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Cherchons cependant si ce que les philosophes grecs nomment asomatos, c’est-à-dire incorporel, se trouve sous un autre terme dans les saintes Écritures. Il faut se demander comment comprendre Dieu lui-même, s’il est corporel et possède une forme extérieure suivant un certain état, ou s’il est d’une autre sorte que les corps : cela n’est pas indiqué clairement dans notre prédication. On se posera les mêmes questions au sujet du Christ et du Saint Esprit, et même de toute âme et de toute NATURE RAISONNABLE. Préface
Mais c’est en voulant montrer en nous les bienfaits divins qui nous viennent par le Père, le Fils et l’Esprit Saint, Trinité qui est la source de toute sainteté, que nous avons dit cela comme par digression et que nous avons cru pouvoir toucher, quoique sommairement, la question de l’âme parce qu’elle s’était présentée, en traitant d’un sujet proche, à savoir de la NATURE RAISONNABLE. Nous en discuterons cependant plus opportunément quand nous parlerons de toutes les natures raisonnables et de leurs trois genres et espèces, si Dieu, par Jésus-Christ et le Saint Esprit, nous l’accorde. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section
En outre, est-ce que quelques-uns de ces ordres qui agissent sous la domination du Diable et obtempèrent à sa malice pourront jamais dans les siècles futurs revenir à la bonté parce que reste en eux la faculté du libre arbitre ? Ou au contraire la malice durable et invétérée ne se changerait-elle pas, par l’habitude, d’une certaine façon en nature ? Que le lecteur juge s’il est possible que de toutes manières, soit dans les siècles des réalités visibles et temporelles, soit dans ceux des réalités invisibles et éternelles, cette partie de la création ne soit pas complètement séparée de cette unité et de cet accord final. Entre-temps cependant, tant dans les siècles des réalités visibles et temporelles que dans ceux des réalités invisibles et éternelles, tous sont gouvernés selon leur ordre, leur nature, leur mesure et la dignité de leurs mérites. Ainsi comme les uns dans les premiers temps et d’autres dans les seconds, certains même dans les derniers, passant par des supplices plus grands et plus lourds, et même durables et supportés, pour ainsi dire, pendant de nombreux siècles, sont réformés par des corrections plus pénibles et rétablis, étant instruits d’abord par les anges, puis même par les puissances des degrés supérieurs, pour être portés ainsi d’étape en étape aux réalités les plus hautes et parvenir à celles qui sont invisibles et éternelles, ayant exercé de cette façon une à une les fonctions des puissances célestes comme dans une sorte d’instruction. C’est ce que montre, à mon avis, la logique : chaque NATURE RAISONNABLE peut passer d’un ordre à l’autre et parvenir à tous à travers chacun et à chacun à travers tous, puisque chaque être, à cause de la faculté du libre arbitre, est susceptible de progrès ou de déchéances variés, selon ses mouvements et efforts propres. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section
Le troisième ordre de la création raisonnable est formé de ces esprits qui ont été jugés par Dieu aptes à remplir le genre humain, c’est-à-dire les âmes des hommes ; parmi eux nous en voyons que leurs progrès ont haussé jusqu’à l’ordre des anges, ceux qui sont devenus fils de Dieu ou de la résurrection, ou ceux qui, laissant les ténèbres, ont préféré la lumière et sont devenus fils de lumière, ou ceux qui, ayant surpassé toute lutte et devenus pacifiques, sont faits fils de la paix et fils de Dieu, ou ceux qui, mortifiant leurs membres terrestres et transcendant non seulement la nature corporelle, mais encore les mouvements ambigus et fragiles de l’âme, se sont attachés au Seigneur, devenus entièrement esprits, pour être toujours avec lui un seul esprit, jugeant avec lui de toutes choses, jusqu’à ce qu’ils parviennent au degré des spirituels parfaits qui discernent tout et que, leur intelligence étant éclairée dans la plénitude de la sainteté par la Parole et la Sagesse de Dieu, ils ne puissent plus du tout être