En outre l’âme, qui possède une substance et une vie qui lui sont propres, lorsqu’elle aura quitté ce monde, recevra un sort conforme à ses MÉRITES : ou bien elle obtiendra l’héritage de la vie éternelle et de la béatitude, si ses actions le lui valent, ou bien elle sera abandonnée au feu éternel et aux supplices, si les péchés commis par ses méfaits l’y entraînent; mais viendra le temps de la résurrection des morts, lorsque ce corps-ci, aujourd’hui semé dans la corruption, ressuscitera dans l’incorruption, aujourd’hui semé dans l’ignominie, ressuscitera dans la gloire. Le point suivant est aussi défini par la prédication ecclésiastique : toute âme raisonnable est douée de libre arbitre et de volonté. Elle est en lutte avec le Diable et ses anges, ainsi qu’avec les puissances contraires, car ils s’efforcent de la charger de péchés : mais si nous vivons droitement et avec réflexion, nous nous efforçons de nous débarrasser de telles souillures. Il faut donc comprendre que nous ne sommes pas soumis à la nécessité et que nous ne sommes pas forcés de toute manière, même contre notre gré, de faire le mal ou le bien. Si nous sommes doués de libre arbitre, certaines puissances peuvent bien nous pousser au mal et d’autres nous aider à faire notre salut, nous ne sommes cependant pas contraints par la nécessité d’agir bien ou mal. Pensent le contraire ceux qui disent que le cours et les mouvements des étoiles sont la cause des actes humains, non seulement de ceux qui ne dépendent pas du libre arbitre, mais aussi de ceux qui sont en notre pouvoir. Préface
Cette puissance bienheureuse et souveraine, c’est-à-dire qui domine toutes choses, nous l’appelons Trinité. C’est le Dieu bon et le Père bienveillant de l’univers, et la puissance bienfaisante et démiurgique, c’est-à-dire celle de faire le bien, de créer et de pourvoir. Il est à la fois absurde et impie de penser que même un instant ces puissances de Dieu soient restées oisives. Car il n’est pas permis de se demander, même en passant, si ces puissances, qui permettent avant tout de comprendre Dieu dignement, ont cessé un moment de produire des oeuvres dignes de lui et sont restées immobiles. On ne peut penser en effet qu’étant en Dieu, bien mieux, qu’étant Dieu, elles aient été empêchées de l’extérieur, ni en revanche que, ne rencontrant pas d’obstacle, elles aient eu la paresse d’agir et de produire des oeuvres dignes d’elles ou aient négligé de le faire. Et c’est pourquoi on ne peut pas croire qu’il y ait eu absolument un seul moment où cette puissance bienfaisante n’ait pas fait le bien. Il s’ensuit qu’elle a toujours eu des bénéficiaires, par ses productions et ses créations, et que, dans sa bienfaisance, elle leur a dispensé ses bienfaits de façon ordonnée et suivant les MÉRITES, en vertu de sa providence. Par conséquent il semble qu’il n’y a pas eu de moment où Dieu n’ait pas été créateur, bienfaisant et provident. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Appendice
Si nous entendons de façon absolue que ces saints anges, ces saintes Puissances, ces Trônes bienheureux, ces glorieuses Vertus et ces Dominations magnifiques possèdent substantiellement leurs puissances, dignités ou gloires, il s’ensuit, semble-t-il, sans aucun doute, qu’il faut entendre de façon semblable ceux qui sont présentés comme possédant les offices contraires. Il faudra donc penser que ces Principautés contre lesquelles nous avons à lutter ont reçu cette orientation de leur volonté qui les fait s’opposer et résister à toute sorte de bien, non parce qu’ils se sont écartés du bien par la suite à cause de leur libre arbitre, mais au moment même où ils ont commencé à exister en êtres substantiels. Pareillement les Puissances et les Vertus chez qui la malice ne serait pas plus récente et postérieure à l’existence. Ceux qui ont été appelés les Dirigeants et les chefs du monde des ténèbres, leur domination et leur puissance sur les ténèbres ne viendraient pas d’un propos pervers, mais des nécessités découlant de leur création. La logique oblige de comprendre de même les esprits de malice, les esprits mauvais et les démons impurs. Mais s’il paraît absurde de penser ainsi des puissances mauvaises et contraires – il est certainement absurde d’attribuer nécessairement au Créateur la cause de leur malice sans mettre en cause le propos de leur libre arbitre -, ne sommes-nous par forcés de reconnaître la même chose des vertus bonnes et saintes, c’est-à-dire que le bien n’est pas en eux quelque chose de substantiel, privilège, nous l’avons montré avec évidence, du Christ et de l’Esprit Saint seuls, et assurément, sans aucun doute, du Père. En effet il n’y a dans la nature de la Trinité aucune composition, nous l’avons aussi montré, pour que de pareils changements semblent logiquement pouvoir se produire. Il reste donc, à propos de chaque créature, que c’est par suite de leur action et de leurs mouvements que ces vertus qui paraissent exercer sur d’autres leur principat, leur puissance ou leur domination, ont été préposées à ceux sur qui elles dominent et exercent leur pouvoir, par suite de leurs MÉRITES et non par une prérogative due à leur création. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section
