Si certains jugent que l’intelligence ou l’âme elle-même est un corps, qu’ils me disent comment elle reçoit les notions et les affirmations de tant de choses si difficiles et si subtiles. D’où lui vient la faculté de la MÉMOIRE ? D’où lui vient la considération des réalités invisibles ? D’où, certes, la compréhension des choses incorporelles peut-elle se trouver dans un corps ? Comment une nature corporelle examinerait-elle les doctrines des différents arts, les théories et les raisons des êtres ? D’où lui vient de penser et de comprendre les vérités divines qui sont manifestement incorporelles ? A moins de penser ce qui suit : la forme de ce corps et la constitution des oreilles et des yeux ont quelque rapport avec l’audition et la vision, et chaque membre façonné par Dieu rend possible d’une certaine façon, par la qualité même de sa forme, la fonction à laquelle il est naturellement destiné : de même, il faudrait croire que l’âme ou l’intelligence a été formée d’une manière adaptée et appropriée à son activité, qui est de penser et de comprendre chaque chose et d’être mue par les mouvements de la vie. Mais je ne vois pas comment on pourrait attribuer une couleur à l’intelligence et la décrire en tant qu’elle est l’intelligence et qu’elle se meut sur le plan intellectuel. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section
Pour montrer cette dégradation et cette chute causées par la négligence, nous pouvons sans absurdité utiliser une comparaison. Supposons que quelqu’un ait acquis peu à peu une compétence ou un art, comme la géométrie ou la médecine, jusqu’à parvenir à la perfection, en se formant longtemps par l’enseignement reçu et par des exercices, pour posséder entièrement la discipline susdite : il ne pourra jamais lui arriver d’être savant au moment de s’endormir et ignorant à son réveil. Ce n’est pas le moment d’évoquer ou de rappeler les accidents qui peuvent survenir par suite d’une lésion ou de faiblesse physique, car ils ne conviennent pas à la comparaison ou à l’exemple pris. Conformément à ce que nous avons proposé, ce géomètre ou ce médecin, tant qu’il pratique son art et s’instruit raisonnablement à son sujet, garde en lui la connaissance de sa discipline ; mais s’il ne l’exerce pas et s’il néglige de l’appliquer, il ne se souvient plus de quelques éléments, puis d’autres plus nombreux, et ainsi, après un long temps, tout s’en va dans l’oubli et disparaît complètement de sa MÉMOIRE. Il peut, certes, se faire, lorsque la déchéance commence et que la négligence est encore faible, qu’il se reprenne, revienne vite en lui-même, récupère ce qu’il a perdu et rappelle ce qu’il s’était ôté par des oublis encore restreints. Appliquons maintenant cela à ceux qui se sont adonnés à la connaissance et à la sagesse de Dieu, dont la science et la pratique dépassent incomparablement toutes les autres disciplines, et, conformément à la comparaison proposée, voyons ce qu’est l’acquisition de cette connaissance et ce qu’est sa perte, surtout lorsque nous entendons ce que l’Apôtre dit des parfaits, que face à face ils contempleront la gloire de Dieu, les mystères ayant été dévoilés. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section
Il faut voir maintenant selon les Écritures comment les puissances contraires et le diable lui-même combattent le genre humain, le provoquant et l’incitant au péché. D’abord le Livre de la Genèse rapporte que le serpent séduisit Eve ; dans l’Ascension de Moïse, livre que mentionne dans son épître l’apôtre Jude, l’archange Michel se disputant avec le diable au sujet du corps de Moïse dit que ce serpent, inspiré par le diable, fut cause de la prévarication d’Adam et d’Eve. Mais certains se demandent aussi quel est l’ange qui du ciel parle à Abraham en ces termes : Maintenant je sais que tu crains Dieu et que tu n’as pas épargné ton fils bien-aimé, que tu aimais, à cause de moi. Il est écrit clairement qu’il s’agit d’un ange, qui dit savoir alors qu’Abraham craignait Dieu et n’avait pas épargné son fils bien-aimé, comme l’Écriture le dit, mais il n’a pas déclaré (qu’Abraham avait fait cela) pour Dieu, mais pour lui, c’est-à-dire pour celui qui parlait ainsi. Il faut se demander aussi de qui parle l’Exode quand il est dit que ce personnage voulut tuer Moïse parce qu’il partait pour l’Egypte. Mais ensuite quel est l’ange dit exterminateur et celui qui est appelé dans le Lévitique apopompaeus, c’est-à-dire celui qui emporte, et dont l’Écriture dit : Un sort pour le Seigneur et un sort pour l’apopompaeus – c’est-à-dire pour celui qui emporte. Mais dans le premier Livre des Rois il est écrit qu’un esprit très mauvais suffoquait Saul. Dans le troisième Livre des Bois, le prophète Michée dit : J’ai vu le Dieu d’Israël siégeant sur son trône et toute la milice du