Un examen des faits montre que Jésus osa une entreprise qui dépasse la nature humaine et que ce qu’il osa, il l’accomplit. Dès l’origine, tout s’opposait à la diffusion de sa doctrine par toute la terre : les empereurs successifs, leurs généraux et chefs d’armées, en un mot tous ceux qui détenaient une autorité quelconque, et en outre les gouverneurs de chaque cité, les soldats, le peuple. Il fut vainqueur, puisqu’il était par nature, en tant que Logos de Dieu, impossible à arrêter, et, plus fort que ces puissants adversaires, il a conquis toute la Grèce, et, plus encore, la barbarie, et converti des âmes innombrables à la RELIGION qu’il enseignait. Or il était inévitable, dans la foule de ceux qui étaient conquis par la doctrine, où “les gens simples et illettrés” sont plus nombreux que les gens formés par la culture, que les gens simples et illettrés fussent plus nombreux que les intelligents. Mais Celse ne veut pas le comprendre. Il pense que l’amour du Logos pour l’humanité, qui s’étend à chaque âme depuis le lever du soleil, “est simple et, à cause de sa simplicité et de son manque absolu de culture, n’a conquis que les simples”. Pourtant, même Celse ne dit pas que les seuls gens simples aient été conduits par cette doctrine à la RELIGION selon Jésus, car il avoue :” Il y a aussi parmi eux des gens modérés, raisonnables, intelligents et prêts à comprendre l’allégorie”. LIVRE I
Pour citer encore, à propos de Judas, un argument qui le confonde, je dirai que, dans le livre des psaumes, tout le cent-huitième n’est qu’une prophétie à son sujet. Il débute par ces mots : « O Dieu, ne cesse de parler à ma louange, car la bouche du méchant et la bouche du trompeur s’est ouverte contre moi. » Et on y prophétise que Judas s’est exclu du nombre des apôtres à cause de son péché, et qu’un autre a été choisi à sa place ; c’est le sens du mot : « et qu’un autre prenne sa charge ». Mais admettons qu’il ait été livré par un des disciples pire que Judas, sur lequel aient glissé, pour ainsi dire, toutes les paroles de Jésus : en quoi cela renforcerait-il une accusation contre Jésus ou le christianisme ? Comment serait-ce une preuve de la fausseté de l’Évangile ? Quant aux accusations qui suivent, j’y ai déjà répondu plus haut en montrant que ce n’est pas en fuyant que Jésus a été pris, mais qu’il s’est volontairement livré pour nous ; d’où il suit que s’il a été lié, il l’a été de son plein gré, nous enseignant à accueillir de bon coer ces sortes d’épreuves endurées pour la RELIGION. Voici encore qui me semble puéril : “Un bon général qui commande à des milliers de soldais n’est jamais livré, ni même un misérable chef de brigands à la tête des plus dépravés, tant qu’il semble utile à ses associés. Mais Jésus, puisqu’il fut livré par ses subordonnés, n’a pas commandé en bon général, et après avoir dupé ses disciples, il n’a pas inspiré à ces dupes la bienveillance, si l’on peut dire, que l’on a pour un chef de brigands.” On peut trouver bien des histoires de généraux livrés par leurs familiers, et de chefs de brigands pris par suite d’une infidélité aux engagements à leur égard. Admettons qu’aucun des généraux ou des chefs de brigands n’ait été livrés : en quoi cela renforce-t-il le grief fait à Jésus de ce qu’un de ses disciples l’a livré ? Puisque Celse fait profession de philosophie, je peux lui demander : est-ce un motif d’accuser Platon si Aristote, après l’avoir écouté vingt ans, s’est détourné de lui, s’en prit à sa doctrine de l’immortalité de l’âme, et a qualifié de « fredonnements » les Idées platoniciennes ? S’il restait un doute, j’ajouterais : est-ce que Platon n’avait plus de vigueur dialectique ni de puissance à établir son système, quand Aristote se fut détourné de lui, et les doctrines de Platon sont-elles fausses pour autant ? Ou se peut-il que Platon ait raison, au dire des philosophes qui le suivent, et qu’Aristote soit devenu méchant et ingrat envers son maître ? Chrysippe également, en bien des passages de ses livres, semble s’attaquer à Cléanthe, et propose des innovations contraires aux thèses de celui-ci, qui fut son maître alors qu’il était jeune et abordait la philosophie. Et pourtant, Aristote, dit-on, a fréquenté Platon vingt ans, et Chrysippe fut à l’école de Cléanthe un temps considérable. Mais Judas n’a même point passé trois ans près de Jésus. Des biographies de philosophes on tirerait bien des faits pareils à ceux que Celse reproche à Jésus à propos de Judas. Les Pythagoriciens bâtissaient même des cénotaphes pour ceux qui, après s’être orientés vers la philosophie, rebroussaient chemin vers la vie commune ; cette défection n’affaiblissait pas la doctrine ni les preuves de Pythagore et de ses disciples. LIVRE II
A l’objection qu’on fera : les Samaritains aussi sont persécutés pour leur RELIGION, voici la réponse : les Sicaires sont mis à mort pour la circoncision regardée comme une mutilation contraire aux lois établies et permise aux seuls Juifs. Il n’arrive jamais qu’on entende un juge donner le choix, au Sicaire qui lutte pour mener une vie conforme à ce qu’il tient pour sa RELIGION, entre la libération s’il change et, s’il persévère, la peine de mort : mais il suffit qu’on découvre sa circoncision pour qu’on mette à mort le circoncis. Suivant les paroles de leur Sauveur : « Vous serez traînés devant des gouverneurs et des rois à cause de moi », c’est aux seuls chrétiens que les juges laissent jusqu’au dernier soupir pleine liberté de renier le christianisme, d’offrir des sacrifices suivant les usages communs et après ce serment de demeurer chez eux pour y vivre sans danger. LIVRE II
Il ajoute cette remarque tout à fait sotte : “Les disciples ont écrit cela de Jésus pour affaiblir les charges qui pesaient sur lui. C’est comme si, pour dire qu’un homme est juste, on montrait qu’il a commis des injustices; pour dire qu’il est saint, on montrait qu’il tue; pour dire qu’il est immortel, on montrait qu’il est mort, ajoutant à tout cela qu’il l’avait prédit”. Son exemple est évidemment hors de propos : il n’y a rien d’absurde à ce que Celui qui allait être parmi les hommes l’idéal de la manière dont on doit vivre, ait entrepris de donner l’exemple de la manière dont on doit mourir pour la RELIGION ; sans compter le bien qu’a tiré l’univers de sa mort pour les hommes, comme je l’ai montré dans le livre précédent. Il croit ensuite que l’aveu sans ambages de la passion, loin de la détruire, renforce l’accusation : il ignorait à son sujet toutes les réflexions philosophiques de Paul, et les prédictions des prophètes Et il lui a échappé qu’un des hérétiques a dit que Jésus a enduré ces souffrances en apparence, non en réalité. S’il l’avait connu, il n’aurait pas dit ” Car vous n’alléguez même pas qu’il semblait bien, aux yeux de ces impies, endurer ces souffrances, mais qu’il ne les endurait pas vraiment vous avouez bonnement qu’il souffrait “. Mais nous, nous ne substituons pas l’apparence a la réalité de sa souffrance, pour que sa résurrection non plus ne soit pas un mensonge, mais une réalité. Car celui qui est réellement mort, s’il ressuscite, ressuscite réellement, mais celui qui ne meurt qu’en apparence ne ressuscite pas réellement. LIVRE II
J’ai ainsi répondu à l’objection : ” Comment donc est-il croyable qu’il l’ait prédit ? ” Quant à cette autre : “Comment un mort est-il immortel ? ” apprenne qui voudra que ce n’est pas le mort qui est immortel, mais le ressuscité des morts. Non seulement donc le mort n’était pas immortel, mais Jésus lui-même, qui était un être composé, avant sa mort n’était pas immortel. Nul homme destiné à mourir n’est immortel ; il est immortel quand il ne doit plus mourir. « Le Christ ressuscité des morts ne meurt plus ; sur lui la mort n’a plus d’empire », quoi que veuillent les gens incapables de comprendre le sens de ces paroles. Voici une autre rare insanité : ” Quel dieu, quel démon, quel homme sensé, prévoyant que de tels malheurs lui arriveraient, ne les auraient pas évités, s’il en avait eu le moyen, au lieu de donner tête baissée dans les dangers prévus ?” Socrate, en tout cas, savait que s’il buvait la ciguë, il mourrait, et il avait le moyen, s’il avait obéi à Criton, de s’évader de la prison et de ne rien souffrir de tout cela. Mais il décida, suivant ce qui lui semblait raisonnable, qu’il valait mieux pour lui mourir en philosophe que mener une vie indigne de sa philosophie. De plus, Léonidas, stratège de Lacédémone, sachant qu’il allait bientôt mourir avec ceux qui l’accompagnaient aux Thermopyles, ne se soucia pas de vivre dans la honte, mais il dit à son entourage : « Déjeunons en hommes qui vont souper aux Enfers. » Ceux qui ont le goût de collectionner de pareils récits en trouveront beaucoup d’autres. Quoi d’étonnant dès lors que Jésus, tout en sachant les malheurs qui lui arriveraient, ne les ait pas évités, mais se soit exposé aux dangers même prévus ? Et lorsque Paul, son disciple, eut appris les malheurs qui lui arriveraient dans sa montée à Jérusalem, il alla au-devant des dangers, et blâma ceux qui pleuraient sur lui et voulaient l’empêcher