L’incompréhensibilité de Dieu

Voyez l’humble reconnaissance d’un serviteur docile. Je vous rends grâces, mon Dieu, dit David, de ce que vous êtes pour moi un maître incompréhensible. Il ne parle pas de l’essence divine, il n’en dit rien, parce qu’elle est reconnue comme incompréhensible; mais parlant de la présence de Dieu partout, il fait voir qu’il’ ignore comment Dieu est présent partout. Pour preuve que c’est là l’objet qu’il a en vue, écoutez la suite de ses dernières paroles : Si je monte au ciel, vous y êtes; si je descends dans les enfers, vous y êtes encore. Vous voyez comme Dieu est présent partout. Mais le prophète en ignore la raison : il est ébloui, embarrassé, effrayé de cette seule idée. N’est-ce donc point une folie extrême que des hommes qui sont bien éloignés d’être gratifiés des mêmes faveurs, entreprennent de scruter l’essence divine elle-même? Le même David dit dans un de ses psaumes : Vous m’avez révélé les secrets et les mystères de votre sagesse. (Ps. L, 8.) Lui cependant qui avait appris les secrets de la sagesse de Dieu, dit de cette même sagesse qu’elle est immense et incompréhensible : Le Seigneur est vraiment grand, dit-il; sa puissance est infinie, sa sagesse n’a point de bornes. (Ps. CXLVI, 5.) – Sa sagesse n’a point de bornes, c’est-à-dire qu’il est impossible de la comprendre. Comment, je vous prie ! la sagesse de Dieu est incompréhensible pour le Prophète, et son essence serait compréhensible pour nous! n’est-ce point une folie manifeste? sa grandeur n’a point de limites, et voies prétendez borner et circonscrire son essence ! De l’incompréhensibilité de la nature de Dieu: Première Homélie. 4.

Mais voyons si l’Apôtre comme ayant reçu une plus grande grâce, a connu ce qui était caché aux prophètes. C’est à lui que nous avons entendu dire : Ce que nous avons maintenant de science et de prophétie est très-imparfait. Et ce n’est pas seulement dans ce passage, mais dans un autre où, parlant, non de l’essence de l’Etre suprême, mais de la sagesse qu’il montre dans sa providence; je ne dis pas cette providence universelle qui comprend les anges et les dominations supérieures; mais examinant dans cette providence la partie qui s’occupe des hommes sur la terre, et même une portion de cette partie : car il n’examine ni celle qui fait lever le soleil, ni celle qui anime les âmes, ni celle qui forme les corps, ni celle qui gouverne le monde, ni celle qui renouvelle chaque année la nourriture de l’homme et de tous les êtres ; mais laissant toutes ces parties de la providence divine, et n’en examinant qu’une légère portion, celle qui a réprouvé les Juifs et appelé les Gentils, ébloui à la vue de cette portion légère, comme à l’aspect d’une mer immense , ne voyant qu’une profondeur infinie, il se retire aussitôt, et s’écrie à haute voix : O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu! que ses jugements sont impénétrables! (Rom. II, 33.) Il ne dit pas incompréhensibles, mais impénétrables; or, si on ne saurait les pénétrer, à plus forte raison ne saurait-on les comprendre. Que ses voies sont impossibles à découvrir! ses voies sont impossibles à découvrir et il serait possible de le comprendre lui-même ! Et que parlé-jn de ses voies ? les récompenses qu’il nous destine ne sont pas compréhensibles : L’oeil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, l’esprit de l’homme n’a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. (I Cor. II, 9.) Les dons de Dieu sont ineffables : Rendons grâces à Dieu, dit le même saint Paul, pour ses dons ineffables. (II Cor. IX, 15.) Et ailleurs : Sa paix surpasse tout sentiment. (Philip. IV, 7.) Quoi donc ! les jugements de Dieu sont impénétrables, ses voies impossibles à découvrir, sa paix surpasse tout sentiment, ses dons sont ineffables, l’esprit de l’homme n’a jamais conçu ce qu’il a préparé pour ceux qui l’aiment, sa grandeur n’a point de limites, sa sagesse n’a point de bornes, tout en Dieu est incompréhensible; et vous prétendez que Dieu lui-même est compréhensible ! Pourrait-on rien ajouter à une pareille folie? De l’incompréhensibilité de la nature de Dieu: Première Homélie. 5.