En outre, est-ce que quelques-uns de ces ordres qui agissent sous la domination du Diable et obtempèrent à sa malice pourront jamais dans les siècles futurs revenir à la bonté parce que reste en eux la faculté du libre arbitre ? Ou au contraire la malice durable et invétérée ne se changerait-elle pas, par l’habitude, d’une certaine façon en nature ? Que le lecteur juge s’il est possible que de toutes manières, soit dans les siècles des réalités visibles et temporelles, soit dans ceux des réalités invisibles et éternelles, cette partie de la création ne soit pas complètement séparée de cette unité et de cet accord final. Entre-temps cependant, tant dans les siècles des réalités visibles et temporelles que dans ceux des réalités invisibles et éternelles, tous sont gouvernés selon leur ordre, leur nature, leur mesure et la dignité de leurs MÉRITES. Ainsi comme les uns dans les premiers temps et d’autres dans les seconds, certains même dans les derniers, passant par des supplices plus grands et plus lourds, et même durables et supportés, pour ainsi dire, pendant de nombreux siècles, sont réformés par des corrections plus pénibles et rétablis, étant instruits d’abord par les anges, puis même par les puissances des degrés supérieurs, pour être portés ainsi d’étape en étape aux réalités les plus hautes et parvenir à celles qui sont invisibles et éternelles, ayant exercé de cette façon une à une les fonctions des puissances célestes comme dans une sorte d’instruction. C’est ce que montre, à mon avis, la logique : chaque nature raisonnable peut passer d’un ordre à l’autre et parvenir à tous à travers chacun et à chacun à travers tous, puisque chaque être, à cause de la faculté du libre arbitre, est susceptible de progrès ou de déchéances variés, selon ses mouvements et efforts propres. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section
Puisque la logique de cette discussion montre que les astres sont des êtres animés et raisonnables, il faut voir s’ils ont reçu leurs âmes en même temps que leurs corps, au moment que désigne l’Écriture : Dieu fit deux grands luminaires, un plus grand pour gouverner le jour et un plus petit pour gouverner la nuit, ainsi que des étoiles, ou si l’esprit a été inséré, non à la création même des corps, mais du dehors, une fois les corps créés. Quant à moi je présume que l’esprit a été inséré du dehors, mais il paraîtra important de montrer cela à partir des Écritures. Cela semblera facile à affirmer par manière de conjecture, mais assurément plus difficile par le témoignage des Écritures. Car il est possible de le montrer ainsi par manière de conjecture. S’il est prouvé que l’âme de l’homme, assurément inférieure à celle des astres, puisqu’elle est l’âme de l’homme, n’a pas été façonnée avec le corps, mais a été effectivement insérée de l’extérieur, à plus forte raison est-ce le cas des âmes de ces êtres animés qui sont appelés célestes. Car en ce qui regarde l’homme, comment paraîtra-t-elle façonnée avec le corps l’âme de celui qui dans le ventre maternel a supplanté son frère, c’est-à-dire Jacob ? Ou comment a-t-elle été façonnée ou modelée avec le corps l’âme de celui qui, encore dans le ventre de sa mère, a été rempli de l’Esprit Saint ? Je parle de Jean, transporté de joie dans le sein de sa mère et s’agitant, pris d’une grande exultation, parce que la voix de la salutation de Marie était parvenue aux oreilles d’Elisabeth sa mère. Comment a-t-elle été façonnée et modelée avec le corps l’âme de celui qui est dit connu par Dieu avant d’être formé dans le sein et sanctifié par lui avant de sortir de la matrice ? A moins que Dieu ne paraisse remplir certains de l’Esprit Saint sans jugement et sans considération de leurs MÉRITES et les sanctifier sans raison. Comment alors échapperons-nous à cette parole : Y a-t-il injustice auprès de Dieu ? Loin de là ! Ou à cette autre : Y a-t-il acception de personnes auprès de Dieu ? C’est à une telle conclusion qu’aboutit cependant la défense de l’assertion qui fait exister les âmes la même longueur de temps que les corps. Ce qu’on peut conjecturer par comparaison avec la situation humaine paraît s’appliquer encore plus logiquement aux êtres célestes : la raison de l’homme elle-même et l’autorité de l’Écriture semblent le montrer. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section
Je pense qu’il faut raisonner pareillement à propos des anges et ne pas juger fortuit qu’à tel ange ait été attribué tel office, par exemple à Raphaël la charge de soigner et de guérir, à Gabriel la surveillance des guerres, à Michel le soin des prières et des supplications des mortels. Il n’y a pas à penser qu’ils aient mérité ces fonctions autrement que par leurs MÉRITES, leur zèle et les vertus qu’ils ont manifestées avant l’organisation de ce monde. C’est alors que, dans l’ordre des archanges, tel ou tel genre d’office a été attribué à chacun ; d’autres ont mérité d’être inscrits dans l’ordre des anges et d’agir sous l’autorité de tel ou tel archange, de tel ou tel chef ou prince de son ordre. Tout cela, nous l’avons dit, ne s’est pas produit fortuitement et sans discernement, mais a été ordonné par un jugement de Dieu très adapté et très juste et disposé en fonction des MÉRITES selon son jugement et avec son approbation : de telle sorte qu’à cet ange a été confiée l’Église des Ephésiens, à cet autre celle des Smyrniotes, cet ange est devenu celui de Pierre et cet autre celui de Paul; et ainsi de suite, à chacun des plus petits qui sont dans l’Église a été attribué tel ou tel ange, de ceux qui voient chaque jour la face de Dieu, mais aussi celui qui doit être l’ange qui entoure de tous côtés ceux qui craignent Dieu. Il ne faut pas songer que tout cela se soit produit par hasard et fortuitement, ni que ces anges aient été faits tels par nature, pour ne pas accuser en cela aussi le Créateur de partialité : la décision est intervenue selon les MÉRITES et les vertus, selon la vigueur et les talents de chacun, par le très juste et très impartial gouverneur de l’univers, il faut le croire. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section
