intelligence

Je sais que certains essaieront de dire que Dieu est un corps, et même en invoquant les Écritures, car ils lisent chez Moïse : Notre Dieu est un feu qui consume, et dans l’évangile de Jean : Dieu est souffle (esprit) et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit (souffle) et en vérité. Le feu et le souffle (esprit), ils ne les prennent que comme des corps. Je veux leur demander ce qu’ils disent de cette affirmation scripturaire : Dieu est lumière. En effet Jean écrit dans son épître : Dieu est lumière et il n’y a pas en lui de ténèbres. C’est assurément cette lumière qui illumine toute l’INTELLIGENCE de ceux qui peuvent saisir la vérité, comme le dit le Psaume 35 : Dans ta lumière nous verrons la lumière. Que faut-il appeler lumière de Dieu, dans laquelle on voit la lumière, sinon la Puissance de Dieu qui fait voir à celui qu’elle illumine la vérité de toutes choses ou lui fait connaître Dieu lui-même, qui est nommé Vérité ? C’est cela que signifie la phrase : Dans ta lumière nous verrons la lumière ; c’est-à-dire dans ta Parole et ta Sagesse, à savoir dans ton Fils, nous te verrons, toi, le Père. Faut-il, puisqu’il est appelé Lumière, le juger semblable à la lumière de ce soleil-ci ? Et comment nous en sera-t-il donné quelque INTELLIGENCE, même faible, pour concevoir, à partir de cette lumière corporelle, la cause de la connaissance, et trouver la compréhension de la vérité ? LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Quant à ceux qui, parce que Dieu est appelé souffle (esprit), jugent qu’il est corps, il faut leur répondre ainsi : L’Écriture sainte a l’habitude, lorsqu’elle veut désigner quelque chose de contraire à ce corps que voici plus épais et plus solide, de le nommer esprit (souffle). Elle dit ainsi : La lettre tue, mais l’esprit vivifie. Sans aucun doute, la lettre désigne les réalités corporelles, l’esprit les intellectuelles, que nous disons aussi spirituelles. L’Apôtre écrit en outre : Jusqu’à aujourd’hui, lorsqu’ils lisent Moïse, un voile est posé sur leur coeur; mais lorsqu’on se sera tourné vers le Seigneur, le voile sera ôté ; là où est l’Esprit du Seigneur se trouve la liberté. Tant qu’on ne se convertit pas à l’INTELLIGENCE spirituelle, un voile est posé sur le coeur : par ce voile, c’est-à-dire par une INTELLIGENCE plus grossière, l’Écriture, selon ce que l’on dit et pense, est elle-même voilée ; tel était le voile posé sur le visage de Moïse lorsqu’il parlait au peuple, c’est-à-dire lorsque la loi est lue à la foule. Si nous nous tournons vers le Seigneur, là où est aussi la Parole de Dieu, là où l’Esprit Saint révèle la science spirituelle, alors le voile est ôté, et alors, la face dévoilée, nous contemplons dans les Écritures saintes la gloire du Seigneur. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Mais du fait que beaucoup de saints participent à l’Esprit Saint, il ne faut pas du tout comprendre l’Esprit Saint comme un corps, divisé en morceaux, dont chaque saint recevrait des parcelles corporelles : il est assurément une puissance sanctifiante et on dit que participent à lui tous ceux qui ont obtenu d’être sanctifiés par sa grâce. Pour qu’on puisse comprendre plus facilement ce que nous disons, prenons en exemple des choses, à vrai dire dissemblables. Beaucoup participent à la science ou à l’art médical : faut-il penser que tous ceux qui participent à la médecine enlèvent des parcelles d’un certain corps appelé médecine, placé au milieu d’eux, et ainsi prennent part à lui ? Ne faut-il pas plutôt comprendre que tous ceux qui acquièrent la compréhension de cet art et de cette science avec une INTELLIGENCE prête et préparée, participent, comme on le dit, à la médecine ? Il ne faut pas croire que cet exemple pris à la médecine, ainsi comparée au Saint Esprit, soit adéquat de toutes façons : mais nous l’employons seulement pour prouver qu’on ne doit pas penser aussitôt comme corps ce à quoi beaucoup participent. L’Esprit Saint est très éloigné de la nature et de la science de ce qu’est la médecine, car il est un être intellectuel et il existe d’une existence propre : rien de tel pour la médecine. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Après avoir réfuté, comme nous l’avons pu, toute signification qui suggère en Dieu quelque chose de corporel, nous disons en toute vérité que Dieu est incompréhensible et qu’il est impossible de le penser. Si nous pouvons penser ou comprendre quelque chose de Dieu, il faut croire qu’il est de très loin au-dessus de ce que nous jugeons de lui. C’est comme si quelqu’un pouvait à grand peine regarder une étincelle ou la lueur d’une petite lampe, et si nous voulions apprendre à cet homme, dont le regard ne peut pas supporter plus de clarté que ce que nous venons de dire, l’éclat et la splendeur du soleil : ne faudrait-il pas lui dire que l’éclat du soleil dépasse de façon ineffable et inestimable la lumière qu’il voit ? Pareillement notre INTELLIGENCE, enfermée dans les barrières de la chair et du sang, rendue plus hébétée et plus obtuse par sa participation à une telle matière, bien qu’elle dépasse de loin la nature corporelle, lorsqu’elle s’efforce cependant de comprendre les réalités incorporelles et qu’elle en cherche l’intuition, peut être à grand peine comparée à une étincelle ou à une lampe. Qu’y a-t-il parmi les êtres intellectuels, c’est-à-dire incorporels, qui l’emporte autant sur tous, qui les dépasse d’une manière aussi ineffable et inestimable, si ce n’est Dieu ? Le regard de l’INTELLIGENCE humaine ne peut absolument pas apercevoir ni contempler sa nature, même s’il s’agit d’une INTELLIGENCE très pure et très limpide. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Il ne paraîtra pas absurde, pour manifester la chose avec plus d’évidence, de prendre une autre comparaison. Parfois nos yeux ne peuvent pas regarder la nature même de la lumière, c’est-à-dire le soleil dans son être même; mais en voyant son éclat et ses rayons répandus par les fenêtres, par exemple, ou par n’importe quel petit réceptacle de lumière, nous pouvons évaluer l’importance de ce foyer et de cette source de lumière corporelle. De même les oeuvres de la divine providence et l’art manifesté dans cet univers sont comme des rayons de la nature divine en comparaison de sa substance et de sa nature. Si notre INTELLIGENCE ne peut voir par elle-même Dieu tel qu’il est, elle comprend cependant, d’après la beauté de ses oeuvres et la magnificence de ses créatures, le père de l’univers. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Il ne faut pas se représenter Dieu comme s’il était un corps ou comme s’il était dans un corps, mais comme une nature intellectuelle simple, qui ne souffre absolument aucun ajout : ne croyons pas qu’il y ait en lui du plus ou du moins, car il est entièrement une monade, et, pour ainsi parler, une hénade, une INTELLIGENCE qui est la source d’où procède toute nature intellectuelle ou toute INTELLIGENCE. Pour se mouvoir et pour agir, l’INTELLIGENCE n’a pas besoin de lieu corporel, ni de grandeur sensible, ni de figure corporelle, ni de couleur, ni absolument de rien qui soit propre au corps et à la matière. C’est pourquoi cette nature simple, tout entière INTELLIGENCE, pour se mouvoir et agir, ne peut rien avoir qui la retarde ou la fasse hésiter. S’il en était autrement, ce qui lui serait ajouté limiterait et inhiberait en quelque façon la simplicité de la nature divine : ce qui est le principe de toutes choses serait composé et divers, multiple et non un; il importe en effet qu’il soit étranger à toute adjonction corporelle pour être constitué seulement par ce que je pourrais appeler l’espèce unique de la divinité. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Que l’INTELLIGENCE n’ait pas besoin d’un lieu pour se mouvoir selon sa nature, l’examen de notre INTELLIGENCE elle-même nous en donne la certitude. En effet, si elle reste dans ses capacités, si elle n’est pas émoussée par quelque cause que ce soit, elle ne sera jamais empêchée d’agir de son mouvement propre par la diversité des lieux : de même la qualité des lieux ne lui donnera pas une augmentation ou un surplus de mobilité. Si quelqu’un objecte, par exemple, que les navigateurs, ballottés par les flots de la mer, ont une INTELLIGENCE un peu moins vigoureuse que sur la terre ferme, cela ne vient pas de la diversité des lieux, mais des commotions et des troubles que subit le corps auquel l’INTELLIGENCE est jointe et dans lequel elle est insérée. Il semble, en effet, en quelque sorte contre nature pour un corps humain de vivre dans la mer et pour cela, à cause de cette anomalie, il reçoit les mouvements de l’INTELLIGENCE de façon déréglée et désordonnée et il gouverne ses impulsions pénétrantes d’une manière affaiblie. C’est aussi le cas de ceux qui, se trouvant sur la terre ferme, sont oppressés par les fièvres : il est certain en effet que si, sous l’action de la fièvre, l’INTELLIGENCE accomplit un peu moins normalement son office, ce n’est pas la faute du lieu, mais c’est la maladie qui en est cause, car alors le corps troublé et bouleversé ne rend plus à l’INTELLIGENCE les services accoutumés selon les règles connues et naturelles, puisque nous, les hommes, nous sommes des êtres vivants composés d’un assemblage de corps et d’âme; et c’est ainsi qu’il nous a été possible d’habiter sur la terre. Mais Dieu étant principe de tout, il ne faut pas penser qu’il soit composé : autrement, les éléments dont est composé tout ce qui est appelé un composé seraient antérieurs à lui, le principe. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Malgré le peu de portée de notre INTELLIGENCE, cette solution se présente qu’il nous faut indiquer sans péril pour la piété : Dieu le Père a toujours été, il a toujours eu un Fils unique qui est appelé en même temps Sagesse, selon ce que nous avons exposé plus haut. Cette Sagesse est celle qui faisait toujours la joie de Dieu quand il eut achevé le monde, pour que nous comprenions par là que Dieu toujours se réjouit. Dans cette Sagesse donc, qui était toujours avec le Père, la création était toujours présente en tant que décrite et formée et il n’y a jamais eu de moment où la préfiguration de ce qui allait être ne se trouvait pas dans la Sagesse. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Appendice

Selon nous, en réalité, dans toute créature raisonnable, il n’y a rien qui ne soit capable de bien autant que de mal. Mais en disant qu’il n’y a aucune nature qui ne puisse recevoir le mal, nous n’affirmons pas, en conséquence, que toute nature a reçu le mal, c’est-à-dire a été faite mauvaise : lorsqu’on dit que toute nature d’homme a la possibilité de naviguer, ce n’est pas pour cela que tout homme naviguera ; de même il est possible à tout homme d’apprendre la grammaire ou la médecine, mais cela ne veut pas dire que tout homme soit médecin ou grammairien. Pareillement, si nous disons qu’il n’y a pas de nature qui ne puisse recevoir le mal, il n’est pas indiqué nécessairement par là qu’elle ait reçu le mal ; réciproquement il n’y a pas de nature incapable de recevoir le bien, mais cela ne prouve pas en conséquence que toute nature ait reçu le bien. Selon nous, en effet, le Diable lui-même n’était pas incapable de bien, mais, du fait qu’il ait pu recevoir le bien, il ne s’ensuit pas qu’il l’ait voulu, ni qu’il ait pratiqué la vertu. Comme nous l’ont appris les passages prophétiques que nous avons invoqués, il fut jadis bon, lorsqu’il se trouvait dans le paradis de Dieu, au milieu des Chérubins. Il possédait la faculté de recevoir la vertu ou la malice, mais s’écartant de la vertu il s’est tourné vers le mal de toute son INTELLIGENCE : ainsi les autres créatures, tout en possédant cette double faculté, ont fui le mal avec leur libre arbitre et adhéré au bien. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section

Le troisième ordre de la création raisonnable est formé de ces esprits qui ont été jugés par Dieu aptes à remplir le genre humain, c’est-à-dire les âmes des hommes ; parmi eux nous en voyons que leurs progrès ont haussé jusqu’à l’ordre des anges, ceux qui sont devenus fils de Dieu ou de la résurrection, ou ceux qui, laissant les ténèbres, ont préféré la lumière et sont devenus fils de lumière, ou ceux qui, ayant surpassé toute lutte et devenus pacifiques, sont faits fils de la paix et fils de Dieu, ou ceux qui, mortifiant leurs membres terrestres et transcendant non seulement la nature corporelle, mais encore les mouvements ambigus et fragiles de l’âme, se sont attachés au Seigneur, devenus entièrement esprits, pour être toujours avec lui un seul esprit, jugeant avec lui de toutes choses, jusqu’à ce qu’ils parviennent au degré des spirituels parfaits qui discernent tout et que, leur INTELLIGENCE étant éclairée dans la plénitude de la sainteté par la Parole et la Sagesse de Dieu, ils ne puissent plus du tout être jugés par personne. Nous pensons, certes, qu’on ne doit en aucune façon accepter les questions ou les affirmations de certains, qui pensent que les âmes peuvent atteindre un tel degré de déchéance qu’oublieuses de leur nature raisonnable et de leur dignité, elles vont même jusqu’à se précipiter dans la classe des êtres animés déraisonnables, des animaux et des bestiaux. Ils tirent des Écritures des arguments mensongers, s’appuyant par exemple sur le précepte d’inculper et de lapider avec la femme l’animal auquel elle se serait unie contre nature et de lapider aussi le taureau qui donne des coups de corne; ou sur l’histoire de l’ânesse de Balaam qui parla, Dieu lui ouvrant la bouche, lorsque une bête de somme répondant avec une voix humaine, bien qu’elle fût muette, dénonça la folie du prophète. Tout cela, non seulement nous ne l’acceptons pas, mais encore nous réfutons et rejetons ces assertions contraires à notre foi. Cependant, lorsque nous aurons, au moment et à l’endroit convenables, confondu et réfuté cette doctrine perverse, nous montrerons comment il faut comprendre les passages des Écritures saintes qu’ils ont invoqués. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Deuxième section

Mais Dieu, avec l’art ineffable de sa sagesse, transforme et restaure toutes choses, de quelque façon qu’elles se produisent, pour l’utilité et le profit commun du tout : ces créatures elles-mêmes, si éloignées les unes des autres par la diversité de leurs mentalités, il les ramène d’une certaine façon à un unique accord, dans leur activité et leurs intentions, pour consommer, malgré la diversité des mouvements des INTELLIGENCEs, l’accomplissement et la perfection d’un monde unique et diriger la variété des INTELLIGENCEs elles-mêmes vers une seule fin parfaite. Il est en effet l’unique puissance qui embrasse et maintient en lui toute la diversité du monde, ramène à l’unité ses mouvements variés, pour empêcher que son ouvrage si immense, le monde, ne soit brisé par les divisions des INTELLIGENCEs. Et c’est pourquoi nous pensons que Dieu, père de l’univers, pour sauver toutes ses créatures, par le moyen ineffable de sa Parole et Sagesse, a disposé chaque chose de telle manière qu’aucun esprit, INTELLIGENCE, ou être rationnel subsistant, de quelque manière qu’on l’appelle, ne soit contraint par force, malgré la liberté de sa volonté, à faire autre chose que ce que lui commande le mouvement de son INTELLIGENCE, car autrement lui serait enlevée, semble-t-il, la faculté du libre arbitre et la qualité de sa nature en serait tout à fait modifiée ; mais il a agencé les mouvements divers de leurs intentions avec à-propos et utilité pour assurer l’accord d’un monde unique ; et c’est ainsi que parmi ces êtres raisonnables, les uns ont besoin d’aide, les autres peuvent aider, d’autres encore soulèvent devant ceux qui progressent des luttes et des combats pour éprouver davantage leur diligence, pour rendre plus stable après la victoire l’état de la dignité qu’ils ont récupéré, affermi par leurs difficultés et leurs peines. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): « Le monde et les créatures qui s’y trouvent »

Il serait trop long d’extraire et de rassembler de tous les passages de l’Évangile des témoignages enseignant que le Dieu de la loi et le Dieu des évangiles sont un seul et même Dieu. Invoquons cependant brièvement ce passage des Actes des Apôtres qui montre Étienne et les apôtres dirigeant leurs prières vers le Dieu qui a fait le ciel et la terre et qui a parlé par la bouche de ses saints prophètes, l’appelant le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu qui a tiré son peuple de la terre d’Egypte. Ces paroles dirigent sans aucun doute notre pensée vers la foi au Créateur et le font aimer de ceux qui ont appris tout cela à son sujet avec piété et fidélité. Le Sauveur lui-même, à qui on demandait quel était le commandement suprême de la loi, répondit ainsi : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ton INTELLIGENCE. Le second commandement lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Et il ajouta : De ces deux préceptes dépendent toute la loi et les prophètes. Comment donc, à celui qu’il instruisait et qu’il invitait à être son disciple, recommande-t-il ce précepte avant tous les autres, ce précepte qui sans aucun doute demande d’aimer le Dieu de la loi, puisque tout cela fut dit par la loi dans les mêmes termes ? Livre II: Premier traité (II, 4-5): Première section

Mais ils diront : Dieu est invisible. Que ferez-vous alors ? Si vous le dites invisible par nature, il ne sera même pas visible pour le Sauveur. Bien plus, le Dieu Père du Christ est vu selon l’Écriture puisque : qui a vu le Fils a vu aussi le Père. Cette parole, qui vous gêne fortement, est comprise par nous plus justement non de la vision mais de la compréhension. Celui qui a compris le Fils a compris aussi le Père. C’est ainsi qu’on pense que Moïse a vu Dieu, non pas en le regardant avec les yeux charnels, mais en le comprenant par la vue du coeur et le sens de l’INTELLIGENCE, et cela seulement en partie. Il est dit en effet clairement par celui qui répondait à Moïse : Tu ne verras pas ma face, mais mon dos. Tout cela est assurément à comprendre selon le mystère habituel aux paroles divines, en rejetant certes et en méprisant ces fables de bonne femme, oeuvres d’ignorants, qui imaginent en Dieu une face et un dos. Que personne ne nous attribue une pensée impie lorsque nous disons que Dieu n’est même pas visible pour le Sauveur, mais qu’il considère les distinctions que nous devons utiliser pour traiter avec les hérétiques. Nous avons dit en effet qu’autre chose est voir et être vu, autre chose connaître et être connu. Voir et être vu sont donc le propre des corps et ne peuvent être appliqués aux relations réciproques du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Car la nature de la Trinité excède les capacités de la vue, tout en accordant à tous les êtres corporels, c’est-à-dire à tous les autres êtres, les créatures, la possibilité de voir dans leurs relations réciproques, mais à une nature incorporelle, et surtout à une nature intellectuelle, ne conviennent que connaître et être connu, selon cette parole du Sauveur : Personne ne connaît le Fils sinon le Père, ni le Père sinon le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler. Il a dit fort clairement, non : Personne ne voit sinon le Fils, mais : Personne ne connaît sinon le Fils. Mais si, à cause de ce qui est dit dans l’Ancien Testament sur Dieu qui s’irrite, se repent, ou éprouve toute autre passion humaine, les hérétiques pensent avoir de quoi nous réfuter, puisqu’ils affirment qu’on doit se représenter Dieu comme absolument impassible et exempt de tout sentiment de cette sorte, il faut leur montrer que même dans les paraboles évangéliques on trouve des expressions semblables : par exemple celui qui planta une vigne, la loua à des agriculteurs qui tuèrent les serviteurs qu’il leur envoya et à la fin mirent à mort même son fils qu’il leur avait député, est dit s’être mis en colère, leur avoir enlevé la vigne, avoir fait périr ces mauvais agriculteurs et avoir confié la vigne à d’autres disposés à lui remettre les fruits au moment voulu. On peut citer aussi ces concitoyens qui, après que le père de famille fut parti pour recevoir la royauté, dépêchèrent à sa suite des envoyés pour dire : Nous ne voulons pas qu’il règne sur nous ; et quand il revint, ayant obtenu la royauté, le père de famille irrité les fit tuer en sa présence et détruire leur ville par le feu. Mais nous, lorsque nous voyons l’Ancien ou le Nouveau Testament parler de la colère de Dieu, nous ne prenons pas à la lettre ce qui y est dit, mais nous y cherchons une compréhension spirituelle, pour penser selon une INTELLIGENCE digne de Dieu. Lorsque nous avons commenté ce verset du Psaume 2 : Alors il leur parlera dans sa colère et les épouvantera dans sa fureur, nous avons montré comment il fallait entendre cela, comme nous l’avons pu, avec les faibles ressources de notre INTELLIGENCE. Livre II: Premier traité (II, 4-5): Première section

