Jérémie

Nous pensons qu’ils peuvent être considérés comme des êtres animés par le fait qu’ils reçoivent, selon l’Écriture, des commandements de Dieu, ce qui ne peut se faire qu’avec des vivants raisonnables. Il leur donne en effet un commandement : Moi, j’ai commandé à toutes les étoiles. Quels sont ces préceptes ? Evidemment celui que chaque astre, suivant son ordre et son cours, fournisse au monde la quantité de lumière qui lui est accordée. Les astres qu’on appellent planètes se meuvent suivant un certain ordre, ceux que l’on nomme fixes suivant un autre. Ceci montre avec beaucoup de clarté qu’aucun corps ne peut se mouvoir sans âme et que les êtres animés ne peuvent jamais être sans mouvement. Mais les étoiles qui se meuvent avec tant d’ordre et de raison qu’on ne voit absolument pas ce qui pourrait jamais faire obstacle à leur course, comment ne serait-il pas de la dernière sottise de dire qu’un tel ordre, qu’une telle observation de la discipline et de la raison, seraient exécutés et accomplis par des êtres irrationnels ? Chez JÉRÉMIE assurément, la lune est appelée la reine du ciel. Si les étoiles sont animées et raisonnables, sans aucun doute il semblera qu’il y ait aussi chez elles des progrès ou des décadences. Ce que dit Job : Les étoiles ne sont pas pures à sa vue, me semble indiquer une signification de ce genre. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section

Il leur reste encore cette phrase que prononce le Seigneur dans les Évangiles et qu’ils pensent leur avoir été donnée en propre comme un bouclier pour les défendre : Personne n’est bon si ce n’est Dieu le Père. Ils disent qu’il y a là le vocable propre au Père du Christ, différent du Dieu créateur de l’univers, qu’on n’a jamais appelé bon. Voyons donc si dans l’Ancien Testament le Dieu des prophètes, le créateur du monde, le législateur, n’est pas nommé bon. Que disent les psaumes ? Qu’il est bon, le Dieu d’Israël, pour les coeurs droits ! Et : Qu’Israël dise maintenant qu’il est bon, que sa miséricorde dure des siècles. Dans les Lamentations de JÉRÉMIE il est écrit : Bon est le Seigneur pour qui le garde, pour l’âme qui le cherche. De même que Dieu est fréquemment appelé bon dans l’Ancien Testament, de même dans les Évangiles le Père de notre Seigneur Jésus-Christ est aussi nommé juste. En effet, dans l’Évangile selon Jean, notre Seigneur lui-même prie le Père en ces termes : Père juste, le monde lui-même ne t’a pas connu. Et s’ils disent qu’il appelait Père le créateur du monde à cause de son incarnation et que c’est lui qu’il nommait juste, cette affirmation est exclue par ce qui suit : le monde lui-même ne t’a pas connu. Car selon eux c’est le Dieu bon seul que le monde ignore; car il reconnaît avec pleine vérité son créateur, selon ces paroles du Seigneur lui-même : Le monde aime ce qui est sien. Il est donc manifeste que celui qu’ils croient le Dieu bon est appelé juste dans les Évangiles. Quand on en aura le loisir on pourra rassembler plusieurs témoignages, montrant que dans le Nouveau Testament le Père de notre Seigneur Jésus-Christ est nommé juste et que dans l’Ancien Testament le créateur du ciel et de la terre est dit bon, pour convaincre et confondre une bonne fois les hérétiques par leur nombre. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section