Invoquons donc ce Dieu ineffable, inaccessible, invisible, incompréhensible, ce Dieu qui défie toute langue humaine, qui surpasse toute intelligence créée, que les anges ne peuvent scruter, ni les séraphins contempler, ni les chérubins comprendre; qui ne peut être vu ni par les principautés, ni par les puissances, ni parles vertus, ni par aucune créature; mais qui n’est connu que du Fils et du Saint-Esprit. Je sais que les Anoméens m’accuseront de témérité pour avoir dit que Dieu est incompréhensible même aux Vertus célestes. Et moi, je leur renverrai l’accusation en y joignant celle de folie et d’extravagance. Il n’y a pas de témérité à dire que le Créateur surpasse toute intelligence créée, mais il y en a une énorme à dire, comme font les Anoméens, qu’avec leur faible raison ils peuvent le pénétrer et le comprendre, eux qui rampent sur terre si loin au-dessous des anges. Si je ne prouve mon assertion, je consens à être taxé de témérité. Pour vous, mes adversaires, quand j’aurai démontré qu’il est incompréhensible aux puissances des cieux, si vous prétendez encore le connaître, quels abîmes, quels gouffres ne creusez-vous pas devant vous, en vous vantant de pénétrer des mystères inaccessibles à toutes les vertus d’en-haut. De l’incompréhensibilité de la nature de Dieu: Troisième Homélie. 1.

Pour vous montrer que la prière nous fournit des preuves, ayons-y recours. Le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, qui seul possède l’immortalité; qui habite une lumière inaccessible. (I Tim. VI, 15, 16.) Arrêtons-nous ici, et demandons à l’hérétique ce que signifient ces paroles : Qui habite une lumière inaccessible. Et remarquez l’exactitude de saint Paul. Il ne dit pas : Dieu qui est une lumière inaccessible, mais : qui habite une lumière inaccessible. Apprenez par là que si la demeure est inaccessible, à plus forte raison Dieu qui l’habite. Par ces paroles, l’Apôtre ne veut pas vous faire croire que Dieu est renfermé dans un lieu, mais vous prouver surabondamment son incompréhensibilité. Il ne dit pas : Qui habite une lumière incompréhensible, mais inaccessible; ce qui est beaucoup plus qu’incompréhensible. On appelle incompréhensible ce que malgré ses efforts et ses recherches on ne peut saisir. L’inaccessible, c’est ce dont l’abord même est interdit. Par exemple nous dirons dans un sens analogue que la mer est insondable; les plongeurs, malgré tous leurs efforts, ne peuvent en sonder les abîmes. Mais pour que l’on pût dire qu’elle est inaccessible, il faudrait qu’il fût impossible même d’en atteindre la surface. De l’incompréhensibilité de la nature de Dieu: Troisième Homélie. 2.