Après avoir traité ces sujets, il est temps de revenir à l’incarnation de notre Seigneur et Sauveur pour voir comment il s’est fait homme et il a vécu parmi les hommes. Selon nos faibles forces, nous avons donc considéré la nature divine par l’examen plutôt de ses oeuvres que de notre INTELLIGENCE, nous avons néanmoins regardé ses créatures visibles et contemplé par la foi les invisibles, puisque la fragilité humaine nous empêche de tout voir de nos yeux ou de tout embrasser par la raison : en effet de tous les êtres raisonnables nous sommes, nous hommes, l’être animé le plus faible et le plus fragile, dépassé par ceux qui se trouvent dans le ciel ou au-dessus du ciel. Il nous reste à chercher l’intermédiaire, c’est-à-dire le médiateur, entre toutes ces créatures et Dieu, celui que l’apôtre Paul appelle le premier-né de toute créature. Nous voyons en effet ce que les Écritures saintes nous rapportent de sa grandeur, qu’il est appelé Image du Dieu invisible et premier-né de toute créature, que, en lui, toutes choses ont été créées, visibles et invisibles, Trônes, Dominations, Principautés, Puissances: tout a été créé par lui et en lui; il est lui-même avant toutes choses et tout subsiste en lui, qui est la Tête de tous, étant le seul à avoir pour Tête Dieu le Père selon ce qui est écrit : La Tête du Christ est Dieu. Nous voyons en outre ce qui est écrit : Personne ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et personne ne connaît le Fils si ce n’est le Père. Qui peut en effet connaître ce qu’est la Sagesse si ce n’est celui qui l’a engendrée ? Qui peut savoir clairement ce qu’est la Vérité si ce n’est le Père de la Vérité ? Qui a pu scruter toute la nature de sa Parole et de ce Dieu lui-même, nature qui vient de Dieu, si ce n’est Dieu seul, auprès duquel était la Parole ? Nous devons accepter en toute certitude que cette Parole – qu’on doit aussi appeler Raison -, que cette Sagesse, que cette Vérité, personne d’autre que le Père ne la connaît, elle dont il est écrit : Je pense que le monde lui-même ne contiendrait pas les livres qui seraient écrits, évidemment sur la gloire et la majesté du Fils de Dieu. Car il est impossible de mettre par écrit ce qui concerne la gloire du Sauveur. Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section

Il y a de nombreuses manières de comprendre le Christ, car, bien qu’il soit, certes, la Sagesse, il n’opère pas ni n’accomplit en tous les effets de la Sagesse, mais seulement en ceux qui s’adonnent en lui à la sagesse ; s’il est appelé médecin, il n’agit pas envers tous comme médecin, mais seulement envers ceux qui, ayant compris qu’ils sont malades, se réfugient dans sa miséricorde pour obtenir la santé. Je pense de même du Saint Esprit en qui se trouve toute la nature des dons. Aux uns en effet est fournie par l’Esprit la parole de sagesse, aux autres la parole de connaissance, à d’autres la foi; et ainsi, en chacun de ceux qui peuvent le recevoir, l’Esprit lui-même prend la forme dont a besoin celui qui a mérité de participer à lui et se fait comprendre de cette façon. Mais, sans remarquer ces distinctions et ces différences, certains, entendant qu’il est nommé Paraclet dans l’Évangile, ne réfléchissant pas à l’activité et au rôle qui le font appeler Paraclet, l’ont comparé à je ne sais quels esprits vils et ont tenté de troubler par là les Églises du Christ, au point d’engendrer des dissensions non négligeables parmi les frères. Mais l’Évangile lui confère une si grande puissance et majesté que, selon lui, les apôtres ne pouvaient encore comprendre ce que voulait leur enseigner le Sauveur, avant la venue de l’Esprit Saint qui, se répandant dans leurs âmes, les éclairerait sur la nature de la Trinité et sur la foi en elle. Mais ces hérétiques, à cause de l’incapacité de leur INTELLIGENCE qui les empêche non seulement d’exposer avec logique ce qui est exact, mais encore de prêter l’oreille à ce que nous disons, pensent de la divinité de l’Esprit Saint des choses inférieures à sa dignité et se sont livrés à l’erreur et à la tromperie, déformés par des esprits erronés plutôt qu’instruits par les enseignements du Saint Esprit, selon cette parole de l’apôtre : Suivant la doctrine des esprits démoniaques qui défendent de se marier, pour la perte et la ruine de beaucoup, et obligent à contretemps de s’abstenir des nourritures, pour séduire les âmes des innocents en faisant montre d’une observance plus stricte. Livre II: Troisième traité (II, 7): Section unique

En fait on peut chercher si on trouve aisément dans les Écritures le mot âme employé dans un sens louable. Il se présente fréquemment dans un sens blâmable, comme : Une âme mauvaise perd celui qui la possède, et : L’âme qui pèche, c’est elle qui mourra. Après avoir dit : Toutes les âmes sont à moi, aussi bien l’âme du fils que celle du père, il semblerait logique d’ajouter : L’âme qui agit selon la justice sera sauvée, l’âme qui pèche c’est elle qui mourra. Mais nous voyons que l’Écriture a associé à l’âme la culpabilité et a tu ce qui était digne de louange. Il faut voir maintenant si, comme nous l’avons dit à partir de la signification du terme, la psyché, c’est-à-dire l’âme, a reçu ce nom parce qu’elle s’est refroidie, perdant la ferveur des justes et la participation au feu divin, sans abandonner cependant la possibilité de se rétablir dans cet état de ferveur où elle fut au début. Le prophète paraît indiquer un sens semblable lorsqu’il dit : Reviens, mon âme, dans ton repos. Cela semble montrer à tous que l’INTELLIGENCE, s’éloignant de son état et de sa dignité, est devenue et s’est appelée âme : si elle est convertie et corrigée elle redevient INTELLIGENCE. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section

Mais puisque ces natures raisonnables, qui au début ont été faites, comme nous l’avons dit plus haut, ont été créées alors qu’elles n’existaient pas auparavant, elles sont, puisqu’elles n’existaient pas et qu’elles ont commencé à être, nécessairement convertibles et changeantes : en effet la puissance qui était en elle et en faisait des êtres substantiels, elles ne la possédaient pas par nature, mais par un bienfait du créateur. Ce qu’elles sont n’est pas en elles propre et éternellement durable, mais donné par Dieu : il n’a pas toujours été et ce qui a été donné peut être enlevé ou régresser. La cause de cette régression sera en lui, si les mouvements des INTELLIGENCEs ne sont pas dirigés de manière convenable et louable. Car le créateur a accordé aux INTELLIGENCEs créées par lui des mouvements volontaires et libres, afin que certainement le bien devienne leur propriété lorsqu’elles le conservent par leur volonté propre; mais la paresse, le dégoût de la peine à prendre pour conserver le bien, l’aversion et la négligence à l’égard des valeurs supérieures a été le début d’un éloignement du bien. Or s’éloigner du bien n’est pas autre chose que de tomber dans le mal. En effet il est certain que le mal est la privation du bien. Il arrive donc que, dans la mesure où l’on se détourne du bien, on en vient au mal dans la même proportion. Par conséquent chaque INTELLIGENCE en négligeant le bien selon ses mou-vements, soit gravement soit de façon plus restreinte, était attirée dans le contraire du bien qui est sans aucun doute le mal. Il semble donc que le créateur de l’univers ait ainsi accepté comme des semences et des causes de variété et de diversité pour créer un monde divers et varié selon la diversité des INTELLIGENCEs, c’est-à-dire des créatures raisonnables, diversité que, je pense, elles ont produite pour la cause signalée plus haut. Quand nous parlons d’un monde divers et varié, c’est proprement ce que nous voulons indiquer. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

Mais l’Écriture sainte ne me paraît pas s’être tue complètement sur la raison de ce mystère. L’apôtre Paul discutant Ésaü et de Jacob dit : Alors qu’ils n’étaient pas encore nés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal, pour que soit maintenue la décision concernant leur élection par Dieu, ce n’est pas par suite de leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui les a appelés qu’il fut dit: L’aîné servira le plus jeune. Il est écrit en effet: J’ai aimé Jacob, j’ai pris en haine Elsa. Et Paul ensuite s’est répondu à lui-même en ces termes :Que dirons-nous donc ? Y a-t-il injustice de la part de Dieu ? Pour nous fournir à ce sujet une occasion de recherche et d’examen, pour savoir comment cela s’est passé d’une manière non déraisonnable, il s’est répondu à lui-même : Qu’il n’en soit pas ainsi! Les mêmes questions qui se posent à propos d’Ésaü et de Jacob, à ce qu’il me semble, peuvent s’étendre à tous les êtres célestes, aux créatures terrestres et infernales : Alors qu’ils n’étaient pas encore nés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal; cela peut se dire pareillement de tous les autres êtres. Alors qu’ils n’avaient pas encore été créés et qu’ils n’avaient rien fait de bien ni de mal, afin que soit maintenue la décision de Dieu concernant leur élection, comme certains le pensent, les uns ont été faits êtres célestes, d’autres terrestres et d’autres infernaux, non par suite de leurs oeuvres, selon l’opinion de ces héré-tiques, mais par la volonté de celui qui les a appelés. Que dirons-nous donc si les choses sont ainsi ? Il y a donc injustice de la part de Dieu ? Qu’il n’en soit pas ainsi! Alors, en scrutant les Écritures avec plus de soin au sujet d’Ésaü et de Jacob, on trouve qu’il n’y a pas d’injustice de la part de Dieu, quand, avant leur naissance et avant qu’ils aient fait quoi que ce soit, dans cette vie évidemment, il est dit que l’aîné servira le plus jeune, et on trouve de même qu’il n’y a pas d’injustice dans le fait que Jacob ait supplanté son frère dans le sein de sa mère, si on pense qu’il a été aimé de Dieu avec raison jusqu’à être préposé à son frère à cause des mérites d’une vie précédente, bien entendu. Ainsi peut-on penser des créatures célestes, si nous remarquons que cette diversité n’est pas l’état initial de la créature, mais que, à la suite de causes antécédentes, le Créateur prépare à chacune une fonction et un service différents selon la dignité de son mérite : cela vient assu-rément du fait que chacun, parce qu’il a été créé par Dieu comme INTELLIGENCE ou comme esprit raisonnable, s’est acquis plus ou moins de mérite par suite des mouvements de l’INTELLIGENCE et des affections de l’entendement et s’est rendu ainsi pour Dieu aimable ou même haïssable. Cepen-dant quelques-uns de ceux qui ont le mieux mérité ont reçu pour l’ordonnance du monde la fonction de souffrir avec les autres et de prêter service aux êtres inférieurs, afin de participer ainsi à la patience du créateur, selon ces paroles de l’Apôtre : La création a été en effet soumise à la vanité, contre son gré, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espérance. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

Quant aux ténèbres extérieures, à mon avis, elles ne désignent pas tant un lieu obscur de l’air privé de toute lumière que l’état de ceux qui sont plongés dans les ténèbres d’une profonde ignorance, hors de toute lumière venant de la raison et de l’entendement. Il faut voir aussi si cette expression ne signifierait pas ce qui suit : de même que les saints recevront dans la résurrection, devenus lumineux et glorieux, les corps dans lesquels ils ont vécu de manière sainte et pure quand ils habitaient dans cette vie, de même les impies qui ont aimé dans cette vie les ténèbres de l’erreur et la nuit de l’ignorance seront revêtus, après la résurrection, de corps sombres et obscurs pour que la ténèbre de l’ignorance, qui avait occupé en ce monde l’intérieur de leur INTELLIGENCE, apparaisse dans l’avenir à l’extérieur par le vêtement du corps. Il faut penser de même de la prison. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Seconde section

Mais si ces promesses ne paraissent guère aptes à susciter dans les INTELLIGENCEs de ceux qui espèrent en elles un désir adéquat, demandons-nous, en nous répétant un peu, dans quelle mesure est naturel et inséré dans l’âme le désir de la réalité elle-même, pour décrire enfin en quelque sorte, par la voie de l’interprétation spirituelle, la forme de ce pain de vie, la qualité de ce vin et la caractéristique des Principautés. De même que dans les métiers manuels la pensée donne l’idée de l’oeuvre, indiquant ce qui est à faire, comment le faire et pour quels usages le faire, puis l’exécution a lieu par le moyen des mains, de même, en ce qui concerne les oeuvres de Dieu, qui ont été faites par lui, il faut penser que l’idée et la compréhension de ce qu’il a fait et que nous voyons restent cachées. Quand nous contemplons de nos yeux des objets fabriqués par un artisan, si l’un d’eux nous paraît particulièrement bien fait, aussitôt nous désirons ardemment apprendre de quelle façon, comment et pour quels usages il a été fait : bien plus et sans comparaison possible nous brûlons du désir ineffable de connaître la raison des oeuvres de Dieu que nous voyons. Ce désir, cet amour, nous croyons que sans aucun doute ils ont été mis en nous par Dieu. Comme l’oeil recherche par nature la lumière et la vision, comme notre corps désire par nature nourriture et boisson, de même notre INTELLIGENCE porte en elle un désir qui lui est propre et naturel de connaître la vérité divine et les causes des choses. Ce désir nous ne l’avons pas reçu de Dieu pour qu’il ne doive ni ne puisse jamais recevoir de satisfaction : autrement c’est en vain que l’amour de la vérité semblerait avoir été mis dans notre INTELLIGENCE par le Dieu créateur, s’il ne pouvait jamais obtenir ce qu’il désire. C’est pourquoi ceux qui, même en cette vie, se sont mis à étudier, au prix d’un grand labeur, la piété et la religion, ne comprennent, certes, que peu de choses des trésors nombreux et immenses de la connaissance divine, mais cependant, par le fait même d’occuper à cela leur entendement et leur INTELLIGENCE et de progresser dans ce désir, ils en reçoivent beaucoup d’utilité, parce qu’ils se sont tournés vers le goût et l’amour de la recherche de la vérité et qu’ils se sont rendus plus disposés à recevoir l’instruction future. Ainsi, lorsqu’on veut peindre une image, avant de tracer les lignes de la forme à venir, on en dessine l’esquisse d’un trait léger et on prépare les indications aptes à recevoir les visages qui seront peints par-dessus : il est clair que la figure ébauchée par l’esquisse sera davantage susceptible de recevoir les vraies couleurs. Cela vaut aussi pour la connaissance de la vérité, si dans ce cas l’esquisse et l’ébauche elles-mêmes sont dessinées sur les tablettes de notre coeur par le stylet de notre Seigneur Jésus-Christ. Pour cela il est dit peut-être : A celui qui a on donnera et on ajoutera ?. Il est donc clair qu’à ceux qui ont déjà en cette vie une certaine ébauche de la vérité et de la connaissance, sera ajoutée dans le futur la beauté de l’image parfaite. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section

Tel était le désir, je pense, qu’exprimait comme sien celui qui disait : Je suis pris dans une alternative, ayant le désir de mourir pour être avec le Christ, ce qui serait de beaucoup préférable. Il savait qu’alors, quand il serait retourné au Christ, il connaîtrait les raisons de tout ce qui se passe sur la terre, concernant l’homme, son âme et son INTELLIGENCE, les éléments dont l’homme est composé, la nature de l’esprit principal, de l’esprit qui opère, de l’esprit vital, de la grâce du Saint Esprit donnée aux fidèles. Alors il comprendra la signification d’Israël, de la diversité des nations, des douze tribus en Israël et de chaque clan dans chaque tribu. Il comprendra encore alors la raison des prêtres, des lévites et des différentes classes sacerdotales, il verra ce qui était symbolisé dans Moïse, il saura même quelle est auprès de Dieu la vérité des jubilés et les semaines d’années. Il verra aussi la raison des jours de fêtes et des fériés, les causes des sacrifices et des purifications. Il constatera la raison de la purification de la lèpre et de la lèpre colorée, et la purification de ceux qui souffrent de pertes séminales. Il connaîtra l’identité, la quantité et la nature des puissances bonnes et des puissances contraires, l’affection des premières pour les hommes, la jalousie combattante des secondes. Il verra encore la nature des âmes, la diversité des êtres animés, que ce soit les animaux aquatiques, les oiseaux ou les bêtes sauvages, la cause qui divise chaque genre en des espèces si nombreuses, le but du créateur, la signification cachée que sa sagesse donne à tous ces êtres. Il connaîtra aussi la raison qui attache certaines vertus à des racines et à des herbes et qui les refuse au contraire à d’autres herbes ou racines; de même la raison des anges apostats et la cause pour laquelle, par ceux qui ne les méprisent pas de toute leur foi, ils peuvent être flattés d’une certaine façon et être pour eux cause d’égarement et de tromperie. Il apprendra les jugements de la divine providence sur chacun de ces êtres, sur les accidents qui se produisent chez les hommes et ne sont pas l’effet du sort ou du hasard, mais d’une raison si bien pesée et si difficile qu’elle ne perd pas de vue même le nombre des cheveux, non seulement des saints, mais encore de tous les hommes : cette raison de la providence s’étend jusqu’aux deux passereaux qui sont vendus pour un denier, que l’on entende ces deux passereaux au sens spirituel ou même selon la lettre. Maintenant on se pose encore des questions à ces sujets, mais alors là-haut on en aura la vision claire. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section