Il faut se garder de tomber dans les fables ineptes et impies de ceux qui imaginent des natures spirituelles différentes, tant parmi les êtres célestes que parmi les âmes humaines, oeuvres de créateurs différents, puisqu’il leur semble absurde, ce qui est la vérité, d’attribuer à un seul et même créateur l’origine de natures différentes parmi les êtres raisonnables et qu’ils ignorent cependant la cause de cette diversité. Ils disent en effet qu’il ne leur paraît pas logique qu’un seul et même créateur, sans tenir compte des MÉRITES, attribue aux uns un pouvoir de domination et leur soumette les autres, donne aux uns le principat et assujettisse les autres à ces chefs. Tout cela assurément, à mon avis, la logique du raisonnement développé plus haut le réfute et le convainc de fausseté : elle montre que l’origine des diversités et des différences dans chaque créature est à chercher dans la vivacité ou la paresse plus ou moins grande de leurs mouvements, tournés vers la vertu ou vers la malice, et non dans la partialité de celui qui a tout ordonné. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section
Je crois, à ce qui me paraît, que la discussion précédente aura suffisamment montré que ce n’est pas sans discernement ni par hasard que les Principautés tiennent leur principal et que chacun des autres ordres a reçu sa fonction : ils ont obtenu d’après leurs MÉRITES le degré de leur dignité ; cependant il ne nous appartient pas de savoir ni de chercher quels sont les actes qui leur ont mérité de parvenir à cet ordre. Il suffit de savoir cela pour montrer l’impartialité et la justice de Dieu, puisque, selon la phrase de l’apôtre Paul, il n’y a pas en Dieu acception de personne, mais il distribue plutôt toutes choses selon les MÉRITES et les progrès de chacun. La fonction des anges ne leur vient que de leurs MÉRITES, les Puissances n’exercent leur puissance qu’à cause de leurs progrès, ceux qu’on appelle les Trônes, c’est-à-dire les puissances préposées au jugement et au gouvernement, ne tiennent leur administration que de leurs MÉRITES, les Dominations ne dominent pas sans que soit tenu compte de leurs MÉRITES : c’est le premier ordre, suprême et éminent, de la créature raisonnable dans les cieux, et il est ordonné à des fonctions variées et glorieuses. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section
Nous avons esquissé comme nous avons pu les comprendre ces trois opinions sur la fin de toutes choses et la béatitude suprême : que chaque lecteur juge en lui-même avec diligence et minutie, s’il veut en approuver et en choisir une. Il est dit qu’on pense pouvoir mener une vie incorporelle quand tout aura été soumis au Christ et par le Christ à Dieu le Père, lorsque Dieu sera tout en tous ; ou bien cependant que lorsque tout sera soumis au Christ et par le Christ à Dieu, avec qui les natures raisonnables formeront un seul esprit, puisqu’elles sont des esprits, la substance corporelle elle-même associée à des esprits excellents et très purs brillera, changée dans un état éthéré selon la qualité ou les MÉRITES de ceux qui l’assument, d’après cette parole de l’Apôtre : Nous aussi nous serons changés ; ou encore que, lorsque la condition des choses qui se voient aura passé, toute corruptibilité ayant été rejetée et purifiée et tout l’état de ce monde, où l’on dit que se trouvent les sphères des planètes, ayant été dépassé et transcendé, c’est au-dessus de la sphère dite des étoiles fixes que la demeure des pieux et des bienheureux sera établie, comme dans la bonne terre, la terre des vivants, que recevront les paisibles et les doux. A cette terre correspond le ciel qui l’entoure et l’enferme comme dans une enceinte plus magnifique, le ciel au sens strict et premier. Dans ce ciel et dans cette terre trouveront place l’achèvement et la perfection de toutes choses d’une manière stable, sûre et très durable. C’est là que ceux qui auront été corrigés par les peines subies pour être purifiés de leurs péchés, lorsque tout aura été accompli et payé, mériteront d’habiter cette terre, et ceux qui ont obéi à la Parole de Dieu, se sont montrés capables de recevoir sa Sagesse et l’ont suivie, mériteront, selon l’Écriture, les royaumes de ce ciel ou de ces cieux. Ainsi s’accompliront ces paroles : Bienheureux les doux car ils recevront en héritage la terre. Bienheureux les pauvres par l’esprit car ils auront l’héritage du royaume des cieux, et ce que dit le Psaume : Il t’élèvera pour que tu hérites la terre. Pour cette terre-ci on emploie l’expression descendre, pour cette terre-là, qui est en haut, celle d’être élevé. Il semble ainsi que soit ouvert par les progrès des saints comme un chemin de cette terre-là à ces cieux-là : ils ne paraissent pas tant devoir rester dans cette terre que l’habiter, pour passer ensuite, lorsqu’ils auront fait quelque progrès, à l’héritage du royaume des cieux. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): Le commencement de ce monde et ses causes