de monter à Jérusalem. Et combien de nos contemporains, sachant que la confession de leur christianisme entraînerait leur mort, et l’apostasie, leur libération et le recouvrement de leurs biens, ont méprisé la vie et volontairement choisi la mort pour leur RELIGION ! Vient ensuite une autre niaiserie du Juif de Celse : ” Puisqu’il a prédit qui le trahirait et qui le renierait, comment ne l’ont-ils pas craint comme Dieu, renonçant l’un à trahir, l’autre à renier ? ” Il n’a même pas vu, le docte Celse, qu’il y avait là une contradiction. Si Jésus a eu la prescience divine et que cette prescience n’ait pu être erronée, il était impossible que l’homme connu comme futur traître ne trahît point, et l’homme déclaré futur renégat, ne reniât point. Si au contraire il eût été possible que l’un ne trahît point et l’autre ne reniât point, en sorte qu’il n’y eût pas de trahison ni de reniement en ceux qui en avaient été prévenus d’avance, alors Jésus n’aurait plus été dans le vrai en disant : celui-ci trahira, cet autre reniera. En effet, s’il a su d’avance qui le trahirait, il a vu la malice d’où proviendrait la trahison et qui n’était nullement détruite par sa prescience. De même, s’il a compris qui le renierait, c’est en voyant la faiblesse d’où viendrait le reniement qu’il a prédit qu’il renierait, et cette faiblesse n’allait pas non plus être d’emblée détruite par sa prescience. Mais d’où tire-t-il ceci : ” Eux, pourtant, l’ont trahi et renié sans se soucier de lui ? ” Car on a déjà montré, à propos du traître, qu’il est faux de dire qu’il ait trahi son maître sans se soucier de lui le moins du monde ; et il n’est pas moins facile de le montrer aussi du renégat qui, après son reniement, « sortit dehors et pleura amèrement ». LIVRE II
D’où donc, Celse, l’as-tu appris, sinon des Evangiles ? Y verrais-tu des motifs de reproches, toi ? Ceux qui les ont notes n’avaient pas idée que tu en rirais ainsi que tes pareils, mais que d’autres prendraient Celui qui est généreusement mort pour la RELIGION en exemple de la manière de mépriser ceux qui rient et se moquent d’elle. Admire donc plutôt la sincérité de ces auteurs et la sublimité de Celui qui a volontairement enduré ces souffrances pour les hommes et les a supportées avec une résignation et une grandeur d’âmes totales ! Car il n’est pas écrit qu’à sa condamnation il se soit lamenté ou qu’il ait eu une pensée ou une parole sans noblesse. LIVRE II
Mais comment n’est-ce pas un mensonge flagrant que l’assertion du Juif de Celse : ” De toute sa vie, n’ayant persuadé personne, pas même ses disciples, il fut châtié et endura ces souffrances ! ” Car d’où vient la haine excitée contre lui par les grands-prêtres, les anciens et les scribes, sinon de ce que les foules étaient persuadées de le suivre jusqu’aux déserts, conquises non seulement par la logique de ses discours, toujours adaptés à ses auditeurs, mais encore par ses miracles qui frappaient d’étonnement ceux qui ne croyaient pas à la logique de son discours ? Comment n’est-ce pas un mensonge flagrant de dire qu’il ne persuada pas même ses disciples. Ils ont bien ressenti alors une lâcheté tout humaine, car ils n’étaient pas encore d’un courage éprouvé, mais sans toutefois se départir de leur conviction qu’il était le Christ. Car Pierre, aussitôt après son reniement, eut conscience de la gravité de sa chute, et «sortant dehors, il pleura amèrement» » ; les autres, bien que frappés de découragement à son sujet, car ils l’admiraient encore, furent affermis par son apparition à croire qu’il était Fils de Dieu d’une foi encore plus vive et plus ferme qu’auparavant. Par un sentiment indigne d’un philosophe, Celse imagine que la supériorité de Jésus sur les hommes ne consistait pas dans sa doctrine du salut et la pureté de ses moers. Il aurait dû agir contrairement au caractère du rôle qu’il avait assumé : ayant assumé une nature mortelle, il aurait dû ne pas mourir ; ou il devait mourir, mais non d’une mort qui pût servir d’exemple aux hommes : car cet acte leur apprendrait à mourir pour la RELIGION, et à en faire hardiment profession en face de ceux qui sont dans l’erreur en matière de piété et d’impiété et qui tiennent les gens pieux pour très impies, et pour très pieux ceux qui, fourvoyés dans leurs idées sur Dieu, appliquent à tout plutôt qu’à Dieu la juste notion qu’ils ont de lui ; et leur erreur est au comble quand ils massacrent avec fureur ceux qui, saisis par l’évidence de l’unique Dieu suprême, se sont consacrés de toute leur âme jusqu’à la mort. Celse met dans la bouche du Juif un autre reproche contre Jésus :” Il ne s’est pas montré pur de tout mal.” De quel mal Jésus ne s’est-il pas montré pur ? Que le lettré de Celse le dise ! S’il entend que Jésus ne s’est pas montré pur du mal au sens strict, qu’il fasse clairement la preuve d’un acte mauvais accompli par lui ! Si, au contraire, il entend par mal la pauvreté, la croix, la conspiration d’hommes insensés, il est évident qu’on peut dire que du mal est arrivé aussi à Socrate, qui n’a pas pu prouver qu’il était pur de ce mal. Mais qu’il est nombreux chez les Grecs le choeur des philosophes qui furent pauvres et d’une pauvreté volontairement choisie ! La plupart des Grecs le connaissent par leurs histoires : Démocrite laissa son bien abandonné en pâturage aux brebis ; Cratès se libéra en gratifiant les Thébains de l’argent que lui avait procuré la vente de tout ce qu’il possédait ; de plus, Diogène, par exagération de pauvreté, vivait dans un tonneau, et nulle personne d’intelligence même modérée n’en conclut que Diogène vivait dans le mal. De plus, puisque Celse veut que ” Jésus n’ait pas même été irréprochable,” c’est à lui de montrer lequel de ceux qui ont adhéré à sa doctrine a rapporté de Jésus quoi que ce soit de vraiment répréhensible. Ou bien, si ce n’est pas d’après eux qu’il l’accuse d’être répréhensible, qu’il montre d’après quelle source il a pu dire qu’il n’était pas irréprochable. Jésus a tenu ses promesses en faisant du bien à ceux qui se sont attachés à lui. Et en voyant sans cesse accomplis les événements qu’il avait prédits avant qu’ils arrivent, l’Évangile prêché dans le monde entier, ses disciples partis annoncer sa doctrine à toutes les nations, en outre, leur procès devant gouverneurs et rois sans autre motif que son enseignement, nous sommes remplis d’admiration pour lui et nous fortifions chaque jour notre foi en lui. Mais je ne sais pas de quelles preuves plus fortes et plus évidentes Celse voudrait qu’il ait confirmé ses prédictions ; à moins peut-être qu’ignorant, à ce qu’il semble, que le Logos est devenu l’homme Jésus, il eût voulu qu’il n’éprouvât rien d’humain et ne devînt pas pour les hommes un noble exemple de la manière de supporter l’adversité. Mais peut-être celle-ci apparaît-elle à Celse lamentable et des plus répréhensibles, puisqu’il regarde la peine comme le plus grand des maux et le plaisir comme le bien parfait : ce qui n’est accepté par aucun des philosophes qui admettent la Providence, et qui conviennent que le courage est une vertu ainsi que l’endurance et la grandeur d’âme. Ainsi, par les souffrances qu’il a supportées, Jésus n’a pas discrédité la foi en sa personne, mais il l’a fortifiée plutôt dans ceux qui veulent admettre le courage, et dans ceux qui ont appris de lui que la vie heureuse au sens propre et véritable n’est point ici-bas, mais dans ce qu’il appelle « le siècle à venir », tandis que la vie dans « le siècle présent » est un malheur, la première et la plus grande lutte à mener par l’âme. LIVRE II
Ensuite, son Juif dit, évidemment pour s’accommoder aux croyances des Juifs : Oui certes ! nous espérons ressusciter un jour dans notre corps et mener une vie éternelle, et que Celui qui nous est envoyé en sera le modèle et l’initiateur, prouvant qu’il n’est pas impossible à Dieu de ressusciter quelqu’un avec son corps. Je ne sais pas si le Juif dirait que le Christ attendu doit montrer en lui-même un modèle de la résurrection. Mais soit ! Accordons qu’il le pense et le dise. De plus, quand il dit nous avoir fait des citations de nos écrits, je réponds : n’as-tu pas, mon brave, en lisant ces écrits grâce auxquels tu prétends nous accuser, trouvé l’explication détaillée de la résurrection de Jésus, et qu’il est « le premier-né d’entre les morts » ? Ou, de ce que tu refuses de le croire, s’ensuit-il qu’il n’en ait rien été dit ? Mais puisque le Juif continue en admettant chez Celse la résurrection des corps, je pense que ce n’est pas ici l’occasion d’en traiter avec un homme qui croit et avoue qu’il y a une résurrection des corps, soit qu’il se l’explique nettement et puisse en fournir convenablement la preuve, soit qu’il ne le puisse pas mais donne à la doctrine une adhésion superficielle. Voilà donc notre réponse au Juif de Celse. Et puisqu’il dit encore : Où donc est-il, pour que nous puissions voir et croire ? nous lui répondrons : où donc est maintenant celui qui parle par les prophètes et qui a fait des prodiges, pour que nous puissions voir et croire que le Juif « est la part de Dieu ». Ou bien vous est-il