Après tout cela il faut penser qu’il ne s’écoulera pas un laps de temps de peu de durée jusqu’à ce que soit montrée après leur mort, aux hommes qui en sont dignes et l’ont mérité, la raison de ce qui se passe sur la terre pour que la connaissance de tous ces mystères et la grâce d’une science complète les fasse jouir d’une joie inénarrable. Alors s’il est vrai que l’air que voici, qui s’étend entre le ciel et la terre, n’est pas dépourvu d’êtres animés, et d’êtres animés raisonnables, d’après ces paroles de l’Apôtre : Vous avez vécu jadis dans ces péchés, selon ce siècle et ce monde, selon le prince qui a puissance sur l’air, sur l’esprit (le souffle) qui agit maintenant dans les fils de la désobéissance, ou d’après celles-ci : Nous serons ravis sur les nuées à la rencontre du Christ dans l’air et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur, il faut penser en conséquence que les saints y demeureront un certain temps pour connaître de deux manières la raison qui dispose ce qui se passe dans les airs. J’ai employé comme il suit l’expression « de deux manières » : tant que nous étions sur terre, par exemple, nous avons vu les animaux et les arbres, nous avons constaté leurs différences, ainsi que la diversité extrême qu’il y a parmi les hommes; mais en les voyant nous n’avons pas compris leurs raisons, seulement cette diversité que nous avons perçue nous a amenés à rechercher et à scruter pourquoi tous ces êtres ont été créés si différents ou sont gouvernés de façon variée ; après avoir conçu sur terre le goût et l’amour de cette connaissance, nous en recevrons après la mort la science et la compréhension, si cependant nous en avons le désir; lorsque nous aurons une INTELLIGENCE complète de leurs raisons, alors nous comprendrons des deux manières ce que nous avons vu sur terre. Il faut parler de même de ce qui se passe dans le séjour aérien. Je pense en effet que les saints, en quittant cette vie, demeureront en un lieu situé sur la terre, celui que l’Écriture divine appelle le Paradis, comme dans un lieu d’instruction, ou, pour ainsi dire, un auditoire ou une école des âmes, pour être instruits de tout ce qu’ils ont vu sur la terre, pour recevoir aussi quelques indications sur les réalités qu’ils verront dans la suite. De la même façon, quand ils étaient encore en cette vie, ils ont conçu quelque idée des réalités futures, à travers un miroir, en énigme, certes, mais cependant en partie : ces réalités seront révélées de façon plus claire et plus lumineuse aux saints dans les lieux et temps convenables. Si quelqu’un, certes, a le coeur pur, l’INTELLIGENCE plus limpide et la pensée plus exercée, il progressera plus rapidement, montera vite à travers l’espace aérien et parviendra aux royaumes des cieux à travers ce que l’on pourrait appeler les demeures d’étape de chaque lieu, que les Grecs ont nommées sphères, c’est-à-dire globes, et que l’Écriture divine nomme les cieux. Dans chacune il apercevra d’abord ce qui s’y passe et ensuite même la raison de ce qui s’y passe ; et ainsi il parcourra dans l’ordre chaque chose à la suite de celui qui a pénétré les cieux, Jésus fils de Dieu, qui a dit : Je veux que là oh je suis, ceux-ci soient avec moi. Il donne une idée de cette diversité de lieux quand il dit : Il y a beaucoup de demeures auprès du Père. Quant à lui il est partout et parcourt toutes choses : ne le comprenons plus désormais dans l’exiguïté qu’il a assumée à nos yeux pour nous, c’est-à-dire dans les limites étroites qui l’ont enserré quand il était sur terre dans notre corps parmi les hommes et qui peuvent faire penser qu’il est circonscrit dans un seul lieu. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section

Lorsque les saints seront parvenus, pour ainsi dire, dans les lieux célestes, ils contempleront alors la nature des astres un à un et ils sauront s’ils sont des êtres animés ou quelque chose d’autre. Mais ils comprendront aussi les raisons des autres oeuvres de Dieu, car lui-même les leur révélera. Alors il leur montrera comme à ses fils les causes des choses et la puissance de sa création, leur enseignera pourquoi telle étoile est placée à tel endroit du ciel, pourquoi elle est séparée d’une autre par tel intervalle : si elle avait été plus proche, par exemple, quelles en auraient été les conséquences, et si elle avait été plus éloignée qu’est-ce qui serait arrivé ? Ou si cette étoile avait été plus grande que cette autre, comment l’univers ne serait pas resté semblable, mais tout aurait pris une autre forme. Ainsi donc, après avoir parcouru la science de la nature des astres et des relations des êtres célestes, ils en viendront à ce qui ne se voit pas, ce que nous connaissons seulement de nom, aux réalités invisibles. L’apôtre Paul nous a appris qu’elles sont nombreuses, mais nous ne pouvons faire la moindre conjecture sur leur nature et leurs différences. Et ainsi, la nature raisonnable croissant peu à peu, non comme elle le faisait en cette vie quand elle était dans la chair ou le corps et l’âme, mais grandissant par la compréhension et la pensée, parvient, en tant qu’elle est une INTELLIGENCE parfaite, à la connaissance parfaite, sans que les sentiments charnels lui fassent désormais obstacle, mais dans sa croissance intellectuelle elle contemple toujours dans leur pureté et, pour ainsi dire, face à face, les causes des choses ; elle acquiert ainsi la perfection, d’abord celle qui permet son ascension, ensuite celle qui demeure, et elle a comme nourriture la contemplation et la compréhension des choses et de ce qui les cause. En effet dans cette vie corporelle se produit d’abord la croissance du corps jusqu’à l’état où nous sommes pendant les premières années, par le moyen d’une nourriture suffisante, mais ensuite, quand nous avons atteint la taille convenant à la mesure de notre croissance, nous n’usons plus de la nourriture pour grandir, mais pour vivre et nous conserver en vie : ainsi, à mon avis, quand l’INTELLIGENCE parvient à la perfection, elle se nourrit, elle use des aliments qui lui sont propres et lui conviennent, dans une mesure où il n’y a ni défaut ni excès. En tout il faut entendre comme nourriture la contemplation et la compréhension de Dieu suivant les mesures qui sont propres et qui conviennent à la nature qui a été faite et créée; il faut que ceux qui commencent à voir Dieu, c’est-à-dire à le comprendre par leur pureté de coeur, observent ces mesures. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section

A notre avis il faut penser ainsi des promesses divines lorsque nous projetons notre INTELLIGENCE vers la contemplation de ce siècle éternel et sans fin et que nous contemplons sa joie et sa béatitude ineffable. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Nous disions plus haut que soit la providence divine soit les puissances contraires peuvent aussi éveiller en nous des souvenirs concernant le bien ou le mal. Cela est montré par le Livre d’Esther : Artaxerxès ne se rappelait pas les bonnes actions du très juste Mardochée, mais alors qu’il était harcelé par des insomnies nocturnes, Dieu mit en sa mémoire l’inspiration de réclamer les livres contenant le récit de ses chroniques : mis alors au courant des services rendus par Mardochée il fît pendre son ennemi Aman, lui fit rendre des honneurs magnifiques et sauva toute la nation sainte menacée par un péril imminent. C’est au contraire la puissance du diable, il faut le penser, qui remit en mémoire aux pontifes et aux scribes ce qu’ils allèrent dire à Pilate : Seigneur, nous nous sommes souvenus de ce que ce séducteur a dit quand il était encore vivant: le troisième jour après je ressusciterai. Lorsque Judas eut l’idée de livrer le Sauveur, elle ne venait pas seulement de son INTELLIGENCE mauvaise : l’Écriture atteste en effet que le diable avait mis dans son coeur le désir de le livrer. C’est pourquoi Salomon a donné un bon précepte lorsqu’il a dit : Garde ton coeur de toute manière. De même l’apôtre Paul en disant : Nous devons accorder une plus grande attention à ce que nous entendons pour ne pas nous égarer, et : Ne donnez pas de place au diable: il montre par là que certaines actions et une certaine négligence spirituelle donnent de la place au diable qui, une fois entré dans notre coeur, nous possède, ou du moins souille notre âme s’il ne peut la posséder complètement, en lançant en nous ses traits enflammés ; par là, tantôt il nous blesse, d’une blessure qui descend dans nos profondeurs, tantôt seulement il nous enflamme. Il arrive rarement que quelques-uns, peu nombreux, réussissent à éteindre ses traits enflammés, de sorte que l’on ne trouve plus trace de la blessure, et cela se produit lorsqu’on est protégé, comme par une fortification très solide, par le bouclier de la foi. Cela est dit réellement dans l’Épître aux Ephésiens: Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres, les esprits de malice qui sont dans les deux. Il faudra comprendre de la sorte le mot nous, c’est-à-dire moi, Paul, et vous, Ephésiens, et tous ceux qui n’ont pas à lutter contre la chair et le sang : ce sont eux en effet qui ont à lutter contre les principautés et puissances, les chefs de ce monde de ténèbres. Il n’en était pas de même à Corinthe où l’on avait à lutter contre la chair et le sang : les Corinthiens n’étaient pas sujets à la tentation, si ce n’est à une tentation humaine. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

Au sujet de ceux qui enseignent le Christ autrement que le permet la règle posée par les Écritures, il n’est pas inutile de voir si c’est dans un but hostile à la foi dans le Christ que les puissances contraires se sont efforcées d’imaginer des doctrines à la fois mythiques et impies, ou si ces mêmes puissances, ayant entendu la parole du Christ, ne pouvant la rejeter des profondeurs de leur conscience, ni la garder de façon pure et sainte, par le moyen d’instruments qui leur étaient dociles et, pour ainsi dire, par leurs propres prophètes, ont introduit diverses erreurs contre la règle de la vérité chrétienne. Il faut penser plutôt que ces puissances apostates et transfuges qui se sont éloignées de Dieu inventent les erreurs et les tromperies de leur doctrine fausse, soit à cause de la méchanceté même de leur INTELLIGENCE et de leur volonté, soit à cause de leur jalousie contre ceux qui se préparent à monter par la connaissance de la vérité au degré même d’où elles sont tombées, afin d’empêcher de tels progrès. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

Il est montré clairement et par de multiples indices que l’âme humaine, tant qu’elle se trouve dans le corps, peut être sujette à diverses actions ou opérations d’esprits divers, mauvais ou bons. Et les mauvais agissent de deux façons : ou bien en possédant complètement et entièrement l’INTELLIGENCE, au point de ne pas laisser ceux qu’ils obsèdent comprendre ou penser quoi que ce soit, comme c’est le cas de ceux qu’on appelle vulgairement énergumènes et que nous voyons dans un état de démence et de folie, pareils à ceux qui d’après l’Évangile furent guéris par le Sauveur ; ou bien en dépravant par des suggestions hostiles, à l’aide d’idées diverses et de persuasions funestes, une INTELLIGENCE qui pense et qui comprend, comme ce fut le cas de Judas, poussé au crime de trahison par l’action du diable, selon le témoignage de l’Écriture : Alors que le diable avait déjà mis dans le coeur de Judas l’Iscariote l’intention de le livrer. On reçoit l’action ou l’opération du bon esprit lorsqu’on est mû et poussé au bien et lorsque l’inspiration porte sur les réalités célestes et divines : comme les saints anges, Dieu lui-même a agi dans les prophètes, les invitant et les exhortant à progresser par de saintes suggestions, mais en laissant, certes, à l’homme la liberté de juger s’il consent ou non à suivre l’invitation qui l’attire vers les réalités célestes et divines. C’est pourquoi il est possible de distinguer clairement quand l’âme est mue par la présence d’un esprit meilleur : c’est le cas lorsque l’inspiration qui la presse ne lui fait subir absolument aucun trouble ni aliénation de l’INTELLIGENCE et qu’elle ne perd pas le jugement de son libre arbitre ; tels étaient tous les prophètes et les apôtres qui collaboraient aux oracles divins sans aucun trouble de l’INTELLIGENCE. Nous avons déjà enseigné plus haut par des exemples comment la mémoire de l’homme peut être invitée par les suggestions du bon esprit à se souvenir des biens meilleurs, quand nous avons mentionné Mardochée et Artaxerxès. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

Discutons d’abord l’opinion, habituelle chez certains, qu’il y a en nous une âme bonne et céleste et une autre plus basse et terrestre, et que la meilleure est mise en nous venant du ciel, comme celle qui donna à Jacob luttant contre Ésaü encore dans le sein maternel la palme de la victoire sur son frère qu’il supplantait ainsi, comme celle qui dans Jérémie fut sanctifiée dès la matrice, et celle qui fut remplie de l’Esprit Saint dans Jean dès le sein de sa mère. L’âme qu’ils appellent inférieure, ils affirment qu’elle a été semée avec le corps à partir de la semence corporelle et ils nient en conséquence qu’elle puisse vivre et subsister sans le corps : c’est pourquoi fréquemment ils l’appellent la chair. Cette phrase de l’Écriture : La chair convoite contre l’esprit, ils ne l’entendent pas de la chair proprement dite, mais de l’âme qui est à proprement parler l’âme de la chair. Mais ils essaient cependant de confirmer cela par ce passage du Lévitique: L’âme de toute chair c’est le sang. Puisque c’est le sang répandu dans toute la chair qui lui fournit la vie, ils disent que cette âme, qui est appelée l’âme de toute chair, se trouve dans le sang. Par eux ces paroles : La chair combat contre l’esprit et l’esprit contre la chair, et : L’âme de toute chair c’est son sang, désignent en d’autres termes la sagesse de la chair, une sorte d’esprit matériel, qui n’est pas soumis à la loi de Dieu et ne peut lui être soumis, parce qu’il possède des volontés terrestres et des désirs corporels. Ils pensent que l’Apôtre a parlé de cela dans ces termes : Je vois une autre loi dans mes membres, qui combat la loi de mon INTELLIGENCE et me rend captif de la loi du péché, qui est dans mes membres. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Troisième section

Voyons maintenant la réponse que font d’ordinaire à cela ceux qui soutiennent qu’il y a en nous une seule sorte de mouvement intérieur et une seule vie pour une seule et même âme, à laquelle il faut attribuer proprement, par suite de ces actes, salut ou perdition. Examinons d’abord de quelle sorte sont les passions dont souffre notre INTELLIGENCE, lorsque nous nous sentons nous-mêmes comme déchirés intérieurement en partis opposés sur chaque point, lorsque nos pensées d’une certaine manière luttent ensemble dans nos coeurs, nous suggérant comme des apparences de vérité qui nous inclinent tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, qui nous entraînent tantôt à nous accuser, tantôt à nous approuver. Il n’y a rien d’étrange à dire que les caractères pervers ont un jugement variable, en contradiction et en opposition avec lui-même, puisque cela se produit chez tous les hommes quand il s’agit de délibérer sur une chose douteuse et qu’on examine et recherche ce qui est le plus droit et le plus utile à choisir. Rien d’étonnant par conséquent que deux apparences de vérité se présentent l’une contre l’autre, suggèrent des décisions contraires et déchirent l’INTELLIGENCE en divers partis. Par exemple, quand une pensée nous pousse à la foi et à la crainte de Dieu, on ne peut dire que la chair combatte contre l’esprit ; mais tant qu’on reste indécis sur ce qui est vrai et utile, l’INTELLIGENCE est tirée de divers côtés. Ainsi, lorsqu’on pense que la chair pousse au plaisir tandis qu’un projet meilleur résiste à cette sorte d’incitation, il ne faut pas croire qu’il s’agisse d’une vie qui résiste à une autre, mais que cela vient de la nature du corps qui brûle d’éliminer et de vider les organes remplis d’humeur séminale. Pareillement il ne faut pas imaginer quelque puissance contraire ou quelque autre âme vivante qui excite en nous la soif et nous pousse à boire, ou qui nous donne faim et nous invite à manger. De même que ces appétits ou évacuations proviennent des mouvements naturels du corps, de même l’humeur contenant naturellement la semence, quand elle s’est rassemblée depuis un certain temps en son lieu, brûle d’être expulsée et rejetée, et ce n’est pas tellement l’action d’un stimulant extérieur qui le produit, puisque parfois cela s’accomplit spontanément. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Troisième section

Sur la création du monde, quelle autre Écriture pourra nous renseigner, si ce n’est celle où Moïse a décrit son origine ? Bien qu’elle contienne des significations plus profondes que ce que semble montrer le récit des faits, bien qu’elle renferme presque partout une INTELLIGENCE spirituelle et qu’elle se serve du voile de la lettre pour cacher des réalités mystiques et profondes, cependant la parole du narrateur affirme qu’à un certain moment tout le visible a été créé. Jacob parle le premier de la fin du monde, dont il témoigne devant ses fils en ces termes : Venez vers mol, fils de Jacob, que je vous annonce ce qui se passera dans les derniers jours, ou : après les derniers jours. S’il y a des derniers jours ou un après les derniers jours, il faut que cessent des jours qui ont commencé. David dit de même : Les deux périront, mais toi, tu demeureras, et tous s’useront comme un vêlement et comme une couverture tu les changeras, et ils seront changés ; mais toi, tu es le même et tes années ne cesseront pas. Lorsque notre Seigneur et Sauveur dit : Celui qui a créé au commencement les a fait mâle et femelle, il atteste lui-même pareillement que le monde a été fait. Et lorsqu’il dit : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas, il le montre corruptible et allant vers une fin. L’Apôtre dit aussi : A la vanité en effet la création est soumise, sans qu’elle le veuille, mais à cause de celui qui l’a soumise, dans l’espoir, car la création elle-même sera libérée de la servitude de la corruption pour recevoir la liberté glorieuse des fils de Dieu : il affirme là clairement la fin du monde, et de même quand il dit : L’état de ce monde passera. Mais en disant : La création est soumise à la vanité, il montre aussi son commencement. Si en effet la création est soumise à la vanité à cause d’un espoir quelconque, elle est soumise par une cause, et ce qui est par une cause doit nécessairement avoir eu un commencement. Il n’était pas possible, sans un commencement, que la création soit soumise à la vanité et qu’elle espère être libérée de la servitude de la corruption, si elle n’avait pas commencé à être esclave de la corruption. Mais on peut trouver bien d’autres textes de ce genre dans les Écritures, si on recherche à loisir où il est dit que le monde a eu un commencement et espère une fin. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Telle est la disposition que Dieu a réalisée dans la suite, mais que déjà, dès l’origine du monde, il avait prise, ayant prévu les raisons et les causes, soit de ceux qui méritaient de venir dans des corps par suite de la défaillance de leur INTELLIGENCE, soit de ceux qui étaient entraînés par le désir des réalités visibles, soit encore de ceux qui selon leur volonté ou sans le vouloir étaient obligés de remplir certains offices à l’égard de ceux qui étaient tombés dans cet état, et cela par celui qui les y soumettait dans l’espoir. Mais certains, sans comprendre ni voir que ces dispositions diverses avaient été prises par Dieu à la suite de causes antécédentes tenant au libre arbitre, ont pensé que tout ce qui se passe dans le monde était mené par des mouvements fortuits ou par une nécessité fatale et que rien ne dépendait de notre libre arbitre. Par là, ils n’ont pu montrer que la providence de Dieu était sans faute. Nous avons dit que toutes les âmes qui se sont trouvées dans ce monde ont eu besoin de beaucoup d’assistants, de directeurs, d’auxiliaires ; de même dans les derniers temps, alors que déjà la fin du monde était imminente et que tout le genre humain tournait à sa perte définitive, comme non seulement ceux qui étaient gouvernés, mais même ceux à qui avait été confié le soin de les gouverner, étaient atteints de faiblesse, le genre humain n’a plus eu besoin seulement d’une telle aide et de défenseurs semblables à lui, mais il a réclamé le secours de son auteur et créateur lui-même pour restaurer la discipline corrompue et profanée de l’obéissance chez les uns et de l’autorité chez les autres. C’est pourquoi le Fils Unique de Dieu, qui était la Parole et la Sagesse du Père lorsqu’il se trouvait auprès du Père dans cette gloire qu’il avait avant l’existence du monde, s’est anéanti lui-même et, prenant la forme de l’esclave, s’est fait obéissant jusqu’à la mort pour enseigner l’obéissance à ceux qui ne pouvaient pas obtenir le salut autrement que par l’obéissance, pour restaurer aussi les lois corrompues de l’art de gouverner et de régner, en soumettant tous ses ennemis sous ses pieds, et puisqu’il lui est nécessaire de régner jusqu’à ce qu’il ait mis ses ennemis sous ses pieds et qu’il ait détruit le dernier ennemi, la mort, pour apprendre à ceux qui gouvernent eux-mêmes les règles du gouvernement. Puisque donc, comme nous l’avons dit, il était venu restaurer la discipline non seulement de l’art de gouverner et de régner, mais aussi de celui d’obéir, accomplissant en lui-même ce qu’il voulait être accompli par les autres, il ne s’est pas fait seulement obéissant au Père jusqu’à la mort de la croix, mais aussi à la consommation du siècle, embrassant en lui-même tous ceux qu’il a soumis à son Père et qui par lui viennent au salut, il est dit qu’avec eux et en eux il se soumettra au Père, puisque tout subsiste en lui et qu’il est la tête de toute chose et qu’en lui se trouve la plénitude de ceux qui obtiennent le salut. C’est ce que dit de lui l’Apôtre : Lorsque tout lui sera soumis, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Je pense que cette expression attribuée à Dieu être tout en tout signifie aussi qu’il sera tout en chaque être. Il sera tout en chaque être en ce sens que tout ce qu’une INTELLIGENCE raisonnable, purifiée de toutes les ordures des vices et nettoyée complètement de tous les nuages de la malice, peut sentir, comprendre et croire, tout cela sera Dieu, et elle ne fera rien d’autre que sentir Dieu, penser Dieu, voir Dieu, tenir Dieu, Dieu sera tous ses mouvements : et c’est ainsi que Dieu lui sera tout. Il n’y aura plus de discernement du mal et du bien, car il n’y aura plus de malDieu en effet lui est tout, lui en qui il n’y a pas de mal – et celui-là ne désirera plus manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal qui est toujours dans le bien et à qui Dieu est tout. Si donc la fin restituée selon la condition initiale et la consommation des choses rapportée à leur début restaureront l’état qu’avait alors la nature raisonnable, quand elle n’avait pas besoin de manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, après avoir écarté tout sentiment de malice, l’avoir nettoyé pour parvenir à la propreté et à la pureté, celui-là seul qui est l’unique Dieu bon lui deviendra tout et il sera tout, non seulement en quelques-uns, ni en beaucoup, mais en tous, quand il n’y aura plus de mort, plus d’aiguillon de la mort, et absolument plus de mal : alors Dieu sera vraiment tout en tous. Mais cette perfection et cette béatitude des natures raisonnables, certains pensent qu’elle perdurera dans l’état dont nous avons parlé, c’est-à-dire celui où tous les êtres possèdent Dieu et où Dieu est pour eux tout, si leur union avec la nature corporelle ne les en éloigne pas du tout. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section

