De plus, je le demande, au sujet de la foule des croyants qui se sont échappés de l’immense flot du vice où ils se roulaient auparavant : lequel était préférable pour eux ? D’avoir, dans une foi non réfléchie, un peu réformé leurs moeurs et trouvé secours dans la croyance aux châtiments des fautes et aux récompenses des bonnes oeuvres, ou bien de différer leur conversion par simple foi jusqu’à ce qu’ils puissent se livrer à l’examen des doctrines ? Il est clair que tous les hommes, sauf de très rares exceptions, ne pourraient ainsi obtenir l’avantage retiré de la simple foi, mais resteraient dans une vie corrompue. Aux autres preuves que l’amour du Logos pour les hommes n’est point parvenu à la vie des hommes sans l’action de Dieu, il faut donc ajouter celle-là. L’homme pieux ne croira pas qu’un simple médecin des corps qui a ramené nombre de malades à la santé vient résider dans les villes et les nations sans l’action de Dieu : car aucun bienfait n’arrive aux hommes sans l’action de Dieu. Mais si celui qui a soigné les corps d’une multitude et les a ramenés à la santé ne guérit pas sans l’action de Dieu, combien est-ce plus vrai de Celui qui a soigné, converti, amélioré les âmes d’une multitude, les a soumises au Dieu suprême, leur a appris à conformer toute action à son bon plaisir et à éviter tout ce qui peut déplaire à Dieu, jusqu’à la moindre des paroles, des actions, ou même des pensées ! LIVRE I
Celse a cité comme une expression courante chez les chrétiens : La sagesse dans le cours de cette vie est un mal, et la folie un bien. Il faut répondre qu’il calomnie la doctrine, puisqu’il n’a pas cité le texte même qui se trouve chez Paul et que voici : « Si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage, car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » L’Apôtre n’affirme donc pas simplement : « la sagesse est folie devant Dieu », mais : « la sagesse de ce monde… » ; ni non plus : « si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou » en général, mais : « qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage ». Donc, nous appelons « sagesse de ce siècle » toute philosophie remplie d’opinions fausses, qui est périmée d’après les Ecritures ; et nous disons : « la folie est un bien », non point absolument, mais quand on devient fou pour ce siècle. Autant dire du Platonicien, parce qu’il croit à l’immortalité de l’âme et à ce qu’on dit de sa métensomatose, qu’il se couvre de folie aux yeux des Stoïciens qui tournent en ridicule l’adhésion à ces doctrines, des Péripatéticiens qui jasent des « fredonnements » de Platon, des Epicuriens qui crient à la superstition de ceux qui admettent une providence et posent un dieu au-dessus de l’univers ! Ajoutons qu’au sentiment de l’Ecriture, il vaut bien mieux donner son adhésion aux doctrines avec réflexion et sagesse qu’avec la foi simple ; et qu’en certaines circonstances, le Logos veut aussi cette dernière pour ne pas laisser les hommes entièrement désemparés. C’est ce que montre Paul, le véritable disciple de Jésus, quand il dit : « Car, puisque dans la sagesse de Dieu le monde n’a pas connu Dieu avec la sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication » D’où il ressort donc clairement que c’est dans la sagesse de Dieu que Dieu devait être connu. Et puisqu’il n’en fut rien, Dieu a jugé bon ensuite de sauver les croyants, non pas simplement par la folie, mais par la folie relative à la prédication. De là vient que la proclamation de Jésus-Christ crucifié est la folie de la prédication, comme le dit encore Paul qui en avait pris conscience et déclare « Mais nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » LIVRE I
Un examen des faits montre que Jésus osa une entreprise qui dépasse la nature humaine et que ce qu’il osa, il l’accomplit. Dès l’origine, tout s’opposait à la diffusion de sa doctrine par toute la terre : les empereurs successifs, leurs généraux et chefs d’armées, en un mot tous ceux qui détenaient une autorité quelconque, et en outre les gouverneurs de chaque cité, les soldats, le peuple. Il fut vainqueur, puisqu’il était par nature, en tant que Logos de Dieu, impossible à arrêter, et, plus fort que ces puissants adversaires, il a conquis toute la Grèce, et, plus encore, la barbarie, et converti des âmes innombrables à la religion qu’il enseignait. Or il était inévitable, dans la foule de ceux qui étaient conquis par la doctrine, où “les gens simples et illettrés” sont plus nombreux que les gens formés par la culture, que les gens simples et illettrés fussent plus nombreux que les intelligents. Mais Celse ne veut pas le comprendre. Il pense que l’amour du Logos pour l’humanité, qui s’étend à chaque âme depuis le lever du soleil, “est simple et, à cause de sa simplicité et de son manque absolu de culture, n’a conquis que les simples”. Pourtant, même Celse ne dit pas que les seuls gens simples aient été conduits par cette doctrine à la religion selon Jésus, car il avoue :” Il y a aussi parmi eux des gens modérés, raisonnables, intelligents et prêts à comprendre l’allégorie”. LIVRE I
Or, la loi et les prophètes sont remplis de traits aussi miraculeux que celui qu’on raconte de la colombe et de la voix céleste au baptême de Jésus. Et la preuve, à mon avis, que le Saint-Esprit est alors apparu sous la forme d’une colombe, ce sont les miracles accomplis par Jésus, en dépit des affirmations mensongères de Celse, que Jésus avait appris en Egypte l’art de les faire. Et même je ne tirerai point parti seulement de ceux-là, mais encore, comme il convient, des miracles qu’accomplirent les apôtres de Jésus. Car sans miracles et sans prodiges, ils n’auraient pas poussé ceux qui entendaient de nouvelles doctrines et des enseignements nouveaux à laisser leurs croyances ancestrales et accepter, au péril de leur vie, les enseignements qu’ils donnaient. Et de cet Esprit Saint alors apparu sous la forme d’une colombe, il subsiste encore des traces chez les chrétiens : ils chassent les démons, guérissent maintes maladies, et ont, au gré du Logos, certaines visions de l’avenir. Dussé-je provoquer les railleries de Celse ou du Juif son porte-parole par ce que je vais dire, j’affirmerai néanmoins : beaucoup sont venus au christianisme comme malgré eux, un certain esprit ayant soudain tourné leur coeur de la haine de la doctrine à la résolution de mourir pour elle, en leur présentant une vision ou un songe. J’en ai connu bien des exemples. Si je les mettais par écrit, tout témoin oculaire que j’en aie été, j’offrirais une vaste cible à la risée des incroyants qui penseraient que moi aussi, comme ceux qu’ils suspectent d’avoir forgé de telles fictions, je leur en conte. Mais Dieu est témoin de ma conscience et de son désir de confirmer, non par des récits mensongers, mais dans une évidence riche d’aspects, l’enseignement divin de Jésus. LIVRE I
Un examen approfondi de la question fera dire : suivant le terme de l’Écriture, il existe une sorte de genre, un sens divin, que le bienheureux seul trouve à présent, au dire de Salomon « Tu trouveras un sens divin » Et ce sens comporte des espèces, la vue, qui peut fixer les réalités supérieures aux corps, dont font partie les Chérubins et les Séraphins , l’ouïe, percevant des sons dont la réalité n’est pas dans l’air , le goût, pour savourer le pain vivant descendu du ciel et donnant la vie au monde ; de même encore l’odorat, qui sent ces parfums dont parle Paul qui se dit être « pour Dieu la bonne odeur du Christ » , le toucher, grâce auquel Jean affirme avoir touche de ses mains « le Logos de vie ». Ayant trouvé le sens divin, les bienheureux prophètes regardaient divinement, écoutaient divinement, goûtaient et sentaient de même façon, pour ainsi dire d’un sens qui n’est pas sensible , et ils touchaient le Logos par la foi, si bien qu’une émanation leur arrivait de lui pour les guérir. Ainsi voyaient-ils ce qu’ils écrivent avoir vu, entendaient-ils ce qu’ils disent avoir entendu, éprouvaient-ils des sensations de même ordre lorsqu’ils mangeaient, comme ils le notèrent, « le rouleau » d’un livre qui leur était donné. Ainsi encore Isaac « sentit l’odeur des vêtements » divins de son fils et put ajouter à sa bénédiction spirituelle : « Voici l’odeur de mon fils, pareille à l’odeur d’un champ fertile béni par le Seigneur. » De la même manière que dans ces exemples et de façon plus intelligible que sensible, Jésus « toucha » le lépreux pour le guérir doublement, à mon avis, en le délivrant non seulement, comme l’entend la foule, de la lèpre sensible par son toucher sensible, mais encore de l’autre lèpre par son toucher véritablement divin. C’est donc ainsi que « Jean rendit témoignage en disant : J’ai vu l’Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui. Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’avait dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et demeurer, c’est lui qui baptise dans l’Esprit Saint. Oui, j’ai vu et j’atteste que c’est Lui le Fils de Dieu. » De plus, c’est bien pour Jésus que le ciel s’est ouvert ; et à ce moment là, de nul autre que Jean il n’est écrit qu’il vit le ciel ouvert. Mais le Sauveur prédit à ses disciples que de cette ouverture du ciel ils seront plus tard les témoins, et dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis : vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l’homme. » Ainsi encore Paul fut ravi au troisième ciel, après l’avoir vu d’abord ouvert, puisqu’il était disciple de Jésus. Mais expliquer maintenant pourquoi Paul dit : ” Etait-ce en son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais. Dieu le sait “, est hors de propos. LIVRE I
A la suite de ces remarques, le Juif de Celse dit à Jésus : “Pourquoi donc fallait-il, alors que tu étais encore enfant, te transporter en Egypte pour te faire échapper au massacre ? Il ne convenait pas qu’un Dieu craignît la mort ! Mais un ange vint du ciel pour t’ordonner à toi et aux tiens de fuir de peur qu’on ne vous surprît et qu’on ne vous mît a mort. A te garder sur place, toi son propre fils, le grand Dieu qui avait déjà envoyé deux anges a cause de toi était-il donc impuissant ? ” Celse pense ici que pour nous il n’y a rien de divin dans le corps humain et l’âme de Jésus, et même que son corps ne fut pas de cette nature qu’imaginent les mythes d’Homère. Raillant donc le sang de Jésus répandu sur la croix, il dit que ce n’était pas l’« ichôr tel qu’il coule aux veines des divinités bienheureuses ». Mais nous, nous croyons en Jésus lui-même, aussi bien quand il dit de la divinité qui est en lui « Je suis la voie, la vérité, la vie » et autres paroles semblables, que lorsqu’il déclare, parce qu’il était dans un corps humain « Or vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité », et nous affirmons qu’il a été une sorte d’être composé. Prenant soin de venir à la vie comme un homme, il fallait qu’il ne s’exposât point à contretemps au péril de mort. Ainsi devait-il être conduit par ses parents dirigés par un ange de Dieu Le messager dit d’abord « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit Saint » , et, ensuite « Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Egypte, et restes-y jusqu’à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr » Ce qui est écrit là ne me paraît pas le moins du monde extraordinaire. C’est en songe que l’ange a ainsi parlé à Joseph, comme l’attestent les deux passages de l’Écriture or, la révélation faite en songe à certaines personnes sur la conduite à tenir est arrivée à bien d’autres, que l’âme reçoive des impressions d’un ange ou d’un autre être Qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que, une fois entre dans la nature humaine, Jésus fût également dirigé suivant la conduite humaine pour éviter les dangers, non qu’une autre méthode ait été impossible, mais parce qu’il fallait recourir aux moyens et aux dispositions humaines pour assurer sa sauvegarde. Et même il valait mieux que l’enfant Jésus évitât le complot d’Hérode et partît avec ses parents en Egypte jusqu’à la mort de l’auteur du complot, et que la providence veillant sur Jésus n’empêchât point la liberté d’Hérode de vouloir tuer l’enfant, ou encore ne plaçât autour de Jésus « le casque d’Hades » des poètes ou quelque chose de semblable, ou bien ne frappât comme les gens de Sodome ceux qui venaient le tuer. Car un mode tout à fait extraordinaire et trop éclatant de le secourir eût fait obstacle à son dessein d’enseigner comme un homme recevant de Dieu le témoignage que, dans l’homme paraissant aux regards, il y avait quelque chose de divin ; et c’était au sens propre le Fils de Dieu, Dieu Logos, puissance de Dieu et sagesse de Dieu, celui qu’on appelle le Christ. Mais ce n’est pas le moment de traiter de l’être composé et des éléments dont était formé Jésus fait homme, ce point donnant matière, pour ainsi dire, à un débat de famille entre croyants. LIVRE I
Le Juif continue :” Comment pouvions-nous considérer comme Dieu celui qui, entre autres choses qu’on lui reprochait, n’exécuta rien de ce qu’il promettait; qui, quand nous l’eûmes convaincu, condamné, jugé digne du supplice, alors qu’il se cachait et cherchait la fuite la plus honteuse, fut pris, livré par ceux qu’il nommait ses disciples ? Pourtant il ne lui était pas possible, s’il était Dieu, ni de s’enfuir, ni de se laisser emmener enchaîné; et encore bien moins, s’il était considéré comme le Sauveur, le Fils et l’Envoyé du Dieu très grand, d’être abandonné et trahi par ses compagnons qui avaient partagé en tout point son intimité et le tenaient pour maître.” A quoi je répondrai : nous ne pensons pas non plus que le corps de Jésus, visible alors et perceptible aux sens, est Dieu. Et que dis-je, le corps ? Pas même l’âme, dont il est dit : « Mon âme est triste à en mourir. » Mais, selon la doctrine des Juifs, on croit que c’est Dieu, usant de l’âme et du corps du prophète comme d’un instrument, qui dit : « C’est moi, le Seigneur, Dieu de toute chair », et : « Avant moi aucun Dieu n’a existé, et il n’y en aura pas après moi. » Selon les Grecs, on tient que c’est un dieu qui parle et qu’on entend par l’entremise de la Pythie, et qui déclare : « Je sais le nombre des grains de sable et les dimensions de la mer, je comprends le sourd-muet, j’entends celui qui ne parle pas. » De la même manière selon nous, c’est le Logos Dieu et Fils du Dieu de l’univers qui, en Jésus, disait : « Je suis la voie, la vérité, la vie », « Je suis la porte », « Je suis le pain vivant descendu du ciel » et autres expressions semblables. LIVRE II
Nous reprochons donc aux Juifs de ne l’avoir pas tenu pour Dieu, alors que les prophètes ont souvent attesté qu’il est une grande puissance et un dieu au-dessous du Dieu et Père de l’univers. A lui, disons-nous, dans l’histoire de la création racontée par Moïse, le Père a donné l’ordre : « Que la lumière soit », « Que le firmament soit » et tout le reste dont Dieu a ordonné la venue à l’existence. A lui, il a été dit : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » Et le Logos, l’ordre reçu, a fait tout ce que le Père lui avait commande. Nous le disons en nous fondant non sur des conjectures, mais sur la foi aux prophéties reçues chez les Juifs, ou il est dit en propres termes de Dieu et des choses créées : « Il a dit et les choses furent, il a ordonné et elles furent créées. » Si donc Dieu donna l’ordre et les créatures furent faites, quel pourrait être, dans la perspective de l’esprit prophétique, celui qui fut capable d’accomplir le sublime commandement du Père, sinon Celui qui est, pour ainsi dire, Logos vivant et Vérité ? D’autre part, les Evangiles savent que celui qui dit en Jésus « Je suis la voie, la vérité, la vie » n’est pas circonscrit au point de n’exister en aucune manière hors de l’âme et du corps de Jésus. Cela ressort de nombreux passages dont nous citerons le peu que voici Jean-Baptiste, prophétisant que le Fils de Dieu allait bientôt paraître, sans se trouver seulement dans ce corps et cette âme mais présent partout, dit de lui « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Or s’il avait pensé que le Fils de Dieu est là seulement ou se trouvait le corps visible de Jésus, comment eut-il affirme : « Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas » ? De plus, Jésus lui-même élevé l’intelligence de ses disciples à de plus hautes conceptions du Fils de Dieu, quand il dit : « Là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis présent au milieu d’eux. » Et telle est la signification de sa promesse à ses disciples : « Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Lorsque nous disons cela, nous ne séparons point le Fils de Dieu de Jésus, car c’est un seul être, après l’incarnation, qu’ont formé avec le Logos de Dieu l’âme et le corps de Jésus. Si en effet, selon l’enseignement de Paul qui dit : « Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui », quiconque a compris ce que c’est qu’être uni au Seigneur et s’est uni à lui est un seul esprit avec le Seigneur, de quelle manière bien plus divine et plus sublime le composé dont nous parlions est-il un seul être avec le Logos de Dieu ! Il s’est, de fait, manifesté parmi les Juifs comme « la Puissance de Dieu », et cela par les miracles qu’il accomplit, n’en déplaise à ceux qui le soupçonnent comme Celse de mettre en oevre la sorcellerie, et comme les Juifs d’alors, instruits à je ne sais quelle source sur Béelzébul, de chasser les démons « par Béelzébul prince des démons ». Notre Sauveur les convainquit alors de l’extrême absurdité de leurs dires par le fait que le règne du mal n’avait pas encore pris fin. Ce sera évident à tous les lecteurs sensés du texte évangélique ; il est hors de propos de l’expliquer maintenant. LIVRE II
Qu’est-ce donc que Jésus « a promis » et n’a pas accompli ? Que Celse l’établisse et le prouve ! Mais il en sera bien incapable : pour la raison majeure qu’il croit tirer ses arguments contre Jésus et contre nous soit d’histoires mal comprises, soit même de lectures évangéliques, soit de récits juifs. De plus, puisque le Juif répète : « Nous l’avons convaincu, condamné, jugé digne du supplice », qu’on nous montre comment ceux qui cherchaient à établir de faux témoignages contre lui l’ont convaincu ! A moins peut-être que la grande charge contre Jésus ne fût cette déposition des accusateurs : « Cet homme a affirmé : Je puis détruire le temple de Dieu et le rebâtir en trois jours » ? Mais « il parlait du temple de son corps ». Tandis qu’ils croyaient, ne sachant l’interpréter au sens de son auteur, que le propos concernait le temple de pierre, plus honoré chez les Juifs que Celui qu’il aurait fallu honorer comme le véritable temple du Dieu Logos, de la Sagesse, de la Vérité. Et que l’on dise comment Jésus « s’est caché et a fui de la manière la plus honteuse » ! Qu’on y montre une conduite digne de blâme ! Il affirme encore qu’« il fut pris ». Je pourrais répliquer : si « être pris » implique que c’était contre son gré, Jésus ne fut pas pris. De lui-même, au moment voulu, il ne s’est pas gardé de tomber aux mains des hommes, comme « Agneau de Dieu », afin « d’ôter le péché du monde ». « Alors Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver, s’avança et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! C’est moi ! leur dit-il. Judas, qui le livrait se tenait là avec eux. Quand Jésus leur eut dit : C’est moi ! ils reculèrent et tombèrent à terre. Il leur demanda de nouveau : Qui cherchez-vous ? Ils répondirent : Jésus de Nazareth ! Jésus leur répondit : Je vous ai dit que c’est moi. Si donc c’est moi que vous cherchez, laissez partir ceux-là. » De plus, à celui qui, voulant le secourir, frappa le serviteur du grand-prêtre et lui coupa l’oreille, il dit : « Remets ton glaive au fourreau ; car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. Penses-tu que je ne puisse faire appel à mon Père qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d’anges ? Comment alors s’accompliraient les Écritures, d’après lesquelles il devait en être ainsi ? » Fiction des évangélistes que tout cela, croira-t-on ? Pourquoi la fiction ne serait-elle pas plutôt dans les paroles inspirées par l’hostilité et la haine contre le Christ et les chrétiens, et la vérité, dans le témoignage de ceux qui ont prouvé la sincérité de leur attachement à Jésus en supportant pour ses paroles toutes sortes de peines ? Les disciples de Jésus auraient-ils reçu une telle patience et constance à résister jusqu’à la mort, s’ils avaient été disposés à des inventions mensongères au sujet de leur maître ?… Qu’ils aient été convaincus de la vérité de ce qu’ils ont écrit ressort, avec une évidence manifeste pour tout bon esprit, des cruelles et multiples souffrances qu’ils ont supportées pour celui qu’ils croyaient être Fils de Dieu. LIVRE II
Il accuse ensuite ” les chrétiens d’user de sophismes quand ils disent que le Fils de Dieu est son propre Logos “, et il croît renforcer son accusation en disant que ” tout en proclamant que le Logos est Fils de Dieu, nous présentons au lieu du Logos pur et saint, un homme ignominieusement battu de verges et conduit au supplice “. Sur ce point aussi on a déjà sommairement répondu aux accusations de Celse, en montrant que, premier-né de toute créature, il avait pris un corps et une âme d’homme, que Dieu avait prononcé un ordre sur la multitude des choses qui sont dans le monde, qu’elles avaient été créées, et que Celui qui avait reçu cet ordre était le Dieu Logos. Puisque c’est un Juif qui parle ainsi chez Celse, il sera fort à propos d’utiliser la citation « Il a envoyé son Logos et il les guérit, et il les a tirés de leurs corruptions » Je l’ai rappelée plus haut. Pour ma part, dans mes entretiens avec de nombreux Juifs renommés pour leur science, je n’en ai entendu aucun qui approuvât l’opinion que le Logos fût le Fils de Dieu, comme l’a dit Celse en l’attribuant au personnage du Juif à qui il fait dire ” Si vraiment le Logos est pour vous Fils de Dieu, nous aussi nous approuvons “. J’ai déjà dit que Jésus ne peut être ni arrogant ni charlatan. Aussi n’est-il pas nécessaire d’y revenir, pour éviter de répondre aux redites de Celse par mes propres redites. Mais dans ses critiques de la généalogie, il ne fait nulle mention des recherches existant même chez les chrétiens, ni des griefs que certains tirent de la discordance des généalogies. Celse en effet, cet arrogant véritable qui se vante de tout savoir du christianisme, ne sait pas élever un doute prudent sur l’Écriture. Il déclare ” Quelle présomption de rattacher la généalogie de Jésus au premier homme et aux rois des Juifs “. Et il se figure ajouter un trait d’esprit en disant ” La femme du charpentier, si elle avait été de race si illustre, ne l’eût pas ignore “. Qu’est-ce que cela vient faire dans la question ? Admettons qu’elle ne l’ait pas ignoré quel inconvénient en résulterait-il ? Qu’elle l’ait ignoré au contraire, comment, de ce qu’elle ignorait, conclure qu’elle ne descendait pas du premier homme et que sa race ne remontait point aux rois des Juifs ? Est-il nécessaire, au jugement de Celse, que les pauvres naissent d’ancêtres tous pauvres, ou que les rois naissent des rois ? S’attarder à cet argument me paraît vain, car il est clair que, même de notre temps, des gens plus pauvres que Marie sont issus d’ancêtres riches et glorieux, tandis que des rois et des chefs de nations sont nés de gens fort obscurs. LIVRE II
” Quelle noble action digne d’un Dieu a donc fait Jésus “, dit Celse ? ” A-t-il méprisé les hommes, s’est-il moqué et joué de son malheur ? ” A sa question, même si je pouvais établir l’action noble et le miracle au temps de son malheur, quelle meilleure réponse faire que de citer l’Évangile ? « La terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent, le voile du Temple se déchira en deux du haut en bas, le soleil s’éclipsa et l’obscurité se fit en plein jour. » Mais si Celse croit les Evangiles pour y trouver une occasion d’accuser Jésus et les chrétiens, et ne les croit pas quand ils prouvent la divinité de Jésus, on lui dira : holà, mon brave, ou bien refuse de croire à tout l’ensemble et ne pense pas nous formuler de grief, ou bien crois à tout l’ensemble et admire que le Logos de Dieu se soit fait homme dans le dessein de secourir tout le genre humain. Et c’est un acte noble de Jésus que jusqu’à nos jours soient guéris par son nom ceux que Dieu veut guérir. L’éclipse arrivée au temps de Tibère César sous le règne de qui, semble-t-il, Jésus a été crucifié, et les grands tremblements de terre alors survenus, Phlégon aussi les a notés dans le treizième ou le quatorzième chapitre, je crois, de ses ” Chroniques “. Le Juif de Celse qui croit railler Jésus est présenté comme s’il connaissait ” le mot de Bacchus chez Euripide: Le dieu lui-même me délivrera quand je voudrai “. Les Juifs pourtant ne s’occupent guère de littérature grecque. Mais admettons qu’il y ait eu un Juif ainsi ami des lettres. Comment donc, si Jésus ne s’est pas délivré lui-même de ses liens, ne pouvait-il pas le faire ? Qu’il croie plutôt, d’après mes Ecritures, que Pierre lui aussi, enchaîné en prison, en sortit quand un ange eût détaché ses liens, et que Paul, mis aux ceps avec Silas à Philippes de Macédoine, fut délié par une puissance divine au moment ou s’ouvrirent les portes de la prison. Mais probablement Celse rit de l’histoire, ou il ne l’a pas lue du tout, sinon il s’aviserait de répondre que des sorciers aussi par leurs incantations brisent les chaînes et font ouvrir les portes, afin d’assimiler à des actes de sorcellerie les événements rapportés parmi nous. LIVRE II
Mais comment n’est-ce pas un mensonge flagrant que l’assertion du Juif de Celse : ” De toute sa vie, n’ayant persuadé personne, pas même ses disciples, il fut châtié et endura ces souffrances ! ” Car d’où vient la haine excitée contre lui par les grands-prêtres, les anciens et les scribes, sinon de ce que les foules étaient persuadées de le suivre jusqu’aux déserts, conquises non seulement par la logique de ses discours, toujours adaptés à ses auditeurs, mais encore par ses miracles qui frappaient d’étonnement ceux qui ne croyaient pas à la logique de son discours ? Comment n’est-ce pas un mensonge flagrant de dire qu’il ne persuada pas même ses disciples. Ils ont bien ressenti alors une lâcheté tout humaine, car ils n’étaient pas encore d’un courage éprouvé, mais sans toutefois se départir de leur conviction qu’il était le Christ. Car Pierre, aussitôt après son reniement, eut conscience de la gravité de sa chute, et «sortant dehors, il pleura amèrement» » ; les autres, bien que frappés de découragement à son sujet, car ils l’admiraient encore, furent affermis par son apparition à croire qu’il était Fils de Dieu d’une foi encore plus vive et plus ferme qu’auparavant. Par un sentiment indigne d’un philosophe, Celse imagine que la supériorité de Jésus sur les hommes ne consistait pas dans sa doctrine du salut et la pureté de ses moers. Il aurait dû agir contrairement au caractère du rôle qu’il avait assumé : ayant assumé une nature mortelle, il aurait dû ne pas mourir ; ou il devait mourir, mais non d’une mort qui pût servir d’exemple aux hommes : car cet acte leur apprendrait à mourir pour la religion, et à en faire hardiment profession en face de ceux qui sont dans l’erreur en matière de piété et d’impiété et qui tiennent les gens pieux pour très impies, et pour très pieux ceux qui, fourvoyés dans leurs idées sur Dieu, appliquent à tout plutôt qu’à Dieu la juste notion qu’ils ont de lui ; et leur erreur est au comble quand ils massacrent avec fureur ceux qui, saisis par l’évidence de l’unique Dieu suprême, se sont consacrés de toute leur âme jusqu’à la mort. Celse met dans la bouche du Juif un autre reproche contre Jésus :” Il ne s’est pas montré pur de tout mal.” De quel mal Jésus ne s’est-il pas montré pur ? Que le lettré de Celse le dise ! S’il entend que Jésus ne s’est pas montré pur du mal au sens strict, qu’il fasse clairement la preuve d’un acte mauvais accompli par lui ! Si, au contraire, il entend par mal la pauvreté, la croix, la conspiration d’hommes insensés, il est évident qu’on peut dire que du mal est arrivé aussi à Socrate, qui n’a pas pu prouver qu’il était pur de ce mal. Mais qu’il est nombreux chez les Grecs le choeur des philosophes qui furent pauvres et d’une pauvreté volontairement choisie ! La plupart des Grecs le connaissent par leurs histoires : Démocrite laissa son bien abandonné en pâturage aux brebis ; Cratès se libéra en gratifiant les Thébains de l’argent que lui avait procuré la vente de tout ce qu’il possédait ; de plus, Diogène, par exagération de pauvreté, vivait dans un tonneau, et nulle personne d’intelligence même modérée n’en conclut que Diogène vivait dans le mal. De plus, puisque Celse veut que ” Jésus n’ait pas même été irréprochable,” c’est à lui de montrer lequel de ceux qui ont adhéré à sa doctrine a rapporté de Jésus quoi que ce soit de vraiment répréhensible. Ou bien, si ce n’est pas d’après eux qu’il l’accuse d’être répréhensible, qu’il montre d’après quelle source il a pu dire qu’il n’était pas irréprochable. Jésus a tenu ses promesses en faisant du bien à ceux qui se sont attachés à lui. Et en voyant sans cesse accomplis les événements qu’il avait prédits avant qu’ils arrivent, l’Évangile prêché dans le monde entier, ses disciples partis annoncer sa doctrine à toutes les nations, en outre, leur procès devant gouverneurs et rois sans autre motif que son enseignement, nous sommes remplis d’admiration pour lui et nous fortifions chaque jour notre foi en lui. Mais je ne sais pas de quelles preuves plus fortes et plus évidentes Celse voudrait qu’il ait confirmé ses prédictions ; à moins peut-être qu’ignorant, à ce qu’il semble, que le Logos est devenu l’homme Jésus, il eût voulu qu’il n’éprouvât rien d’humain et ne devînt pas pour les hommes un noble exemple de la manière de supporter l’adversité. Mais peut-être celle-ci apparaît-elle à Celse lamentable et des plus répréhensibles, puisqu’il regarde la peine comme le plus grand des maux et le plaisir comme le bien parfait : ce qui n’est accepté par aucun des philosophes qui admettent la Providence, et qui conviennent que le courage est une vertu ainsi que l’endurance et la grandeur d’âme. Ainsi, par les souffrances qu’il a supportées, Jésus n’a pas discrédité la foi en sa personne, mais il l’a fortifiée plutôt dans ceux qui veulent admettre le courage, et dans ceux qui ont appris de lui que la vie heureuse au sens propre et véritable n’est point ici-bas, mais dans ce qu’il appelle « le siècle à venir », tandis que la vie dans « le siècle présent » est un malheur, la première et la plus grande lutte à mener par l’âme. LIVRE II