permis de vous justifier du fait que Dieu ne s’est pas continuellement manifesté au peuple juif, tandis qu’à nous la même justification n’est pas accordée pour le cas de Jésus qui, une fois ressuscité, persuada ses disciples de sa résurrection ? Et il les persuada au point que par les épreuves qu’ils souffrent, ils montrent à tous que, les yeux fixés sur la vie éternelle et la résurrection, manifestée à eux en parole et en acte, ils se rient de toutes les épreuves de la vie. Après cela, le Juif dit : N’est-il descendu que pour nous rendre incrédules ? On lui répondra : il n’est pas venu pour provoquer l’incrédulité de Juifs ; mais, sachant d’avance qu’elle aurait lieu, il l’a prédite et il a fait servir l’incrédulité des Juifs à la vocation des Gentils. Car, par la faute des Juifs le salut est venu aux Gentils, à propos desquels le Christ dit chez les prophètes : « Un peuple que je ne connaissais pas s’est soumis à moi ; l’oreille tendue, il m’obéit » ; « Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas, j’ai apparu à ceux qui ne m’interrogeaient pas. » Et il est manifeste que les Juifs ont subi en cette vie le châtiment d’avoir traité Jésus comme ils l’ont fait. Les Juifs peuvent dire, s’ils veulent nous critiquer : Admirable est à votre égard la providence et l’amour de Dieu, de vous châtier, de vous avoir privés de Jérusalem, de ce qu’on nomme le sanctuaire, du culte le plus sacré ! Car s’ils le disent pour justifier la providence de Dieu, nous aurions un argument plus fort et meilleur ; c’est que la providence de Dieu est admirable, d’avoir fait servir le péché de ce peuple à l’appel par Jésus des Gentils au Royaume de Dieu, de ceux qui étaient étrangers aux alliances et exclus des promesses. Voilà ce que les prophètes ont prédit, disant qu’à cause du péché du peuple hébreu, Dieu appellerait non pas une nation, mais des élites de partout, et qu’ayant choisi « ce qu’il y a de fou dans le monde », il ferait que la nation inintelligente vienne aux enseignements divins, le Règne de Dieu étant ôté à ceux-là et donné à ceux-ci. Il suffît, entre bien d’autres, de citer à présent cette prophétie du cantique du Deutéronome sur la vocation des Gentils, attribuée à la personne du Seigneur : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles. Et moi je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai par une nation inintelligente.» Enfin, pour tout conclure, le Juif dit de Jésus : Il ne fut donc qu’un homme, tel que la vérité elle-même le montre et la raison le prouve. Mais s’il n’eût été qu’un homme, je ne sais comment il eût osé répandre sur toute la terre sa RELIGION et son enseignement, et eût été capable sans l’aide de Dieu d’accomplir son dessein et de l’emporter sur tous ceux qui s’opposent à la diffusion de son enseignement, rois, empereurs, Sénat romain, et partout les chefs et le peuple. Comment attribuer à une nature humaine qui n’aurait eu en elle-même rien de supérieur la capacité de convertir une si vaste multitude ? Rien d’étonnant s’il n’y avait eu que des sages ; mais il s’y ajoutait les gens les moins raisonnables, esclaves de leurs passions, d’autant plus rebelles à se tourner vers la tempérance qu’ils manquaient de raison. Et parce qu’il était puissance de Dieu et sagesse du Père, le Christ a fait tout cela et le fait encore, malgré les refus des Juifs et des Grecs incrédules à sa doctrine. LIVRE II
Et c’est en exemple aux autres, pour que, les yeux fixés sur le petit nombre en lutte pour la RELIGION, ils deviennent plus fermes et méprisent la mort, qu’aux temps voulus, un petit nombre, facile à compter, est mort pour la RELIGION des chrétiens. Mais Dieu empêchait que tout leur peuple fût exterminé, voulant qu’il subsistât et que toute la terre fût remplie de ce salutaire et très pieux enseignement. Puis de nouveau, afin de permettre aux plus faibles de respirer dans cette hantise de la mort, Dieu pourvoyait au salut des croyants, dénouant, par sa seule volonté, toute la trame du complot ourdi contre eux, pour que ne puisse trop s’enflammer contre eux la haine des rois, des gouverneurs locaux, du peuple. Voilà ma réponse à l’allégation de Celse : C’est une révolte qui fut jadis l’origine de la constitution politique des Juifs, et plus tard, de l’existence des Chrétiens. LIVRE III
Il veut ensuite comparer notre foi à la RELIGION des Égyptiens, chez qui, dès l’abord, on rencontre de magnifiques enclos et bois sacrés, des vestibules immenses et beaux, des temples admirables entourés d’imposants péristyles, des cérémonies empreintes de respect et de mystère; mais dès qu’on entre et pénètre à l’intérieur, on y contemple, objet d’adoration, un chat, un singe, un crocodile, un bouc, un chien. Mais quelle ressemblance y a-t-il entre la majesté extérieure offerte dès l’abord par les Égyptiens et ce qu’on trouve chez nous ? Quelle ressemblance avec ces animaux sans raison qui après ces vestibules vénérables sont objets d’adoration à l’intérieur du temple? Faut-il penser que les prophéties, le Dieu suprême, le mépris des idoles soient ce qui d’après lui est vénérable, mais que Jésus-Christ crucifié corresponde à l’animal sans raison qu’on adore ? Si telle est sa pensée, et je ne crois pas qu’il dirait autre chose, je répondrai que j’ai abondamment prouvé plus haut que, pour Jésus, même ce qui apparaît humainement comme son malheur fut un bienfait pour l’univers et le salut du monde entier. LIVRE III
Et qui sont les précepteurs, traités par nous de radoteurs stupides, que Celse défend pour l’excellence de leurs leçons? Peut-être considère-t-il comme habiles précepteurs pour bonnes femmes et non des radoteurs ceux qui les invitent à la superstition et aux spectacles impurs, ou encore, comme exempts de stupidité ceux qui conduisent et poussent les jeunes gens à tous les désordres qu’on leur voit commettre un peu partout. Pour nous, du moins, nous invitons de toutes nos forces même les tenants des doctrines philosophiques à notre RELIGION, en leur montrant son exceptionnelle pureté. Puisque Celse, dans ses remarques, veut établir que, loin de le faire, nous n’invitons que les sots, on pourrait lui répondre : si tu nous faisais grief de détourner de la philosophie ceux qui auparavant y étaient adonnés, tu ne dirais pas la vérité, mais ton propos aurait quelque chose de plausible. Mais en fait, comme tu prétends que nous enlevons nos adeptes à de bons précepteurs, prouve que ces maîtres sont différents des maîtres de philosophie ou de ceux qui ont travaillé à un enseignement utile. Mais il sera incapable de rien montrer de tel. Et nous promettons franchement, et non en secret, que seront heureux ceux qui vivent selon la parole de Dieu, fixant en tout leurs yeux sur lui, accomplissant quoi que ce soit comme sous le regard de Dieu. Est-ce là des leçons de cardeurs, de cordonniers, de foulons, de gens grossiers les plus incultes ? Il ne pourra pas l’établir. Ces hommes, d’après lui comparables aux cardeurs qu’on voit dans les maisons, semblables aux cordonniers, aux foulons, aux gens grossiers les plus incultes, Celse les accuse de ne vouloir, ni de ne pouvoir, en présence du père et des précepteurs, rien expliquer de bon aux enfants. En réponse, nous demanderons : de quel père veux-tu parler, mon brave, de quel précepteur? Si c’est quelqu’un qui approuve la vertu, se détourne du vice, recherche les biens supérieurs, sache-le bien, c’est avec une pleine assurance d’être approuvés d’un tel juge que nous communiquerons nos leçons aux enfants. Mais devant un père qui décrie la vertu et la parfaite honnêteté, nous gardons le silence, comme devant ceux qui enseignent ce qui est contraire à la saine raison : ne va pas nous le reprocher, ton reproche serait déraisonnable. Toi-même, à coup sûr, quand tu transmets les mystères de la philosophie à des jeunes gens et des enfants, dont les pères estiment la philosophie inutile et vaine, tu ne diras rien aux enfants devant leurs pères mal disposés ; mais, désireux de séparer de ces mauvais pères les fils orientés vers la philosophie, tu guetteras les occasions de faire parvenir aux jeunes gens les doctrines philosophiques. J’en dirai autant des précepteurs. Détourner de précepteurs enseignant les turpitudes de la comédie, la licence des ïambes et tant d’autres choses, sans bonne influence sur qui les débite ni utilité pour qui les écoute, car ils ne savent pas interpréter philosophiquement les poèmes, ni ajouter à chacun ce qui contribue au bien des jeunes gens, c’est là une conduite que nous avouons sans rougir. Mais présente-moi des précepteurs initiant à la philosophie et en favorisant l’exercice : au lieu d’en détourner les jeunes gens, je m’efforcerai d’élever ceux qui sont déjà exercés dans le cycle des sciences et des thèmes philosophiques, je les mènerai loin de la foule qui l’ignore jusqu’à la vénérable et sublime éloquence des chrétiens qui traitent des vérités les plus élevées et les plus nécessaires, montrant en détail et prouvant que telle est la philosophie enseignée par les prophètes de Dieu et les apôtres de Jésus. LIVRE III
