perfection

Par ces mots, l’Écriture nous enseigne que la force qui est dans les vivants et les êtres animés est de trois sortes : premièrement, celle qui permet aux êtres de s’accroître et de se nourrir, en attirant à eux la nourriture nécessaire à leur développement. On l’appelle « naturelle » : elle se trouve chez les plantes. Dans les produits du sol, en effet, on peut voir une force vitale privée de sensation. Secondement, il y a une autre forme de vie, qui possède la première et qui a en plus un organisme sensoriel. C’est le cas des animaux sans raison : ils se nourrissent et se développent, mais ont aussi une activité sensible et la perception. Enfin la PERFECTION de la vie corporelle se trouve dans la nature rationnelle, c’est-à-dire la nature humaine : elle se nourrit, a des sens, participe de la raison et se gouverne par l’esprit. VIII

Aussi après la matière inanimée, qui est comme le fondement sur lequel repose le genre des animés, Moïse parle de la formation de cette vie « naturelle » qui existe dans les plantes ; il place ensuite la naissance des êtres qui ont une organisation sensible. Alors suivant le même ordre logique, parmi les êtres qui reçoivent la vie à travers la chair, il y a, d’un côté, les êtres sensibles qui existent sans posséder de nature spirituelle, de l’autre, les êtres doués de raison, qui ne subsisteraient pas dans un corps, s’ils ne se fondaient dans un organisme sensible. Aussi c’est en dernier lieu, après les plantes et les animaux, que l’homme est créé ; car la nature avance vers la PERFECTION par un ordre et un chemin régulier. VIII

L’Apôtre nous apprend la même chose par ses paroles aux Éphésiens : il prie pour eux, afin qu’ils gardent dans son intégralité, pour la venue du Seigneur, la beauté du corps, de l’âme et de l’esprit. Pour désigner la partie nutritive, il dit le « corps » ; par « âme », il entend la partie sensitive ; par « esprit », la partie intellectuelle . De la même manière, le Seigneur dans l’Évangile enseigne au scribe que l’amour de Dieu vient avant tout commandement et qu’il doit s’exercer par tout le coeur, toute l’âme et toute la pensée. Là aussi l’Écriture semble faire la même distinction ; elle parle de « coeur » pour désigner l’ensemble corporel, d’ « âme » pour ce qui est intermédiaire entre le corps et l’esprit et d’ « esprit » pour la nature supérieure, la faculté de comprendre et d’agir. De là viennent les trois distinctions que l’Apôtre établit dans les principes qui inspirent notre action : il appelle l’un « charnel », celui qui ne voit que le ventre et le plaisir ; l’autre est l’ « animal », intermédiaire entre la vertu et le vice, supérieur au second, sans appartenir tout à fait au premier ; enfin le dernier est le « spirituel », qui consiste en la PERFECTION de la vie selon Dieu. C’est pourquoi il dit aux Corinthiens, blâmant leur vie de pure jouissance et de soumission aux passions : « Vous êtes charnels et incapables de saisir des doctrines plus élevées » . Ailleurs, faisant une différence entre le degré du milieu et le degré plus parfait, il dit : « L’homme animal ne comprend pas les choses de l’esprit ; elles sont folie pour lui ; l’homme spirituel au contraire juge de tout et n’est lui-même jugé par personne » . Comme donc « l’animal » est élevé au-dessus du « charnel », de la même façon le « spirituel » est placé au-dessus de « l’animal ». VIII

Si donc l’Écriture fait venir l’homme en dernier après tout vivant, c’est que Moïse veut donner un enseignement sur l’âme et, dans la suite nécessaire de l’ordre des êtres, il voit la PERFECTION dans les derniers venus. En effet dans l’être doué de raison sont compris tous les autres ; dans l’être doué de sens, tout l’ordre « naturel » est présent et celui-ci n’est attribué qu’à la pure matière. Ainsi la nature, par les propriétés de la vie qui sont comme des degrés, paraît faire sa route en avant de l’inférieur au plus parfait . VIII