A ce propos, je dirai encore aux gens mieux disposés et surtout au Juif . « il y avait beaucoup de lépreux aux jours d’Elisée le prophète, et aucun d’eux ne fut guéri, mais bien Naaman le Syrien », « il y avait beaucoup de veuves aux jours d’Élie le prophète, il ne fut envoyé a aucune d’entre elles, mais bien a celle de Sarepta au pays de Sidon », rendue digne, d’après une décision divine, du prodige que le prophète accomplit sur les pains , de même il y avait beaucoup de morts aux jours de Jésus, mais seuls ressuscitèrent ceux que le Logos a jugé convenable de ressusciter , afin que les miracles du Seigneur, non seulement soient des symboles de certaines ventes, mais qu’ils attirent sur-le-champ beaucoup d’hommes a l’admirable enseignement de l’Évangile. J’ajouterai que, selon la promesse de Jésus, les disciples ont accompli des oevres plus grandes que les miracles sensibles qu’accomplit Jésus. Car c’est continuellement que s’ouvrent les yeux des aveugles spirituels, et les oreilles des gens sourds aux discours sur la vertu écoutent avec empressement les enseignements sur Dieu et la vie bienheureuse près de lui. De plus, beaucoup, qui étaient boiteux en ce que l’Écriture appelle « l’homme intérieur », maintenant guéris par la doctrine, bondissent, non pas au sens propre, mais « à l’instar du cerf » animal ennemi des serpents et immunisé contre tout venin des vipères. Oui, ces boiteux guéris reçoivent de Jésus le pouvoir de passer, dans leur marche autrefois claudicante, sur « les serpents et les scorpions » du vice, et d’un mot, sur « toute la puissance de l’ennemi » ; ils les foulent aux pieds et n’en éprouvent aucun mal, car eux aussi ont été immunisés contre toute malice et venin des démons. LIVRE II
Et ne t’étonne pas que les foules qui ont cru en Jésus n’aient pas toutes vu sa résurrection, puisque Paul écrit aux Corinthiens comme si la pluralité d’aspects dépassait leur capacité : « J’ai décidé de ne rien savoir parmi vous que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. » Ou encore, de même sens : « Vous ne pouviez encore le supporter. Mais vous ne le pouvez pas davantage à présent, car vous êtes encore charnels. » Ainsi donc le Logos, qui fait toutes choses selon un discernement divin, a écrit que Jésus avant sa passion apparaissait sans restriction aux foules, quoiqu’il ne le fît pas sans cesse ; tandis qu’après sa passion il ne se manifestait plus de la même manière, mais avec un discernement qui donnait à chacun sa juste mesure. Et de même qu’il est écrit que « Dieu apparut à Abraham » ou à l’un des saints, que cette apparition n’avait pas lieu sans cesse mais par intervalles, et qu’il n’apparaissait point à tous, ainsi je pense que le Fils de Dieu mit à apparaître aux siens le même discernement que Dieu mit à apparaître à ceux-là. LIVRE II
De plus, je pourrais dire à ceux qui croient qu’en ces matières le Juif de Celse fait à Jésus de justes griefs : il y a dans le Lévitique et le Deutéronome un grand nombre d’imprécations ; dans la mesure où le Juif les défendra en avocat de l’Écriture, dans cette même mesure ou mieux encore, nous défendrons ces prétendues invectives et menaces de Jésus. Bien plus, de la loi de Moïse elle-même nous pourrons présenter une meilleure défense que celle du Juif, pour avoir appris de Jésus à comprendre plus intelligemment que lui les textes de la loi. En outre, si le Juif a vu le sens des discours prophétiques, il pourra montrer que Dieu n’use pas à la légère de menaces et d’invectives, quand il dit : « Malheur, Je vous prédis », et comment Dieu a pu employer pour la conversion des hommes ces expressions, qu’au jugement de Celse n’imaginerait même pas un homme de bon sens. Mais les chrétiens aussi, sachant que le même Dieu parle par les prophètes et par le Seigneur, prouveront le caractère raisonnable de ce que Celse juge des menaces et nomme des invectives. On fera sur la question une courte réplique à Celse qui se vante d’être philosophe et de savoir nos doctrines : Comment, mon brave, quand Hermès dans Homère dit à Ulysse : « Pourquoi donc, malheureux, t’en vas-tu seul le long de ces coteaux ? » tu supportes qu’on le justifie en disant qu’Hermès chez Homère interpelle Ulysse de la sorte pour le ramener au devoir ? car les paroles flatteuses et caressantes sont le fait des Sirènes, près de qui s’élève « tout autour un tas d’ossements », elles qui disent : « Viens ici, viens à nous, Ulysse tant vanté, l’honneur de l’Achaïe. » ? Mais lorsque mes prophètes et Jésus même, pour convertir les auditeurs, disent : « Malheur à vous ! » et ce que tu prends pour des invectives, ils ne s’adaptent point à la capacité des auditeurs par ces expressions, et ne leur appliquent pas cette manière de parler comme un remède de Péon ? A moins peut-être que tu ne veuilles que Dieu, ou Celui qui participe à la nature divine, conversant avec les hommes, n’ait en vue que les intérêts de sa nature et le respect qu’on lui doit, sans plus considérer ce qu’il convient de promettre aux hommes gouvernés et conduits par son Logos et de proposer à chacun d’une manière adaptée à son caractère fondamental ? De plus, comment n’est-elle pas ridicule cette impuissance à persuader qu’on attribue à Jésus ? Car elle s’applique aussi, non seulement au Juif qui a beaucoup d’exemples de ce genre dans les prophéties, mais encore aux Grecs : parmi eux, chacun de ceux que leur sagesse a rendus célèbres auraient été impuissants à persuader les conspirateurs, les juges, les accusateurs de quitter la voie du vice pour suivre, par la philosophie, celle de la vertu. LIVRE II
Ensuite, à propos des pratiques des Égyptiens, qui parlent avec respect même des animaux sans raison et affirment qu’ils sont des symboles de la divinité, ou quelque titre qu’il plaise à leurs prophètes de leur donner, il dit : Elles provoquent chez ceux qui ont acquis ce savoir l’impression que leur initiation ne fut pas vaine. Quant aux vérités que nous présentons à ceux qui ont une connaissance approfondie du christianisme dans nos discours faits sous l’influence de ce que Paul appelle « don spirituel », dans le discours de sagesse « grâce à l’Esprit », dans le discours de science « selon l’Esprit» », Celse semble n’en avoir pas la moindre idée. On le voit non seulement d’après ce qu’il vient de dire, mais encore d’après le trait qu’il lance plus tard contre la société des chrétiens quand il dit qu’ils excluent tout sage de la doctrine de leur foi, mais se bornent à inviter les ignorants et les esclaves ; ce que nous verrons en son temps, en arrivant au passage. Il affirme même que nous nous moquons des Égyptiens. Cependant, ils proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, puisqu’ils enseignent que ce sont là des hommages rendus non à des animaux éphémères, comme le pense la foule, mais à des idées éternelles. Tandis que c’est une sottise de n’introduire dans les explications sur Jésus rien de plus vénérable que les boucs ou les chiens de l’Egypte. A quoi je répondrai : tu as raison, mon brave, de relever dans ton discours que les Égyptiens proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, et des explications obscures sur leurs animaux ; mais tu as tort de nous accuser dans ta persuasion que nous ne disons que de méprisables sottises quand nous discutons en détail les mystères de Jésus, selon la sagesse du Logos, avec ceux qui sont parfaits dans le christianisme. Paul enseigne que de telles gens sont capables de comprendre la sagesse du christianisme quand il dit : « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits, mais non d’une sagesse de ce siècle, ni des princes de ce siècle, qui vont à leur perte. Nous parlons au contraire d’une sagesse de Dieu, ensevelie dans le mystère, dès avant les siècles fixée par Dieu pour notre gloire, et qu’aucun des princes de ce siècle n’a connue. » LIVRE III
Je ne parle point encore d’un examen approfondi de tout le texte des Évangiles. Chacun d’eux renferme une doctrine complexe et difficile à pénétrer, non seulement par la foule, mais encore par des gens avisés : par exemple l’explication des paraboles que Jésus raconte à ceux « de l’extérieur », réservant leur claire signification à ceux qui ont dépassé le stade des enseignements exotériques et s’approchent de lui en particulier « dans la maison ». On sera dans l’admiration en comprenant pourquoi certains sont dits « à l’extérieur » et d’autres « dans la maison ». Quelle émotion aussi pour qui est capable de considérer les divers aspects de Jésus, quand il gravit la montagne pour certains discours ou certaines actions, ou pour sa transfiguration, ou lorsque, en bas, il guérit les malades qui ne peuvent monter là où ses disciples le suivent. Mais il n’y a pas lieu d’exposer ici ce que les Évangiles ont de véritablement vénérable et divin, ni la pensée du Christ, c’est-à-dire de la Sagesse et du Logos, manifestée chez Paul. Voilà qui suffit pour répondre à la raillerie de Celse, indigne d’un philosophe, qui ose assimiler les plus profonds mystères de l’Église de Dieu aux chats, aux singes, aux crocodiles, aux boucs et aux chiens de l’Egypte. LIVRE III
Les Égyptiens, formés au culte d’Antinoos, supporteraient qu’on lui compare Apollon ou Zeus, car c’est l’honorer que le mettre au même rang. Il y a donc, pour Celse, un mensonge manifeste à dire : Ils ne supporteraient pas qu’on lui compare Apollon ou Zeus. Les chrétiens ont appris que la vie éternelle consistait pour eux à connaître « le seul véritable Dieu » suprême, et « Celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ » ; ils savent que « tous les dieux des païens sont des démons » avides, rôdant autour des victimes, du sang et des exhalaisons des sacrifices, pour tromper ceux qui ne cherchent pas refuge auprès du Dieu suprême ; ils savent que les anges de Dieu, au contraire, divins et saints, sont de tout autre nature et caractère que les démons de la terre, et sont connus du très petit nombre de ceux qui ont fait de la question une étude intelligente et approfondie : ils ne supporteraient pas une telle comparaison avec Apollon, Zeus, ou tout autre qu’on adore par le fumet de la graisse, le sang et les victimes. Certains dans leur grande simplicité ne savent pas rendre raison de leur conduite, bien qu’ils gardent judicieusement le dépôt qu’ils ont reçu. Mais d’autres le font avec des raisons non pas insignifiantes mais profondes ou, dirait un Grec, ésotériques et époptiques. Elles contiennent une ample doctrine sur Dieu, sur les êtres auxquels Dieu fait l’honneur, par son Logos, Fils unique de Dieu, de participer à sa divinité et par le fait même à son nom ; une ample doctrine également sur les anges divins et sur ceux qui sont ennemis de la vérité pour s’être trompés et, par suite de leur erreur, se sont proclamés dieux, anges de Dieu, bons démons, héros qui doivent leur existence à la métamorphose de bonnes âmes humaines. Ces chrétiens établiront aussi que, comme en philosophie beaucoup se figurent être dans le vrai pour s’être laissés abuser par des raisons spécieuses ou avoir adhéré avec précipitation aux raisons, présentées ou découvertes par d’autres, de même parmi les âmes sorties des corps, les anges et les dénions, certains furent entraînés pour des raisons spécieuses à se proclamer dieux. Et parce que ces doctrines, chez les hommes, ne peuvent être découvertes avec une parfaite exactitude, il a été jugé sûr pour l’homme de ne se confier à personne comme à Dieu, sauf au seul Jésus-Christ modérateur suprême qui a contemplé ces très profonds secrets, et les communique à un petit nombre. LIVRE III
Il revient ensuite au reproche sur Jésus : Bien qu’il soit formé d’un corps mortel, nous le croyons Dieu, en quoi nous jugeons faire un acte de piété. Inutile de répondre encore à l’objection, car on l’a déjà fait plus haut tout au long. Cependant les critiques doivent savoir que Celui que nous croyons avec conviction être dès l’origine Dieu et Fils de Dieu est, par le fait, le Logos en personne, la Sagesse en personne, la Vérité en personne. Et nous affirmons que son corps mortel et l’âme humaine qui l’habite, ont acquis la plus haute dignité non seulement par l’association, mais encore par l’union et le mélange avec Lui et que, participant à sa divinité, ils ont été transformés en Dieu. Est-on choqué de cette affirmation même à propos de son corps? Qu’on se réfère aux affirmations des Grecs sur la matière : à proprement parler dépourvue de qualités, elle est revêtue des qualités dont il plaît au Créateur de l’entourer, et fréquemment, elle abandonne ses qualités antérieures pour en recevoir d’autres supérieures et différentes. S’il y a là une vue saine, quoi d’étonnant que par la Providence de Dieu qui en décrète ainsi, la qualité mortelle du corps de Jésus ait été changée en une qualité éthérée et divine ? LIVRE III
Mais le Logos entend que nous soyons sages, et on peut le montrer soit par les anciennes Écritures juives dont nous gardons l’usage, soit aussi par celles qui sont postérieures à Jésus dont les églises reconnaissent l’inspiration divine. Or il est écrit, au cinquantième psaume, que David dit dans sa prière à Dieu : « Tu m’as révélé les secrets et les mystères de ta sagesse. » Et en lisant les psaumes, on trouve ce livre rempli d’un grand nombre de sages doctrines. De plus, Salomon demanda et obtint la sagesse ; et de sa sagesse, on peut reconnaître les marques dans ses écrits, quand il enferme en peu de mots une grande profondeur de pensée : on y trouverait, entre autres, nombre d’éloges de la sagesse et d’exhortations sur le devoir de l’acquérir. Et telle était même la sagesse de Salomon que la reine de Saba, ayant appris sa « renommée et la renommée du Seigneur », vint « le mettre à l’épreuve en lui posant des énigmes. Elle lui dit tout ce qui était dans son coer. Et Salomon répondit à toutes ses questions ; et il n’y eut pas une question qui resta cachée au roi, sur laquelle il ne lui fournit de réponse. La reine de Saba vit toute la sagesse de Salomon » et toutes ses ressources. « Et hors d’elle-même, elle dit au roi : C’est donc la vérité que j’ai entendu dire dans mon pays sur toi et sur ta sagesse ; je n’ai pas voulu y croire quand on m’en faisait part, avant de venir et de voir de mes yeux. Et voici qu’on ne m’en avait pas dit la moitié. Tu surpasses en sagesse et en magnificence tout ce que j’ai appris par ouï-dire. » Et justement il est écrit de lui : « Dieu donna à Salomon une intelligence et une sagesse extrêmement grandes, et un coer aussi vaste que le sable du rivage de la mer. Et la sagesse de Salomon surpassait de beaucoup l’intelligence de tous les anciens et de tous les sages d’Egypte. Il fut plus sage que tous les hommes, plus sage que Gétan l’Ezrahite, et qu’Emad, Chalcad, Aradab, fils de Mad. Il était renommé dans toutes les nations d’alentour. Salomon prononça trois mille paraboles, et ses cantiques étaient au nombre de cinq mille. Il a parlé des plantes, depuis le cèdre du Liban jusqu’à l’hysope qui se fraye un chemin dans la muraille. Il a parlé des poissons comme du bétail. Tous les peuples venaient entendre la sagesse de Salomon, et on venait de la part de tous les rois de la terre qui avaient entendu parler de sa sagesse. » LIVRE III
Le Logos entend si bien qu’il y ait des sages parmi les croyants, que pour exercer l’intelligence des auditeurs, il a exprimé certaines vérités sous forme d’énigmes, d’autres en « discours obscurs », d’autres en paraboles, d’autres en questions. C’est l’aveu même de l’un des prophètes, Osée, à la fin de son livre : « Qui est sage et comprendra ces paroles? Qui est intelligent et les pénétrera ? » Et Daniel et ses compagnons de captivité progressèrent si bien dans les sciences pratiquées à Babylone par les sages de la cour royale, qu’ils se montrèrent « dix fois » supérieurs à eux tous. Il est dit également, dans Ézéchiel, au prince de Tyr qui s’enorgueillissait de sa sagesse : « N’es-tu pas plus sage que Daniel ? Tout secret ne t’a-t-il pas été montré ? » LIVRE III
De plus il est probable que les paroles de Paul dans la Première aux Corinthiens, Grecs fort enflés de la sagesse grecque, ont conduit certains à croire que le Logos exclut les sages. Que celui qui aurait cette opinion comprenne bien. Pour blâmer des méchants, le Logos déclare qu’ils ne sont pas des sages relativement à l’intelligible, l’invisible, l’éternel, mais parce qu’ils ne s’occupent que du sensible, à quoi ils réduisent toutes choses, ils sont des sages de ce monde. De même, dans la multitude des doctrines, celles qui, prenant parti pour la matière et les corps, soutiennent que toutes les réalités fondamentales sont des corps, qu’en dehors d’eux il n’existe rien d’autre, ni « invisible », ni « incorporel », le Logos les déclare « sagesse de ce monde », vouée à la destruction, frappée de folie, sagesse de ce siècle. Mais il déclare « sagesse de Dieu » celles qui élèvent l’âme des choses d’ici-bas au bonheur près de Dieu et à « son Règne », qui enseignent à mépriser comme transitoire tout le sensible et le visible, à chercher avec ardeur l’invisible et tendre à ce qu’on ne voit pas. Et parce qu’il aime la vérité, Paul dit de certains sages grecs, pour les points où ils sont dans le vrai : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâces. » Il rend témoignage à leur connaissance de Dieu. Il ajoute qu’elle ne peut leur venir sans l’aide de Dieu, quand il écrit : « Car Dieu le leur a manifesté. » Il fait allusion, je pense, à ceux qui s’élèvent du visible à l’invisible, quand il écrit : « Les oevres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit, et son éternelle puissance et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâce. » Mais il a un autre passage : « Aussi bien, frères, considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de vil et qu’on méprise, Dieu l’a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est ; afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant lui. » Et peut-être à cause de ce passage, certains furent-ils incités à croire qu’aucun homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ne s’adonne à la doctrine. A quoi je répondrai : on ne dit pas « aucun sage selon la chair », mais « pas beaucoup de sages selon la chair ». Et il est clair que, parmi les qualités caractéristiques des « évêques », quand il écrit ce que doit être l’évêque, Paul a fixé celle de didascale, en disant : il faut qu’il soit capable « de réfuter aussi les contradicteurs », afin que, par la sagesse qui est en lui, il ferme la bouche aux vains discoureurs et aux séducteurs. Et de même qu’il préfère pour l’épiscopat un homme marié une seule fois à l’homme deux fois marié, « un irréprochable » à qui mérite reproche, « un sobre » à qui ne l’est pas, « un tempérant » à l’intempérant, « un homme digne » à qui est indigne si peu que ce soit, ainsi veut-il que celui qui sera préféré pour l’épiscopat soit capable d’enseigner et puisse « réfuter les contradicteurs ». Comment donc Celse peut-il raisonnablement nous attaquer comme si nous disions : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Au contraire : Qu’il vienne l’homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ! Et qu’il vienne de même, celui qui est ignorant, insensé, inculte, petit enfant ! Car le Logos, s’ils viennent, leur promet la guérison, et rend tous les hommes dignes de Dieu. LIVRE III
Il est également faux que les maîtres de la divine doctrine ne veuillent convaincre que les gens niais, vulgaires, stupides : esclaves, bonnes femmes et jeunes enfants. Même eux, le Logos les appelle pour les améliorer ; mais il appelle aussi ceux qui leur sont bien supérieurs : car le Christ est « Sauveur de tous les hommes, et surtout des croyants », qu’ils soient intelligents ou simplets, « il est victime de propitiation devant son Père pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres mais pour ceux du monde entier ». Il est dès lors superflu de vouloir répondre à ces paroles de Celse : D’ailleurs, quel mal y a-t-il donc à être cultivé, à s’être appliqué aux meilleures doctrines, à être prudent et à le paraître ? Est-ce un obstacle à la connaissance de Dieu ? Ne serait-ce pas plutôt une aide et un moyen plus efficace de parvenir à la vérité ? Assurément, il n’y a pas de mal à être réellement cultivé : car la culture est le chemin vers la vertu. Cependant, compter au nombre des gens cultivés ceux qui professent des doctrines erronées, les sages mêmes de la Grèce n’y souscriraient pas. Par ailleurs, qui ne reconnaîtrait que c’est un bien de s’être appliqué aux meilleures doctrines? Mais qu’appellerons-nous les meilleures doctrines, sinon celles qui sont vraies et invitent à la vertu ? De plus, s’il est bien d’être prudent, ce ne l’est plus de le paraître, comme l’a dit Celse. Et loin d’être un obstacle à la connaissance de Dieu, c’est une aide que d’être cultivé, de s’être appliqué aux meilleures doctrines, d’être prudent. Plutôt qu’à Celse, c’est à nous qu’il revient de le dire, surtout si on le convainc d’épicurisme. LIVRE III
Car il est écrit dans la lettre de notre Paul aux Corinthiens, Grecs dont les moers n’étaient pas encore purifiées : « C’est du lait que je vous ai donné à boire et non une nourriture solide, vous ne pouviez pas encore la supporter. Et vous ne le pouvez pas encore à présent, car vous êtes encore charnels. Du moment qu’il y a parmi vous jalousie et dispute, n’êtes-vous pas charnels et votre conduite n’est-elle pas tout humaine ? » Et ce même apôtre, sachant que certaines vérités sont la nourriture de l’âme avancée en perfection, et que d’autres, celles des néophytes, sont comparables au lait des petits enfants, déclare : « Et vous en êtes venus à avoir besoin de lait, non de nourriture solide. De fait, quiconque en est encore au lait ignore la doctrine de justice : ce n’est qu’un petit enfant. La nourriture solide est pour les parfaits, ceux qui, par l’habitude ont le sens moral exercé au discernement du bien et du mal. » Dès lors, ceux qui croient à la beauté de ces paroles supposeraient-ils qu’on ne traiterait jamais des beaux mystères du Logos dans une assemblée d’hommes prudents, mais que, si on apercevait des adolescents, une foule d’esclaves, un rassemblement d’imbéciles, on irait y proposer en public les mystères divins et vénérables, et en faire étalage devant de tels spectateurs? Au contraire, à scruter tout le dessein de nos Écritures, il est bien clair que, partageant la haine de la grossière populace pour la race des chrétiens, Celse profère sans examen de tels mensonges. LIVRE III
Nous avouons notre désir d’instruire tous les hommes de la parole de Dieu, malgré la négation de Celse, au point de vouloir communiquer aux adolescents l’exhortation qui leur convient, et indiquer aux esclaves comment ils peuvent, en recevant un esprit de liberté, être ennoblis par le Logos. Nos prédicateurs du christianisme déclarent hautement qu’ils se doivent « aux Grecs comme aux barbares, aux savants comme aux ignorants » : ils ne nient point qu’il faille guérir même l’âme des ignorants, afin que, déposant leur ignorance autant que possible, ils s’efforcent d’acquérir une meilleure intelligence, pour obéir aux paroles de Salomon : « Vous les sots, reprenez coer » ; « Que le plus sot d’entre vous se tourne vers moi ; à qui est dépourvu d’intelligence, j’ordonne, moi, la sagesse » ; « Venez, mangez de mon pain, buvez du vin que je vous ai préparé, quittez la sottise et vous vivrez, redressez votre intelligence dans la science. » Et sur ce point je pourrais ajouter en réponse au propos de Celse : Est-ce que les philosophes n’invitent pas les adolescents à les entendre ? N’exhortent-ils pas les jeunes gens à quitter une vie déréglée pour les biens supérieurs ? Mais quoi, ne veulent-ils pas que des esclaves vivent en philosophes? Allons-nous donc, nous aussi, reprocher aux philosophes d’avoir conduit des esclaves à la vertu, comme fit Pythagore pour Zamolxis, Zénon pour Persée et, hier ou avant-hier, ceux qui ont conduit Epictète à la philosophie ? Ou alors vous sera-t-il permis, ô Grecs, d’appeler à la philosophie des adolescents, des esclaves, des sots, tandis que, pour nous, ce serait manquer d’humanité de le faire, quand, en leur appliquant le remède du Logos, nous voulons guérir toute nature raisonnable, et l’amener à la familiarité avec Dieu Créateur de l’univers? Voilà qui suffisait pour répondre aux paroles de Celse, qui sont des injures plus que des critiques. LIVRE III
Puis, sentant bien qu’il nous avait injuriés avec trop d’aigreur, et comme pour s’excuser, il poursuit : Je n’accuse pas avec plus d’aigreur que la vérité ne m’y contraint, qu’on veuille bien en accepter cette preuve. Ceux qui appellent aux autres initiations proclament: « Quiconque a les mains pures et la langue avisée », et d’autres encore : « Quiconque est pur de toute souillure, dont l’âme n’a conscience d’aucun mal, et qui a bien et justement vécu »: voilà ce que proclament ceux qui promettent la purification des péchés. Ecoulons, au contraire, quels hommes appellent ces chrétiens : « Quiconque est pécheur, quiconque faible d’esprit, quiconque petit enfant, bref quiconque est malheureux, le Royaume de Dieu le recevra. » Or, par pécheur, n’entendez-vous pas l’injuste, le voleur, le perceur de murailles, l’empoisonneur, le pilleur de temples, le violateur de tombeaux ? Quels autres un brigand appellerait-il dans sa proclamation ? Voici notre réponse : ce n’est pas la même chose d’appeler les malades de l’âme à la santé, et les bien portants à la connaissance et à la science de choses divines. Nous aussi, nous savons établir cette distinction. Au début, invitant les hommes à la guérison, nous exhortons les pécheurs à venir aux doctrines qui enseignent à éviter le péché, les faibles d’esprit aux doctrines qui affinent l’intelligence, les petits enfants à s’élever jusqu’à des sentiments virils, bref, les malheureux au bonheur, plus précisément à la béatitude. Et quand, parmi ceux que nous exhortons, les progressants se montrent purifiés par le Logos, menant autant que possible une vie meilleure, alors nous les appelons à l’initiation parfaite, « car nous parlons sagesse parmi les parfaits ». LIVRE III
Comme nous enseignons : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, et n’habitera pas dans un corps tributaire du péché », nous disons aussi : « Quiconque a les mains pures » et, pour cette raison, élève vers Dieu « des mains innocentes », et parce qu’offrant des sacrifices sublimes et célestes, peut dire : « L’élévation de mes mains est un sacrifice du soir » : qu’il vienne à nous ! Quiconque a la langue avisée, parce qu’il médite « jour et nuit » la loi du Seigneur, et que « ses facultés ont été formées par la pratique au discernement du bien et du mal », qu’il ne craigne pas d’en venir aux solides nourritures spirituelles qui conviennent aux athlètes de la piété et de toutes les vertus. Et comme « la grâce de Dieu est avec tous ceux qui aiment d’un amour incorruptible » le Maître qui enseigne l’immortalité, quiconque a les mains pures, non seulement de toute souillure, mais encore des fautes regardées comme plus légères, qu’il se fasse hardiment initier aux mystères de la religion de Jésus, qui ne sont raisonnablement transmis qu’aux saints et aux purs. Le myste de Celse peut dire : Que celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal vienne ; mais celui qui, selon Jésus, conduit les initiés à Dieu, dira à ceux dont l’âme est purifiée : Celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal depuis longtemps, et surtout depuis qu’il est venu se faire guérir par le Logos, que celui-là entende aussi ce que Jésus a découvert en particulier à ses véritables disciples. Ainsi donc, dans le contraste qu’il établit entre l’initiation des Grecs et celle que donnent les maîtres de la doctrine de Jésus, Celse n’a pas vu la différence entre l’appel des méchants à la guérison de leurs âmes et l’appel des hommes déjà très purs à de plus profonds mystères. LIVRE III
