Mais, nouveau motif d’étonnement : d’où vient que les disciples de Jésus, qui, au dire de ses détracteurs, ne l’auraient pas vu ressuscité des morts et n’auraient pas été convaincus qu’il était un être divin, n’ont pas craint d’endurer les mêmes souffrances que leur maître, d’affronter le danger, d’abandonner leurs patries pour enseigner, de par la volonté de Jésus, la doctrine qu’il leur avait transmise ? Car je ne pense pas qu’un examen judicieux des faits permette de dire que ces hommes se seraient voués à une existence précaire pour cet enseignement de Jésus, s’il n’avait produit en eux une conviction profonde en leur enseignant non seulement à vivre en conformité avec ses préceptes, mais encore à y disposer les autres, et cela, alors que la perte, concernant la vie humaine, est en perspective pour quiconque a l’audace de présenter partout et à tous des opinions nouvelles et de ne conserver son amitié à personne qui s’en tiendrait aux doctrines et aux moeurs anciennes. Est-ce donc que les disciples de Jésus ne virent pas ce péril, dans leur audace à prouver non seulement aux Juifs, d’après les paroles des prophètes, qu’il était Celui qu’elles prédisaient, mais encore aux autres peuples que Celui qui avait été si récemment mis en croix avait accepte de son plein gré cette mort pour le salut du genre humain, comme ceux qui meurent pour leur patrie en vue d’arrêter épidémies de peste, stérilités du sol, risques de la mer ? Car il y a sans doute dans la nature des choses, pour des raisons mystérieuses et inaccessibles à la foule, cette disposition naturelle qu’un seul juste qui meurt volontairement pour le salut de la communauté détourne par son SACRIFICE les mauvais démons qui causent pestes, stérilités, risques et autres fléaux analogues. LIVRE I
Comme nous enseignons : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, et n’habitera pas dans un corps tributaire du péché », nous disons aussi : « Quiconque a les mains pures » et, pour cette raison, élève vers Dieu « des mains innocentes », et parce qu’offrant des SACRIFICEs sublimes et célestes, peut dire : « L’élévation de mes mains est un SACRIFICE du soir » : qu’il vienne à nous ! Quiconque a la langue avisée, parce qu’il médite « jour et nuit » la loi du Seigneur, et que « ses facultés ont été formées par la pratique au discernement du bien et du mal », qu’il ne craigne pas d’en venir aux solides nourritures spirituelles qui conviennent aux athlètes de la piété et de toutes les vertus. Et comme « la grâce de Dieu est avec tous ceux qui aiment d’un amour incorruptible » le Maître qui enseigne l’immortalité, quiconque a les mains pures, non seulement de toute souillure, mais encore des fautes regardées comme plus légères, qu’il se fasse hardiment initier aux mystères de la religion de Jésus, qui ne sont raisonnablement transmis qu’aux saints et aux purs. Le myste de Celse peut dire : Que celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal vienne ; mais celui qui, selon Jésus, conduit les initiés à Dieu, dira à ceux dont l’âme est purifiée : Celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal depuis longtemps, et surtout depuis qu’il est venu se faire guérir par le Logos, que celui-là entende aussi ce que Jésus a découvert en particulier à ses véritables disciples. Ainsi donc, dans le contraste qu’il établit entre l’initiation des Grecs et celle que donnent les maîtres de la doctrine de Jésus, Celse n’a pas vu la différence entre l’appel des méchants à la guérison de leurs âmes et l’appel des hommes déjà très purs à de plus profonds mystères. LIVRE III