Que répondrez-vous à cela? Direz-vous que si Dieu est incompréhensible aux hommes, il ne l’est pas aux anges, ni aux vertus célestes. – Etes-vous,donc un ange, appartenez-vous au choeur des puissances spirituelles? N’êtes-vous pas homme? n’avez-vous pas la même substance que moi, ou bien oubliez-vous votre nature? Supposons qu’il soit inaccessible aux hommes seulement, supposition fausse, puisque saint Paul n’a pas dit : Il habite une lumière inaccessible aux hommes, mais non inaccessible aux anges; mais je vous accorde ce que vous demandez : que pouvez-vous en conclure? N’êtes-vous pas homme? Si Dieu n’est pas inaccessible aux anges, que vous importe, à vous qui prétendez et affirmez que l’essence divine n’est pas incompréhensible à l’intelligence humaine ? Mais, sachez-le, il n’est pas seulement inaccessible aux hommes, il l’est aussi aux anges. Ecoutez Isaïe, ou plutôt le Saint-Esprit qui parle par sa bouche, car tout prophète est inspiré par l’Esprit-Saint: L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône sublime et élevé; les séraphins se tenaient autour de lui. Ils avaient chacun six ailes : deux voilaient leur face, deux leurs pieds… (Isaïe, VI, 1.) De l’incompréhensibilité de la nature de Dieu: Troisième Homélie. 3.

Dieu est incompréhensible non-seulement aux chérubins et aux séraphins, mais encore aux principautés, aux puissances et à tonte vertu créée; je voudrais vous le prouver, si mon esprit n’était accablé, non par la multitude, mais par la sublimité des choses. L’intelligence tremble épouvantée en demeurant trop longtemps dans ces hautes contemplations. Redescendons des cieux, reposons notre âme fatiguée, en reprenant notre exhortation habituelle, que vous connaissez, pour la guérison de ces infortunés. Oui, prions-. Si nous devons prier pour les malades , pour ceux qui gémissent dans les mines ou dans un dur esclavage, pour les énergumènes, combien plus pour ceux-là ! L’impiété est pire que l’obsession du malin esprit; les possédés sont dignes de compassion, tandis que rien n’excuse les hérétiques. Puisque j’ai rappelé les prières pour les énergumènes, je veux vous dire quelques mots à ce sujet, et retrancher de l’Eglise un grave désordre. Il serait absurde de déployer tant de zèle pour guérir les maladies des autres, et de négliger ses propres membres. Quel est donc ce désordre? De l’incompréhensibilité de la nature de Dieu: Troisième Homélie. 6.

Nous avons montré que Dieu est incompréhensible aux hommes et même aux chérubins et aux séraphins. Notre tâche semble finie , et nous ne devrions plus rien ajouter. Néanmoins comme notre dessein n’est pas seulement de fermer la bouche à nos adversaires, mais encore de vous instruire de plus en plus, nous reprenons le même sujet, et nous continuons à le développer. De cette manière, nous compléterons votre instruction , et nous remporterons une victoire plus brillante qui dissipera tout ce qui resterait encore de difficultés. Il ne suffit pas de couper la tige des mauvaises herbes; car profondément enracinées elles repoussent bientôt; mais il faut les arracher des entrailles de la terre, les exposer aux rayons ardents du soleil, pour qu’elles se dessèchent rapidement. De l’incompréhensibilité de la nature de Dieu: Quatrième Homélie. 1.

Nous n’en sommes pas resté là; nous avons parlé des puissances célestes, nous avons montré comment elles détournent les yeux, et se voilent de leurs ailes; comment, debout autour du trône, elles chantent des louanges continuelles, et comment enfin elles sont toutes pénétrées d’admiration et d’épouvante. Plus sages que nous, plus rapprochées de l’essence bienheureuse et ineffable, elles en connaissent d’autant mieux l’incompréhensibilité. Car une grande science produit une grande modestie. Nous avons expliqué ce qu’est l’inaccessible, comment il l’emporte sur l’incompréhensible. La raison que nous avons donnée, c’est que l’incompréhensible est reconnu pour tel après examen et que l’inaccessible ne supporte même pas l’examen. Ce que nous avons confirmé par l’exemple de la mer. Saint Paul n’a pas dit, avons-nous ajouté : Dieu est une lumière inaccessible, mais : il habite une lumière inaccessible. Si la demeure est inaccessible, à plus forte raison Dieu qui l’habite. Il s’est ainsi exprimé, non pour circonscrire Dieu dans un lieu, mais pour montrer surabondamment qu’il est incompréhensible et inaccessible. Nous avons mis en scène les vertus et les chérubins; nous avons montré comment au-dessus d’eux est un firmament, un cristal étincelant, l’apparence d’un trône, puis d’un homme, un métal brillant, une flamme, un arc céleste, et après cette vision le Prophète s’écriant : Telle fut cette image de la gloire du Seigneur. (Ezéch. II, 1.) Tout cela n’est que Dieu voilé, avons-nous dit, Dieu tempérant l’éclat de sa gloire , et cependant les vertus des cieux elles-mêmes ne peuvent en supporter la majesté. De l’incompréhensibilité de la nature de Dieu: Quatrième Homélie. 1.