Ce n’est donc pas aux mystères et à la participation de la sagesse « mystérieuse et demeurée cachée que, dès avant les siècles, Dieu a par avance destinée pour la gloire » de ses justes, que nous appelons l’injuste, le voleur, le perceur de murailles, l’empoisonneur, le pilleur de temples, le violateur de tombeaux, ni tous les autres que par amplification peut y joindre Celse ; mais, c’est à la guérison. Il y a dans la divinité du Logos des aspects qui aident à guérir les malades dont il parle : « Les bien portants n’ont pas besoin de médecins, mais les malades » ; il y en a d’autres qui découvrent à ceux qui sont purs de corps et d’esprit « la révélation du mystère, enveloppé de silence aux siècles éternels, mais aujourd’hui manifesté tant par les écrits des prophètes que par l’apparition de Notre Seigneur Jésus-Christ » qui se manifeste à chacun des parfaits, illuminant leur esprit pour une connaissance véridique des réalités. Mais, comme, amplifiant ses griefs contre nous, il termine son énumération de vauriens par ce trait : « Quels autres un brigand appellerait-il dans sa proclamation ? », je répliquerai : un brigand appelle bien de tels individus pour utiliser leur perversité contre les hommes qu’il veut tuer et dépouiller ; mais le chrétien, en appelant les mêmes individus que le brigand, leur lance un appel différent, pour bander leurs blessures par le Logos, et verse dans l’âme enflammée de maux les remèdes du Logos qui, comme le vin, l’huile, le lait, et les autres médicaments, soulagent l’âme. Il calomnie ensuite nos exhortations orales ou écrites à ceux qui ont mal vécu, les appelant à se convertir et à réformer leur âme, et il assure que nous disons : Dieu a été envoyé aux pécheurs. C’est à peu près comme s’il reprochait à certains de dire : c’est pour les malades habitant dans la ville qu’un médecin y a été envoyé par un roi plein d’humanité. Or « le Dieu Logos a été envoyé », médecin « aux pécheurs », maître des divins mystères à ceux qui, déjà purs, ne pèchent plus. Mais Celse, incapable de faire la distinction – car il n’a pas voulu approfondir -, objecte : Pourquoi n’a-t-il pas été envoyé à ceux qui sont sans péché ? Quel mal y a-t-il à être sans péché ? A quoi je réplique : si par ceux qui sont sans péché il veut dire ceux qui ne pèchent plus, notre Sauveur Jésus leur a été envoyé à eux aussi, mais non comme un médecin ; mais si par ceux qui sont sans péché il entend ceux qui n’ont jamais péché – car il n’y a pas de distinction dans son texte -, je dirai qu’il est impossible qu’il y ait dans ce sens un homme sans péché, à l’exception de l’homme que l’esprit discerne en Jésus, « qui n’a pas commis de péché ». Méchamment donc, Celse nous attribue l’affirmation : Que l’injuste s’humilie dans le sentiment de sa misère, Dieu l’accueillera ; mais que le juste dans sa vertu originelle lève les yeux vers lui, il refusera de l’accueillir. Nous soutenons en effet qu’il est impossible qu’un homme dans sa vertu originelle lève les regards vers Dieu. Car la malice existe nécessairement d’abord dans l’homme, comme le dit Paul : « Le précepte est venu, le péché a pris vie, et moi, je suis mort. » De plus, nous n’enseignons pas qu’il suffise à l’injuste de s’humilier dans le sentiment de sa misère pour être accueilli par Dieu, mais que s’il se condamne lui-même pour ses actes antérieurs, et s’il s’avance humble pour le passé, rangé pour l’avenir, Dieu l’accueillera. LIVRE III
Ensuite, il ne comprend pas le sens de l’expression : « Quiconque s’élève sera abaissé », il n’a même pas appris de Platon que l’honnête homme s’avance « humble et rangé », il ne sait même pas que nous disons : « Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu pour qu’il vous élève au bon moment », et il déclare : Des hommes, qui président correctement à un procès, ne tolèrent pas qu’on déplore les fautes en discours à lamentations, de peur que la pitié plus que la vérité ne dicte leur sentence; Dieu, donc, juge en fonction non de la vérité mais de la flatterie. Quelle flatterie, quel discours à lamentations y a-t-il dans les divines Écritures? Le pécheur dit dans sa prière à Dieu : « Je t’ai fait connaître mon péché, je ne t’ai point caché mon iniquité ; j’ai dit : je veux m’accuser de mon iniquité au Seigneur, etc. » Peut-il prouver qu’un tel aveu de pécheurs qui s’humilient devant Dieu dans leurs prières n’est pas capable d’obtenir la conversion ? De plus, troublé par son ardeur à accuser, il se contredit. Tantôt il semble connaître un homme sans péché et juste qui, dans sa vertu originelle lève ses regards vers Dieu, tantôt il approuve ce que nous disons : « Quel est l’homme parfaitement juste, quel est l’homme sans péché ? » car c’est bien approuver cela que d’ajouter : Il est probablement vrai que la race humaine a une propension native à pécher. Ensuite, comme si tous les hommes n’étaient point appelés par le Logos, il objecte : Il eût donc fallu appeler tous les hommes sans exception, si en fait tous sont pécheurs. Mais j’ai montré plus haut que Jésus a dit : « Venez, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. » Tous les hommes donc, « qui peinent et ployent sous le fardeau » à cause de leur nature pécheresse, sont appelés au soulagement près du Logos de Dieu, car Dieu envoya « son Logos, les guérit et les préserva de leurs corruptions ». LIVRE III
Rien d’étonnant d’ailleurs à ce que l’ordre, la composition, l’élocution de ces discours philosophiques aient produit ces résultats en ceux qu’on a nommés et en d’autres dont la vie avait été mauvaise. Mais à considérer que les discours qualifiés par Celse de vulgaires sont remplis de puissance à la manière des incantations, à voir ces discours convertir d’innombrables multitudes des désordres à la vie la plus réglée, des injustices à l’honnêteté, des timidités et des lâchetés à une fermeté poussée jusqu’au mépris de la mort pour la religion qu’ils croyaient vraie, que de justes raisons d’admirer la puissance de ce discours ! Car « le discours » de ceux qui ont, à l’origine, donné cet enseignement et travaillé à établir les églises de Dieu, ainsi que leur « prédication » eurent une puissance persuasive, bien différente de la persuasion propre à ceux qui prônent la sagesse de Platon ou d’un autre philosophe qui, étant hommes, n’avaient rien d’autre qu’une nature humaine. La démonstration dont usaient les apôtres de Jésus avait été donnée par Dieu et tenait sa vertu persuasive de « l’Esprit et de la puissance ». De là vient la rapidité et la pénétration avec laquelle s’est répandue leur parole, ou plutôt celle de Dieu, qui, par eux, changea un grand nombre de ceux qui étaient naturellement enclins à pécher et en avaient l’habitude. Et ceux qu’un homme n’eût pas changés, même par le châtiment, le Logos les a recréés, les formant et les modelant à son gré. LIVRE III
Celse, dans la logique de ses principes, ajoute qu’il est très difficile de changer radicalement la nature. Mais nous savons que les âmes raisonnables sont toutes de même nature ; nous soutenons qu’aucune n’a été faite mauvaise par le Créateur de l’univers, mais que bien des hommes sont devenus méchants du fait de l’éducation, de la perversion, de l’entourage, qui font de la malice une disposition naturelle en certains ; nous sommes persuadés qu’il est non seulement possible, mais qu’il n’est pas très difficile au Logos divin de changer la malice devenue naturelle ; la seule condition est d’admettre qu’il faut se confier au Dieu suprême et tout faire en vue de Lui plaire. Auprès de Lui il n’est pas vrai que : « la même estime attende le lâche et le brave » Ni « la même mort, l’homme qui ne fait rien et l’auteur de mille exploits ». LIVRE III
Qu’on ne me suspecte pas de désaccord avec la doctrine chrétienne quand j’ai mobilisé contre Celse les philosophes partisans de l’immortalité et de la survie de l’âme : nous avons avec eux des positions communes. Je prouverai, en temps plus convenable, que la vie bienheureuse à venir n’appartiendra qu’à ceux qui ont adopté la religion de Jésus, et une piété à l’égard du Créateur de l’univers absolument pure et sans mélange avec quoi que ce soit de créé. Mais quels biens supérieurs persuadons-nous insidieusement les hommes de mépriser ? Le montre qui voudra ! Et qu’il leur confronte cette fin bienheureuse, selon nous, près de Dieu dans le Christ, c’est-à-dire le Logos, la Sagesse et toute vertu, cette fin qui surviendra à tous ceux qui ont vécu d’une manière pure et irréprochable, et ont reçu l’amour sans division ni séparation pour le Dieu de l’univers, cette fin accordée par un don de Dieu ! Qu’il la confronte avec la fin proposée par chaque école philosophique chez les Grecs et les barbares, ou promise par les mystères ! Qu’il montre que la fin présentée par l’un d’entre eux est supérieure à la nôtre, que c’est une conception convenable parce qu’elle est vraie, alors que la nôtre ne convient ni au don de Dieu, ni à ceux dont la vie fut vertueuse ; ou bien qu’elle n’a pas été révélée par l’Esprit divin qui avait rempli l’âme pure des prophètes ! Montre qui voudra que des doctrines reconnues par tous comme tout humaines sont supérieures à celles qui sont démontrées divines et proclamées par inspiration divine ! Mais encore, quels sont les biens supérieurs dont nous dirions qu’il est avantageux de s’abstenir ? En effet, sans prétention orgueilleuse, il apparaît d’emblée qu’on ne peut rien concevoir de supérieur à l’acte de se confier au Dieu suprême et de s’en remettre à l’enseignement qui détache de tout le créé pour conduire, par le Logos animé et vivant, qui est aussi Sagesse vivante et Fils de Dieu, au Dieu suprême. Mais comme le troisième livre de ma réponse au traité de Celse atteint ici une dimension suffisante, j’en arrêterai l’argumentation, pour combattre dans la suite ses objections ultérieures. LIVRE III
J’ai donné ces quelques raisons entre bien d’autres pour répondre à la question de Celse : « Quel but aurait donc pour Dieu, une telle descente ? » Mais Celse invente des propos qui ne sont ni ceux des Juifs ni les nôtres : Est-ce pour apprendre ce qui se passe chez les hommes ? Car aucun de nous ne dit que le Christ soit venu en cette vie pour apprendre ce qui se passe parmi les hommes. Puis, comme si certains disaient que c’est pour apprendre ce qui se passe chez les hommes, il répond à la question posée : Ne sait-il donc pas tout ? Et, comme si nous répondions oui, il élève un nouveau doute : Est-ce alors que, sachant, il ne réforme pas et ne peut réformer par sa puissance divine? Autant de sottises que de mots ! Sans cesse, en effet, par son Logos qui descend à chaque génération dans les âmes pieuses et les constitue amies de Dieu et prophètes, Dieu réforme ceux qui écoutent ses paroles ; et au temps de la venue du Christ, il réforme par l’enseignement du christianisme, non les récalcitrants, mais ceux qui ont choisi la meilleure vie qui plaît à Dieu. Mais je ne sais quelle réforme Celse désire réalisée quand il soulève une nouvelle question : Lui est-il donc impossible de réformer par sa puissance divine, sans envoyer quelqu’un voué par nature à ce dessein ? Aurait-il donc voulu que la réforme fût produite chez des hommes dotés de visions par Dieu qui, ayant soudain ôté la malice, implanterait la vertu ? On pourrait demander si ce serait conforme à la nature ou même possible. Je dirais : admettons que ce soit possible ; mais qu’en sera-t-il de notre liberté ? En quoi l’adhésion à la vérité sera-t-elle louable, digne d’approbation le refus du mensonge? Et même une fois concédé que la chose est possible et convenable, pourquoi ne pas poser tout d’abord la question, calquée sur l’affirmation de Celse : était-il donc impossible à Dieu de créer par sa divine puissance une humanité qui n’eût pas besoin de réforme, immédiatement vertueuse et parfaite, sans l’existence de la moindre malice ? Conception qui peut séduire les gens simples et inintelligents, mais non celui qui examine la nature des choses. Car détruire la liberté de la vertu, c’est en détruire l’essence même. Le sujet exigerait toute une étude. Les Grecs même en ont longuement traité dans leurs livres sur la Providence, et ne souscriraient point à la proposition de Celse : « Il sait, mais ne réforme pas, et il lui est impossible de réformer par sa puissance divine. » Moi aussi, à maintes reprises, j’en ai traité de mon mieux, et les divines Écritures l’ont prouvé à ceux qui peuvent les comprendre. LIVRE IV
Il ne peut pas comprendre la parole : « Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas, moi, dit le Seigneur ». Il ne voit pas que, selon la doctrine des chrétiens, tous ensemble « nous avons en lui la vie, le mouvement et l’être » comme Paul l’a enseigné dans son discours aux Athéniens. Alors, même quand le Dieu de l’univers par sa propre puissance descend avec Jésus dans l’existence humaine, même quand le Logos, « au commencement près de Dieu » et Dieu lui-même, vient vers nous, il ne quitte pas sa place et n’abandonne pas son trône, comme s’il y avait d’abord un lieu vide de lui, puis un autre plein de lui, qui auparavant ne le contenait pas. Au contraire la puissance et la divinité de Dieu vient par celui qu’il veut et en qui il trouve une place, sans changer de lieu ni laisser sa place vide pour en remplir une autre. LIVRE IV
Mais s’il faut dire que des choses changent par la présence de la puissance de Dieu, et par la venue du Logos vers les hommes, nous dirons sans hésiter que c’est changer de la perversité à la vertu, de la licence à la tempérance, de la superstition à la piété que d’ouvrir son âme à la venue du Logos de Dieu. LIVRE IV
Si tu veux ma réponse aux plus ridicules propos de Celse, entends-le dire : Mais peut-être Dieu, méconnu parmi les hommes, et se jugeant par là diminué, voudrait-il être reconnu et mettre à l’épreuve les croyants et les incrédules, tout comme les parvenus avides d’ostentation ? C’est là prêter à Dieu une ambition excessive et trop humaine! Ma réponse est que Dieu, méconnu par la méchanceté des hommes, voudrait être reconnu, non qu’il s’en juge diminué, mais parce que sa connaissance délivre du malheur celui qui le reconnaît. De plus, ce n’est pas dans le dessein de mettre à l’épreuve les croyants ou les incrédules qu’il habite lui-même dans certains par sa mystérieuse et divine puissance ou leur envoie son Christ ; c’est pour écarter de tout malheur les croyants qui accueillent sa divinité et pour ôter aux incrédules l’occasion d’excuser leur manque de foi sous prétexte qu’ils n’ont pas entendu son enseignement. Dès lors, quel argument peut montrer que, dans la logique de notre doctrine, Dieu serait d’après nous comme les parvenus avides d’ostentation ? Loin d’être avide d’ostentation à notre égard quand il désire nous faire connaître et comprendre son excellence, Dieu veut implanter en nous la félicité qui naît dans nos âmes du fait qu’il est connu de nous ; et il prend à coeur, par le Christ et l’incessante venue du Logos, de nous faire recevoir l’intimité avec lui. La doctrine chrétienne ne prête donc à Dieu aucune ambition humaine. LIVRE IV
Mais l’être descendu vers les hommes existait auparavant « en forme de Dieu », et c’est par amour pour les hommes qu’« il s’est anéanti », afin de pouvoir être reçu par les hommes. Non point certes qu’il ait subi un changement du bien au mal, car « il n’a pas fait de péché », ni de la beauté à la laideur, car « il n’a pas connu de péché » ; et il n’est pas venu de la félicité à l’infortune, mais « il s’est humilié lui-même » et n’en était pas moins heureux même lorsque pour le bienfait de notre race il s’humiliait lui-même. De plus, il ne subit pas de changement de l’état le meilleur au pire, car en quel sens la bonté et l’amour pour l’homme seraient-elles ce qu’il y a de pire ? Autant dire alors qu’à voir des horreurs et à toucher des choses répugnantes afin de guérir les malades, le médecin va du bien au mal, de la beauté à la laideur, de la félicité à l’infortune. Et encore le médecin qui voit des horreurs et touche des choses répugnantes n’évite-t-il pas absolument la possibilité de contracter le même mal. Mais celui qui guérit les blessures de nos âmes par le Logos de Dieu présent en lui était lui-même hors d’atteinte de tout mal. Même si, en prenant un corps mortel et une âme d’homme, le Logos, Dieu immortel, paraît à Celse se changer et se transformer, qu’il apprenne que le Logos, qui reste Logos par son essence, ne souffre rien des souffrances du corps ou de l’âme. Mais il condescend parfois à la faiblesse de celui qui ne peut voir l’éclat et la splendeur de sa divinité et il se fait pour ainsi dire « chair », est exprimé corporellement, permettant à celui qui l’a reçu sous cette forme, rapidement élevé par le Logos, de pouvoir contempler aussi, pour ainsi dire, sa forme principale. LIVRE IV
Il y a en effet comme des formes différentes du Logos, sous lesquelles il apparaît à chacun selon le degré de sa progression vers la connaissance, qu’il soit débutant, progressant peu ou prou, déjà proche de la vertu, ou établi en elle. Ce n’est donc pas dans le sens où veulent l’entendre Celse et ses semblables que notre Dieu « s’est transfiguré » et qu’ayant gravi « la haute montagne », il a montré sa propre forme, différente et bien plus belle que celle que voyaient ceux qui étaient restés en bas et n’avaient pu l’accompagner sur le sommet. LIVRE IV
Car ceux d’en bas n’avaient pas des yeux capables de voir la transfiguration du Logos en sa condition glorieuse et divine. A peine étaient-ils capables de le comprendre tel qu’il était parmi eux, au point que ceux qui ne pouvaient voir sa forme supérieure dirent de lui : « Nous l’avons vu, et il n’avait ni forme ni beauté, mais sa forme était méprisable, inférieure à celle des enfants des hommes. » Voilà la réponse au préjugé de Celse qui n’a pas compris les changements ou les transfigurations de Jésus que rapporte l’histoire, ni sa condition à la fois mortelle et immortelle. LIVRE IV
En réponse, on peut arguer tant de la nature du Logos divin qui est Dieu, que de l’âme de Jésus. De la nature du Logos : de même que la qualité des aliments, pour convenir au tempérament du bébé, se change en lait dans la nourrice, ou est apprêtée par le médecin comme l’exige la santé du malade, ou est adaptée aux forces de celui qui est plus robuste : ainsi Dieu change pour les hommes suivant les besoins de chacun la puissance de son Logos naturellement destiné à nourrir l’âme humaine. Il devient pour l’un, comme dit l’Écriture, « un lait spirituel pur », pour l’autre encore trop faible, comme un légume, tandis qu’on donne au parfait « une nourriture solide ». Assurément le Logos ne ment pas sur sa propre nature, quand il nourrit chacun dans la mesure où il peut l’accueillir, et ce faisant, « il ne trompe ni ne ment ». LIVRE IV
En l’âme de Jésus, si l’on suppose un changement à sa venue dans un corps, nous demanderons ce qu’on veut dire par là. Est-ce un changement de l’essence? On ne l’accorde pas de cette âme, ni même d’une autre âme raisonnable. Veut-on la dire affectée par le corps auquel elle est mélangée et par le lieu où elle est venue ? En quoi cela répugne-t-il au Logos qui dans son immense amour pour les hommes fait descendre un Sauveur au genre humain? Aucun de ceux qui auparavant avaient promis de le guérir n’avait pu faire tout ce dont cette âme a fait preuve même en descendant librement à la condition mortelle des hommes pour le salut de notre race. Telle est la pensée du divin Logos exprimée en maints passages des Écritures ; il suffit pour l’instant de citer un seul passage de Paul : « Ayez entre vous les mêmes sentiments qui furent dans le Christ Jésus : Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclaves. » « S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix. Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le nom qui est au-dessus de tout nom. » LIVRE IV
Cela soit dit pour notre défense contre d’autres griefs. Il n’est donc pas inconvenant que celui qui guérit ses amis malades guérisse le genre humain qui lui est cher par des moyens dont on n’userait pas en principe, mais qu’on emploie par suite des circonstances. Et le genre humain, atteint de folie, devait être guéri par les moyens que le Logos voyait utiles pour ramener les fous au bon sens. Celse convient encore que l’on recourt à de tels remèdes à l’égard d’ennemis dans l’intention d’esquiver un danger. Mais Dieu ne redoute personne au point de tromper ses adversaires pour se soustraire au danger. Il serait tout à fait superflu et déraisonnable de répondre à une objection que personne n’a faite contre notre Sauveur. En réponse à d’autres difficultés il a été pourvu à celle-ci : « Nul, s’il est malade ou atteint de folie, n’est ami de Dieu. » La réponse était que cette disposition ne visait pas des gens qui, malades ou fous, fussent déjà amis, mais ceux qui, à cause de la maladie de leur âme et du dérangement de leur raison naturelle, étaient encore ennemis, pour qu’ils deviennent amis de Dieu. Et, en effet, il est clairement dit que Jésus a tout supporté pour les pécheurs, afin de les délivrer de leurs péchés et de les rendre justes». LIVRE IV
Si vous dédaignez la petitesse de l’homme non à cause du corps mais de l’âme, inférieure pour vous au reste des êtres raisonnables, et surtout des vertueux, et inférieure pour cette raison que le vice est en elle, pourquoi les chrétiens mauvais et les Juifs vivant dans le mal seraient-ils une troupe de chauves-souris, de fourmis, de vers, de grenouilles plus que les hommes pervers des autres nations? A cet égard, tout homme quel qu’il soit, surtout quand il s’abandonne au flot du vice, est chauve-souris, vers, grenouille, fourmi, comparé au reste des hommes. Que l’on soit un Démosthène, l’orateur, avec sa lâcheté et les actions qu’elle lui inspira, ou un Antiphon, autre orateur renommé, mais négateur de la Providence dans un traité “Sur la vérité”, titre analogue à celui de Celse, on n’en reste pas moins des vers vautrés dans un coin du bourbier de la sottise et de l’ignorance. Toutefois, l’être raisonnable, de quelque qualité qu’il soit, ne pourrait être raisonnablement comparé à un vers, avec ses tendances à la vertu. Ces inclinations générales à la vertu ne permettent pas de comparer à des vers ceux qui ont la vertu en puissance et qui ne peuvent totalement en perdre les semences. Il apparaît donc que les hommes en général ne pourraient être des vers relativement à Dieu : car la raison, qui a son principe dans le Logos qui est près de Dieu ne permet pas de juger l’être raisonnable absolument étranger à Dieu. Les mauvais chrétiens et les mauvais Juifs, qui ne sont ni chrétiens ni Juifs selon la vérité, ne sauraient, pas plus que les autres hommes mauvais, être comparés à des vers vautrés dans un coin de bourbier. Si la nature de la raison ne permet même point d’admettre cette comparaison, il est évident que nous n’allons pas calomnier la nature humaine, faite pour la vertu même si elle pèche par ignorance, ni l’assimiler à des animaux tels que ceux-là. LIVRE IV
Est-ce à cause de leurs doctrines que Celse n’approuve pas et dont il paraît ignorer le premier mot, que les Juifs et les chrétiens seraient des vers et des fourmis à la différence du reste des hommes? Alors, comparons les doctrines des chrétiens et des Juifs qui sont d’elles-mêmes connues de tous, aux doctrines des autres hommes. N’est-il pas évident, dès qu’on a admis que certains hommes sont vers et fourmis, que ces vers, fourmis et grenouilles sont ceux qui, déchus d’une saine compréhension de Dieu, adorent par une apparence de piété des animaux sans raison, des statues, ou même les créatures, alors qu’il faut, à partir de leur beauté, admirer leur Artisan et l’adorer ? Ne doit-on pas considérer comme des hommes, et des êtres plus honorables que des hommes s’il en est, ceux qui, sous la conduite du Logos, ont pu s’élever à partir de la pierre et du bois, et même de la matière estimée la plus précieuse, l’argent et l’or, et qui, après s’être élevés des merveilles du monde jusqu’au Créateur de l’univers, se sont confiés à Lui ? Car du moment qu’il est seul capable de combler tous les êtres, de percevoir les pensées de tous et d’entendre la prière de tous, ils lui adressent leurs prières, ils accomplissent toutes leurs actions en pensant qu’il voit ce qui arrive, et sachant qu’il entend ce que l’on dit, ils se gardent bien de dire un mot qui ne pourrait être rapporté à Dieu sans lui déplaire. LIVRE IV
Cette admirable piété que ni fatigues, ni péril de mort ni arguments captieux ne peuvent vaincre ne servira-t-elle de rien à ceux qui l’ont acquise pour leur éviter d’être comparés à des vers, même s’ils avaient pu l’être avant une telle piété ? En vérité, nous paraissent-ils frères des vers, parents des fourmis, semblables aux grenouilles, les vainqueurs du plus brûlant désir des voluptés, qui a rendu tant de coeurs mous comme cire, dont la victoire vient de leur persuasion que le seul moyen de parvenir à la familiarité avec Dieu est de monter vers lui par la tempérance ? Quoi donc, l’éclat de la justice qui lui fait observer à l’égard de son prochain et de ses parents la sociabilité, la justice, la charité et la bienfaisance n’empêcherait pas celui qui la pratique d’être une chauve-souris ? Au contraire ceux qui se roulent dans la débauche, comme la plupart des hommes, qui s’approchent indifféremment des prostituées et enseignent que ce ne peut être absolument contre le devoir, ne sont-ils pas des vers dans un bourbier ? C’est encore plus clair si on compare à ceux qu’on a instruits à ne pas « prendre les membres du Christ » et le corps habité par le Logos, pour en faire « les membres d’une prostituée », qui ont appris déjà que le corps de l’être raisonnable, consacré au Dieu de l’univers, est « le temple » du Dieu qu’ils adorent, et devient réellement tel si on a une pure notion du Créateur ; et qui, en se gardant de souiller « le temple de Dieu » par une union illicite, pratiquent la tempérance comme un acte de piété envers Dieu. LIVRE IV
Et je ne dis rien des autres vices des hommes, dont ne sont peut-être pas exempts ceux qui passent pour philosophes, car il y a bien des bâtards de la philosophie. Je n’insiste pas sur la présence fréquente de ces désordres chez ceux qui ne sont ni Juifs ni chrétiens. Mais, ou bien on ne les trouve absolument pas chez les chrétiens, à considérer strictement ce qu’est un chrétien, ou si on les rencontre, ce n’est certes pas chez ceux qui tiennent conseil, viennent aux prières communes et n’en sont pas exclus ; sauf peut-être l’un ou l’autre, dissimulé dans la foule. Nous ne sommes donc pas des vers formant assemblée, quand, nous dressant contre les Juifs au nom des Écritures qu’ils croient sacrées, nous montrons que Celui qu’annonçaient les prophètes est venu, qu’eux-mêmes, pour l’énormité de leurs fautes, ont été abandonnés, mais que nous, pour avoir accueilli le Logos, nous avons en Dieu les meilleures espérances, fondées sur notre foi en lui, et sur une vie capable de faire de nous ses familiers, purs de toute perversité et de tout vice. Donc, se proclamer Juif ou chrétien, ce n’est pas dire tout uniment : c’est pour nous surtout que Dieu a créé l’univers et le mouvement du ciel. Mais être, comme Jésus l’a enseigné, pur « de coeur », doux, pacifique, courageux à supporter les périls pour la piété, permet à juste titre de se confier à Dieu, et, quand on a compris la doctrine des prophéties, d’aller jusqu’à dire : tout cela Dieu l’a révélé d’avance et prédit à nous les croyants. LIVRE IV