Comme nous enseignons : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, et n’habitera pas dans un corps tributaire du péché », nous disons aussi : « Quiconque a les mains pures » et, pour cette raison, élève vers Dieu « des mains innocentes », et parce qu’offrant des sacrifices sublimes et célestes, peut dire : « L’élévation de mes mains est un sacrifice du soir » : qu’il vienne à nous ! Quiconque a la langue avisée, parce qu’il médite « jour et nuit » la loi du Seigneur, et que « ses facultés ont été formées par la pratique au discernement du bien et du mal », qu’il ne craigne pas d’en venir aux solides nourritures spirituelles qui conviennent aux athlètes de la piété et de toutes les vertus. Et comme « la grâce de Dieu est avec tous ceux qui aiment d’un amour incorruptible » le Maître qui enseigne l’immortalité, quiconque a les mains pures, non seulement de toute souillure, mais encore des fautes regardées comme plus légères, qu’il se fasse hardiment initier aux mystères de la RELIGION de Jésus, qui ne sont raisonnablement transmis qu’aux saints et aux purs. Le myste de Celse peut dire : Que celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal vienne ; mais celui qui, selon Jésus, conduit les initiés à Dieu, dira à ceux dont l’âme est purifiée : Celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal depuis longtemps, et surtout depuis qu’il est venu se faire guérir par le Logos, que celui-là entende aussi ce que Jésus a découvert en particulier à ses véritables disciples. Ainsi donc, dans le contraste qu’il établit entre l’initiation des Grecs et celle que donnent les maîtres de la doctrine de Jésus, Celse n’a pas vu la différence entre l’appel des méchants à la guérison de leurs âmes et l’appel des hommes déjà très purs à de plus profonds mystères. LIVRE III
Rien d’étonnant d’ailleurs à ce que l’ordre, la composition, l’élocution de ces discours philosophiques aient produit ces résultats en ceux qu’on a nommés et en d’autres dont la vie avait été mauvaise. Mais à considérer que les discours qualifiés par Celse de vulgaires sont remplis de puissance à la manière des incantations, à voir ces discours convertir d’innombrables multitudes des désordres à la vie la plus réglée, des injustices à l’honnêteté, des timidités et des lâchetés à une fermeté poussée jusqu’au mépris de la mort pour la RELIGION qu’ils croyaient vraie, que de justes raisons d’admirer la puissance de ce discours ! Car « le discours » de ceux qui ont, à l’origine, donné cet enseignement et travaillé à établir les églises de Dieu, ainsi que leur « prédication » eurent une puissance persuasive, bien différente de la persuasion propre à ceux qui prônent la sagesse de Platon ou d’un autre philosophe qui, étant hommes, n’avaient rien d’autre qu’une nature humaine. La démonstration dont usaient les apôtres de Jésus avait été donnée par Dieu et tenait sa vertu persuasive de « l’Esprit et de la puissance ». De là vient la rapidité et la pénétration avec laquelle s’est répandue leur parole, ou plutôt celle de Dieu, qui, par eux, changea un grand nombre de ceux qui étaient naturellement enclins à pécher et en avaient l’habitude. Et ceux qu’un homme n’eût pas changés, même par le châtiment, le Logos les a recréés, les formant et les modelant à son gré. LIVRE III
Qu’on ne me suspecte pas de désaccord avec la doctrine chrétienne quand j’ai mobilisé contre Celse les philosophes partisans de l’immortalité et de la survie de l’âme : nous avons avec eux des positions communes. Je prouverai, en temps plus convenable, que la vie bienheureuse à venir n’appartiendra qu’à ceux qui ont adopté la RELIGION de Jésus, et une piété à l’égard du Créateur de l’univers absolument pure et sans mélange avec quoi que ce soit de créé. Mais quels biens supérieurs persuadons-nous insidieusement les hommes de mépriser ? Le montre qui voudra ! Et qu’il leur confronte cette fin bienheureuse, selon nous, près de Dieu dans le Christ, c’est-à-dire le Logos, la Sagesse et toute vertu, cette fin qui surviendra à tous ceux qui ont vécu d’une manière pure et irréprochable, et ont reçu l’amour sans division ni séparation pour le Dieu de l’univers, cette fin accordée par un don de Dieu ! Qu’il la confronte avec la fin proposée par chaque école philosophique chez les Grecs et les barbares, ou promise par les mystères ! Qu’il montre que la fin présentée par l’un d’entre eux est supérieure à la nôtre, que c’est une conception convenable parce qu’elle est vraie, alors que la nôtre ne convient ni au don de Dieu, ni à ceux dont la vie fut vertueuse ; ou bien qu’elle n’a pas été révélée par l’Esprit divin qui avait rempli l’âme pure des prophètes ! Montre qui voudra que des doctrines reconnues par tous comme tout humaines sont supérieures à celles qui sont démontrées divines et proclamées par inspiration divine ! Mais encore, quels sont les biens supérieurs dont nous dirions qu’il est avantageux de s’abstenir ? En effet, sans prétention orgueilleuse, il apparaît d’emblée qu’on ne peut rien concevoir de supérieur à l’acte de se confier au Dieu suprême et de s’en remettre à l’enseignement qui détache de tout le créé pour conduire, par le Logos animé et vivant, qui est aussi Sagesse vivante et Fils de Dieu, au Dieu suprême. Mais comme le troisième livre de ma réponse au traité de Celse atteint ici une dimension suffisante, j’en arrêterai l’argumentation, pour combattre dans la suite ses objections ultérieures. LIVRE III
Puisqu’il n’est rien de stable dans la nature humaine, il était fatal que même ce régime peu à peu en vînt à dégénérer et à se corrompre. Mais la Providence, ayant apporté au vénérable système de leur doctrine les changements qu’il fallait pour l’adapter comme il convient aux gens de tous les pays, accorda à tous les croyants de l’univers, à la place de celle des Juifs, la vénérable RELIGION de Jésus. Et Jésus, gratifié non seulement d’intelligence, mais encore d’une condition divine, abolit la doctrine sur les démons terrestres qui prennent plaisir à l’encens, aux exhalaisons de la graisse et au sang, et qui, comme les Titans et les Géants de la fable, détournaient les hommes de la notion de Dieu. Lui, sans souci de leurs menées, surtout dirigées contre les meilleurs, il a donné des lois qui assurent la félicité de ceux qui y conforment leur vie, s’abstiennent à tout prix de flatter les démons par des sacrifices et les méprisent absolument grâce au Logos de Dieu qui secourt ceux qui lèvent leurs regards vers Dieu. Et puisque Dieu voulait que la doctrine de Jésus prévalût parmi les hommes, les démons ont perdu tout pouvoir, bien qu’ils aient mis en branle toutes les influences pour anéantir les chrétiens. Rois, Sénat, gouverneurs de chaque contrée, peuple même, inconscients des menées déraisonnables et perverses de ces démons, ils ont tout soulevé contre le Logos et ceux qui croient en Lui. Mais la Parole de Dieu est plus puissante qu’eux tous, et malgré les obstacles, se faisant des obstacles comme une nourriture pour croître, elle a poursuivi sa marche, et récolté un nombre croissant d’âmes : car telle était la volonté de Dieu. LIVRE IV
Au lecteur du livre de Celse de voir s’il n’insinue point cela dans le passage : « Ils ont tenté de rattacher leur généalogie à une première génération de sorciers et de vagabonds, invoquant le témoignage de paroles obscures, équivoques, comme cachées dans l’ombre. » Ces noms sont bien cachés, soustraits à la lumière et à la connaissance de la foule. D’après nous ils ne sont pas équivoques, même employés par les étrangers à notre RELIGION ; mais d’après Celse, qui n’établit pas le caractère équivoque de ces paroles, je ne sais pourquoi ils sont à rejeter. Pourtant, s’il avait voulu judicieusement réfuter la généalogie que les Juifs s’étaient arrogée, d’après lui, avec une impudence extrême en se vantant d’Abraham et de ses descendants, il lui aurait fallu citer tous les passages concernant le sujet, soutenir d’abord l’opinion qui lui paraissait plausible, et ensuite réfuter sérieusement au nom de la vérité qu’il voyait et des arguments en sa faveur, les passages relatifs au sujet. Mais ni Celse, ni personne d’autre ne pourra, discutant la question de la nature des noms employés pour les miracles, en donner une explication exacte, et convaincre qu’on peut facilement dédaigner des hommes dont les noms même à eux seuls ont du pouvoir, non seulement chez leurs compatriotes, mais encore chez les étrangers. LIVRE IV