6, 7. Je pense, certes, que c’est en comprenant quelle est dans le Christ la nature de la Sagesse de Dieu et quelle est aussi celle qu’il avait assumée pour le salut du monde que le prophète JÉRÉMIE a écrit : L’esprit (le souffle) de notre face, le Christ Seigneur, dont nous avons dit : à son ombre nous vivrons parmi les nations. L’ombre de notre corps est inséparable de notre corps, elle reçoit et reproduit sans déviation les mouvements et les gestes du corps : c’est pourquoi, je pense, pour désigner ainsi les actions et mouvements de cette âme qui adhérait au Christ sans séparation possible et faisait tout en suivant son impulsion et sa volonté, le prophète l’a appelée ombre du Christ Seigneur sous laquelle nous avons à vivre parmi les nations. Car dans le mystère de son assomption vivent les nations, quand, imitant cette âme, elles parviennent par la foi au salut. En disant : Souviens-toi de mon opprobre, Seigneur, de l’opprobre qu’ils m’ont fait à la place de ton Christ, David me semble exprimer la même chose. Paul pense-t-il différemment lorsqu’il dit : Noire vie est cachée avec le Christ en Dieu! Et ailleurs : Cherchez-vous une preuve de celui qui parle en moi, le Christ! Et maintenant il dit que le Christ est caché en Dieu. Si le sens de cela n’indique pas autre chose que ce qui est signifié chez le prophète par l’ombre du Christ, comme nous l’avons dit plus haut, il dépasse peut-être la compréhension de l’intelligence humaine. Mais on trouve dans les Écritures divines bien d’autres textes significatifs à propos de l’ombre, comme ce que dit Gabriel à Marie dans l’Évangile selon Luc : L’Esprit du Seigneur viendra sur toi et la Puissance du Très-Haut t’ombragera. L’apôtre dit que ceux qui ont la circoncision charnelle servent selon la ressemblance et l’ombre des réalités célestes. Et ailleurs il est dit : Notre vie sur terre n’est-elle pas une ombre! Si donc la loi donnée sur terre est ombre, si toute notre vie qui se passe sur terre est ombre, et si nous vivrons parmi les nations à l’ombre du Christ, il faut voir si la vérité de toutes ces ombres ne sera pas connue dans la grande révélation, lorsque tous les saints mériteront de contempler la gloire de Dieu, les causes et la vérité des choses, non plus à travers un miroir, en énigme, mais face à face. Ayant déjà reçu par l’Esprit Saint un gage de cette vérité, l’Apôtre disait : Même si nous avons jamais connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi. Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section

Mais le sens même du mot âme, tel qu’il est en grec (psyché) a paru à certains de ceux qui cherchent avec plus de soin, suggérer une signification qui n’est pas sans intérêt. Car la parole divine dit que Dieu est feu : Notre Dieu est un feu qui consume. Et de la substance des anges elle affirme : Celui qui a fait de ses anges des esprits (souffles) et de ses ministres un feu qui brûle. Et ailleurs : L’Ange du Seigneur apparut en flamme de feu dans le buisson. Bien plus, nous avons reçu le commandement d’être brûlants par l’esprit : par là sans aucun doute il est montré que la Parole de Dieu est enflammée et chaude. Mais le prophète JÉRÉMIE entendait de celui qui lui répondait : Voici que j’ai mis mes paroles dans ta bouche comme du feu. De même que Dieu est feu, que les anges sont la flamme du feu et que les saints brûlent par l’esprit, de même au contraire ceux qui sont tombés de l’amour de Dieu se sont refroidis dans leur charité pour lui et on dit qu’ils sont devenus froids. En effet le Seigneur dit : Par suite de la multiplication de l’iniquité, la charité de beaucoup se refroidira. Et tout ce qui, de quelque manière, symbolise dans les Écritures saintes la puissance adverse est toujours froid, comme on peut le remarquer. En effet le diable est appelé le serpent et le dragon : que peut-on trouver de plus froid ? Le dragon est représenté régnant dans les eaux, et ceci revient aussi à propos d’un des esprits malins que le prophète montre dans la mer. En un autre endroit le prophète dit : Je lancerai l’épée sainte sur le dragon, le serpent qui fuit, sur le dragon, le serpent pervers, et l’épée le tuera. Et ailleurs : Même s’ils s’éloignaient de mes yeux et descendaient dans les profondeurs de la mer, je commanderai au dragon et il les mordra. Dans Job, le dragon est dit le roi de tous ceux qui sont dans les eaux. Le prophète annonce que de Borée viendront des maux sur tous ceux qui habitent la terre. Or Borée désigne dans les Écritures le vent froid, comme l’écrit la Sagesse: Borée est le vent froid. Cela, sans aucun doute, il faut l’entendre du diable. Si donc les réalités saintes sont appelées feu, lumière, et sont dites brûlantes, si les réalités contraires sont froides et si la charité se refroidit, selon l’Écriture, dans les pécheurs, on peut se demander si peut-être le mot âme, qui se dit en grec psyché, ne viendrait pas au figuré de ce refroidissement à partir d’un état plus divin et meilleur, c’est-à-dire que l’âme se serait refroidie de sa chaleur naturelle et divine pour recevoir l’état et la dénomination qu’elle a actuellement. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section