Peut-être Celse a-t-il mal compris une phrase de certains, qu’il a nommés vers : Il y a Dieu, et immédiatement après, nous. Méprise analogue à celle de reprocher à toute une école philosophique les propos d’un jeune inconsidéré qui, pour avoir fréquenté trois jours un philosophe, s’élève contre le reste des hommes pour leur nullité et leur manque de philosophie. Nous savons bien qu’il y a beaucoup d’êtres d’une plus haute valeur que l’homme. Nous avons lu : « Dieu s’est dressé dans l’assemblée des dieux », et non point des dieux qu’adorent les autres hommes, « car tous les dieux des nations sont des démons ». Nous avons lu encore : « Dieu, dressé dans l’assemblée des dieux, au milieu d’eux juge les dieux. » Nous le savons : « Bien qu’il y ait au ciel et sur la terre de prétendus dieux, comme il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs, pour nous du moins il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et par qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes. » Nous savons les anges à ce point supérieurs aux hommes que seuls les hommes parfaits deviennent semblables aux anges : « Car à la résurrection des morts, il n’y a plus ni maris, ni femmes, mais les justes sont comme les anges des cieux », et deviennent « les égaux des anges ». Nous savons que dans l’ordonnance de l’univers se trouvent des êtres nommés Trônes, d’autres Dominations, d’autres Principautés, d’autres Puissances. Nous le voyons, nous les hommes, laissés bien loin d’eux, nous avons l’espérance, fondée sur une vie vertueuse et une conduite en tout conforme au Logos, de nous élever jusqu’à leur devenir semblables à tous. Enfin, puisque « n’est pas encore apparu ce que nous serons, nous savons que, lorsque cela apparaîtra, nous serons semblables à Dieu, et nous le verrons tel qu’il est ». Que si l’on maintient les propos de certains qui, intelligents ou stupides, ont mal compris une saine doctrine : Il y a Dieu, et immédiatement après, nous, même cela, je pourrais l’interpréter en disant : « nous » désigne les êtres raisonnables, et mieux encore les êtres raisonnables vertueux ; car selon nous, la même vertu appartient à tous les bienheureux, et par conséquent, la même vertu est à l’homme et à Dieu. Aussi nous instruit-on à devenir « parfaits comme notre Père céleste est parfait ». Concluons : aucun honnête homme n’est un vers nageant dans un bourbier, aucun homme pieux n’est une fourmi, aucun juste n’est une grenouille, aucun homme dont l’âme resplendit de l’éclatante lumière de la vérité ne peut raisonnablement être comparé à une chauve-souris. LIVRE IV
Puisqu’il n’est rien de stable dans la nature humaine, il était fatal que même ce régime peu à peu en vînt à dégénérer et à se corrompre. Mais la Providence, ayant apporté au vénérable système de leur doctrine les changements qu’il fallait pour l’adapter comme il convient aux gens de tous les pays, accorda à tous les croyants de l’univers, à la place de celle des Juifs, la vénérable religion de Jésus. Et Jésus, gratifié non seulement d’intelligence, mais encore d’une condition divine, abolit la doctrine sur les démons terrestres qui prennent plaisir à l’encens, aux exhalaisons de la graisse et au sang, et qui, comme les Titans et les Géants de la fable, détournaient les hommes de la notion de Dieu. Lui, sans souci de leurs menées, surtout dirigées contre les meilleurs, il a donné des lois qui assurent la félicité de ceux qui y conforment leur vie, s’abstiennent à tout prix de flatter les démons par des sacrifices et les méprisent absolument grâce au Logos de Dieu qui secourt ceux qui lèvent leurs regards vers Dieu. Et puisque Dieu voulait que la doctrine de Jésus prévalût parmi les hommes, les démons ont perdu tout pouvoir, bien qu’ils aient mis en branle toutes les influences pour anéantir les chrétiens. Rois, Sénat, gouverneurs de chaque contrée, peuple même, inconscients des menées déraisonnables et perverses de ces démons, ils ont tout soulevé contre le Logos et ceux qui croient en Lui. Mais la Parole de Dieu est plus puissante qu’eux tous, et malgré les obstacles, se faisant des obstacles comme une nourriture pour croître, elle a poursuivi sa marche, et récolté un nombre croissant d’âmes : car telle était la volonté de Dieu. LIVRE IV
Après cela, faute de les avoir compris, Celse tourne en ridicule les passages de la Bible prêtant à Dieu des sentiments humains, des paroles de colère contre les impies, et des menaces contre les pécheurs. Il faut répondre : dans la conversation avec de très petits enfants, on ne vise point à déployer son éloquence, mais on s’adapte à leur faiblesse, disant et faisant ce qu’on juge utile à la conversion et à la correction de ces enfants, considérés comme tels. Le Logos de Dieu, lui aussi, semble avoir dispensé les Écritures en proportionnant l’exposé qui convient à la capacité des auditeurs et au bienfait qu’ils en retireront. C’est bien, en général, cette manière d’annoncer les réalités divines qui est exprimée dans le Deutéronome : « Le Seigneur ton Dieu s’est adapté à toi comme un père s’adapte à son fils. » Le Logos parle de la sorte, adoptant les manières humaines pour le bien des hommes. Car il n’était pas nécessaire aux foules que Dieu mis en scène exprimât de la façon qui lui convient en propre les paroles destinées à elles. Mais celui qui prend à coeur l’élucidation des divines Écritures, comparant les choses spirituelles aux spirituelles, découvrira à partir d’elles la signification de ce qui est dit à l’adresse des plus faibles et de ce qui est exposé aux plus intelligents, l’un et l’autre souvent exprimé dans la même phrase à qui sait la comprendre. LIVRE IV
Quand donc on parle de la colère de Dieu, il s’agit non d’une passion qu’il éprouve, mais d’un procédé qu’il adopte pour corriger par une méthode d’éducation plus sévère ceux qui ont commis de nombreux et graves péchés. Parler de la colère de Dieu et de sa fureur est un procédé pédagogique ; et telle est la pensée du Logos, clairement exprimée par le psaume sixième : « Seigneur ne me reprends point dans ta fureur, ne me corrige point dans ta colère », et dans Jérémie : « Corrige-nous Seigneur, mais selon ta justice et non dans ta fureur, pour ne pas trop nous réduire. » Mais, en lisant dans le second livre des Rois, que la colère de Dieu persuada David de dénombrer le peuple, et dans le premier des Paralipomènes que ce fut « le diable », et en comparant les expressions de l’un à l’autre, on verra ce que désigne « la colère » : cette colère dont tous les hommes sont enfants, au dire de Paul : « Nous étions par nature enfants de colère tout comme les autres. » Que la colère n’est point une passion de Dieu, et que chacun l’attire sur lui par les péchés qu’il commet, Paul le montrera dans ce passage : « Ou bien mépriseras-tu ses trésors de bonté, de patience, de longanimité, sans reconnaître que cette bonté de Dieu te pousse au repentir ? Par ton endurcissement et l’impénitence de ton coeur, tu amasses contre toi un trésor de colère pour le jour de colère où doit se révéler le juste jugement de Dieu. » Comment donc chacun peut-il amasser contre lui-même un trésor de colère pour le jour de colère, si la colère est considérée comme une passion ? Et comment la passion de colère peut-elle être un moyen d’éducation? De plus, le Logos nous enseigne à ne pas du tout nous mettre en colère, et déclare dans le psaume trente-sixième : « Laisse la colère, abandonne la fureur », et dit chez Paul : « Vous aussi rejetez tout cela : colère, fureur, méchanceté, diffamation, vilains propos. » Elle ne saurait donc avoir attribué à Dieu lui-même la passion dont elle nous demande l’abandon total. Il est bien clair que les expressions sur la colère de Dieu sont à prendre au sens figuré, à en juger par ce qui est écrit de son sommeil : comme s’il voulait l’éveiller, le prophète dit : « Lève-toi, pourquoi dors-tu, Seigneur ? » et ajoute : « Le Seigneur s’éveilla comme un dormeur, comme un guerrier terrassé par le vin. » Si donc le mot sommeil a une autre signification que le sens usuel du terme, pourquoi ne pas entendre aussi la colère de la même manière ? LIVRE IV
Il dit encore : Aux fourmis qui meurent les vivantes choisissent un endroit particulier qui soit pour elles un tombeau de famille. Il faut répondre : plus il exalte les animaux sans raison, plus il magnifie bon gré mal gré, l’oeuvre du Logos ordonnateur de toutes choses, et fait ressortir l’habileté des hommes, capable d’ordonner par la raison même les dons supérieurs de la nature des êtres sans raison. Mais pourquoi dire : des êtres sans raison ? Celse ne considère pas comme sans raison les êtres que d’après les notions communes à tous on déclare sans raison. Les fourmis du moins, il ne les croit pas sans raison, lui qui se targue de parler de la nature universelle, et qui prétend, par le titre de son livre, dire la vérité ! Voici en quels termes il parle des fourmis, comme si elles s’entretenaient ensemble : Et naturellement aussi, quand elles se rencontrent, elles s’entretiennent ensemble, et de là vient qu’elles ne se trompent pas de chemin; il y a donc chez elles plénitude de raison, notions communes de certaines réalités universelles, son signifiant, événements, sens signifiés. En effet, la conversation entre un homme et un autre se fait dans un langage exprimant ce qu’on veut signifier, et souvent aussi on raconte ce qu’on nomme les événements, mais vouloir appliquer cela aux fourmis ne serait-ce pas le comble du ridicule ? LIVRE IV
Il ne rougit même pas d’ajouter, en soulignant pour la postérité l’inconvenance de son système : Dès lors, à regarder du haut du ciel sur la terre, quelle différence pourraient offrir nos activités et celles des fourmis et des abeilles ? Dans son hypothèse, regarder du haut du ciel sur la terre les activités des hommes et les ouvrages des fourmis, est-ce fixer le regard sur les corps des hommes et des fourmis sans considérer le principe hégémonique raisonnable et mis en oeuvre par le raisonnement, et d’autre part le principe hégémonique dépourvu de raison, mû irrationnellement par tendance et représentation, grâce à une sorte de disposition naturelle? Mais il serait absurde, en regardant du haut du ciel les choses de la terre, de vouloir fixer les yeux à une si grande distance sur les corps des hommes et des fourmis sans préférer plutôt regarder les natures des principes directeurs, et la source rationnelle ou irrationnelle des tendances. Il est clair que regarder seulement la source de toutes les tendances, c’est voir aussi la différence et la supériorité de l’homme non seulement sur les fourmis mais même sur les éléphants. Car, à porter du haut du ciel son regard sur les êtres sans raison, si grand que soit leur corps, on n’y verra d’autre principe, si j’ose dire, que l’absence de raison. Dans les êtres raisonnables au contraire, on verra le logos, commun aux hommes, aux êtres divins et célestes, et peut-être au Dieu suprême lui-même. D’où l’expression de l’Écriture, d’une création « à l’image » de Dieu, car l’image du Dieu suprême est son Logos. LIVRE IV
Quelle preuve que ce n’est pas la nature, mais la raison qui les leur fait découvrir ? Car si c’était la raison qui les découvrait, elle ne découvrirait pas exclusivement ce remède unique chez les serpents, disons même un second et un troisième, et un autre chez l’aigle, et ainsi de suite chez les autres animaux, mais tout autant de remèdes que chez les hommes. Mais en fait, chaque animal étant par nature incliné à l’emploi exclusif de certains remèdes, il est clair que ce n’est point chez eux la sagesse ou la raison, mais une constitution naturelle, créée par le Logos, qui les porte à se tourner vers ces remèdes pour le salut de leur espèce. LIVRE IV
Libre à Celse de dire que ce n’est pas plus pour l’homme, que pour le lion et les autres animaux qu’il mentionne. Nous dirons : ce n’est ni pour le lion, ni pour l’aigle, ni pour le dauphin que le Créateur les a faites, mais il a créé toutes choses pour l’animal raisonnable, et afin que ce monde se réalise comme une oeuvre de Dieu complète et parfaite dans toutes ses parties. C’est là une belle pensée à laquelle il faut souscrire. Mais Dieu ne prend pas soin, comme le croit Celse, uniquement de l’ensemble, mais outre l’ensemble, de chaque être raisonnable en particulier. Jamais la Providence n’abandonnera l’ensemble. Au cas où une partie de l’ensemble se détériore par la faute de l’être raisonnable, Dieu pourvoit à le purifier et après un moment, à ramener vers lui l’ensemble. De plus, il ne s’irrite ni contre les singes, ni contre les rats, mais il fait subir aux hommes pour la transgression des tendances naturelles un jugement et un châtiment. Il leur adresse des menaces par ses prophètes et par le Sauveur qui est venu à l’ensemble du genre humain, pour que ceux qui prêtent l’oreille à la menace se convertissent, et que ceux qui négligent les appels à la conversion subissent les peines qu’ils méritent ; et il convient que Dieu, dans sa volonté de pourvoir au bien de l’univers, les inflige à ceux qui ont besoin de recevoir un tel traitement et une correction si sévère. Mais comme ce quatrième livre a pris une dimension suffisante, j’arrêterai ici le raisonnement. Et que Dieu accorde, par son Fils qui est Dieu Logos, Sagesse, Vérité, Justice et tout ce que la théologie des saintes Écritures dit de lui, de commencer encore le cinquième livre pour l’utilité des lecteurs et de le mener à bien avec le secours de son Logos qui habite dans notre âme. LIVRE IV
J’aborde maintenant un cinquième livre contre le traité de Celse, pieux Ambroise : non pour me livrer à un bavardage injustifiable puisqu’il n’irait pas sans péché, mais je fais de mon mieux pour ne laisser sans examen aucun de ses propos, notamment là où d’aucuns pourraient croire qu’il a dirigé des critiques pertinentes contre nous ou contre les Juifs. S’il m’était possible, par ce discours, de pénétrer la conscience de chaque lecteur de son ouvrage, d’en arracher tout trait blessant une âme que ne protège pas entièrement l’armure de Dieu, d’appliquer un remède spirituel guérissant la blessure causée par Celse, blessure empêchant qui se fie à ses arguments d’être robuste dans la foi, c’est bien ce que j’aurais fait. Mais c’est l’oeuvre de Dieu d’habiter invisiblement par son Esprit et l’Esprit du Christ ceux qu’il juge devoir habiter. Pour moi, en tâchant, par des discours et des traités, de raffermir les hommes dans la foi, je dois faire tous mes efforts pour mériter le titre d’ouvrier qui n’a pas à rougir, de fidèle dispensateur de «la parole de la vérité». Et l’un de ces efforts me semble être de réfuter de mon mieux les arguments plausibles de Celse, exécutant avec confiance le mandat que tu m’as donné. Je vais donc citer les arguments de Celse qui suivent ceux auxquels j’ai déjà répondu – au lecteur de juger si je les ai renversés -, je vais leur opposer mes réfutations. Que Dieu m’accorde de ne point aborder mon sujet en laissant mon esprit et ma raison purement humains et vides d’inspiration divine, « pour que la foi » de ceux que je désire aider « ne repose pas sur la sagesse des hommes », mais que je reçoive de son Père qui seul peut l’accorder « la pensée du Christ » et la grâce de participer au Logos de Dieu, et qu’ainsi je puisse détruire « toute puissance altière qui s’élève contre la connaissance de Dieu » et la suffisance de Celse qui s’élève contre nous et contre notre Jésus, et encore contre Moïse et les prophètes. Et que celui qui donne « aux messagers son Logos avec une grande puissance » me l’accorde à moi aussi et me fasse don de cette grande puissance, et que naisse chez les lecteurs la foi fondée sur le Logos et la puissance de Dieu ! LIVRE V
La question présente est donc de réfuter le passage que voici : ” Juifs et chrétiens, nul Dieu, nul Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre. Que si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont, dieux ou des êtres d’une autre espèce ? D’une autre espèce, sans doute, des démons.” Ces redites de Celse – car il l’a maintes fois déjà répété plus haut -, n’exigent pas une longue discussion : les réponses données suffiront. Je me bornerai entre bien d’autres à quelques remarques qui semblent être dans la ligne des précédentes, bien qu’elles n’aient pas cependant tout à fait le même sens. J’établirai donc que, dans sa thèse absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est jamais descendu vers les hommes, Celse réduit à néant les manifestations de Dieu généralement admises que lui-même avait mentionnées plus haut. En effet si, dans l’affirmation absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre, Celse a dit la vérité, c’en est fait évidemment de toutes les descentes des dieux du ciel sur la terre pour prédire aux hommes ou les guérir par leurs oracles. Ni Apollon de Pytho, ni Asclépios, ni aucun de ceux auxquels on attribue des actes pareils ne peut être un dieu descendu du ciel, si ce n’est peut-être un dieu dont le sort est de toujours habiter la terre, comme banni du séjour des dieux ou un des êtres incapables d’entrer en communion avec les dieux qui s’y trouvent. Ou bien Apollon, Asclépios et tous ceux dont on vénère l’action sur la terre ne peuvent être des dieux, mais certains démons bien inférieurs aux hommes sages qui s’élèvent par la vertu jusqu’à la voûte du ciel. Remarque à quel point, dans son dessein de ruiner notre foi, on le prend, lui qui tout au long de son traité refuse de s’avouer épicurien, à passer en transfuge au camp d’Épicure. Le moment est venu pour toi, lecteur des arguments de Celse qui admets ce qui précède, ou bien de nier la présence de Dieu qui étend sa providence à tous les hommes individuellement, ou bien de l’admettre et de prouver que la doctrine de Celse est fausse. Nies-tu radicalement la Providence? Alors pour établir la vérité de ta position, tu prouveras la fausseté des raisons qui lui font admettre des dieux et une providence. Affirmes-tu néanmoins la providence, en refusant d’adhérer à l’assertion de Celse : Ni Dieu ni Fils de Dieu n’est descendu ou ne descend vers les hommes ? Alors pourquoi ne point examiner sérieusement, dans ce que j’ai dit de Jésus et dans les prophéties qui le concernent, quel est celui qu’il faut plutôt croire Dieu ou Fils de Dieu descendu vers les hommes : Jésus qui a mené à bien et accompli de si grandes oeuvres, ou ceux qui, sous prétexte d’oracles et de divinations, loin de réformer les m?urs de ceux qu’ils guérissent, vont jusqu’à éloigner du culte vénérable, pur et sans mélange dû au Créateur de l’univers et divisent l’âme de ceux qui s’attachent à eux, sous prétexte d’honneur à rendre à de multiples dieux au lieu de l’unique, seul manifeste et véritable Dieu ? Puis, comme si Juifs et chrétiens avaient répondu que ceux qui descendent vers les hommes sont des anges, il reprend : Si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont : des dieux ou des êtres d’une autre espèce ? Et, supposant notre réponse, il ajoute : ? D’une autre espèce sans doute, les démons. EH bien ! précisons ce point. D’un commun accord nous disons que les anges sont « des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service pour le bien de ceux qui doivent hériter du salut ». Ils montent porter les supplications des hommes dans les régions célestes les plus pures du monde, ou même dans les supracélestes plus pures que celles-là. Ensuite, ils en descendent porter à chacun suivant son mérite une des grâces que Dieu leur enjoint de dispenser à ceux qui reçoivent ses faveurs. Eux donc, que nous avons appris à nommer anges à cause de leur fonction, nous les trouvons parfois aussi dans les saintes Écritures nommés dieux, parce qu’ils sont divins ; mais ils ne le sont pas au point qu’il nous soit ordonné de vénérer et d’adorer à la place de Dieu ceux qui nous dispensent et nous apportent les grâces de Dieu. Car il faut faire remonter toute demande, prière, supplication et action de grâce vers le Dieu suprême par le Souverain Prêtre qui est au-dessus de tous les anges, Logos vivant et Dieu. Et nous offrirons au Logos lui-même des demandes, des prières, des actions de grâce, et même des supplications, si nous sommes capables de discerner entre le sens absolu et le sens relatif du mot supplication. LIVRE V
Car invoquer les anges sans avoir reçu à leur sujet une science dépassant l’homme n’est pas raisonnable. Mais supposons, par hypothèse, qu’on ait reçu cette science merveilleuse et mystérieuse : cette science elle-même fait connaître leur nature et les offices auxquels chacun est préposé, elle ne permettra pas que l’on ose prier personne sinon le Dieu suprême qui suffit parfaitement à tout, par notre Sauveur, le Fils de Dieu, lui qui est Logos, Sagesse, Vérité, et tout ce que disent encore de lui les Écritures des prophètes de Dieu et des apôtres de Jésus. Pour nous rendre favorables les saints anges de Dieu et les porter à tout faire pour nous, il suffit, autant qu’il est possible à la nature humaine, d’imiter dans notre attitude envers Dieu leur disposition personnelle puisqu’ils imitent Dieu ; et la conception que nous avons de son Fils le Logos, autant qu’il est possible, au lieu de contredire la conception plus claire qu’en ont les saints anges, se rapproche d’elle de jour en jour en clarté et en netteté. Celse, comme s’il n’avait pas lu nos saintes Écritures, se fait à lui-même une réponse qu’il nous attribue : selon nous, les anges qui descendent d’auprès de Dieu pour faire du bien aux hommes sont d’une autre espèce, et, à notre avis, sans doute des démons. Il ne remarque pas que le nom de démons n’est pas un terme indifférent comme celui d’hommes, parmi lesquels il en est de bons et de mauvais, ni un terme noble comme celui de dieux qui n’est pas appliqué aux démons mauvais, aux statues, aux animaux, mais par ceux qui sont instruits des choses divines, aux êtres véritablement divins et bienheureux. Le nom de démons est toujours appliqué à ces puissances mauvaises qui, dégagées du corps grossier, séduisent et tiraillent les hommes et les rabaissent loin de Dieu et des réalités célestes aux choses d’ici-bas. LIVRE V
Puisque j’ai signalé la confusion qui résulte de ses méprises, tâchons de mettre au clair ce point du mieux possible, et d’établir que Celse a beau considérer comme juive la pratique d’adorer le ciel et les anges qui s’y trouvent, une telle pratique, loin d’être juive, est au contraire une transgression du judaïsme, tout comme celle d’adorer le soleil, la terre, les étoiles et encore les statues. Du moins on trouve en particulier dans Jérémie que le Logos de Dieu, par le prophète, reproche au peuple juif d’adorer ces êtres et de sacrifier « à la reine du ciel » et « à toute l’armée du ciel ». De plus, lorsque les chrétiens dans leurs écrits accusent ceux des Juifs qui ont péché, ils montrent que si Dieu abandonne ce peuple c’est entre autres à cause de ce péché. Car il est écrit dans les Actes des Apôtres à propos des Juifs : « Alors Dieu se détourna d’eux et les livra au culte de l’armée du ciel, ainsi qu’il est écrit au livre des prophètes : M’avez-vous offert victimes et sacrifices pendant quarante ans au désert, maison d’Israël ? Et vous avez porté la tente de Moloch, et l’étoile du dieu Rompha, les figures que vous aviez faites pour les adorer. » Et chez Paul, scrupuleusement élevé dans la pratique des Juifs, et plus tard converti au christianisme par une apparition miraculeuse de Jésus, voici une parole de l’Épître aux Colossiens : « Que personne n’aille vous frustrer, se complaisant dans son humilité et dans son culte des anges : visions d’illuminés qui, tout enflés du sot orgueil de leur intelligence charnelle, ne s’attachent pas à la Tête, d’où le corps tout entier, par le jeu des ligaments et jointures, tire nourriture et cohésion, pour réaliser la croissance voulue par Dieu. » Mais Celse qui n’a ni lu ni appris cela a imaginé, je ne sais pourquoi, que les Juifs ne transgressent pas leur loi en adorant le ciel et les anges qui s’y trouvent. C’est encore la confusion et la vue superficielle du sujet qui lui fait croire que les Juifs furent incités à adorer les anges du ciel par les incantations de la magie et de la sorcellerie qui font apparaître des fantômes aux incantateurs. Il n’a pas remarqué que c’eût été enfreindre la loi qui dit précisément à ceux qui veulent le faire : « Ne suivez pas les ventriloques, ne vous attachez pas aux incantateurs pour être souillés par eux : je suis le Seigneur votre Dieu». » Il lui fallait donc ou bien s’abstenir totalement d’attribuer ces pratiques aux Juifs, s’il continuait à voir en eux des observateurs de la loi et à dire qu’ils vivent selon la loi ; ou bien les leur attribuer en prouvant qu’elles étaient le fait des Juifs transgresseurs de la loi. Bien plus, si c’est déjà transgresser la loi que de rendre un culte à des êtres cachés dans je ne sais quelles ténèbres, parce qu’on est aveuglé par l’effet de la magie et qu’on voit en rêves des fantômes indistincts, et que d’adorer ces êtres qui, dit-on, alors vous apparaissent, de même aussi sacrifier au soleil, à la lune et aux étoiles, c’est commettre la transgression suprême de la loi. Donc le même homme ne pouvait dire que les Juifs se gardent d’adorer le soleil, la lune et les étoiles, mais ne se gardent pas d’adorer le ciel et ses anges. LIVRE V
Je donnerai même ici à leur propos cet exemple. Notre Sauveur et Seigneur, ayant entendu un jour qu’on l’appelait : « Bon Maître », renvoya son interlocuteur à son Père : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Nul n’est bon que Dieu le Père seul. » Avec raison, en sa qualité d’Image de la bonté de Dieu, le Fils de l’amour du Père a prononcé cette parole ; mais avec combien plus de raison le soleil ne pourrait-il pas dire à ceux qui l’adorent : Pourquoi m’adores-tu ? « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul. » C’est lui que, moi aussi et tous ceux qui m’accompagnent, nous adorons et nous servons. Serait-on loin de cette hauteur, qu’on n’en prie pas moins le Logos de Dieu, capable de nous guérir, et bien davantage son Père qui même aux justes d’autrefois « envoya son Logos et les guérit, et les fit échapper à leurs corruptions. » LIVRE V
Dieu donc, dans sa bonté, descend vers les hommes non par mouvement local mais par sa providence2 ; et le Fils de Dieu non seulement était présent jadis avec ses disciples, mais il l’est encore sans cesse, accomplissant la parole : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Et si « un sarment ne peut porter de fruit s’il ne demeure sur la vigne », il est bien clair que les disciples du Logos, sarments spirituels de la Vigne véritable, le Logos, ne peuvent porter les fruits de la vertu s’ils ne demeurent sur la Vigne véritable, le Christ de Dieu. Il est avec nous qui sommes localement ici-bas sur la terre, étant avec ceux qui partout adhèrent à lui ; mais déjà il est partout même avec ceux qui ne le connaissent pas. Voilà ce que montre Jean l’Evangéliste par ces mots de Jean-Baptiste : « Au milieu de vous se tient Celui que vous ne connaissez pas, qui vient après moi. » Il a rempli le ciel et la terre, et il a dit : « Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas moi ? dit le Seigneur » ; il est avec nous et proche de nous, car je le crois lorsqu’il dit : « Je suis un Dieu de près et non un Dieu de loin », dit le Seigneur. » Il serait donc absurde de chercher à prier le soleil, la lune ou quelque étoile, dont la présence ne s’étend pas au monde entier. LIVRE V
Mais accordons, pour citer les expressions de Celse, que le soleil, la lune, les étoiles prédisent d’avance les pluies, les chaleurs, les nuées, les tonnerres. S’ils font des prédictions si importantes, n’est-ce pas une raison d’adorer davantage Dieu qu’ils servent par leurs prédictions et de l’honorer lui et non ses prophètes ? Qu’ils prédisent donc les éclairs, les fruits et tous les produits de la terre, et qu’ils dispensent tous les biens de ce genre ! Nous n’irons pas pour autant adorer ces adorateurs, et pas davantage Moïse et ses successeurs qui ont prédit par Dieu les biens d’un genre supérieur aux pluies, à la chaleur, aux nuées, aux tonnerres, aux éclairs, aux fruits et à tous les produits sensibles. Bien plus, même s’il est au pouvoir du soleil, de la lune et des étoiles de prédire des événements plus importants que les pluies, ce n’est pas eux pour autant que nous adorerons, mais l’Auteur de leurs prophéties et le Logos de Dieu leur ministre. LIVRE V
