La DOCTRINE a une origine barbare, dit-il ensuite, — évidemment le judaïsme dont le christianisme dépend. LIVRE I
Il cite comme caractéristique des disciples de l’Evangile l’attitude envers le culte des idoles et y semble favorable : S’ils ne reconnaissent pas de divinités fabriquées de mains d’hommes, c’est qu’il n’est pas conforme à la raison que soient des dieux les objets façonnés par des artisans tout à fait vils et de caractère misérable, souvent même fabriqués par des gens injustes. Aussi, plus tard, prétendant que c’est là une conception commune et non une découverte chrétienne originale, il cite le passage d’Héraclite : S’approcher des objets inanimés comme s’ils étaient des dieux, c’est faire comme si l’on bavardait avec des maisons. Eh bien ! là encore il faut répondre : comme pour l’autre point de la morale, des notions furent semées dans les hommes, d’après lesquelles Héraclite et tout autre Grec ou barbare eurent l’idée d’établir ce point. Il cite, en effet, les Perses qui eurent aussi cette pensée, au témoignage d’Hérodote qui le raconte. J’ajouterai pour ma part que Zénon de Cittium déclare, dans sa République : « Plus aucun besoin de construire des temples : il faut tenir que rien de sacré, ni de précieux ou de saint n’est oeuvre d’entrepreneurs et d’artisans. » Il est donc manifeste qu’à l’égard de cette DOCTRINE encore le devoir est inscrit «dans les coeurs» des hommes en caractères divins. LIVRE I
Ensuite, puisqu’il appelle souvent secrète notre DOCTRINE, il faut aussi le réfuter sur ce point. Le monde presque entier connaît . la prédication des chrétiens mieux que les thèses favorites des philosophes. Qui donc ignore de Jésus sa naissance d’une vierge, sa crucifixion, sa résurrection objet de foi pour un grand nombre, et la menace du jugement de Dieu qui, selon leurs mérites, punira les pécheurs et récompensera les justes ? Bien plus, le mystère de la résurrection, parce qu’il n’est point compris, est la risée incessante des incroyants. Dire que sur ces points notre DOCTRINE est secrète, c’est le comble de l’absurdité. Et qu’il existe, comme au delà des matières d’enseignement public, certains points inaccessibles à la foule n’est pas propre à la seule DOCTRINE des chrétiens , c’est aussi le cas des philosophes dont certaines DOCTRINEs étaient exotériques, et d’autres, ésotériques Des auditeurs de Pythagore s’en tenaient au « Il l’a dit », mais d’autres étaient instruits en secret de vérités inaccessibles aux oreilles profanes et non encore purifiées. De plus, tous les mystères célèbres en tous lieux de la Grèce ou de la barbarie, pour être secrets, n’ont pas été calomniés. C’est donc sans fondement, ni intelligence exacte du secret du christianisme qu’il le calomnie. LIVRE I
Il semble avec habileté prendre le parti de ceux qui vont jusqu’à mourir pour rendre témoignage au christianisme “Et je ne veux pas dire que celui qui a embrassé une bonne DOCTRINE, s’il vient à courir un danger de la part des hommes, doive y renoncer, qu’il en feigne l’abandon ou la renie” Il condamne assurément ceux qui, tout en ayant des sentiments chrétiens, affectent de ne pas les avoir ou les nient, lorsqu’il dit : il ne faut pas que celui qui adhère à la DOCTRINE en feigne l’abandon ou la renie. Aussi peut-on convaincre Celse de contradiction. A ses autres écrits, on reconnaît l’Epicurien , ici, parce que son accusation contre le christianisme paraîtra plus plausible s’il ne professe pas les thèses d’Épicure, il feint d’admettre qu’il y a dans l’homme une part supérieure au terrestre, apparentée à Dieu, et dit “Ceux en qui elle est en bon état — l’âme — tendent de toutes leurs forces à ce qui lui est apparente — Dieu —, brûlent du désir de toujours en entendre parler et de s’en ressouvenir”. Vois donc la duplicité de son âme. Il vient de dire « Celui qui a embrasse une bonne DOCTRINE, vint-il à courir un danger de la part des hommes à cause d’elle, ne doit pas renoncer a cette DOCTRINE, qu’il en feigne l’abandon ou la renie », et lui-même tombe dans l’attitude contradictoire. Il savait bien qu’en s’avouant Epicurien il n’aurait eu aucun crédit dans son accusation contre ceux qui de quelque façon admettent une providence et posent un dieu au-dessus de l’univers. Mais j’ai entendu dire qu’il y eut deux Celse épicuriens, l’un sous Néron, celui-ci sous Hadrien et plus tard. LIVRE I
Enfin, à leurs objections ressassées contre la foi, il faut répondre : nous l’admettons comme utile à la foule, et nous avouons enseigner à croire même sans réflexion à ceux qui ne peuvent tout laisser et poursuivre l’examen d’une DOCTRINE ; mais eux, sans qu’ils l’avouent, en pratique font de même. Qui donc, s’étant orienté vers la philosophie et jeté dans une école de philosophes, à l’aventure ou pour avoir eu l’accès facile auprès de tel maître, en vient à ce parti, sinon parce qu’il croit supérieure l’école en question ? Car ce n’est point après avoir suivi l’exposé des DOCTRINEs de tous les philosophes et des différentes écoles, ni la réfutation des unes et la preuve des autres, qu’il fait ce choix d’être stoïcien, platonicien, péripatéticien, épicurien, ou disciple de l’école philosophique que l’on voudra. C’est par un penchant non raisonné, refuserait-on de l’avouer, qu’on vient à pratiquer par exemple le stoïcisme, après avoir exclu les autres ; ou le platonisme, par mépris pour la moindre élévation des autres ; ou le péripatétisme, pour sa très grande humanité et sa générosité plus grande que celle des autres écoles à reconnaître les biens humains. Et certains, en ce qui concerne la DOCTRINE de la providence, troublés par la première attaque tirée du sort terrestre des gens sans vertu et des gens de bien, donnent une adhésion précipitée à la négation radicale de la providence et choisissent la DOCTRINE d’Épicure et de Celse. Si donc il faut croire, comme l’argument le montre, à n’importe lequel des fondateurs d’école chez les Grecs ou les barbares, pourquoi pas bien davantage au Dieu suprême et à Celui qui enseigne que nous devons l’adorer lui seul, et négliger le reste qui ou est inexistant, ou s’il existe est digne d’estime mais non d’adoration ni de respect ? LIVRE I
A cet égard celui qui, non content d’avoir la foi, considère ces questions avec la raison, dira les preuves qui lui sont venues à l’esprit et qu’il a découvertes par une recherche rigoureuse. N’est-il pas vrai qu’il y a plus de raison, puisque toutes les affaires humaines dépendent d’une foi, à croire en Dieu plus qu’en elles ? Qui donc navigue, se marie, procrée des enfants, jette des semences en terre, à moins de croire en d’heureux résultats, bien que le contraire puisse arriver aussi et arrive parfois ? Et pourtant la foi en des résultats heureux et conformes aux désirs donne à tous les hommes l’audace d’entreprises à l’issue incertaine et hasardeuse. Si donc l’espérance et la foi en un avenir heureux soutient la vie dans chaque entreprise à l’issue incertaine, comment cette foi ne sera-t-elle pas acceptée plus raisonnablement par celui qui a foi, au-dessus de la mer où l’on navigue, de la terre qu’on ensemence, de la femme qu’on épouse, et des autres affaires humaines, en Dieu qui a créé tout cela, et en Celui qui, avec une sublime élévation d’esprit et une grandeur d’âme divine, a osé présenter cette DOCTRINE aux habitants de toute la terre, au prix de graves dangers et d’une mort réputée infâme qu’il a endurés pour le salut des hommes ; et il a enseigné, à ceux qui se laissèrent dès le début persuader de se mettre au service de la DOCTRINE, à oser, en dépit de tous les dangers et de l’imminence continuelle de la mort, parcourir toute la terre pour le salut des hommes. LIVRE I
Ensuite Celse déclare en propres termes : “S’ils veulent bien répondre à mes questions, non que je cherche à me documenter, car je sais tout, mais je porte à tous une égale sollicitude, à la bonne heure ! Mais s’ils ne veulent pas, avec leur habituelle fin de non recevoir: N’examine pas… etc., alors il sera nécessaire de leur apprendre la nature vraie des DOCTRINEs qu’ils professent et la source dont elles proviennent…” etc. A son « car je sais tout », le comble de vantardise dont il ait eu l’audace, il faut répliquer : si jamais il avait lu les prophètes notamment, remplis de ce que tout le monde reconnaît comme des énigmes et des paroles qui restent obscures à la foule, s’il avait abordé les paraboles évangéliques, le reste de l’Ecriture, la loi, l’histoire juive, les discours des apôtres, et s’il avait voulu, par une lecture judicieuse, pénétrer jusqu’au sens des expressions, il n’aurait pas eu cette audace de dire « car je sais tout ». Même moi, qui leur ai consacré mon temps, je ne dirais pas «car je sais tout», car j’aime la vérité. Nul d’entre nous ne dira « car je sais tout » du système d’Épicure, ou n’aura la témérité de croire qu’il sait tout du platonisme, tant sont nombreuses les divergences même entre ceux qui en font l’exposé. Qui donc est assez téméraire pour dire « car je sais tout » du stoïcisme, tout du péripatétisme ? A moins par hasard qu’il n’ait appris ce « car je sais tout » de gens du peuple inconscients de leur propre ignorance, et qu’il ne croie tout connaître pour avoir eu de tels maîtres ! Son attitude évoque celle d’un homme qui aurait séjourné en Egypte ; là les sages donnent, d’après les livres sacrés du pays, nombre d’interprétations philosophiques d’usages qu’ils tiennent pour divins, tandis que le vulgaire, connaissant par ouï-dire quelques mythes dont il ne sait pas la portée doctrinale, en conçoit un vif orgueil ; et notre homme croirait savoir toute la DOCTRINE des Egyptiens, pour s’être fait disciple des profanes de là-bas, sans avoir fréquenté un seul des prêtres, ni reçu d’aucun d’eux les enseignements secrets des Egyptiens. Et ce que j’ai dit des sages et des profanes de l’Egypte, on peut le voir également chez les Perses : là aussi il y a des initiations interprétées rationnellement par l’élite du pays, mais accomplies dans leurs figures extérieures par la multitude plus superficielle. Et il faut en dire autant des Syriens, des Indiens, de tous ceux qui possèdent des mythes et des livres sacrés. LIVRE I
Celse a cité comme une expression courante chez les chrétiens : La sagesse dans le cours de cette vie est un mal, et la folie un bien. Il faut répondre qu’il calomnie la DOCTRINE, puisqu’il n’a pas cité le texte même qui se trouve chez Paul et que voici : « Si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage, car la sagesse de ce monde est folie devant Dieu. » L’Apôtre n’affirme donc pas simplement : « la sagesse est folie devant Dieu », mais : « la sagesse de ce monde… » ; ni non plus : « si quelqu’un parmi vous se croit sage, qu’il devienne fou » en général, mais : « qu’il devienne fou dans ce siècle pour devenir sage ». Donc, nous appelons « sagesse de ce siècle » toute philosophie remplie d’opinions fausses, qui est périmée d’après les Ecritures ; et nous disons : « la folie est un bien », non point absolument, mais quand on devient fou pour ce siècle. Autant dire du Platonicien, parce qu’il croit à l’immortalité de l’âme et à ce qu’on dit de sa métensomatose, qu’il se couvre de folie aux yeux des Stoïciens qui tournent en ridicule l’adhésion à ces DOCTRINEs, des Péripatéticiens qui jasent des « fredonnements » de Platon, des Epicuriens qui crient à la superstition de ceux qui admettent une providence et posent un dieu au-dessus de l’univers ! Ajoutons qu’au sentiment de l’Ecriture, il vaut bien mieux donner son adhésion aux DOCTRINEs avec réflexion et sagesse qu’avec la foi simple ; et qu’en certaines circonstances, le Logos veut aussi cette dernière pour ne pas laisser les hommes entièrement désemparés. C’est ce que montre Paul, le véritable disciple de Jésus, quand il dit : « Car, puisque dans la sagesse de Dieu le monde n’a pas connu Dieu avec la sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication » D’où il ressort donc clairement que c’est dans la sagesse de Dieu que Dieu devait être connu. Et puisqu’il n’en fut rien, Dieu a jugé bon ensuite de sauver les croyants, non pas simplement par la folie, mais par la folie relative à la prédication. De là vient que la proclamation de Jésus-Christ crucifié est la folie de la prédication, comme le dit encore Paul qui en avait pris conscience et déclare « Mais nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » LIVRE I
Celse pense qu’il existe entre maints peuples une parenté dans la même DOCTRINE. Il énumère tous ceux qui auraient tenu cette DOCTRINE à l’origine. Mais je ne sais pourquoi il calomnie les seuls Juifs et n’ajoute pas leur peuple à la liste des autres, puisqu’il a partagé avec eux les mêmes labeurs, des sentiments identiques, des DOCTRINEs en bien des points semblables. Aussi convient-il de lui demander pourquoi donc il a cru aux histoires des barbares et des Grecs sur l’antiquité des peuples qu’il mentionne, tandis qu’il accuse de mensonge les histoires de ce seul peuple. Car si chacun a sincèrement raconté le passé de son peuple, pourquoi refuser de croire aux seuls prophètes des Juifs ? Et si c’est par complaisance pour leur DOCTRINE propre que Moïse et les prophètes ont écrit bien des traits de leur histoire, pourquoi ne pas en dire autant des historiens des autres peuples ? Les Egyptiens qui vilipendent les Juifs dans leur histoire seraient-ils dignes de foi, et les Juifs qui accusent de même façon les Egyptiens quand ils rappellent les nombreuses vexations qu’ils en ont subies et y voient la raison de leur punition par Dieu, seraient-ils coupables de mensonge ? Et ce n’est pas des seuls Egyptiens qu’il faut le dire : on trouvera un conflit des Assyriens contre les Juifs et, qui plus est, relaté dans les archives assyriennes. Et de même les historiens juifs — pour ne pas sembler préjuger en disant : les prophètes — ont désigné les Assyriens comme leurs ennemis. Voilà bien l’arbitraire de cet homme : il croit ces peuples sages et condamne les Juifs comme totalement insensés ! Entends Celse en effet nous dire :” Il est une DOCTRINE d’une haute antiquité, toujours maintenue par les peuples les plus sages, les villes, les sages”. Et il n’a pas voulu qualifier les Juifs “de peuple très sage” au même titre que “les Egyptiens, les Assyriens, les Indiens, les Perses, les Odryses, les habitants de Samothrace et d’Eleusis”. LIVRE I
