ai vaincu le monde. » En toute vérité, il a vaincu le monde, et le monde n’a de force que dans la mesure où le veut son vainqueur qui tient de son Père sa victoire sur le monde. Notre courage repose sur sa victoire. LIVRE VIII

Après cela, il émet une sorte de v?u : Ah ! s’il se pouvait que les habitants de l’Asie, de l’Europe, de la Libye, Grecs et barbares, s’accordent pour observer une seule loi jusqu’aux extrémités de la terre ! Puis, jugeant la chose impossible, il ajoute : Pour penser cela, il faut ne rien connaître. LIVRE VIII

S’il faut dire quelque chose sur cette question qui demanderait tant de recherches et de preuves, voici quelques mots pour mettre en lumière, non seulement la possibilité, mais la vérité de ce qu’il dit sur cet accord unanime de tous les êtres raisonnables pour observer une seule loi. Les gens du Portique disent que, une fois réalisée la victoire de l’élément qu’ils jugent plus fort que les autres, aura lieu l’embrasement où tout sera changé en feu. Nous affirmons, nous, qu’un jour le Logos dominera toute la nature raisonnable et transformera chaque âme en sa propre perfection, au moment où chaque individu, n’usant que de sa simple liberté, choisira ce que veut le Logos et obtiendra l’état qu’il aura choisi. Nous déclarons invraisemblable que, comme pour les maladies et les blessures du corps où certains cas sont rebelles à toutes les ressources de l’art médical, il y ait aussi dans le monde des âmes une séquelle du vice impossible à guérir par le Dieu raisonnable et suprême. Car le Logos et sa puissance de guérir sont plus forts que tous les maux de l’âme. Il applique cette puissance à chacun selon la volonté de Dieu ; et la fin du traitement, c’est la destruction du mal. Est-ce de manière qu’il ne puisse absolument pas ou qu’il puisse revenir, on n’a point à l’envisager ici. LIVRE VIII

A celui qui peut saisir le sens profond de l’Écriture et comprendre tout ce passage, d’élucider la prophétie. Qu’il examine en particulier le sens de cette parole : après la destruction de toute la terre, sera redonnée « aux peuples une langue pour sa génération », comme elle était avant la Confusion. Qu’il considère les sens de ces paroles : « Afin qu’ils invoquent tous le nom du Seigneur, qu’ils le servent sous un seul joug », en sorte que soit ôté « le mépris de l’arrogance », et qu’il n’y ait plus d’injustice, de paroles vaines, de langue trompeuse. Voilà ce que j’ai cru bon de citer simplement et sans démonstration rigoureuse, à cause de Celse qui croit impossible que les habitants de l’Asie, de l’Europe, de la Libye, Grecs et barbares, s’accordent pour observer une seule loi. Peut-être en effet est-ce impossible pour ceux qui sont toujours dans les corps, mais non pour ceux qui en sont délivrés. Aussitôt après, Celse nous exhorte à secourir l’empereur de toutes nos forces, collaborer à ses justes entreprises, combattre pour lui, servir avec ses soldats s’il l’exige, et avec ses stratèges. LIVRE VIII

Non, ce n’est pas que les chrétiens fuient les services communs de la vie quand ils délaissent les charges publiques. Mais ils se réservent au service plus divin et plus nécessaire de l’Église de Dieu pour le salut des hommes. Ils dirigent à la fois selon la nécessité et la justice. Ils prennent soin de tous : de ceux qui sont à l’intérieur pour qu’ils vivent mieux chaque jour ; de ceux qui semblent à l’extérieur pour qu’ils s’engagent dans les paroles et les actions vénérables de la piété ; et pour qu’ainsi, adorant véritablement Dieu et formant le plus de fidèles possible, ils soient imprégnés du Logos de Dieu et de la loi divine, et soient unis au Dieu suprême par Celui qui, Fils de Dieu, Logos, Sagesse, Vérité, Justice, lui unit quiconque s’applique à vivre en tout selon Dieu. LIVRE VIII