ciel se tenait autour de lui à sa droite et à sa gauche. Et le Seigneur dit: Qui trompera Achab, roi d’Israël, pour qu’il monte et tombe à Ramot de Galaad. Et celui-ci parla ainsi et celui-là parla ainsi. Mais un esprit sortit (de la foule), se tint devant le Seigneur et dit: Je le tromperai. Et le Seigneur lui dit: Comment ? Il répondit: J’irai et je serai un esprit menteur dans la bouche de tous ses prophètes. Le Seigneur lui dit: Tu le tromperas, certainement tu le pourras ; va donc et agis ainsi. Et maintenant le Seigneur a mis un esprit menteur dans la bouche de tous tes prophètes ; et le Seigneur a appelé sur toi le mal. Cela montre clairement qu’un esprit a choisi avec toute sa volonté et son propos de tromper et d’opérer le mensonge, et que Dieu s’est servi de cet esprit pour la mort d’Achab qui méritait de souffrir tout cela. Dans le premier Livre des Paralipomènes : Le diable suscita un Satan en Israël et il poussa David à recenser le peuple. D’après les Psaumes, un ange malin écrase certaines personnes. Dans l’Ecclésiaste, Salomon dit : Si l’esprit de celui qui a le pouvoir monte sur toi, ne quitte pas ta place, parce que la guérison arrêtera des péchés nombreux. Nous lisons dans Zacharie que le diable se tenait à la droite de Jésus et lui résistait. Isaïe dit que le glaive de Dieu se lève sur le dragon, le serpent pervers. Que dirai-je d’Ézéchiel prophétisant très clairement dans sa seconde vision au prince de Tyr au sujet d’une puissance contraire, lui qui dit aussi que le dragon habite dans les fleuves d’Egypte ? Tout le livre qui parle de Job parle-t-il d’autre chose que du diable, demandant que lui soit donné pouvoir sur tout ce que possède Job, y compris ses fils, et même sur son corps. Et cependant, il est vaincu par la patience de Job. Dans ce livre, le Seigneur par ses réponses nous a instruits abondamment sur la puissance de ce dragon qui nous est hostile. Voici les textes de l’Ancien Testament qui ont pu pour le moment se présenter à notre MÉMOIRE : ils affirment que des puissances contraires sont mentionnées dans les Écritures, s’opposent au genre humain et seront finalement punies. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section
Les pensées qui viennent de notre coeur – la MÉMOIRE des actes passés ou la réflexion sur quelque chose ou cause que ce soit -, nous constatons que tantôt elles viennent de nous-mêmes, tantôt elles sont soulevées par les puissances adverses, parfois aussi elles sont mises en nous par Dieu et les saints anges. Mais tout cela paraîtra peut-être fabuleux, si ce n’est pas prouvé par des témoignages venant de la divine Écriture. Les pensées qui naissent de nous-mêmes, David les atteste quand il dit dans les Psaumes: La pensée de l’homme te louera et le reste de ses pensées célébrera pour toi un jour de fête. Celles qui viennent habituellement des puissances contraires, Salomon dans l’Ecclésiaste en témoigne ainsi : Si l’esprit de celui qui a le pouvoir monte sur toi, ne quitte pas ta place, parce que la guérison arrêtera des péchés nombreux. Et l’apôtre Paul lui aussi en donne témoignage en ces termes : Détruisant les pensées et tout orgueil qui se dresse contre la connaissance du Christ. Que cela vienne aussi de Dieu, David l’atteste pareillement dans les Psaumes : Bienheureux l’homme que tu t’attaches, Seigneur, il a des élévations dans son coeur. Et l’Apôtre dit que Dieu a mis dans le coeur de Tite. Que certaines pensées peuvent être suggérées aux coeurs des hommes par des anges, bons ou mauvais, cela est indiqué par l’ange qui accompagne Tobie et par ces paroles du prophète : Et l’ange qui parlait en moi répondit. Le livre du Pasteur affirme de même que deux anges accompagnent chaque homme : lorsque de bonnes pensées montent dans notre coeur, elles sont suggérées selon lui par le bon ange, et si ce sont des pensées contraires, elles sont soulevées par l’ange mauvais. Barnabé enseigne la même doctrine dans son épître lorsqu’il parle de deux voies, celle de la lumière et celle des ténèbres, auxquelles certains anges sont préposés : à la voie de la lumière des anges de Dieu, à la voie des ténèbres des anges de Satan. Mais il ne faut pas penser que ce qu’ils suggèrent à nos coeurs, qu’il s’agisse des bonnes ou des mauvaises pensées, produise autre chose qu’un mouvement ou un stimulant qui nous pousse au bien ou au mal. Nous avons la possibilité, lorsqu’une puissance maligne s’est mise à nous provoquer au mal, de rejeter loin de nous ces suggestions mauvaises, de résister à leurs persuasions perverses et de ne faire absolument rien de coupable ; et en revanche aussi celle de ne pas suivre la puissance divine qui nous invite à agir mieux, car le pouvoir du libre arbitre reste sauf dans l’un et l’autre cas. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section