Combien supérieur à Celse, fut le Pythagoricien Nouménios ! Il a fourni maintes preuves de sa haute compétence, poussé à fond l’examen de nombreuses DOCTRINEs et fait, à partir de multiples sources, la synthèse de celles qui lui paraissent vraies. Dans son premier livre “Sur le Bien”, où il parle des peuples qui ont défini Dieu comme incorporel, il a classé les Juifs parmi eux, n’hésitant pas à citer dans son ouvrage même des paroles prophétiques et à en montrer le sens figuré. On dit encore qu’Hermippos, dans son premier livre “Sur les Législateurs”, raconte que Pythagore emprunta aux Juifs sa philosophie pour l’introduire en Grèce. De plus, il existe, dit-on, un livre de l’historien Hécataeos sur les Juifs, où il loue plus nettement la nation de sa sagesse, à tel point qu’Herennius Philon, dans son traité “Sur les Juifs”, doute d’abord si l’ouvrage est de l’historien, puis déclare que, s’il est authentique, c’est que l’auteur a probablement été séduit par la force persuasive des Juifs et a donné son adhésion à leur DOCTRINE. LIVRE I
De nouveau, dressant la liste “des sages anciens qui ont bien mérité de leurs contemporains et, par leurs écrits, de la postérité”, il exclut Moïse de la liste des sages. De Linos pourtant, qu’il nomme en tête, nulle loi, nulle DOCTRINE n’existe qui ait converti et amélioré des nations ; tandis que les lois de Moïse, un peuple entier les transmet, répandu par toute la terre. Vois donc si ce n’est point pure méchanceté que d’avoir exclu jusqu’à Moïse de sa liste de sages ! Mais “Linos, Musée, Orphée, Phérécyde, le Perse Zoroastre et Pythagore ont traité de ces questions, et leurs DOCTRINEs sont consignées dans des livres et ont été conservées jusqu’à ce jour”. LIVRE I
Cependant, même malgré lui, Celse en est venu à témoigner que le monde est plus récent et qu’il n’a pas encore dix mille ans, quand il dit : “Les Grecs tiennent ces événements pour antiques, car de plus anciens, ils n’en ont, du fait des déluges et des embrasements, ni observé, ni conservé de souvenirs”. Libre à Celse d’avoir, pour lui enseigner le mythe des embrasements et des inondations, les Egyptiens, gens, à son dire, d’une haute sagesse ! Sagesse dont les vestiges sont des animaux sans raison qu’ils adorent et des arguments qui prouvent que le culte ainsi rendu à la divinité est raisonnable et relève du secret et des mystères ! Ainsi quand les Egyptiens, pour vanter leur DOCTRINE sur les animaux, apportent des raisons théologiques, les voilà devenus des sages. Mais, qu’on admette la loi et le législateur des Juifs, qu’on rapporte tout au Dieu unique, créateur de l’univers, on est moins considéré, aux yeux de Celse et de ses semblables, que si on ravale la divinité non seulement aux vivants raisonnables et mortels, mais encore aux êtres privés de raison, ce qui dépasse le mythe de la métensomatose concernant l’âme qui tombe de la voûte du ciel et descend jusqu’aux animaux sans raison, non seulement les animaux domestiques mais les bêtes les plus féroces. Et si les Egyptiens développent des mythes, c’est, croit-on, philosophie par énigmes et mystères ; mais si Moïse, qui écrit des histoires pour toute sa nation, lui laisse des récits et des lois, ses paroles, pense-t-on, sont fables vides et n’admettent pas d’allégorie ! . Voilà l’opinion de Celse et des Epicuriens. LIVRE I
“C’est donc cette DOCTRINE, dit-il, courante chez les nations sages et les hommes illustres, que Moïse a connue par oui-dire et qui lui valut un nom divin”. A supposer que Moïse ait appris une DOCTRINE plus ancienne et l’ait transmise aux Hébreux, il faut répondre : si, apprenant une DOCTRINE mensongère, sans sagesse ni sainteté, il l’a acceptée et transmise à ses sujets, il est blâmable. Mais si, comme tu dis, il a donné son adhésion à des DOCTRINEs sages et vraies, et a fait l’éducation de son peuple grâce à elles, est-ce un acte qui mérite accusation ? Plût au ciel qu’Épicure, qu’Aristote un peu moins impie envers la providence, que les Stoïciens qui font de Dieu un être corporel, aient appris cette DOCTRINE ! Le monde n’eût pas été plein d’une DOCTRINE qui rejette ou coupe en deux la providence ; ou qui introduit un premier principe corruptible, corporel, en vertu duquel Dieu même est un corps pour les Stoïciens : ils n’ont pas honte de le dire susceptible de changement, d’altération intégrale, de transformation, bref, capable de corruption s’il avait un agent corrupteur, mais ayant la chance de n’être pas corrompu parce qu’il n’y a rien qui le corrompe. Mais la DOCTRINE des Juifs et des chrétiens, qui garde l’invariabilité et l’immutabilité de Dieu, est tenue pour impie, parce qu’elle n’est pas complice de ceux qui ont sur Dieu des pensées impies : elle qui dit dans ses prières à la divinité : « Mais toi, tu es toujours le même », et qui croit que Dieu a dit : « Je ne change pas ». LIVRE I
Après cela, sans critiquer la circoncision qui est en usage chez les Juifs, il déclare qu’elle est venue des Egyptiens. Il a cru aux Egyptiens plus qu’à Moïse, selon qui le premier des hommes à être circoncis fut Abraham. Mais Moïse n’est pas le seul à rapporter le nom d’Abraham et sa familiarité avec Dieu. Maints charmeurs de démons emploient dans leurs formules l’expression « le Dieu d’Abraham » ; ils obtiennent de l’effet par la vertu du nom et de la familiarité entre Dieu et son juste. C’est pourquoi ils adoptent l’expression « le Dieu d’Abraham », sans savoir qui est Abraham. Il faut en dire autant d’Isaac, de Jacob et d’Israël : bien que ces noms, de l’aveu de tous, soient hébreux, les Egyptiens qui se targuent d’un pouvoir magique en parsèment fréquemment leurs formules. Mais, le sens de la circoncision, pratique inaugurée par Abraham, abrogée par Jésus qui ne voulait pas que ses disciples l’observent, n’a pas à être exposé pour l’instant. Il s’agit non pas d’instruire à ce sujet, mais de lutter pour détruire les griefs lancés contre la DOCTRINE des Juifs par Celse ; car il pense montrer plus vite que le christianisme est faux s’il en établit la fausseté par l’attaque de sa source dans le judaïsme. LIVRE I
Et après avoir promis de “continuer son enseignement sur le judaïsme”, Celse engage le débat sur notre Sauveur devenu notre chef à notre naissance comme chrétiens, et il affirme : “Cet homme, il y a bien peu d’années, inaugura cet enseignement et les chrétiens ont cru qu’il était Fils de Dieu”. Sur son existence même, il y a peu d’années, voici la réponse. Pouvait-il arriver sans l’aide de Dieu qu’en si peu d’années, ayant formé le projet de répandre sa DOCTRINE et son enseignement, Jésus ait pu le réaliser au point de convertir à sa DOCTRINE en beaucoup d’endroits de notre terre un grand nombre de Grecs et de barbares, de savants et d’ignorants, qui préfèrent mourir en luttant pour le christianisme plutôt que de l’abjurer, chose inouïe dans l’histoire d’une autre DOCTRINE ? Quant à moi, sans flatter la DOCTRINE, mais tentant d’examiner à fond l’histoire, je puis dire : même les médecins qui traitent de nombreux corps malades n’atteignent pas sans l’aide de Dieu leur but de rendre la santé au corps. Mais qu’un homme puisse délivrer les âmes du flot de vice, du désordre, de l’injustice et du mépris de la divinité, et donner en preuve d’un tel acte une centaine de convertis, pour prendre un chiffre, n’aura-t-on point raison de dire qu’il n’a pu implanter sans l’aide de Dieu dans une centaine d’hommes une DOCTRINE délivrant de tous ces maux ? Un examen judicieux fera convenir qu’aucune amélioration n’arrive aux hommes sans l’aide de Dieu ; combien plus hardiment le dira-t-on de Jésus en comparant l’ancienne conduite de nombreux convertis à sa DOCTRINE avec celle qu’ils ont menée depuis, en réfléchissant à l’abîme de licence, d’injustice et de convoitise où chacun d’eux se trouvait plongé avant, pour prendre l’expression de Celse et de ses adeptes, “d’être égarés et d’embrasser”, c’est leur mot, “une DOCTRINE nuisible à la vie humaine”. De quelle manière au contraire, depuis qu’ils ont reçu cette DOCTRINE, ils ont acquis plus de raison, de sérieux et de fermeté, si bien que certains d’entre eux, par désir d’une éminente pureté et pour honorer d’un culte plus pur la divinité, refusent même de goûter les plaisirs de l’amour permis par la loi ! LIVRE I
Un examen des faits montre que Jésus osa une entreprise qui dépasse la nature humaine et que ce qu’il osa, il l’accomplit. Dès l’origine, tout s’opposait à la diffusion de sa DOCTRINE par toute la terre : les empereurs successifs, leurs généraux et chefs d’armées, en un mot tous ceux qui détenaient une autorité quelconque, et en outre les gouverneurs de chaque cité, les soldats, le peuple. Il fut vainqueur, puisqu’il était par nature, en tant que Logos de Dieu, impossible à arrêter, et, plus fort que ces puissants adversaires, il a conquis toute la Grèce, et, plus encore, la barbarie, et converti des âmes innombrables à la religion qu’il enseignait. Or il était inévitable, dans la foule de ceux qui étaient conquis par la DOCTRINE, où “les gens simples et illettrés” sont plus nombreux que les gens formés par la culture, que les gens simples et illettrés fussent plus nombreux que les intelligents. Mais Celse ne veut pas le comprendre. Il pense que l’amour du Logos pour l’humanité, qui s’étend à chaque âme depuis le lever du soleil, “est simple et, à cause de sa simplicité et de son manque absolu de culture, n’a conquis que les simples”. Pourtant, même Celse ne dit pas que les seuls gens simples aient été conduits par cette DOCTRINE à la religion selon Jésus, car il avoue :” Il y a aussi parmi eux des gens modérés, raisonnables, intelligents et prêts à comprendre l’allégorie”. LIVRE I
Mais à un examen plus pousse des circonstances de sa vie, comment ne pas rechercher de quelle manière, élevé dans l’économie et la pauvreté, sans avoir reçu la moindre éducation générale ni appris les belles-lettres et les DOCTRINEs, d’où lui fût venu le talent de persuasion pour affronter les foules, se rendre populaire et attirer de nombreux auditeurs, un tel homme s’adonne à l’enseignement de nouvelles DOCTRINEs, introduit dans l’humanité une DOCTRINE qui abolit les coutumes des Juifs tout en respectant leurs prophètes, et détruit les lois des Grecs surtout par rapport à la divinité ? Comment donc un tel homme, élevé dans ces conditions, sans avoir reçu des hommes, comme en conviennent même ses détracteurs, la moindre instruction sérieuse, a-t-il pu donner sur le jugement de Dieu, les châtiments contre le vice, les récompenses pour la vertu, des enseignements remarquables : si bien que non seulement les gens illettrés et simples sont attirés par ses paroles, mais un grand nombre d’esprits pénétrants, capables d’apprécier, sous le voile d’expressions apparemment banales qui l’enveloppe pour ainsi dire, une signification intérieure secrète ? LIVRE I
Qui donc, s’il ne parcourt d’un regard superficiel la nature des faits, ne serait frappé d’admiration devant cet homme qui a vaincu et qui a pu dépasser, par sa gloire, toutes les causes d’obscurité et tous les hommes glorieux de tous les temps ? En vérité, les hommes glorieux ont rarement été capables de s’acquérir la gloire à plusieurs titres en même temps. C’est, l’un pour sa sagesse, l’autre pour sa valeur militaire, certains barbares pour leur merveilleux pouvoir d’incantation, d’autres pour d’autres titres toujours en petit nombre, qu’ils ont à la fois suscité l’admiration et acquis la renommée. Mais lui, outre ses autres titres, est admiré à la fois pour sa sagesse, pour ses miracles et pour son autorité. Il n’a pas persuadé, comme un tyran, quelques hommes de se joindre à lui au mépris des lois, ni comme un brigand qui excite contre les gens les hommes de sa bande, ni comme un riche qui pourvoit aux besoins de ceux qui l’approchent, ni comme un de ceux qui sont l’objet d’un blâme unanime ; mais il a agi en maître de la DOCTRINE du Dieu de l’univers, du culte à lui rendre et de toute la loi morale, DOCTRINE capable d’unir familièrement au Dieu suprême quiconque y conforme sa vie. Et Thémistocle et les autres hommes glorieux n’ont rien rencontré pour offusquer leur gloire ; lui au contraire, outre les circonstances indiquées, trop capables de faire sombrer dans l’ignominie le caractère le plus noble, sa mort apparemment infamante de crucifié était suffisante pour anéantir même sa gloire précédemment acquise ; et, dans la pensée de ceux qui n’adhèrent pas à son enseignement, elle devait amener les dupes qu’il aurait faites à se dégager de la duperie et à condamner celui qui les avait dupées. LIVRE I