Sur ce point nous pouvons faire une remarque qui est plutôt, semble-t-il, du domaine de la « Physique » et qui est une manière de voir assez délicate à saisir. La voici : la Divinité est le Bien Suprême, vers qui tendent tous les êtres possédés du désir du Bien, C’est pourquoi notre esprit, étant à l’image du Bien parfait, tandis qu’il conserve, autant qu’il est en lui, la ressemblance avec son modèle, se maintient lui-même dans le bien ; mais s’en écarte-t-il, il est dépouillé de sa beauté première. Et comme nous disons que l’esprit tire sa PERFECTION de sa ressemblance avec la beauté prototype de toutes les autres, comme un miroir recevant une forme par l’impression de l’objet qui y paraît, par un raisonnement semblable nous disons que la nature, administrée par l’esprit, s’attache à lui et de cette beauté placée près d’elle, reçoit elle-même son ornement, comme si elle était miroir de miroir ; à son tour, elle gouverne et soutient la partie matérielle de l’être existant à qui elle appartient. XII

Nous avons découvert en ce qui vit trois facultés distinctes : la première, « nutritive », n’a pas la sensation ; la seconde, nutritive et sensitive à la fois, n’a pas l’activité rationnelle ; enfin la dernière, rationnelle et parfaite, se répand à travers toutes les autres, en sorte qu’elle est présente en toutes et à l’esprit en sa partie supérieure. Cependant on ne doit pas en conclure que le composé humain soit formé d’un mélange de trois âmes que l’on pourrait considérer dans leurs délimitations propres et qui donnerait à penser que notre nature est un composé de plusieurs âmes. En réalité l’âme, dans sa vérité et sa PERFECTION, est une par nature, étant à la fois spirituelle et sans matière et, par les sens, se trouvant mêlée à la nature matérielle. Toute partie matérielle soumise au changement et à l’altération, se développera si elle participe de la puissance de l’âme. Mais si elle s’éloigne de l’âme qui lui donne la vie, elle perd son mouvement. Aussi, comme il n’y a pas de sensation sans substance matérielle, en dehors de la puissance spirituelle, les sens à leur tour ne peuvent avoir d’activité. XIV

Si quelques êtres de la création se nourrissent eux-mêmes, ou encore si d’autres sont administres par des facultés sensorielles, sans que les premiers aient la sensation ni les seconds la nature intellectuelle, et si à cause de cela on suppose l’existence de plusieurs âmes, on ne met pas entre les âmes la distinction qui convient. Toute qualification est attribuée proprement à l’être qui la réalise en sa PERFECTION ; mais si on la donne à l’être qui ne la réalise pas selon tout lui-même, cette attribution est vaine. Par exemple, si quelqu’un montre du vrai pain, nous disons que cet homme applique proprement ce nom à l’objet en question. Si au contraire il montre à côté du pain naturel un pain qu’un artiste a ciselé dans une pierre, l’apparence est la même, la grandeur égale, la couleur semblable, la plupart des caractères paraissent identiques au modèle ; cependant il manque à cet objet de pouvoir être une nourriture. Aussi nous disons que c’est par abus, non proprement, que cette pierre est appelée « pain ». De la même manière, tous les êtres qui ne réalisent pas intégralement l’attribution qu’on leur donne portent ce nom par abus. XV

Ainsi donc comme l’âme a sa PERFECTION dans ce qui est intelligent et doué de raison, tout ce qui ne réalise pas cette qualité peut recevoir par similitude le nom d’âme, mais ne l’est pas réellement : il ne s’agit alors que de quelque énergie vitale, mise par appellation en parallèle avec l’âme. Aussi Dieu qui fixe les lois de chaque être a également remis à l’homme pour ses besoins les animaux qui tiennent encore de près à cette vie « naturelle », pour qu’ils lui servent de nourriture comme les plantes : « Vous mangerez, dit-il, de toutes les viandes comme des herbes des champs. » L’animal, en effet, par son activité sensible, paraît peu élevé au-dessus des êtres qui se nourrissent et s’accroissent sans cette activité. Ceci peut servir d’enseignement aux amis de la chair pour leur persuader de ne pas conduire leurs pensées selon les apparences sensibles, mais de se consacrer aux biens supérieurs de l’âme, puisque c’est en eux que celle-ci réside en sa vérité, tandis que la sensation leur est commune avec les animaux. XV

