négligence

Si jamais la satiété prit l’un de ceux qui furent établis au degré supérieur de la perfection, je ne pense pas qu’il s’en soit vidé et qu’il soit tombé d’un seul coup, mais il faut qu’il ait glissé peu à peu et par secteurs – il peut donc se faire, dans le cas d’une chute brève, qu’il vienne vite à résipiscence et qu’il se convertisse – : ce n’est donc pas un écroulement complet, mais il peut revenir sur ses pas et retourner à son état primitif, en rétablissant ce qui lui a échappé par sa NÉGLIGENCE. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section

Pour montrer cette dégradation et cette chute causées par la NÉGLIGENCE, nous pouvons sans absurdité utiliser une comparaison. Supposons que quelqu’un ait acquis peu à peu une compétence ou un art, comme la géométrie ou la médecine, jusqu’à parvenir à la perfection, en se formant longtemps par l’enseignement reçu et par des exercices, pour posséder entièrement la discipline susdite : il ne pourra jamais lui arriver d’être savant au moment de s’endormir et ignorant à son réveil. Ce n’est pas le moment d’évoquer ou de rappeler les accidents qui peuvent survenir par suite d’une lésion ou de faiblesse physique, car ils ne conviennent pas à la comparaison ou à l’exemple pris. Conformément à ce que nous avons proposé, ce géomètre ou ce médecin, tant qu’il pratique son art et s’instruit raisonnablement à son sujet, garde en lui la connaissance de sa discipline ; mais s’il ne l’exerce pas et s’il néglige de l’appliquer, il ne se souvient plus de quelques éléments, puis d’autres plus nombreux, et ainsi, après un long temps, tout s’en va dans l’oubli et disparaît complètement de sa mémoire. Il peut, certes, se faire, lorsque la déchéance commence et que la NÉGLIGENCE est encore faible, qu’il se reprenne, revienne vite en lui-même, récupère ce qu’il a perdu et rappelle ce qu’il s’était ôté par des oublis encore restreints. Appliquons maintenant cela à ceux qui se sont adonnés à la connaissance et à la sagesse de Dieu, dont la science et la pratique dépassent incomparablement toutes les autres disciplines, et, conformément à la comparaison proposée, voyons ce qu’est l’acquisition de cette connaissance et ce qu’est sa perte, surtout lorsque nous entendons ce que l’Apôtre dit des parfaits, que face à face ils contempleront la gloire de Dieu, les mystères ayant été dévoilés. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section

Si donc des puissances contraires sont appelées transfuges et s’il est dit qu’elles furent autrefois immaculées, il n’appartient à personne si ce n’est au Père, au Fils et au Saint-Esprit d’être immaculé de façon substantielle, mais la sainteté dans toute créature est une réalité accidentelle et ce qui est accidentel peut déchoir. Ces puissances contraires ont été autrefois immaculées et se sont trouvées au milieu de celles qui restent encore immaculées : cela montre que personne n’est immaculé de façon substantielle ou naturelle, ni souillé de façon substantielle. Il s’ensuit qu’il dépend de nous et de nos mouvements d’être saints et bienheureux, ou bien par paresse et NÉGLIGENCE de nous écarter de la béatitude pour tomber dans la malice et dans la perdition, tellement qu’un progrès excessif – si l’on peut ainsi parler – dans le mal, lorsque quelqu’un s’est à ce point négligé, le fasse parvenir à un tel état qu’il devienne ce qui est dit au sujet de la puissance contraire. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Mais puisque ces natures raisonnables, qui au début ont été faites, comme nous l’avons dit plus haut, ont été créées alors qu’elles n’existaient pas auparavant, elles sont, puisqu’elles n’existaient pas et qu’elles ont commencé à être, nécessairement convertibles et changeantes : en effet la puissance qui était en elle et en faisait des êtres substantiels, elles ne la possédaient pas par nature, mais par un bienfait du créateur. Ce qu’elles sont n’est pas en elles propre et éternellement durable, mais donné par Dieu : il n’a pas toujours été et ce qui a été donné peut être enlevé ou régresser. La cause de cette régression sera en lui, si les mouvements des intelligences ne sont pas dirigés de manière convenable et louable. Car le créateur a accordé aux intelligences créées par lui des mouvements volontaires et libres, afin que certainement le bien devienne leur propriété lorsqu’elles le conservent par leur volonté propre; mais la paresse, le dégoût de la peine à prendre pour conserver le bien, l’aversion et la NÉGLIGENCE à l’égard des valeurs supérieures a été le début d’un éloignement du bien. Or s’éloigner du bien n’est pas autre chose que de tomber dans le mal. En effet il est certain que le mal est la privation du bien. Il arrive donc que, dans la mesure où l’on se détourne du bien, on en vient au mal dans la même proportion. Par conséquent chaque intelligence en négligeant le bien selon ses mou-vements, soit gravement soit de façon plus restreinte, était attirée dans le contraire du bien qui est sans aucun doute le mal. Il semble donc que le créateur de l’univers ait ainsi accepté comme des semences et des causes de variété et de diversité pour créer un monde divers et varié selon la diversité des intelligences, c’est-à-dire des créatures raisonnables, diversité que, je pense, elles ont produite pour la cause signalée plus haut. Quand nous parlons d’un monde divers et varié, c’est proprement ce que nous voulons indiquer. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