jugés par personne. Nous pensons, certes, qu’on ne doit en aucune façon accepter les questions ou les affirmations de certains, qui pensent que les âmes peuvent atteindre un tel degré de déchéance qu’oublieuses de leur NATURE RAISONNABLE et de leur dignité, elles vont même jusqu’à se précipiter dans la classe des êtres animés déraisonnables, des animaux et des bestiaux. Ils tirent des Écritures des arguments mensongers, s’appuyant par exemple sur le précepte d’inculper et de lapider avec la femme l’animal auquel elle se serait unie contre nature et de lapider aussi le taureau qui donne des coups de corne; ou sur l’histoire de l’ânesse de Balaam qui parla, Dieu lui ouvrant la bouche, lorsque une bête de somme répondant avec une voix humaine, bien qu’elle fût muette, dénonça la folie du prophète. Tout cela, non seulement nous ne l’acceptons pas, mais encore nous réfutons et rejetons ces assertions contraires à notre foi. Cependant, lorsque nous aurons, au moment et à l’endroit convenables, confondu et réfuté cette doctrine perverse, nous montrerons comment il faut comprendre les passages des Écritures saintes qu’ils ont invoqués. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section
Lorsque les saints seront parvenus, pour ainsi dire, dans les lieux célestes, ils contempleront alors la nature des astres un à un et ils sauront s’ils sont des êtres animés ou quelque chose d’autre. Mais ils comprendront aussi les raisons des autres oeuvres de Dieu, car lui-même les leur révélera. Alors il leur montrera comme à ses fils les causes des choses et la puissance de sa création, leur enseignera pourquoi telle étoile est placée à tel endroit du ciel, pourquoi elle est séparée d’une autre par tel intervalle : si elle avait été plus proche, par exemple, quelles en auraient été les conséquences, et si elle avait été plus éloignée qu’est-ce qui serait arrivé ? Ou si cette étoile avait été plus grande que cette autre, comment l’univers ne serait pas resté semblable, mais tout aurait pris une autre forme. Ainsi donc, après avoir parcouru la science de la nature des astres et des relations des êtres célestes, ils en viendront à ce qui ne se voit pas, ce que nous connaissons seulement de nom, aux réalités invisibles. L’apôtre Paul nous a appris qu’elles sont nombreuses, mais nous ne pouvons faire la moindre conjecture sur leur nature et leurs différences. Et ainsi, la NATURE RAISONNABLE croissant peu à peu, non comme elle le faisait en cette vie quand elle était dans la chair ou le corps et l’âme, mais grandissant par la compréhension et la pensée, parvient, en tant qu’elle est une intelligence parfaite, à la connaissance parfaite, sans que les sentiments charnels lui fassent désormais obstacle, mais dans sa croissance intellectuelle elle contemple toujours dans leur pureté et, pour ainsi dire, face à face, les causes des choses ; elle acquiert ainsi la perfection, d’abord celle qui permet son ascension, ensuite celle qui demeure, et elle a comme nourriture la contemplation et la compréhension des choses et de ce qui les cause. En effet dans cette vie corporelle se produit d’abord la croissance du corps jusqu’à l’état où nous sommes pendant les premières années, par le moyen d’une nourriture suffisante, mais ensuite, quand nous avons atteint la taille convenant à la mesure de notre croissance, nous n’usons plus de la nourriture pour grandir, mais pour vivre et nous conserver en vie : ainsi, à mon avis, quand l’intelligence parvient à la perfection, elle se nourrit, elle use des aliments qui lui sont propres et lui conviennent, dans une mesure où il n’y a ni défaut ni excès. En tout il faut entendre comme nourriture la contemplation et la compréhension de Dieu suivant les mesures qui sont propres et qui conviennent à la nature qui a été faite et créée; il faut que ceux qui commencent à voir Dieu, c’est-à-dire à le comprendre par leur pureté de coeur, observent ces mesures. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section