Mais, nouveau motif d’étonnement : d’où vient que les disciples de Jésus, qui, au dire de ses détracteurs, ne l’auraient pas vu ressuscité des morts et n’auraient pas été convaincus qu’il était un être divin, n’ont pas craint d’endurer les mêmes souffrances que leur maître, d’affronter le danger, d’abandonner leurs patries pour enseigner, de par la volonté de Jésus, la DOCTRINE qu’il leur avait transmise ? Car je ne pense pas qu’un examen judicieux des faits permette de dire que ces hommes se seraient voués à une existence précaire pour cet enseignement de Jésus, s’il n’avait produit en eux une conviction profonde en leur enseignant non seulement à vivre en conformité avec ses préceptes, mais encore à y disposer les autres, et cela, alors que la perte, concernant la vie humaine, est en perspective pour quiconque a l’audace de présenter partout et à tous des opinions nouvelles et de ne conserver son amitié à personne qui s’en tiendrait aux DOCTRINEs et aux moeurs anciennes. Est-ce donc que les disciples de Jésus ne virent pas ce péril, dans leur audace à prouver non seulement aux Juifs, d’après les paroles des prophètes, qu’il était Celui qu’elles prédisaient, mais encore aux autres peuples que Celui qui avait été si récemment mis en croix avait accepte de son plein gré cette mort pour le salut du genre humain, comme ceux qui meurent pour leur patrie en vue d’arrêter épidémies de peste, stérilités du sol, risques de la mer ? Car il y a sans doute dans la nature des choses, pour des raisons mystérieuses et inaccessibles à la foule, cette disposition naturelle qu’un seul juste qui meurt volontairement pour le salut de la communauté détourne par son sacrifice les mauvais démons qui causent pestes, stérilités, risques et autres fléaux analogues. LIVRE I
Revenons aux paroles attribuées au Juif, où il est écrit que “la mère de Jésus a été chassée par le charpentier qui l’avait demandée en mariage, pour avoir été convaincue d’adultère et être devenue enceinte des oeuvres d’un soldat nommé Panthère”, et voyons si les auteurs de cette fable de l’adultère de la Vierge avec Panthère et de son renvoi par le charpentier ne l’ont point forgée aveuglément pour nier la conception miraculeuse par le Saint-Esprit. Ils auraient pu, en effet, à cause de son caractère tout à fait miraculeux, falsifier l’histoire d’une autre manière, même sans admettre involontairement pour ainsi dire que Jésus n’était pas né d’un mariage humain ordinaire. Il était tout naturel que ceux qui n’admettent pas la naissance miraculeuse de Jésus forgent quelque mensonge. Mais l’avoir fait sans vraisemblance et en maintenant que la Vierge n’avait pas conçu Jésus de Joseph faisait éclater le mensonge à tout homme capable de discerner et de réfuter les fictions. Serait-ce une chose raisonnable, en effet : l’homme qui a tant osé entreprendre pour le salut du genre humain afin que tous, Grecs et barbares, autant qu’il dépend de lui, dans l’attente du jugement de Dieu, s’abstiennent du vice et fassent tout pour plaire au Créateur de l’univers, cet homme n’aurait pas eu de naissance miraculeuse, mais la plus illégitime et la plus honteuse de toutes les naissances ? Je le demande aux Grecs et en particulier à Celse qui, partageât-il ou non ses idées, en tout cas cite Platon : Celui qui fait descendre les âmes dans les corps des hommes va-t-il pousser à la naissance plus honteuse qu’aucune autre, sans même l’introduire dans la vie des hommes par un mariage légitime, l’être qui allait tant oser entreprendre, instruire tant de disciples, détourner du flot du vice une foule d’hommes ? N’est-il pas plus raisonnable que chaque âme, introduite dans un corps pour des raisons mystérieuses — je parle ici d’après la DOCTRINE de Pythagore, Platon, Empédocle, dont Celse fait souvent mention —, soit ainsi introduite pour son mérite et son caractère antérieurs ? Il est donc probable que cette âme, plus utile par sa venue à la vie des hommes que celle d’un grand nombre, pour ne point paraître préjuger en disant de tous, ait eu besoin d’un corps qui, non seulement se distingue des corps humains, mais encore est supérieur à tous. LIVRE I
Admettons que telle âme, pour des motifs mystérieux, méritant d’habiter le corps non d’un être totalement dépourvu de raison, ni non plus d’un être purement raisonnable, revête un corps monstrueux où la raison ne peut s’épanouir dans l’être ainsi conformé, à la tête disproportionnée au reste du corps et bien trop petite ; admettons que telle autre reçoive un corps lui permettant d’être un peu plus raisonnable que la précédente, et une autre mieux encore, la nature du corps faisant plus ou moins obstacle à l’emprise de la raison : pourquoi n’y aurait-il pas aussi une âme qui recevrait un corps totalement miraculeux, avec quelque chose de commun aux hommes afin de pouvoir vivre parmi eux, mais aussi quelque chose d’exceptionnel afin de pouvoir demeurer exempte de péché ? Admettons qu’il y ait du vrai dans la DOCTRINE des physiognomonistes Zopyros, Loxos, Polémon, et de tous ceux qui ont écrit sur le sujet, se targuant d’un savoir étonnant sur la parenté de chaque corps avec le caractère de son âme : dès lors à cette âme, destinée à vivre miraculeusement et à accomplir de grandes actions, il fallait un corps, non pas comme le croit Celse, né d’un adultère entre Panthère et la Vierge, car d’une union aussi impure aurait dû plutôt sortir un fou nuisible aux hommes, maître d’intempérance, d’injustice et des autres vices, et non pas de maîtrise de soi, de justice et des autres vertus. Mais, comme l’ont encore prédit les prophètes, il fallait un corps né d’une Vierge, enfantant, suivant l’annonce du signe, l’enfant dont le nom qualifierait l’oeuvre, montrant qu’à sa naissance Dieu serait avec les hommes. LIVRE I
C’est bien le moment, me semble-t-il, d’opposer aux paroles fictives du Juif la prophétie d’Isaïe que l’Emmanuel naîtrait d’une vierge. Celse ne l’a pas citée, soit qu’il l’ignorât, lui qui proclame tout savoir, soit qu’il l’ait lue mais volontairement passée sous silence pour ne point sembler établir malgré lui la DOCTRINE contraire à son propos. Voici le passage : « Et le Seigneur s’adressa de nouveau à Achaz et lui dit : Demande pour toi au Seigneur ton Dieu un signe dans la profondeur ou sur la hauteur. Achaz répondit : Non, je ne demanderai pas, je ne mettrai pas le Seigneur au défi. Ecoutez donc, maison de David : ne vous suffit-il pas de contrarier les hommes, que vous veniez à contrarier le Seigneur ? C’est donc le Seigneur lui-même qui va vous donner un signe. Voici : la vierge va concevoir et enfanter un fils qu’elle appellera du nom d’Emmanuel », nom qui se traduit : « Dieu avec nous. » Mais c’est par déloyauté que Celse n’a pas cité la prophétie : la preuve en est qu’il a mentionné plusieurs passages de l’Evangile selon Matthieu, comme “l’astre qui s’est levé à la naissance de Jésus”, et d’autres miracles, mais n’a pas fait la moindre allusion à celui-là. Et si un Juif veut chicaner sur l’expression et prétend que la leçon n’est pas : «Voici : la Vierge…», mais «Voici : la jeune fille…», je lui répliquerai : le terme « Aalma » que les Septante ont traduit par « la vierge », et d’autres par « la jeune fille », se trouve encore, ils l’avouent, dans le Deutéronome, et à propos d’une vierge. Le voici : « Si une jeune vierge est fiancée à un homme, et qu’un autre la rencontre dans la ville et couche avec elle, vous les conduirez tous deux à la porte de cette ville et vous les lapiderez jusqu’à ce que mort s’ensuive : la jeune fille, pour ce motif qu’elle n’a pas appelé au secours dans la ville, et l’homme, pour ce motif qu’il a humilié la femme de son prochain. » Et ensuite : « Mais si c’est dans la campagne que l’homme a rencontré la jeune fille fiancée, qu’il l’a violentée et a couché avec elle, tuez l’homme qui a couché avec elle et lui seul ; vous ne ferez rien à la jeune fille, il n’y a pas pour elle de faute digne de mort. » (Deut. 22, 25) LIVRE I
De plus, il accepte bien, de l’histoire écrite dans l’Évangile de Matthieu, la venue de Jésus en Egypte ; mais il refuse de croire aux prodiges qui l’ont provoquée, à l’ordre transmis par l’ange, à toute la signification mystérieuse possible du départ de Jésus de la Judée et de son séjour en Egypte. Il invente encore autre chose : d’un côté, il donne une certaine adhésion aux miracles extraordinaires accomplis par Jésus, grâce auxquels celui-ci persuada la multitude de le suivre comme Christ, de l’autre, il entend les disqualifier comme dus à la magie et non à la puissance divine. Car il affirme : Il fut élevé en secret, s’en fut en Egypte louer ses services, et, ayant acquis là l’expérience de certains pouvoirs, il s’en revint, proclamant grâce à ces pouvoirs qu’il était Dieu. Quant à moi, je ne comprends pas comment un magicien aurait pu prendre la peine d’enseigner une DOCTRINE persuadant de tout faire dans la pensée que Dieu juge chacun sur toutes ses actions, et de donner cette disposition à ses disciples dont il allait faire les ministres de son enseignement. Ceux-ci gagnaient-ils leurs auditeurs par les miracles appris de cette façon, ou sans faire aucun miracle ? Dire qu’ils ne faisaient pas de miracle du tout, mais qu’après avoir cru, sans aucune puissance de raisons qui ressemblât à la sagesse dialectique des Grecs, ils se sont voués à l’enseignement d’une DOCTRINE nouvelle pour ceux chez qui ils séjournaient, c’est le comble de l’absurdité : d’où leur fût venue l’audace pour enseigner la DOCTRINE et les innovations ? Et s’ils accomplissaient des miracles, quelle vraisemblance y a-t-il que des magiciens se fussent exposés à de si graves périls pour un enseignement interdisant la magie ? LIVRE I
Or, la loi et les prophètes sont remplis de traits aussi miraculeux que celui qu’on raconte de la colombe et de la voix céleste au baptême de Jésus. Et la preuve, à mon avis, que le Saint-Esprit est alors apparu sous la forme d’une colombe, ce sont les miracles accomplis par Jésus, en dépit des affirmations mensongères de Celse, que Jésus avait appris en Egypte l’art de les faire. Et même je ne tirerai point parti seulement de ceux-là, mais encore, comme il convient, des miracles qu’accomplirent les apôtres de Jésus. Car sans miracles et sans prodiges, ils n’auraient pas poussé ceux qui entendaient de nouvelles DOCTRINEs et des enseignements nouveaux à laisser leurs croyances ancestrales et accepter, au péril de leur vie, les enseignements qu’ils donnaient. Et de cet Esprit Saint alors apparu sous la forme d’une colombe, il subsiste encore des traces chez les chrétiens : ils chassent les démons, guérissent maintes maladies, et ont, au gré du Logos, certaines visions de l’avenir. Dussé-je provoquer les railleries de Celse ou du Juif son porte-parole par ce que je vais dire, j’affirmerai néanmoins : beaucoup sont venus au christianisme comme malgré eux, un certain esprit ayant soudain tourné leur coeur de la haine de la DOCTRINE à la résolution de mourir pour elle, en leur présentant une vision ou un songe. J’en ai connu bien des exemples. Si je les mettais par écrit, tout témoin oculaire que j’en aie été, j’offrirais une vaste cible à la risée des incroyants qui penseraient que moi aussi, comme ceux qu’ils suspectent d’avoir forgé de telles fictions, je leur en conte. Mais Dieu est témoin de ma conscience et de son désir de confirmer, non par des récits mensongers, mais dans une évidence riche d’aspects, l’enseignement divin de Jésus. LIVRE I
Je voudrais dire à Celse quand il met en scène un Juif admettant d’une certaine manière Jean comme un baptiste baptisant Jésus l’existence de Jean-Baptiste qui baptisait pour la rémission des pèches est relatée par un de ceux qui ont vécu peu après Jean et Jésus. Dans le dix-huitième livre de “l’Antiquité des Juifs”, en effet, Josèphe a témoigne que Jean baptisait en promettant la purification aux baptisés. Et le même auteur, bien que ne croyant pas que Jésus fût le Christ, cherche la cause de la chute de Jérusalem et de la ruine du temple. Il aurait dû dire que l’attentat contre Jésus avait été la cause de ces malheurs pour le peuple, parce qu’on avait mis à mort le Christ annoncé par les prophètes. Mais, comme malgré lui, il n’est pas loin de la vérité quand il affirme que ces catastrophes arrivèrent aux Juifs pour venger Jacques le Juste, frère de Jésus appelé le Christ, parce qu’ils l’avaient tué en dépit de son éclatante justice. Ce Jacques, Paul le véritable disciple de Jésus dit l’avoir vu, et il l’appelle « frère du Seigneur », moins pour leur parente de sang ou leur éducation commune que pour ses moeurs et sa DOCTRINE. Si donc Josèphe dit que les malheurs de la dévastation de Jérusalem sont arrivés aux Juifs à cause de Jacques, combien n’eut-il pas été plus raisonnable d’affirmer qu’ils survinrent à cause de Jésus-Christ , lui dont la divinité est attestée par tant d’églises, composées d’hommes qui se sont détournes du débordement des vices, attachés au Créateur et qui rapportent tout a son bon plaisir LIVRE I
Son Juif déclare encore au Sauveur : ” Si tu dis que tout homme né conformément à la divine Providence est fils de Dieu, en quoi l’emporterais-tu sur un autre ?” A quoi je répondrai : tout homme qui, selon le mot de Paul, n’est plus mené par la crainte, mais embrasse la vertu pour elle-même, est fils de Dieu. Mais le Christ l’emporte du tout au tout sur quiconque reçoit pour sa vertu le titre de fils de Dieu, puisqu’il en est comme la source et le principe. Voici le passage de Paul : « Aussi bien n’avez-vous pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; mais vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba, Père ! » Mais, dit le Juif de Celse, ” d’autres par milliers réfuteront Jésus en affirmant qu’à eux-mêmes s’applique ce qui est prophétisé de lui.” En vérité, je ne sais pas si Celse a connu des gens qui, après leur venue en cette vie, ont voulu rivaliser avec Jésus, et se proclamer eux-mêmes fils de Dieu ou puissance de Dieu. Mais puisque j’examine loyalement les objections comme elles se présentent, je dirai : un certain Theudas naquit en Judée avant la naissance de Jésus, qui se déclara « un grand personnage » ; à sa mort, ceux qu’il avait abusés se dispersèrent. Après lui, « aux jours du recensement », vers le temps, semble-t-il, où Jésus est né, un certain Judas Galiléen s’attira de nombreux partisans dans le peuple juif, se présentant comme sage et novateur. Après qu’il fut châtié lui aussi, son enseignement s’éteignit, n’ayant quelque survivance que chez un tout petit nombre de personnes insignifiantes. Et après le temps de Jésus, Dosithée de Samarie voulut persuader les Samaritains qu’il était le Christ en personne prédit par Moïse, et parut, par son enseignement, avoir conquis quelques adhérents. Mais la remarque pleine de sagesse de Gamaliel, rapportée dans les Actes des Apôtres, peut être raisonnablement citée pour montrer que ces hommes n’avaient rien à voir avec la promesse, n’étant ni fils ni puissances de Dieu, tandis que le Christ Jésus était véritablement Fils de Dieu. Or Gamaliel y dit : « Si c’est là une entreprise et une DOCTRINE qui vient des hommes, elle se détruira d’elle-même », comme s’est évanouie celle de ces gens-là quand ils moururent, « mais si elle vient de Dieu, vous ne pourrez faire disparaître l’enseignement de cet homme : ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu. » De plus, Simon le magicien de Samarie voulut par la magie s’attacher certains hommes, et il parvint à en séduire, mais aujourd’hui de tous les Simoniens du monde on n’en trouverait pas trente, je crois, et peut-être que j’en exagère le nombre. Ils sont fort peu nombreux en Palestine, et en aucun point du reste de la terre son nom n’a cette gloire qu’il voulut répandre autour de sa personne. Car là où il est cité, il l’est d’après les Actes des Apôtres ; ce sont des chrétiens qui font mention de lui, et l’évidence a prouvé que Simon n’était nullement divin. LIVRE I