Nous disions plus haut que soit la providence divine soit les puissances contraires peuvent aussi éveiller en nous des souvenirs concernant le bien ou le mal. Cela est montré par le Livre d’Esther : Artaxerxès ne se rappelait pas les bonnes actions du très juste Mardochée, mais alors qu’il était harcelé par des insomnies nocturnes, Dieu mit en sa MÉMOIRE l’inspiration de réclamer les livres contenant le récit de ses chroniques : mis alors au courant des services rendus par Mardochée il fît pendre son ennemi Aman, lui fit rendre des honneurs magnifiques et sauva toute la nation sainte menacée par un péril imminent. C’est au contraire la puissance du diable, il faut le penser, qui remit en MÉMOIRE aux pontifes et aux scribes ce qu’ils allèrent dire à Pilate : Seigneur, nous nous sommes souvenus de ce que ce séducteur a dit quand il était encore vivant: le troisième jour après je ressusciterai. Lorsque Judas eut l’idée de livrer le Sauveur, elle ne venait pas seulement de son intelligence mauvaise : l’Écriture atteste en effet que le diable avait mis dans son coeur le désir de le livrer. C’est pourquoi Salomon a donné un bon précepte lorsqu’il a dit : Garde ton coeur de toute manière. De même l’apôtre Paul en disant : Nous devons accorder une plus grande attention à ce que nous entendons pour ne pas nous égarer, et : Ne donnez pas de place au diable: il montre par là que certaines actions et une certaine négligence spirituelle donnent de la place au diable qui, une fois entré dans notre coeur, nous possède, ou du moins souille notre âme s’il ne peut la posséder complètement, en lançant en nous ses traits enflammés ; par là, tantôt il nous blesse, d’une blessure qui descend dans nos profondeurs, tantôt seulement il nous enflamme. Il arrive rarement que quelques-uns, peu nombreux, réussissent à éteindre ses traits enflammés, de sorte que l’on ne trouve plus trace de la blessure, et cela se produit lorsqu’on est protégé, comme par une fortification très solide, par le bouclier de la foi. Cela est dit réellement dans l’Épître aux Ephésiens: Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres, les esprits de malice qui sont dans les deux. Il faudra comprendre de la sorte le mot nous, c’est-à-dire moi, Paul, et vous, Ephésiens, et tous ceux qui n’ont pas à lutter contre la chair et le sang : ce sont eux en effet qui ont à lutter contre les principautés et puissances, les chefs de ce monde de ténèbres. Il n’en était pas de même à Corinthe où l’on avait à lutter contre la chair et le sang : les Corinthiens n’étaient pas sujets à la tentation, si ce n’est à une tentation humaine. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section
Il est montré clairement et par de multiples indices que l’âme humaine, tant qu’elle se trouve dans le corps, peut être sujette à diverses actions ou opérations d’esprits divers, mauvais ou bons. Et les mauvais agissent de deux façons : ou bien en possédant complètement et entièrement l’intelligence, au point de ne pas laisser ceux qu’ils obsèdent comprendre ou penser quoi que ce soit, comme c’est le cas de ceux qu’on appelle vulgairement énergumènes et que nous voyons dans un état de démence et de folie, pareils à ceux qui d’après l’Évangile furent guéris par le Sauveur ; ou bien en dépravant par des suggestions hostiles, à l’aide d’idées diverses et de persuasions funestes, une intelligence qui pense et qui comprend, comme ce fut le cas de Judas, poussé au crime de trahison par l’action du diable, selon le témoignage de l’Écriture : Alors que le diable avait déjà mis dans le coeur de Judas l’Iscariote l’intention de le livrer. On reçoit l’action ou l’opération du bon esprit lorsqu’on est mû et poussé au bien et lorsque l’inspiration porte sur les réalités célestes et divines : comme les saints anges, Dieu lui-même a agi dans les prophètes, les invitant et les exhortant à progresser par de saintes suggestions, mais en laissant, certes, à l’homme la liberté de juger s’il consent ou non à suivre l’invitation qui l’attire vers les réalités célestes et divines. C’est pourquoi il est possible de distinguer clairement quand l’âme est mue par la présence d’un esprit meilleur : c’est le cas lorsque l’inspiration qui la presse ne lui fait subir absolument aucun trouble ni aliénation de l’intelligence et qu’elle ne perd pas le jugement de son libre arbitre ; tels étaient tous les prophètes et les apôtres qui collaboraient aux oracles divins sans aucun trouble de l’intelligence. Nous avons déjà enseigné plus haut par des exemples comment la MÉMOIRE de l’homme peut être invitée par les suggestions du bon esprit à se souvenir des biens meilleurs, quand nous avons mentionné Mardochée et Artaxerxès. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section