De ce qu’ils disent, il faut d’abord examiner s’ils peuvent, selon leur définition, montrer juste le créateur quand il punit selon leurs déMÉRITES soit ceux qui ont péri au temps du déluge, soit les Sodomites, soit ceux qui avaient quitté l’Egypte, alors que nous voyons parfois commis des forfaits bien plus révoltants et criminels que ceux pour lesquels les gens dont nous avons parlé plus haut ont été supprimés, sans que nous ayons encore vu chacun de ces pécheurs expier ses méfaits. Diront-ils alors qu’il est devenu bon, celui qui auparavant était juste ? Ou penseront-ils plutôt qu’il est encore juste maintenant, mais qu’il supporte patiemment les fautes des hommes, et aussi qu’il n’était pas juste celui qui anéantissait des tout-petits innocents et des nourrissons en même temps que les géants cruels et impies ? Mais ils pensent ainsi parce qu’ils ne veulent rien comprendre au delà de la lettre. D’ailleurs qu’ils montrent comment il est juste selon la lettre d’imputer les péchés des parents jusqu’à la troisième et la quatrième génération à leurs fils et aux enfants de leurs fils après eux. Nous, nous ne comprenons pas ces paroles selon la lettre, mais puisque Ézéchiel nous a appris que c’était une parabole, nous cherchons ce que signifie en elle-même cette parabole. Ils doivent montrer comment ce Dieu est juste, rétribuant chacun selon ses MÉRITES, lui qui punit les terrestres et le diable, alors qu’ils n’ont rien commis qui soit digne de peine ; en effet ils ne pouvaient rien faire de bon, puisque, selon ces hérétiques, ils avaient une nature mauvaise et perdue d’avance. Car, quand ils le disent juge, il paraît être chez eux juge non tant des actes que des natures, puisque une nature mauvaise ne peut pas faire le bien, ni une bonne le mal. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section
Ensuite si celui qu’ils disent bon est bon pour tous, sans aucun doute il l’est pour ceux qui sont destinés à perdition ; comment alors ne les sauve-t-il pas ? S’il ne le veut pas, il ne sera pas bon; s’il le veut et ne le peut pas, il ne sera pas tout-puissant. Qu’ils entendent plutôt, dans les Évangiles, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ préparant le feu pour le diable et ses anges. Comment une action aussi punitive et pénible selon le sens qu’ils lui donnent pourra paraître l’oeuvre du Dieu bon ? Mais le Sauveur lui-même, fils du Dieu bon, déclare dans les Évangiles : Si ces signes et ces prodiges avaient été accomplis à Tyr et à Sidon, depuis longtemps elles auraient fait pénitence dans le sac et la cendre. Et lorsqu’il s’est approché de ces villes et qu’il a pénétré sur leur territoire, pourquoi, je vous le demande, a-t-il refusé d’entrer dans ces cités et de leur manifester en abondance les signes et les prodiges, puisqu’il était certain que devant cela elles auraient fait pénitence dans le sac et la cendre ? Puisque assurément il ne l’a pas fait, il a abandonné sans aucun doute à la perdition ces cités, qui n’étaient pas cependant d’une nature mauvaise et perdue d’après la parole même de l’Évangile, puisqu’il est dit qu’elles pouvaient se repentir. Et on trouve aussi dans une parabole évangélique : Le roi, pénétrant dans la salle pour voir les convives, qui avaient été invités, vit quelqu’un qui n’était pas vêtu de la tenue des noces et il lui dit: Ami, comment es-tu entré ici sans la tenue des noces ? Alors il dit aux serviteurs: Liez-lui mains et pieds et jetez-le dehors dans les ténèbres extérieures, là où il y aura pleurs et grincements de dents. Qu’ils nous disent quel est ce roi qui entre pour voir les convives et qui, trouvant parmi eux quelqu’un revêtu d’habits sales, ordonna à ses serviteurs de l’enchaîner et de le repousser dans les ténèbres extérieures : est-ce celui qu’ils appellent le Dieu juste ? Comment avait-il ordonné d’inviter des bons et des méchants sans avoir fait faire par ses serviteurs une enquête sur leurs MÉRITES ? Par là ne sont pas seulement marqués les sentiments d’un juste, comme ils disent, et de quelqu’un qui rétribue selon le mérite, mais une bienveillance qui ne fait pas de distinction entre tous. S’il est vraiment nécessaire de comprendre ce passage du Dieu bon, c’est-à-dire du Christ ou de son Père, qu’a-t-il fait d’autre que ce qu’ils objectent au Dieu juste; bien plus, que reprochent-ils d’autre au Dieu de la loi que ce qu’a fait celui-là, qui, après avoir invité cet homme, par l’intermédiaire des serviteurs qu’il avait envoyés appeler les bons et les méchants, ordonne, à cause de vêtements trop sales, de lui lier les mains et les pieds et de le précipiter dans les ténèbres extérieures ? Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section
Qu’ils disent alors, en examinant les Écritures divines, ce qu’est chaque vertu, et qu’ils ne cherchent pas à s’esquiver en disant que le Dieu qui rétribue chacun selon ses MÉRITES, leur rend le mal pour le mal par haine des méchants et que ce n’est pas parce que ceux qui ont péché ont besoin d’être soignés par des remèdes plus pénibles qu’il leur applique un traitement qui, en vue de leur amendement, semble présentement les faire souffrir. Il ne lisent pas ce qui est écrit de l’espérance de ceux qui ont péri par le déluge, espérance dont Pierre dit dans sa Première Épître : Le Christ est mort selon la chair, mais a été vivifié selon l’esprit. Dans cet esprit il est allé prêcher aux esprits maintenus en prison, ceux qui avaient été autrefois incrédules, lorsque Dieu attendait avec patience quand Noé construisait l’arche; dans l’arche un petit nombre, c’est-à-dire huit personnes, ont été sauvées par le moyen de l’eau; vous aussi, de façon semblable, il vous sauve aujourd’hui par le baptême. Au sujet de Sodome et de Gomorrhe, qu’ils nous disent s’ils croient que les paroles prophétiques viennent du Dieu dont on rapporte qu’il fit pleuvoir sur eux une pluie de feu et de soufre! Que dit de ces villes le prophète Ézéchiel ? Sodome sera restaurée dans son état ancien. En punissant ceux qui méritaient le châtiment, ne l’a-t-il pas fait pour leur bien ? Il a dit à la Chaldée : Tu as des charbons de feu, assieds-toi dessus et ils te seront utiles. A propos de ceux qui sont tombés dans le désert, que les hérétiques écoutent ce qui est rapporté dans le Psaume 77, attribué par son titre à Asaph : Lorsqu’il les tuait, alors ils le cherchaient. Il n’a pas dit