On a observé, lors des grands événements et des changements les plus considérables qui surviennent sur terre, que de tels astres se lèvent, indiquant des changements de règne, des guerres, tout ce qui peut advenir chez les hommes et provoquer des secousses dans le monde terrestre. J’ai lu dans le traité “Sur les comètes” de Chaerémon le Stoïcien comment il arrive parfois que des comètes se sont levées à l’approche d’événements heureux, et il en cite des exemples. Si donc à l’occasion de nouveaux règnes ou d’autres événements importants sur terre se lève une « comète » ou un des astres semblables, quoi d’étonnant qu’un astre se soit levé à la naissance de celui qui allait ouvrir de nouvelles voies pour la race humaine et introduire sa DOCTRINE, non seulement chez les Juifs, mais encore chez nombre de Grecs et chez les peuples barbares? Quant à moi, je peux dire : au sujet des comètes, on ne rapporte aucune prophétie que sous tel règne, à telle époque, se lèverait telle comète ; mais sur l’astre qui s’est levé à la naissance de Jésus, Balaam a prophétisé, disant, comme le nota Moïse : « Un astre se lèvera de Jacob, et un homme s’élèvera d’Israël » Et s’il est nécessaire encore d’examiner ce que l’Écriture dit des mages à la naissance de Jésus, et de l’apparition de l’étoile, voici des observations que je pourrais présenter les unes aux Grecs, les autres aux Juifs. LIVRE I
Je rétorque : un examen sensé et judicieux de la conduite des apôtres de Jésus montre que par la puissance divine ils enseignaient le christianisme et réussissaient à soumettre les hommes à la parole de Dieu. Ils ne possédaient ni éloquence naturelle ni ordonnance de leur message selon les procèdes dialectiques et rhétoriques des Grecs, qui entraînent les auditeurs. Mais il me semble que si Jésus avait choisi des hommes savants au regard de l’opinion publique, capables de saisir et d’exprimer des idées chères aux foules, pour en faire les ministres de son enseignement, il eût très justement prête au soupçon d’avoir prêche suivant une méthode semblable à celle des philosophes chefs d’école, et le caractère divin de sa DOCTRINE n’aurait plus paru dans toute son évidence. Sa DOCTRINE et sa prédication auraient consisté en discours persuasifs de la sagesse avec le style et la composition littéraire. Notre foi, pareille à celle qu’on accorde aux DOCTRINEs des philosophes de ce monde, reposerait sur « la sagesse des hommes » et non sur « la puissance de Dieu ». Mais à voir des pêcheurs et des publicains sans même les premiers rudiments des lettres — selon la présentation qu’en donne l’Évangile, et Celse les croit véridiques sur leur manque de culture —, assez enhardis non seulement pour traiter avec les Juifs de la foi en Jésus-Christ, mais encore pour le prêcher au reste du monde et y réussir, comment ne pas chercher l’origine de leur puissance de persuasion ? Car ce n’était pas celle qu’attendent les foules. Et qui n’avouerait que sa parole : « Venez à ma suite, je vous ferai pêcheurs d’hommes », Jésus l’ait réalisée par une puissance divine dans ses apôtres. Paul aussi, je l’ai dit plus haut, la propose en ces termes : « Ma DOCTRINE et ma prédication ne consistaient pas en des discours persuasifs de la sagesse, mais dans une démonstration de l’Esprit et de la puissance, pour que notre foi reposât, non point sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu. » Car, selon ce qui est dit dans les prophètes quand ils annoncent avec leur connaissance anticipée la prédication de l’Évangile, « le Seigneur donnera sa parole aux messagers avec une grande puissance, le roi des armées du bien-aimé », pour que soit accomplie cette prophétie : « afin que sa parole courre avec rapidité ». Et nous voyons, de fait, que « la voix » des apôtres de Jésus « est parvenue à toute la terre, et leurs paroles, aux limites du monde ». Voilà pourquoi sont remplis de puissance ceux qui écoutent la parole de Dieu annoncée avec puissance, et ils la manifestent par leur disposition d’âme, leur conduite et leur lutte jusqu’à la mort pour la vérité. Mais il y a des gens à l’âme vide, même s’ils font profession de croire en Dieu par Jésus-Christ ; n’étant pas sous l’influence de la puissance divine, ils n’adhèrent qu’en apparence à la parole de Dieu. LIVRE I
Si l’on devait reprocher leur vie antérieure à ceux qui se sont convertis, il serait temps d’accuser aussi Phédon, tout philosophe qu’il ait été, puisque Socrate, comme l’atteste l’histoire, le fit passer d’un lieu de débauche à l’étude de la philosophie. De plus, le libertinage de Polémon, successeur de Xénocrate, on irait le reprocher à la philosophie. Alors que, dans ces exemples à sa louange, il faut dire que la raison s’est montrée capable, en ceux qui ont manié la persuasion, de retirer de vices si graves ceux qui d’abord y avaient été plongés. Et parmi les Grecs, le seul Phédon — j’ignore s’il y en eut un second — et le seul Polémon passèrent d’une vie de débauche effrénée à la pratique de la philosophie ; dans le cas de Jésus, non seulement les Douze d’alors, mais sans cesse et en bien plus grand nombre ceux qui sont devenus un choeur de sages disent de leur vie antérieure : « Car nous aussi nous étions naguère des insensés, des rebelles, des égarés, esclaves de toutes sortes de convoitises et de plaisirs, vivant dans la malice et l’envie, odieux et nous haïssant les uns les autres ; mais le jour où apparurent la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes », « par le bain de régénération et de rénovation de l’Esprit qu’il a répandu sur nous », nous sommes devenus ce que nous sommes. Car Dieu « a envoyé sa parole et il les a guéris et il les a tirés de leurs corruptions », comme l’enseigne le prophète des psaumes. A ces citations, je pourrais ajouter ceci : Chrysippe, pour réprimer les passions des âmes humaines, sans se mettre en peine du degré de vérité d’une DOCTRINE, tente dans son ” Art de guérir les passions ” de soigner suivant les différentes écoles ceux dont l’âme était plongée dans ces passions, et dit : Si le plaisir est la fin, c’est dans cette perspective qu’il faut soigner les passions ; s’il y a trois espèces de biens, ce n’est pas moins suivant cette DOCTRINE qu’il faut délivrer de leurs passions ceux qu’elles entravent. Mais les accusateurs du christianisme ne voient pas le grand nombre d’hommes dont les passions et le débordement sont réprimés ou dont les caractères sauvages se trouvent adoucis en raison de notre DOCTRINE. C’était un devoir, à ces gens qui préconisent le bien commun, d’avouer leur reconnaissance à cet Évangile qui par une nouvelle méthode a retiré les hommes de tant de vices ; bien plus, de rendre témoignage, sinon à sa vérité, du moins à son utilité pour le genre humain. LIVRE I
Après cela, le Juif de Celse déclare, comme un Grec ami du savoir et instruit de la littérature grecque : “Les anciens mythes qui ont attribué à Persée, Amphion, Eaque et Minos une naissance divine — et nous ne les avons même pas crus — étalent du moins avec complaisance leurs oeuvres grandes, admirables et véritablement surhumaines, pour ne point paraître indignes de foi. Mais toi, qu’as-tu présenté de beau ou d’admirable en oeuvres ou en paroles ? Tu ne saurais rien nous montrer malgré la sommation qu’on te fit dans le temple de fournir un signe manifeste que tu es Fils de Dieu”. A cela il faut répondre : que les Grecs nous montrent, de l’un de ceux qui viennent d’être énumérés, une oeuvre utile à la vie, éclatante, dont l’influence s’étendit à la postérité et qui soit capable de donner une vraisemblance au mythe qui leur attribue une naissance divine ! Mais en fait, ils ne montreront sur les héros dont ils ont écrit l’histoire rien qui approche même de loin les exploits accomplis par Jésus. A moins par hasard que les Grecs nous renvoient à leurs mythes et à leurs récits, et nous veuillent, là, déraisonnablement crédules, et ici, en dépit d’une évidence flagrante, incrédules. Or nous, nous affirmons : l’oeuvre de Jésus, toute la terre des hommes la porte, où résident grâce à Jésus, les églises de Dieu composées d’hommes convertis de péchés innombrables. De plus, le nom de Jésus chasse encore des hommes les égarements d’esprit, les démons et, aujourd’hui encore, les maladies ; et il fait naître merveilleusement douceur, modération de caractère, sentiment d’humanité, bonté, mansuétude chez ceux qui ne feignent pas d’accepter, pour des avantages ou des nécessités de la vie, mais acceptent véritablement la DOCTRINE sur Dieu, le Christ et le jugement à venir. LIVRE I
On voit donc comment, par ces propos, il semble admettre l’existence de la magie. J’ignore s’il est aussi l’auteur de plusieurs livres contre la magie. Mais, le jugeant utile à son objet, il assimile les actes qu’on rapporte de Jésus aux effets de la magie. Ils leur seraient bien semblables si Jésus y avait d’abord fait montre d’une vaine exhibition à la manière des magiciens. Mais, en fait, aucun sorcier n’appelle par ses tours les spectateurs à une réforme des moeurs, ni n’enseigne la crainte de Dieu à ceux qu’ébahit le spectacle, ni ne s’efforce de persuader aux témoins de vivre en hommes qui seront jugés par Dieu. Les sorciers ne font rien de tel, car ils n’ont ni le pouvoir, ni le désir, ni la volonté de s’occuper de corriger les hommes, remplis qu’ils sont eux-mêmes des péchés les plus honteux et les plus infâmes. Mais Jésus ne faisait ses miracles que pour inviter les spectateurs à la réforme des moeurs : n’était-il pas naturel qu’il se présentât lui-même, non seulement à ses vrais disciples, mais encore au reste des hommes, comme le modèle de la vie la plus excellente ? A ses disciples pour qu’ils se consacrent à enseigner les hommes selon la volonté de Dieu ; au reste des hommes pour que, instruits tant par sa DOCTRINE que par ses moeurs et ses miracles sur la manière de vivre comme il se doit, ils fassent tout en vue de plaire au Dieu suprême. Mais si la vie de Jésus avait ce caractère, comment raisonnablement la comparer aux prétentions des sorciers, et ne pas croire que, selon la promesse de Dieu, il est Dieu manifesté dans un corps d’homme pour le bienfait de notre race? LIVRE I
Il était bien logique que ceux qui étaient envoyés aux circoncis ne s’écartent pas des coutumes juives, quand « ceux que l’on considérait comme des colonnes donnèrent en signe de communion la main » à Paul et à Barnabé, et partirent « eux vers les circoncis », afin que les autres aillent prêcher aux Gentils. Mais, que dis-je, ceux qui prêchent aux circoncis se retiraient des Gentils et se tenaient à l’écart ? Paul lui-même se fit « Juif pour gagner les Juifs ». C’est la raison pour laquelle, comme il est encore écrit dans les Actes des Apôtres, il présenta même une oblation à l’autel, afin de persuader les Juifs qu’il n’était point un apostat de la loi. Si Celse avait su tout cela, il n’aurait pas mis en scène un Juif qui dit aux croyants issus du judaïsme : “Quel malheur vous est donc survenu, mes compatriotes, que vous ayez abandonné la loi de nos pères, et que, séduits par celui avec qui je discutais tout à l’heure, vous ayez été bernés de la plus ridicule façon, et nous ayez désertés pour changer de nom et de genre de vie ?” Puisque j’en suis à parler de Pierre et de ceux qui ont enseigné le christianisme aux circoncis, je ne crois pas hors de propos de citer une déclaration de Jésus, tirée de l’Évangile selon Jean, et de l’expliquer. Voici donc ce qu’il dit d’après l’Écriture : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais tout ce qu’il entendra, il le dira. » La question est de savoir quel était ce « grand nombre de choses » que Jésus avait à dire à ses disciples, mais qu’ils n’étaient pas encore en état de porter. Je réponds : parce que les apôtres étaient des Juifs, instruits de la loi de Moïse prise à la lettre, il avait peut-être à dire quelle était la loi véritable, de quelles « réalités célestes » le culte des Juifs était l’accomplissement « en figure et en image », quels étaient les « biens à venir » dont l’ombre était contenue dans la loi sur les aliments, les boissons, les fêtes, les nouvelles lunes et les sabbats. Voilà « le grand nombre de choses » qu’il avait à leur dire. Mais il voyait l’extrême difficulté d’arracher de l’âme des opinions pour ainsi dire congénitales et développées jusqu’à l’âge mûr, ayant laissé ceux qui les avaient reçues persuadés qu’elles étaient divines et qu’il était impie de les en dépouiller. Il voyait la difficulté de prouver, jusqu’à en persuader les auditeurs, qu’en comparaison de la suréminence de la « connaissance » selon le Christ, c’est-à-dire selon la vérité, elle n’étaient que « déchets » et « dommages ». Il remit donc cette tâche à une occasion plus favorable, après sa passion et sa résurrection. Et en effet, il était vraiment hors de propos d’apporter du secours à ceux qui n’étaient pas encore capables de le recevoir ; cela pouvait détruire l’impression, qu’ils avaient déjà reçue, que Jésus était le Christ, le Fils du Dieu vivant. Considère s’il n’y a pas un sens respectable à entendre ainsi le passage : « J’ai encore un grand nombre de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant » : par un grand nombre de choses, il entendait la méthode d’explication et d’éclaircissement de la loi dans un sens spirituel ; et les disciples ne pouvaient en quelque sorte les porter, parce qu’ils étaient nés et avaient été jusqu’alors élevés parmi les Juifs. Et, je pense, c’est parce que les pratiques légales étaient une figure, et que la vérité était ce que le Saint-Esprit allait leur enseigner, qu’il a été dit : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière » ; comme s’il disait : vers la vérité intégrale des réalités dont, ne possédant que les figures, vous croyiez adorer Dieu de l’adoration véritable. Conformément à la promesse de Jésus, l’Esprit de vérité vint sur Pierre et lui dit, à propos des quadrupèdes et des reptiles de la terre et des oiseaux du ciel : « Debout, Pierre, immole et mange ! » Il vint à lui, bien qu’il fût encore imbu de superstition, car même à la voix divine il répond : « Oh ! non, Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur. » Et il lui enseigna la DOCTRINE sur les aliments véritables et spirituels par ces mots : « Ce que Dieu a purifié, toi ne le dis pas souillé. » Et après cette vision, l’Esprit de vérité, conduisant Pierre « vers la vérité tout entière », lui dit « le grand nombre de choses » qu’il ne pouvait pas « porter » alors que Jésus lui était encore présent selon la chair. LIVRE II