Vois donc si manifestement il ne s’égare pas lui-même quand il nous accuse de nous égarer dans une impiété extrême très loin des énigmes divines : il n’a pas remarqué que les écrits de Moïse, bien antérieurs non seulement à Héraclite et Phérécyde mais encore à Homère, ont introduit la doctrine de cet esprit pervers tombé du ciel. Car cette doctrine est suggérée par l’histoire du serpent, origine de l’Ophionée de Phérécyde, serpent qui provoqua l’expulsion de l’homme du Paradis de Dieu : il avait trompé la femme en lui promettant la divinité et les biens supérieurs, et on nous dit que l’homme l’avait suivie. Et l’Exterminateur dont parle l’Exode de Moïse, quel autre peut-il être sinon celui qui cause la perte de ceux qui lui obéissent sans résister à sa malice ni la combattre ? Et le bouc émissaire du Lévitique, nommé par l’écriture hébraïque Azazel, c’est encore lui : il fallait que celui sur qui était tombé le sort fût chassé et offert en SACRIFICE expiatoire dans le désert ; tous ceux en effet qui par leur malice font partie du mauvais lot, ennemis de ceux qui forment l’héritage de Dieu, sont désertés de Dieu. Et « les fils de Bélial », dans les Juges, de quel autre sinon de lui sont-ils dits les fils à cause de leur perversité ? Outre tous ces exemples, dans le livre de Job, plus ancien que Moïse lui-même, il est dit clairement que « le diable » s’est présenté à Dieu et a demandé la puissance sur Job, afin de lui infliger de très lourdes épreuves : la première, la perte de tous ses biens et de ses enfants, la seconde, de couvrir tout le corps de Job d’une cruelle éléphantiasis, comme on appelle cette maladie». Je laisse de côté les récits évangéliques des tentations que le diable fit subir au Sauveur, je ne veux pas sembler prendre dans les Écritures plus récentes les arguments de la discussion avec Celse. Mais encore dans les dernières pages de Job, où du milieu de l’ouragan et des nuées le Seigneur adressa à Job le discours rapporté au livre qui porte son nom, il est possible de prendre plusieurs renseignements sur le dragon. Et je ne parle pas encore des indications tirées d’Ézéchiel, comme sur « Pharaon ou Nabuchodonosor » ou le prince de Tyr ; ou d’Isaïe où on se lamente sur le roi de Babylone ; on peut en tirer bien des renseignements sur la malice, son origine et son commencement, et la manière dont cette malice résulta de ce que certains êtres perdirent leurs ailes et prirent la suite du premier qui avait perdu ses ailes. LIVRE VI
Ayant supplié Dieu, par Jésus-Christ même dont Celse se fait l’accusateur, de faire resplendir en nos coeurs, puisqu’il est la vérité, les arguments qui réfutent le mensonge, je commence encore un septième livre en reprenant la prière adressée à Dieu par le prophète : « Par ta vérité détruis-les » : c’est-à-dire détruis les discours contraires à la vérité ; car ce sont eux que détruit la vérité de Dieu. Une fois qu’ils seront détruits, étant libéré de toute distraction on pourra dire ce qui suit : « De grand coeur je t’offrirai un SACRIFICE », en présentant au Dieu de l’univers un SACRIFICE raisonnable et sans fumée. LIVRE VI
En revanche, aux Juifs d’alors, possédant en propre une constitution et un territoire, interdire d’attaquer leurs ennemis et de faire campagne pour la défense de leurs traditions, de mettre à mort ou châtier de quelque manière les adultères, les meurtriers, les criminels de cette espèce, c’eût été les réduire en masse à une destruction totale au moment d’une attaque ennemie contre la nation, car leur propre loi les aurait privés de force et empêchés de repousser les ennemis. Mais la Providence, qui avait jadis donné la loi et de nos jours l’Évangile de Jésus-Christ, ne voulait plus que le judaïsme restât en vigueur ; elle a donc détruit leur ville, leur temple, et le service de Dieu effectué dans le temple par le culte et le SACRIFICE qu’elle avait prescrits. Et de même que la Providence a mis fin à ces pratiques dont elle ne voulait plus, de même elle a donné au christianisme un essor croissant de jour en jour, lui accordant désormais la liberté de s’exprimer, malgré les obstacles innombrables opposés à la diffusion de l’enseignement de Jésus dans le monde. Et comme c’est Dieu qui a voulu étendre aux Gentils le bienfait de l’enseignement de Jésus-Christ, tout projet des hommes contre les chrétiens a été mis en échec, et plus les empereurs, les chefs de nations, le peuple les humiliaient en tous lieux, plus ils devenaient nombreux « et puissants à l’extrême ». LIVRE VI