9, 6. Mais nous, simples hommes, pour ne pas alimenter par notre silence l’arrogance des hérétiques, nous ferons à leurs objections les réponses qui se présentent à nous dans la mesure de nos forces. Nous avons montré fréquemment plus haut, par les affirmations que nous avons pu tirer des divines Écritures, que le Dieu créateur de l’univers est bon, juste et tout-puissant. Lorsqu’il a créé dans le principe ce qu’il a voulu créer, les natures raisonnables, il ne les a pas créées pour une autre cause que pour lui-même, c’est-à-dire pour sa bonté. Puisqu’il a été lui-même la cause de ce qu’il allait créer et qu’il n’y avait en lui ni diversité, ni changement, ni impuissance, il les a faites toutes égales et semblables, puisqu’il n’y avait en lui aucune cause de variété et de diversité. Mais puisque les créatures raisonnables elles-mêmes, comme nous l’avons fréquemment montré et comme nous le montrerons cependant en son lieu, ont été gratifiées de la faculté du libre arbitre, la liberté de sa volonté a invité chacune à progresser par l’imitation de Dieu ou l’a entraînée dans la décadence par suite de sa NÉGLIGENCE. Et cela a été, comme nous l’avons déjà dit auparavant, cause de diversité parmi les créatures raisonnables, sans que cela soit venu de la volonté ou du jugement du créateur, mais de la décision de la liberté propre. Mais Dieu, à qui il paraissait juste de gouverner sa créature selon son mérite, a tiré de la diversité des intelligences l’harmonie d’un monde unique, qu’il a organisé comme une seule maison où l’on doit trouver non seulement des vases d’or et d’argent, mais encore des vases de bois et de terre, les uns pour un usage honorable, les autres pour un usage méprisable, en utilisant ces divers vases que sont les âmes ou les intelligences. Et de là, à mon avis, viennent les causes de la diversité du monde, puisque la divine providence gouverne chacun suivant la variété de ses mouvements, de son entendement et de son propos. Ainsi le créateur ne peut paraître injuste, puisqu’il a disposé chacun selon son mérite d’après des causes antécédentes : on ne peut penser que le bonheur ou le malheur ou n’importe quelle condition possible à la naissance soit le fait du hasard et il n’y a pas à croire à divers créateurs créant les natures différentes des âmes. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