Puisque nous trouvons chez l’apôtre Paul une mention du corps spirituel, recherchons, comme nous le pouvons, ce qu’il faut penser à ce sujet. Autant que notre INTELLIGENCE peut le comprendre, nous pensons que la qualité d’un corps spirituel doit permettre non seulement aux âmes saintes et parfaites de l’habiter, mais encore à toutes ces créatures qui seront libérées de la servitude de la corruption. De ce corps l’Apôtre dit aussi que nous avons une maison non faite de main d’homme, éternelle dans les deux, c’est-à-dire dans les demeures des bienheureux. De cela nous pouvons conjecturer la pureté, la subtilité et la gloire qui seront les qualités de ce corps, si nous le comparons à ceux qui maintenant, bien qu’ils soient des corps célestes et très resplendissants, sont cependant faits par la main et visibles. Au contraire il est dit de celui-là qu’il est une maison non faite de main d’homme, mais éternelle dans les deux. Puisque donc le visible est temporel, l’invisible éternel, tous ces corps que nous voyons soit sur terre soit dans les cieux, qui peuvent être vus, qui sont faits par la main et ne sont pas éternels, sont dépassés de très loin par celui-là qui n’est pas visible ni fait de main d’homme, mais est éternel. A partir de cette comparaison, on peut soupçonner la beauté, la splendeur et l’éclat du corps spirituel ; il est vrai, comme c’est écrit, que l’oeil n’a pas vu ni l’oreille entendu, qu’il n’est pas encore monté jusqu’au coeur de l’homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. Il n’est pas douteux que la nature de ce corps qui est nôtre, par la volonté de Dieu qui l’a créée ainsi, pourra parvenir par l’action du Créateur à cette qualité de corps très subtil, très pur et très resplendissant, selon que l’état des choses l’exigera et que les mérites de la nature raisonnable le demanderont. En fait, lorsque le monde a eu besoin de variété et de diversité, la matière s’est livrée en toute disponibilité dans les différents aspects et espèces des choses à celui qui l’a faite, puisqu’il est son seigneur et son créateur, pour qu’il puisse tirer d’elle les formes diverses des êtres célestes et terrestres. Mais lorsque tous les êtres commenceront à se hâter à devenir tous un comme le Père est un avec le Fils, il faut comprendre logiquement que là où tous seront un, il n’y aura plus de diversité. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Seconde section

Le cantique du Deutéronome montre prophétiquement que l’élection des nations sans INTELLIGENCE par suite des péchés du premier peuple ne s’est pas faite par un autre que par Jésus. Car il dit : Ceux-ci m’ont rendu jaloux à cause de ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité avec leurs idoles ; et moi je les rendrai jaloux à cause de ce qui n’est pas une nation, je les irriterai avec une nation sans INTELLIGENCE. Il est possible de comprendre avec beaucoup de clarté de quelle manière les Hébreux qui, selon l’Écriture, ont rendu Dieu jaloux à cause de ce qui n’est pas Dieu et l’ont irrité avec leurs idoles, se sont irrités eux-mêmes jusqu’à la jalousie à cause de ce qui n’est pas une nation, à cause de la nation sans INTELLIGENCE que Dieu a choisie par la venue du Christ Jésus et par ses disciples. Nous voyons donc comment nous avons été appelés : il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles; mais Dieu a choisi ce qui est fou dans ce monde pour confondre les sages, et Dieu a choisi ce qui est sans naissance, méprisé, et ce qui n’existe pas pour détruire ce qui auparavant existait ; et que l’Israël selon la chair ne se glorifie pas devant Dieu, lui qui est appelé chair par l’Apôtre ! Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Première section

Les paroles divines enseignent que Dieu a choisi sur terre une nation appelée de nombreux noms. Tantôt l’ensemble de cette nation est appelé Israël, tantôt aussi Jacob. Mais lorsqu’elle fut divisée aux temps de Jéroboam fils de Nabat, les dix tribus qui furent sous son autorité se nommèrent Israël, les deux autres et celle de Lévi, gouvernées par des rois de la race de David, Juda. Tout le pays qu’habitaient les gens de cette nation et qui leur avait été donné par Dieu s’appelle la Judée dont la métropole est Jérusalem, évidemment métropole de beaucoup de villes dont les noms sont dispersés en bien des endroits des Écritures, mais sont énumérés en une liste dans le livre de Jésus fils de Navé. Cela étant ainsi, l’Apôtre dit quelque part pour élever notre INTELLIGENCE : Voyez l’Israël selon la chair, comme s’il y avait un Israël selon l’esprit. Et ailleurs il dit : Ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu, et : Ni tous ceux qui sont d’Israël sont Israël. Et ce n’est pas non plus le cas du Juif à découvert ni de la circoncision à découvert dans la chair, mais du Juif dans le secret et de la circoncision du coeur dans l’esprit non dans la lettre. Mais si on juge du Juif dans le secret il faut comprendre que, de même qu’il y a une race de Juifs corporels, de même il y a une nation de Juifs dans le secret, l’âme possédant cette noblesse d’après certaines raisons ineffables. Mais de nombreuses prophéties concernent Israël et Juda, prédisant ce qui doit leur advenir. Et les si grandes promesses qui leur sont faites dans l’Écriture, elles qui selon la lettre sont basses et ne présentent aucune élévation digne de la promesse de Dieu, n’ont-elles pas besoin, assurément, d’une explication mystique ? S’il s’agit de promesses intelligibles faites par le moyen de réalités sensibles, ceux à qui ces promesses sont faites ne sont pas corporels. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

S’il est frappant de constater ce qui est dit d’Israël, de ses tribus et de ses clans, lorsque le Sauveur dit : Je ne suis venu que pour les brebis perdues de la maison d’Israël, nous ne comprenons pas cela comme les Ebionites pauvres en INTELLIGENCE, car ils tirent leur nom de leur INTELLIGENCE pauvre – Ebion veut dire pauvre en hébreu -, de manière à concevoir que le Christ est venu principalement pour les Israélites charnels. Car : Ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu. L’Apôtre enseigne aussi de telles choses sur Jérusalem, car : La Jérusalem d’en-haut est libre, elle qui est notre mère. Et dans une autre épître : Mais vous êtes venus à la montagne de Sion et à la ville du Dieu vivant, à une Jérusalem céleste et à l’assemblée des anges par myriades, à l’Église des premiers-nés qui sont inscrits dans les deux. Si donc il y a dans les sortes d’âmes Israël et dans le ciel une ville de Jérusalem, il s’ensuit que les villes d’Israël ont pour métropole la Jérusalem qui est dans les cieux, et il en est de même en conséquence de toute la Judée. Tout ce qui a été prophétisé et dit de Jérusalem, si nous entendons Paul parlant de la part de Dieu et exprimant la sagesse, c’est de la ville céleste et de tout le pays qui contient les villes de la Terre sainte qu’il faut comprendre ce que les Écritures annoncent. Car peut-être le Sauveur désigne-t-il pour nous allégoriquement ces villes quand, à ceux qui ont été appréciés pour leur bonne gestion des mines, il donne le gouvernement des dix ou des cinq villes. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Mais, en tout cela, qu’il nous suffise de conformer notre INTELLIGENCE à la règle de piété et de penser de l’Esprit Saint que sa parole n’est pas composée avec l’élégance des discours qui relèvent de la fragilité humaine, mais que, comme il est écrit : Toute la gloire du roi est à l’intérieur, le trésor des significations divines est contenu et enfermé dans le vase fragile de la lettre vile. Mais si quelqu’un est plus curieux et demande l’explication des détails, qu’il vienne entendre avec nous comment l’apôtre Paul, scrutant les profondeurs de la divine sagesse et de la divine connaissance, avec l’aide de l’Esprit Saint qui scrute même les profondeurs de Dieu, et n’ayant pas la force d’en venir à bout et de parvenir, pour ainsi dire, à une connaissance intime, désespère d’y arriver et s’exclame dans sa stupeur : Ô profondeur des richesses de la sagesse et de la connaissance de Dieu ! Et combien il désespère, dans cette exclamation, d’atteindre à la compréhension parfaite, on l’apprend de ces paroles : Combien les jugements de Dieu sont impossibles à scruter et ses voies à suivre à la trace ! Il ne dit pas en effet qu’il est difficile de pouvoir scruter les jugements de Dieu, mais qu’on ne le peut pas du tout ; il ne dit pas qu’il est difficile de suivre ses voies à la trace, mais qu’on ne peut pas le faire. On peut, certes, avancer dans cet examen, on peut y progresser en s’y appliquant de plus en plus intensément, par la grâce de Dieu qui illumine l’INTELLIGENCE, mais on ne pourra atteindre parfaitement la fin de ce qu’on recherche. Aucune INTELLIGENCE créée n’a la possibilité de parvenir à une connaissance absolue, mais, dès qu’elle trouve quelque chose de ce qu’elle cherche, elle en voit d’autres qui sont à chercher ; et si elle parvient à ces dernières, elle en verra de bien plus nombreuses qui seront encore à chercher. C’est pourquoi le très sage Salomon, contemplant dans sa sagesse la nature des choses, dit : J’ai dit : Je deviendrai sage. Et cette sagesse s’est éloignée de moi, plus qu’elle ne l’était avant. Qui trouvera l’immensité de sa profondeur ? Et Isaïe, sachant que les débuts des choses ne peuvent être trouvés par une nature mortelle, même pas par ces natures qui, bien plus divines que l’humaine, ont cependant elles-mêmes été faites et créées, sachant donc qu’aucune d’elle ne peut trouver ni le début ni la fin, dit : Dites ce qui fut avant et nous saurons que vous êtes des dieux ; annoncez ce qu’il y aura en dernier lieu et nous verrons que vous êtes des dieux. Car un docteur hébreu expliquait cela ainsi : le début et la fin de toutes choses ne peuvent être compris par personne, si ce n’est seulement par le Seigneur Jésus-Christ et par l’Esprit Saint, et c’est pourquoi Isaïe disait sous forme de vision que les deux Séraphins sont les seuls qui de deux ailes couvrent la face de Dieu, de deux autres les pieds et de deux ailes volent en se criant l’un à l’autre : Saint ! Saint ! Saint ! le Seigneur Sabaoth, toute la terre est pleine de ta gloire ! Puisque les deux Séraphins seuls ont leurs ailes sur la face de Dieu et sur ses pieds, il faut avoir l’audace d’affirmer que ni les armées des saints anges, ni les saints Trônes, Dominations, Principautés et Puissances ne peuvent connaître intégralement le début de tout et la fin de l’univers. Mais il faut comprendre que ces saints esprits et puissances ici mentionnés sont proches de ces débuts et en perçoivent plus que les autres ne peuvent le faire ; cependant quel que soit ce qu’ont appris ces puissances sur la révélation du Fils de Dieu ou de l’Esprit Saint, quelle que soit la quantité de connaissances qu’elles ont pu atteindre, certes beaucoup plus grande pour les puissances supérieures que pour les inférieures, il leur est cependant impossible de comprendre tout, puisqu’il est écrit : La plus grande partie des oeuvres de Dieu reste cachée. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

C’est pourquoi il est souhaitable que chacun dans la mesure de ses forces tende à ce qui est devant, oubliant ce qui est en arrière, qu’il s’agisse des oeuvres meilleures ou aussi d’une INTELLIGENCE et compréhension plus pure, par Jésus-Christ notre Sauveur à qui appartient la gloire pour les siècles. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Cependant il faut savoir que jamais la substance ne subsiste sans qualité et que seule l’INTELLIGENCE discerne que ce qui est le substrat des corps et est capable de recevoir une qualité est la matière. Certains, voulant se livrer à ce sujet à une recherche plus profonde, ont osé dire que la nature corporelle n’est pas autre chose que les qualités. En effet, si la dureté et la mollesse, le chaud et le froid, l’humide et le sec, sont des qualités, lorsqu’on les supprime, elles et les autres qualités de même nature, on s’aperçoit qu’il n’y a plus de substrat, alors les qualités paraîtront être tout. C’est pourquoi les partisans de cette thèse ont essayé de soutenir ceci : puisque tous ceux qui admettent une matière incréée reconnaissent que les qualités ont été faites par Dieu, on trouve alors que, même pour eux, la matière elle-même n’est pas incréée, puisque les qualités sont tout, et que tous, sans contradiction, affirment qu’elles ont été faites par Dieu. Mais ceux qui veulent montrer que les qualités sont ajoutées du dehors à une matière sous-jacente, se servent d’exemples du genre suivant : Paul, sans aucun doute, ou se tait ou parle, ou veille ou dort, ou bien il garde une attitude définie du corps, c’est-à-dire ou il est assis ou il se tient debout ou il est couché. Tout cela constitue pour les hommes des caractères accidentels, mais on ne peut presque jamais les trouver sans l’un d’eux. Cependant l’idée que nous avons de l’homme ne définit manifestement aucun de ces caractères, mais nous le comprenons et considérons sans tenir compte en aucune façon de son attitude, qu’il soit en état de veille ou de sommeil, en train de parler ou de se taire, ni des autres circonstances accidentelles auxquelles les hommes sont nécessairement soumis. De même qu’on considère Paul sans aucun de ces caractères accidentels, de même on pourra comprendre le substrat sans les qualités. Lorsque notre INTELLIGENCE, ayant écarté toute qualité de sa compréhension, contemple le point, si on peut ainsi parler, de la seule substance sous-jacente et s’y attache, sans regarder à la dureté ou à la mollesse, au chaud ou au froid, à l’humide ou au sec qui affectent cette substance, alors, par une sorte de pensée artificielle, elle semblera contempler la matière dépouillée de toutes ces qualités. Mais on demandera peut-être s’il est possible de trouver dans les Écritures quelque chose qui permette de comprendre cela. Il me semble que c’est indiqué dans les Psaumes par cette parole du prophète : Mes yeux ont vu ton incomplétude. Il semble que l’INTELLIGENCE du prophète, examinant les principes des choses avec un regard plus perspicace et distinguant avec l’intellect et la raison seuls la matière des qualités, ait senti en Dieu une incomplétude, qui se parfait, comme il faut le comprendre, par l’adjonction des qualités. Dans son livre, Enoch parle ainsi : J’ai cheminé jusqu’à ce qui est imparfait; on peut le comprendre de façon semblable : l’INTELLIGENCE du prophète a cheminé, scrutant et discutant une à une toutes les choses visibles jusqu’à parvenir au principe où l’on voit la matière imparfaite sans ses qualités. Il est en effet écrit dans le même livre de la bouche d’Enoch : J’ai considéré toutes les matières. C’est à comprendre ainsi : j’ai examiné l’une après l’autre toutes les divisions de la matière, qui, à partir de l’unité de la matière, se sont séparées en chaque espèce, celles des hommes, des animaux, du ciel, du soleil et de tout ce qui est dans ce monde. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Nous avons ensuite montré, comme nous l’avons pu, dans les pages précédentes, que tout ce qui est a été fait par Dieu et que rien n’existe qui n’ait été fait excepté la nature du Père, du Fils et de l’Esprit Saint ; en outre que Dieu, qui est bon par nature, voulant avoir des êtres à qui manifester ses bienfaits, des êtres qui se réjouiraient de les avoir reçus, a fait des créatures dignes de lui, c’est-à-dire qui puissent le comprendre dignement : il dit d’elles qu’il a engendré des fils. Il a fait ainsi toutes choses avec nombre et mesure : rien en effet n’est pour Dieu sans limite et sans mesure. Par sa puissance, Dieu comprend toutes choses et lui-même n’est compris par aucune INTELLIGENCE créée. Sa nature est connue de lui seul. Seul en effet le Père connaît le Fils et seul le Fils connaît le Père et seul le Saint Esprit scrute même les profondeurs de Dieu. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Toute créature donc est distinguée auprès de Dieu comme comprise dans un nombre ou mesure déterminés, c’est-à-dire le nombre pour les êtres raisonnables, la mesure pour la matière corporelle ; il était nécessaire que la nature intellectuelle se servît de corps, car on la conçoit comme muable et convertible par le fait même de sa création – ce qui en effet n’était pas et a commencé à être, par ce fait même est manifesté comme ayant une nature muable et c’est pourquoi sa vertu et sa malice ne sont pas substantielles, mais accidentelles – ; à cause de cette mutabilité et convertibilité de la nature raisonnable déjà mentionnée, elle devait se servir selon ses mérites d’un vêtement corporel de nature diverse, ayant telle ou telle qualité. Pour toutes ces raisons, nécessairement, Dieu, qui connaissait d’avance les variations futures des âmes ou des puissances spirituelles, a créé la nature corporelle capable de se transformer selon la volonté du créateur, par les mutations de ses qualités, en tous les états que demanderait la situation. Il faut qu’elle subsiste tout le temps que subsistent les êtres qui ont besoin d’elle comme vêtement. Or il y aura toujours des natures raisonnables qui auront besoin de vêtement corporel : par conséquent il y aura toujours une nature corporelle dont les créatures raisonnables devront se servir comme vêtement ; à moins que l’on puisse montrer avec preuves que la nature raisonnable puisse vivre sans aucun corps. Nous avons montré plus haut, en le discutant en détail, combien cela est difficile et presque impossible à notre INTELLIGENCE. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Toute INTELLIGENCE qui participe à la lumière intellectuelle doit être sans aucun doute d’une seule nature avec toute autre INTELLIGENCE qui participe également à la lumière intellectuelle. Si donc les puissances célestes ont participation à la lumière intellectuelle, c’est-à-dire à la nature divine, parce qu’elles participent à la sagesse et à la sanctification, et si l’âme humaine a participation à cette même lumière et à cette même sagesse, les unes et les autres seront d’une seule nature et d’une seule substance. Or les puissances célestes sont incorrompues et immortelles : sans aucun doute la substance de l’âme humaine sera incorrompue et immortelle. Il ne faut pas s’arrêter là, mais, puisque la nature même du Père, du Fils et du Saint Esprit, qui est la seule lumière intellectuelle dont toute la création tire sa participation, est incorrompue et éternelle, il est très logique et nécessaire que toute substance qui tire sa participation de cette nature éternelle demeure elle-même toujours incorruptible et éternelle, de sorte que l’éternité de la bonté divine soit perçue aussi dans le fait que sont éternels ceux-là mêmes qui reçoivent ses bienfaits. Mais de même qu’on a vu par des exemples que la lumière est perçue de façon diverse, selon que la vue de celui qui regarde est qualifiée de plus émoussée ou de plus aiguë, de même, quand il s’agit du Père, du Fils et du Saint Esprit, il faut respecter la diversité dans la manière de participer à eux selon l’intention de la pensée et la capacité de l’INTELLIGENCE. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