De cela on trouve aussi des images dans les Écritures saintes. Ainsi, dans le Deutéronome la parole divine menace les pécheurs de les punir par des fièvres, le froid, la jaunisse et de les torturer par des infirmités oculaires, l’aliénation mentale, la paraplégie, la cécité, les affections rénales. Si quelqu’un collectionne à loisir, à travers toute l’Écriture, toutes les mentions qui sont faites des maux dont les pécheurs sont menacés sous des appellations de maladies corporelles, il trouvera indiqués par là, de façon figurée, les vices et les supplices des âmes. Pour nous faire com-prendre que Dieu agit envers ceux qui sont tombés et ont péché de la même façon que les médecins appliquent des remèdes aux malades pour leur rendre la santé par leurs soins, on peut invoquer, d’après le prophète JÉRÉMIE, l’ordre d’abreuver toutes les nations du calice de la fureur de Dieu, pour qu’elles en boivent, qu’elles en deviennent folles et qu’elles le vomissent. Et le prophète les menace en disant que celui qui ne voudra pas en boire ne sera pas purifié. Il faut donc comprendre que la fureur de la vengeance divine sert à la purification des âmes. Isaïe enseigne aussi que le châtiment infligé par le feu est à comprendre comme appliqué en tant que remède, lorsqu’il dit d’Israël : Le Seigneur lavera les souillures des fils et des filles de Sion, il nettoiera le sang qui est au milieu d’eux avec un esprit (souffle) de jugement et avec un esprit (souffle) de combustion. Il parle ainsi des Chaldéens : Tu as des charbons de feu, assieds-toi sur eux, ils te seront en aide. Et ailleurs : Le Seigneur les sanctifiera dans le feu ardent. Le prophète Malachie dit ce qui suit : De son trône le Seigneur fera fondre son peuple comme l’or et l’argent, il fera fondre, il purifiera et, une fois purifiés il affinera les fils de Juda. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Seconde section