Vois donc tout d’abord comme il tourne en ridicule dans ce passage l’embrasement du monde, admis même par des philosophes grecs de valeur, lorsqu’il prétend qu’en admettant la doctrine de l’embrasement, nous faisons de Dieu un cuisinier. Il n’a pas vu que, selon l’opinion de certains Grecs qui l’ont peut-être empruntée à la très ancienne nation des Hébreux, le feu est infligé en purification au monde et vraisemblablement aussi à chacun de ceux qui ont besoin d’être à la fois châtiés et guéris par le feu. Il brûle mais ne consume pas ceux en qui il n’y aurait pas de matière exigeant cette destruction par le feu, mais il brûle et consume ceux qui ont bâti, comme on dit au sens figuré, « en bois, en foin, en chaume », l’édifice de leurs actions, de leurs paroles, de leurs pensées. Les divines Écritures disent que le Seigneur visitera « comme le feu du fondeur, comme l’herbe du foulon » chacun de ceux qui ont besoin, à cause du mélange pour ainsi dire d’une malice mauvaise découlant du vice, – ont besoin, dis-je, du feu comme pour affiner les âmes mélangées d’airain, d’étain, de plomb. Voilà ce que n’importe qui peut apprendre du prophète Ézéchiel. On ne veut pas dire que Dieu applique le feu, tel un cuisinier, mais que Dieu agit en bienfaiteur de ceux qui ont besoin d’épreuve et de feu, et c’est ce que le prophète Isaïe attestera dans la sentence contre une nation pécheresse : « Puisque tu as des charbons de feu, assieds-toi sur eux, ils te seront un secours. » Le Logos, qui dispense des enseignements adaptés aux foules de ceux qui liront l’Écriture, dit avec une sagesse cachée des choses sévères pour effrayer ceux qui ne peuvent autrement se convertir du flot de leurs péchés. Même dans ces conditions, l’observateur perspicace trouvera une indication du but visé par ces châtiments sévères et douloureux à ceux qui les endurent : il suffit de citer ici le passage d’Isaïe : « A cause de mon nom, je te montrerai ma colère, et j’amènerai sur toi ma gloire pour ne pas t’exterminer. » J’ai été contraint de rapporter en termes obscurs les vérités dépassant la foi des simples qui ont besoin d’une instruction simple dans les termes ; je ne voulais point paraître laisser sans réfutation l’accusation de Celse qui dit : Lorsque Dieu, tel un cuisinier, appliquera le feu. De ce qu’on vient de dire ressortira pour les auditeurs intelligents la manière dont il faut répondre aussi à la parole : Toute autre race sera grillée, et ils seront les seuls à survivre. Rien d’étonnant que telle soit la pensée de ceux qui, parmi nous, sont appelés par l’Écriture : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, ce qui est sans naissance et que l’on méprise, ce qui n’est pas, qu’il a plu à Dieu de sauver, eux qui croient en lui, par la folie de la prédication puisque le monde par le moyen de la sagesse n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu ». Ils ne peuvent pénétrer le sens du passage et ne veulent pas consacrer leurs loisirs à chercher le sens de l’Écriture, en dépit de la parole de Jésus : « Scrutez les Écritures » ; et ils ont conçu une telle idée du feu appliqué par Dieu et du sort destiné au pécheur. Et sans doute convient-il de dire aux enfants des choses proportionnées à leur condition puérile à dessein, si petits qu’ils soient, de les convertir au mieux ; ainsi, à ceux que l’Écriture nomme fous dans le monde, sans naissance, objets de mépris, convient l’interprétation obvie des châtiments, puisque seules la crainte et la représentation des châtiments peuvent les convertir et les éloigner de nombreux maux. Aussi, l’Écriture déclare-t-elle que seront les seuls à survivre, sans goûter le feu et les châtiments, ceux qui sont tout à fait purs dans leurs opinions, leurs m?urs, leur esprit ; tandis que ceux qui ne le sont pas, mais, selon leur mérite, ont besoin du ministère des châtiments par le feu, elle déclare qu’ils y seront soumis jusqu’à un certain terme qu’il convient à Dieu d’assigner à ceux qui ont été créés « à son image », et ont vécu contrairement à la volonté de la nature qui est « selon l’image ». Voilà ma réponse à sa remarque : Toute autre race sera grillée, et ils seront les seuls à survivre. LIVRE V
De plus, les disciples de Pythagore et de Platon, même s’ils semblent garder le monde incorruptible, tombent pourtant dans des aberrations analogues. Car les étoiles, après certaines périodes déterminées, prenant les mêmes positions et les mêmes relations mutuelles, toutes choses sur terre, assurent-ils, sont semblables à celles du moment où le monde comportait la même position relative des étoiles. D’après cette doctrine, lorsque les étoiles après une longue période viennent à la même relation mutuelle qu’elles avaient au temps de Socrate, il est nécessaire que Socrate naisse de nouveau des mêmes parents, souffre les mêmes traitements, l’accusation d’Anytos et de Mélètos, la condamnation par le Conseil de l’Aréopage. De plus, les savants d’Egypte, parce qu’ils transmettent des doctrines pareilles, sont pour Celse et ses adeptes objet de vénération et non de raillerie. Et nous qui disons que l’univers est gouverné par Dieu, eu égard à la disposition des libertés de chacun, et autant que possible toujours conduit au mieux, qui savons que la nature de notre liberté est d’admettre des possibilités variées, car elle est incapable de recevoir l’immutabilité absolue de Dieu, ne paraissons-nous pas dire des choses dignes d’examen et de recherche ? Qu’on n’aille pas, à cause de cette explication, nous prendre pour ces gens qui, tout en se disant chrétiens, refusent la doctrine des Écritures sur la résurrection ! En effet, dans la mesure où ils appliquent leurs principes, ils ne peuvent absolument pas prouver que « du grain de blé ou de quelque autre semence » ressuscite, pour ainsi dire, « un épi ou un arbre ». Mais nous, nous sommes persuadés que ce que l’on sème « ne reprend pas vie s’il ne meurt », et que « ce n’est pas le corps à venir » qui est semé. Car « Dieu lui donne un corps à son gré » : semé « dans la corruption, il le ressuscite « incorruptible », semé dans l’abjection, il le ressuscite « glorieux », semé « dans la faiblesse », il le ressuscite « plein de force », semé « corps psychique », il le ressuscite « corps spirituel ». Nous gardons et la doctrine de l’Église du Christ et la grandeur de la promesse de Dieu. Que ce soit une chose possible, nous le prouvons non par une affirmation mais par un argument. Nous savons que même si le ciel et la terre avec tout ce qu’ils contiennent doivent passer, au contraire les paroles de chaque point de la doctrine étant comme parties d’un tout ou espèces d’un genre, celles du Logos Dieu qui était « au commencement » Logos « près de Dieu », ne passeront nullement. Car il a dit et nous voulons l’entendre : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. » LIVRE V
Nous ne disons donc pas que le corps putréfié reviendra à sa nature originelle, pas plus que le grain de blé, une fois corrompu, ne revient à son état de grain de blé. Nous tenons que, comme du grain de blé se lève un épi, il y a aussi dans le corps un principe qui n’est pas soumis à la corruption, à partir duquel le corps surgit « incorruptible ». A l’inverse, les gens du Portique soutiennent que le corps complètement putréfié revient à sa nature originelle, en vertu de leur théorie sur le retour à chaque période des êtres tout semblables ; ils disent donc qu’il retrouve cette même première constitution qu’il avait avant d’être dissous, croyant l’établir par des raisons contraignantes. Nous ne recourons pas à la plus absurde échappatoire : tout est possible à Dieu ; car nous savons entendre le mot tout sans y comprendre ce qui n’a pas d’existence ou n’est pas concevable. Nous convenons ainsi que Dieu ne peut rien faire de honteux, puisque alors Dieu pourrait n’être pas Dieu : car si Dieu fait quelque chose de honteux, il n’est pas Dieu. Mais lorsqu’il pose : Dieu ne veut rien de contraire à la nature, nous distinguons : si par contraire à la nature on veut dire la malice, nous aussi nous disons que Dieu ne veut rien de contraire à la nature, ni ce qui provient de la malice, ni ce qui est contraire à la raison. Mais pour ce qui arrive conformément au Logos de Dieu et à sa volonté, de toute évidence cela ne doit pas être contraire à la nature ; quelles que soient les opérations de Dieu, pour extraordinaires qu’elles soient ou qu’elles paraissent aux yeux de certains, elles ne sont pas contraires à la nature. S’il faut presser les termes on dira, en prenant la nature dans son acception la plus commune, que Dieu fait bien certaines choses au-dessus de la nature : comme de promouvoir l’homme au-dessus de sa nature d’homme, de le faire se transformer en une nature supérieure et divine et l’y maintenir aussi longtemps que l’homme ainsi maintenu prouve par ses actes qu’il veut l’être. LIVRE V
Une fois dit que Dieu ne veut rien qui ne lui convienne ou qui tende à nier qu’il soit Dieu, on dira bien : Aurait-on une infâme convoitise dans la perversité de son c?ur, Dieu ne pourrait l’exaucer. Et ainsi, loin de chercher chicane aux propos de Celse, dans un examen loyal nous accorderons que Dieu n’est pas l’auteur de l’appétit déréglé ni de la licence effrénée, mais de la nature droite et juste, puisqu’il est l’auteur de tout bien. De plus, nous concevons qu’il peut accorder à l’âme une vie immortelle, et non seulement il peut, mais en fait il l’accorde. La dernière remarque de Celse ne nous fait pas la moindre difficulté, pas même le mot d’Héraclite qu’il cite : « Les cadavres sont plus à rejeter que le fumier. » Encore pourrait-on dire sur ce point que le fumier est à rejeter, mais par égard pour l’âme qui les a habités, surtout si elle a été vertueuse, les cadavres humains ne sont pas à rejeter. Car selon les coutumes des peuples les plus civilisés, ils sont jugés dignes d’une sépulture aussi honorable que possible en pareilles matières : on veut ainsi éviter soigneusement de faire injure à l’âme qui l’habitait en jetant le corps, après que l’âme en est sortie, comme on le fait pour le corps des bêtes. On accorde donc que Dieu ne voudrait pas contre toute raison déclarer immortel ni le grain de blé, mais bien sans doute l’épi qui en sort, ni ce qui est semé dans la corruption, mais ce qui en ressuscite incorruptible. De plus, selon Celse, Dieu est lui-même la raison de tout ce qui existe, mais selon nous, c’est son Fils ; nous disons de lui en termes philosophiques : « Au commencement était le Logos, et le Logos était près de Dieu et le Logos était Dieu . » Et pour nous non plus, Dieu ne peut rien faire ni contre la raison ni contre lui-même. LIVRE V
Fondé sur ces exemples, l’argument paraît à Celse amener cette conclusion : Il faut que tous les hommes vivent selon leurs traditions, et, par là, ils ne sauraient encourir de reproches ; tandis que les chrétiens, qui ont abandonné leurs traditions et ne constituent pas un peuple unique comme les Juifs, sont à blâmer de donner leur adhésion à l’enseignement de Jésus. Qu’il nous dise donc si les philosophes qui enseignent à n’être pas superstitieux ont le devoir d’abandonner les traditions, jusqu’à manger les aliments interdits dans leurs patries, ou si une telle conduite est contraire au devoir. Car si c’est à cause de la philosophie et des leçons proscrivant la superstition qu’ils peuvent, au mépris des traditions, manger des aliments interdits depuis le temps de leurs ancêtres, pourquoi pas les chrétiens ? Le Logos leur prescrit de ne point s’arrêter aux statues, aux images ou même aux créatures de Dieu, mais de les dépasser et de présenter leur âme au Créateur : pourquoi, se conduisant comme les philosophes, ne seraient-ils point irréprochables ? Si pour sauver leur thèse, Celse et ses adeptes affirment que même un philosophe devra observer les traditions, alors les philosophes deviendront parfaitement ridicules, par exemple en Egypte en se gardant de manger de l’oignon pour observer les traditions, ou certaines parties du corps telles que la tête ou l’épaule pour ne pas transgresser les coutumes ancestrales. Et je ne parle pas encore de ces Égyptiens qui frémissent aux bruits vulgaires de flatulence. Si l’un d’eux devenu philosophe gardait les traditions, ce serait un philosophe ridicule, sans philosophie dans sa conduite. Il en va de même lorsqu’on a été conduit par le Logos à adorer le Dieu de l’univers si, à cause des traditions, on reste abaissé devant les images et les statues humaines ; et si on refuse de s’élever par volonté réfléchie jusqu’au Créateur, on est semblable alors à des hommes qui, malgré les lumières de la philosophie, craindraient ce qui n’est pas à craindre et jugeraient impie de manger de tels mets. LIVRE V
Il y a donc, à parler en général, deux lois : l’une, la loi de la nature, dont on peut dire que Dieu est l’auteur ; l’autre, la loi écrite des cités. Il est bon, quand la loi écrite ne contredit pas celle de Dieu, de ne pas troubler les citoyens par des lois étrangères. Mais quand la loi de la nature, c’est-à-dire de Dieu, ordonne le contraire de la loi écrite, vois si la raison n’impose pas de congédier les textes et l’intention des législateurs, pour se donner au Dieu Législateur et choisir une vie conforme à son Logos, dut-on affronter des risques, mille souffrances, la mort et l’infamie. Quand les actions qui plaisent à Dieu sont contraires à celles qui plaisent à certaines lois des cités, et qu’il est impossible de plaire à Dieu et à ceux qui veillent à l’application de ces lois, il serait absurde de mépriser les actions par lesquelles on plairait au Créateur de l’univers et de choisir celles par lesquelles on déplaira à Dieu tout en donnant satisfaction aux lois qui ne sont pas des lois et à ceux qui les aiment. S’il est raisonnable de préférer sur les autres points la loi de la nature, qui est la loi de Dieu, à celle qui est écrite et promulguée par les hommes en contradiction avec la loi de Dieu, combien plus ne le sera-t-il pas quand il s’agit de lois sur le culte à rendre à Dieu ? Aussi n’irons-nous pas comme les Égyptiens habitant les alentours de Méroé, adorer les seuls Zeus et Dionysos comme il leur plaît de faire, ni accorder le moindre honneur aux dieux d’Ethiopie à la manière éthiopienne ; ni comme les Arabes penser qu’Uranie et Dionysos soient les seuls dieux, ni même du tout admettre qu’ils sont des dieux en qui on honore les sexes masculin et féminin, car les Arabes adorent Uranie comme femelle et Dionysos comme mâle ; ni non plus comme tous les Égyptiens regarder Osiris et Isis comme des dieux, ni leur joindre Athéné suivant l’opinion des Saïtes. Et même si les Naucratites autrefois décidèrent d’adorer d’autres dieux, et ont commencé hier ou avant-hier à vénérer Sérapis qui n’avait jamais été dieu, nous n’irons pas pour autant faire un nouveau dieu de celui qui auparavant n’était pas dieu, et n’était pas même connu des hommes. Mais le Fils de Dieu, « Premier-né de toute créature », bien qu’il ait paru s’être fait homme récemment, n’en est pas du tout nouveau pour cela. Les divines Écritures le savent bien antérieur à toutes les créatures : c’est à lui que Dieu, lors de la création de l’homme, adressa la parole : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » LIVRE V
Aussi bien faut-il chercher la nourriture qui convient ou ne convient pas à l’animal raisonnable et civilisé qui fait tout avec réflexion, au lieu d’adorer au hasard les brebis, les chèvres et les vaches. S’abstenir d’en manger est normal, vu la grande utilité de ces animaux pour les hommes. Mais épargner les crocodiles et les considérer comme consacrés à je ne sais quelle divinité mythologique, n’est-ce point le comble de la sottise ? Faut-il être extravagant pour épargner des animaux qui ne nous épargnent point, vénérer des animaux qui dévorent des hommes ! Mais Celse approuve ceux qui selon leurs traditions adorent les crocodiles et les vénèrent, et il n’a pas écrit de discours contre eux. Tandis que les chrétiens lui semblent blâmables, parce qu’ils ont appris à avoir en horreur le vice et à éviter les actions qui en procèdent, à adorer et honorer la Vertu comme née de Dieu et Fils de Dieu. Car il ne faut pas croire, d’après le genre féminin de leur nom, que la vertu et la justice soient également féminines en leur essence : selon nous, elles sont le Fils de Dieu, comme son véritable disciple l’a établi en disant : « Lui qui de par Dieu est devenu pour nous sagesse, justice, sanctification, rédemption. » Donc, même quand nous l’appelons « second Dieu », cette dénomination, qu’on le sache, ne désigne pour nous autre chose que la Vertu embrassant toutes les vertus, le Logos embrassant tout ce qu’il y a de raison des choses qui ont été créées selon les lois de la nature, soit principalement, soit pour l’utilité du tout. Ce Logos, disons-nous, s’unit à l’âme de Jésus d’une union bien plus intime qu’à toute âme, car seul il était capable de contenir parfaitement la participation suprême du Logos en personne, de la Sagesse en personne, de la Justice en personne. LIVRE V
Il mélange des choses incompatibles et assimile entre elles des choses dissemblables ; car après avoir parlé des soixante ou soixante-dix anges descendus, selon lui, et dont les pleurs, à l’en croire, seraient les sources chaudes, il ajoute qu’il vint alors, dit-on, au tombeau de Jésus deux anges d’après les uns, un seul d’après les autres. Il n’a pas observé, je pense, que Matthieu et Marc ont parlé d’un seul, Luc et Jean de deux, ce qui n’est pas contradictoire. Les auteurs désignent par un seul ange celui qui a fait rouler la pierre loin du tombeau, et par deux anges ceux qui se sont présentés « en robe étincelante » aux femmes venues au tombeau, ou ceux qui ont été vus à l’intérieur « assis dans leurs vêtements blancs ». Il serait possible de montrer ici que chacune de ces apparitions est à la fois un événement historique et une manifestation d’un sens allégorique relatif aux vérités qui apparaissent à ceux qui sont prêts à contempler la résurrection du Logos; cela ne relève pas de l’étude actuelle, mais plutôt des commentaires de l’Évangile. Des réalités merveilleuses se sont parfois manifestées aux hommes : c’est ce que rapportent aussi parmi les Grecs non seulement ceux qu’on pourrait soupçonner d’inventer des fables, mais encore ceux qui ont donné maintes preuves de la rigueur philosophique et de leur loyauté à citer les faits qui leur sont parvenus. J’ai lu de ces traits chez Chrysippe de Soles, d’autres chez Pythagore ; et depuis, chez certains aussi plus récents, nés d’hier ou d’avant-hier, comme chez Plutarque de Chéronée dans le “Traité de l’âme”, et le Pythagoricien Noumenios dans le deuxième livre “Sur l’incorruptibilité de l’âme”. Ainsi donc, quand les Grecs, et surtout leurs philosophes, racontent des faits de cet ordre, leurs récits ne provoquent ni moquerie ni dérision et on ne les traite pas de fictions et de fables. Au contraire, quand des hommes voués au Dieu de l’univers et qui, pour ne pas dire une parole mensongère sur Dieu, acceptent d’être maltraités jusqu’à la mort, annoncent qu’ils ont vu des apparitions d’anges, ils ne mériteraient pas créance et leurs paroles ne seraient pas reconnues véridiques ? Il serait déraisonnable de trancher ainsi entre la sincérité et le mensonge. La rigueur de la critique exige une recherche longue et précise, un examen de chaque point, après lesquels, avec lenteur et précaution, on prononce que tels auteurs disent vrai et tels auteurs mentent sur les prodiges qu’ils racontent. Tous ne manifestent pas qu’ils sont dignes de foi, tous ne montrent pas clairement qu’ils transmettent aux hommes des fictions et des fables. Il faut ajouter à propos de la résurrection de Jésus d’entre les morts : il n’est pas étonnant qu’alors un ange ou deux soient apparus pour annoncer qu’il était ressuscité, et qu’ils aient pourvu à la sécurité de ceux qui pour leur salut croyaient à ce miracle. Et il ne me semble pas déraisonnable que toujours ceux qui croient Jésus ressuscité et présentent comme un fruit appréciable de leur foi la générosité de leur vie et leur aversion pour le débordement du vice, ne soient point séparés des anges qui les accompagnent pour leur porter secours dans leur conversion à Dieu. Celse reproche aussi à l’Écriture d’affirmer qu’un ange avait roulé la pierre loin du tombeau où était le corps de Jésus : il ressemble à un jeune homme qui s’exerce à user de lieux communs pour soutenir une accusation. Comme s’il avait trouvé contre l’Écriture une objection subtile, il ajoute : Le Fils de Dieu, à ce qu’il paraît, ne pouvait ouvrir le tombeau, mais il a eu besoin d’un autre pour déplacer la pierre. Mais je ne veux pas perdre mon temps à discuter l’objection ni, en développant ici une interprétation allégorique, paraître introduire mal à propos des considérations philosophiques. Du récit lui-même je dirai que d’emblée il semble plus digne que ce fût l’inférieur et le serviteur, plutôt que celui qui ressuscitait pour le bien des hommes, qui ait fait rouler la pierre. Je m’abstiens de souligner que ceux qui conspiraient contre le Logos, qui avaient décidé de le tuer et de montrer à tous qu’il était mort et réduit à rien, ne voulaient pas du tout que son tombeau fût ouvert, afin que personne ne pût voir le Logos vivant après leur conspiration. Mais « l’Ange de Dieu » venu sur terre pour le salut des hommes coopère avec l’autre ange et, plus fort que les auteurs de la conspiration, fait rouler la lourde pierre, afin que ceux qui croient le Logos mort soient persuadés qu’« il n’est point parmi les morts », mais qu’il vit et « précède » ceux qui consentent à le suivre, pour expliquer la suite de ce qu’il avait commencé à leur expliquer auparavant, lorsqu’au premier temps de leur initiation ils n’étaient pas encore capables de saisir les vérités plus profondes. LIVRE V
Loin de moi la pensée de critiquer Platon : de lui aussi la grande foule des hommes a retiré des avantages ; mais je veux mettre en lumière l’intention de ceux qui ont dit : « Ma doctrine et ma prédication n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse ; c’était une démonstration de l’Esprit et de la puissance, afin que notre foi reposât non point sur la sagesse des hommes mais sur la puissance de Dieu. » Le divin Logos déclare que prononcer un mot, fut-il en lui-même vrai et très digne de foi, n’est pas suffisant pour toucher l’âme humaine sans une puissance donnée par Dieu à celui qui parle et une grâce qui rayonne dans ses paroles, véritable don de Dieu à ceux dont la parole est efficace. C’est bien ce que dit le prophète dans le psaume soixante-septième : « Le Seigneur donnera sa parole à ceux qui prêchent avec grande puissance. » LIVRE VI
Voilà pourquoi les disciples de Jésus, simples ignorants par rapport à la philosophie grecque, ont parcouru maintes régions de la terre, influençant chacun de leurs auditeurs selon son mérite, au gré du Logos ; et les auditeurs, dans la mesure où leur liberté les inclinait à accepter la vertu, y progressèrent davantage. LIVRE VI
5. Ensuite, que soudain comme d’une flamme jaillissante surgit une lumière dans l’âme, le Logos l’a su le premier, au dire du prophète : « Illuminez-vous vous-mêmes de la lumière de la connaissance. » Et Jean, qui a vécu après lui, dit encore : « Ce qui fut fait » était « vie » dans le Logos, « et la vie était la lumière des hommes, lumière véritable, qui éclaire tout homme qui vient dans le monde » véritable et intelligible, et qui le constitue « lumière du monde ». Car « il a fait luire cette lumière dans nos coeurs pour qu’y resplendisse l’Évangile de la gloire de Dieu qui est sur la face du Christ ». C’est pourquoi un prophète très ancien, dans ses prédictions antérieures de plusieurs générations au règne de Cyrus qu’il précède de quatorze générations, a pu dire : « Le Seigneur est mon illumination et mon Sauveur : qui craindrai-je ? » ; « Ta loi est un flambeau sur mes pas, une lumière sur mon sentier » ; « La lumière de ta face est scellée sur nous, Seigneur » ; « Par ta lumière nous voyons la lumière. » C’est à cette lumière que le Logos nous exhorte dans Isaïe : « Illumine-toi, illumine-toi, Jérusalem ; car voici ta lumière, et sur toi s’est levée la gloire du Seigneur. » Et ce même auteur prophétise sur la venue de Jésus qui détournerait du culte des idoles, des statues et des démons : « Une lumière s’est levée pour ceux qui se tenaient dans le pays et l’ombre de la mort » ; et de nouveau : « Le peuple qui se tenait dans les ténèbres a vu une grande lumière. » LIVRE VI
Celse cite un autre passage de la Lettre de Platon: « Si j’avais jugé qu’on dût l’écrire et le dire pertinemment à l’adresse du grand public, qu’aurais-je pu accomplir de plus beau dans ma vie que de rendre à l’humanité le grand service de l’écrire et de mettre pour tous en lumière le fond des choses ? » Qu’on me permette de le discuter brièvement. D’abord, Platon a-t-il eu oui ou non une doctrine plus sage que celle qu’il a écrite et plus divine que celle qu’il a laissée, je laisse à chacun le soin de le rechercher de son mieux. Mais je montre que nos prophètes aussi ont eu dans l’esprit des pensées trop élevées pour être écrites et qu’ils n’ont pas écrites. Ainsi, Ézéchiel prend « un volume roulé, écrit au recto et au verso, où étaient des lamentations, des gémissements et des plaintes » et, sur l’ordre du Logos il mange le livre, afin qu’il ne soit ni transcrit ni livré aux indignes. Et il est rapporté que Jean a vu et fait des choses semblables. De plus, Paul « entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de prononcer ». Jésus, qui leur est supérieur à tous, comme il est dit, « expliquait à ses disciples en particulier » la parole de Dieu, surtout dans la solitude ; mais ses paroles n’ont pas été écrites. C’est qu’ils n’ont pas jugé devoir l’écrire et le dire pertinemment à l’adresse du grand public. Et s’il n’est pas outrecuidant de dire la vérité sur de tels génies, j’affirme que, recevant leurs pensées par une grâce de Dieu, ils voyaient mieux que Platon ce qu’on devait écrire et comment l’écrire et ce qu’on ne devait absolument pas écrire pour le grand public, ce qu’on devait dire et ce qui était d’un autre ordre. C’est encore Jean qui nous enseigne la différence entre ce qu’on doit écrire et ce qu’on ne doit pas écrire, quand il dit avoir entendu sept tonnerres l’instruire de certains points, mais lui interdire de transmettre leurs paroles par écrit. LIVRE VI
Puisqu’il cite encore un autre passage de Platon où il déclare que c’est en procédant par questions et par réponses qu’il illumine l’intelligence des adeptes de sa philosophie, qu’on me laisse prouver par les saintes Écritures que le Logos divin aussi nous invite à la dialectique. Tantôt Salomon dit : « L’instruction sans examen égare »; tantôt Jésus fils de Sirach qui nous a laissé le livre de la Sagesse déclare : «Science de l’insensé, paroles inconsidérées ». Aussi y a-t-il plus de réfutations bienveillantes chez nous, qui avons appris que le maître de la doctrine doit être capable de « réfuter les contradicteurs ». Et même s’il en est de nonchalants qui négligent de s’appliquer aux divines lectures, de scruter les Écritures et, suivant l’ordre de Jésus, de chercher le sens des Écritures, d’en demander à Dieu l’intelligence, de frapper à leurs portes closes, l’Écriture n’en est point pour autant vide de sagesse. LIVRE VI
Le deuxième après Jean et désigné par lui est Jésus à qui s’applique la parole : « Le Logos s’est fait chair » ; il correspond à la « définition » de Platon. Platon déclare que le troisième facteur est « l’image ». LIVRE VI
Mais comme nous appliquons le terme image à une chose différente, nous disons plus clairement qu’après le Logos il y a dans l’âme l’empreinte des plaies, c’est-à-dire le Christ vivant en chacun, provenant du Christ-Logos. Et qui en est capable saura si le Christ, d’après nous sagesse qui réside dans ceux qui sont parfaits, correspond au quatrième facteur qui est la connaissance. LIVRE VI
Si Celse avait lu les Évangiles sans haine ni animosité, mais par amour du vrai, il eût examiné ceci : pourquoi donc prendre pour le comparer au riche le chameau, animal difforme entre tous par nature, et quel sens avait le chas étroit de l’aiguille dans l’affirmation que « la voie est étroite et resserrée qui conduit les hommes à la vie ». Pourquoi d’après la loi, cet animal est-il réputé impur, acceptable en ce qu’il rumine, mais blâmable en ce qu’il est solipède ? Il eût aussi cherché combien de fois le chameau dans les saintes Écritures est pris comme comparaison et avec quoi, pour comprendre le sens de la parole sur les riches. Il n’eût pas omis d’examiner les passages où Jésus proclame la béatitude des pauvres et le malheur des riches, pour voir s’il s’agissait de pauvres et de riches dans l’ordre des choses sensibles, ou si le Logos entendait bénir absolument une certaine pauvreté et blâmer absolument la richesse, car n’importe qui n’aurait pas loué sans discernement les pauvres, dont la plupart ont des moeurs détestables. Mais en voilà assez sur la question. LIVRE VI
De plus, notre Sauveur et Seigneur, le Logos de Dieu montre la sublimité de la connaissance de son Père, car il n’est compris et connu comme il le mérite que de lui seul principalement, et secondairement de ceux qui ont l’esprit illuminé par lui-même, qui est Logos et Dieu. Il déclare donc : « Nul n’a connu le Fils si ce n’est le Père, ni le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils le révélera . » Personne en effet ne peut connaître dignement l’Incréé, Premier-né de toute la nature créée, comme le Père qui l’a engendré, ni le Père comme le Logos vivant, sa Sagesse et sa Vérité. En se communiquant, il écarte du Père ce qui est appelé les ténèbres dont il fait sa retraite et l’abîme présenté comme son vêtement : il révèle ainsi le Père et quiconque a la capacité de le connaître connaît le Père. LIVRE VI
Si elle fait défaut à quelqu’un c’est pour sa négligence à recevoir le pain vivant et la boisson véritable : nourri et désaltéré par eux, l’être ailé se restaure, suivant le mot de Salomon le très sage sur le véritable riche : « Il s’est fait les ailes comme l’aigle et s’en retourne vers la maison de son Seigneur. » Car il fallait que Dieu, qui sait utiliser pour le bien même les conséquences de la malice, assignât quelque place dans l’univers aux êtres à ce point méchants, et instituât une arène pour la vertu, destinée à ceux qui désirent lutter « selon les règles » pour la reconquérir ; il entendait que, après avoir été éprouvés par la malice des démons comme l’or par le feu, après avoir tout fait pour éviter la moindre dégradation de leur nature raisonnable, ils se révèlent dignes de monter jusqu’aux réalités divines et soient élevés par le Logos à la béatitude qui surpasse tout et, si j’ose dire, au sommet des biens. LIVRE VI