L’INTELLIGENCE n’a pas non plus besoin de grandeur corporelle pour faire quelque chose ou pour se mouvoir, comme c’est le cas de l’oeil qui se dilate pour observer des corps plus grands, mais pour voir les plus petits se contracte et se resserre. Certes l’INTELLIGENCE a besoin de grandeur d’ordre intelligible, car elle ne croît pas de façon corporelle, mais intellectuelle. Ce n’est pas par une croissance corporelle que l’INTELLIGENCE grandit comme le corps jusqu’à la vingtième ou la trentième année, mais c’est par l’enseignement et des exercices appropriés que s’affine son acuité : toutes les dispositions naturelles sont mises en oeuvre pour comprendre, et l’INTELLIGENCE devient capable d’une meilleure compréhension, sans s’accroître corporellement, mais en s’affinant par les exercices que comporte l’enseignement. Tout cela elle ne peut le recevoir dès l’enfance ni à la naissance, car l’organisation des membres qui servent d’instruments à l’INTELLIGENCE pour son exercice est encore faible et infirme : elle n’a pas la force d’agir ni ne possède les capacités suffisantes pour recevoir l’instruction. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Si certains jugent que l’INTELLIGENCE ou l’âme elle-même est un corps, qu’ils me disent comment elle reçoit les notions et les affirmations de tant de choses si difficiles et si subtiles. D’où lui vient la faculté de la mémoire ? D’où lui vient la considération des réalités invisibles ? D’où, certes, la compréhension des choses incorporelles peut-elle se trouver dans un corps ? Comment une nature corporelle examinerait-elle les doctrines des différents arts, les théories et les raisons des êtres ? D’où lui vient de penser et de comprendre les vérités divines qui sont manifestement incorporelles ? A moins de penser ce qui suit : la forme de ce corps et la constitution des oreilles et des yeux ont quelque rapport avec l’audition et la vision, et chaque membre façonné par Dieu rend possible d’une certaine façon, par la qualité même de sa forme, la fonction à laquelle il est naturellement destiné : de même, il faudrait croire que l’âme ou l’INTELLIGENCE a été formée d’une manière adaptée et appropriée à son activité, qui est de penser et de comprendre chaque chose et d’être mue par les mouvements de la vie. Mais je ne vois pas comment on pourrait attribuer une couleur à l’INTELLIGENCE et la décrire en tant qu’elle est l’INTELLIGENCE et qu’elle se meut sur le plan intellectuel. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Pour confirmer encore et expliquer ce que nous avons dit de l’INTELLIGENCE ou de l’âme, à savoir qu’elles dépassent toute la nature corporelle, nous pouvons ajouter ce qui suit. A chaque sens du corps correspond en propre une substance sensible vers laquelle ce sens est dirigé. Par exemple, à la vision correspondent les couleurs, les formes, la grandeur, à l’ouïe les voix et les sons, à l’odorat les odeurs, bonnes ou mauvaises, au goût les saveurs, au toucher le chaud et le froid, le dur et le mou, le rugueux et le lisse. Il est clair à tous que la sensibilité de l’INTELLIGENCE est bien supérieure à tous ces sens dont nous venons de parler. Ne serait-il pas absurde que des substances correspondent aux sens qui sont de moindre valeur et qu’à la faculté qui leur est supérieure, au sens de l’INTELLIGENCE, rien de substantiel ne réponde, mais que la faculté de la nature intellectuelle soit accidentelle dans les corps et en soit la conséquence ? Ceux qui parlent ainsi outragent sans aucun doute ce qu’il y a de meilleur en eux : bien mieux, l’injure rejaillit sur Dieu lui-même, lorsqu’ils pensent que par la nature corporelle on peut le comprendre et qu’il serait donc un corps, quelque chose que par le corps on pourrait comprendre et penser. Et ils ne veulent pas comprendre qu’il y a une certaine parenté entre l’INTELLIGENCE et Dieu, dont l’INTELLIGENCE elle-même est une image intellectuelle, et que par là elle peut saisir quelque chose de la nature divine, surtout si elle est davantage purifiée et séparée de la matière corporelle. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Mais si quelqu’un nous objecte la phrase : Bienheureux les coeurs purs, parce qu’ils verront Dieu, cette objection, à mon avis, confirmera davantage notre assertion. Car qu’est-ce que voir Dieu avec le coeur, sinon, comme nous l’avons exposé plus haut, le comprendre et le connaître par l’INTELLIGENCE ? Fréquemment, en effet, les appellations des organes sensibles sont rapportées à l’âme. On dit qu’elle voit avec les yeux du coeur, c’est-à-dire qu’elle devine par la force de l’INTELLIGENCE quelque réalité intellectuelle ; on dit qu’elle entend avec les oreilles, lorsqu’elle perçoit un sens d’une compréhension plus profonde ; on dit qu’elle se sert de dents, lorsqu’elle mâche et mange le pain de vie descendu du ciel ; on dit pareillement qu’elle use du ministère des autres organes qui, sous une appellation corporelle, sont attribués aux facultés de l’âme, selon ce que dit Salomon : Tu trouveras une sensibilité divine. Il savait en effet qu’il y a en nous deux genres de sensibilité, l’un qui est mortel, corruptible, humain, et l’autre immortel et intellectuel qu’il appelle ici divin. C’est par cette sensibilité divine, non des yeux, mais du coeur pur qui est l’INTELLIGENCE, que Dieu peut être vu de ceux qui en sont dignes. On trouve abondamment dans toutes les Écritures, les nouvelles comme les anciennes, le mot coeur appliqué à l’INTELLIGENCE, c’est-à-dire à la faculté intellectuelle. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Ayant ainsi compris la nature de Dieu, d’une manière bien inférieure à ce qu’il faudrait, à cause de l’infirmité de l’INTELLIGENCE humaine, voyons maintenant ce que veut dire le nom de Christ. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Première section

Ne pensons pas cependant qu’en appelant le Christ Sagesse de Dieu nous le traitons comme un être sans substance : comme si, pour prendre un exemple, nous n’en faisions pas un être animé sage, mais une sorte de chose qui rendrait sage, en se présentant et en pénétrant dans les INTELLIGENCEs de ceux qui sont devenus capables de recevoir les facultés et la compréhension qu’elle donne. S’il est admis une fois pour toutes que le Fils unique de Dieu est sa Sagesse subsistant de manière substantielle, je ne crois pas que notre pensée pourra désormais s’égarer à soupçonner que son hypostase, c’est-à-dire sa substance, ait quelque chose de corporel, puisque tout ce qui est corporel est déterminé par sa forme, sa couleur et sa grandeur. Qui rechercherait dans la Sagesse, à moins d’être fou, par le fait même qu’elle est sagesse, forme, couleur ou dimensions mesurables ? Comment peut-on penser et croire, si on veut savoir et penser pieusement de Dieu, que Dieu le Père ait jamais été, même un petit moment, sans engendrer cette Sagesse ? Ou l’on dira que Dieu n’a pas pu engendrer cette Sagesse avant qu’il l’ait engendrée, de sorte qu’il a mis au monde ensuite ce qui n’existait pas auparavant, ou bien qu’il pouvait, certes, l’engendrer, mais, supposition qu’on ne doit pas faire, qu’il ne le voulait pas. Car l’une et l’autre hypothèses sont absurdes et impies, cela est clair, qu’on imagine qu’il ait progressé de l’impuissance à la puissance, ou que, pouvant le faire, il ait négligé et différé d’engendrer la Sagesse. C’est pourquoi nous savons que Dieu est toujours le Père de son Fils unique, né de lui, tenant de lui ce qu’il est, sans aucun commencement cependant, qu’il s’agisse d’un commencement temporel, et même d’un commencement de raison, que l’INTELLIGENCE seule peut considérer en elle-même et examiner dans sa compréhension nue, pour ainsi dire, et dans sa pensée. Il faut donc croire que la Sagesse a été engendrée sans aucun commencement qu’on puisse affirmer ou penser. Dans cet être subsistant de la Sagesse était virtuellement présente et formée toute la création future, que ce soit les êtres qui existent en premier lieu, que ce soit les réalités accidentelles et accessoires, tout cela préformé et disposé en vertu de la prescience. A cause de ces créatures qui étaient en elle comme dessinées et préfigurées, la Sagesse dit par la bouche de Salomon qu’elle a été créée comme principe de ses voies, car elle contient en elle-même les principes, les raisons et les espèces de toute la création. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

Nous avons donc compris comment la Sagesse est le principe des voies de Dieu et comment elle est dite créée, en tant qu’elle préforme et contient en elle les espèces et les raisons de toute la création. Il faut comprendre de même qu’elle est la Parole de Dieu par le fait qu’elle ouvre à tous les autres êtres, c’est-à-dire à toute la création, la raison des mystères et des secrets, tous contenus sans exception dans la Sagesse de Dieu : et par là elle est appelée Parole, car elle est comme l’interprète des secrets de l’INTELLIGENCE. C’est ainsi que me paraît juste ce mot que l’on trouve dans les Actes de Paul : Il est la Parole, un être animé et vivant. Mais Jean, d’une manière supérieure et bien plus belle, proclame au début de son évangile, en définissant à proprement parler que la Parole est Dieu : Et la Parole était Dieu et elle était au début auprès de Dieu. Celui qui attribue un commencement à la Parole de Dieu et à la Sagesse de Dieu, ne bafoue-t-il pas davantage encore de façon impie le Père inengendré, en lui refusant d’avoir toujours été père, d’avoir engendré une Parole et eu une Sagesse dans tous les temps et siècles antérieurs, de quelque façon qu’on puisse les nommer ? Ce Fils est aussi de tous les êtres la Vérité et la Vie : à juste titre. Car comment vivraient ceux qui ont été faits, sinon par le moyen de la Vie ? Comment seraient-ils fondés dans la vérité ceux qui sont, s’ils ne dérivaient pas de la Vérité ? Comment pourrait-il y avoir des êtres raisonnables si la Parole-Raison ne les précédait pas ? Comment pourrait-il y avoir des sages sans la Sagesse ? Mais puisqu’il devait arriver que quelques-uns s’écartent de la Vie et se donnent à eux-mêmes la mort par le fait même de s’écarter de la Vie – car mourir n’est pas autre chose que s’éloigner de la vie – et comme il n’était pas du tout normal que ce qui avait été une fois créé par Dieu pour vivre soit totalement perdu, il a fallu qu’existé, avant la mort, une puissance capable de détruire la mort à venir et d’être la Résurrection, qui s’est formée dans notre Seigneur et Sauveur : cette Résurrection existe dans la Sagesse de Dieu elle-même, sa Parole et sa Vie. Et ensuite, puisqu’il devait se faire que quelques-uns des êtres créés, possédant le bien non par nature, c’est-à-dire par substance, mais par accident, et n’ayant pas la force de rester inconvertibles et immuables et de persévérer toujours dans les mêmes biens avec équilibre et mesure, changent de condition et s’écartent de leur état, la Parole et Sagesse de Dieu s’est faite Voie : elle est appelée Voie parce qu’elle conduit au Père ceux qui la suivent. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

A la seconde comparaison peut correspondre l’image qu’est le Fils de Dieu dont nous parlons maintenant, même en tant qu’il est invisible comme image du Dieu invisible. L’histoire dit pareillement que l’image d’Adam fut son fils Seth : en effet il est écrit : Adam engendra Seth selon son image et selon sa forme. Cette image implique l’unité de nature et de substance du Père et du Fils. En effet si tout ce que le Père fait, le Fils le fait pareillement, puisque le Fils fait tout comme le Père, l’image du Père est formée dans le Fils qui assurément est né de lui comme une volonté de lui, procédant de l’INTELLIGENCE. C’est pourquoi je pense que la volonté du Père doit suffire à faire subsister ce que veut le Père. Dans son vouloir, il n’utilise pas une autre voie que la volonté qu’il émet dans son conseil. C’est ainsi que l’être subsistant du Fils est engendré par lui. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

Cela doit être nécessairement accepté par ceux qui ne reconnaissent rien d’inengendré, c’est-à-dire qui ne soit pas né, si ce n’est Dieu le Père seul. Il faut le remarquer en effet, de peur de tomber dans les fables absurdes de ceux qui s’imaginent des prolations en mettant en morceaux la nature divine et en divisant Dieu le Père dans son essence, alors qu’avoir de cela le moindre soupçon en ce qui concerne la nature incorporelle est non seulement d’une extrême impiété, mais encore de la dernière sottise, et qu’il est absolument illogique de concevoir la possibilité d’une division de substance dans la nature incorporelle. C’est plutôt comme la volonté qui procède de l’INTELLIGENCE sans en retrancher une partie, sans se séparer ni s’isoler d’elle : c’est de cette manière, il faut le penser, que le Père a engendré le Fils, à savoir son image, et comme il est invisible par nature, il a engendré de même une image invisible. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

Voyons encore ce qu’il faut penser de ce que nous lisons dans la Sagesse de Salomon au sujet de la Sagesse : elle est un souffle de la puissance de Dieu et une émanation très pure de la gloire du Tout-Puissant, le rayonnement de la lumière éternelle et le miroir sans tache de l’activité ou de la puissance de Dieu et l’image de sa bonté. Cet écrit donne donc de Dieu cinq désignations et par chacune il indique certains attributs de la Sagesse de Dieu : il nomme en effet la puissance de Dieu, la gloire, la lumière éternelle, l’activité et la bonté. Il appelle la Sagesse un souffle, mais non de la gloire du Tout-Puissant, ni de la lumière éternelle, ni de l’activité du Père, ni de sa bonté, car à aucun de ces termes il ne convenait d’attribuer le souffle : mais, en toute propriété de termes, il a dit que la Sagesse est un souffle de la puissance de Dieu. Il faut comprendre cette puissance de Dieu comme celle qui le rend vigoureux, qui lui permet d’établir, de contenir, de gouverner tout le visible et l’invisible, de suffire à tout ce dont il assume la providence : à tout cela cette puissance est unie et présente. Bien que de cette puissance si immense ce souffle et, pour ainsi dire, cette vigueur elle-même, devenue un être subsistant en propre, procède de cette même puissance comme la volonté de l’INTELLIGENCE, en tant que volonté même de Dieu, elle devient néanmoins Puissance de Dieu. Elle est alors une autre puissance subsistant en propre et, comme le dit l’Écriture, un souffle de la puissance de Dieu première et inengendré, tirant d’elle tout ce qu’elle est : il n’y a pas eu en effet de moment où elle n’était pas. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Seconde section

Maintenant, continuant notre exposé, recherchons brièvement ce que nous pouvons dire de l’Esprit Saint. Tous ceux qui croient de quelque façon qu’il y a une providence, confessent un Dieu inengendré qui a créé et qui gouverne l’univers et reconnaissent qu’il est le père de l’univers. Qu’il ait un Fils, nous ne sommes pas les seuls à l’affirmer, bien que cela paraisse assez étrange et incroyable à ceux que, chez les Grecs et les barbares, on considère comme des philosophes : cependant cette opinion semble tenue par quelques-uns d’entre eux, lorsqu’ils confessent que tout a été créé par la Parole ou la Raison de Dieu. Mais nous, faisant foi à sa doctrine que nous tenons avec certitude pour divinement inspirée, nous croyons qu’il n’est possible de parler du Fils de Dieu d’une manière plus éminente et plus divine et d’en donner la connaissance aux hommes que par le moyen de son Écriture, inspirée par l’Esprit Saint, c’est-à-dire de l’Évangile et des écrits apostoliques, de la loi et des prophètes, comme le Christ lui-même l’a affirmé. Quant à l’être substantiel qu’est l’Esprit Saint, personne n’a pu en avoir le moindre soupçon, si ce n’est ceux qui connaissent la loi et les prophètes ou qui professent la foi dans le Christ. Car si personne ne peut parler dignement de Dieu le Père, il est cependant possible d’en acquérir quelque compréhension à l’occasion des créatures visibles et de ce que l’INTELLIGENCE humaine perçoit naturellement : en outre tout cela peut être confirmé par le témoignage des Écritures saintes. Et quant au Fils de Dieu, bien que personne ne connaisse le Fils si ce n’est le Père, l’INTELLIGENCE humaine apprend cependant des divines Écritures ce qu’il faut penser de lui : il ne s’agit pas alors seulement du Nouveau Testament, mais encore de l’Ancien, en rapportant de façon figurée au Christ les actions des saints, qui nous font connaître la nature divine et aussi la nature humaine qu’il a assumée. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Troisième section