Nous avons déjà disserté plus haut, selon nos possibilités, de la fin et de la consommation du monde selon que le permet l’autorité des divines Écritures ; nous pensons que cela suffit à instruire, mais nous mentionnerons cependant quelques autres points, puisque la suite de l’argumentation nous ramène à ce sujet. Le bien suprême donc, vers lequel se hâte toute la NATURE RAISONNABLE et qui est dit aussi la fin de toutes choses, a été exprimé pareillement par de très nombreux philosophes en ces termes : le bien suprême consiste à devenir semblable à Dieu dans la mesure du possible. Mais cela, je ne pense pas qu’ils l’aient trouvé eux-mêmes, ils l’ont emprunté aux livres divins. C’est en effet indiqué par Moïse avant tout autre quand il raconte la première création de l’homme : Dieu dit : Faisons l’homme à notre image et ressemblance. Ensuite il ajoute : Et Dieu fit l’homme, à l’image de Dieu il le fit, mâle et femelle il les fit, et il les bénit. Il dit alors : A l’image de Dieu il le fit, et il se tut sur la ressemblance : cela indique seulement que l’homme a reçu la dignité de l’image dans sa première création, mais que la perfection de la ressemblance lui est réservée pour la consommation. C’est dire qu’il devait se la procurer lui-même par l’effort de son activité propre en imitant Dieu : la possibilité de cette perfection qui lui était donnée dès le début par la dignité de l’image, il devait à la fin, en accomplissant les oeuvres, la réaliser lui-même en ressemblance parfaite. L’apôtre Jean certifie avec plus de clarté et d’évidence qu’il en est ainsi lorsqu’il dit : Mes petits enfants, nous ne savons pas encore ce que nous serons; quand cela nous sera révélé, nous serons semblables à lui : il parle là sans aucun doute du Sauveur. Par là il indique avec une grande certitude et la fin de toutes choses – il dit qu’il l’ignore encore – et la ressemblance de Dieu à espérer, celle qui sera donnée selon la perfection des mérites. Le Seigneur lui-même dans l’Évangile la présente non seulement comme future, mais comme devant se produire par son intercession, puisqu’il daigne lui-même la demander à son Père pour ses disciples quand il dit : Père, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, et : comme moi et toi nous sommes uns, ainsi qu’eux aussi soient un avec nous. Il semble par là que la ressemblance elle-même progressera, pour ainsi dire, et que de semblable on deviendra un, car sans aucun doute à la consommation ou fin Dieu est tout et en tous. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section
Je pense que cette expression attribuée à Dieu être tout en tout signifie aussi qu’il sera tout en chaque être. Il sera tout en chaque être en ce sens que tout ce qu’une intelligence raisonnable, purifiée de toutes les ordures des vices et nettoyée complètement de tous les nuages de la malice, peut sentir, comprendre et croire, tout cela sera Dieu, et elle ne fera rien d’autre que sentir Dieu, penser Dieu, voir Dieu, tenir Dieu, Dieu sera tous ses mouvements : et c’est ainsi que Dieu lui sera tout. Il n’y aura plus de discernement du mal et du bien, car il n’y aura plus de mal – Dieu en effet lui est tout, lui en qui il n’y a pas de mal – et celui-là ne désirera plus manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal qui est toujours dans le bien et à qui Dieu est tout. Si donc la fin restituée selon la condition initiale et la consommation des choses rapportée à leur début restaureront l’état qu’avait alors la NATURE RAISONNABLE, quand elle n’avait pas besoin de manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, après avoir écarté tout sentiment de malice, l’avoir nettoyé pour parvenir à la propreté et à la pureté, celui-là seul qui est l’unique Dieu bon lui deviendra tout et il sera tout, non seulement en quelques-uns, ni en beaucoup, mais en tous, quand il n’y aura plus de mort, plus d’aiguillon de la mort, et absolument plus de mal : alors Dieu sera vraiment tout en tous. Mais cette perfection et cette béatitude des natures raisonnables, certains pensent qu’elle perdurera dans l’état dont nous avons parlé, c’est-à-dire celui où tous les êtres possèdent Dieu et où Dieu est pour eux tout, si leur union avec la nature corporelle ne les en éloigne pas du tout. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section