que, les uns étant tués, les autres le recherchaient, mais que ceux qui étaient tués l’étaient de telle sorte que, mis à mort, ils recherchaient Dieu. Tout cela montre que le Dieu juste et bon, le Dieu de la loi et des Évangiles, est un seul et même Dieu, qu’il fait le bien avec justice et punit avec bonté, puisque ni la bonté sans la justice, ni la justice sans la bonté, ne sont le signe de la dignité de la nature divine. Ajoutons encore ce qui suit, forcés par leurs artifices. Si la justice est autre chose que le bien, puisque le mal est contraire au bien et l’injuste au juste, sans aucun doute l’injuste sera autre que le mal ; et puisque, selon vous, celui qui est juste n’est pas bon, celui qui est injuste ne sera pas mauvais ; de même, puisque celui qui est bon n’est pas juste, celui qui est mauvais ne sera pas injuste. Ne sera-t-il pas absurde, à ce qu’il semble, que celui qui est mauvais soit le contraire du Dieu bon, mais que personne ne soit le contraire du Dieu juste qu’ils présentent comme inférieur au bon ? A Satan qui est appelé le Malin ne correspond donc pas quelqu’un autre qui serait dit l’Injuste. Qu’en est-il donc ? Remontons au point d’où nous sommes descendus. Ils ne pourront pas dire que le mauvais n’est pas en même temps injuste, ni l’injuste mauvais. Mais si, dans ces contraires, il y a une liaison indissociable entre l’injustice et le mal et entre le mal et l’injustice, le bon sera certainement indissociable du juste et le juste du bon : de même que nous disons que la malice et l’injustice sont un seul et même mal, de même nous tenons que la bonté et la justice sont une seule et même vertu. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section
Mais l’Écriture sainte ne me paraît pas s’être tue complètement sur la raison de ce mystère. L’apôtre Paul discutant Ésaü et de Jacob dit : Alors qu’ils n’étaient pas encore nés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal, pour que soit maintenue la décision concernant leur élection par Dieu, ce n’est pas par suite de leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui les a appelés qu’il fut dit: L’aîné servira le plus jeune. Il est écrit en effet: J’ai aimé Jacob, j’ai pris en haine Elsa. Et Paul ensuite s’est répondu à lui-même en ces termes :Que dirons-nous donc ? Y a-t-il injustice de la part de Dieu ? Pour nous fournir à ce sujet une occasion de recherche et d’examen, pour savoir comment cela s’est passé d’une manière non déraisonnable, il s’est répondu à lui-même : Qu’il n’en soit pas ainsi! Les mêmes questions qui se posent à propos d’Ésaü et de Jacob, à ce qu’il me semble, peuvent s’étendre à tous les êtres célestes, aux créatures terrestres et infernales : Alors qu’ils n’étaient pas encore nés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal; cela peut se dire pareillement de tous les autres êtres. Alors qu’ils n’avaient pas encore été créés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal, afin que soit maintenue la décision de Dieu concernant leur élection, comme certains le pensent, les uns ont été faits êtres célestes, d’autres terrestres et d’autres infernaux, non par suite de leurs oeuvres, selon l’opinion de ces héré-tiques, mais par la volonté de celui qui les a appelés. Que dirons-nous donc si les choses sont ainsi ? Il y a donc injustice de la part de Dieu ? Qu’il n’en soit pas ainsi! Alors, en scrutant les Écritures avec plus de soin au sujet d’Ésaü et de Jacob, on trouve qu’il n’y a pas d’injustice de la part de Dieu, quand, avant leur naissance et avant qu’ils aient fait quoi que ce soit, dans cette vie évidemment, il est dit que l’aîné servira le plus jeune, et on trouve de même qu’il n’y a pas d’injustice dans le fait que Jacob ait supplanté son frère dans le sein de sa mère, si on pense qu’il a été aimé de Dieu avec raison jusqu’à être préposé à son frère à cause des MÉRITES d’une vie précédente, bien entendu. Ainsi peut-on penser des créatures célestes, si nous remarquons que cette diversité n’est pas l’état initial de la créature, mais que, à la suite de causes antécédentes, le Créateur prépare à chacune une fonction et un service différents selon la dignité de son mérite : cela vient assu-rément du fait que chacun, parce qu’il a été créé par Dieu comme intelligence ou comme esprit raisonnable, s’est acquis plus ou moins de mérite par suite des mouvements de l’intelligence et des affections de l’entendement et s’est rendu ainsi pour Dieu aimable ou même haïssable. Cepen-dant quelques-uns de ceux qui ont le mieux mérité ont reçu pour l’ordonnance du monde la fonction de souffrir avec les autres et de prêter service aux êtres inférieurs, afin de participer ainsi à la patience du créateur, selon ces paroles de l’Apôtre : La création a été en effet soumise à la vanité, contre son gré, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espérance. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section