Ici, vision est synonyme de connaissance. Car, en parlant des vertus célestes, il ne peut s’agir ni d’yeux ni de paupières: ce qu’est la vision pour nous, la connaissance l’est pour elles. Quand donc vous entendez dire : Personne n’a jamais vu Dieu, cela signifie que personne n’a jamais connu Dieu parfaitement dans son essence. Quand on vous dit que les séraphins détournent les yeux, se voilent la face, et que les chérubins agissent de même, ne vous imaginez pas qu’ils ont des yeux véritables; cela n’appartient qu’aux corps; par ces expressions, le Prophète marque leur connaissance. Lorsqu’il nous dit, qu’ils ne peuvent supporter la vue de Dieu, il indique simplement qu’ils ne peuvent avoir une connaissance parfaite et une compréhension entière, qu’ils n’osent regarder fixement l’essence pure et sans mélange même voilée. Regarder fixement, c’est connaître. Aussi l’Évangéliste sachant qu’il n’appartient pas à la nature humaine de pénétrer ces mystères, instruit de plus que Dieu est incompréhensible même aux vertus d’en-haut, invoque pour prouver cette vérité qu’il veut nous enseigner le témoignage irrécusable de Celui qui est assis à la droite du Père et qui le connaît parfaitement. Il ne dit pas simplement le Fils. C’en était assez néanmoins pour fermer la bouche aux téméraires. Car si beaucoup sont appelés christs, le véritable Christ est un; si beaucoup sont appelés seigneurs, le Seigneur est un; si beaucoup sont appelés dieux, le vrai Dieu est un; de même, quoique beaucoup soient appelés fils, le Fils de Dieu est un; l’article préposé indique clairement le Fils unique. Cependant cela ne suffit pas à saint Jean, et à ces mots: Personne n’a jamais vu Dieu, il ajoute : Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a fait connaître. Il dit, d’abord Fils, ensuite unique. Il prend toutes ces précautions contre les hérétiques, qui abusent de ce nom de Fils donné à plusieurs, pour ravir au Verbe sa gloire, en le regardant, comme un fils ordinaire, comme un de ceux à qui ce nom peut s’appliquer. Saint Jean ajoute donc le mot unique, qui lui est propre et le distingue de tous les autres. Apprenez de là que ce nom, commun à plusieurs, n’est plus commun dans ce passage de saint Jean, qu’il est propre, particulier, et qu’il ne, convient qu’à Jésus-Christ. De l’incompréhensibilité de la nature de Dieu: Quatrième Homélie. 3.

J’ai tenu la promesse que je vous ai faite en commençant, j’ai prouvé, je crois, avec la dernière évidence, que l’essence de Dieu est incompréhensible à toute créature. Reste à montrer que le Fils et le Saint-Esprit seuls le connaissent parfaitement. Remettons cette discussion à une autre fois, pour ne pas accabler votre mémoire de trop de choses, et passons à l’exhortation accoutumée. Quelle est cette exhortation ? C’est de prier avec un coeur pur et un esprit vigilant. Dernièrement je vous ai parlé à ce sujet, et vous vous êtes montrés tous obéissants. Or, il ne conviendrait pas de réprimander votre négligence, sans louer votre zèle. De l’incompréhensibilité de la nature de Dieu: Quatrième Homélie. 4.