Voilà quelques réflexions que j’ai eu l’audace et la témérité de confier à cet écrit inutilement peut-être. Si on avait le loisir, en examinant les saintes Écritures, de réunir en un seul corps la doctrine partout éparse sur la malice, son origine, la manière dont elle est détruite, on verrait que la pensée de Moïse et des prophètes sur Satan n’a été aperçue même en songe ni par Celse ni par aucun de ceux dont l’âme est précipitée par ce démon mauvais et emportée loin de Dieu et de sa notion droite et loin de son Logos. LIVRE VI
Et il n’y a rien d’étonnant si, déclarant que l’âme de Jésus est unie au très grand Fils de Dieu par une participation suprême avec lui, nous ne la séparons plus de lui. Les saintes paroles des divines Écritures connaissent également d’autres exemples d’êtres qui, tout en étant deux par leur propre nature, se trouvent cependant considérés et constitués l’un avec l’autre en un seul. Par exemple, il est dit de l’homme et de la femme : « Ils ne sont plus deux, mais une seule chair » ; et de l’homme parfait uni au Seigneur véritable, Logos, Sagesse, Vérité : « Celui qui est uni au Seigneur est un seul esprit avec lui. » Or, si « celui qui s’unit au Seigneur n’est avec lui qu’un seul esprit », qui donc mieux ou autant que l’âme de Jésus se trouve uni au Seigneur, le Logos en personne, la Sagesse en personne, la Vérité en personne, la Justice en personne ? S’il en est ainsi, l’âme de Jésus et le Dieu Logos, « Premier-né de toute créature», ne sont pas deux. LIVRE VI
Mais si la divine Ecriture affirme que l’homme parfait est uni par la vertu à Celui qui est le Logos en personne et ne fait qu’un avec lui, ce qui nous amène à conclure que l’âme de Jésus est inséparable du « Premier-né de toute créature », il rit d’entendre Jésus appelé Fils de Dieu : c’est qu’il ne voit pas ce que les saintes Écritures disent de lui avec une signification secrète et mystérieuse. LIVRE VI
Pour persuader d’admettre cette affirmation quiconque désire suivre les conséquence des doctrines et en tirer profit, j’affirme que les divines Écritures présentent l’ensemble de l’Église de Dieu comme le Corps du Christ, animé par le Fils de Dieu, et que les croyants quels qu’ils soient sont les membres de ce corps considéré comme un tout. En effet, comme l’âme vivifie et meut le corps incapable naturellement de tirer de lui-même un mouvement vital, le Logos lui aussi, par les motions au bien et l’action qu’il imprime au corps entier, meut l’Église et chacun de ses membres qui ne fait rien indépendamment du Logos. Si donc il y a là, comme je pense, une logique non négligeable, quelle difficulté y a-t-il à dire que, en vertu de sa souveraine et insurpassable communion avec le Logos en personne, l’âme de Jésus ou en un mot Jésus n’est point séparé du Fils unique et Premier-né de toute créature et ne diffère plus de lui ? Voilà qui suffit sur la question. LIVRE VI
Pour expliquer le récit mosaïque de la création, il faudrait un long commentaire : je l’ai fait de mon mieux, bien avant d’entreprendre ce traité contre Celse, en discutant durant plusieurs années selon ma capacité d’alors les six jours du récit mosaïque de la création du monde. Il faut bien savoir pourtant que le Logos promet aux justes par Isaïe qu’il y aura encore des jours à la restauration où « le Seigneur » lui-même et non plus le soleil sera « leur lumière éternelle et où Dieu sera leur gloire ». Mais pour avoir mal compris, je pense, une secte pernicieuse qui explique à tort le mot « que la lumière soit ! » comme exprimant un souhait de la part du Créateur, Celse ajouta : Ce n’est tout de même pas de la manière dont on allume sa lampe à celle du voisin que le Créateur a emprunté d’en haut la lumière ! Et, pour avoir mal compris une autre secte impie, il dit encore : S’il y avait un dieu maudit ennemi du Grand Dieu, créant contre sa volonté, pourquoi lui prêterait-il sa lumière ? Loin de moi l’idée de répondre à ces critiques ! Je veux au contraire plus nettement convaincre ces gens d’erreur et me dresser, non pas à la manière de Celse contre celles de leurs affirmations dont je n’ai pas connaissance, mais contre celles que je connais avec précision soit pour les avoir entendues d’eux-mêmes, soit pour avoir lu soigneusement leurs traités. LIVRE VI
Voyons donc brièvement la question du bien et du mal à la lumière des divines Écritures, et la réponse à faire à l’objection : Comment Dieu pouvait-il créer le mal ? Comment est-il incapable de persuader, de réprimander ? D’après les divines Écritures, le bien au sens propre consiste dans les vertus et les actions vertueuses, et le mal au sens propre, dans leurs contraires. Je me contenterai ici des paroles du psaume trente-troisième qui établissent ce point : « Qui cherche le Seigneur ne manque d’aucun bien. Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous apprendrai la crainte du Seigneur. Quel est l’homme qui désire la vie, qui aime voir des jours heureux ? Garde ta langue du mal, tes lèvres des paroles trompeuses. Détourne-toi du mal et fais le bien. » En effet, l’injonction « détourne-toi du mal et fais le bien » n’a en vue ni le bien et le mal physiques, comme les nomment certains, ni les choses extérieures, mais le bien et le mal de l’âme. Car justement, celui qui s’est détourné de ce genre de mal et accomplit ce genre de bien par désir de la vie véritable y parviendra ; « Celui qui aime voir des jours heureux » où le Logos est le soleil de justice les atteindra, Dieu le délivrant « du monde présent qui est mauvais » et de ces mauvais jours dont Paul disait : « Mettez à profit le temps présent ; car les jours sont mauvais. » LIVRE VI
Ensuite, parce qu’il soupçonne ou peut-être comprend lui aussi ce qu’on peut dire pour justifier la destruction des hommes par le déluge, Celse objecte : S’il ne détruit pas ses propres enfants, où donc peut-il les reléguer hors de ce monde qu’il a lui-même créé ? Je réponds : Dieu ne relègue pas absolument hors de l’ensemble du monde, qui est formé du ciel et de la terre, les victimes du déluge, mais il les retire de cette vie dans la chair : et en les délivrant de leur corps, il les délivre aussi en même temps de l’existence sur la terre, couramment appelée monde en bien des endroits des Écritures. C’est surtout dans l’Évangile selon Jean qu’on trouve souvent appelé monde ce lieu terrestre, comme dans ces passages : « Il était la lumière véritable qui illumine tout homme venant dans le monde » ; « Dans le monde vous avez la tribulation ; mais ayez confiance, moi, j’ai vaincu le monde». » Si donc on entend l’expression reléguer hors du monde en la référant à ce lieu terrestre, il n’y a aucune absurdité à le dire. Mais si on nomme monde le système formé par le ciel et la terre, les victimes du déluge ne sont pas absolument reléguées hors du monde ainsi entendu. Toutefois, en considérant les versets : « Nous ne regardons pas à ce qu’on voit, mais à ce que l’on voit pas », « Ses oeuvres invisibles, en effet, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit », on pourrait dire : celui qui s’occupe des réalités invisibles, généralement nommées « ce qu’on ne perçoit pas », s’éloigne du monde, car le Logos le retire d’ici-bas et le transporte dans le lieu supracéleste pour en contempler les beautés. LIVRE VI
On a donné la réponse qu’on pouvait à sa formule. Dieu ordonne que telle chose soit, ou telle ou telle autre, en citant le texte : « Il a dit et elles ont été faites, il a ordonné et elles ont été créées », en expliquant que le Créateur immédiat du monde et pour ainsi dire son artisan en personne est le Logos Fils de Dieu, mais que le Père du Logos, pour avoir commandé au Logos son Fils de créer le monde, est le premier Créateur. LIVRE VI
Ensuite, comme si l’affirmation de l’Écriture ou notre interprétation était que Dieu, fatigué, se reposa, il déclare : Il n’est pas permis de dire que le Dieu Premier se fatigue, ni qu’il travaille de ses mains, ni qu’il commande. Donc Celse déclare qu’il n’est pas permis de dire que le Dieu Premier se fatigue. Mais je dirais que ni le Logos de Dieu ne se fatigue, ni ceux qui sont déjà dans l’ordre supérieur et divin. Car il n’y a de fatigue que pour ceux qui sont dans un corps. On pourrait chercher s’il s’agit d’êtres ayant n’importe quel corps ou de ceux qui ont un corps terrestre et légèrement supérieur au nôtre. En outre, il n’est pas permis de dire que le Dieu Premier travaille de ses mains ; et à prendre « travailler de ses mains » au sens propre, on ne peut l’entendre du Second, ni de tout autre être divin. Mais à supposer que l’expression « travailler de ses mains » soit prise au sens impropre ou figuré pour expliquer : « Le firmament annonce l’oeuvre de ses mains », « Ses mains ont affermi le ciel », et toute autre semblable où nous prenons au sens figuré les mains et les membres de Dieu, qu’y a-t-il d’absurde à dire en ce sens que Dieu travaille de ses mains ? Et comme il n’est point absurde de dire en ce sens que Dieu travaille de ses mains, il ne l’est pas davantage de dire qu’il commande afin que les oeuvres accomplies par celui à qui il commande soient belles et louables, parce que c’est Dieu qui les lui a commandées. LIVRE VI
Celse n’a pas vu la différence qu’il y a entre les expressions «à l’image de Dieu » et «son image » : L’image de Dieu est « le premier-né de toute créature », le Logos en personne, la Vérité en personne, et encore la Sagesse en personne, « image de sa bonté »; tandis que l’homme a été créé « à l’image de Dieu », et en outre tout homme dont le Christ « est la tête » est image et gloire de Dieu. Il n’a même pas su en quelle partie de l’homme s’imprime un caractère « à l’image de Dieu » : c’est dans l’âme qui n’a pas eu ou qui n’a plus « le vieil homme avec ses agissements » et, du fait qu’elle ne les a point, possède la qualité d’être « à l’image » du Créateur. Il dit donc : Dieu n’a pas non plus fait l’homme à son image ; car il n’est pas tel que l’homme et il ne ressemble à aucune autre forme. Mais pourrait-on croire que, dans la partie inférieure du composé humain, je veux dire dans le corps, existe ce qui est « à l’image de Dieu » et que, comme Celse l’a compris, le corps soit « à son image » ? Car si ce qui est « à l’image de Dieu » est dans le corps seul, l’élément supérieur, l’âme, se trouve privé de ce qui est « à l’image » et qui se trouve dans le corps corruptible : nul d’entre nous ne le prétend. Mais si ce qui est « à l’image de Dieu » se trouve dans les deux ensemble, il est nécessaire que Dieu soit composé et pour ainsi dire constitué lui-même d’une âme et d’un corps, pour que l’élément supérieur qui est « à l’image » soit dans l’âme, et que l’inférieur correspondant au corps soit dans le corps : nul d’entre nous ne le prétend. Il reste donc à comprendre que ce qui est « à l’image de Dieu » se réalise dans ce que nous nommons l’homme intérieur, renouvelé, apte à devenir « à l’image du Créateur », quand l’homme devient « parfait comme le Père céleste est parfait » ; quand il entend : « Vous serez saints, car moi le Seigneur votre Dieu, je suis saint »; quand il apprend le commandement : « Soyez les imitateurs de Dieu » et qu’il reçoit dans son âme vertueuse les traits de Dieu. Alors aussi le corps de celui qui a reçu les traits de Dieu dans la partie qui est faite « à l’image de Dieu » est « un temple », puisqu’il possède une âme de cette qualité et dans l’âme, Dieu, à cause de l’élément « à son image ». LIVRE VI
Il est vrai que Dieu ne participe pas à l’être. Il est participé plutôt qu’il ne participe, et il est participé par ceux qui ont « l’Esprit de Dieu ». Et notre Sauveur ne participe pas à la justice mais, étant « justice », il est participé par les justes. Cependant il y aurait à élaborer une doctrine profonde et ardue sur l’essence, surtout sur l’essence proprement dite, permanente et incorporelle ; et cela, pour découvrir si Dieu « est au delà de l’essence en dignité et en pouvoir » et fait participer à l’essence ceux qu’il rend participants selon son Logos et son Logos lui-même ; ou bien s’il est lui-même une essence, bien qu’il soit dit invisible par sa nature dans la parole qui affirme du Sauveur : « IL est l’image du Dieu invisible », et où ce mot « invisible » signifie qu’il est incorporel. Il resterait à chercher si le Fils unique, Premier-né de toute créature, doit être dit essence des essences, idée des idées, et principe, tandis que Dieu son Père est au-dessus de tout cela. LIVRE VI
Mais quand il ajoute : Il est inaccessible au logos, je distingue. S’il s’agit du logos qui est en nous, intérieur ou proféré, j’accepte que Dieu soit inaccessible au logos. Mais considérant les mots : « Au commencement était le Logos, et le Logos était auprès de Dieu, et le Logos était Dieu », j’affirme que Dieu est accessible à ce Logos, qu’il est compris, non par lui seul, mais par tout homme à qui il révèle le Père, et je prouve le mensonge de l’allégation de Celse : Dieu est inaccessible au logos. LIVRE VI
Voyons le passage qui suit. Il paraît mettre en scène un personnage qui, après avoir entendu ces paroles, demanderait : Comment donc puis-je connaître Dieu ? Comment puis-je apprendre la voie qui mène là-haut ? Comment me le montres-tu ? Car pour l’instant, c’est de l’obscurité que tu répands devant mes yeux et je ne puis rien voir de distinct. Ensuite, il esquisse la réponse à pareille difficulté et, croyant donner la raison de l’obscurité qu’il a répandue devant les yeux de celui qui vient de parler, il dit : Ceux que l’on conduit des ténèbres à une éclatante lumière, ne pouvant en supporter les rayons, ont la vue offusquée et affaiblie et se croient aveugles. On répondra : ceux-là sont assis dans les ténèbres et y demeurent qui arrêtent le regard sur toutes les oeuvres mauvaises des peintres, des modeleurs, des sculpteurs, sans vouloir regarder plus haut et s’élever par l’esprit du visible et de tout le sensible jusqu’au Créateur de l’univers qui est lumière. Mais celui-là se trouve dans la lumière qui suit les rayons du Logos, car le Logos a montré quelle ignorance, quelle impiété et quel manque de connaissance sur la divinité conduisent à adorer ces choses à la place de Dieu ; et il a guidé jusqu’au Dieu incréé et suprême l’esprit de qui veut être sauvé. « Car le peuple qui était assis dans l’obscurité », celui des Gentils, « a vu une grande lumière, et la lumière s’est levée pour ceux qui sont assis dans la région et l’ombre de la mort », le Dieu Jésus. LIVRE VI
Aucun chrétien dès lors ne répond à Celse ou à un des accusateurs du divin Logos : Comment puis-je connaître Dieu ? Car chacun d’eux à sa mesure connaît Dieu. Aucun ne demande : Comment puis-je apprendre la voie qui mène là-haut ? Car il a entendu Celui qui a dit : «Je suis la voie, la vérité, la vie » et il a goûté, en s’avançant par cette voie, le bienfait que procure cette marche. Aucun chrétien ne dirait à Celse : Comment me montres-tu Dieu ? LIVRE VI
Dans les remarques précédentes de Celse, il y a cela de vrai : en entendant ses paroles et en constatant qu’elles sont pleines d’obscurité, on répond : C’est de l’obscurité que tu répands devant mes yeux. Oui, Celse et ses pareils veulent répandre de l’obscurité devant nos yeux, mais nous, par la lumière du Logos, nous dissipons l’obscurité des doctrines impies. Et le chrétien pourrait répliquer à Celse, qui ne dit rien de distinct ni de convaincant : Je ne peux rien voir de distinct dans tes paroles. Celse donc ne nous mène pas des ténèbres à la pleine lumière, mais il veut nous faire passer de la lumière aux ténèbres ; car il a fait des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres, et il tombe sous le coup de l’excellent oracle d’Isaïe : « Malheur à ceux qui font des ténèbres la lumière et de la lumière les ténèbres. » Quant à nous, puisque le Logos nous a ouvert les yeux de l’âme et que nous voyons la différence entre la lumière et les ténèbres, nous sommes déterminés à rester de toute façon dans la lumière et nous nous refusons à tout contact avec les ténèbres. La lumière véritable, étant animée, sait ceux à qui il faudra montrer l’éclat, et ceux à qui montrer la lumière, sans leur présenter elle-même sa splendeur à cause de la faiblesse qui affecte encore leurs yeux. LIVRE VI
S’il faut parler en général d’une vue offusquée et affaiblie, à quel autre attribuer cette maladie des yeux sinon à celui qui est retenu par l’ignorance de Dieu, et empêché par ses passions de voir la vérité ? Les chrétiens sont donc bien loin de croire que les paroles de Celse ou de quelque ennemi de la religion vont les aveugler. Ceux qui s’aperçoivent qu’ils sont aveuglés eux-mêmes en suivant les foules des égarés et les nations de ceux qui célèbrent des fêtes en l’honneur des démons n’ont qu’à s’approcher du Logos qui accorde des yeux : et comme les pauvres et les aveugles qui se prosternaient aux bords du chemin ont été guéris par Jésus pour avoir dit : « Fils de David, ayez pitié de nous ! » ils obtiendront miséricorde et recevront les yeux nouveaux et sains, tels que le Logos de Dieu peut les créer. LIVRE VI
Voilà pourquoi, si Celse nous demande comment nous pensons apprendre à connaître Dieu et trouver le salut près de lui, nous répondrons : le Logos de Dieu est capable, en venant à ceux qui le cherchent et qui le reçoivent quand il apparaît, de faire connaître et de révéler son Père, invisible avant sa venue. Quel autre peut sauver et conduire au Dieu suprême l’âme de l’homme sinon le Dieu Logos ? « Il était au commencement auprès de Dieu », mais à cause de ceux qui se sont collés à la chair et sont devenus chair, « il s’est fait chair », afin de pouvoir être reçu par ceux qui étaient incapables de le voir en tant qu’il était Logos, qu’il était auprès de Dieu et qu’il était Dieu. LIVRE VI
Exprimé en termes corporels et prêché comme chair, il appelle à lui ceux qui sont chair pour les rendre conformes au Logos qui s’est fait chair, et pour les faire monter ensuite, afin qu’ils le voient tel qu’il était avant qu’il se fît chair ; de telle sorte qu’ils reçoivent ce bienfait, s’élèvent à partir de cette initiation selon la chair et peuvent dire : « Même si nous avons connu autrefois le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus à présent. » Donc «il s’est fait chair », et, fait chair, il a habité parmi nous et non pas loin de nous. Ayant habité et vécu parmi nous, il n’est pas resté sous sa première forme ; il nous a fait monter sur « la haute montagne » spirituelle, il nous a montré sa forme glorieuse et l’éclat de ses vêtements : non seulement celle qui lui est propre, mais encore celle de la loi spirituelle, et c’est Moïse apparu dans la gloire avec Jésus. Il nous a montré également toute la prophétie, qui n’est pas morte après son incarnation, mais qui était transportée au ciel et symbolisée par Élie. Qui a contemplé pareil spectacle peut dire : « Et nous avons contemplé sa gloire, gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité. » Elle est donc par trop simpliste la réponse que, d’après Celse, nous ferions à sa question : Comment pensons-nous apprendre à connaître Dieu et trouver le salut près de lui ? Car notre réponse est dans ce qui précède. LIVRE VI
Accordons en outre que Dieu est difficile à contempler. Il n’est pas le seul à être difficile à contempler : son Fils l’est également. Car le Dieu Logos est difficile à contempler ; et aussi difficile à contempler, la sagesse dans laquelle Dieu a fait toutes choses. Qui en effet peut contempler dans chaque partie de l’univers la sagesse dans laquelle Dieu a fait même chaque partie de l’univers ? Ce n’est donc point parce qu’il est difficile à contempler que Dieu a envoyé son Fils qui serait facile à contempler. C’est pour ne point l’avoir compris que Celse nous fait dire : Parce qu’il est difficile à contempler, il a introduit son propre esprit dans un corps semblable au nôtre et l’a envoyé ici-bas pour que nous puissions l’entendre et recevoir ses leçons. Mais, comme on l’a montré, le Fils aussi est difficile à contempler, étant donné qu’il est le Dieu Logos par qui tout a été fait, « lui qui a habité parmi nous ». LIVRE VI
Les philosophes du Portique disent que les principes premiers sont corporels et, pour cette raison, jugent tout périssable ; ils risqueraient même de rendre périssable le Dieu suprême, si cette conclusion ne leur paraissait trop absurde ; à les en croire, même le Logos de Dieu descendant jusqu’aux hommes et aux moindres choses n’est rien d’autre qu’un esprit corporel. Mais pour nous, qui prenons à tâche de démontrer que l’âme raisonnable est supérieure à toute nature corporelle, qu’elle est une réalité invisible et incorporelle, le Logos Dieu ne peut être un corps : lui par qui tout a été fait et qui est venu, pour que tout fût fait par le Logos, non seulement les hommes mais les êtres tenus pour les moindres et régis par la nature. Libre donc aux gens du Portique de tout vouer à l’embrasement ! Nous savons, nous, qu’aucune réalité incorporelle n’est vouée à l’embrasement et que ne peuvent se dissoudre en feu ni l’âme de l’homme, ni la substance des anges, trônes, dominations, principautés, puissances. LIVRE VI
Ce sont là, dira-t-il, des inventions qui ne diffèrent en rien des fables, tout comme les autres histoires des miracles de Jésus. A cela on a longuement répondu dans les pages qui précèdent. Mais la doctrine a encore une signification plus mystérieuse : elle annonce que les différentes formes de Jésus étaient en relation avec la nature du Logos divin. Car il n’apparaît point de la même manière à la foule et à ceux qui sont capables de le suivre sur la haute montagne dont on a parlé. LIVRE VI
Pour ceux qui sont encore au pied de la montagne et non encore préparés à la gravir, le Logos n’a ni forme ni beauté, car pour eux sa forme est méprisable et inférieure aux discours provenant des hommes, appelés au figuré dans ce passage « enfants des hommes ». On pourrait dire que les discours des philosophes, qui sont « enfants des hommes », paraissent bien plus éclatants que le Logos de Dieu prêché aux foules, qui semble même une folie de la prédication. Et à cause de cette folie apparente de la prédication, ceux qui arrêtent là leur contemplation disent : « Nous l’avons vu, il n’avait ni forme ni beauté. LIVRE VI
» Pour ceux toutefois qui ont reçu le pouvoir, parce qu’ils le suivent, de l’accompagner même quand il monte « sur la haute montagne », il a une forme plus divine. Il la voit, celui qui est comme Pierre, capable d’avoir l’Église bâtie sur lui par le Logos et qui a une telle disposition au bien qu’aucune porte de l’enfer ne peut prévaloir contre lui, parce qu’il a été élevé par le Logos « des portes de la mort, pour qu’il puisse publier toutes les louanges de Dieu aux portes de la fille de Sion » ; et s’il y en a qui doivent leur naissance aux paroles prononcées d’une voix puissante, ils ne manquent aucunement de tonnerre spirituel. LIVRE VI
Quant à Celse et aux ennemis du divin Logos qui n’examinent pas les enseignements du christianisme avec l’amour de la vérité, d’où pourraient-ils savoir la signification des différentes formes de Jésus ? Et j’ajoute même : la signification des différents âges de sa vie, et tout ce qu’il a pu faire soit avant sa passion, soit après sa résurrection des morts. LIVRE VI
Si Jésus, pour de bonnes raisons, a maintenant achevé l’économie de l’Incarnation, il a de tout temps été bienfaiteur du genre humain. Car aucune belle action ne se produit parmi les hommes sans que le divin Logos ait visité les âmes de ceux qui ont été capables, ne fût-ce que pour un moment, de recevoir ces opérations du divin Logos. LIVRE VI
En outre la venue de Jésus, apparemment dans un seul coin de terre, avait ses raisons : il fallait que celui qui fut prophétisé vînt à ceux qui ont appris qu’il y a un seul Dieu, qui lisent ses prophètes et apprennent l’annonce du Christ et qu’il vînt au moment opportun où la doctrine allait d’un seul coin se répandre sur toute la terre. Et c’est pourquoi il n’était pas besoin qu’il existât partout un grand nombre de corps et un grand nombre d’esprits tels que Jésus, pour que toute la terre des hommes fût illuminée par le Logos de Dieu. Il suffisait que le Logos unique « levé comme un soleil de justice », envoyât de la Judée ses rayons jusqu’aux âmes de ceux qui veulent l’accueillir Désire-t-on voir un grand nombre de corps remplis de l’esprit divin, à l’imitation de ce Christ unique, se dévouer en tous lieux au salut des hommes ? Que l’on considère ceux qui en tous lieux vivent dans la pureté et la droiture enseignent la doctrine de Jésus, et sont eux aussi appelés « christs » par les divines Écritures : « Ne touchez pas à mes christs, ne faites point de mal à mes prophètes ! » LIVRE VI
Voilà ce que j’avais à dire contre le propos inconvenant de Celse : Il aurait fallu qu’il insufflât de la même manière un grand nombre de corps et les envoyât par toute la terre. Le poète comique, donc, fait rire en représentant Zeus endormi qui à son réveil envoie Hermès aux Grecs. Mais que le Logos, qui sait que la nature de Dieu n’est pas sujette au sommeil, nous enseigne que Dieu administre les affaires du monde à tout moment, comme l’exige la droite raison ! Rien d’étonnant si, dans la profondeur inscrutable des jugements de Dieu, les âmes sans instruction s’égarent, et Celse avec elles. Il n’y a donc rien de dérisoire à ce que le Fils de Dieu ait été envoyé aux Juifs chez qui avaient vécu les prophètes, afin que, partant de là corporellement, il se levât avec sa puissance et son esprit sur le monde des âmes qui ne voulait plus rester vide de Dieu. LIVRE VI
Il n’est pas d’étrangers à la foi qui aient rien fait de semblable à ce que firent les prophètes ; il n’en est pas de plus récents, même postérieurs à la venue de Jésus, dont l’histoire dise qu’ils aient prophétisé parmi les Juifs. Car, de l’aveu de tous, le Saint-Esprit a abandonné les Juifs coupables d’impiété envers Dieu et envers Celui qui avait été prédit par leurs prophètes. Mais les signes du Saint-Esprit sont apparus, d’abord au temps de l’enseignement de Jésus, et en plus grand nombre après son ascension, mais par la suite en moins grand nombre. Cependant il en reste encore aujourd’hui des vestiges chez quelques-uns dont les âmes ont été purifiées par le Logos et les actions qu’il inspire. « Car l’Esprit Saint qui nous éduque fuit la duplicité, il s’éloigne des pensées sans intelligence. » Celse promet d’indiquer la manière dont se font les divinations en Phénicie et en Palestine, comme une chose dont il est instruit et qu’il sait de première main. Examinons donc ce point. Il dit d’abord qu’il y a plusieurs espèces de prophéties, mais sans les indiquer : il en était incapable, ce n’était là qu’une hâblerie. Mais voyons celle qu’il présente comme le type le plus achevé chez les hommes de celte région. LIVRE VI
S’il avait été de bonne foi dans son accusation, il aurait dû citer les prophéties dans leur texte : celles dont l’auteur s’est proclamé le Dieu tout-puissant, ou celles où l’on croit entendre le Fils de Dieu ou le Saint-Esprit. Car ainsi il eût au moins tâché d’en réfuter la teneur et de montrer qu’il n’y a aucune inspiration divine dans les discours qui par leur contenu détournent des fautes, blâment l’état présent, annoncent l’avenir. Aussi les contemporains des prophètes ont-ils écrit et gardé leurs prophéties pour que la postérité, en les lisant, les admire comme des paroles de Dieu et que, bénéficiant non seulement de celles qui blâment et qui convertissent, mais encore de celles qui prédisent, et convaincue par les événements que c’était l’Esprit divin qui avait prédit, elle persévère dans la piété conforme au Logos, persuadée par la loi et les prophètes. LIVRE VI
Aussi même les chrétiens d’une extrême simplicité, nullement rompus aux raisonnements dialectiques, refuseraient de dire que la Vérité, la Vie, la Voie, le Pain vivant descendu du ciel ou la Résurrection ait subi la mort. La personne qui s’affirme être la résurrection c’est celle qui, dans l’homme visible qu’était Jésus, a enseigné : « Je suis la Résurrection ». De plus, aucun d’entre nous n’est assez stupide pour dire que la Vie est morte ou que la Résurrection est morte. Or l’hypothèse de Celse ne serait de mise que si nous affirmions que les prophètes ont prédit la mort pour celui qui est le Dieu Logos, la Vérité, la Vie, la Résurrection ou l’un des autres titres que se donne le Fils de Dieu. LIVRE VI