Son Juif continue à l’adresse de ceux de son peuple devenus croyants “C’est hier ou avant-hier, quand nous avons puni celui qui vous menait comme un troupeau, que vous avez déserté la loi de vos pères”. Mais il ne sait rien de précis du sujet qu’il traite, je l’ai montré. Dans la suite, il me semble avoir plus de force en disant “Comment, débutant par nos textes sacrés, pouvez-vous, en progressant, les mépriser, n’ayant d’autre origine à alléguer pour votre DOCTRINE que notre loi ?” Il est vrai que l’initiation chrétienne se fait d’abord par les textes sacrés de Moïse et par les écrits des prophètes. Et après l’initiation, dans leur explication et leur élucidation, se fait le progrès pour les initiés, qui cherchent à connaître le mystère « selon la révélation, enveloppe de silence aux siècles éternels, mais aujourd’hui manifeste par les paroles prophétiques et la manifestation de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ ». Ce n’est pas, comme vous dites, « qu’en progressant on méprise » ce qui est écrit dans la loi on l’entoure au contraire d’un plus grand honneur en montrant quelle profondeur de DOCTRINEs sages et mystérieuses renferment ces textes que les Juifs n’ont pas scrutés profondément, dans leur lecture trop superficielle et trop attachée aux fables. LIVRE II
Mais qu’y a-t-il donc d’absurde à ce que la loi soit l’origine de notre DOCTRINE, c’est-à-dire de l’Évangile. N’est-ce pas ce que notre Sauveur lui-même dit à ceux qui refusent de croire en lui « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi, car c’est de moi qu’il a écrit. Mais si vous ne croyez pas ses écrits, comment croirez-vous mes paroles » De plus, un des évangélistes, Marc, affirme « Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, selon ce qui est écrit dans le prophète Isaïe ” Voici que j’envoie mon messager en avant de toi pour frayer ta route devant toi ” , et il montre que le commencement de l’Évangile se rattache aux écritures juives. Pourquoi donc cette parole du Juif de Celse contre nous : ” Si quelqu’un vous a prédit que le Fils de Dieu viendrait en effet vers les hommes, c’était notre prophète et le prophète de notre Dieu ? ” Et quelle charge constitue pour le christianisme la qualité juive de Jean qui a baptisé Jésus ? Car il ne s’en suit pas, du fait qu’il était juif, que tout croyant, qu’il vienne des Gentils ou des Juifs, doive garder la loi juive au sens littéral. LIVRE II
Il dit encore : “Beaucoup d’autres auraient pu paraître tels que Jésus à ceux qui consentaient à être dupes.” Que le Juif de Celse montre donc non pas beaucoup, ni même quelques-uns, mais un seul homme tel que Jésus qui, par la puissance qui est en lui a introduit dans l’humanité une DOCTRINE et des dogmes bienfaisants, et a converti les hommes du flot de péchés ! Il poursuit : “Ceux qui croient au Christ font un grief aux Juifs de n’avoir pas cru que Jésus était Dieu”. Sur ce point, j’ai répliqué d’avance ci-dessus, en montrant à la fois comment nous pensons qu’il est Dieu, et en quoi nous disons qu’il est homme. Il poursuit : “Mais comment, après avoir enseigné à tous les hommes l’arrivée de celui qui viendrait de la part de Dieu punir les injustes, l’aurions-nous, après sa venue, indignement traité ?” Répondre à cette attaque qui est fort sotte ne me semble pas raisonnable. Elle équivaut à dire : comment, nous qui avons enseigné la tempérance, aurions-nous fait quelque chose de licencieux ou nous qui prétendons à la justice, aurions-nous été coupables d’injustice ? De même que ces inconséquences se trouvent chez les hommes, il était humain aussi que des gens qui affirmaient croire aux prophètes annonçant la venue du Christ aient refusé de croire en lui quand il fut venu conformément aux prophéties. LIVRE II
Le Juif continue :” Comment pouvions-nous considérer comme Dieu celui qui, entre autres choses qu’on lui reprochait, n’exécuta rien de ce qu’il promettait; qui, quand nous l’eûmes convaincu, condamné, jugé digne du supplice, alors qu’il se cachait et cherchait la fuite la plus honteuse, fut pris, livré par ceux qu’il nommait ses disciples ? Pourtant il ne lui était pas possible, s’il était Dieu, ni de s’enfuir, ni de se laisser emmener enchaîné; et encore bien moins, s’il était considéré comme le Sauveur, le Fils et l’Envoyé du Dieu très grand, d’être abandonné et trahi par ses compagnons qui avaient partagé en tout point son intimité et le tenaient pour maître.” A quoi je répondrai : nous ne pensons pas non plus que le corps de Jésus, visible alors et perceptible aux sens, est Dieu. Et que dis-je, le corps ? Pas même l’âme, dont il est dit : « Mon âme est triste à en mourir. » Mais, selon la DOCTRINE des Juifs, on croit que c’est Dieu, usant de l’âme et du corps du prophète comme d’un instrument, qui dit : « C’est moi, le Seigneur, Dieu de toute chair », et : « Avant moi aucun Dieu n’a existé, et il n’y en aura pas après moi. » Selon les Grecs, on tient que c’est un dieu qui parle et qu’on entend par l’entremise de la Pythie, et qui déclare : « Je sais le nombre des grains de sable et les dimensions de la mer, je comprends le sourd-muet, j’entends celui qui ne parle pas. » De la même manière selon nous, c’est le Logos Dieu et Fils du Dieu de l’univers qui, en Jésus, disait : « Je suis la voie, la vérité, la vie », « Je suis la porte », « Je suis le pain vivant descendu du ciel » et autres expressions semblables. LIVRE II
Pour citer encore, à propos de Judas, un argument qui le confonde, je dirai que, dans le livre des psaumes, tout le cent-huitième n’est qu’une prophétie à son sujet. Il débute par ces mots : « O Dieu, ne cesse de parler à ma louange, car la bouche du méchant et la bouche du trompeur s’est ouverte contre moi. » Et on y prophétise que Judas s’est exclu du nombre des apôtres à cause de son péché, et qu’un autre a été choisi à sa place ; c’est le sens du mot : « et qu’un autre prenne sa charge ». Mais admettons qu’il ait été livré par un des disciples pire que Judas, sur lequel aient glissé, pour ainsi dire, toutes les paroles de Jésus : en quoi cela renforcerait-il une accusation contre Jésus ou le christianisme ? Comment serait-ce une preuve de la fausseté de l’Évangile ? Quant aux accusations qui suivent, j’y ai déjà répondu plus haut en montrant que ce n’est pas en fuyant que Jésus a été pris, mais qu’il s’est volontairement livré pour nous ; d’où il suit que s’il a été lié, il l’a été de son plein gré, nous enseignant à accueillir de bon coer ces sortes d’épreuves endurées pour la religion. Voici encore qui me semble puéril : “Un bon général qui commande à des milliers de soldais n’est jamais livré, ni même un misérable chef de brigands à la tête des plus dépravés, tant qu’il semble utile à ses associés. Mais Jésus, puisqu’il fut livré par ses subordonnés, n’a pas commandé en bon général, et après avoir dupé ses disciples, il n’a pas inspiré à ces dupes la bienveillance, si l’on peut dire, que l’on a pour un chef de brigands.” On peut trouver bien des histoires de généraux livrés par leurs familiers, et de chefs de brigands pris par suite d’une infidélité aux engagements à leur égard. Admettons qu’aucun des généraux ou des chefs de brigands n’ait été livrés : en quoi cela renforce-t-il le grief fait à Jésus de ce qu’un de ses disciples l’a livré ? Puisque Celse fait profession de philosophie, je peux lui demander : est-ce un motif d’accuser Platon si Aristote, après l’avoir écouté vingt ans, s’est détourné de lui, s’en prit à sa DOCTRINE de l’immortalité de l’âme, et a qualifié de « fredonnements » les Idées platoniciennes ? S’il restait un doute, j’ajouterais : est-ce que Platon n’avait plus de vigueur dialectique ni de puissance à établir son système, quand Aristote se fut détourné de lui, et les DOCTRINEs de Platon sont-elles fausses pour autant ? Ou se peut-il que Platon ait raison, au dire des philosophes qui le suivent, et qu’Aristote soit devenu méchant et ingrat envers son maître ? Chrysippe également, en bien des passages de ses livres, semble s’attaquer à Cléanthe, et propose des innovations contraires aux thèses de celui-ci, qui fut son maître alors qu’il était jeune et abordait la philosophie. Et pourtant, Aristote, dit-on, a fréquenté Platon vingt ans, et Chrysippe fut à l’école de Cléanthe un temps considérable. Mais Judas n’a même point passé trois ans près de Jésus. Des biographies de philosophes on tirerait bien des faits pareils à ceux que Celse reproche à Jésus à propos de Judas. Les Pythagoriciens bâtissaient même des cénotaphes pour ceux qui, après s’être orientés vers la philosophie, rebroussaient chemin vers la vie commune ; cette défection n’affaiblissait pas la DOCTRINE ni les preuves de Pythagore et de ses disciples. LIVRE II
Il accuse “les disciples d’avoir inventé qu’il avait su par avance et prédit tout ce qui lui est arrivé”. C’est cependant la vérité, quoique Celse refuse de l’admettre ; je l’établirai par beaucoup d’autres paroles prophétiques du Sauveur, où il a prédit ce qui est arrivé aux chrétiens même dans les générations postérieures. Qui donc n’admirerait cette prédiction : « Vous serez traînés devant des gouverneurs et des rois à cause de moi, pour leur rendre témoignage à eux et aux Gentils », et toutes les autres prédictions qu’il a faites sur les persécutions futures de ses disciples ? Y eut-il une autre DOCTRINE au monde dont on ait châtié les adeptes, pour que l’un des détracteurs de Jésus dise : prévoyant les contradictions que susciteraient les impiétés et les mensonges de ses DOCTRINEs, il a décidé de s’en faire un titre de gloire par la prédiction qu’il en faisait dès l’origine ? Car si l’on devait, pour leurs DOCTRINEs, traîner des hommes au tribunal des gouverneurs et des rois, quels autres fallait-il traîner que les Epicuriens pour leur négation radicale de la Providence et que les Péripatéticiens pour leur affirmation de l’inutilité totale des prières et des sacrifices qu’on croit offrir à la divinité ? LIVRE II
Considère s’il n’y a pas une grande autorité dans sa parole : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, à mon tour je me déclarerai pour lui devant mon père qui est dans le ciel ; mais quiconque me reniera devant les hommes… » etc. Remonte avec moi par la pensée à Jésus prononçant ces paroles, et note que ce qu’il prédisait n’est pas encore arrivé. Peut-être, par manque de foi en lui, diras-tu : ce ne sont que sornettes et paroles en l’air, car la chose prédite n’arrivera pas. Ou peut-être le doute sur l’assentiment à donner à ses paroles te fera dire : si ces prédictions sont accomplies, si l’enseignement des paroles de Jésus est accrédité, du fait que les gouverneurs et les rois se préoccupent de détruire ceux qui reconnaissent Jésus, alors nous croirons qu’il a dit cela parce qu’il avait reçu de Dieu une grande autorité pour répandre cette DOCTRINE dans le genre humain, et était persuadé de son triomphe. Et qui ne serait rempli d’admiration en remontant par la pensée à Celui qui enseignait alors et disait : « Cet Évangile sera prêché dans le monde entier, en témoignage pour eux et les Gentils », et en considérant que, comme il l’avait dit, l’Évangile de Jésus a été prêché « à toute créature sous le ciel», « aux Grecs et aux barbares, aux savants et aux ignorants » ? Car sa parole prêchée avec puissance a soumis toute l’humanité et il n’est pas possible de voir une race d’hommes qui ait pu se soustraire à l’enseignement de Jésus. LIVRE II