Remarque ici encore la haine bien peu philosophique de cet auteur contre la très ancienne Écriture des Juifs. Car, il ne peut dénigrer l’histoire du déluge. Il ignore même les objections possibles contre l’arche et ses dimensions, par exemple, qu’en acceptant comme le vulgaire les chiffres de « trois cents coudées » de longueur, de « cinquante » de largeur, de « trente » de hauteur, on ne pouvait maintenir qu’elle a contenu les animaux qui sont sur terre, quatorze de chaque espèce pure, quatre de chaque espèce impure. Alors il se contente de la qualifier d’arche étrange contenant tous les êtres. Mais qu’a-t-elle d’étrange, puisqu’on raconte qu’elle fut construite en cent ans, et qu’elle fut réduite des trois cents coudées de longueur, des cinquante de largeur, jusqu’à ce que les trente coudées de sa hauteur se terminent en une seule coudée de longueur et de largeur ? Ne serait-ce pas plutôt admirable que cette construction, semblable à une très grande ville, soit décrite par les dimensions prises à la puissance, en sorte qu’elle était, à la base, de neuf myriades de coudées de longueur, et de deux mille cinq cents de largeur ? Ne devrait-on pas admirer le dessein de la rendre solide et capable de supporter la tempête cause du déluge? Et en effet, ce n’est ni de poix, ni de quelque autre matière de cette nature, mais d’asphalte qu’elle a été fortement enduite ? Et n’est-ce point admirable que les survivants de chaque espèce aient été introduits à l’intérieur par la Providence de Dieu, afin que la terre ait de nouveau les semences de tous les êtres vivants, Dieu s’étant servi de l’homme le plus juste qui serait le père de ceux qui naîtraient après le déluge ? Celse a rejeté l’histoire de la colombe pour se donner l’air d’avoir lu le livre de la Genèse, mais n’a rien pu donner comme preuve du caractère fictif de ce trait. Puis, à son habitude de traduire l’Écriture en termes ridicules, il change le corbeau en une corneille et il suppose que Moïse a transcrit là sans scrupule l’histoire grecque de Deucalion ; à moins peut-être qu’il ne considère le livre comme l’oeuvre non du seul Moïse mais de plusieurs autres, comme l’indique la phrase : Démarquage sans scrupule de l’histoire de Deucalion ; ou encore celle-ci : Ils ne s’étaient point avisés, je pense, que cette fable paraîtrait au grand jour. Mais comment se fait-il que ceux qui ont donné des Écritures à la nation tout entière ne se soient point avisés qu’elle paraîtrait au grand jour, alors qu’ils ont même prédit que cette RELIGION serait prêchée à toutes les nations ? Et quand Jésus dit aux Juifs : « Le Règne de Dieu vous sera retiré pour être confié à une nation qui en portera les fruits1 », quelle autre disposition a-t-il en vue que celle de présenter lui-même au grand jour, par la puissance divine, toute l’Écriture juive qui contient les mystères du Règne de Dieu ? Après cela, lecteurs des théogonies des Grecs, et des histoires de leurs douze dieux, ils leur attribuent un caractère vénérable par des interprétations allégoriques ; détracteurs de nos histoires, ils les disent fables bonnement racontées aux petits enfants ! LIVRE IV
établi des lois conformément aux coutumes de leur pays. Ils les maintiennent parmi eux aujourd’hui encore et observent une RELIGION qui, quelle qu’elle soit, est du moins traditionnelle. Ils agissent là comme les autres hommes, car chacun a en honneur les coutumes traditionnelles, de quelque manière qu’elles aient pu être établies. Et il semble qu’il en arrive ainsi, non seulement parce qu’il est venu à l’esprit de différents peuples de se donner des lois différentes et que c’est un devoir de garder ce qui a été décidé pour le bien commun, mais encore parce que vraisemblablement les différentes parties de la terre ont été dès l’origine attribuées à différentes puissances tutélaires et réparties en autant de gouvernements, et c’est ainsi qu’elles sont administrées. Dès lors, ce qui est fait dans chaque nation est accompli avec rectitude si c’est de la manière agréée de ces puissances; mais il y aurait impiété à enfreindre les lois établies dès l’origine dans chaque région. Celse affirme donc ici que les Juifs, autrefois des Égyptiens, devinrent dans la suite une nation particulière et ont établi des lois qu’ils respectent. Et, pour ne pas répéter ses expressions déjà citées, il dit qu’il leur est arrivé de garder les pratiques religieuses traditionnelles à l’instar des autres nations qui ont en honneur leurs propres coutumes. Il avance une raison plus profonde pour laquelle il est arrivé aux Juifs d’avoir en honneur leurs coutumes traditionnelles, en insinuant que les êtres qui ont obtenu d’être les puissances tutélaires de la terre ont coopéré avec les législateurs à l’institution des lois de chaque peuple. Il semble donc indiquer que soit le pays des Juifs, soit la nation qui l’habite sont sous la tutelle d’un ou plusieurs êtres, par la collaboration duquel ou desquels avec Moïse les lois des Juifs ont été établies. LIVRE V
De plus, explique qui voudra la manière dont, réparties en autant de gouvernements, les parties de la terre sont administrées par les puissances qui veillent sur elles ; qu’on nous apprenne encore comment ce qui est fait dans chaque nation est accompli avec rectitude si c’est de la manière agréée de ces puissances : si cette rectitude caractérise, par exemple, les lois des Scythes sur le parricide, ou celles des Perses n’interdisant le mariage ni des mères avec leurs fils, ni des pères avec leurs filles. A quoi bon rassembler les exemples des auteurs qui ont traité des lois des différents peuples, pour contester l’affirmation que dans chaque nation les lois sont accomplies , avec rectitude dans la mesure où elles agréent aux puissances tutélaires ? A Celse de nous dire l’impiété qu’il y aurait à enfreindre les lois traditionnelles pour qui épouser sa mère ou sa fille est permis, finir la vie par pendaison mérite la béatitude, se livrer aux flammes et quitter la vie par le feu obtient la purification parfaite. A lui de dire l’impiété qu’il y aurait à enfreindre les lois contraignant par exemple les habitants de la Tauride à offrir les étrangers comme victimes à Artémis, ou chez certaines tribus de Libye à sacrifier les enfants à Cronos. Mais dans la logique de l’opinion de Celse, il y a impiété pour les Juifs à enfreindre les lois traditionnelles interdisant de vénérer un autre dieu que le Créateur de l’univers. D’après lui, la piété serait divine non point par nature mais par convention et opinion ; car c’est pour les uns acte de piété d’honorer le crocodile et de manger des animaux adorés parmi d’autres tribus, et c’est un acte de piété chez d’autres de vénérer le veau, et chez d’autres de considérer le bouc comme un dieu. Et ainsi les actions d’un même individu seraient piété d’après telles lois, impiété d’après telles autres : ce qui est le comble de l’absurdité. On répliquera probablement : la piété consiste à garder les traditions, et il n’y a pas le moins du monde impiété à ne pas observer en outre celles des étrangers ; ou encore, bien que cela paraisse impie à certains d’entre eux, il n’y a pas impiété à honorer suivant les traditions ses propres divinités, et d’autre part à combattre et à dévorer celles des peuples dont les lois sont contraires. Mais vois si ce n’est pas faire preuve d’une grande confusion sur la justice, la piété et la RELIGION, que de ne pas les définir ni leur assigner une nature propre permettant de caractériser comme des hommes religieux ceux qui leur conforment leur conduite. Si vraiment la RELIGION, la piété, la justice sont choses si relatives que la même attitude soit pieuse ou impie suivant la diversité des conditions et des lois, ne s’ensuit-il pas que la tempérance aussi est relative, de même que le courage, la prudence, la science et les autres vertus : rien ne pourrait être plus absurde. LIVRE V
A ces considérations, pouvant paraître superflues et inadaptées à l’audience de la foule, que j’ai eu la hardiesse de développer, j’ajouterai, avant de passer à la suite, une réflexion plus chrétienne. Cet ange, d’après moi, avait un pouvoir contre ceux du peuple qui étaient incirconcis et, en général, contre ceux-là qui n’adoraient que le Créateur ; de plus, il avait ce pouvoir aussi longtemps que Jésus n’avait pas pris un corps. Quand il l’eut fait et que son corps fut circoncis, alors fut détruit tout le pouvoir de cet ange contre les incirconcis de cette RELIGION ; car Jésus le détruisit par son ineffable divinité. D’où la défense à ses disciples d’être circoncis, et l’affirmation : « Si vous êtes circoncis, le Christ ne vous servira de rien. » LIVRE V