Puisque nous trouvons chez l’apôtre Paul une mention du corps spirituel, recherchons, comme nous le pouvons, ce qu’il faut penser à ce sujet. Autant que notre intelligence peut le comprendre, nous pensons que la qualité d’un corps spirituel doit permettre non seulement aux âmes saintes et parfaites de l’habiter, mais encore à toutes ces créatures qui seront libérées de la servitude de la corruption. De ce corps l’Apôtre dit aussi que nous avons une maison non faite de main d’homme, éternelle dans les deux, c’est-à-dire dans les demeures des bienheureux. De cela nous pouvons conjecturer la pureté, la subtilité et la gloire qui seront les qualités de ce corps, si nous le comparons à ceux qui maintenant, bien qu’ils soient des corps célestes et très resplendissants, sont cependant faits par la main et visibles. Au contraire il est dit de celui-là qu’il est une maison non faite de main d’homme, mais éternelle dans les deux. Puisque donc le visible est temporel, l’invisible éternel, tous ces corps que nous voyons soit sur terre soit dans les cieux, qui peuvent être vus, qui sont faits par la main et ne sont pas éternels, sont dépassés de très loin par celui-là qui n’est pas visible ni fait de main d’homme, mais est éternel. A partir de cette comparaison, on peut soupçonner la beauté, la splendeur et l’éclat du corps spirituel ; il est vrai, comme c’est écrit, que l’oeil n’a pas vu ni l’oreille entendu, qu’il n’est pas encore monté jusqu’au coeur de l’homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Il n’est pas douteux que la nature de ce corps qui est nôtre, par la volonté de Dieu qui l’a créée ainsi, pourra parvenir par l’action du Créateur à cette qualité de corps très subtil, très pur et très resplendissant, selon que l’état des choses l’exigera et que les mérites de la NATURE RAISONNABLE le demanderont. En fait, lorsque le monde a eu besoin de variété et de diversité, la matière s’est livrée en toute disponibilité dans les différents aspects et espèces des choses à celui qui l’a faite, puisqu’il est son seigneur et son créateur, pour qu’il puisse tirer d’elle les formes diverses des êtres célestes et terrestres. Mais lorsque tous les êtres commenceront à se hâter à devenir tous un comme le Père est un avec le Fils, il faut comprendre logiquement que là où tous seront un, il n’y aura plus de diversité. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section
Toute créature donc est distinguée auprès de Dieu comme comprise dans un nombre ou mesure déterminés, c’est-à-dire le nombre pour les êtres raisonnables, la mesure pour la matière corporelle ; il était nécessaire que la nature intellectuelle se servît de corps, car on la conçoit comme muable et convertible par le fait même de sa création – ce qui en effet n’était pas et a commencé à être, par ce fait même est manifesté comme ayant une nature muable et c’est pourquoi sa vertu et sa malice ne sont pas substantielles, mais accidentelles – ; à cause de cette mutabilité et convertibilité de la NATURE RAISONNABLE déjà mentionnée, elle devait se servir selon ses mérites d’un vêtement corporel de nature diverse, ayant telle ou telle qualité. Pour toutes ces raisons, nécessairement, Dieu, qui connaissait d’avance les variations futures des âmes ou des puissances spirituelles, a créé la nature corporelle capable de se transformer selon la volonté du créateur, par les mutations de ses qualités, en tous les états que demanderait la situation. Il faut qu’elle subsiste tout le temps que subsistent les êtres qui ont besoin d’elle comme vêtement. Or il y aura toujours des natures raisonnables qui auront besoin de vêtement corporel : par conséquent il y aura toujours une nature corporelle dont les créatures raisonnables devront se servir comme vêtement ; à moins que l’on puisse montrer avec preuves que la NATURE RAISONNABLE puisse vivre sans aucun corps. Nous avons montré plus haut, en le discutant en détail, combien cela est difficile et presque impossible à notre intelligence. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section