Puisqu’il n’est pas douteux qu’au jour du Jugement les bons seront séparés des mauvais et les justes des injustes et que chacun sera réparti selon son mérite par le juge-ment de Dieu dans les lieux dont il est digne – nous le montrerons dans la suite, si Dieu le veut -, je pense que quelque chose de semblable a déjà été fait. Il faut croire que Dieu opère et gouverne toujours toutes choses avec jugement. Ce qu’enseigne l’Apôtre en disant que : Dans une grande maison se trouvent non seulement des vases d’or et d’argent, mais aussi de bois et de terre, les uns pour un usage honorable, les autres pour un usage méprisable; et ce qu’il ajoute : Si quelqu’un s’est purifié il sera un vase sanctifié pour un usage honorable, utile au Seigneur et prêt à toute tâche bonne, montre sans aucun doute que celui qui s’est purifié dans cette vie sera préparé à toute oeuvre bonne dans la future, mais que celui qui ne s’est pas purifié sera, en proportion de son impureté, un vase destiné à un usage méprisable, c’est-à-dire un vase indigne. On peut donc comprendre que ces vases raisonnables aient été auparavant purifiés ou non purifiés, c’est-à-dire qu’ils se soient purifiés ou non purifiés eux-mêmes, et que pour cette raison chacun de ces vases ait obtenu, dans la mesure de sa pureté ou de son impureté, tel lieu, telle région, telle condition pour naître ou pour faire quelque chose dans ce monde. Le Dieu qui pourvoit à tout jusque dans le détail par la puissance de sa Sagesse, qui discerne tout quand il gouverne par son jugement, a disposé toutes choses suivant une rétribution très équitable, afin que chacun soit secouru et qu’il soit veillé sur lui selon son mérite. Là se manifeste assurément le point de vue de l’équité, car l’inégalité des conditions observe l’équité dans la rétribution des MÉRITES. Dieu seul avec la Parole, son Fils unique, qui est sa Sagesse, et le Saint Esprit, connaît de façon véritable et claire la mesure des MÉRITES pour chaque créature. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section
Il me paraît logique de rechercher pourquoi l’âme humaine est tantôt mue par les bons esprits, tantôt par les mauvais. Je soupçonne que les causes en sont antérieures à notre naissance corporelle, comme le montre Jean, s’agitant et exultant dans le sein de sa mère, lorsque la voix de la salutation de Marie parvint aux oreilles de sa mère Elisabeth, et comme le déclare le prophète Jérémie qui, avant d’être façonné dans le sein de sa mère, était connu de Dieu, avant de sortir de la matrice fut sanctifié par lui et reçut, encore enfant, la grâce de la prophétie. Et en revanche il est montré clairement que certains ont été possédés par des esprits ennemis dès leur premier âge, c’est-à-dire qu’ils sont nés ayant déjà leur démon ; d’autres ont été devins étant enfants, comme le garantit l’histoire, d’autres ont subi dès leur jeune âge l’action du démon nommé Python, c’est-à-dire ventriloque. A tout cela, ceux qui déclarent que la providence de Dieu régit tout ce qui est dans ce monde – c’est là aussi une affirmation de notre foi, à ce qu’il me semble – ne pourront répondre autre chose que ce qui suit, pour montrer la providence divine indemne de toute faute d’injustice : il faut dire qu’il y a eu certaines causes antécédentes qui, avant que les âmes ne naissent dans des corps, les ont rendues coupables dans leurs pensées et dans leurs mouvements, au point de mériter de souffrir cela au jugement de la providence divine. Car l’âme possède toujours son libre arbitre, qu’elle soit dans ce corps ou en dehors de ce corps ; le libre arbitre est attiré toujours soit au bien soit au mal, et jamais le sens de la raison, c’est-à-dire l’intelligence ou âme, ne peut rester sans mouvement, bon ou mauvais. Que ces mouvements soient causes de MÉRITES, c’est vraisemblable, même avant qu’ils n’agissent en ce monde ; ainsi, selon ces causes et ces MÉRITES, dès la naissance, bien mieux, pour ainsi parler, avant même la naissance, la divine providence a réglé que les hommes subiraient du bien ou du mal. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section
Nous avons déjà disserté plus haut, selon nos possibilités, de la fin et de la consommation du monde selon que le permet l’autorité des divines Écritures ; nous pensons que cela suffit à instruire, mais nous mentionnerons cependant quelques autres points, puisque la suite de l’argumentation nous ramène à ce sujet. Le bien suprême donc, vers lequel se hâte toute la nature raisonnable et qui est dit aussi la fin de toutes choses, a été exprimé pareillement par de très nombreux philosophes en ces termes : le bien suprême consiste à devenir semblable à Dieu dans la mesure du possible. Mais cela, je ne pense pas qu’ils l’aient trouvé eux-mêmes, ils l’ont emprunté aux livres divins. C’est en effet indiqué par Moïse avant tout autre quand il raconte la première création de l’homme : Dieu dit : Faisons l’homme à notre image et ressemblance. Ensuite il ajoute : Et Dieu fit l’homme, à l’image de Dieu il le fit, mâle et femelle il les fit, et il les bénit. Il dit alors : A l’image de Dieu il le fit, et il se tut sur la ressemblance : cela indique seulement que l’homme a reçu la dignité de l’image dans sa première création, mais que la perfection de la ressemblance lui est réservée pour la consommation. C’est dire qu’il devait se la procurer lui-même par l’effort de son activité propre en imitant Dieu : la possibilité de cette perfection qui lui était donnée dès le début par la dignité de l’image, il devait à la fin, en accomplissant les oeuvres, la réaliser lui-même en ressemblance parfaite. L’apôtre Jean certifie avec plus de clarté et d’évidence qu’il en est ainsi lorsqu’il dit : Mes petits enfants, nous ne savons pas encore ce que nous serons; quand cela nous sera révélé, nous serons semblables à lui : il parle là sans aucun doute du Sauveur. Par là il indique avec une grande certitude et la fin de toutes choses – il dit qu’il l’ignore encore – et la ressemblance de Dieu à espérer, celle qui sera donnée selon la perfection des MÉRITES. Le Seigneur lui-même dans l’Évangile la présente non seulement comme future, mais comme devant se produire par son intercession, puisqu’il daigne lui-même la demander à son Père pour ses disciples quand il dit : Père, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi, et : comme moi et toi nous sommes uns, ainsi qu’eux aussi soient un avec nous. Il semble par là que la ressemblance elle-même progressera, pour ainsi dire, et que de semblable on deviendra un, car sans aucun doute à la consommation ou fin Dieu est tout et en tous. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section