Mais à ce point l’INTELLIGENCE humaine est dans l’embarras et dans l’incapacité de comprendre comment, du fait que Dieu existe, il y ait toujours eu des créatures et qu’elles aient subsisté pour ainsi dire sans commencement, alors que sans aucun doute il faut croire qu’elles ont été créées et faites par Dieu. Sur ce point les pensées et les compréhensions humaines sont en lutte, car des raisons de part et d’autre très fortes se présentent et s’opposent, entraînant chacune dans son sens la pensée de celui qui y réfléchit. LIVRE I: Premier traité (I, 1-4): Appendice

Nous voyons ce qu’est la fin, lorsque tous les ennemis seront soumis au Christ, lorsque le dernier ennemi sera détruit, la mort, et lorsque la royauté sera transmise à Dieu le Père par le Christ à qui tout a été soumis : à partir de cette fin, dis-je, examinons les commencements des choses. La fin est en effet toujours semblable au commencement : et c’est pourquoi, de même que la fin de toutes choses est l’unité, de même il faut comprendre que le commencement de tout est l’unité. Comme cette fin unique est celle de nombreux êtres, ainsi à partir d’un commencement unique, il y a beaucoup de différences et de variétés qui de nouveau, par la bonté de Dieu, la soumission du Christ et l’unité de l’Esprit Saint, sont ramenées à une seule fin semblable au début. Il s’agit de tous ceux qui, fléchissant le genou devant Jésus, donnent par là témoignage de leur soumission, parmi les êtres célestes, terrestres et infernaux : ces trois catégories désignent tout l’univers, c’est-à-dire ceux qui, à partir d’un commencement unique, se comportant de façon variée chacun de son propre mouvement, ont été répartis en divers ordres selon leur mérite ; car la bonté n’était pas en eux de façon substantielle, comme en Dieu, dans son Christ et dans le Saint Esprit. Dans cette Trinité seule, qui est l’auteur de tout, la bonté est présente de façon substantielle : tous les autres êtres ont une bonté accidentelle et qui peut défaillir ; ils sont donc dans la béatitude quand ils participent à la sainteté, à la sagesse et à la divinité elles-mêmes. Si cependant ils négligent cette participation et ne s’en occupent pas, alors par la faute de leur propre paresse, l’un plus tôt, l’autre plus tard, un troisième plus ou moins profondément, chacun devient pour lui-même cause de sa chute et de sa déchéance. Et puisque, comme nous l’avons dit, cette chute ou cette déchéance, qui éloigne chacun de son état, se produit avec une très grande diversité selon les mouvements de l’INTELLIGENCE et de la volonté qui font pencher vers le bas, l’un plus légèrement, l’autre plus lourdement, en cela le jugement de la providence de Dieu est juste, car il atteint chacun selon la diversité de ses mouvements dans la mesure de son éloignement et de son agitation. Certes, parmi ceux qui sont restés dans l’état initial, que nous avons décrit semblable à la fin à venir, les uns obtiennent par eux-mêmes dans l’ordonnance et le gouvernement de l’univers le rang des anges, d’autres celui des Vertus, d’autres celui des Principautés, d’autres celui des Puissances – par là évidemment ils exercent leur puissance sur ceux qui ont besoin d’avoir la puissance sur leur tête -, d’autres l’ordre des Trônes, ayant la charge de juger et de diriger ceux qui en ont besoin, d’autres la Domination, sans aucun doute sur des serviteurs : tout cela leur est accordé par la divine providence selon un jugement équitable et juste, d’après leur mérite et leurs progrès, qui les ont fait croître dans la participation et l’imitation de Dieu. Mais ceux qui se sont écartés de l’état de béatitude première, non cependant de façon irrémédiable, sont soumis aux ordres saints et bienheureux que nous avons décrits plus haut, pour être gouvernés et dirigés, afin que, s’ils usent de leur aide, s’ils se réforment d’après leurs instructions et leurs doctrines salutaires, ils puissent revenir à leur état bienheureux et y être rétablis. C’est avec ceux-ci, autant que je puisse le penser, qu’a été constitué cet ordre du genre humain, qui assurément dans le siècle futur ou dans les siècles qui surviendront, lorsqu’il y aura selon Isaïe un ciel nouveau et une terre nouvelle, sera rétabli dans cette unité que promet le Seigneur Jésus lorsqu’il dit à Dieu le Père au sujet de ses disciples : Ce n’est pas pour eux seuls que je te prie, mais pour tous ceux qui croiront par leur parole en moi, afin que tous soient un, comme moi je suis en toi, Père, et toi en moi, afin que ceux-ci soient un en nous. Il ajoute : Afin qu’ils soient un, comme nous, nous sommes un, moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient eux-mêmes consommés en un. L’apôtre Paul lui aussi le confirme : Jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité de la foi pour former l’homme parfait, dans la mesure de la pleine maturité du Christ. Et de même cet apôtre nous exhorte, alors que nous sommes encore dans la vie présente, dans l’Église, où se trouve assurément la figure du royaume à venir, à une unité semblable à celle-là : Afin que vous disiez tous les mêmes choses et qu’il n’y ait pas parmi vous de dissensions, afin que vous soyez parfaits dans une seule et même pensée, dans une seule et même opinion. LIVRE I: Second traité (I, 5-8): Première section

Cette matière donc est si considérable et de telle nature qu’elle peut suffire à tous les corps du monde, à qui Dieu a voulu donner l’existence, et le créateur s’en sert pour fabriquer toutes les formes et espèces qu’il veut, lorsqu’elle reçoit les qualités qu’il a voulu lui imposer; je ne sais comment tant de grands hommes ont pensé qu’elle était incréée, c’est-à-dire qu’elle n’a pas été faite par le Dieu créateur de l’univers, et comment ils ont estimé que sa nature et son action étaient le produit du hasard. Je m’étonne que ces gens-là blâment ceux qui nient que Dieu soit le créateur et la providence de cet univers, qu’ils les accusent de pensées impies, parce qu’ils tiennent que le grand ouvrage du monde dure sans artisan et sans personne qui y pourvoie, alors qu’ils encourent eux-mêmes une accusation semblable d’impiété quand ils disent que la matière est incréée et coéternelle au Dieu incréé. Si nous suivons leur raisonnement et supposons par exemple que la matière n’a pas existé – comme ils l’affirment en disant que Dieu ne pouvait rien faire si rien n’était -, sans aucun doute Dieu aurait été oisif, n’ayant pas de matière pour pouvoir travailler, une matière qu’ils ne pensent pas être l’effet de sa providence, mais le produit du hasard ; et ils croient que ce qui se serait produit par hasard pourrait suffire à l’importance d’un si grand ouvrage et à la force de sa puissance, et que par l’art de sa sagesse cette matière pourrait être différenciée et ordonnée pour former un monde. Cela me semble tout à fait absurde et le propre d’hommes qui ignorent tout de la puissance et de l’INTELLIGENCE de la nature incréée. Mais pour pouvoir considérer avec plus de soin ce qu’il en est, qu’on nous accorde provisoirement que la matière n’existait pas et que Dieu, alors que rien n’existait, a donné l’existence à ce qu’il a voulu. Que faut-il penser ? Que cette matière que devait faire Dieu, qu’il amenait à l’existence par sa puissance et sa sagesse, afin que soit ce qui avant n’était pas, ait été meilleure, supérieure, d’un autre genre, que celle que ces gens-là appellent incréée, ou au contraire inférieure et plus mauvaise, ou bien semblable et identique ? Et je pense que n’importe qui comprendra que ni une matière meilleure ni une matière pire n’aurait pu recevoir les formes et les espèces de ce monde, si elle n’avait pas été pareille à celle qui les a reçues. Ne paraîtra-t-il pas impie de dire incréé ce qui, si on le croit créé par Dieu, sera trouvé sans aucun doute pareil à ce qui est dit incréé ? Pour appuyer notre foi sur ce point sur l’autorité des Écritures, voici comment dans les Livres des Macchabées, quand la mère des sept martyrs exhorte un de ses fils à supporter les supplices, cette doctrine est confirmée : Je te prie, mon fils, regarde vers le ciel, la terre et tout ce qu’ils contiennent, et à cette vue sache que Dieu a fait tout cela alors que cela n’existait pas. Et dans le Livre du Pasteur, au premier précepte, il est dit : Crois d’abord qu’il y a un seul Dieu qui a tout créé et disposé: à partir du néant il a donné l’existence à l’univers. Cela n’est pas sans rapport avec ce qui est dit dans les Psaumes : Il dit et tout fut fait; il commanda et tout fut créé. Ces paroles : Il dit et tout fut fait, paraissent s’appliquer à la substance de ce qui est; le reste : Il commanda et tout fut créé, aux qualités qui ont donné sa forme à la substance. Livre II: Troisième traité (II, 1-3): « Le monde et les créatures qui s’y trouvent »

Ces témoignages, couverts de l’autorité des Écritures, doivent suffire à réfuter ce que les hérétiques objectent d’ordinaire. Il ne paraîtra pas cependant inconvenant de discuter un peu avec eux par la voie du raisonnement. Demandons-leur donc s’ils savent quelle est chez les hommes la nature de la vertu et de la malice et s’il leur semble logique de parler de vertus en Dieu, ou, comme ils le pensent, dans ces deux Dieux. Qu’ils disent aussi si la bonté leur paraît être une vertu – je pense qu’ils le reconnaîtront sans aucun doute -, mais que diront-ils aussi de la justice ? Jamais assurément, à mon avis, ils ne perdront le sens au point de nier que la justice est une vertu. Si donc la vertu est le bien et la justice une vertu, sans aucun doute la justice est la bonté. S’ils disent que la justice n’est pas un bien, elle sera alors nécessairement un mal ou quelque chose d’indifférent. S’ils disent que la justice est un mal, je pense que ce serait une sottise de leur répondre : il me semble que je répondrais alors à des paroles insensées ou à des hommes à l’INTELLIGENCE détraquée. Comment peut-on penser que ce soit un mal de rendre le bien pour le bien ? Eux-mêmes le reconnaissent. S’ils disent que c’est quelque chose d’indifférent, il s’ensuit que si la justice est indifférente, c’est aussi le cas de la tempérance, de la prudence et de toutes les autres vertus. Et que répondrons-nous à Paul quand il dit : S’il y a une vertu, s’il y a quelque chose digne de louange, observez ce que vous avez appris, reçu et entendu de moi ou vu en moi ? Livre II: Premier traité (II, 4-5): Deuxième section

Mais après toutes ces merveilles et magnificences, la capacité d’étonnement de l’INTELLIGENCE humaine est complètement dépassée et la fragilité d’un entendement mortel ne voit pas comment elle pourrait penser et comprendre que cette Puissance si grande de la majesté divine, cette Parole du Père lui-même, cette Sagesse de Dieu dans laquelle ont été créés tout le visible et tout l’invisible, ait pu, comme il faut le croire, exister dans les étroites limites d’un homme qui s’est montré en Judée, et bien mieux que la Sagesse de Dieu ait pénétré dans la matrice d’une femme, soit née comme un petit enfant, ait émis des vagissements à la manière des nourrissons qui pleurent; et ensuite qu’elle ait été troublée par sa mort, comme on le rapporte et comme Jésus le reconnaît lui-même : Mon âme est triste jusqu’à la mort; et enfin qu’elle ait été conduite à la mort que les hommes jugent la plus indigne, bien qu’elle soit ressuscitée le troisième jour après. Tantôt nous voyons en lui certains traits humains qui paraissent ne différer en rien de la fragilité commune des mortels, tantôt des traits si divins qu’ils ne conviennent à personne d’autre qu’à la nature première et ineffable de la divinité : aussi l’entendement humain reste immobile par suite de son étroitesse et frappé d’une telle stupéfaction qu’il ignore où aller, que tenir, vers où se tourner. Pense-t-il le Dieu, il voit le mortel. Pense-t-il l’homme, il l’aperçoit, ayant vaincu le règne de la mort, revenir des morts avec ses dépouilles. C’est pourquoi ce mystère doit être contemplé en toute crainte et révérence pour montrer en un seul et même être la vérité de chaque nature, afin de ne rien penser d’indigne et d’indécent sur cet être substantiel divin et ineffable, ni juger au contraire que ce qu’il a fait soit l’illusion d’une imagination fausse. Exposer cela à des oreilles humaines et l’expliquer par des paroles excède de beaucoup les possibilités de notre mérite, de notre talent et de notre discours. Je juge que cela dépasse même la mesure des saints apôtres : bien mieux l’explication de ce mystère est peut-être au-dessus des puissances célestes de toute la création. Ce n’est pas cependant par témérité, mais parce que la suite du développement le demande, que nous exposerons en peu de mots, plutôt ce que notre foi contient que ce que les assertions de la raison humaine pourraient revendiquer, en présentant davantage ce que nous supposons que des affirmations manifestes. Donc le Fils unique de Dieu, par qui tout a été fait, le visible et l’invisible, comme nous l’a appris plus haut cette discussion, a fait toute chose, selon l’attestation de l’Écriture, et aime tout ce qu’il a fait. Car, alors que du Dieu invisible il est lui-même l’image invisible, il a donné à toutes les créatures raisonnables de participer à lui de telle sorte que chaque créature adhère à lui par le sentiment de l’amour dans la mesure où elle participe davantage à lui. Mais puisque la faculté du libre arbitre a mis une variété et une diversité parmi les INTELLIGENCEs, les unes ayant un amour plus ardent envers leur créateur, les autres un amour plus faible et plus chétif, cette âme, dont Jésus dit : Personne ne m’ôte mon âme, adhérant à lui depuis sa création et dans la suite d’une manière inséparable et indissociable, comme à la Sagesse et à la Parole de Dieu, à la Vérité et à la Vraie Lumière, le recevant tout entier en elle tout entière et se changeant en sa lumière et en sa splendeur, est devenue avec lui dans son principe un seul esprit, de même que l’apôtre a promis à ceux qui devaient imiter cette âme que : Celui qui se joint au Seigneur est un seul esprit avec lui. De cette substance de l’âme servant d’intermédiaire entre un Dieu et la chair – car il n’était pas possible que la nature d’un Dieu se mêlât à la chair sans médiateur – naît, comme nous l’avons dit, le Dieu-Homme : cette substance était l’intermédiaire, car il n’était pas contre nature pour elle d’assumer un corps. Et de même il n’était pas contre nature que cette âme, substance raisonnable, puisse contenir Dieu, puisque, nous l’avons dit plus haut, elle s’était déjà toute changée en lui, comme en la Parole, la Sagesse et la Vérité. C’est pourquoi, à bon droit, parce qu’elle était tout entière dans le Fils de Dieu ou qu’elle contenait tout entier en elle le Fils de Dieu, elle est appelée elle-même, avec la chair qu’elle a assumée, Fils de Dieu et Puissance de Dieu, Christ et Sagesse de Dieu ; et réciproquement, le Fils de Dieu par qui tout a été créé est nommé Jésus-Christ et Fils de l’homme. Car on dit que le Fils de Dieu est mort, à savoir à cause de cette nature qui pouvait parfaitement recevoir la mort ; et il est appelé Fils de l’homme, celui que l’on prêche comme devant venir dans la gloire de DieuDieu le Père avec les saints anges. Pour cette raison, dans toute l’Écriture la divine nature est appelée par des vocables humains et la nature humaine est ornée des titres réservés à Dieu. Dans ce cas plus que dans tout autre, on peut dire ce qui est écrit : Ils seront les deux dans une chair une: désormais ils ne sont plus deux, mais une chair une. Car la Parole de Dieu est bien plus avec son âme dans une chair une que ce que l’on pense du mari avec son épouse. Mais à qui convient-il mieux d’être un seul esprit avec Dieu qu’à cette âme qui s’est si bien jointe à Dieu par l’amour qu’elle peut être dite à bon droit un seul esprit avec lui. La perfection de l’amour et la sincérité d’une affection pure ont fait l’unité inséparable de cette âme avec un Dieu, tellement que l’assomption de cette âme n’est pas le produit du hasard ni le résultat d’une partialité envers une personne, mais vient du mérite de ses vertus. C’est ce que dit le prophète s’adressant à elle : Tu as aimé la justice et haï l’iniquité: c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a ointe de l’huile de joie plus que tes participants. A cause du mérite de son amour elle est ointe de l’huile de joie, c’est-à-dire l’âme avec la Parole de Dieu devient le Christ. Etre oint de l’huile de joie ne veut pas dire autre chose qu’être rempli de l’Esprit Saint. Ce qui est dit : plus que tes participants, indique que la grâce de l’Esprit ne lui a pas été donnée comme aux prophètes, mais qu’elle avait en elle la plénitude substantielle de la Parole de Dieu, selon l’Apôtre : En qui habite corporellement la plénitude de la divinité. Et enfin il n’est pas dit seulement : Tu as aimé la justice, mais : Et tu as haï l’iniquité. Haïr l’iniquité revient à ce que l’Écriture dit du Christ : Il n’a pas commis de péché et on n’a pas trouvé de ruse dans sa bouche, et : Il a été éprouvé en tout de manière semblable sans péché. Mais le Seigneur lui-même dit : Qui de vous me convainc de péché ? De nouveau il dit de lui-même : Voici que vient le prince de ce monde et en moi il ne trouve rien. Tout cela montre qu’il n’y a en lui aucune pensée de péché. Le prophète exprime avec plus de clarté encore que jamais aucune pensée d’iniquité n’est entrée en lui quand il dit : Avant que l’enfant ait su appeler son père ou sa mère, il s’est détourné de l’iniquité. Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section

6, 7. Je pense, certes, que c’est en comprenant quelle est dans le Christ la nature de la Sagesse de Dieu et quelle est aussi celle qu’il avait assumée pour le salut du monde que le prophète Jérémie a écrit : L’esprit (le souffle) de notre face, le Christ Seigneur, dont nous avons dit : à son ombre nous vivrons parmi les nations. L’ombre de notre corps est inséparable de notre corps, elle reçoit et reproduit sans déviation les mouvements et les gestes du corps : c’est pourquoi, je pense, pour désigner ainsi les actions et mouvements de cette âme qui adhérait au Christ sans séparation possible et faisait tout en suivant son impulsion et sa volonté, le prophète l’a appelée ombre du Christ Seigneur sous laquelle nous avons à vivre parmi les nations. Car dans le mystère de son assomption vivent les nations, quand, imitant cette âme, elles parviennent par la foi au salut. En disant : Souviens-toi de mon opprobre, Seigneur, de l’opprobre qu’ils m’ont fait à la place de ton Christ, David me semble exprimer la même chose. Paul pense-t-il différemment lorsqu’il dit : Noire vie est cachée avec le Christ en Dieu! Et ailleurs : Cherchez-vous une preuve de celui qui parle en moi, le Christ! Et maintenant il dit que le Christ est caché en Dieu. Si le sens de cela n’indique pas autre chose que ce qui est signifié chez le prophète par l’ombre du Christ, comme nous l’avons dit plus haut, il dépasse peut-être la compréhension de l’INTELLIGENCE humaine. Mais on trouve dans les Écritures divines bien d’autres textes significatifs à propos de l’ombre, comme ce que dit Gabriel à Marie dans l’Évangile selon Luc : L’Esprit du Seigneur viendra sur toi et la Puissance du Très-Haut t’ombragera. L’apôtre dit que ceux qui ont la circoncision charnelle servent selon la ressemblance et l’ombre des réalités célestes. Et ailleurs il est dit : Notre vie sur terre n’est-elle pas une ombre! Si donc la loi donnée sur terre est ombre, si toute notre vie qui se passe sur terre est ombre, et si nous vivrons parmi les nations à l’ombre du Christ, il faut voir si la vérité de toutes ces ombres ne sera pas connue dans la grande révélation, lorsque tous les saints mériteront de contempler la gloire de Dieu, les causes et la vérité des choses, non plus à travers un miroir, en énigme, mais face à face. Ayant déjà reçu par l’Esprit Saint un gage de cette vérité, l’Apôtre disait : Même si nous avons jamais connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi. Livre II: Deuxième traité (II, 6): Deuxième section