Mais puisque de tels récits semblent difficilement croyables et paraissent forcés, voyons, à partir des paroles prophétiques, ce que disent ceux qui ont expérimenté la grande bonté de Dieu, ayant certes mené une bonne vie, mais ensuite ayant péché : Pourquoi nous as-tu égarés, Seigneur, loin de ta voie ? Pourquoi as-tu endurci notre coeur pour l’empêcher de craindre ton nom ? Tourne-toi (vers nous) à cause de tes serviteurs, à cause des tribus qui sont ton héritage, afin que nous héritions un peu de ta montagne sainte. Et dans JÉRÉMIE : Tu m’as trompé, Seigneur, et j’ai été trompé ; tu as prévalu et tu l’as emporté. Mais ces paroles : Pourquoi as-tu endurci notre coeur pour l’empêcher de craindre ton nom, dites par ceux qui implorent la pitié, signifient, si on les comprend de la manière dont elles sont dites : Pourquoi nous as-tu tellement épargnés sans nous visiter pour nos péchés, mais en nous abandonnant jusqu’à ce que nos fautes se soient entassées ? Dieu laisse donc la plupart sans les châtier, afin que les moeurs de chacun soient examinées à partir de leur libre arbitre, que les meilleurs soient révélés à la suite des épreuves subies, que les autres qui ne sont pas cachés aux yeux de Dieu – car il sait tout avant que cela ne se produise -, mais à ceux des êtres raisonnables et à leurs propres yeux, trouveront plus tard la voie de la guérison, car ils n’auraient pas pris conscience du bienfait (divin) s’ils ne s’étaient pas condamnés eux-mêmes : (ce délai) est utile à chacun pour lui faire prendre conscience de ce qu’il est lui-même et de la grâce qui vient de Dieu. Celui qui n’a pas pris conscience de sa propre faiblesse et de la grâce divine, si on le secourt avant qu’il n’ait fait l’expérience de lui-même et qu’il ne se soit condamné lui-même, pensera que le secours qui lui vient de la grâce céleste est sa propre oeuvre. Et ceci, engendrant la présomption et l’orgueil, sera la cause de sa chute ; à notre avis c’est ce qui est arrivé au diable, qui s’est attribué à lui-même les avantages qu’il possédait quand il était irréprochable : Quiconque s’élève sera abaissé et quiconque s’abaisse sera élevé. Remarquons qu’à cause de cela les réalités divines sont cachées aux sages et aux intelligents, afin que, dit l’Apôtre, aucune chair ne s’enorgueillisse devant Dieu. Et elles sont révélées aux petits, ceux qui après la petite enfance sont parvenus aux réalités supérieures et qui se rappellent que ce n’est pas tant par leurs propres efforts que par un bienfait indicible de Dieu qu’ils ont atteint un tel niveau de béatitude. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Il me paraît logique de rechercher pourquoi l’âme humaine est tantôt mue par les bons esprits, tantôt par les mauvais. Je soupçonne que les causes en sont antérieures à notre naissance corporelle, comme le montre Jean, s’agitant et exultant dans le sein de sa mère, lorsque la voix de la salutation de Marie parvint aux oreilles de sa mère Elisabeth, et comme le déclare le prophète JÉRÉMIE qui, avant d’être façonné dans le sein de sa mère, était connu de Dieu, avant de sortir de la matrice fut sanctifié par lui et reçut, encore enfant, la grâce de la prophétie. Et en revanche il est montré clairement que certains ont été possédés par des esprits ennemis dès leur premier âge, c’est-à-dire qu’ils sont nés ayant déjà leur démon ; d’autres ont été devins étant enfants, comme le garantit l’histoire, d’autres ont subi dès leur jeune âge l’action du démon nommé Python, c’est-à-dire ventriloque. A tout cela, ceux qui déclarent que la providence de Dieu régit tout ce qui est dans ce monde – c’est là aussi une affirmation de notre foi, à ce qu’il me semble – ne pourront répondre autre chose que ce qui suit, pour montrer la providence divine indemne de toute faute d’injustice : il faut dire qu’il y a eu certaines causes antécédentes qui, avant que les âmes ne naissent dans des corps, les ont rendues coupables dans leurs pensées et dans leurs mouvements, au point de mériter de souffrir cela au jugement de la providence divine. Car l’âme possède toujours son libre arbitre, qu’elle soit dans ce corps ou en dehors de ce corps ; le libre arbitre est attiré toujours soit au bien soit au mal, et jamais le sens de la raison, c’est-à-dire l’intelligence ou âme, ne peut rester sans mouvement, bon ou mauvais. Que ces mouvements soient causes de mérites, c’est vraisemblable, même avant qu’ils n’agissent en ce monde ; ainsi, selon ces causes et ces mérites, dès la naissance, bien mieux, pour ainsi parler, avant même la naissance, la divine providence a réglé que les hommes subiraient du bien ou du mal. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

Discutons d’abord l’opinion, habituelle chez certains, qu’il y a en nous une âme bonne et céleste et une autre plus basse et terrestre, et que la meilleure est mise en nous venant du ciel, comme celle qui donna à Jacob luttant contre Ésaü encore dans le sein maternel la palme de la victoire sur son frère qu’il supplantait ainsi, comme celle qui dans JÉRÉMIE fut sanctifiée dès la matrice, et celle qui fut remplie de l’Esprit Saint dans Jean dès le sein de sa mère. L’âme qu’ils appellent inférieure, ils affirment qu’elle a été semée avec le corps à partir de la semence corporelle et ils nient en conséquence qu’elle puisse vivre et subsister sans le corps : c’est pourquoi fréquemment ils l’appellent la chair. Cette phrase de l’Écriture : La chair convoite contre l’esprit, ils ne l’entendent pas de la chair proprement dite, mais de l’âme qui est à proprement parler l’âme de la chair. Mais ils essaient cependant de confirmer cela par ce passage du Lévitique: L’âme de toute chair c’est le sang. Puisque c’est le sang répandu dans toute la chair qui lui fournit la vie, ils disent que cette âme, qui est appelée l’âme de toute chair, se trouve dans le sang. Par eux ces paroles : La chair combat contre l’esprit et l’esprit contre la chair, et : L’âme de toute chair c’est son sang, désignent en d’autres termes la sagesse de la chair, une sorte d’esprit matériel, qui n’est pas soumis à la loi de Dieu et ne peut lui être soumis, parce qu’il possède des volontés terrestres et des désirs corporels. Ils pensent que l’Apôtre a parlé de cela dans ces termes : Je vois une autre loi dans mes membres, qui combat la loi de mon intelligence et me rend captif de la loi du péché, qui est dans mes membres. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Troisième section