Il n’y a donc qu’un point où Celse dise la vérité : Mais les prophètes n’ont pu le prédire : c’est un mal et une impiété. Que veut-il dire d’autre sinon que le grand Dieu subirait l’esclavage et la mort ? Au contraire, elle est bien digne de Dieu l’annonce faite par les prophètes qu’une certaine « splendeur et image » » de la nature divine viendrait vivre associée à l’âme sainte de Jésus qui prend un corps humain, afin de répandre une doctrine faisant participer à l’amitié du Dieu de l’univers quiconque la recevrait et cultiverait dans son âme, et amenant tout homme à la fin, à condition qu’il garde en soi-même la puissance de ce Dieu Logos qui devait habiter dans un corps et une âme d’homme. De cette façon, ses rayons ne seraient pas enfermés en lui seul et on ne pourrait penser que la lumière source de ces rayons, le Dieu Logos, n’existe nulle part ailleurs. LIVRE VI
Dès lors, ce qu’on a fait à Jésus, si l’on considère la divinité qui est en lui, n’est pas contraire à la piété et ne répugne point à la notion de la divinité. Par ailleurs, en tant qu’homme, plus orné que tout autre par la participation la plus élevée au Logos en personne et à la Sagesse en personne, il a supporté en sage parfait ce que devait supporter celui qui accomplit tout en faveur de toute la race des hommes ou même des êtres raisonnables. Et il n’est nullement absurde que l’homme soit mort et que sa mort non seulement soit un exemple de la mort subie pour la religion, mais encore qu’elle commence et poursuive la ruine du Mauvais, le Diable, qui s’était attribué toute la terre. Cette ruine est attestée par ceux qui de toutes parts, grâce à l’avènement de Jésus, échappent aux démons qui les tenaient assujettis et, libérés de cet esclavage qui pesait sur eux, se vouent à Dieu et à la piété envers lui, laquelle, selon leurs forces, devient plus pure de jour en jour. LIVRE VI
Celse, qui prétend tout savoir, tombe ici dans une erreur fort grossière à propos du sens des Écritures. Il croit que dans la Loi et les Prophètes il n’y a pas de doctrine plus profonde que le sens littéral des expressions. C’est faute de voir que le Logos n’aurait pu promettre de façon si manifestement invraisemblable la richesse matérielle à qui mène une vie vertueuse : car on peut montrer que des gens très justes ont vécu dans une pauvreté extrême. Ainsi les prophètes, que la pureté de leur vie avait disposés à recevoir l’Esprit divin, « ont mené une vie vagabonde, vêtus de peaux de moutons ou de chèvres, dénués de tout, persécutés, maltraités, errant dans les déserts, les montagnes, les cavernes et les antres de la terre ». Car au dire du Psalmiste « innombrables sont les tribulations des justes ». LIVRE VI
De la même manière que la richesse, on doit interpréter la puissance qui permet, au dire de l’Écriture, à un juste de poursuivre un millier d’ennemis, et à deux de mettre en fuite des myriades. Si tel est le sens des paroles sur la richesse, vois s’il n’est pas conforme à la promesse de Dieu que l’homme qui est riche en toute doctrine, toute science, toute sagesse, toute ?uvre bonne puisse prêter de sa richesse en doctrine, en sagesse, en science, à de nombreuses nations, ainsi que put faire Paul à toutes les nations qu’il avait visitées quand il rayonna de Jérusalem jusqu’en Illyrie, menant à bien la prédication de l’Évangile du Christ. Comme son âme se trouvait illuminée par la divinité du Logos, les secrets divins se faisaient connaître à lui par révélation : il n’empruntait rien et n’avait nul besoin qu’on lui transmît la doctrine. LIVRE VI
Mais, comme il est écrit : « Tu domineras bien des nations et elles ne te domineront pas », en vertu de la puissance que lui conférait le Logos, Paul dominait ceux de la Gentilité en les soumettant à l’enseignement du Christ Jésus, sans jamais se soumettre nulle part à des hommes comme s’ils lui étaient supérieurs. Et dans le même sens « il remplissait toute la terre ». LIVRE VI
Dans le même sens, les justes détruisent tout ce qu’il y a de vie dans leurs ennemis issus du vice, sans faire grâce à un mal infime qui vient de naître. C’est encore dans ce sens que nous comprenons le passage du psaume cent trente-sixième : « Fille de Babylone, misérable ! Heureux qui te revaudra les maux que tu nous as valus, heureux qui saisira et brisera tes petits contre le roc ! » Les petits de Babylone, qui signifie confusion, sont les pensées confuses inspirées par le vice qui naissent et se développent dans l’âme. S’en rendre assez maître pour briser leurs têtes contre la fermeté et la solidité du Logos, c’est briser les petits de Babylone contre le roc et à ce titre, devenir heureux. Dès lors, admettons que Dieu ordonne d’exterminer les ?uvres d’iniquité, toute la race sans épargner la jeunesse : il n’enseigne rien qui contredise la prédication de Jésus. Admettons que sous les yeux de ceux qui sont Juifs dans le secret Dieu réalise la destruction de leurs ennemis et de toutes les ?uvres de malice. Et qui plus est, admettons que ceux qui refusent d’obéir à la loi et au Logos de Dieu se soient assimilés à ses ennemis et portent la marque du vice : ils devront souffrir les peines que méritent la désobéissance aux paroles de Dieu. LIVRE VI
On voit clairement aussi par là que Jésus, l’homme de Nazareth, ne promulgue pas des lois contraires aux déclarations citées sur la richesse et ceux qui y renoncent, quand il dit qu’il est difficile à un riche de pénétrer dans le Royaume de Dieu : que l’on entende par riche simplement celui qui est tiraillé par la richesse et empêché, comme par ses épines, de porter les fruits du Logos, soit l’homme riche en opinions mensongères, dont il est écrit dans les Proverbes : « Mieux vaut un pauvre juste qu’un riche menteur ! » LIVRE VI
De plus, quand notre Sauveur dit : « Que celui qui a des oreilles pour entendre entende », même le premier venu comprend qu’il s’agit d’oreilles d’ordre spirituel. Et quand il est dit que « la parole du Seigneur » est dans la main du prophète Jérémie ou de quelque autre, ou la loi « dans la main » de Moïse, ou « J’ai cherché Dieu de mes mains et je n’ai pas été trompé », personne n’est assez sot pour ne pas comprendre qu’il s’agit de mains au sens figuré. C’est d’elles encore que Jean déclare : « Nos mains ont touché le Logos de vie. » Et pour apprendre des saintes Écritures qu’il existe un sens supérieur et non corporel, il faut entendre le mot de Salomon dans les Proverbes : « Tu trouveras un sens divin. » LIVRE VI
De là vient aussi que notre Sauveur, sachant qu’il y a en nous ces deux sortes d’yeux, déclare : « C’est pour un jugement que je suis venu en ce monde : pour que voient ceux qui ne peuvent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » Par ceux qui ne voient pas, il laisse entendre les yeux de l’âme, à qui le Logos donne de voir, et par ceux qui voient, les yeux des sens que le Logos rend aveugles, pour que l’âme voie sans distraction ce qu’elle doit voir. Tout homme donc vivant son christianisme comme il convient tient éveillé l’oeil de son âme et fermé celui des sens. Et dans la mesure où l’oeil supérieur est ouvert et fermée la vue des sens, chacun comprend et contemple le Dieu suprême et son Fils, qui est Logos, Sagesse, etc. LIVRE VI
Il nous renvoie aux poètes, inspirés selon lui, aux sages, aux philosophes, sans donner leurs noms. Malgré sa promesse de nous montrer les guides, il se borne à indiquer en général les poètes inspirés, les sages, les philosophes. S’il avait cité les noms de chacun d’eux, il pourrait sembler logique de lui opposer que, pour induire en erreur, il nous donne comme guides des hommes aveugles par rapport au vrai, ou sinon tout à fait aveugles, du moins dans l’erreur sur bien des doctrines de la vérité. Entend-il donc par poètes inspirés Orphée, Parménide, Empédocle, ou Homère lui-même ou encore Hésiode ? Libre à chacun de montrer comment ceux qui suivent de tels guides marchent dans une voie meilleure et ont plus de secours dans les difficultés de la vie que ceux qui, grâce à l’enseignement de Jésus-Christ, ont dit adieu à toutes les images et statues, et même à toute la superstition judaïque, et qui par le Logos de Dieu lèvent leurs regards vers Dieu seul le Père du Logos. LIVRE VI
Elle est assurément sublime et non point méprisable, la sentence de Platon. Mais vois si la divine Écriture ne représente point avec un plus grand amour de l’humanité le Dieu Logos, qui était « au commencement près de Dieu », se faisant chair pour que pût parvenir à tous les hommes le Logos dont Platon dit que, une fois découvert, le dire à tous est impossible. Libre à Platon de dire : « Découvrir l’auteur et le père de cet univers est laborieux » : il laisse entendre qu’il n’est pas impossible pour la nature humaine de découvrir Dieu comme il le mérite ou, sinon comme il le mérite, du moins davantage et mieux que la foule. LIVRE VI
Nous affirmons donc que voir l’auteur et le père de l’univers est laborieux. On le voit cependant, de la manière qu’indiqué non seulement la promesse : « Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu », mais aussi la déclaration de Celui qui est l’« Image du Dieu invisible » : « Qui m’a vu a vu le Père qui m’a envoyé. » En effet, nul homme sensé ne dira que Jésus a dit : « Qui m’a vu a vu le Père qui m’a envoyé » en rapportant ces mots à son corps sensible et visible aux hommes. Sinon, ils auraient aussi vu Dieu le Père tous ceux qui disaient : « Crucifie-le, crucifie-le ! » ainsi que Pilate qui avait reçu le pouvoir sur la nature humaine de Jésus : ce qui est absurde. Que la parole : « Qui m’a vu a vu le Père qui m’a envoyé » ne doive pas être prise dans son acception ordinaire, la preuve en est dans celle qui est dite à Philippe : « Depuis si longtemps que je suis avec vous, Philippe, tu ne me connais pas ? » c’était une réponse à la demande : « Montre-nous le Père et cela nous suffit. » Donc, quand on a compris qu’il faut entendre ces paroles du Dieu monogène Fils de Dieu, le Premier-né de toute créature, en tant que le Logos s’est fait chair, on saura comment, voyant l’Image du Dieu invisibles, on connaîtra le père et l’auteur de cet univers. LIVRE VI
Celse pense que Dieu est connu soit par la synthèse qui domine les autres choses, semblable à la synthèse dont parlent les géomètres, soit par l’analyse qui le distingue des autres choses, soit encore par une analogie semblable à la leur, si toutefois on est capable d’arriver par cette méthode au vestibule du Bien. Mais en disant : « Personne ne connaît le Père que le Fils et celui à qui le Fils le révèle » le Logos de Dieu déclare qu’on connaît Dieu par une faveur divine, inséparable d’une action de Dieu dans l’âme qui y produit une sorte de transport divin. Il est bien normal que la connaissance de Dieu dépasse la nature humaine ; de là, dans l’humanité, tant d’erreurs sur Dieu. Mais grâce à la bonté et à l’amour de Dieu pour les hommes, par une faveur miraculeuse proprement divine, cette connaissance de Dieu parvient à tous ceux qui y ont été prédestinés, du fait que Dieu savait d’avance qu’ils vivraient d’une manière digne de Dieu qu’ils auraient connu : ils ne falsifieraient en rien la religion envers lui, même si ceux qui n’ont aucune idée de la religion et l’imaginent tout autre qu’elle n’est réellement les conduisaient à la mort, même s’ils les jugeaient ridicules à l’excès. LIVRE VI
Priant « en tout lieu », après avoir fermé l’entrée des sens et donné l’éveil aux yeux de l’âme, il s’élève au-dessus du monde entier ; il ne s’arrête même pas à la voûte du ciel, mais atteignant par la pensée le lieu supracéleste, guidé par l’Esprit divin et, pour ainsi dire, hors du monde, il fait monter à Dieu sa prière qui n’a point pour objet les choses passagères. Car il a appris de Jésus à ne chercher rien de petit, c’est-à-dire de sensible, mais seulement les choses grandes et véritablement divines qui surviennent comme dons de Dieu pour guider vers la béatitude auprès de lui, par son Fils, le Logos qui est Dieu. LIVRE VI
Pour nous, qui avons soin de ne rien combattre de ce qui est noblement exprimé, même si les auteurs sont étrangers à notre foi, et de ne pas leur chercher noise ni vouloir renverser les doctrines saines, voici notre réponse. On a beau insulter ceux qui veulent consacrer tous leurs efforts à pratiquer la piété à l’égard du Dieu de l’univers qui agrée aussi bien la foi que les simples ont en lui et la piété réfléchie de ceux qui ont plus d’intelligence, et qui font monter leurs prières avec action de grâce vers le Créateur de l’univers comme par le Grand-Prêtre qui a réglé pour les hommes la pure piété envers Dieu ; on a beau traiter ces gens de boiteux et mutilés dans l’âme, et dire qu’ils vivent pour le corps, une chose morte, eux qui disent de tout leur coeur : « Nous vivons dans la chair, évidemment, mais nous ne combattons pas avec les moyens de la chair. Non, les armes de notre combat ne sont point charnelles, mais puissantes par Dieu » : que l’on prenne garde, rien qu’en disant du mal de ceux qui prient pour être à Dieu, de faire boiter son âme et de mutiler en soi-même « l’homme intérieur » en l’amputant, par ces calomnies contre ceux qui veulent vivre dans la vertu, de la modération et de l’équilibre dont le Créateur a naturellement jeté la semence dans la nature raisonnable ! Quand au contraire on a appris entre autres choses du divin Logos pour le mettre en pratique, quand on est insulté, à bénir, quand on est persécuté, à endurer, quand on est calomnié, à supplier, on sera de ceux qui, ayant redressé les pas de l’âme, purifient et préparent l’âme toute entière. Il ne s’agit point de distinguer seulement en paroles l’essence de la génération, l’intelligible du visible, de rapporter la vérité à l’essence, de fuir par tous les moyens l’erreur qui accompagne la génération. On aspire, selon cet enseignement, non point aux choses de la génération, que l’on voit et qui, pour cette raison, sont passagères, mais aux réalités supérieures, qu’on veuille les appeler essence, ou invisibles parce qu’elles sont intelligibles, ou choses qu’on ne voit pas parce que leur nature est d’échapper aux sens. LIVRE VI
Telle est du moins l’attestation du divin Logos sur ceux qui ont accepté les idées que présente Celse et professent une philosophie en accord avec ces doctrines : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni action de grâce, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements », et après la vive lumière de la connaissance des réalités que Dieu leur a manifestées, «leur coeur inintelligent s’est enténébré ». LIVRE VI
Tout cela, je ne le dis point pour rivaliser avec les belles pensées des Grecs, ni pour critiquer les doctrines saines, mais je veux établir que ces pensées mêmes et d’autres, plus profondes et plus divines encore, ont été exprimées par des hommes divins, prophètes de Dieu et apôtres de Jésus, scrutées par ceux qui veulent être parfaitement chrétiens, sachant que « la bouche du juste méditera la sagesse et sa langue dira le jugement ; la loi de Dieu est dans son coeur ». De plus, il y a des gens qui ne voient pas aussi clairement ces vérités, par suite de leur profonde ignorance, de leur simplicité, ou du manque de conseillers qui les aient poussés à une piété raisonnable ; ils croient pourtant au Dieu suprême et à son Fils unique Logos de Dieu ; et l’on peut trouver chez eux un degré de sérieux et de pureté, une innocence de m?urs et une simplicité souvent supérieure, que n’ont pas atteints ceux « qui affirment être sages » et se vautrent dans l’immoralité avec des enfants, « perpétrant l’infamie d’homme à homme ». LIVRE VI
Nous souhaitons donc voir nous-mêmes, et être guides des aveugles jusqu’à les faire parvenir au Logos de Dieu et recouvrer la vue de l’âme offusquée par l’ignorance. En menant une conduite digne de Celui qui avait dit à ses disciples : « Vous êtes la lumière du monde », du Logos qui avait enseigné que « la lumière luit dans les ténèbres », nous serons encore la lumière de ceux qui vivent dans l’obscurité, nous éduquerons les insensés, et nous instruirons les petits enfants. LIVRE VI
Il a beau dire encore qu’on trouve préposé à chaque office, ayant obtenu la puissance du Dieu très grand, un être jugé digne d’une tâche quelconque. Il faudrait une science bien profonde pour pouvoir résoudre cette question: à la manière des bourreaux dans les cités et des hommes préposés aux fonctions cruelles mais nécessaires dans les états, les mauvais démons sont-ils préposés à certains offices par le Logos de Dieu qui gouverne l’univers, ou à la manière de ces brigands qui, dans des lieux déserts, établissent un chef pour les commander, les démons, organisés pour ainsi dire en cohortes dans les diverses régions de la terre, se sont-ils donnés un chef qui fût leur guide dans les entreprises qu’ils ont décidées pour voler et rançonner les âmes humaines ? Veut-on traiter convenablement ce point pour défendre les chrétiens qui évitent d’adorer autre chose que le Dieu suprême et son Logos, le « Premier-né de toute créature» », on devra alors expliquer les passages suivants : « Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs ou des brigands, et les brebis ne les ont pas écoutés » ; « Le voleur ne vient que pour voler, égorger, détruire », et toute autre parole semblable des saintes Écritures, comme : « Voici que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents et scorpions, et toute la puissance de l’ennemi sans que rien puisse vous nuire » ; « Sur l’aspic et le basilic tu marcheras et tu fouleras lion et dragons. » Celse ignorait tout de ces paroles. S’il les avait connues, il n’aurait pas dit : Ce qui existe dans l’univers, ?uvre de Dieu, des anges, d’autres démons ou de héros, tout cela n’a-t-il point une loi qui vient du Dieu très grand ? A chaque office ne trouve-t-on pas préposé, ayant obtenu la puissance, un être jugé digne ? N’est-il donc pas juste que celui qui adore Dieu rende un culte à cet être qui a obtenu de lui l’autorité ? A quoi il ajoute : Non, car il n’est pas possible que le même homme serve plusieurs maîtres. On traitera ce point dans le livre suivant, car le septième que j’ai écrit contre le traité de Celse a atteint une dimension suffisante. LIVRE VI
Me voici parvenu à la fin de sept livres et je veux en aborder un huitième. Que Dieu et son Fils unique le Logos daignent m’assister pour que les mensonges de Celse, vainement intitulés ” Discours véritable “, y trouvent une réfutation pertinente, et les vérités du christianisme, dans la mesure où le comporte le sujet, une démonstration inébranlable. Je demande de pouvoir dire avec la sincérité de Paul : « Nous sommes en ambassade pour le Christ, comme si Dieu exhortait par nous » ; et de pouvoir être en ambassade pour le Christ auprès des hommes dans l’esprit où le Logos de Dieu les appelle à son amitié : car il veut unir intimement à la justice, à la vérité, aux autres vertus ceux qui, avant de recevoir les doctrines de Jésus-Christ, avaient passé leur vie dans les ténèbres au sujet de Dieu et dans l’ignorance du Créateur. Et je dirai encore : que Dieu nous donne son noble et véritable Logos, le Seigneur puissant et fort « dans la guerre » contre le mal. Maintenant, il me faut aborder le texte suivant de Celse et y répondre. LIVRE VIII
Il nous a demandé plus haut pourquoi nous refusons le culte des démons. Et à ses remarques sur les démons j’ai donné une réponse qui me paraît conforme à la volonté du divin Logos. Puis dans son désir de nous voir rendre un culte aux démons, il nous prête cette réponse à sa question : Il est impossible que le même homme serve plusieurs maîtres. C’est là, pour lui, un cri de révolte de gens qui se retranchent en eux-mêmes et rompent avec le reste du genre humain. Parler ainsi, croit-il, c’est projeter autant qu’il dépend de soi sa passion en Dieu. Voilà pourquoi, d’après lui, on peut admettre que le serviteur d’un maître ne puisse raisonnablement en servir un autre, car le premier subirait un tort du service rendu à l’autre : qui s’est engagé envers quelqu’un n’a pas le droit de s’engager envers un autre, car il lui ferait tort. On a raison de ne pas servir en même temps différents héros et démons de ce genre. Mais quand il s’agit de Dieu qui ne peut subir de tort ni de chagrin, il est absurde, juge-t-il, d’éviter de rendre un culte à plusieurs dieux comme s’il s’agissait d’hommes, de héros ou de démons de ce genre. Rendre un culte à plusieurs dieux, dit-il, c’est rendre un culte à l’un de ceux qui appartiennent au grand Dieu et, par là même, lui être agréable. Il n’est pas permis, ajoute-t-il, d’honorer celui à qui Dieu n’a pas donné ce privilège. Par conséquent, dit-il, l’honneur et l’adoration rendus à tous ceux qui appartiennent à Dieu ne peuvent le chagriner, puisqu’ils sont tous à lui. LIVRE VIII
Telles sont les idées concernant le Seigneur et les seigneurs que les divines Écritures proposent à notre recherche et à notre réflexion, disant ici : « Célébrez le Dieu des dieux, car sa pitié est éternelle, célébrez le Seigneur des seigneurs », et là : « Dieu est Roi des rois et Seigneur des seigneurs ». Et l’Écriture distingue les prétendus dieux de ceux qui le sont en effet, qu’ils en aient ou non le titre. Paul enseigne la même doctrine sur les seigneurs authentiques ou non : « Bien qu’il y ait au ciel et sur la terre de prétendus dieux, et de fait il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs.» Puis, comme «le Dieu des dieux », par Jésus, appelle du levant et du couchant ceux qu’il veut à son héritage, comme le Christ de Dieu qui est Seigneur prouve qu’il est supérieur à tous les seigneurs, du fait qu’il a pénétré les territoires de tous et qu’il appelle à lui les gens de tous ces territoires, Paul, parce qu’il savait tout cela, dit après le passage cité : « Mais pour nous il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes. » Et, percevant là une doctrine admirable et mystérieuse, il ajoute : « Mais tous n’en ont pas la science. » Or, en disant : « Mais pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe », il désigne par « nous » lui-même et tous ceux qui se sont élevés jusqu’au suprême Dieu des dieux et au Seigneur des seigneurs. On s’est élevé jusqu’au Dieu suprême lorsqu’on l’adore sans séparation, division ni partage, par son Fils, Logos de Dieu et Sagesse que l’on contemple en Jésus, qui seul Lui amène ceux qui s’efforcent en toutes manières de s’unir au Créateur de l’univers par la qualité de leurs paroles, de leurs actions et de leurs pensées. Pour cette raison, je crois, et d’autres semblables, le Prince de ce monde, se transformant en ange de lumières, a fait écrire : « A sa suite vient toute une armée de dieux et de démons, répartis en onze sections », dans l’ouvrage où à propos de lui-même et des philosophes il dit : « Nous sommes, nous, avec Zeus, et d’autres sont avec d’autres démons. » LIVRE VIII
De plus, si nous refusons de servir un autre que Dieu par son Logos et sa Vérité, ce n’est point parce que Dieu subirait un tort comme paraît en subir l’homme dont le serviteur sert encore un autre maître. C’est pour ne pas subir de tort nous-mêmes en nous séparant de la part d’héritage du Dieu suprême, où nous menons une vie qui participe à sa propre béatitude par un exceptionnel esprit d’adoption. Grâce à sa présence en eux, les fils du Père céleste prononcent dans le secret, non en paroles mais en réalité, ce cri sublime : « Abba, Père ! » Sans doute, les ambassadeurs de Lacédémone refusèrent d’adorer le roi de Perse, malgré la vive pression des gardes, par révérence pour leur unique seigneur, la loi de Lycurgue. Mais ceux qui s’acquittent pour le Christ d’une ambassade bien plus noble et plus divine refuseraient d’adorer aucun prince de Perse, de Grèce, d’Egypte ou de toute autre nation, malgré la volonté qu’ont les démons, satellites de ces princes et messagers du diable, de les contraindre à le faire et de les persuader de renoncer à Celui qui est supérieur à toutes les lois terrestres. Car le Seigneur de ceux qui sont en ambassade pour le Christ, c’est le Christ dont ils sont les ambassadeurs, le Logos qui est « au commencement », qui est près de Dieu, qui est Dieu. Celse a cru bon ensuite d’avancer, parmi les opinions qu’il fait siennes, une doctrine très profonde sur les héros et certains démons. Ayant remarqué, à propos des relations de service entre les hommes, que ce serait infliger un tort au premier maître qu’on veut servir que de consentir à en servir un second, il ajoute qu’il en irait de même pour les héros et les démons de ce genre. Il faut lui demander ce qu’il entend par les héros et quelle nature il attribue aux démons de ce genre, pour que le serviteur d’un héros déterminé doive éviter d’en servir un autre, et celui d’un de ces démons, d’en servir encore un autre : comme si le premier démon subissait un tort comme font les hommes quand on passe de leur service à celui d’autres maîtres. Qu’il établisse en outre le tort qu’il juge ainsi causé aux héros et aux démons de ce genre ! Il lui faudra alors répéter son propos en tombant dans un océan de niaiseries et réfuter ce qu’on a dit ou, s’il se refuse aux niaiseries, avouer ne connaître ni les héros, ni la nature des démons. Et quand il dit des hommes que les premiers subissent un tort du service rendu à un second, il faut demander comment il définit le tort subi par le premier quand son serviteur consent à en servir un autre. En effet, s’il entendait par là, comme un homme vulgaire et sans philosophie, un tort concernant les biens que nous appelons extérieurs, on le convaincrait de méconnaître la belle parole de Socrate : « Anytos et Mélètos peuvent me faire mourir, mais non me faire du tort ; car il n’est point permis que le supérieur subisse un tort de la part de l’inférieur. » S’il définit ce tort par une motion ou un état concernant le vice, il est évident, puisqu’aucun tort de ce genre n’existe pour les sages, qu’on peut servir deux sages vivant en des lieux séparés. Et quand ce raisonnement ne serait pas plausible, c’est en vain qu’il argue de cet exemple pour critiquer la parole : « Nul ne peut servir deux maîtres » : et elle n’aura que plus de force si on l’applique au service du Dieu de l’univers par son Fils qui nous conduit à Dieu. De plus, nous ne rendons pas un culte à Dieu dans la pensée qu’il a en besoin et qu’il se chagrinerait qu’on ne le lui rende pas, mais pour l’avantage que nous retirons de ce culte rendu à Dieu, étant libérés de chagrin et de passion en servant Dieu par son Fils unique Logos et Sagesse. LIVRE VIII
Remarquons l’étourderie de son propos : Si en effet on rendre un culte à un autre des êtres de l’univers. Il indique par là que nous pouvons sans aucun tort pour nous-mêmes rendre un culte divin à l’un quelconque des êtres qui appartiennent à Dieu. Mais comme s’il sentait lui-même l’insanité du propos : si en effet on veut rendre un culte à un autre des êtres de l’univers, il se reprend et ajoute cette correction : il n’est pas permis d’honorer celui à qui Dieu n’a pas donné ce privilège. Demandons à Celse, à propos des honneurs qu’on rend aux dieux, aux démons, aux héros : comment peux-tu montrer, mon brave, que ces honneurs qu’ils reçoivent sont dus à un privilège donné par Dieu et non à l’ignorance et à la sottise humaine de ceux qui sont dans l’erreur et sont tombés loin de Celui à qui de plein droit revient l’honneur ? On honore par exemple, comme tu viens de le dire, Celse, le mignon d’Hadrien. Tu ne vas pas dire, je suppose, que le privilège d’être honoré comme dieu a été donné à Antinoos par le Dieu de l’univers ! On dira la même chose des autres, demandant la preuve que le privilège d’être honoré comme dieux leur a été accordé par le Dieu suprême. Si on nous fait la même réplique sur Jésus, nous prouverons que le privilège d’être honoré lui a été donné par Dieu, « pour que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père ». Déjà les prophéties, avant sa naissance, affirmaient son droit à cet honneur. Plus tard les miracles qu’il accomplit, non par magie comme le croit Celse, mais par sa divinité prédite par les prophètes, bénéficiaient du témoignage de Dieu. Ainsi en honorant le Fils qui est Logos, on ne fait rien de déraisonnable : on tire avantage de l’honneur qu’on lui rend et en l’honorant, lui qui est la Vérité, on devient meilleur parce qu’on honore la vérité ; ainsi en est-il quand on honore la Sagesse, la Justice et toutes les prérogatives que les divines Écritures accordent au Fils de Dieu. LIVRE VIII
Après quoi, il déclare : En vérité, celui qui affirme qu’un seul être a été appelé Seigneur, en parlant de Dieu, commet une impiété : il divise le Royaume de Dieu et y introduit la révolte, comme s’il y avait une faction et un autre dieu son adversaire. Cette réflexion serait de mise s’il établissait avec des preuves rigoureuses que ceux qui sont adorés comme dieux chez les païens sont réellement dieux, et que les êtres qui hantent, croit-on, les statues, les temples et les autels ne sont pas des mauvais démons. De plus, ce Royaume de Dieu continuellement prêché dans nos discours et nos écrits, nous aspirons à le comprendre et à devenir tels que nous ayons Dieu seul pour roi et que le Royaume de Dieu devienne aussi le nôtre. Celse, au contraire, qui nous enseigne à adorer plusieurs dieux, pour être conséquent avec lui-même, aurait dû parler de royaume des dieux plutôt que de Dieu. Il n’y a donc pas chez Dieu de factions ni un autre dieu son adversaire ; et cela, en dépit de ceux qui, à l’instar des Géants et des Titans, veulent par leur perversité batailler contre Dieu avec Celse et les autres qui ont déclaré la guerre à Dieu qui a établi par tant de moyens la vérité sur Jésus, et à Celui-là même qui pour le salut de notre race s’est livré lui-même, en Logos qu’il est, au monde entier dans son ensemble, selon la capacité de chacun. LIVRE VIII