Celse n’a donc pas expliqué comment l’erreur accompagne la génération, ni montré ce qu’il voulait dire pour que nous le comprenions en confrontant ses idées avec les nôtres. Mais les prophètes suggèrent une sage doctrine sur le sujet de la génération : ils disent qu’un SACRIFICE « pour le péché » est offert même pour les nouveau-nés, parce qu’ils ne sont pas purs de péché. LIVRE VI
Puisqu’il nous renvoie à Héraclès, à lui de nous présenter quelques traits mémorables de ses paroles, et de justifier son indigne esclavage auprès d’Omphale ! A lui de montrer que c’était mériter les honneurs divins que de s’emparer de force comme un brigand du b?uf d’un laboureur, de le dévorer et, tout en mangeant, de prendre plaisir aux injures qu’il recevait du laboureur, si bien qu’on rapporte jusqu’à ce jour que le SACRIFICE offert au démon d’Héraclès s’accompagne de certaines malédictions. En rappelant Asclépios, il m’invite à me répéter, car j’en ai déjà parlé ; mais je me contente de ce qui a été dit. Et aussi, qu’a-t-il admiré en Orphée pour dire que cet homme, à l’esprit pieux, comme tous en conviennent, a mené une vie vertueuse ? Je me demande si ce n’est pas pour nous chercher querelle et pour avilir Jésus qu’il chante maintenant les louanges d’Orphée, et si, en lisant ses mythes impies sur les dieux, il ne s’est pas détourné avec dégoût de ses poèmes qui méritent plus encore que ceux d’Homère d’être bannis d’une bonne république. Car sur ceux qu’on croit dieux on trouve chez Orphée des choses bien pires que chez Homère. LIVRE VI
Voyons encore ce que Celse dit ensuite de Dieu et comment il nous invite à user de choses qui en réalité sont des victimes offertes aux idoles ou, pour mieux dire, aux démons, mais qu’il nommerait des victimes sacrées, ignorant ce qui est une chose véritablement sacrée et la nature du SACRIFICE qui la concerne. Voici ce qu’il dit : Assurément Dieu est commun à tous, est bon, n’a besoin de rien, ignore l’envie. Qu’est-ce donc qui empêche ceux qui lui sont le plus dévoués de prendre part aux fêles publiques ? Je ne sais par quelle aberration il croit que, du fait que Dieu est bon, n’a besoin de rien, ignore l’envie, il s’ensuit que ceux qui lui sont dévoués peuvent prendre part aux fêtes publiques. Je lui réponds : de ce que Dieu est bon, n’a besoin de rien, ignore l’envie, il s’ensuivrait qu’on peut prendre part aux fêtes publiques, s’il était prouvé que les fêtes publiques n’ont rien d’erroné, mais qu’elles sont des coutumes fondées sur une vue exacte de Dieu et qu’elles sont une conséquence du culte et de la piété qui lui sont dus. LIVRE VIII
On objectera nos célébrations des dimanches, de la Parascève, de Pâques, de la Pentecôte ? Il faut répondre : si l’on est un chrétien parfait, quand on ne cesse de s’appliquer aux paroles, aux actions, aux pensées du Logos de Dieu qui par nature est le Seigneur, on vit sans cesse dans les jours du Seigneur, on célèbre sans cesse les dimanches. De plus, quand on se prépare sans cesse à la vie véritable, et qu’on s’éloigne des plaisirs de la vie qui trompent la multitude, sans nourrir « le désir de la chair », mais châtiant au contraire son corps et le réduisant à la servitude, on ne cesse de célébrer la Parascève. En outre, quand on a compris que « le Christ notre Pâque a été immolé » et qu’on doit célébrer la fête en mangeant la chair du Logos, il n’est pas d’instant où on n’accomplisse la Pâque, terme qui veut dire SACRIFICE pour un heureux passage : car par la pensée, par chaque parole, par chaque action on ne cesse de passer des affaires de cette vie à Dieu en se hâtant vers la cité divine. Enfin, si l’on peut dire avec vérité : « Nous sommes ressuscites avec le Christ », et aussi : « Il nous a ressuscites ensemble et nous a fait asseoir ensemble au ciel dans le Christ », on se trouve sans cesse aux jours de la Pentecôte, surtout lorsque, monté dans la chambre haute comme les apôtres de Jésus, on vaque à la supplication et à la prière pour devenir digne « du souffle impétueux qui descend du ciel » anéantir par sa violence la malice des hommes et ses effets, et pour mériter aussi d’avoir part à la langue de feu qui vient de Dieu. LIVRE VIII