Voici le passage de Celse que je veux maintenant examiner : ” soit ! Nous laissons de côté tout ce qui les confond au sujet de leur maître; admettons qu’il fut un ange véritable. Fut-il le premier et le seul à venir ou y en eut-il d’autres auparavant? S’ils répondaient qu’il fut le seul, ils seraient convaincus de mensonge et de contradiction. Car ils disent qu’il en est souvent venu d’autres, et même jusqu’à soixante ou soixante-dix à la fois; qu’ils se sont pervertis et, en punition, ont été enchaînés sous terre, d’où vient que les sources chaudes sont leurs larmes. De plus, à son tombeau il vint, les uns disent un ange, les autres deux, annoncer aux femmes qu’il était ressuscité. Car le Fils de Dieu, à ce qu’il paraît, ne pouvait ouvrir le tombeau, mais il a eu besoin d’un autre pour déplacer la pierre. Bien plus, il vint encore un ange auprès du charpentier pour expliquer la grossesse de Marie, et un autre ange pour les faire fuir en arrachant le bébé au péril. Mais à quoi bon tout rechercher avec minutie et dénombrer ceux qu’on dit avoir été envoyés à Moïse et à d’autres des leurs? Or, si d’autres encore ont été envoyés, il est manifeste que Jésus est lui aussi venu de la part du même Dieu. Accordons même qu’il ait eu un message d’une autre importance: par exemple, que les Juifs étaient en train de commettre des fautes, de falsifier la RELIGION, d’accomplir des actions impies. C’est ce qu’on nous laisse entendre.” Il suffirait, pour répondre aux paroles de Celse, de renvoyer à ce que j’ai dit dans les recherches particulières sur notre Sauveur Jésus-Christ. Mais pour ne point paraître négliger exprès un passage de son traité comme si j’étais incapable de le réfuter, qu’on me permette, au risque de me répéter puisque Celse m’y engage, de le discuter aussi brièvement que possible : peut-être les mêmes questions présentent-elles un aspect plus clair ou plus nouveau. Il déclare bien avoir laissé de côté tout ce qui confond les chrétiens au sujet de leur Maître, mais il n’a rien laissé de ce qu’il pouvait dire, comme le montre la précédente tirade, ce qui n’est après tout qu’un procédé de rhétorique. Mais nous ne sommes pas confondus à propos de notre si grand Sauveur, bien que notre calomniateur se figure nous confondre : c’est ce que fera ressortir une lecture soigneuse et loyale de tout ce qui le concerne, prophéties et histoire. LIVRE V
Après cela il ajoute, je ne sais pourquoi, car j’ignore quel avantage il en espère pour son propos : Il vint un ange auprès de Joseph pour expliquer la grossesse de Marie, puis de nouveau pour les faire fuir en Egypte en arrachant le bébé au complot qui le menaçait. Ce point a été de même discuté plus haut dans mes répliques à ses attaques. Mais quelle est l’intention de Celse en objectant que, d’après le récit des Écritures, des anges furent envoyés à Moïse et aux autres ? Cela ne me semble être d’aucun appui à son propos, pour cette raison surtout qu’aucun d’eux n’a lutté de toutes ses forces pour détourner le genre humain de ses péchés. Il est vrai que d’autres encore ont été envoyés de Dieu et que Jésus eut un message d’une autre importance ; que les Juifs étant en train de commettre des fautes, de falsifier la RELIGION, d’accomplir des actions impies, le Règne de Dieu a été remis à « d’autres vignerons »; à ceux qui partout prenant soin d’eux dans les églises mettent tout en oeuvre afin d’en amener d’autres encore suivant l’enseignement de Jésus, par une vie pure et une doctrine en accord avec la vie, au Dieu de l’univers. LIVRE V
Et puisqu’il dit : Tous ces gens si radicalement séparés, on les entendra répéter : Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde, je vais le convaincre de mensonge. Il y a des sectes qui ne reçoivent pas les Epîtres de l’Apôtre Paul : les Ébionites des deux sortes et ceux qu’on appelle Encratites. Ils ne citent donc pas l’Apôtre comme un bienheureux et un sage et ne sauraient dire : « Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde. » Voilà encore un mensonge de Celse. Il a beau insister dans son accusation contre la différence des sectes, il n’a, me semble-t-il, aucune idée claire de ce qu’il dit, il n’a même pas sérieusement examiné ni compris la raison pour laquelle les chrétiens avancés dans les Écritures prétendent connaître plus de choses que les Juifs. Veut-il dire que tout en admettant les mêmes livres que les Juifs, ils les interprètent en sens contraire, ou qu’ils refusent d’admettre les livres des Juifs ? On pourrait en effet trouver ces deux attitudes dans les sectes. Après quoi il déclare : Eh bien ! même si leur RELIGION n’a aucun fondement, examinons la doctrine elle-même. Il faut d’abord dire tout ce qu’ils ont mal compris et gâté par l’ignorance, la présomption les faisant aussitôt trancher à tort et à travers sur les principes en des matières qu’ils ne connaissent pas. En voici des exemples. Et aussitôt, à certaines expressions continuellement sur les lèvres de ceux qui croient à la doctrine chrétienne, il en oppose d’autres tirées des philosophes ; il prétend que celles des doctrines dont il reconnaît la beauté chez les chrétiens ont été exprimées avec plus de beauté et de clarté chez les philosophes ; il veut par là entraîner à la philosophie ceux que captivent ces doctrines par elles-mêmes resplendissantes de beauté et de piété. Mais terminons ici même ce cinquième livre, et commençons le sixième avec le passage qui suit. LIVRE V
Qu’on présente donc les anciens sages à qui peut les comprendre ! En particulier que Platon, fils d’Ariston, s’explique sur la nature du Souverain Bien dans une de ses Lettres, et déclare qu’il est absolument ineffable, que c’est d’un long commerce qu’il naît soudain, comme d’une flamme jaillissante une lumière surgie dans l’âme. A entendre cette parole, on convient de sa beauté, « car c’est Dieu qui le leur a révélé » ainsi que tout ce qu’ils ont dit de bien. Aussi affirmons-nous que ceux qui ont conçu la vérité sur Dieu sans pratiquer la RELIGION conforme à cette vérité sur Dieu subissent les châtiments des pécheurs. LIVRE VI
Remarque dès lors la différence entre la noble parole de Platon sur le Souverain Bien, et celles des prophètes sur la lumière des bienheureux ; considère que la vérité proclamée par Platon n’a nullement favorisé une RELIGION pure chez ses lecteurs, ni même chez Platon, malgré sa vue pénétrante sur le Souverain Bien, mais que le style simple des divines Écritures a rempli d’ardeur divine ceux qui en font une lecture véritable ; chez eux, cette lumière est alimentée par ce qu’on appelle dans certaines paraboles l’huile qui entretient la lumière des flambeaux de cinq vierges sages. LIVRE VI
Ensuite, il se remet à mélanger tout ce qui concerne la sorcellerie magique. Peut-être ne vise-t-il personne, parce qu’il n’y a pas de magicien qui pratique son art sous couvert d’une RELIGION de ce genre ; ou peut-être pense-t-il à certains qui usent de telles pratiques devant des gens faciles à duper pour avoir l’air d’agir par la puissance divine ; et il en donne des exemples : Qu’ai-je besoin d’énumérer ici tous ceux qui ont enseigné des rites de purification, des incantations libératrices, des formules ou des bruits de conjuration, des effigies de démons, tous les genres de remèdes tirés des étoffes, des nombres, des pierres, des plantes, des racines, bref d’objets de toute sorte. Mais en ces matières où le plus léger soupçon ne peut nous atteindre, la raison ne nous demande pas de nous défendre. LIVRE VI
Après cela, il me paraît faire comme ceux qui, dans leur haine farouche des chrétiens, affirment aux gens tout à fait ignorants du christianisme avoir appris par expérience que les chrétiens mangent la chair des petits enfants ou se livrent sans retenue à des étreintes avec les femmes qui sont à leur côté. Or ces racontars sont désormais condamnés même par les foules tout à fait étrangères à notre RELIGION comme des allégations fausses contre les chrétiens. De même trouvera-t-on mensongères les allégations de Celse prétendant avoir vu chez certains prêtres de notre croyance des livres contenant des noms barbares de démons et des formules magiques. Et il assure que ces gens, entendez : les prêtres de notre croyance, ne promettent rien d’utile mais tout ce qui peut nuire aux hommes. Plût au ciel que toutes les objections de Celse contre les chrétiens fussent de cette nature ! Il serait réfuté par les masses qui ont appris par expérience la fausseté de ces griefs, pour avoir vécu avec un très grand nombre de chrétiens et n’avoir jamais entendu sur eux rien de pareil. LIVRE VI
S’il faut parler en général d’une vue offusquée et affaiblie, à quel autre attribuer cette maladie des yeux sinon à celui qui est retenu par l’ignorance de Dieu, et empêché par ses passions de voir la vérité ? Les chrétiens sont donc bien loin de croire que les paroles de Celse ou de quelque ennemi de la RELIGION vont les aveugler. Ceux qui s’aperçoivent qu’ils sont aveuglés eux-mêmes en suivant les foules des égarés et les nations de ceux qui célèbrent des fêtes en l’honneur des démons n’ont qu’à s’approcher du Logos qui accorde des yeux : et comme les pauvres et les aveugles qui se prosternaient aux bords du chemin ont été guéris par Jésus pour avoir dit : « Fils de David, ayez pitié de nous ! » ils obtiendront miséricorde et recevront les yeux nouveaux et sains, tels que le Logos de Dieu peut les créer. LIVRE VI
Dès lors, ce qu’on a fait à Jésus, si l’on considère la divinité qui est en lui, n’est pas contraire à la piété et ne répugne point à la notion de la divinité. Par ailleurs, en tant qu’homme, plus orné que tout autre par la participation la plus élevée au Logos en personne et à la Sagesse en personne, il a supporté en sage parfait ce que devait supporter celui qui accomplit tout en faveur de toute la race des hommes ou même des êtres raisonnables. Et il n’est nullement absurde que l’homme soit mort et que sa mort non seulement soit un exemple de la mort subie pour la RELIGION, mais encore qu’elle commence et poursuive la ruine du Mauvais, le Diable, qui s’était attribué toute la terre. Cette ruine est attestée par ceux qui de toutes parts, grâce à l’avènement de Jésus, échappent aux démons qui les tenaient assujettis et, libérés de cet esclavage qui pesait sur eux, se vouent à Dieu et à la piété envers lui, laquelle, selon leurs forces, devient plus pure de jour en jour. LIVRE VI