Apres cela il dit ” Quelques fidèles, comme des gens pris d’ivresse qui en viennent a porter la main sur eux-mêmes, ont remanié le texte original de l’Évangile trois ou quatre fois, ou plus encore, et l’ont altéré pour pouvoir opposer des négations aux critiques “. Mais, de gens qui ont remanié l’Évangile, je n’en connais pas d’autres que les partisans de Marcion, de Valentin et, je croîs de Lucain. En convenir ne constitue pas un grief contre notre DOCTRINE, mais contre ceux qui ont ose falsifier les Evangiles. Et comme il n’y a pas à reprocher à la philosophie l’existence des Sophistes, des Epicuriens, des Péripatéticiens ou de n’importe quels tenants d’opinions fausses, ce n’est pas non plus un grief contre le véritable christianisme que l’existence de ceux qui remanient les Evangiles et introduisent des sectes étrangères au sens de l’enseignement de Jésus. LIVRE II
Après cela, le Juif nous dit encore : ” Nous reprochez-vous donc, gens d’une crédulité extrême, de ne pas le considérer comme Dieu, et de ne pas convenir avec vous qu’il ait enduré ces souffrances pour le bien de l’humanité, afin que nous aussi nous puissions mépriser les supplices ?” Voici notre réponse. Nous reprochons aux Juifs, nourris de la loi et des prophètes qui annoncent d’avance le Christ, de ne pas réfuter les preuves que nous leur donnons qu’il est vraiment le Christ, bien qu’ils allèguent cette réfutation pour justifier leur incrédulité, et, malgré l’absence de réfutation, de ne pas croire en celui qui avait été prédit. Mais Jésus a prouvé de manière éclatante, en ceux qui ont été ses disciples même après le temps de son incarnation, qu’il avait enduré ces souffrances pour le bien de l’humanité. Le but de son premier avènement ne fut pas de juger les actions des hommes avant de leur avoir donné l’enseignement et l’exemple du devoir, ni de punir les méchants et sauver les bons, mais de répandre miraculeusement sa DOCTRINE avec une puissance divine à travers tout le genre humain, comme l’avaient aussi montré les prophètes. Nous leur reprochons encore d’avoir refusé de croire à la manifestation de la puissance dont il disposait, mais d’avoir dit que c’était par Beelzébul prince des démons qu’il chassait les démons des âmes des hommes. Nous leur reprochons de calomnier même son amour pour les hommes et, alors qu’il ne dédaigna ni une ville, ni même un village de la Judée, pour annoncer partout le règne de Dieu, de l’accuser calomnieusement d’avoir été un vagabond menant une vie errante et inquiète dans un corps sans noblesse. Ce n’est pas sans noblesse qu’il endura tant de fatigues pour l’utilité de ceux qui, en tout lieu, étaient capables de comprendre. LIVRE II
Mais comment n’est-ce pas un mensonge flagrant que l’assertion du Juif de Celse : ” De toute sa vie, n’ayant persuadé personne, pas même ses disciples, il fut châtié et endura ces souffrances ! ” Car d’où vient la haine excitée contre lui par les grands-prêtres, les anciens et les scribes, sinon de ce que les foules étaient persuadées de le suivre jusqu’aux déserts, conquises non seulement par la logique de ses discours, toujours adaptés à ses auditeurs, mais encore par ses miracles qui frappaient d’étonnement ceux qui ne croyaient pas à la logique de son discours ? Comment n’est-ce pas un mensonge flagrant de dire qu’il ne persuada pas même ses disciples. Ils ont bien ressenti alors une lâcheté tout humaine, car ils n’étaient pas encore d’un courage éprouvé, mais sans toutefois se départir de leur conviction qu’il était le Christ. Car Pierre, aussitôt après son reniement, eut conscience de la gravité de sa chute, et «sortant dehors, il pleura amèrement» » ; les autres, bien que frappés de découragement à son sujet, car ils l’admiraient encore, furent affermis par son apparition à croire qu’il était Fils de Dieu d’une foi encore plus vive et plus ferme qu’auparavant. Par un sentiment indigne d’un philosophe, Celse imagine que la supériorité de Jésus sur les hommes ne consistait pas dans sa DOCTRINE du salut et la pureté de ses moers. Il aurait dû agir contrairement au caractère du rôle qu’il avait assumé : ayant assumé une nature mortelle, il aurait dû ne pas mourir ; ou il devait mourir, mais non d’une mort qui pût servir d’exemple aux hommes : car cet acte leur apprendrait à mourir pour la religion, et à en faire hardiment profession en face de ceux qui sont dans l’erreur en matière de piété et d’impiété et qui tiennent les gens pieux pour très impies, et pour très pieux ceux qui, fourvoyés dans leurs idées sur Dieu, appliquent à tout plutôt qu’à Dieu la juste notion qu’ils ont de lui ; et leur erreur est au comble quand ils massacrent avec fureur ceux qui, saisis par l’évidence de l’unique Dieu suprême, se sont consacrés de toute leur âme jusqu’à la mort. Celse met dans la bouche du Juif un autre reproche contre Jésus :” Il ne s’est pas montré pur de tout mal.” De quel mal Jésus ne s’est-il pas montré pur ? Que le lettré de Celse le dise ! S’il entend que Jésus ne s’est pas montré pur du mal au sens strict, qu’il fasse clairement la preuve d’un acte mauvais accompli par lui ! Si, au contraire, il entend par mal la pauvreté, la croix, la conspiration d’hommes insensés, il est évident qu’on peut dire que du mal est arrivé aussi à Socrate, qui n’a pas pu prouver qu’il était pur de ce mal. Mais qu’il est nombreux chez les Grecs le choeur des philosophes qui furent pauvres et d’une pauvreté volontairement choisie ! La plupart des Grecs le connaissent par leurs histoires : Démocrite laissa son bien abandonné en pâturage aux brebis ; Cratès se libéra en gratifiant les Thébains de l’argent que lui avait procuré la vente de tout ce qu’il possédait ; de plus, Diogène, par exagération de pauvreté, vivait dans un tonneau, et nulle personne d’intelligence même modérée n’en conclut que Diogène vivait dans le mal. De plus, puisque Celse veut que ” Jésus n’ait pas même été irréprochable,” c’est à lui de montrer lequel de ceux qui ont adhéré à sa DOCTRINE a rapporté de Jésus quoi que ce soit de vraiment répréhensible. Ou bien, si ce n’est pas d’après eux qu’il l’accuse d’être répréhensible, qu’il montre d’après quelle source il a pu dire qu’il n’était pas irréprochable. Jésus a tenu ses promesses en faisant du bien à ceux qui se sont attachés à lui. Et en voyant sans cesse accomplis les événements qu’il avait prédits avant qu’ils arrivent, l’Évangile prêché dans le monde entier, ses disciples partis annoncer sa DOCTRINE à toutes les nations, en outre, leur procès devant gouverneurs et rois sans autre motif que son enseignement, nous sommes remplis d’admiration pour lui et nous fortifions chaque jour notre foi en lui. Mais je ne sais pas de quelles preuves plus fortes et plus évidentes Celse voudrait qu’il ait confirmé ses prédictions ; à moins peut-être qu’ignorant, à ce qu’il semble, que le Logos est devenu l’homme Jésus, il eût voulu qu’il n’éprouvât rien d’humain et ne devînt pas pour les hommes un noble exemple de la manière de supporter l’adversité. Mais peut-être celle-ci apparaît-elle à Celse lamentable et des plus répréhensibles, puisqu’il regarde la peine comme le plus grand des maux et le plaisir comme le bien parfait : ce qui n’est accepté par aucun des philosophes qui admettent la Providence, et qui conviennent que le courage est une vertu ainsi que l’endurance et la grandeur d’âme. Ainsi, par les souffrances qu’il a supportées, Jésus n’a pas discrédité la foi en sa personne, mais il l’a fortifiée plutôt dans ceux qui veulent admettre le courage, et dans ceux qui ont appris de lui que la vie heureuse au sens propre et véritable n’est point ici-bas, mais dans ce qu’il appelle « le siècle à venir », tandis que la vie dans « le siècle présent » est un malheur, la première et la plus grande lutte à mener par l’âme. LIVRE II
Après cela, je ne sais pour quelle raison, il ajoute cette remarque fort niaise :” Si, en forgeant des justifications absurdes à ce qui vous a ridiculement abusés, vous croyez offrir une justification valable, qu’est-ce qui empêche de penser que tous les autres qui ont été condamnés et ont disparu d’une manière plus misérable encore sont des messagers plus grands et plus divins que lui ? ” Mais il est d’une évidence manifeste et claire à tout homme que Jésus, dans les souffrances qui sont rapportées, n’a rien de comparable a ceux qui ont disparu d’une manière plus misérable encore, à cause de leur magie ou de quelque autre grief que ce soit. Car personne ne peut montrer qu’une pratique de sorcellerie ait converti les âmes de la multitude des pèches qui règnent parmi les hommes et du débordement de vice. Et le Juif de Celse, assimilant Jésus aux brigands, déclare ” On pourrait dire avec une égale impudence d’un brigand et d’un assassin mis au supplice ce n’était pas un brigand, mais un Dieu, car il a prédit à ses complices qu’il souffrirait le genre de supplice qu’il a souffert “.Mais d’abord on peut dire ce n’est pas du fait qu’il a prédit ce qu’il souffrirait que nous avons de tels sentiments sur Jésus, comme par exemple lorsque nous professons sincèrement et hardiment qu’il est venu de Dieu à nous , ensuite, nous disons que cette assimilation même est prédite en quelque sorte dans les Evangiles, puisque Jésus « fut compte parmi les malfaiteurs » par des malfaiteurs car ils ont préféré qu’un brigand, emprisonné « pour sédition et meurtre », fût mis en liberté, et que Jésus soit crucifié, et ils le crucifièrent entre deux brigands. De plus, sans cesse, dans la personne de ses disciples véritables et qui rendent témoignage à la vérité, Jésus est crucifié avec des brigands et souffre la même condamnation qu’eux parmi les hommes. Nous disons dans la mesure ou il y a une analogie entre des brigands et ceux qui, pour leur piété envers le Créateur qu’ils veulent garder intacte et pure comme l’enseigna Jésus acceptent tous les genres d’outrages et de morts, il est clair que Celse a quelque raison de comparer aux chefs de brigands Jésus, l’initiateur de cet enseignement sublime. Mais ni Jésus qui meurt pour le salut de tous, ni ceux qui endurent ces souffrances à cause de leur piété, seuls de tous les hommes à être persécutés pour la manière dont ils croient devoir honorer Dieu, ne sont mis à mort sans injustice, et Jésus ne fut pas persécuté sans impiété. Note aussi le caractère superficiel de ce qu’il dit de ceux qui furent alors les disciples de Jésus : “Alors les compagnons de sa vie, qui entendaient sa voix, l’avaient pour maître, quand ils le virent torturé et mourant, ne voulurent ni mourir avec lui ni mourir pour lui, et, loin de consentir à mépriser des supplices, ils nièrent qu’ils fussent ses disciples. Et vous, maintenant, voulez mourir avec lui”. Ici donc Celse, pour attaquer notre DOCTRINE, ajoute foi au péché commis par les disciples encore débutants et imparfaits, que rapportent les Evangiles. Mais leur redressement après leur faute, leur assurance à prêcher devant les Juifs, les maux sans nombre endurés de leur part, leur mort enfin pour l’enseignement de Jésus, il n’en dit mot. C’est qu’il n’a pas voulu considérer la prédiction de Jésus à Pierre « Vieilli, tu étendras les mains… » etc. ; à quoi l’Écriture ajoute « Il indiquait ainsi la mort par laquelle il rendrait gloire à Dieu » , ni considérer la mort par le glaive au temps d’Hérode, pour la DOCTRINE du Christ, de Jacques frère de Jean, apôtre et frère d’apôtre , ni considérer non plus tous les exploits de Pierre et des autres apôtres dans leur intrépide prédication de l’Évangile, et comment ils s’en allèrent du Sanhédrin après leur flagellation, « tout joyeux d’avoir été jugés dignes de subir des outrages pour son nom », surpassant de loin tout ce que les Grecs racontent de l’endurance et du courage des philosophes. Des l’origine donc, prévalait chez les auditeurs de Jésus cette leçon capitale de son enseignement le mépris de la vie recherchée par la foule et l’empressement à mener une vie semblable à celle de Dieu. Et comment n’est-ce pas un mensonge que la parole du Juif de Celse “Au cours de sa vie, il ne gagna qu’une dizaine de mariniers et publicains des plus perdus, et encore pas tous ?” Il est bien clair, même des Juifs en conviendraient, qu’il à gagné non seulement dix hommes, ni cent, ni mille, mais en bloc tantôt cinq mille, tantôt quatre mille» , et gagné au point qu’ils le suivaient jusqu’aux déserts, seuls capables de contenir la multitude assemblée de ceux qui croyaient en Dieu par Jésus, et ou il leur présentait non seulement ses discours mais ses actes. Par ses redites, Celse me force à l’imiter puisque j’évite avec soin de paraître négliger l’un quelconque de ses griefs. Sur ce point donc, suivant l’ordre de son écrit, il déclare “Alors que de son vivant il n’a persuadé personne, après sa mort ceux qui en ont le désir persuadent des multitudes n’est-ce point le comble de l’absurde. Il aurait dû dire, pour garder la logique si, après sa mort ceux qui en ont, pas simplement le désir, mais le désir et la puissance, persuadent des multitudes, combien est-il plus vraisemblable que pendant sa vie il en ait persuadé bien davantage par sa puissante parole et par ses actes. LIVRE II
Il préjuge de notre réponse à la question qu’il pose “Quel motif vous a portés à le croire Fils de Dieu ?” car il nous fait répondre “Ce motif, c’est notre idée qu’il a enduré son supplice pour anéantir l’auteur du mal “. Mais mille autres motifs nous y ont portés, je n’en ai exposé jusqu’ici qu’une infime partie , avec l’aide de Dieu j’en exposerai d’autres non seulement dans cette réponse au prétendu “Discours véritable” de Celse, mais en bien d’autres ouvrages. Et comme si de fait notre réponse était “Nous le croyons Fils de Dieu à cause de son supplice”, il riposte “Mais quoi ! N’y a-t-il pas beaucoup d’autres supplicies, et avec non moins d’ignominie ?” C’est de sa part une méprise analogue à celle des plus grossiers adversaires de notre DOCTRINE qui, du récit du crucifiement de Jésus, tirent la conséquence que nous adorons tous les crucifiés. LIVRE II