Celui qui est délaissé l’est donc en vertu d’un jugement divin et ce n’est pas sans raison que Dieu patiente à l’égard de certains pécheurs, mais parce qu’il leur sera utile, étant donné l’immortalité de l’âme et l’éternité sans fin, de ne pas recevoir trop vite d’assistance en vue de leur salut, mais d’y être menés plus lentement après avoir éprouvé beaucoup de maux. Il arrive que des médecins, alors qu’ils pourraient guérir rapidement quelqu’un, soupçonnent que le venin subsiste secrètement dans le corps et s’arrangent pour ne pas le guérir : ils agissent ainsi parce qu’ils veulent le guérir plus sûrement et ils pensent qu’il vaut mieux maintenir plus longtemps leur patient dans les inflammations et les souffrances pour qu’il puisse récupérer la santé d’une manière plus solide, que de lui redonner trop rapidement des forces apparentes, l’exposant ainsi à des rechutes postérieures et à une amélioration trop hâtive qui serait passagère. Dieu agit de même, lui qui connaît les secrets des coeurs et qui prévoit le futur : il permet peut-être par sa patience et aussi par les événements extérieurs de faire sortir le mal caché pour purifier celui qui a en lui, à cause de sa NÉGLIGENCE, les semences du péché ; en maintenant le pécheur plus longtemps dans ses maux, il fait venir ainsi ces semences à la surface, ce dernier les vomit et, ayant été purifié de sa malice, il peut parvenir ensuite à la régénération. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Utilisons l’image qui suit prise à l’Évangile. Il est question d’une roche couverte d’un peu de terre superficielle : la semence qui y tombe fleurit rapidement, mais après, puisqu’elle n’a pas de racine, le soleil qui se lève la brûle et la dessèche. Cette roche c’est l’âme humaine, durcie par la NÉGLIGENCE et pétrifiée par la malice : car à personne Dieu n’a créé un coeur de pierre, mais il devient tel par la malice. Si quelqu’un par exemple reprochait à un cultivateur de ne pas jeter plus vite les graines sur la terre pierreuse, en voyant qu’une autre terre pierreuse a déjà reçu les semences et a fleuri, ce dernier répondrait : J’ensemencerai plus tard cette terre, après avoir jeté ce qui pourra y fixer la graine, car il est préférable pour elle que j’agisse plus tardivement et plus sûrement comme le montre le cas de celle qui a reçu la semence de façon plus rapide et plus superficielle. Nous serions alors persuadés que le cultivateur a parlé raisonnablement et a agi avec compétence. De même le grand cultivateur de toute la nature diffère son aide quand il pense qu’elle serait prématurée, pour qu’elle n’agisse pas de façon superficielle. Mais vraisemblablement quelqu’un nous fera cette objection : Pourquoi alors une partie des semences tombe-t-elle sur cette âme, comparée à la pierre, qui est couverte superficiellement de terre ? Il faut répondre qu’il est alors préférable pour elle, parce qu’elle désire avec trop de fougue les réalités supérieures et ne se soucie pas de cheminer sur la route qui mène à elles, d’obtenir ce qu’elle désire : ainsi, ayant par là reconnu sa faute, elle attendra avec patience pour recevoir plus tard du cultivateur, après beaucoup de temps, des soins conformes à la nature. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Nous avons donc dit que, par un juste jugement de Dieu, chacun est tenté selon son degré de vertu, mais il ne faut pas croire pour cela que de toute façon celui qui est tenté doit vaincre : il en est de même du lutteur qui, malgré le soin qu’on a mis à lui donner un adversaire d’égale force, ne pourra vaincre de toute façon. En effet si la force des lutteurs n’était pas égale, la palme du vainqueur ne serait pas juste, ni la faute du vaincu : c’est pourquoi Dieu permet que nous soyons tentés, mais pas plus que nous ne pouvons le supporter ; nous sommes tentés selon nos forces. Cependant il n’est pas écrit que Dieu fera en sorte que nous réussissions à supporter la tentation, mais que nous puissions la supporter, autrement dit : il nous donne de pouvoir la supporter. Il nous appartient d’employer avec diligence ou avec NÉGLIGENCE ce pouvoir qu’il nous a donné lui-même. Il n’est pas douteux que, dans toute tentation, nous avons la force de la supporter, si cependant nous usons convenablement du pouvoir donné. Ce n’est pas pareil d’avoir la possibilité de vaincre et de vaincre, comme l’Apôtre lui-même avec beaucoup de précautions l’indique en ces termes : Dieu vous donnera les moyens pour pouvoir supporter, et non : pour supporter. Car beaucoup ne supportent pas, mais sont vaincus dans la tentation. Dieu donne, non de supporter – autrement, semble-t-il, il n’y aurait aucun combat -, mais de pouvoir supporter. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