Si Celse avait lu la loi de Moïse, il aurait probablement pensé que l’aphorisme « Tu prêteras à beaucoup de nations, mais tu n’emprunteras point », adressé à celui qui observe la loi, doit être compris comme une promesse faite au juste : il s’enrichirait de la richesse aveugle à un tel point que l’abondance de ses biens lui permettrait de prêter non seulement aux Juifs, ni même à une, deux ou trois des autres nations, mais à un grand nombre. Que de richesses ne devrait pas posséder ainsi le juste en récompense de sa justice selon la loi, pour pouvoir prêter à de nombreuses nations ? La conséquence logique d’une telle interprétation nous ferait aussi croire que jamais le juste n’empruntera, puisqu’il est écrit : « mais tu n’emprunteras point. » La nation serait-elle donc restée si longtemps dans la RELIGION de Moïse si, comme le pense Celse elle avait pris son législateur en flagrant délit de mensonge ? De personne on ne raconte qu’il se soit enrichi au point de prêter à de nombreuses nations. De plus il n’est pas vraisemblable qu’ayant appris à entendre la loi dans le sens que lui donne Celse, et devant le mensonge flagrant des promesses de la loi, ils aient combattu pour la loi. LIVRE VI
Voyons maintenant à quoi il nous invite, pour que nous entendions de lui la manière dont nous connaîtrons Dieu ; bien que, pense-t-il, aucun des chrétiens ne soit capable d’entendre ses paroles, car il dit : Qu’ils écoutent pourtant, si du moins ils sont capables d’entendre quelque chose. Voyons donc quelles paroles veut nous faire entendre de lui ce philosophe. Il devait nous enseigner, et il nous injurie. Il devait témoigner de la bienveillance pour ceux qui l’écoutent, au début de son argumentation, et il traite d’engeance pusillanime ceux qui affrontent jusqu’à la mort pour ne point abjurer, même d’un mot, le christianisme, et qui sont prêts à tout mauvais traitement et à tout genre de mort. Il nous traite de race attachée au corps, nous qui affirmons : « Même si autrefois nous avons connu le Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus à présent », et qui sommes plus prompts à nous défaire du corps pour la RELIGION qu’un philosophe à quitter son manteau. LIVRE VI
Après le passage qu’on vient d’examiner, Celse développe à l’adresse de tous les chrétiens un argument qui, à la rigueur, s’appliquerait à ceux qui se déclarent absolument étrangers à l’enseignement de Jésus : ainsi, les Ophites qui, comme on le disait plus haut, repoussent totalement Jésus, et quelques autres qui tiennent des opinions analogues aux leurs ; voilà ces imposteurs et sorciers qui évoquent des fantômes ; voilà ceux qui apprennent misérablement les noms des portiers. Donc il se trompe d’adresse en disant aux chrétiens : Si vous cherchez un guide pour cette voie, il vous faut fuir les imposteurs et les sorciers qui évoquent des fantômes. Il lui échappe que ces gens, tout aussi imposteurs que lui, disent comme lui du mal de Jésus et de toute sa RELIGION. Aussi ajoute-t-il en nous confondant avec eux dans son argument : afin d’éviter ce comble du ridicule de dire du mal, en les traitant de fantômes, des autres dieux rendus manifestes, tandis que vous adorez celui qui est plus misérable que les véritables fantômes eux-mêmes, et qui n’est même plus un fantôme, mais en réalité un mort, et que vous lui cherchez un père semblable à lui. LIVRE VI
Que Celse n’ait pas su la différence entre la position des chrétiens et celle des inventeurs de ces fables, qu’il pense que les griefs à leur faire s’appliquent à nous et qu’il nous les oppose sans qu’ils nous concernent, ressort clairement de ces mots : voilà donc la grande imposture, et ces conseillers admirables, et les paroles merveilleuses à l’adresse du lion, de l’amphibie à tête d’âne, et des autres portiers divins dont vous avez misérablement appris les noms par coeur, pour lesquels, ô infortunés, on vous tourmente cruellement, on vous traîne au supplice, on vous crucifie ! A coup sûr il ignore qu’aucun de ceux qui prennent pour les portiers de la voie montante les démons à forme de lion et à tête d’âne, et l’amphibie, ne résiste jusqu’à la mort, même pour ce qui lui paraît la vérité. Mais l’excès de piété pour ainsi dire qui nous livre à tout genre de mort et à la crucifixion, il l’attribue à ceux qui ne supportent rien de pareil. Et c’est à nous qui sommes crucifiés pour la RELIGION qu’il reproche leur fable de démons à figure de lion, d’amphibie et autres. Ce n’est pas Celse qui nous détourne de cette doctrine sur le démon à forme de lion et autres : jamais nous n’avons rien admis de pareil. C’est à l’enseignement de Jésus que nous nous conformons en disant le contraire de ce qu’ils disent, et en refusant d’admettre que Michel, ou aucun de ceux qui viennent d’être énumérés ait une telle forme de visage. LIVRE VI
Celse pense que Dieu est connu soit par la synthèse qui domine les autres choses, semblable à la synthèse dont parlent les géomètres, soit par l’analyse qui le distingue des autres choses, soit encore par une analogie semblable à la leur, si toutefois on est capable d’arriver par cette méthode au vestibule du Bien. Mais en disant : « Personne ne connaît le Père que le Fils et celui à qui le Fils le révèle » le Logos de Dieu déclare qu’on connaît Dieu par une faveur divine, inséparable d’une action de Dieu dans l’âme qui y produit une sorte de transport divin. Il est bien normal que la connaissance de Dieu dépasse la nature humaine ; de là, dans l’humanité, tant d’erreurs sur Dieu. Mais grâce à la bonté et à l’amour de Dieu pour les hommes, par une faveur miraculeuse proprement divine, cette connaissance de Dieu parvient à tous ceux qui y ont été prédestinés, du fait que Dieu savait d’avance qu’ils vivraient d’une manière digne de Dieu qu’ils auraient connu : ils ne falsifieraient en rien la RELIGION envers lui, même si ceux qui n’ont aucune idée de la RELIGION et l’imaginent tout autre qu’elle n’est réellement les conduisaient à la mort, même s’ils les jugeaient ridicules à l’excès. LIVRE VI
C’est bien la manière dont les disciples de Jésus considèrent ce qui est sujet à la génération, s’en servant comme d’un degré pour arriver à comprendre la nature des réalités intelligibles. Car « les ?uvres invisibles de Dieu », c’est-à-dire les réalités intelligibles, « depuis la création du monde, grâce aux choses créées se laissent voir » par l’acte de l’esprit. Cependant, après s’être élevés des choses créées du monde aux ?uvres invisibles de Dieu, ils ne s’arrêtent pas. Mais, après s’être suffisamment exercés par elles et les avoir comprises, ils montent jusqu’à l’éternelle puissance de Dieu, bref, à sa divinité. Il savent que Dieu dans son amour pour les hommes a manifesté la vérité et ce qu’on peut connaître de lui-même non seulement à ceux qui lui sont consacrés, mais encore à ceux qui sont étrangers à la pure RELIGION et à la piété envers lui. Malheureusement, certains, élevés par la Providence de Dieu à la connaissance de si hautes réalités, ont une conduite indigne de cette connaissance, commettent l’impiété, retiennent « la vérité captive dans l’injustice » et, du fait de leur connaissance de ces hautes réalités, ils ne sauraient plus trouver une chance d’excuse auprès de Dieu. LIVRE VI
Cependant, puisque les âmes de ceux qui meurent pour le christianisme, glorieusement libérées de leur corps pour la RELIGION, détruisaient la puissance des démons et faisaient échouer leur complot contre les hommes, pour cette raison, je pense, les démons, reconnaissant par expérience leur défaite et la victoire des témoins de la vérité, ont craint de revenir se venger, et ainsi, jusqu’à ce qu’ils aient oublié les peines qu’ils ont souffertes, le monde sera probablement en paix avec les chrétiens. Mais quand ils rassembleront leur puissance et voudront, dans leur méchanceté aveugle, se venger encore des chrétiens et les persécuter, ils subiront encore la défaite ; et alors encore les âmes des fidèles pieux, qui pour leur RELIGION se défont de leur corps, détruiront l’armée du Malin. LIVRE VIII
Mais à mon avis, les démons sentent bien que les uns, victorieux jusque dans leur mort pour la RELIGION, ruinent leur domination, et que les autres, vaincus par les peines, se soumettent à leur pouvoir en reniant la piété envers Dieu. Ils luttent ardemment parfois avec les chrétiens qui sont livrés, parce que leur confession les torture et leur reniement les laisse en repos. On peut même en observer des traces dans l’attitude des juges : ils sont torturés par la patience des chrétiens au milieu des mauvais traitements et des épreuves, mais s’enorgueillissent de leur défaite. C’est que leur action n’est pas inspirée par leur soi-disant philanthropie, car ils voient clairement que chez ceux qui succombent sous les tourments, la langue abjure, « mais le coeur n’abjure pas ». Voilà ma réponse à sa remarque : Nos dieux du moins se vengent sévèrement du blasphémateur, réduit pour cela à fuir et se cacher ou à être pris et mis à mort. Et s’il arrive à un chrétien de fuir, ce n’est point par crainte, mais pour obéir au précepte de son maître» et se garder libre pour aider au salut des autres. LIVRE VIII