Il croit ensuite que, du fait que nous rendons un culte en même temps à Dieu et à son Fils, il suit que, selon nous, non seulement Dieu mais encore ses ministres reçoivent un culte. Et certes, s’il avait pensé à ceux qui sont les véritables ministres de Dieu après le Fils unique de Dieu, Gabriel, Michel et le reste des anges, et dit qu’il faut leur rendre un culte, peut-être aurais-je tiré au clair le sens de l’expression rendre un culte, et les actions de celui qui le rend, et dirais-je sur ce point, qui comporte la discussion de sujets difficiles, ce que j’ai pu en comprendre. Mais, quand il croît que les démons adorés par les païens sont les ministres de Dieu, il ne nous amène point à la conséquence que nous devons leur rendre un culte. Car l’Écriture les présente comme ministres du Mauvais, du Prince de ce monde, qui détourne de Dieu ceux qu’il peut. Donc, puisqu’ils ne sont pas ministres, nous évitons d’adorer tous ceux que les autres hommes adorent et de leur rendre un culte. Car si nous avions appris qu’ils étaient des ministres du Dieu suprême, nous ne dirions pas qu’ils sont des démons. C’est pourquoi nous adorons le Dieu unique et son Fils unique, Logos et Image, par nos meilleures supplications et demandes, offrant nos prières au Dieu de l’univers par son Fils unique. C’est à lui d’abord que nous les offrons en lui demandant, puisqu’il est « propitiation pour nos péchés », de présenter comme Grand-Prêtre au Dieu suprême nos prières, nos sacrifices et nos supplications. Telle est la foi que nous avons en Dieu par son Fils qui la fortifie en nous, et Celse ne peut montrer la moindre faction au sujet du Fils de Dieu. Oui, nous adorons le Père en admirant son Fils, Logos, Sagesse, Vérité, Justice et tout ce que nous avons appris de ce qu’est le Fils de Dieu : nous admirons donc aussi Celui qui est né d’un tel Père. Mais en voilà assez. LIVRE VIII
Et nul d’entre nous n’est assez stupide pour dire : le Fils de l’homme est le Maître de Dieu. Nous affirmons au contraire que le Sauveur, envisagé précisément comme Dieu Logos, Sagesse, Justice, Vérité, domine tout ce qui lui a été soumis en raison de ces titres, mais non pas le Dieu et Père qui le domine. En outre, comme le Logos ne domine personne’ malgré lui, et qu’il y a encore des méchants, hommes, anges et tous les démons, nous disons qu’il ne les domine pas encore, puisqu’ils ne se soumettent pas à lui de bon gré. Mais suivant un autre sens du mot dominer, il les domine eux aussi, au sens où l’on dit que l’homme domine les animaux sans raison, même sans avoir soumis leur faculté principale, comme il apprivoise et aussi domine les lions et les bêtes de somme qu’il a domptées. D’ailleurs il fait tout pour persuader ceux qui refusent encore de lui obéir et pour les dominer eux aussi. C’est donc pour nous un mensonge de Celse que de nous attribuer la parole : Quel autre dominera le Dieu souverain ? LIVRE VIII
Quant à l’interdiction de servir deux maîtres, j’en ai donné la raison d’après nous, quand j’ai montré qu’on ne peut découvrir aucune faction autour du Seigneur Jésus, parmi ceux qui font profession de s’être élevés au-dessus de tout seigneur et qui servent comme seul Seigneur le Fils de Dieu, Logos de Dieu. LIVRE VIII
Les statues, les offrandes qui plaisent à Dieu ne sont pas oeuvres d’artisans vulgaires, mais celles du Logos de Dieu qui les esquisse et les forme en nous. Ce sont les vertus, imitations du « Premier-né de toute créature », en qui sont les modèles de la justice, de la tempérance, de la force, de la sagesse, de la piété et des autres vertus. Tous ceux donc qui, selon le divin Logos, ont édifié en eux-mêmes la tempérance, la justice, la force, la sagesse, la piété et les chefs d’oeuvre des autres vertus, portent en eux-mêmes des statues. C’est par elles, nous le savons, qu’il convient d’honorer le prototype de toutes ces statues, l’« Image du Dieu invisible », le Dieu Fils unique. Bien plus, ceux qui ont dépouillé « le vieil homme avec ses pratiques, et revêtu l’homme nouveau qui pour mieux connaître se renouvelle sans cesse à l’image de Celui qui l’a créé » en recouvrant ce qui est à l’image du Créateur, édifient en eux-mêmes des statues de lui telles que le Dieu suprême les désire. LIVRE VIII
En chacun de ceux qui s’efforcent de l’imiter sous cet aspect il existe une statue « à l’image du Créateur », qu’ils réalisent en contemplant Dieu d’un coeur pur et en se faisant imitateurs de Dieu ». Et en général, tous les chrétiens tâchent d’édifier des autels tels que je viens de dire et des statues telles que je viens de décrire : non pas inanimés ni insensibles, mais susceptibles de recevoir, au lieu des démons gourmands qui hantent les choses inanimées, l’Esprit de Dieu qui séjourne, pour en faire sa demeure, dans ces images de vertu dont on a parlé et dans ce qui est « à l’image du Créateur » ; et de cette façon, l’Esprit du Christ se pose sur ceux qui, pour ainsi dire, lui sont conformes. C’est bien ce que veut montrer le Logos de Dieu : il représente Dieu faisant cette promesse aux justes : « J’habiterai au milieu d’eux, je marcherai parmi eux, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple » ; il fait dire au Sauveur : « Si quelqu’un écoute mes paroles et les accomplit, mon Père et moi nous viendrons en lui et nous ferons chez lui notre demeure. » LIVRE VIII
Par ailleurs, les divines Écritures ont une manière mystérieuse d’enseigner la doctrine de la résurrection à ceux qui sont capables d’entendre avec une oreille plus divine les paroles de Dieu. En disant que le temple sera reconstruit de pierres vivantes et très précieuses, elles insinuent que chacun de ceux à qui le même Logos inspire de tendre à la piété qu’il enseigne est une pierre précieuse intégrée au temple de Dieu. C’est la déclaration de Pierre : « Mais vous êtes édifiés, tels des pierres vivantes et une maison spirituelle, en un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ. » C’est celle de Paul : « Vous êtes édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, et la pierre d’angle est Jésus-Christ notre Seigneur. » C’est le sens mystérieux renfermé dans le passage d’Isaïe adressé à Jérusalem : « Voici que je vais te préparer comme pierre de l’escarboucle et comme fondations du saphir, je ferai tes créneaux de rubis, tes portes de cristal, ton enceinte de pierres précieuses ; tous tes fils seront instruits par Dieu ; tes enfants habiteront dans une grande paix, et tu seras édifiée dans la justice. » LIVRE VIII
On objectera nos célébrations des dimanches, de la Parascève, de Pâques, de la Pentecôte ? Il faut répondre : si l’on est un chrétien parfait, quand on ne cesse de s’appliquer aux paroles, aux actions, aux pensées du Logos de Dieu qui par nature est le Seigneur, on vit sans cesse dans les jours du Seigneur, on célèbre sans cesse les dimanches. De plus, quand on se prépare sans cesse à la vie véritable, et qu’on s’éloigne des plaisirs de la vie qui trompent la multitude, sans nourrir « le désir de la chair », mais châtiant au contraire son corps et le réduisant à la servitude, on ne cesse de célébrer la Parascève. En outre, quand on a compris que « le Christ notre Pâque a été immolé » et qu’on doit célébrer la fête en mangeant la chair du Logos, il n’est pas d’instant où on n’accomplisse la Pâque, terme qui veut dire sacrifice pour un heureux passage : car par la pensée, par chaque parole, par chaque action on ne cesse de passer des affaires de cette vie à Dieu en se hâtant vers la cité divine. Enfin, si l’on peut dire avec vérité : « Nous sommes ressuscites avec le Christ », et aussi : « Il nous a ressuscites ensemble et nous a fait asseoir ensemble au ciel dans le Christ », on se trouve sans cesse aux jours de la Pentecôte, surtout lorsque, monté dans la chambre haute comme les apôtres de Jésus, on vaque à la supplication et à la prière pour devenir digne « du souffle impétueux qui descend du ciel » anéantir par sa violence la malice des hommes et ses effets, et pour mériter aussi d’avoir part à la langue de feu qui vient de Dieu. LIVRE VIII
Mais la multitude de ceux qui semblent croire n’a pas cette ferveur : elle ne veut ou ne peut célébrer comme des fêtes tous les jours ; elle a besoin, pour se ressouvenir, de modèles sensibles qui la préservent de l’oubli total. C’était je suppose, la pensée qui conduisit Paul à nommer fête partielle la fête fixée à des jours distincts des autres : il laissait entendre par cette expression que la vie en continuel accord avec le divin Logos n’est pas une fête partielle» mais la fête intégrale et ininterrompue. Après ce développement sur nos fêtes et la comparaison avec les fêtes publiques de Celse et des païens, vois donc si nos fêtes ne sont pas infiniment plus vénérables que ces fêtes populaires où le « désir de la chair » qui les anime entraîne aux débordements de l’ivresse et de l’impudeur. LIVRE VIII
Celse, ici, dit que les démons appartiennent à Dieu et que, pour cette raison, il faut croire en eux et leur offrir selon les lois des sacrifices et des prières afin de les rendre bienveillants. Il faut donc enseigner sur ce point à qui le désire que le Logos de Dieu refuse de déclarer propriété de Dieu des êtres mauvais, car il les juge indignes d’un si grand Seigneur. C’est pourquoi tous les hommes ne sont pas nommés hommes de Dieu, mais seuls ceux qui sont dignes de Dieu : tels étaient Moïse, Élie, et tout autre qui reçoit dans l’Écriture le titre d’homme de Dieu, ou qui est semblable à ceux qui le reçoivent. Et de même, tous les anges ne sont point appelés anges de Dieu, mais seuls les bienheureux, alors que ceux qui se sont tournés vers le mal sont nommés anges du diable, comme les hommes mauvais sont appelés hommes de péché, fils de pestilence, fils d’iniquité. C’est parce que les hommes sont les uns bons, les autres mauvais, que l’on dit des uns qu’ils sont de Dieu, des autres qu’ils sont du diable, et les anges aussi sont les uns de Dieu, les autres mauvais ; mais la division en deux ne vaut plus pour les démons : il est prouvé qu’ils sont tous mauvais. Aussi déclarerons-nous fausse la parole de Celse : Si ce sont des démons, il est évident qu’eux aussi appartiennent à Dieu. Ou alors montre qui voudra qu’il n’y a pas de raison valable de faire la distinction dans le cas des hommes et des anges, ou bien qu’on peut fournir une raison de même valeur au sujet des démons. LIVRE VIII
Faisons donc fi du conseil de Celse qu’il faut prier les démons ; il ne mérite pas la moindre attention. Il faut prier le Dieu suprême seul, et il faut prier aussi le Logos de Dieu, son Fils unique, Premier-né de toute créature, et lui demander, comme Grand-Prêtre, de porter notre prière, une fois reçue, jusqu’à son Dieu et notre Dieu, son Père et le Père de ceux qui vivent selon le Logos de Dieu. On ne voudrait pas de la bienveillance des hommes qui, voulant nous faire vivre selon leur malice, n’accordent leur bienveillance à personne qui ait embrassé le parti contraire ; car leur bienveillance nous rend ennemis de Dieu qui ne saurait accorder sa bienveillance à ceux qui veulent se concilier la leur. De la même manière, ayant compris la nature des démons, leur détermination et leur malice, on ne voudra jamais se concilier leur bienveillance. LIVRE VIII
Il est clair que par là j’ai répliqué d’avance à ce qu’il dit ensuite : Ou bien donc il faut absolument renoncer à vivre et à venir ici-bas, ou si on est venu à la vie dans ces conditions, il faut rendre grâce aux démons qui ont reçu en partage les choses de la terre, leur offrir des prémices et des prières toute sa vie, afin d’obtenir leur bienveillance. Certes il faut vivre, et vivre selon la parole de Dieu autant qu’il est possible et qu’il est donné de vivre selon elle. Or cela nous est donné même quand nous mangeons et quand nous buvons en faisant tout pour glorifier Dieu. Il ne faut pas refuser de manger avec action de grâce au Créateur ces choses qui ont été créées pour nous. C’est dans ces conditions que nous avons été amenés par Dieu à cette vie et non pas dans celles qu’imaginé Celse. Ce n’est pas aux démons que nous sommes soumis, mais au Dieu suprême par Jésus-Christ qui nous a menés à lui. Selon les lois de Dieu, aucun démon n’a reçu en partage les choses de la terre. Mais à cause de leur transgression, peut-être se sont-ils partagé ces lieux d’où est absente la connaissance de Dieu et de la vie conforme à ses préceptes, ou dans lesquels affluent les hommes étrangers à la divinité. Peut-être aussi, parce qu’ils étaient dignes de gouverner et de châtier les méchants, le Logos qui administre toutes choses les a mis à la tête de ceux qui se sont soumis au mal et non à Dieu. Voilà pourquoi Celse, dans son ignorance de Dieu, peut bien témoigner aux démons sa reconnaissance. Pour nous, qui rendons grâce au Créateur de l’univers, nous mangeons les pains offerts avec action de grâce et prière sur les oblats, pains devenus par la prière un corps saint et qui sanctifie ceux qui en usent avec une intention droite. LIVRE VIII
Mais il n’est pas vrai, comme le croit Celse, que les anges, véritables satrapes, gouverneurs, généraux, procurateurs de Dieu, causent des dommages à ceux qui les outragent. Si certains démons causent des dommages, ces démons dont même Celse a une idée, ils le font parce qu’ils sont mauvais et sans avoir reçu de Dieu aucune mission de satrape, général, procurateur ; et ils causent des dommages à ceux qui leur sont soumis et se sont livrés à eux comme à des maîtres. C’est peut-être la raison pour laquelle ceux qui, en chaque région, enfreignent les lois établies sur les aliments qu’il est interdit de manger éprouvent des dommages, s’ils sont parmi les sujets de ces démons. Mais s’il y en a qui ne sont pas de leurs sujets et ne se sont pas livrés au démon de ce lieu, ils restent exempts de tout sévice de leur part et se rient de ces puissances démoniaques. Cependant si, à cause de leur ignorance sur d’autres points, ils se sont soumis à d’autres démons, ils peuvent souffrir de leur part. Mais non pas le chrétien, le véritable chrétien qui s’est soumis à Dieu seul et à son Logos : il ne saurait souffrir quoi que ce soit des êtres démoniaques, puisqu’il est supérieur aux démons. Et il ne saurait souffrir puisque « l’ange du Seigneur établira ses tentes autour de ceux qui le craignent», et que son ange, « qui voit sans cesse la face du Père qui est dans les cieux », sans cesse présente ses prières par le seul Grand-Prêtre au Dieu de l’Univers et s’unit lui-même à la prière de celui qui est sous sa tutelle. Que Celse ne nous effraie donc pas en nous menaçant de dommage à subir de la part de démons que nous aurions négligés. Car il n’est aucun dommage que les démons qu’on néglige puissent nous causer : nous appartenons à Celui qui seul est capable de secourir ceux qui le méritent, et qui a néanmoins préposé aussi ses anges à la garde de ceux qui ont de la piété envers lui, afin que ni les anges adversaires ni leur chef appelé « prince de ce monde » ne puissent rien exécuter contre ceux qui sont consacrés à Dieu. LIVRE VIII
Après nous avoir attribué de tels propos, calomniant les chrétiens qui ne disent rien de pareil, il croit se donner à lui-même une réplique, plaisanterie plutôt que défense ; il dit comme s’il s’adressait à nous : Ne vois-tu donc pas, mon brave, qu’on se dresse devant ton démon, que non seulement on l’injurie, mais encore on le bannit de toute la terre et toute la mer; et toi, comme une statue qui lui est consacrée, on te lie, on le traîne au supplice et on te crucifie. El le démon ou, comme tu dis, le Fils de Dieu ne se venge de personne. Cette réplique serait de mise si nous disions ce qu’il nous fait dire. Et encore, dans ce cas, ne serait-ce pas dire la vérité que d’appeler le Fils de Dieu un démon. Non certes, pour nous qui déclarons mauvais tous les démons, Celui qui a converti tant d’hommes à Dieu n’était pas un démon, mais le Logos et le Fils de Dieu. Mais pour Celse qui n’a jamais parlé de démons mauvais, je ne sais pourquoi il lui a échappé de présenter Jésus comme un démon. A la fin pourtant se réalisera tout ce qu’annonce l’Écriture sur les impies qui auront refusé tous les remèdes et seront surpris dans leur malice pour ainsi dire incurable. LIVRE VIII
Voilà donc ce qui est arrivé de nouveau depuis la passion de Jésus : je veux dire la destinée de cette cité et de toute la nation juive, et la naissance soudaine de la race des chrétiens qui paraît avoir été mise au monde tout d’un coup. Ce qui est encore nouveau, c’est que des gens étrangers aux alliances de Dieu et exclus des promesses, éloignés de la vérité l’aient acceptée par un miracle divin. Ce ne fut pas l’oeuvre d’un sorcier, mais celle de Dieu qui pour porter son message a envoyé son Logos en Jésus. On l’a si cruellement torturé que cette cruauté doit être imputée à ceux qui l’ont injustement torturé, et il l’a supportée avec un courage extrême et une douceur totale. Mais sa passion, loin de faire périr le message de Dieu, a au contraire, s’il faut le dire, concouru à le faire connaître, comme Jésus lui-même l’avait enseigné : « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul ; s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. » Donc, par sa mort, le grain de blé que fut Jésus a porté beaucoup de fruit, et le Père exerce une providence continuelle envers ceux qui ont été, sont encore et seront les fruits produits par la mort de ce grain de blé. Le Père de Jésus est donc un père juste : il n’a point épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous comme son agneau, afin que l’Agneau de Dieu, en mourant pour le salut de tous, ôtât le péché du monde. Aussi n’est-ce pas contraint par le Père, mais de lui-même qu’il a enduré les supplices que lui infligeaient les persécuteurs. LIVRE VIII
Pour nous, ce que nous voulons principalement, à cause des raisons innombrables qui nous ont persuadés de vivre selon le christianisme, c’est familiariser tous les hommes autant que possible avec toutes les doctrines chrétiennes. Mais nous arrive-t-il d’en trouver qui soient circonvenus par la calomnie contre les chrétiens au point de s’imaginer que les chrétiens ne sont pas religieux, et de refuser même d’entendre ceux qui professent enseigner les mystères du divin Logos ? Alors notre amour de l’humanité nous porte à employer toutes nos forces pour établir les thèses au sujet du châtiment éternel réservé aux impies, et pour en inculquer la doctrine même à ceux qui ne veulent pas vivre en chrétiens. LIVRE VIII
Si Celse et ceux qui ont la même hostilité contre nous pouvaient pénétrer le sens profond des Évangiles, ils ne nous auraient pas conseillé d’obéir à ceux qu’il nomme les geôliers de cette prison. Au contraire, il est écrit dans l’Évangile : « Une femme était courbée et ne pouvait absolument pas se redresser. » Jésus la vit, et voyant pour quelle cause elle était courbée sans pouvoir se redresser du tout, il dit : « Mais cette fille d’Abraham que Satan tenait courbée voici dix-huit ans, ne fallait-il pas la délivrer de ce lien le jour du sabbat ? » Combien d’autres, actuellement liés par Satan, sont courbés et ne peuvent absolument pas se redresser, parce qu’il veut nous contraindre à regarder en bas ! Et il n’y a personne pour les redresser sinon le Logos venu habiter en Jésus et qui auparavant avait inspiré les prophètes. Oui, Jésus est venu délivrer tous ceux qui étaient asservis par le diable, au sujet duquel il a déclaré avec une profondeur digne de lui : « Maintenant le prince de ce monde est jugé. » LIVRE VIII
Oui certes, il nous faut mépriser la faveur des hommes et des rois, non seulement si elle ne s’obtient qu’au prix de meurtres, d’impuretés et d’actions criminelles, mais encore si c’est au prix de l’impiété envers le Dieu de l’univers, ou d’une parole de servilité et de bassesse, indigne d’hommes courageux et magnanimes qui veulent unir aux autres vertus, comme la plus noble de toutes, la fermeté de l’âme. Là pourtant, nous ne faisons rien de contraire à la loi et au Logos de Dieu, nous n’avons pas la folie de courir exciter contre nous la colère de l’empereur ou du prince, braver les mauvais traitements, les supplices et même la mort. LIVRE VIII
Celse affirme qu’on verra mieux que nous adorons le Grand Dieu si nous chantons aussi le soleil et Athènè. Mais nous savons que c’est le contraire. Nous n’adressons des hymnes qu’au Dieu suprême et à son Fils unique Dieu Logos. Nous chantons des hymnes à Dieu et à son Fils unique, comme le font le soleil, la lune, les étoiles et toute l’armée céleste. Ils ne forment ensemble qu’un choeur divin et chantent avec les hommes justes un hymne au Dieu suprême et à son Fils unique. LIVRE VIII
Nous refusons donc la doctrine d’une royauté octroyée par le fils de Cronos le fourbe, persuadés que Dieu ou le Père de Dieu ne veut rien de fourbe ni de tortueux. Mais nous ne refusons pas la doctrine de la Providence et des choses produites par elle soit principalement soit par voie de conséquence. De plus, il n’est pas probable qu’un empereur nous punirait pour notre affirmation que ce n’est pas le fils de Cronos le fourbe qui lui a octroyé de régner, mais Celui qui établit les rois et les dépose. Oui donc, que tous les hommes fassent comme moi, qu’ils refusent la doctrine d’Homère, mais qu’ils gardent la doctrine sur l’empereur et pratiquent le commandement : « Honorez l’empereur ! » Alors certes, l’empereur ne sera point laissé seul et abandonné, et les biens de la terre ne deviendront pas la proie des barbares très iniques et très sauvages. A supposer, comme le dit Celse, que tous les hommes fassent comme moi, il est évident que les barbares, eux aussi, convertis à la parole de Dieu, seront très soumis aux lois et très civilisés ; que tous les cultes seront abandonnés et que seul le culte des chrétiens sera en vigueur : oui, seul un jour il sera en vigueur puisque le Logos conquiert sans cesse un plus grand nombre d’âmes. LIVRE VIII
Il se demande ce qui arriverait si les Romains étaient convaincus par la doctrine chrétienne, négligeaient les honneurs à rendre aux prétendus dieux et les coutumes autrefois en usage chez les hommes, et adoraient le Très-Haut. Qu’il entende notre opinion sur ce point. Nous disons : « Si deux ou trois d’entre vous s’accordent sur la terre à demander quoi que ce soit, cela sera accordé par le Père des justes qui est dans les cieux. » Car Dieu prend plaisir à l’accord des êtres raisonnables et se détourne de leur désaccord. Que faut-il penser pour le cas où l’accord existerait non seulement comme aujourd’hui entre très peu de personnes mais dans tout l’empire romain ? Alors ils prieront le Logos qui autrefois dit aux Hébreux poursuivis par les Égyptiens : « Le Seigneur combattra pour vous et vous n’aurez qu’à vous taire. » Et l’ayant prié d’un accord total, ils pourront détruire un bien plus grand nombre d’ennemis lancés à leur poursuite que n’en détruisit la prière de Moïse poussant des cris vers Dieu en même temps que ceux qui étaient avec lui. Si les promesses de Dieu à ceux qui observent la loi ne sont pas réalisées, ce n’est pas que Dieu aurait menti, mais que les promesses étaient faites sous cette condition qu’ils garderaient la loi et y conformeraient leur vie. Et si les Juifs qui avaient reçu ces promesses conditionnelles n’ont plus ni feu ni lieu, il faut en accuser toutes leurs transgressions de la loi et singulièrement leur faute contre Jésus. Mais, comme Celse le suppose, que tous les Romains, convaincus, se mettent à prier, ils triompheront de leurs ennemis ; ou plutôt, ils n’auront même plus de guerre du tout, car ils seront protégés par la puissance divine qui avait promis, pour cinquante justes, de garder intactes cinq villes entières. Car les hommes de Dieu sont le sel du monde assurant la consistance des choses de la terre, et les choses terrestres se maintiennent tant que le sel ne s’affadit pas : « Car si le sel perd sa saveur, il n’est plus bon ni pour la terre, ni pour le fumier, mais on le jette dehors et les hommes le foulent aux pieds. Que celui qui a des oreilles entende » le sens de cette parole. Pour nous, quand Dieu, laissant la liberté au Tentateur, lui donne tout pouvoir de nous persécuter, nous sommes persécutés. Mais lorsqu’il veut nous soustraire à cette épreuve, en dépit de la haine du monde qui nous entoure, nous jouissons d’une paix miraculeuse, nous confiant en Celui qui a dit : « Courage, moi j’ai vaincu le monde. » En toute vérité, il a vaincu le monde, et le monde n’a de force que dans la mesure où le veut son vainqueur qui tient de son Père sa victoire sur le monde. Notre courage repose sur sa victoire. LIVRE VIII
S’il faut dire quelque chose sur cette question qui demanderait tant de recherches et de preuves, voici quelques mots pour mettre en lumière, non seulement la possibilité, mais la vérité de ce qu’il dit sur cet accord unanime de tous les êtres raisonnables pour observer une seule loi. Les gens du Portique disent que, une fois réalisée la victoire de l’élément qu’ils jugent plus fort que les autres, aura lieu l’embrasement où tout sera changé en feu. Nous affirmons, nous, qu’un jour le Logos dominera toute la nature raisonnable et transformera chaque âme en sa propre perfection, au moment où chaque individu, n’usant que de sa simple liberté, choisira ce que veut le Logos et obtiendra l’état qu’il aura choisi. Nous déclarons invraisemblable que, comme pour les maladies et les blessures du corps où certains cas sont rebelles à toutes les ressources de l’art médical, il y ait aussi dans le monde des âmes une séquelle du vice impossible à guérir par le Dieu raisonnable et suprême. Car le Logos et sa puissance de guérir sont plus forts que tous les maux de l’âme. Il applique cette puissance à chacun selon la volonté de Dieu ; et la fin du traitement, c’est la destruction du mal. Est-ce de manière qu’il ne puisse absolument pas ou qu’il puisse revenir, on n’a point à l’envisager ici. LIVRE VIII
Et si Celse veut nous voir aussi servir comme stratèges pour la défense de la patrie, qu’il le sache, nous le faisons aussi, mais non pour attirer le regard des hommes et obtenir d’eux par cette conduite une gloire futile. Nos prières sont faites dans le secret à l’intime de l’âme et montent comme celles des prêtres pour le salut de nos compatriotes. Les chrétiens sont même plus utiles aux patries que le reste des hommes : ils éduquent leurs concitoyens, leur enseignent la piété envers Dieu gardien de la cité ; ils font monter vers une cité céleste et divine ceux qui ont mené une vie honnête dans les plus petites cités. On pourrait leur dire : tu as été fidèle dans une cité toute petite, arrive maintenant dans la grande, où « Dieu se dresse dans l’assemblée des dieux et, au milieu d’eux, juge les dieux » ; il accepte de te compter parmi eux à condition que tu ne veuilles plus mourir à la façon d’un homme, ni tomber « comme un de leurs princes. » Celse nous convie encore à prendre part au gouvernement de la patrie s’il en est besoin pour la défense des lois et de la piété. Mais, sachant que derrière chaque cité se trouve un autre genre de patrie établie par le Logos de Dieu, nous appelons à gouverner les églises ceux que leur doctrine et leur sainteté de vie rendent aptes à ce gouvernement. Récusant ceux qui aspirent au pouvoir, nous contraignons ceux qui, dans l’excès de leur modestie, répugnent à assumer hâtivement le souci commun de l’Église de Dieu. Et ceux qui nous gouvernent sagement, après avoir été ainsi contraints, gouvernent sous les ordres du grand Roi qui le leur impose, lui que nous croyons Logos Dieu, Fils de Dieu. Et choisis ou contraints, si les gouvernants dans l’Église gouvernent sagement la patrie selon Dieu, je veux dire l’Église, ils gouvernent selon les ordres de Dieu sans violer en rien pour cela les lois établies. LIVRE VIII
Non, ce n’est pas que les chrétiens fuient les services communs de la vie quand ils délaissent les charges publiques. Mais ils se réservent au service plus divin et plus nécessaire de l’Église de Dieu pour le salut des hommes. Ils dirigent à la fois selon la nécessité et la justice. Ils prennent soin de tous : de ceux qui sont à l’intérieur pour qu’ils vivent mieux chaque jour ; de ceux qui semblent à l’extérieur pour qu’ils s’engagent dans les paroles et les actions vénérables de la piété ; et pour qu’ainsi, adorant véritablement Dieu et formant le plus de fidèles possible, ils soient imprégnés du Logos de Dieu et de la loi divine, et soient unis au Dieu suprême par Celui qui, Fils de Dieu, Logos, Sagesse, Vérité, Justice, lui unit quiconque s’applique à vivre en tout selon Dieu. LIVRE VIII