Au contraire, si nous est donnée également à tous la possibilité de vaincre et si la manière d’utiliser cette possibilité est en notre pouvoir, à savoir avec diligence ou avec NÉGLIGENCE, la faute sera attribuée avec justice au vaincu et la palme au vainqueur. A la suite de cette discussion que nous avons menée selon nos forces, il est apparu, me semble-t-il, clairement qu’il y a des manquements que nous commettons sans la pression des puissances malignes et d’autres sur leur instigation, quand elles nous poussent à certains excès et manques de mesure. Il faut maintenant rechercher comment ces puissances contraires opèrent en nous ces incitations. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

Nous disions plus haut que soit la providence divine soit les puissances contraires peuvent aussi éveiller en nous des souvenirs concernant le bien ou le mal. Cela est montré par le Livre d’Esther : Artaxerxès ne se rappelait pas les bonnes actions du très juste Mardochée, mais alors qu’il était harcelé par des insomnies nocturnes, Dieu mit en sa mémoire l’inspiration de réclamer les livres contenant le récit de ses chroniques : mis alors au courant des services rendus par Mardochée il fît pendre son ennemi Aman, lui fit rendre des honneurs magnifiques et sauva toute la nation sainte menacée par un péril imminent. C’est au contraire la puissance du diable, il faut le penser, qui remit en mémoire aux pontifes et aux scribes ce qu’ils allèrent dire à Pilate : Seigneur, nous nous sommes souvenus de ce que ce séducteur a dit quand il était encore vivant: le troisième jour après je ressusciterai. Lorsque Judas eut l’idée de livrer le Sauveur, elle ne venait pas seulement de son intelligence mauvaise : l’Écriture atteste en effet que le diable avait mis dans son coeur le désir de le livrer. C’est pourquoi Salomon a donné un bon précepte lorsqu’il a dit : Garde ton coeur de toute manière. De même l’apôtre Paul en disant : Nous devons accorder une plus grande attention à ce que nous entendons pour ne pas nous égarer, et : Ne donnez pas de place au diable: il montre par là que certaines actions et une certaine NÉGLIGENCE spirituelle donnent de la place au diable qui, une fois entré dans notre coeur, nous possède, ou du moins souille notre âme s’il ne peut la posséder complètement, en lançant en nous ses traits enflammés ; par là, tantôt il nous blesse, d’une blessure qui descend dans nos profondeurs, tantôt seulement il nous enflamme. Il arrive rarement que quelques-uns, peu nombreux, réussissent à éteindre ses traits enflammés, de sorte que l’on ne trouve plus trace de la blessure, et cela se produit lorsqu’on est protégé, comme par une fortification très solide, par le bouclier de la foi. Cela est dit réellement dans l’Épître aux Ephésiens: Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres, les esprits de malice qui sont dans les deux. Il faudra comprendre de la sorte le mot nous, c’est-à-dire moi, Paul, et vous, Ephésiens, et tous ceux qui n’ont pas à lutter contre la chair et le sang : ce sont eux en effet qui ont à lutter contre les principautés et puissances, les chefs de ce monde de ténèbres. Il n’en était pas de même à Corinthe où l’on avait à lutter contre la chair et le sang : les Corinthiens n’étaient pas sujets à la tentation, si ce n’est à une tentation humaine. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

D’autre part, considérons s’il ne paraît pas impie de dire que l’intelligence, capable de comprendre Dieu, puisse recevoir la mort dans sa substance : comme si le fait qu’elle puisse comprendre et penser Dieu ne pouvait pas suffire à lui conférer la perpétuité. D’autant plus que, même si l’intelligence peut tomber par NÉGLIGENCE au point de ne pouvoir recevoir Dieu en elle avec pureté et intégrité, elle possède cependant toujours en elle comme des semences qui lui permettent de restaurer et de retrouver une meilleure compréhension, puisque l’homme intérieur, dit aussi raisonnable, est renouvelé selon l’image et la ressemblance de Dieu qui l’a créé. C’est pourquoi le prophète dit : Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui, et toutes les patries des nations l’adoreront en sa présence. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section