A ce propos, je dirai encore aux gens mieux disposés et surtout au Juif . « il y avait beaucoup de lépreux aux jours d’Elisée le prophète, et aucun d’eux ne fut guéri, mais bien Naaman le Syrien », « il y avait beaucoup de veuves aux jours d’Élie le prophète, il ne fut envoyé a aucune d’entre elles, mais bien a celle de Sarepta au pays de Sidon », rendue digne, d’après une décision divine, du prodige que le prophète accomplit sur les pains , de même il y avait beaucoup de morts aux jours de Jésus, mais seuls ressuscitèrent ceux que le Logos a jugé convenable de ressusciter , afin que les miracles du Seigneur, non seulement soient des symboles de certaines ventes, mais qu’ils attirent sur-le-champ beaucoup d’hommes a l’admirable enseignement de l’Évangile. J’ajouterai que, selon la promesse de Jésus, les disciples ont accompli des oevres plus grandes que les miracles sensibles qu’accomplit Jésus. Car c’est continuellement que s’ouvrent les yeux des aveugles spirituels, et les oreilles des gens sourds aux discours sur la vertu écoutent avec empressement les enseignements sur Dieu et la vie bienheureuse près de lui. De plus, beaucoup, qui étaient boiteux en ce que l’Écriture appelle « l’homme intérieur », maintenant guéris par la DOCTRINE, bondissent, non pas au sens propre, mais « à l’instar du cerf » animal ennemi des serpents et immunisé contre tout venin des vipères. Oui, ces boiteux guéris reçoivent de Jésus le pouvoir de passer, dans leur marche autrefois claudicante, sur « les serpents et les scorpions » du vice, et d’un mot, sur « toute la puissance de l’ennemi » ; ils les foulent aux pieds et n’en éprouvent aucun mal, car eux aussi ont été immunisés contre toute malice et venin des démons. LIVRE II
Et comme c’est un Juif qui tient ces propos chez Celse, on pourrait lui dire et toi donc, mon brave, pourquoi enfin cette différence tu croîs divines les oevres que d’après tes Écritures Dieu accomplit par Moïse, et tu tâches de les justifier contre ceux qui les calomnient comme des effets de la sorcellerie, analogues à ceux qu’accomplissent les sages d’Egypte ; tandis que celles de Jésus dont tu reconnais l’existence, suivant l’exemple des Egyptiens qui te critiquent, tu les accuses de n’être pas divines ? Si en effet le résultat final, la nation entière constituée par les prodiges de Moïse, prouve évidemment que c’était Dieu l’auteur de ces miracles au temps de Moïse, comment cet argument ne sera-t-il pas plus démonstratif pour le cas de Jésus, auteur d’une plus grande oevre que celle de Moïse ? Car Moïse a pris ceux de la nation formée de la postérité d’Abraham qui avaient gardé le rite traditionnel de la circoncision, observateurs décidés des usages d’Abraham, et il les conduisit hors d’Egypte en leur imposant les lois que tu croîs divines. Jésus, avec une autre hardiesse, substitua au régime antérieur, aux habitudes ancestrales, aux manières de vivre d’après les lois établies, le régime de l’Évangile. Et, tout comme les miracles que Moïse fit d’après les Écritures étaient nécessaires pour lui obtenir l’audience non seulement de l’assemblée des Anciens, mais encore du peuple, pourquoi Jésus lui aussi, pour gagner la foi d’un peuple qui avait appris à demander des signes et des prodiges, n’aurait-il pas eu besoin de miracles capables, par leur grandeur et leur caractère divin supérieurs si on les compare à ceux de Moïse, de les détourner des fables juives et de leurs traditions humaines, et de leur faire accepter que l’auteur de cette DOCTRINE et de ces prodiges était plus grand que les prophètes ? Comment donc n’était-il pas plus grand que les prophètes, lui que les prophètes proclament Christ et Sauveur du genre humain ? Bien plus, toutes les attaques du Juif de Celse contre ceux qui croient en Jésus peuvent se retourner en accusation contre Moïse , en sorte qu’il n’y a pas ou presque pas de différence à parler de la sorcellerie de Jésus et de celle de Moïse, tous deux pouvant, à s’en tenir a l’expression du Juif de Celse, être l’objet des mêmes critiques. Par exemple le Juif de Celse dit a propos du Christ « O lumière et vérité ! De sa propre voix, il annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers ». Mais a propos de Moïse, celui qui ne croît pas à ses miracles, qu’il soit d’Egypte ou de n’importe ou, pourrait dire au Juif « O lumière et vérité ! De sa propre voix, Moïse annonce ouvertement, même vos écrits l’attestent, que d’autres encore viendraient à vous, usant de pareils miracles, des méchants et des sorciers » Car il est écrit dans votre loi : « Que surgisse en toi un prophète ou un faiseur de songes qui te propose un signe ou un prodige, et qu’ensuite ce signe ou ce prodige annoncé arrive, s’il te dit alors « Allons suivre d’autres dieux que vous ne connaissez pas et servons les », vous n’écouterez pas les paroles de ce prophète ni les songes de ce songeur » etc… L’un, dans sa critique des paroles de Jésus, dit encore « Et il nomme un certain Satan, habile à contrefaire ces prodiges » L’autre, dans l’application de ce trait à Moïse, dira « Et il nomme un prophète faiseur de songes habile à contrefaire ces prodiges ». Et de même que le Juif de Celse dit de Jésus : « Il ne nie pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » , ainsi, qui ne croît pas aux miracles de Moïse lui dira la même chose en citant la phrase précédente « Il ne nie même pas en eux tout caractère divin, mais il y voit l’oevre de méchants » Et ainsi fera-t-il pour cette parole « Sous la contrainte de la vérité, Moïse a en même temps démasqué la conduite des autres et confondu la sienne ». Et quand le Juif déclare « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la divinité de l’un et a la sorcellerie des autres ? » on pourrait lui répondre à cause des paroles de Moïse déjà citées « N’est-ce donc pas un argument misérable de conclure, des mêmes oevres, à la qualité de prophète et serviteur de Dieu de l’un et a la sorcellerie des autres ? » Mais insistant davantage, Celse ajoute aux comparaisons que j’ai citées « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à leur méchanceté plutôt qu’à la sienne sur son propre témoignage ? » On ajoutera à ce qui était dit « Pourquoi donc, d’après ces oevres, faut-il croire à la méchanceté des gens auxquels Moïse défend de croire malgré leur étalage de signes et de prodiges, et non plutôt à la méchanceté de Moïse, quand il attaque les autres pour leurs signes et leurs prodiges ? » Il multiplie les paroles dans le même sens pour avoir l’air d’amplifier sa brève argumentation : « Elles sont en fait, et lui-même en convint, des signes distinctifs non d’une nature divine, mais de gens trompeurs et fort méchants. » Qui donc désigne ce « lui-même » ? Toi, Juif, tu dis que c’est Jésus ; mais celui qui t’accuse comme sujet aux mêmes critiques rapportera ce « lui-même » à Moïse. LIVRE II
Mais les histoires des héros soi-disant descendus chez Hadès et remontés de là-bas sont des contes merveilleux, au dire du Juif de Celse. Il pense que les héros, se rendant invisibles pour un temps, se sont dérobés à la vue de tous les hommes, et qu’ensuite ils se sont montrés, comme s’ils étaient revenus de chez Hadès, car telle semble bien être sa pensée quand il parle d’Orphée chez les Odryses, de Protésilas en Thessalie, d’Héraclès à Ténare, et encore de Thésée ; eh bien donc, prouvons qu’il n’est pas possible de leur comparer ce qu’on raconte sur la résurrection de Jésus d’entre les morts. Chacun des héros qu’il mentionne avec leur pays respectif aurait pu, s’il l’avait voulu, se dérober à la vue des hommes, et revenir, quand il l’eût jugé bon, vers ceux qu’il avait laissés. Mais Jésus fut crucifié devant tous les Juifs, son corps fut descendu de la croix à la vue de leur peuple : comment peut-on dire qu’il a imaginé une fiction analogue à celle des héros légendaires descendus chez Hadès et remontés de là-bas ? Nous disons que, pour justifier la crucifixion de Jésus, on pourrait peut-être avancer cette raison, surtout à cause de ce qu’on raconte sur les héros dont on admet la descente forcée chez Hadès : si, par hypothèse, Jésus était mort d’une mort obscure, sans que sa mort fût évidente à tout le peuple juif, et qu’ensuite il fût réellement ressuscité des morts, il y aurait eu prétexte à formuler sur lui aussi le même soupçon que sur les héros. Aux autres causes de la crucifixion de Jésus, on peut donc peut-être ajouter celle-ci : il est mort bien en vue sur la croix pour que personne ne puisse dire qu’il s’est volontairement dérobé aux yeux des hommes et qu’il a paru mort sans l’être réellement, réapparaissant à son gré et contant la merveille de sa résurrection des morts. Mais je considère comme une évidence décisive la conduite de ses disciples. Au péril de leur vie, ils se sont dévoués à un enseignement qu’ils n’auraient pas soutenu avec une telle vigueur s’ils avaient inventé que Jésus est ressuscité d’entre les morts. En outre, se conformant à cette DOCTRINE, non seulement ils préparaient les autres à mépriser la mort, mais ils étaient bien les premiers à le faire. Considère l’étrange aveuglement du Juif de Celse qui dit, comme s’il était impossible que quelqu’un ressuscitât des morts avec le même corps : « Mais ce qu’il faut examiner, c’est si un homme réellement mort est jamais ressuscité avec le même corps. » Le Juif ne saurait le dire : il croit les récits du troisième et du quatrième livre des Rois sur les petits enfants ressuscites l’un par Élie, l’autre par Élisée. Voici même, je pense, pourquoi Jésus n’est pas venu dans une autre nation que celle des Juifs : ils étaient habitués aux miracles et ainsi, par la comparaison de ceux auxquels ils croyaient avec ceux réalisés par Jésus ou racontés à son sujet, ils pouvaient admettre l’idée que, entouré de ces prodiges supérieurs et auteur de ces actions plus étonnantes, il était un être supérieur à tous. LIVRE II
Mais le Juif, après avoir rapporté les histoires grecques de ces conteurs de merveilles et des soi-disant ressuscites des morts, dit aux Juifs qui croient en Jésus : «Pensez-vous que les aventures des autres soient des mythes en réalité comme en apparence, mais que vous auriez inventé à votre tragédie un dénouement noble et vraisemblable avec son cri sur la croix quand il rendit l’âme ? » Nous répondrons au Juif : les exemples que tu as cités, nous les tenons pour mythes, mais ceux des Écritures, qui nous sont communes avec vous et en égale vénération, nous nions absolument que ce soient des mythes. Voilà pourquoi nous croyons que ceux qui ont écrit sur les personnages autrefois ressuscites des morts n’usent pas de contes merveilleux ; nous croyons de même que Jésus est alors ressuscité tel qu’il l’a prédit et qu’il fut prophétisé. Mais voici en quoi sa résurrection des morts est plus miraculeuse que la leur : eux furent ressuscités par les prophètes Élie et Elisée ; Lui ne le fut par aucun des prophètes, mais par son Père qui est dans les cieux. Pour la même raison, sa résurrection a eu plus d’efficacité que la leur : car quel effet eut pour le monde la résurrection de petits enfants par Élie et Elisée, qui soit comparable à l’effet de la résurrection de Jésus prêchée et admise des croyants grâce à la puissance divine ? Il juge contes merveilleux le tremblement de terre et les ténèbres ; je les ai défendus plus haut de mon mieux en citant Phlégon qui a rapporté que ces faits survinrent au temps de la passion du Sauveur. Il ajoute, de Jésus : « Vivant, il ne s’est pas protégé lui-même ; mort, il ressuscita et montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées. » Je lui demande alors : que signifie « il s’est protégé lui-même » ? S’il s’agit de la vertu, je dirai qu’il s’est bel et bien protégé : sans dire ni faire quoi que ce fût d’immoral, mais vraiment « comme une brebis il a été conduit à l’abattoir, comme un agneau devant le tondeur il est resté muet », et l’Évangile atteste : « ainsi, il n’a pas ouvert la bouche ». Mais si l’expression « il s’est protégé » s’entend de choses indifférentes ou corporelles, je dis avoir prouvé par les Évangiles qu’il s’y est soumis de plein gré. Puis, après avoir rappelé les affirmations de l’Évangile : « ressuscité des morts, il montra les marques de son supplice, comment ses mains avaient été percées », il pose la question : « Qui a vu cela ? » et, s’en prenant au récit de Marie-Madeleine dont il est écrit qu’elle l’a vu, il répond : « Une exaltée, dites-vous ». Et parce qu’elle n’est pas la seule mentionnée comme témoin oculaire de Jésus ressuscité, et qu’il en est encore d’autres, le Juif de Celse dénature ce témoignage : « et peut-être quelque autre victime du même ensorcellement ». Ensuite, comme si le fait était possible, je veux dire qu’on puisse avoir une représentation imaginaire d’un mort comme s’il était en vie, il ajoute, en adepte d’Épicure, que « quelqu’un a eu un songe d’après une certaine disposition, ou, au gré de son désir dans sa croyance égarée, une représentation imaginaire » et a raconté cette histoire ; « chose, ajoute-t-il, arrivée déjà à bien d’autres ». Or c’est là, même s’il le juge très habilement dit, ce qui est propre néanmoins à confirmer une DOCTRINE essentielle : l’âme des morts subsiste ; et pour qui admet cette DOCTRINE, la foi en l’immortalité de l’âme ou du moins à sa permanence n’est pas sans fondement. Ainsi même Platon, dans son dialogue sur l’âme, dit qu’autour de tombeaux sont apparues à certains « des images semblables aux ombres », d’hommes qui venaient de mourir. Or ces images apparaissant autour des tombeaux des morts viennent d’une substance, l’âme qui subsiste dans ce qu’on appelle le « corps lumineux » Celse le rejette, mais veut bien que certains aient eu une vision en rêve et, au gré de leur désir, dans leur croyance égarée, une représentation imaginaire. Croire à 1’existence d’un tel songe n’est point absurde, mais celle d’une vision chez des gens qui ne sont pas absolument hors de sens, frénétiques ou mélancoliques, n’est pas plausible. Celse a prévu l’objection il parle d’une femme exaltée. Cela ne ressort pas du tout de l’histoire écrite d’où il tire son accusation Ainsi donc, après sa mort, Jésus, au dire de Celse, aurait provoqué une représentation imaginaire des blessures reçues sur la croix, sans exister réellement avec ces blessures. Mais suivant les enseignements de l’Evangile, dont Celse admet à sa guise certaines parties pour accuser, et rejette les autres, Jésus appela près de lui l’un des disciples qui ne croyait pas et jugeait le miracle impossible. Il avait bien donné son assentiment à celle qui assurait l’avoir vu, admettant la possibilité de voir apparaître l’âme d’un mort, mais il ne croyait pas encore vrai que le Christ fût ressuscite dans un corps résistant. D’où sa repartie « Si je ne vois, je ne croirai pas », puis ce qu’il ajoute « Si je ne mets ma main à la place des clous et ne touche son côté, je ne croirai pas. » Voilà ce que disait Thomas, jugeant qu’aux yeux sensibles pouvait apparaître le corps de l’âme « en tout pareil » a sa forme antérieure « par la taille, les beaux yeux, la voix », et souvent même « revêtu des mêmes vêtements » Mais Jésus l’appela près de lui « Avance ton doigt ici voici mes mains , avance ta main et mets-la dans mon côte , et ne sois plus incrédule, mais croyant » LIVRE II