Examinons soigneusement les expressions. Nous découvrirons ceci : autre chose est ce qui est à l’image, autre chose ce que nous voyons maintenant dans le malheur. « Dieu fit l’homme », dit l’Écriture. « Il le fit à l’image de Dieu. » La création de celui qui est selon l’image a dès lors atteint sa PERFECTION. Puis l’Écriture reprend le récit de la création et dit : « Dieu les fit mâle et femelle ». Tous savent, je pense, que cet aspect est exclu du prototype : « Dans le Christ Jésus, en effet, comme dit l’Apôtre, il n’y a ni mâle ni femelle. » Et pourtant l’Écriture affirme que l’homme a été divisé selon le sexe. Donc double est en quelque sorte la création de notre nature : celle qui nous rend semblable à la Divinité, celle qui établit la division des sexes. C’est bien une pareille interprétation que suggère l’ordre même du récit : l’Écriture dit en premier lieu : « Dieu fit l’homme ; à l’image de Dieu, Il le fit. » Dans la suite seulement, elle ajoute : « Il les fit mâle et femelle », division étrangère aux attributs divins . XVI

Ceci posé, quand pour ce motif il s’élance à la création de notre nature, il ne manifeste pas à demi sa bonté toute puissante, donnant d’un côté de ses biens, pour se montrer jaloux par ailleurs de la participation qu’il en fait. Mais la PERFECTION de sa bonté consiste à faire passer l’homme du non-être à l’être et à ne le priver d’aucun bien. XVI

Je reprends ce que j’ai dit au début : « Faisons l’homme, dit Dieu, à notre image et ressemblance. Et Dieu fit l’homme ; à l’image de Dieu, Il le fit. » Cette image de Dieu, qui réside en la nature humaine prise dans son ensemble, a atteint sa PERFECTION. Adam, à ce moment, n’existait pas encore. En effet, étymologiquement, d’après ceux qui savent l’hébreu, Adam signifie « ce qui est formé de terre ». Aussi l’Apôtre, qui connaît bien sa langue maternelle, appelle l’homme fait de la terre « le terreux » , traduisant en grec le nom d’Adam. Donc l’homme a été fait selon l’image, c’est-à-dire la nature du tout, la créature semblable à Dieu. La toute-puissance de sa sagesse n’a pas produit une partie seulement de ce tout, mais en bloc tout le « plérôme » de notre nature. Il savait bien, lui qui a en ses mains les limites de toutes choses, selon le mot de l’Écriture : « En sa main, sont les limites de la terre » , il savait, lui qui connaît chaque être avant même son apparition, et il tenait dans sa pensée le nombre exact de tous les individus composant l’humanité. XXII

Celle-ci se développe et se manifeste selon l’ordre fixé, jusqu’à son achèvement, sans avoir à s’adjoindre, pour y parvenir, quoi que ce soit de l’extérieur ; d’elle-même, elle progresse régulièrement vers son état de PERFECTION. Il est donc vrai de dire que ni l’âme n’existe avant le corps ni le corps n’existe à part de l’âme, mais pour tous les deux, il n’y a qu’une seule origine : à considérer les choses sur un plan supérieur, cette origine se fonde sur le premier vouloir de Dieu ; d’un point de vue moins élevé, elle a lieu dans les premiers moments de notre venue au monde. XXIX

