Si quelques êtres de la création se nourrissent eux-mêmes, ou encore si d’autres sont administres par des facultés sensorielles, sans que les premiers aient la sensation ni les seconds la nature intellectuelle, et si à cause de cela on suppose l’existence de plusieurs âmes, on ne met pas entre les âmes la distinction qui convient. Toute qualification est attribuée proprement à l’être qui la réalise en sa perfection ; mais si on la donne à l’être qui ne la réalise pas selon tout lui-même, cette attribution est vaine. Par exemple, si quelqu’un montre du vrai pain, nous disons que cet homme applique proprement ce nom à l’objet en question. Si au contraire il montre à côté du pain naturel un pain qu’un artiste a ciselé dans une PIERRE, l’apparence est la même, la grandeur égale, la couleur semblable, la plupart des caractères paraissent identiques au modèle ; cependant il manque à cet objet de pouvoir être une nourriture. Aussi nous disons que c’est par abus, non proprement, que cette PIERRE est appelée « pain ». De la même manière, tous les êtres qui ne réalisent pas intégralement l’attribution qu’on leur donne portent ce nom par abus. XV
Voici que nous nous égarons loin de notre sujet, tandis que nous nous appesantissons sur les oeuvres de la nature et que nous essayons de décrire comment et de quels éléments est composé chaque partie de notre être, celles qui sont faites pour assurer la vie, celles qui sont faites pour son bien-être et tout ce qui peut encore figurer dans notre première division. Nous nous étions d’abord proposé de montrer que la cause apte à produire notre organisme n’est ni une âme incorporelle, ni un corps inanimé, mais que dès l’origine, à partir des corps animés et vivants, est engendré un être vivant et animé. La nature humaine le recueille et comme une nourrice l’élève par ses moyens à elle. Elle donne sa nourriture à l’une et à l’autre partie de cet être et on les voit toutes deux suivre un développement adapté à ce qu’ils sont. Dès le début, en effet, tandis que le corps se forme suivant un plan savamment conçu, la nature fait paraître en lui la force de l’âme qui lui est liée : celle-ci apparaît d’abord obscurément, puis elle éclate peu à peu avec le perfectionnement de l’organisme corporel. Il se passe alors ce que l’on peut voir chez les sculpteurs. Un artiste conçoit l’idée d’un être vivant à tailler dans la PIERRE. Quand il l’a bien dans son esprit, il brise d’abord la PIERRE dans le bloc où elle appartient ; ensuite, taillant tout autour les matériaux inutiles, il arrive à une première ébauche qui présente déjà les grands traits du modèle : à cette vue, même un profane, peut deviner dès lors l’intention de l’artiste. Puis les progrès du travail l’approchent encore plus de l’idéal qu’il veut réaliser. Enfin, lorsqu’il a parfaitement exprimé dans le bloc tout le détail de son idée première, son oeuvre est achevée : et alors la PIERRE, peu auparavant encore informe, est devenue un lion ou toute autre oeuvre que l’artiste a conçue : le bloc n’a pas changé de substance en raison de l’idée, mais c’est l’idée qui, par le travail, a pénétré la masse. XXX
Imaginez pour l’âme un pareil processus et vous ne serez pas loin de la vérité. La nature qui fait tout avec art prend en elle une matière de même espèce, à savoir, cet élément sorti de l’homme, et nous disons qu’avec lui, elle construit une statue. De même que dans le travail de la PIERRE, il y a un moment où l’idée se dégage, d’abord obscurément, puis d’une façon parfaite après l’achèvement de l’oeuvre ; de la même façon aussi dans le modelage de notre être, l’idéal que l’âme doit réaliser ne se fait jour qu’avec le progrès du corps, imparfaitement dans le corps imparfait, parfaitement dans le corps parfait. XXX