monde visible

Mais on nous objecte d’ordinaire : Si le monde a commencé dans le temps, que faisait Dieu avant que le monde ne commence ? Dire que la nature de Dieu est oisive et immobile est à la fois impie et absurde, de même que penser qu’il fut un temps où la bonté ne faisait pas le bien et où la toute-puissance n’exerçait pas sa domination. On nous fait couramment cette objection quand nous disons que le monde a commencé à un certain temps et quand nous comptons les années de sa durée selon le témoignage de l’Écriture. A ces propositions je ne crois pas qu’un hérétique pourrait facilement répondre en gardant la logique de sa doctrine. Mais nous, nous répondrons logiquement en restant fidèles à la règle de la piété : ce n’est pas lorsque Dieu a fait ce MONDE VISIBLE qu’il a commencé à travailler, mais de même qu’après la corruption de ce monde il y en aura un autre, de même, avant que celui-ci soit, il y en a eu, croyons-nous, d’autres. Ces deux points seront confirmés par l’autorité de l’Écriture divine. Isaïe enseigne qu’après ce monde il y en aura un autre : Il y aura un monde nouveau et une terre nouvelle, que je ferai subsister toujours devant ma face, dit le Seigneur. Et l’Ecclésiaste montre qu’avant ce monde il y en eut d’autres : Qu’est-ce qui a été fait ? La même chose que ce qui sera. Et qu’est-ce qui a été créé ? La même chose que ce qui sera créé. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Si quelqu’un dit: voilà cela qui est nouveau. Mais cela a déjà été dans les siècles qui nous ont précédés. Les témoignages prouvent les deux points, que des siècles ont existé avant nous et que des siècles existeront après nous. Il ne faut pas penser que plusieurs mondes ont existé à la fois, mais qu’après celui-ci cependant suivra celui-là : à ce sujet il n’est pas nécessaire de tout reprendre dans le détail, car nous l’avons fait plus haut. Traité des Principes: Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Je pense qu’il ne faut certes pas passer sous silence comme inutile le fait que l’Écriture sainte ait appelé la création du monde d’un nom nouveau et précis parlant de katabolè du monde. Ce mot a été traduit assez improprement en latin par constitution du monde : mais katabolè en grec signifie plutôt l’action de jeter bas, c’est-à-dire de jeter vers le bas : on l’a traduit en latin improprement, comme nous l’avons dit, par constitution du monde. C’est ainsi que, dans l’Évangile selon Jean, le Sauveur dit : Il y aura ces jours-là une tribulation telle qu’il n’y en a pas eu de semblable depuis la constitution du monde: ici constitution représente katabolè qu’il faut entendre comme nous l’avons exposé plus haut. L’Apôtre dans son Épître aux Ephésiens a utilisé la même parole : Celui qui nous a choisis avant la constitution du monde; ici aussi constitution du monde traduit katabolè, à comprendre dans le même sens que nous avons exposé plus haut. Il vaut la peine, semble-t-il, de chercher ce qui est signifié par cette expression nouvelle. Je pense que, puisque la fin et la consommation des saints s’accompliront dans les réalités qu’on ne voit pas et qui sont éternelles, d’une réflexion sur cette fin on peut déduire, selon le principe que nous avons fréquemment exposé plus haut, que les créatures raisonnables ont eu un commencement semblable. Et si le commencement qu’elles ont eu est pareil à la fin qu’elles espèrent, elles furent déjà sans aucun doute, dès le début, dans les réalités qu’on ne voit pas et qui sont éternelles. S’il en est ainsi, sont descendues de haut en bas non seulement les âmes qui l’ont mérité par leurs mouvements divers, mais encore celles qui pour servir ce monde ont été menées, bien que ne le voulant pas, de ces réalités-là, supérieures et invisibles, à ces réalités-ci, inférieures et visibles. A la vanité en effet la création est soumise, sans qu’elle le veuille, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espoir, afin que le soleil, la lune, les étoiles et les anges de Dieu accomplissent leur ministère envers le monde : pour ces âmes qui, à cause des trop grandes défaillances de leurs intelligences, eurent besoin de ces corps plus épais et plus solides, et en vue de ceux à qui cela était nécessaire, ce MONDE VISIBLE a été institué. A cause de cela, par la signification de ce mot katabolè est indiquée la descente de tous ensemble du haut en bas. Certes toute la création porte en elle l’espoir de la liberté, afin d’être libérée de la servitude de la corruption, lorsque les fils de Dieu, qui sont tombés ou ont été dispersés, seront rassemblés dans l’unité, ou lorsqu’ils auront accompli dans ce monde toutes les autres missions que connaît seul Dieu, artisan de l’univers. Il faut donc penser que le monde a été fait avec la nature et la grandeur nécessaire pour pouvoir contenir toutes les âmes qui ont été placées en ce monde pour s’y exercer ou toutes les puissances qui sont prêtes à les assister, les gouverner et les aider. De nombreuses preuves démontrent que toutes les créatures raisonnables ont une seule nature : cela est nécessaire pour défendre la justice de Dieu dans tous les actes par lesquels il les gouverne, puisque chacune a en elle-même les causes qui l’ont mise dans telle ou telle condition de vie. Traité des Principes: Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Quant à la manière d’être de ce MONDE VISIBLE, dont la nature cons-titue habituellement un très grand problème, nous en avons parlé plus haut, comme nous l’avons pu, pour ceux qui, partageant notre foi, recherchent d’ordinaire des raisons de croire et pour ceux qui soulèvent contre nous des combats au nom des hérésies et ont l’habitude de nous lancer constamment à la face le mot de matière, sans avoir jamais pu eux-mêmes comprendre ce qu’il signifie ; je pense donc nécessaire de revenir brièvement sur ce sujet. Traité des Principes: Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section