Mais nous ne parlons pas encore, à propos de l’élément corporel de cet embryon, de chair, d’os, de cheveux et de tout ce que nous voyons en l’homme fait : chacune de ces parties n’est qu’en puissance et ne paraît pas encore au grand jour ; de même en ce qui concerne l’âme, nous disons que la « raison », l’ « appétit », le « coeur » et tous ses attributs n’ont pas encore dans l’embryon la place qui leur revient : les activités de l’âme se développent en corrélation avec la formation et le PERFECTIONnement du corps qui la reçoit. De même qu’un homme arrivé à maturité fait paraître au dehors l’activité de l’âme, ainsi dès sa formation, l’action que l’âme exerce est adaptée et mesurée au besoin présent et elle se traduit par ce fait que l’âme se construit pour elle-même, à travers la matière déposée dans le sein maternel, la demeure qui lui convient. Car, selon nous, il est impossible qu’elle s’ajuste à des demeures étrangères, comme il ne peut arriver qu’une empreinte faite dans une cire corresponde ensuite à un autre sceau. En effet, de même que le corps passe progressivement de la petitesse à sa PERFECTION, ainsi l’activité de l’âme se développe et s’accroît en connexion avec le corps. Au temps de la première formation, comme dans une racine cachée en terre, seule apparaît la force d’accroissement et de nutrition. La petitesse du corps qui reçoit cette activité n’en supporte pas davantage. Ensuite, quand la plante vient à la lumière et produit un germe au soleil, fleurit la vie sensitive. Enfin, quand le corps vient à maturité et s’élève à sa taille propre, commence à briller comme un fruit la force de la raison ; mais cela ne se fait pas d’un coup : elle suit avec soin le PERFECTIONnement de l’instrument et elle porte du fruit dans la mesure où le permet la force du corps qui la reçoit. XXIX

Dès l’origine, cet idéal eût atteint sa PERFECTION, si la nature n’eût été mutilée par le vice. Cet amoindrissement, qui nous a valu un mode de naissance soumis aux passions et semblable à celui des animaux, a empêché l’image divine de briller immédiatement en nous et c’est dans la succession que l’homme trouve sa route vers son achèvement, au travers des particularités matérielles et animales de son âme. Cette façon de penser est conforme à l’enseignement du grand Apôtre dans son Épître aux Corinthiens : « Quand j’étais enfant, dit-il, je parlais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant . » Ce n’est pas par l’introduction dans l’homme d’une âme différente de son âme d’enfant que les habitudes de pensée de l’enfance sont chassées et que celles de l’homme apparaissent ; mais la même âme montre dans l’un son état d’imPERFECTION, dans l’autre son état de PERFECTION. Les êtres, quand ils naissent et se développent, nous disons qu’ils vivent : puisqu’ils ont la vie et le mouvement naturel, on ne peut les dire inanimés ; on ne peut pourtant pas alors dire qu’ils ont une âme parfaite : l’activité des végétaux est toute « physique » et ne s’élève pas aux mouvements de la vie sensitive. Les irrationnels ajoutent bien à cette force une autre « psychique », mais celle-ci n’atteint pas encore la PERFECTION, car elle ne contient pas en elle le don de la raison et de la pensée. Aussi nous disons que l’âme vraie et parfaite est celle de l’homme et qu’elle se fait connaître par son activité. Si d’autres êtres participent de la vie, c’est par un habituel abus de langage que nous leur attribuons une âme : car, si leur âme n’est pas parfaite, ils possèdent quelques caractères de cette activité « psychique » qui, comme nous l’apprenons par « l’anthropogenèse mystique » de Moïse, devint le partage de l’homme à la suite de sa parenté avec les êtres vivant dans les passions. XXX

C’est pourquoi Paul, conseillant à ceux qui veulent l’écouter, de s’attacher à la PERFECTION, établit ainsi le moyen par où ils atteindront le but de leurs efforts : il leur dit de se dépouiller du vieil homme et de se revêtir du nouveau, de cet homme renouvelé à l’image de Celui qui l’a créé. Revenons donc vers cette beauté de la ressemblance divine, dans laquelle Dieu, à l’origine, a créé l’homme, en disant : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance. » XXX