Puisqu’il nous reproche de désirer le corps, qu’il sache bien que si le désir est mauvais, nous ne désirons rien, mais s’il est indifférent, nous désirons tous les biens que Dieu a promis aux justes. Ainsi donc nous désirons et espérons la résurrection des justes. Celse croit que nous avons une attitude contradictoire, en espérant d’une part la résurrection du corps comme s’il était digne d’honneur près de Dieu, en l’exposant d’autre part aux supplices comme une chose méprisable. Mais le corps qui souffre pour la RELIGION et choisit les tribulations pour la vertu n’est aucunement méprisable ; ce qui est entièrement méprisable, c’est le corps qui s’est consumé dans les plaisirs coupables. Du moins la divine Écriture déclare-t-elle : « Quelle race est digne d’honneur ? La race de l’homme. Quelle race est digne de mépris ? La race de l’homme. » Ensuite Celse pense qu’on doit refuser de discuter avec ceux qui espèrent une récompense pour le corps, comme s’ils étaient déraisonnablement rivés à un objet inapte à obtenir ce qu’ils espèrent. Il les qualifie de gens grossiers et impurs qui, sans raison aucune, sont contaminés par la révolte. Mais s’il aimait les hommes, il devrait venir en aide même à des gens grossiers. La sociabilité n’exclut pas les gens grossiers comme elle exclut les animaux sans raison. Au contraire, notre Créateur nous a également créés sociables envers tous les hommes. Il vaut donc la peine de discuter même avec des gens grossiers pour les amener autant que possible à une vie plus civilisée, avec des gens impurs pour les rendre plus purs autant que possible, avec ceux qui, sans raison aucune, pensent n’importe quoi et dont l’âme est malade, pour qu’ils ne fassent plus rien de contraire à la raison et n’aient plus l’âme malade. LIVRE VIII
Ensuite, Celse déclare : De deux choses l’une, comme la raison l’exige. S’ils refusent de rendre le culte habituel à ceux qui président aux activités que voici, qu’ils renoncent à parvenir à l’âge d’homme, à prendre femme, à accepter d’avoir des enfants et à rien faire d’autre dans la vie, mais qu’ils s’en aillent tous d’ici-bas sans laisser la moindre postérité, et qu’ainsi leur engeance débarrasse totalement la surface de la terre. Mais s’ils entendent prendre femme, avoir des enfants, goûter aux fruits, prendre part aux joies de cette vie et supporter les maux qu’elle implique – car la nature veut que tous les hommes éprouvent des maux, l’existence des maux est nécessaire, et ils ne sauraient trouver place ailleurs que dans celte vie -, alors il faut rendre aux êtres qui y président les honneurs qu’ils méritent, s’acquitter du culte dû en cette vie jusqu’à ce qu’ils soient délivrés de leurs liens, pour ne pas sembler ingrats envers eux. Il serait en effet injuste d’avoir part à leurs biens sans rien leur payer en retour. A quoi nous répondons : l’unique manière de sortir de la vie que nous jugeons raisonnable est celle que demandent la RELIGION et la piété, lorsque les juges ou ceux qui semblent avoir nos vies à leur discrétion nous proposent l’alternative ou de vivre en désobéissant aux préceptes de Jésus, ou de mourir en obéissant à ses paroles. Par ailleurs, Dieu nous a permis de prendre femme parce que tous ne sont pas capables de comprendre le bien supérieur de la pureté absolue ; et il a permis à tous ceux qui ont pris femme d’élever pleinement ceux qui sont nés, mais non pas de détruire les enfants donnés par la Providence. Il n’y a rien là qui contredise notre propos de ne pas obéir aux démons qui se sont partagé la terre ; car, armés de l’armure de Dieu, nous nous dressons comme les athlètes de la piété contre l’engeance des démons qui conspirent contre nous. LIVRE VIII
Ainsi donc Celse tente de soumettre notre âme aux démons, comme s’ils avaient obtenu la charge de nos corps. Il soutient que chacun préside à une partie de notre corps. Il veut que nous croyons à ces démons qu’il mentionne, et que nous leur rendions un culte pour être en bonne santé plutôt que malade, pour avoir une vie heureuse plutôt que misérable et, dans toute la mesure du possible, échapper aux tortures. Il méconnaît l’honneur indivise et indivisible qui s’adresse au Dieu de l’univers, jusqu’à ne pas croire que Dieu seul, adoré et hautement honoré suffît à fournir à qui l’honore, et par le fait même de cette adoration, un pouvoir qui arrête les attaques des démons contre le juste. Car il n’a pas vu comment la formule « au nom de Jésus », prononcée par les authentiques croyants, a guéri maintes personnes de maladies, de possessions diaboliques et d’autres afflictions. Il est bien probable que nous ferons rire un partisan de Celse en disant : « Au nom de Jésus tout genou fléchira au ciel, sur terre, aux enfers, et toute langue est tenue de confesser que Jésus-Christ est Seigneur pour la gloire de DieuDieu le Père. » Mais ce rire ne peut empêcher notre invocation d’avoir des preuves de son efficacité plus manifestes que ce qu’il raconte à propos des noms de Chnoumen, Chnachoumen, Knat, Sikat et les autres de la liste égyptienne, dont l’invocation guérirait les maladies des diverses parties du corps. Vois en outre de quelle façon, en nous détournant de croire au Dieu de l’univers par Jésus-Christ, il nous invite à croire, pour guérir notre corps, en trente-six démons barbares que les magiciens d’Egypte sont seuls à invoquer en nous promettant je ne sais quelles merveilles. D’après lui, il serait temps pour nous d’être magiciens et sorciers plutôt que chrétiens, de croire à un nombre infini de démons plutôt que de croire au Dieu suprême de lui-même évident, vivant et manifeste, par Celui qui avec une grande puissance a répandu la pure doctrine de la RELIGION par tout le monde des hommes et même, ajouterai-je sans mentir, le monde des autres êtres raisonnables qui ont besoin de réforme, de guérison et de conversion du péché. LIVRE VIII
Celse a beau dire : Il faut donc rendre des honneurs religieux à ces êtres dans la mesure où c’est notre intérêt, car la raison n’exige pas de le faire sans réserve. Non, il ne faut pas rendre des honneurs aux démons rivés au fumet de graisse et au sang, mais tout faire pour éviter de profaner la divinité en la rabaissant jusqu’aux démons pervers. S’il avait eu une notion exacte de notre intérêt et vu que notre intérêt au sens propre c’est la vertu et l’action conforme à la vertu, Celse n’eût point usé de l’expression « dans la mesure où c’est notre intérêt » à propos de tels êtres en qui lui-même voit des démons. Pour nous, même si le culte de tels démons nous octroie la santé et la réussite temporelle, nous préférons subir la maladie et l’échec temporel avec la conscience d’une RELIGION pure envers le Dieu de l’univers, plutôt que jouir de la santé du corps et de la réussite temporelle dues à la séparation et à la chute loin de Dieu, et finalement la maladie et la misère de l’âme. En somme, c’est à Celui qui n’éprouve nul besoin de rien sinon du salut des hommes et de tout être raisonnable, de préférence à ceux qui aspirent au fumet de graisse et au sang, qu’on doit s’attacher. LIVRE VIII
Celse déclare ensuite : On ne doit pas refuser créance à l’auteur ancien qui a jadis proclamé : « Qu’un seul soit roi, celui à qui le fils de Cronos le fourbe aura octroyé de l’être ! » Si tu refuses cette doctrine, il est probable que l’empereur te punira. En effet, que tous les hommes fassent comme toi, rien n’empêchera que l’empereur ne reste seul et abandonné, que tous les biens de la terre ne deviennent la proie des barbares très iniques et très sauvages, et qu’on n’entende plus parler sur la terre ni de ta RELIGION ni de la véritable sagesse. Oui certes, qu’il y ait un seul chef, un seul roi ! Non pas celui à qui le fils de Cronos aura octroyé de l’être, mais l’homme à qui l’a octroyé Celui qui établit les rois et les dépose, et qui suscite au bon moment sur la terre le chef utile. Ce n’est pas le fils de Cronos, lequel a précipité son père au Tartare, au dire des mythes grecs, après l’avoir chassé du trône, qui établit les rois, même si l’on donnait une interprétation allégorique de l’histoire : mais c’est Dieu qui, gouvernant l’ensemble de l’univers, sait ce qu’il fait en ce qui concerne l’institution des rois. LIVRE VIII
S’il veut que reprennent nos luttes et nos combats pour la RELIGION, les adversaires peuvent se présenter, nous leur dirons : « Je puis tout en Celui qui me fortifie, le Christ Jésus notre Seigneur. » Car, ainsi que l’a dit l’Écriture, quoique deux passereaux ne vaillent pas une obole, « pas un seul ne tombe dans le filet sans la permission du Père qui est dans les cieux ». Et la divine Providence embrasse tellement toutes choses que même les cheveux de notre tête ne laissent pas d’être comptés par elle. LIVRE VIII