Mais à propos de l’âme du Christ, la nature de l’incarnation, quand on la considère, supprime tout problème. Car de même qu’il a eu vraiment un corps, il a eu vraiment une âme. Mais il est difficile de penser et d’exposer comment on doit comprendre le fait qu’il soit question d’une âme de Dieu dans les Écritures : en effet nous reconnaissons une fois pour toutes que sa nature est simple, sans mélange ni addition. Cependant, de quelque façon qu’il faille l’entendre, il semble qu’on parle parfois de l’âme de Dieu. A propos de l’âme du Christ, il n’y a pas de doute. Et c’est pourquoi il ne me paraît pas absurde de dire ou de penser de même des saints anges et des autres puissances célestes, si toutefois la définition de l’âme donnée plus haut semble leur convenir. Qui pourra nier qu’ils possèdent une sensibilité raisonnable et le mouvement ? Si donc cette définition qui fait de l’âme une substance dotée de sensibilité raisonnable et de mouvement paraît juste, il semble qu’elle s’applique aussi aux anges. Qu’y a-t-il d’autre en eux qu’une sensibilité raisonnable et du mouvement ? Les êtres à qui conviennent une définition unique sont sans aucun doute d’une même substance. Certes, l’apôtre Paul parle d’un homme animal qui, selon lui, ne peut percevoir ce qui concerne l’Esprit de Dieu et il dit de même que l’enseignement de l’Esprit Saint paraît à cet homme absurde et qu’il ne peut comprendre ce qui est l’objet d’un discernement spirituel. Mais dans un autre passage, selon lui, est semé un corps animal et ressuscite un corps spirituel : il montre ainsi que dans la résurrection des justes il n’y aura rien d’animal dans ceux qui mériteront la vie des bienheureux. Et c’est pourquoi nous recherchons s’il y aurait une substance qui serait imparfaite parce qu’elle est âme. Mais nous nous demanderons, quand nous nous mettrons à discuter cela dans le détail, si elle est imparfaite parce qu’elle est tombée de la perfection ou si elle a été faite ainsi par Dieu. Si en effet l’homme animal ne perçoit pas ce qui concerne l’Esprit de Dieu et si, parce qu’il est animal, il ne peut recevoir la compréhension d’une nature supérieure, c’est-à-dire divine, c’est pour cela que Paul, voulant nous enseigner plus clairement quelle est la faculté qui nous permet de comprendre les réalités de l’Esprit, les réalités spirituelles, unit et associe à un esprit saint plutôt l’INTELLIGENCE que l’âme. A mon avis il le montre, lorsqu’il dit : Je prierai par l’esprit, je prierai aussi par l’INTELLIGENCE; je psalmodierai par l’esprit, je psalmodierai aussi par l’INTELLIGENCE. Il ne dit pas : je prierai par l’âme, mais : par l’esprit et l’INTELLIGENCE ; et non plus : je psalmodierai par l’âme, mais : par l’esprit et l’INTELLIGENCE. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section

On demandera peut-être : si c’est l’INTELLIGENCE qui prie et psalmodie avec l’esprit, si c’est elle qui perçoit la perfection et le salut, comment Pierre peut-il dire : Percevant comme le but de notre foi le salut de nos âmes! Si l’âme ne prie pas et ne psalmodie pas avec l’esprit, comment espérera-t-elle le salut ? Alors, lorsqu’elle parviendra à la béatitude, ne l’appellera-t-on plus âme ? Mais voyons si on ne peut pas répondre ainsi : De même que le Sauveur est venu sauver ce qui était perdu et que, une fois sauvé, ce qui auparavant était dit perdu n’est plus perdu, de même peut-être ce qu’on sauve est appelé âme, et quand elle a été sauvée, elle est désignée du terme qui s’applique à sa partie la plus parfaite. Mais certains croient pouvoir y ajouter ceci : de même que ce qui est perdu existait sans aucun doute avant de périr, lorsqu’il était autre chose, je ne sais quoi, qui n’était pas perdu, et qu’il existera assurément quand il ne sera plus perdu, de même l’âme, qui est dite perdue, semblera avoir été quelque chose autrefois, avant d’être perdue, et c’est pour cela que l’on dira que l’âme, lorsqu’elle sera en revanche libérée de la perdition, pourra être de nouveau ce qu’elle a été avant de périr et d’être nommée âme. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section

S’il en est ainsi, on ne doit pas penser, me semble-t-il, que cette chute et cette dégradation de l’INTELLIGENCE soient égales pour tous, mais que ce changement en âme comporte du plus et du moins, et que certaines INTELLIGENCEs conservent quelque chose de leur vigueur première, d’autres rien ou très peu. C’est pourquoi on en trouve qui ont, dès le jeune âge, une pénétration plus ardente, d’autres une pénétration plus lente, d’autres enfin naissent tout à fait obtus et complè-tement rebelles à l’éducation. Cependant ce que nous avons dit du changement de l’INTELLIGENCE en âme et de tout ce qui se rapporte à ce sujet, que le lecteur le discute avec soin et l’étudié en lui-même : tout cela n’est pas présenté par nous comme des dogmes, mais discuté par manière d’étude et de recherche. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Première section

Maintenant, reprenons le fil du développement proposé et considérons le début de la création, voyons quel peut être ce début de l’action créatrice de Dieu tel que l’INTELLIGENCE peut le voir. Livre II: Quatrième traité (II, 8-9): Deuxième section

S’il en est ainsi de la qualité du corps qui ressuscitera des morts, voyons ce que signifie la menace du feu éternel. Nous trouvons en effet dans le prophète Isaïe l’indication que le feu qui punit est propre à chacun : Marchez dans la lumière de voire feu et dans la flamme que vous vous êtes allumée à vous-mêmes. Ces paroles semblent montrer que chacun s’allume à lui-même la flamme d’un feu qui lui est propre, au lieu d’être plongé dans un autre feu qui aurait été auparavant allumé par un autre et subsisterait avant lui. La nourriture de ce feu, la matière qui l’alimente, ce sont nos péchés, appelés par l’apôtre Paul bois, foin et paille. A mon avis, de même que l’abondance de la nourriture dans le corps, les aliments dont la qualité et la quantité nous sont contraires, engendrent des fièvres de nature et de durée diverses dans la mesure où les excédents accu-mulés ont fourni à ces fièvres une matière et un excitant – cette quantité de matière, accumulée par divers excès est cause de l’acuité et de la longueur de la maladie -, de même, lorsque l’âme a accumulé en elle une foule de mauvaises oeuvres et une abondance de péchés, toute cette accumulation de maux bouillonne au moment convenable pour son supplice et s’enflamme pour son châtiment. Par ailleurs l’INTELLIGENCE elle-même ou plutôt la conscience, se rappelant par la puissance divine tous les actes dont les empreintes et les formes s’étaient imprimées en elle quand elle péchait, tout ce qu’elle a fait de laid et de honteux et même tout ce qu’elle a commis d’impie, verra ainsi en quelque sorte étalée devant ses yeux l’histoire de ses crimes ; alors la conscience est agitée et comme piquée par des aiguillons dont elle est elle-même la cause et elle devient l’accusatrice d’elle-même et son témoin à charge. A mon avis l’apôtre Paul a eu une idée semblable quand il a dit : Nos pensées s’accusant ou même s’excusant réciproquement au jour où Dieu jugera les actions secrètes des hommes selon mon évangile par Jésus-Christ. Par là il faut comprendre que, en ce qui concerne la substance même de l’âme, les mauvais sentiments des pécheurs engendrent eux-mêmes certains tourments. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Seconde section

Certains, refusant en quelque sorte le travail de l’INTELLIGENCE, s’ap-pliquant de façon superficielle au sens littéral de la loi, se complaisant d’une certaine manière dans ce qui les délecte et leur cause du plaisir, disciples de la lettre seule, pensent qu’il nous faut attendre l’accomplissement futur des promesses dans la volupté et la sensualité corporelles. Et c’est pourquoi ils désirent retrouver à la résurrection un corps charnel qui leur laisse pour toujours la possibilité de manger, de boire, et d’accomplir tous les actes qui relèvent de la chair et du sang : ils ne suivent pas l’opinion de l’apôtre Paul sur la résurrection du corps spirituel. A cela ils ajoutent logiquement la faculté de contracter mariage et de procréer des enfants même après la résurrection ; ils imaginent Jérusalem comme une ville terrestre qui sera réédifiée sur des pierres précieuses mises dans ses fondements, avec des murs bâtis en jaspe, des retranchements ornés de cristal et une enceinte de pierres choisies et diverses, jaspe, saphir, chalcédoine, émeraude, sardoine, onyx, chrysolithe, chrysoprase, hyacinthe et améthyste. Ils pensent qu’ils auront là comme ministres de leurs plaisirs des étrangers, servant de laboureurs ou de vignerons, et des maçons pour reconstruire leur cité démolie et écroulée ; ils jugent qu’ils y recevront pour nourriture les biens des nations et qu’ils seront maîtres de leurs richesses, de sorte que même les chameaux de Madian et d’Épha viendront leur apporter l’or, l’encens et les pierres précieuses. Ils s’efforcent de confirmer cela par l’autorité des prophètes lorsqu’ils parlent des promesses faites à Jérusalem : car il y est dit que ceux qui servent Dieu mangeront et boiront, que les pécheurs auront faim et soif, que les justes seront dans la joie et les impies dans la honte. Du Nouveau Testament, ils invoquent la parole du Sauveur promettant aux disciples de trouver la joie dans le vin : Je ne boirai plus de cela désormais jusqu’à ce que je le boive avec vous nouveau dans le royaume de mon Père. Ils ajoutent encore que le Sauveur proclame bienheureux ceux qui maintenant ont faim et soif, leur promettant d’être rassasiés; et ils apportent beaucoup d’autres textes des Écritures, sans voir qu’il faut les comprendre de façon figurée et spirituelle. Alors ils estiment qu’ils seront rois et princes, comme ceux d’ici-bas, comprenant cela selon les conditions de cette vie, selon les dignités et les classes instituées en ce monde ou selon les degrés d’autorité, assurément à cause de cette parole évangélique : Tu auras autorité sur cinq villes. Bref, ils veulent que tout ce qu’ils attendent de l’accomplissement des promesses soit exactement semblable à la manière de vivre ici-bas, c’est-à-dire que le monde actuel recommence à être. Telles sont les pensées de gens qui croient, certes, au Christ, mais comprenant à la juive les Écritures divines, n’y soupçonnent rien qui soit digne des promesses divines. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section

Mais ceux qui reçoivent l’interprétation des Écritures selon le sens des apôtres espèrent que ce que mangeront les saints, c’est le pain de vie qui nourrit l’âme des aliments de la vérité et de la sagesse, illumine l’INTELLIGENCE et l’abreuve de la coupe de la Sagesse divine, selon ce que dit l’Écriture : La Sagesse a préparé sa table, immolé ses victimes, mélangé son vin dans le cratère et elle crie à grande voix: Venez chez moi, mangez les pains que je vous ai préparés et buvez le vin que j’ai mélangé pour vous. Nourrie de ces aliments de la Sagesse, l’INTELLIGENCE est rétablie dans son intégrité et dans sa perfection, dans l’état où l’homme a été créé au début, à l’image de Dieu et à sa ressemblance. Et même celui qui aura quitté cette vie avec une connaissance insuffisante, mais en apportant des oeuvres dignes d’approbation, sera instruit dans cette Jérusalem, cité des saints, il recevra l’enseignement et la formation et il deviendra une pierre vive, une pierre précieuse et choisie, parce qu’il aura enduré avec courage et constance les luttes de cette vie et les combats pour la piété; et là-haut il connaîtra de manière plus vraie et plus claire ce qui lui a été dit déjà ici-bas, parce que : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Les princes et les chefs sont à entendre de ceux qui dirigent leurs inférieurs, les instruisent, les enseignent et les forment dans la connaissance des réalités divines. Livre II: Cinquième traité (II, 10-11): Troisième section

Si quelqu’un prétend que le stimulant extérieur est tel qu’il est impossible de lui faire face quand il se produit de telle façon, qu’il réfléchisse à ses propres passions et à ses propres mouvements pour voir s’il ne s’y produit pas une approbation, un consentement, une inclinaison de l’INTELLIGENCE vers telle attitude à cause de sa force de persuasion. Pour celui qui a décidé, par exemple, de garder la continence et de s’abstenir de l’union sexuelle, ce n’est pas l’apparition d’une femme, le provoquant à agir contre son dessein, qui est la cause décisive de l’abandon de ses résolutions : c’est en fait parce qu’il a complètement consenti aux chatouillements et à la douceur du plaisir, n’ayant pas voulu lui résister ni ratifier sa décision, qu’il pratique l’incontinence. C’est tout le contraire pour celui à qui surviennent les mêmes tentations alors qu’il est davantage instruit et exercé : les chatouillements et les excitations peuvent se produire, mais la raison, davantage fortifiée et formée par l’exercice et l’étude, parvenue par l’instruction à la fermeté dans sa marche vers le bien, ou du moins devenue proche d’y parvenir, repousse les excitations et affaiblit la convoitise. Livre III: Sixième traité (III, 1): Philocalie 21:

Voyons aussi dans le Nouveau Testament le passage où Satan s’approche du Seigneur pour le tenter. Des esprits malins et des démons impurs qui possédaient d’assez nombreuses personnes ont été mis en fuite par le Seigneur et chassés des corps de ces malades, que l’Écriture dit libérés par lui. Mais Judas, alors que le diable avait mis dans son coeur l’intention de livrer le Christ, reçut ensuite Satan tout entier en lui : il est écrit en effet que après la bouchée Satan entra en lui. Quant à l’apôtre Paul, il nous enseigne à ne pas donner de place au diable, mais revêtez, dit-il, les armes de Dieu, pour que vous puissiez résister aux astuces du diable, signifiant que les saints ont à lutter non contre la chair et le sang, mais contre les principautés, les puissances, les chefs de ce monde de ténèbres, les esprits de méchanceté dans les deux. Il dit que le Sauveur a été crucifié par les princes de ce monde qui seront détruits et il affirme qu’il ne parle pas selon leur sagesse. Par tout cela, l’Écriture divine nous enseigne qu’il existe des ennemis invisibles en lutte contre nous et elle nous enjoint de nous armer contre eux. A cause de cela, les plus simples de ceux qui croient au Seigneur Christ pensent que tous les péchés commis par les hommes se font à cause de ces puissances contraires qui harcèlent l’INTELLIGENCE des pécheurs, parce que, dans ce combat invisible, ces puissances se trouvent les plus fortes. Si par exemple le diable n’existait pas, aucun homme ne pécherait. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

La raison en est claire : en ce qui concerne le bien, le propos humain à lui tout seul est insuffisant pour l’accomplir – c’est l’aide divine qui mène toute chose à sa perfection – ; de même, en ce qui concerne son opposé, nous recevons le début et pour ainsi dire la semence du péché de ce que nous utilisons naturellement. Si nous nous y complaisons plus qu’il ne faut et si nous ne résistons pas aux premiers mouvements d’intempérance, alors la puissance ennemie, prenant occasion de ce premier manquement, nous excite et nous presse, s’efforçant de toute manière de multiplier à profusion les péchés : c’est nous, les hommes, qui fournissons les occasions et les débuts des péchés, mais ce sont les puissances ennemies qui les propagent en long et en large et, si cela peut se faire, sans aucune limite. Ainsi on tombe dans l’avarice parce que d’abord on désire un peu d’argent, puis avec l’accroissement du vice la cupidité augmente. Et même ensuite, lorsque la passion a produit l’aveuglement de l’INTELLIGENCE, sous la suggestion et la pression des puissances ennemies, on ne se contente pas de désirer l’argent, mais on le vole, on l’acquiert par violence et même en répandant le sang humain. Pour nous assurer avec plus de certitude que ces vices sans mesure viennent des démons, il est facile d’observer que ceux qu’accablent des amours immodérées, des colères intempérantes, des tristesses excessives, ne souffrent rien de moins que ceux qui sont possédés dans leurs corps par des dénions. Car quelques histoires rapportent que certains sont tombés dans la folie à partir de l’amour, d’autres à partir de la colère, d’autres à partir de la tristesse ou d’une joie excessive. A mon avis, cela se produit parce que ces puissances contraires, c’est-à-dire les démons, ayant occupé dans leurs INTELLIGENCEs la place que leur a faite auparavant l’intempérance, ont possédé complètement leur intellect, surtout lorsque la vertu n’a jamais eu pour eux le prestige qui les aurait poussés à résister. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Première section

Il me paraît logique de rechercher pourquoi l’âme humaine est tantôt mue par les bons esprits, tantôt par les mauvais. Je soupçonne que les causes en sont antérieures à notre naissance corporelle, comme le montre Jean, s’agitant et exultant dans le sein de sa mère, lorsque la voix de la salutation de Marie parvint aux oreilles de sa mère Elisabeth, et comme le déclare le prophète Jérémie qui, avant d’être façonné dans le sein de sa mère, était connu de Dieu, avant de sortir de la matrice fut sanctifié par lui et reçut, encore enfant, la grâce de la prophétie. Et en revanche il est montré clairement que certains ont été possédés par des esprits ennemis dès leur premier âge, c’est-à-dire qu’ils sont nés ayant déjà leur démon ; d’autres ont été devins étant enfants, comme le garantit l’histoire, d’autres ont subi dès leur jeune âge l’action du démon nommé Python, c’est-à-dire ventriloque. A tout cela, ceux qui déclarent que la providence de Dieu régit tout ce qui est dans ce monde – c’est là aussi une affirmation de notre foi, à ce qu’il me semble – ne pourront répondre autre chose que ce qui suit, pour montrer la providence divine indemne de toute faute d’injustice : il faut dire qu’il y a eu certaines causes antécédentes qui, avant que les âmes ne naissent dans des corps, les ont rendues coupables dans leurs pensées et dans leurs mouvements, au point de mériter de souffrir cela au jugement de la providence divine. Car l’âme possède toujours son libre arbitre, qu’elle soit dans ce corps ou en dehors de ce corps ; le libre arbitre est attiré toujours soit au bien soit au mal, et jamais le sens de la raison, c’est-à-dire l’INTELLIGENCE ou âme, ne peut rester sans mouvement, bon ou mauvais. Que ces mouvements soient causes de mérites, c’est vraisemblable, même avant qu’ils n’agissent en ce monde ; ainsi, selon ces causes et ces mérites, dès la naissance, bien mieux, pour ainsi parler, avant même la naissance, la divine providence a réglé que les hommes subiraient du bien ou du mal. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