Puisque nous trouvons chez l’apôtre Paul une mention du corps spirituel, recherchons, comme nous le pouvons, ce qu’il faut penser à ce sujet. Autant que notre intelligence peut le comprendre, nous pensons que la qualité d’un corps spirituel doit permettre non seulement aux âmes saintes et parfaites de l’habiter, mais encore à toutes ces créatures qui seront libérées de la servitude de la corruption. De ce corps l’Apôtre dit aussi que nous avons une maison non faite de main d’homme, éternelle dans les deux, c’est-à-dire dans les demeures des bienheureux. De cela nous pouvons conjecturer la pureté, la subtilité et la gloire qui seront les qualités de ce corps, si nous le comparons à ceux qui maintenant, bien qu’ils soient des corps célestes et très resplendissants, sont cependant faits par la main et visibles. Au contraire il est dit de celui-là qu’il est une maison non faite de main d’homme, mais éternelle dans les deux. Puisque donc le visible est temporel, l’invisible éternel, tous ces corps que nous voyons soit sur terre soit dans les cieux, qui peuvent être vus, qui sont faits par la main et ne sont pas éternels, sont dépassés de très loin par celui-là qui n’est pas visible ni fait de main d’homme, mais est éternel. A partir de cette comparaison, on peut soupçonner la beauté, la splendeur et l’éclat du corps spirituel ; il est vrai, comme c’est écrit, que l’oeil n’a pas vu ni l’oreille entendu, qu’il n’est pas encore monté jusqu’au coeur de l’homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Il n’est pas douteux que la nature de ce corps qui est nôtre, par la volonté de Dieu qui l’a créée ainsi, pourra parvenir par l’action du Créateur à cette qualité de corps très subtil, très pur et très resplendissant, selon que l’état des choses l’exigera et que les MÉRITES de la nature raisonnable le demanderont. En fait, lorsque le monde a eu besoin de variété et de diversité, la matière s’est livrée en toute disponibilité dans les différents aspects et espèces des choses à celui qui l’a faite, puisqu’il est son seigneur et son créateur, pour qu’il puisse tirer d’elle les formes diverses des êtres célestes et terrestres. Mais lorsque tous les êtres commenceront à se hâter à devenir tous un comme le Père est un avec le Fils, il faut comprendre logiquement que là où tous seront un, il n’y aura plus de diversité. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section
C’est pourquoi en effet même le dernier ennemi appelé la mort sera détruit selon ce qui est dit, de sorte qu’il n’y aura plus rien de funeste puisque la mort ne sera plus, ni de différent puisqu’il n’y aura plus d’ennemi. Il faut comprendre cette destruction du dernier ennemi non en ce sens que sa substance faite par Dieu périra, mais en celui que son propos et sa volonté d’inimitié, qui proviennent non de Dieu mais de lui-même, disparaîtront. Il est donc détruit, non pour qu’il n’existe plus, mais pour qu’il ne soit plus ennemi et mort. Rien en effet n’est impossible au Tout-Puissant, rien n’est inguérissable pour son créateur : il a fait toutes choses pour qu’elles existent ; et tout ce qui a été fait pour exister ne peut pas cesser d’exister. C’est pourquoi si elles subissent des changements et des diversités, c’est pour qu’elles se trouvent dans un état meilleur ou pire conformément à leurs MÉRITES. Mais les êtres qui ont été faits par Dieu pour exister et durer ne peuvent recevoir une mort qui les atteigne dans leur substance. En effet, si l’opinion du vulgaire pense que des êtres ont péri, il ne s’ensuit pas que la règle de la foi et de la vérité accepte qu’ils aient péri. Enfin si notre chair périt après la mort, au jugement des ignorants et des incroyants, de telle sorte que rien ne reste absolument de sa substance selon ce qu’ils croient, nous, qui croyons à sa résurrection, nous comprenons seulement que la mort opère là un changement, mais nous sommes certains que sa substance subsiste et qu’à un certain moment, selon la volonté du créateur, elle sera de nouveau restaurée pour vivre et subira encore un changement : en effet, ce qui fut d’abord une chair terrestre venue de la terre, dissoute ensuite par la mort et de nouveau faite cendre et terre – car tu es terre, dit l’Écriture, et tu iras dans la terre – ressuscitera de la terre et après cela désormais, selon que le demandent les MÉRITES de l’âme qui l’habite, progressera jusqu’à la gloire du corps spirituel. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section
Il faut penser que toute notre substance corporelle que voici sera menée à cet état, lorsque tout sera restauré pour être un et lorsque Dieu sera tout en tous. Il ne faut pas comprendre que tout cela s’accomplira d’un seul coup, mais peu à peu et par parties, à travers une succession de siècles sans fin et sans mesure, lorsque insensiblement et point par point l’amendement et la correction seront accomplis : les uns viendront en tête et tendront vers la perfection dans une course plus rapide, d’autres les suivront à une courte distance, d’autres enfin seront beaucoup plus loin ; ainsi à travers quantité de degrés innombrables constitués par ceux qui progressent et se réconcilient avec Dieu, d’ennemis qu’ils étaient auparavant, on parvient au dernier ennemi appelé mort et à sa destruction, pour qu’il ne soit plus ennemi. Lorsque toutes les âmes raisonnables auront été rétablies en cet état, alors la nature de notre corps que