Tout cela est dit de ce qui paraît arriver à l’homme dès la naissance et même avant qu’il ne vienne à la lumière du jour. De tout ce qui est suggéré par des esprits divers à l’âme, c’est-à-dire aux pensées de l’homme, et le pousse au bien et au mal, il faut penser qu’il y a parfois des causes antécédentes à la naissance corporelle. Tantôt l’INTELLIGENCE vigilante, rejetant d’elle le mal, s’attire l’aide des bons esprits ; ou au contraire, négligente et lâche, elle ne se tient guère sur ses gardes et donne place à ces esprits qui, comme des larrons machinant leurs embûches en cachette, s’arrangent pour faire irruption dans les INTELLIGENCEs humaines, lorsqu’ils voient que la paresse leur a fait place, comme le dit l’apôtre Pierre : Votre adversaire le diable tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer. C’est pourquoi il faut garder de toute façon notre coeur jour et nuit et ne pas donner place au diable, mais faire tout ce qu’il faut pour que les ministres de Dieu, à savoir ces esprits envoyés au service de ceux qui sont appelés à hériter du salut, trouvent en nous une place et se réjouissent d’entrer dans le gîte de notre âme : habitant chez nous, c’est-à-dire en notre coeur, ils nous dirigeront par des conseils meilleurs, si toutefois ils trouvent l’habitacle de notre coeur orné des parures de la vertu et de la sainteté. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Deuxième section

souffrir ni subir en quoi que ce soit aucun malaise, qu’il vienne de l’abondance ou de la pénurie. Mais les partisans de la doctrine des deux âmes essaieront de résoudre cette objection et de la combattre en montrant qu’il y a en l’âme de nombreuses passions qui ne tirent nullement de la chair leur origine et que cependant l’esprit s’y oppose : ainsi l’ambition, l’avarice, la jalousie, l’envie, l’orgueil et tout ce qui leur est semblable. Voyant que l’INTELLIGENCE ou l’esprit de l’homme ont à les combattre, ils n’assignent pas à tous ces maux d’autres causes que celle dont nous avons parlé plus haut, une âme corporelle engendrée par l’intermédiaire de la semence. Ils trouvent d’ordinaire une confirmation à cela dans ce témoignage de l’Apôtre : Il est facile de savoir ce que sont les oeuvres de la chair, la fornication, l’impureté, l’impudicité, l’idolâtrie, les sortilèges, les inimitiés, les disputes, les jalousies, les colères, les rixes, les dissensions, les divergences d’opinions, les envies, les ivrogneries, les orgies et tout ce qui leur est semblable. Pour eux ce ne sont pas tous ces maux, mais une partie d’entre eux, qui tirent leur origine de l’usage et de la délectation de la chair, de sorte qu’on puisse penser qu’ils existent à cause d’une substance que l’âme ne possède pas, c’est-à-dire la chair. Mais cette autre phrase de l’Apôtre : Voyez, frères, d’où vous avez été appelés, car il n’y a pas parmi vous beaucoup de sages selon la chair, semble tendre vers cette solution qu’il paraît y avoir à proprement parler une sagesse charnelle et matérielle, autre que la sagesse selon l’esprit, et l’on ne pourrait l’appeler sagesse s’il n’y avait pas une âme de la chair qui puisse être sage de cette sagesse dite de la chair. Ils ajoutent encore ceci : Si la chair combat contre l’esprit et l’esprit contre la chair, de telle sorte que nous ne faisions pas ce que nous voulons, qui sont ceux dont il est dit : de telle sorte que nous ne faisions pas ce que nous voulons ? Il est certain, disent-ils, qu’il ne s’agit pas de l’esprit, car ce n’est pas la volonté de l’esprit qui est empêchée ; ni de la chair, car si elle n’a pas une âme propre, sans aucun doute elle n’aura pas de volonté. Il ne reste qu’une solution, que cela soit dit de la volonté de cette âme, qui peut avoir une volonté propre s’opposant à la volonté de l’esprit. S’il en est ainsi il est clair que la volonté de cette âme est comme un intermédiaire entre la chair et l’esprit, servant sans aucun doute l’un des deux et obéissant à celui à qui elle a choisi d’obéir : et lorsque cette âme s’est soumise aux délectations de la chair elle rend les hommes charnels ; mais lorsqu’elle s’est jointe à l’esprit, elle fait vivre l’homme dans l’esprit et pour cela il est appelé spirituel. L’Apôtre semble indiquer cela lorsqu’il dit : Mais vous, vous n’êtes pas dans la chair, mais dans l’esprit. Livre III: Septième traité (III, 2-4): Troisième section

5, 8. Mais cette soumission s’accomplira selon des manières, des normes et en des temps déterminés, ce qui veut dire que ce n’est pas forcé par une nécessité ou par suite de la violence que le monde entier se soumettra à Dieu, mais par l’action de la parole, de la raison, de l’enseignement, de l’imitation des meilleurs, des bonnes moeurs et aussi des menaces méritées et adaptées qui pèsent justement sur ceux qui négligent de prendre soin de leur salut et de leur intérêt et de veiller à leur guérison. Ainsi, nous aussi, les hommes, dans l’éducation de nos serviteurs et de nos fils, tant qu’ils ne sont pas encore d’âge raisonnable, nous faisons pression sur eux par des menaces et par la crainte : mais lorsqu’ils ont reçu l’INTELLIGENCE de ce qui est bon, utile et honnête, alors cesse la crainte des coups et, persuadés par la parole et la raison, ils acquiescent à tout ce qui est bon. Mais de quelle manière chacun doit être dirigé en respectant le libre arbitre dans toutes les créatures raisonnables, c’est-à-dire quels sont ceux que la parole de Dieu trouve prêts et capables et ainsi instruits, ceux qu’elle retarde un certain temps, ceux à qui elle se cache complètement, faisant en sorte que leur oreille se tienne loin d’elle, ceux en revanche que, pour avoir méprisé la parole de Dieu qui leur a été indiquée et prêchée, elle accable de ses réprimandes et des châtiments qu’ils subissent en vue de leur salut, exigeant et leur arrachant en quelque sorte la conversion, ceux à qui elle fournit quelques occasions de salut pour que parfois quelqu’un puisse recevoir un salut non douteux à la suite d’une réponse inspirée par la seule foi, pour quelles causes et à quelles occasions tout cela a lieu, que constate en eux la sagesse divine ou quels mouvements de leur volonté voit-elle pour son gouvernement de l’univers : tout cela est su par Dieu seul et par son Fils Unique, par qui a été créé et restauré l’univers, ainsi que par l’Esprit Saint qui sanctifie toutes choses, procède du Père lui-même, possède la gloire dans l’éternité des siècles. Amen. Livre III: Huitième traité (III, 5-6): Première section

Qui sera assez sot pour penser que, comme un homme qui est agriculteur, Dieu a planté un jardin en Eden du côté de l’orient et a fait dans ce jardin un arbre de vie visible et sensible, de sorte que celui qui a goûté de son fruit avec des dents corporelles reçoive la vie? Et de même que quelqu’un participe au bien et au mal pour avoir mâché le fruit pris à cet arbre. Si Dieu est représenté se promenant le soir dans le jardin et Adam se cachant sous l’arbre, on ne peut douter, je pense, que tout cela, exprimé dans une histoire qui semble s’être passée, mais ne s’est pas passée corporellement, indique de façon figurée certains mystères. Quant à Caïn fuyant de devant la face de Dieu, selon l’avis clair des gens compétents, ce passage amènera celui qui réfléchit à se demander qu’est-ce que la face de Dieu et qu’est-ce que fuir de devant elle. Qu’y a-t-il à ajouter à cela ? Ceux dont l’INTELLIGENCE n’est pas tout à fait obtuse peuvent recueillir bon nombre de choses semblables, qui sont représentées comme si elles s’étaient passées, alors qu’elles ne se sont pas passées littéralement. Mais les Évangiles aussi sont pleins d’expressions de cette espèce : le diable a porté Jésus sur une haute montagne pour lui montrer de là-haut les royaumes du monde entier et leur gloire. Quand on lit cela sans superficialité, ne blâmera-t-on pas ceux qui pensent qu’avec l’oeil du corps, qui a besoin d’une certaine hauteur pour apercevoir ce qui est placé plus bas, on peut voir les royaumes des Perses, des Scythes, des Indiens et des Parthes, et la gloire que leurs souverains reçoivent des hommes ? Celui qui cherche l’exactitude peut observer d’autres expressions semblables en très grand nombre dans les Évangiles et admettre que, dans les histoires qui se sont passées selon la lettre, sont tissées d’autres histoires qui ne se sont pas passées. Si nous en venons à la législation de Moise, nombreuses sont les lois, pour autant qu’on puisse l’observer par soi-même, qui manifestent des illogismes, ou même des impossibilités. Des commandements déraisonnables, lorsqu’il est interdit de manger des vautours, car même dans les plus grandes famines personne n’a été forcé par la pénurie d’en arriver à manger un tel animal. Lorsqu’il est ordonné d’exterminer de la race les enfants de huit jours qui n’ont pas été circoncis, il faudrait, s’il fallait qu’une telle législation ait été donnée au sens littéral, ordonner que leurs pères ou ceux qui les élèvent soient mis à mort. Or l’Écriture dit : Tout mâle incirconcis, qui n’a pas été circoncis le huitième jour, sera exterminé de la race. Si vous voulez voir des préceptes impossibles, remarquons que le tragélaphe est un animal qui ne peut pas exister, et cependant, puisqu’il est pur, Moïse ordonne de le prendre pour nourriture ; on ne dit pas que le griffon soit jamais tombé sous la main des hommes et cependant le législateur défend de le manger. A propos du sabbat dont on parle tant, si on réfléchit sur le précepte : Vous serez assis chacun dans sa maison; que personne ne quitte sa place le septième jour, il est impossible de l’observer selon la lettre, car aucun vivant ne peut rester assis toute la journée et demeurer sans mouvement après qu’il s’est assis. C’est pourquoi ceux qui appartiennent à la circoncision et tous ceux qui refusent de voir quelque chose de supérieur à la lettre n’ont jamais commencé à se poser des questions sur quelques points, comme en ce qui concerne le tragélaphe, le griffon et le vautour ; mais sur d’autres ils radotent, parlant beaucoup et inutilement, rapportant des traditions insipides, comme lorsqu’ils disent au sujet du sabbat que l’espace concédé à chacun pour ses déplacements est de deux mille coudées. D’autres, comme Dosithée le Samaritain, tout en blâmant de telles explications, pensent que l’on doit rester jusqu’au soir dans la position dans laquelle on a été surpris par le jour du sabbat. Mais il est impossible de ne pas lever de fardeau le jour du sabbat: c’est pourquoi les docteurs des Juifs en sont venus à des bavardages interminables, disant que tel genre de soulier est un fardeau mais non pas tel autre, que la sandale à clous est un fardeau et non celle qui n’en a pas, que ce qui est porté sur une épaule est un fardeau et non ce qui l’est sur les deux. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Viennent cependant au premier rang dans ce recensement sacré ceux qui sont prêts à soutenir les guerres d’Israël, qui peuvent combattre contre ces forces hostiles et ennemies que le Père a soumises au Fils siégeant à sa droite pour qu’il détruise toute principauté et puissance ; ainsi, par ces formations de soldats qui sont siens et, militant pour Dieu, ne se mêlent pas des affaires séculières, il bouleverse les royaumes de l’adversaire. Ils portent autour d’eux les boucliers de la foi, brandissant les traits de la sagesse ; sur eux brillent le casque de l’espérance dans le salut et la cuirasse de la charité protège leur poitrine pleine de Dieu. Tels sont les soldats qui me semblent ainsi indiqués, et ainsi sont préparés à ce genre de guerre ceux qui reçoivent l’ordre de se faire recenser dans les livres saints. Mais parmi eux sont désignés comme beaucoup plus insignes et parfaits ceux dont il est dit que même les cheveux de leur tête sont comptés. Quant à ceux qui ont été punis pour leurs péchés et dont les corps sont tombés dans le désert, ils paraissent symboliser ceux qui ont accompli des progrès appréciables sans pouvoir aller jusqu’au bout dans la perfection pour diverses causes : pour avoir murmuré, vénéré des idoles, forniqué, comme le dit l’Écriture, ou pour autre chose qu’il n’est pas permis à l’INTELLIGENCE de concevoir. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Tout homme qui se soucie de vérité ne doit guère s’occuper des mots et des paroles, car dans chaque nation il y a des usages divers concernant les mots ; il doit porter plutôt son attention sur ce qui est signifié que sur les mots qui le signifient, surtout quand il s’agit de réalités si hautes et si difficiles. Par exemple, lorsqu’on se demande s’il existe une substance à laquelle on ne peut attribuer ni couleur ni forme ni toucher ni grandeur, une substance que seule l’INTELLIGENCE peut percevoir et que chacun nomme comme il veut : car les Grecs l’ont appelée asômaton, c’est-à-dire incorporelle, tandis que les divines Écritures la disent invisible, puisque l’Apôtre affirme que Dieu est invisible : il dit en effet que le Christ est l’image du Dieu invisible. Mais il dit pareillement que par le moyen du Christ tout a été créé, le visible et l’invisible. Il affirme par là qu’il y a parmi les créatures des substances invisibles selon leur nature propre. Mais ces dernières, quoique non corporelles, se servent cependant de corps, bien qu’elles soient supérieures à la nature corporelle. Mais la substance de la Trinité, principe et cause de toutes choses, de laquelle et dans laquelle tout existe, il faut croire qu’elle n’est pas un corps, ni dans un corps, mais totalement incorporelle. Tout cela nous l’avons dit brièvement, comme par digression, menés par la suite logique du développement : cela suffît à montrer qu’il y a des réalités dont la signification ne peut être expliquée adéquatement par aucun mot d’un langage humain, mais qui sont affirmées plutôt par un acte plus simple de l’INTELLIGENCE que par les expressions les plus exactes. Cette règle aussi doit guider la compréhension des divines Écritures, afin d’estimer ce qui est dit non d’après le peu de valeur du style, mais selon la divinité de l’Esprit Saint qui en a inspiré la rédaction. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Récapitulation sur le Père, le Fils l’Esprit Saint et les autres points qui ont été traités plus haut: Le moment est venu, après avoir parcouru selon nos forces tout ce qui a été dit plus haut, de récapituler en guise de rappel chacun des points que nous avons traités séparément et d’abord de revenir sur le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Puisque Dieu le Père est invisible et inséparable de son Fils, il n’a pas engendré le Fils par prolation comme certains le pensent. En effet si le Fils est une prolation du Père, comme ce mot de prolation exprime une génération semblable au mode ordinaire de reproduction des animaux ou des hommes, il faut nécessairement que celui qui a mis au jour et celui qui a été mis au jour soient corps. Nous ne disons donc pas, comme le pensent les hérétiques, qu’une partie de la substance de Dieu se soit changée en fils ou que le Fils a été procréé par le Père à partir de rien, c’est-à-dire en dehors de sa substance, de telle sorte qu’il fut un moment où il n’était pas, mais nous disons, en supprimant toute signification corporelle, que la Parole et Sagesse est née du Père invisible et incorporel, sans que rien ne se produise corporellement, comme la volonté procède de l’INTELLIGENCE. Il ne paraîtra pas absurde, puisqu’il est appelé fils de la charité, de penser qu’il est pareillement fils de la volonté. Mais Jean indique aussi que Dieu est lumière, et Paul montre que le Fils est le rayonnement de la lumière éternelle. De même que jamais la lumière n’a pu exister sans son rayonnement, de même le Fils ne peut être compris sans le Père, lui qui est appelé l’empreinte et l’expression de sa substance, sa Parole et sa Sagesse. Comment peut-il être dit qu’il fut un moment où le Fils n’aurait pas été ? Cela revient à dire qu’il fut un moment où la Vérité n’aurait pas été, où la Sagesse n’aurait pas été, où la Vie n’aurait pas été, alors que dans tous ces aspects est dénombrée parfaitement la substance du Père. Ils ne peuvent pas être séparés de lui et ne peuvent jamais être séparés de sa substance. Bien qu’on dise qu’ils sont multiples sous le regard de l’INTELLIGENCE, ils sont un par leur substance et en eux se trouve la plénitude de la divinité. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

D’autre part, considérons s’il ne paraît pas impie de dire que l’INTELLIGENCE, capable de comprendre Dieu, puisse recevoir la mort dans sa substance : comme si le fait qu’elle puisse comprendre et penser Dieu ne pouvait pas suffire à lui conférer la perpétuité. D’autant plus que, même si l’INTELLIGENCE peut tomber par négligence au point de ne pouvoir recevoir Dieu en elle avec pureté et intégrité, elle possède cependant toujours en elle comme des semences qui lui permettent de restaurer et de retrouver une meilleure compréhension, puisque l’homme intérieur, dit aussi raisonnable, est renouvelé selon l’image et la ressemblance de Dieu qui l’a créé. C’est pourquoi le prophète dit : Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui, et toutes les patries des nations l’adoreront en sa présence. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section

Si quelqu’un ose attribuer une corruption atteignant la substance même à celui qui a été fait à l’image et à la ressemblance de Dieu, il étend, à ce que je pense, le motif de son impiété jusqu’au Fils de Dieu lui-même : car le Fils est aussi appelé image de Dieu dans les Écritures. Ou certainement celui qui veut qu’il en soit ainsi, qu’il accuse l’autorité de l’Écriture qui dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu. Il est clair que les signes de cette image divine en l’homme peuvent être reconnus, non dans la forme du corps qui se corrompt, mais dans la prudence de l’INTELLIGENCE, dans la justice, la modération, le courage, la sagesse, l’instruction, bref dans tout le choeur des vertus, présentes en Dieu de façon substantielle, en l’homme par son activité et l’imitation de Dieu, selon ce que dit le Seigneur dans l’Évangile : Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux, et : Soyez parfaits comme votre Père est parfait. Cela montre avec évidence qu’en Dieu toutes ces vertus existent toujours, sans pouvoir progresser ni régresser, mais que dans les hommes chacune d’elle est acquise peu à peu. Par là les hommes semblent avoir une certaine parenté avec Dieu ; puisque Dieu connaît tout et qu’aucune réalité intellectuelle ne lui est cachée – en effet Dieu seul, Père, Fils Unique et Saint Esprit, non seulement connaît ce qu’il a créé, mais encore possède la connaissance de lui-même -, l’INTELLIGENCE raisonnable peut cependant, en progressant du petit jusqu’au plus grand et du visible jusqu’à l’invisible, parvenir à une compréhension plus parfaite. Elle est en effet placée dans un corps et doit progresser des réalités sensibles qui sont corporelles à celles qui ne sont pas sensibles, mais incorporelles et intellectuelles. Mais de peur qu’il ne paraisse pas convenable d’appeler non sensibles les réalités intellectuelles, nous utiliserons comme exemple une affirmation de Salomon : Tu trouveras aussi une sensibilité divine. Cela montre que les réalités intellectuelles sont cherchées non avec un sens corporel, mais avec un autre sens appelé divin. Livre IV: Neuvième traité (IV, 1-3): Deuxième section