voici sera elle aussi menée à la gloire du corps spirituel. De même que, selon ce que nous voyons, parmi les natures raisonnables, celles qui ont vécu de façon indigne à cause de leurs péchés ne sont pas différentes de celles qui ont été invitées à la béatitude à cause de leurs MÉRITES, mais nous voyons les âmes qui étaient auparavant pécheresses, à la suite de leur conversion et de leur réconciliation avec Dieu, appelées de nouveau à la béatitude, de même faut-il penser au sujet de la nature du corps : le corps dont nous nous servons maintenant avec sa grossièreté, sa corruption et son infirmité n’est pas autre que celui dont nous nous servirons alors dans l’incorruption, la force et la gloire, mais ce sera le même qui aura rejeté les infirmités dont il souffre maintenant et se sera changé en gloire, devenu spirituel, de sorte que ce qui avait été un vase d’indignité deviendra par sa purification un vase d’honneur et une demeure de béatitude. Il faut croire qu’il subsistera toujours et immuablement dans cet état par la volonté du créateur ; nous en voyons la garantie dans cette phrase de l’apôtre Paul : Nous avons une maison non faite de main d’homme, éternelle dans les deux. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section
Tout ce raisonnement suppose que Dieu a créé deux natures générales : une nature visible, c’est-à-dire corporelle, et une nature invisible qui est incorporelle. Mais ces deux natures reçoivent des mutations diverses. L’invisible, qui est raisonnable, change de mentalité et de propos par le fait qu’elle est douée de libre arbitre ; à cause de cela elle se trouve tantôt dans le bien tantôt dans son contraire. Mais la nature corporelle reçoit une mutation dans sa substance : c’est pourquoi, quelle que soit la chose dans laquelle veuille la façonner, la travailler ou la remanier l’artisan de toutes choses, Dieu, la matière lui est disponible en tout, il peut donc la transmuer et la transformer en n’importe quelle forme ou apparence, selon ce que demandent les MÉRITES des choses. Cela est exprimé clairement par le prophète : Dieu, dit-il, qui a fait toutes choses et les transforme. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section
Si quelqu’un disait que, par l’intermédiaire de ceux qui participent à la Parole de Dieu, ou à sa Sagesse, sa Vérité et sa Vie, la Parole et la Sagesse mêmes paraissent être dans un lieu, il faut répondre que sans aucun doute le Christ, en tant que Parole, Sagesse et les autres dénominations, se trouvait dans Paul, et c’est pourquoi ce dernier disait : Ou bien cherchez-vous une preuve de celui qui parle en moi, le Christ ? et de même : Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. Mais alors, lorsqu’il était en Paul, peut-on douter qu’il se trouvait pareillement en Pierre, en Jean et dans chacun des saints, et pas seulement dans ceux qui sont sur terre, mais aussi dans ceux qui sont dans les cieux ? Il est absurde en effet de dire que le Christ était en Pierre et en Paul, mais non dans l’archange Michel ou dans Gabriel. On saisit là clairement que la divinité du Fils n’était pas enfermée dans un lieu, autrement il aurait été seulement en celui-ci et non en un autre ; mais, puisqu’il n’est pas enfermé dans un lieu selon la majesté de la nature incorporelle, il faut comprendre qu’il ne manque aussi à aucun. La seule différence qu’il faille remarquer est que, bien qu’il soit en des êtres divers, en Pierre ou Paul ou Michel ou Gabriel comme nous l’avons dit, il n’est pas de la même façon en tous. Il se trouve plus pleinement, plus glorieusement, et pour ainsi dire plus ouvertement dans les archanges que dans les autres hommes saints. Cela est clair, puisque, lorsque tous les saints seront arrivés au sommet de la perfection, on dit qu’ils seront faits semblables aux anges et égaux à eux, selon la parole évangélique. C’est pourquoi il est clair que le Christ est formé en chacun selon que le permet la mesure de ses MÉRITES. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section
Toute créature donc est distinguée auprès de Dieu comme comprise dans un nombre ou mesure déterminés, c’est-à-dire le nombre pour les êtres raisonnables, la mesure pour la matière corporelle ; il était nécessaire que la nature intellectuelle se servît de corps, car on la conçoit comme muable et convertible par le fait même de sa création – ce qui en effet n’était pas et a commencé à être, par ce fait même est manifesté comme ayant une nature muable et c’est pourquoi sa vertu et sa malice ne sont pas substantielles, mais accidentelles – ; à cause de cette mutabilité et convertibilité de la nature raisonnable déjà mentionnée, elle devait se servir selon ses MÉRITES d’un vêtement corporel de nature diverse, ayant telle ou telle qualité. Pour toutes ces raisons, nécessairement, Dieu, qui connaissait d’avance les variations futures des âmes ou des puissances spirituelles, a créé la nature corporelle capable de se transformer selon la volonté du créateur, par les mutations de ses qualités, en tous les états que demanderait la situation. Il faut qu’elle subsiste tout le temps que subsistent les êtres qui ont besoin d’elle comme vêtement. Or il y aura toujours des natures raisonnables qui auront besoin de vêtement corporel : par conséquent il y aura toujours une nature corporelle dont les créatures raisonnables devront se servir comme vêtement ; à moins que l’on puisse montrer avec preuves que la nature raisonnable puisse vivre sans aucun corps. Nous avons montré plus haut, en le discutant en détail, combien cela est difficile et presque impossible à notre intelligence. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section