Apres quoi Celse, blâmant ce qui est écrit, fait une objection non négligeable. Si Jésus voulait réellement manifester sa puissance divine, il aurait dû apparaître à ses ennemis, au juge, bref a tout le monde. Il est vrai que selon l’Évangile, il nous semble qu’après la résurrection il n’est point apparu comme auparavant en public et à tout le monde. S’il est écrit dans les Actes que, « leur apparaissant pendant quarante jours », il annonçait à ses disciples le Règne de Dieu, dans les Evangiles, il n’est pas dit qu’il fût sans cesse avec eux une fois, huit jours aprés, toutes portes closes, « il parut au milieu d’eux », puis une autre fois, dans des conditions semblables. Paul de même, vers la fin de sa première Épître aux Corinthiens, insinuant que Jésus n’apparut point en public comme au temps précédant sa passion, écrit : « Je vous ai transmis d’abord ce que j’ai reçu moi-même : que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures », qu’il est ressuscité, « qu’il est apparu à Céphas, puis aux Douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart vivent encore et quelques-uns sont endormis. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en tout dernier lieu, il m’est apparu à moi aussi, comme à l’avorton. » Qu’elles me paraissent grandes, admirables, sans proportion avec le mérite non seulement de la foule des croyants, mais encore de l’élite en progrès dans la DOCTRINE, les vérités de ce que contient ce passage ! Elles pourraient montrer la raison pour laquelle, après sa résurrection d’entre les morts, il n’apparaît point comme auparavant. Mais, parmi les nombreuses considérations qu’exigé un traité écrit comme celui-ci contre le discours de Celse qui attaque les chrétiens et leur foi, vois si on peut en offrir quelques-unes de vraisemblables pour toucher ceux qui prêteront attention à notre défense. LIVRE II
Jésus, quoiqu’il fût un, était pour l’esprit multiple d’aspects, et ceux qui le regardaient ne le voyaient pas tous de la même manière. Cette multiplicité d’aspects ressort des paroles « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie », « Je suis le Pain », « Je suis la Porte » et autres sans nombre. Et la vue qu’il offrait n’était pas identique pour tous les spectateurs, mais dépendait de leur capacité. Ce sera clair si l’on examine la raison pour laquelle, devant se transfigurer sur la haute montagne, il prit avec lui, non pas tous les apôtres, mais seuls Pierre, Jacques et Jean, comme les seuls capables de contempler la gloire qu’il aurait alors, et aptes à percevoir Moïse et Élie apparus dans la gloire, à entendre leur conversation et la voix venue de la nuée céleste. Mais je crois que même avant de gravir la montagne, ou seuls les disciples s’approchèrent de lui et ou il leur enseigna la DOCTRINE des béatitudes, lorsqu’au pied de la montagne, « le soir venu », il guérit ceux qui s’approchaient de lui, les délivrant de toute maladie et de toute infirmité, il n’apparaissait pas identique aux malades implorant leur guérison et à ceux qui ont pu, grâce à leur santé, gravir avec lui la montagne. Bien plus, il a explique en particulier à ses propres disciples les paraboles dites avec un sens cache aux foules de l’extérieur et de même que ceux qui entendaient l’explication des paraboles avaient une plus grande capacité d’entendre que ceux qui entendaient les paraboles sans explication, ainsi en était-il des capacités de vision, certainement de leur âme, mais je croîs aussi de leur corps. Autre preuve qu’il n’apparaissait pas toujours identique, Judas qui allait le trahir dit aux foules qui s’avançaient vers lui comme si elles ne le connaissaient pas « Celui que je baiserai, c’est lui ». C’est aussi, je pense, ce que veut montrer le Sauveur lui-même dans la parole « Chaque jour j’étais assis parmi vous dans le temple à enseigner et vous ne m’avez pas arrêté ». Dés lors, comme nous élevons Jésus si haut, non seulement dans sa divinité intérieure et cachée à la foule, mais aussi dans son corps, transfiguré quand il voulait pour ceux qu’il voulait, nous affirmons avant qu’il eût dépouillé les Principautés et les Puissances » et « fût mort au péché », tous avaient la capacité de le regarder, mais quand il eut dépouillé les Principautés et les Puissances et ne posséda plus ce qui pouvait être visible de la foule, tous ceux qui le virent auparavant ne pouvaient plus le regarder. C’est donc pour les ménager qu’il ne se montrait point à tous après sa résurrection d’entre les morts. Mais pourquoi dire à tous ? Aux apôtres eux-mêmes et aux disciples, il n’était pas sans cesse présent et sans cesse visible, parce qu’ils étaient incapables de soutenir sa contemplation sans relâche. Sa divinité était plus resplendissante après qu’il eut mené a terme l’oevre de l’Économie. Céphas, qui est Pierre, en tant que « prémices » des apôtres, put la voir, et après lui, les Douze, Matthias ayant été choisi a la place de Judas. Apres eux, il apparut à « cinq cents frères a la fois, puis à Jacques, puis à tous les apôtres » hormis les Douze, peut-être les soixante-dix , et, « dernier de tous », à Paul, comme à l’avorton, qui savait dans quel sens il disait : « A moi, le plus petit de tous les saints a été donnée cette grâce », et sans doute que « le plus petit » et « l’avorton » sont synonymes. Aussi bien on ne pourrait faire un grief raisonnable à Jésus de n’avoir point conduit avec lui sur la haute montagne tous les apôtres, mais les trois seuls nommés précédemment, lorsqu’il allait se transfigurer et montrer la splendeur de ses vêtements et la gloire de Moïse et d’Élie en conversation avec lui , on ne saurait non plus adresser des critiques fondées aux paroles des apôtres, de présenter Jésus après sa résurrection apparaissant non point à tous, mais à ceux dont il savait les yeux capables de voir sa résurrection. LIVRE II
Voyons la manière dont le Juif de Celse poursuit : S’il y avait une telle urgence a faire voir sa divinité, c’est bien du haut de la croix qu’il aurait dû soudain disparaître. Voilà qui me paraît ressembler a l’argument des adversaires de la Providence ils décrivent l’univers autre qu’il n’est et disent : le monde serait meilleur s’il était tel que nous l’avons décrit. Mais s’ils décrivent des possibles, on les convainc qu’ils font le monde pire pour autant qu’il dépend d’eux et de leur description. S’ils ne semblent pas représenter le monde pire que la réalité, on montre qu’ils désirent ce qui est impossible à la nature. Ainsi de part et d’autre ils sont ridicules. Or ici, il n’était pas impossible pour une nature divine de disparaître à son gré : chose de soi évidente et clairement affirmée de lui par l’Écriture, du moins si on n’en accepte pas qu’une partie pour attaquer la DOCTRINE, en tenant le reste pour des fictions. Car il est écrit dans l’Évangile selon Luc que Jésus, après la résurrection, « prit du pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le donna » à Simon et à Cléophas ; et quand ils prirent le pain, « leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent ; mais il avait disparu de leurs regards. » LIVRE II
Ensuite, son Juif dit, évidemment pour s’accommoder aux croyances des Juifs : Oui certes ! nous espérons ressusciter un jour dans notre corps et mener une vie éternelle, et que Celui qui nous est envoyé en sera le modèle et l’initiateur, prouvant qu’il n’est pas impossible à Dieu de ressusciter quelqu’un avec son corps. Je ne sais pas si le Juif dirait que le Christ attendu doit montrer en lui-même un modèle de la résurrection. Mais soit ! Accordons qu’il le pense et le dise. De plus, quand il dit nous avoir fait des citations de nos écrits, je réponds : n’as-tu pas, mon brave, en lisant ces écrits grâce auxquels tu prétends nous accuser, trouvé l’explication détaillée de la résurrection de Jésus, et qu’il est « le premier-né d’entre les morts » ? Ou, de ce que tu refuses de le croire, s’ensuit-il qu’il n’en ait rien été dit ? Mais puisque le Juif continue en admettant chez Celse la résurrection des corps, je pense que ce n’est pas ici l’occasion d’en traiter avec un homme qui croit et avoue qu’il y a une résurrection des corps, soit qu’il se l’explique nettement et puisse en fournir convenablement la preuve, soit qu’il ne le puisse pas mais donne à la DOCTRINE une adhésion superficielle. Voilà donc notre réponse au Juif de Celse. Et puisqu’il dit encore : Où donc est-il, pour que nous puissions voir et croire ? nous lui répondrons : où donc est maintenant celui qui parle par les prophètes et qui a fait des prodiges, pour que nous puissions voir et croire que le Juif « est la part de Dieu ». Ou bien vous est-il permis de vous justifier du fait que Dieu ne s’est pas continuellement manifesté au peuple juif, tandis qu’à nous la même justification n’est pas accordée pour le cas de Jésus qui, une fois ressuscité, persuada ses disciples de sa résurrection ? Et il les persuada au point que par les épreuves qu’ils souffrent, ils montrent à tous que, les yeux fixés sur la vie éternelle et la résurrection, manifestée à eux en parole et en acte, ils se rient de toutes les épreuves de la vie. Après cela, le Juif dit : N’est-il descendu que pour nous rendre incrédules ? On lui répondra : il n’est pas venu pour provoquer l’incrédulité de Juifs ; mais, sachant d’avance qu’elle aurait lieu, il l’a prédite et il a fait servir l’incrédulité des Juifs à la vocation des Gentils. Car, par la faute des Juifs le salut est venu aux Gentils, à propos desquels le Christ dit chez les prophètes : « Un peuple que je ne connaissais pas s’est soumis à moi ; l’oreille tendue, il m’obéit » ; « Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas, j’ai apparu à ceux qui ne m’interrogeaient pas. » Et il est manifeste que les Juifs ont subi en cette vie le châtiment d’avoir traité Jésus comme ils l’ont fait. Les Juifs peuvent dire, s’ils veulent nous critiquer : Admirable est à votre égard la providence et l’amour de Dieu, de vous châtier, de vous avoir privés de Jérusalem, de ce qu’on nomme le sanctuaire, du culte le plus sacré ! Car s’ils le disent pour justifier la providence de Dieu, nous aurions un argument plus fort et meilleur ; c’est que la providence de Dieu est admirable, d’avoir fait servir le péché de ce peuple à l’appel par Jésus des Gentils au Royaume de Dieu, de ceux qui étaient étrangers aux alliances et exclus des promesses. Voilà ce que les prophètes ont prédit, disant qu’à cause du péché du peuple hébreu, Dieu appellerait non pas une nation, mais des élites de partout, et qu’ayant choisi « ce qu’il y a de fou dans le monde », il ferait que la nation inintelligente vienne aux enseignements divins, le Règne de Dieu étant ôté à ceux-là et donné à ceux-ci. Il suffît, entre bien d’autres, de citer à présent cette prophétie du cantique du Deutéronome sur la vocation des Gentils, attribuée à la personne du Seigneur : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles. Et moi je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai par une nation inintelligente.» Enfin, pour tout conclure, le Juif dit de Jésus : Il ne fut donc qu’un homme, tel que la vérité elle-même le montre et la raison le prouve. Mais s’il n’eût été qu’un homme, je ne sais comment il eût osé répandre sur toute la terre sa religion et son enseignement, et eût été capable sans l’aide de Dieu d’accomplir son dessein et de l’emporter sur tous ceux qui s’opposent à la diffusion de son enseignement, rois, empereurs, Sénat romain, et partout les chefs et le peuple. Comment attribuer à une nature humaine qui n’aurait eu en elle-même rien de supérieur la capacité de convertir une si vaste multitude ? Rien d’étonnant s’il n’y avait eu que des sages ; mais il s’y ajoutait les gens les moins raisonnables, esclaves de leurs passions, d’autant plus rebelles à se tourner vers la tempérance qu’ils manquaient de raison. Et parce qu’il était puissance de Dieu et sagesse du Père, le Christ a fait tout cela et le fait encore, malgré les refus des Juifs et des Grecs incrédules à sa DOCTRINE. LIVRE II
Comme il fait ensuite un mensonge manifeste, citons-le textuellement : “Si tous les hommes voulaient être chrétiens, les chrétiens ne le voudraient plus.” Le mensonge d’un tel propos ressort clairement du fait que les chrétiens, dans la mesure de leurs forces, ne négligent pas de diffuser leur DOCTRINE par toute la terre. Certains, en tout cas, ont entrepris de parcourir au loin non seulement les villes, mais aussi les villages et les fermes pour en amener encore d’autres à la piété envers Dieu. On ne saurait dire qu’ils le fassent pour s’enrichir : parfois ils n’acceptent même pas de quoi subsister, et si jamais la pénurie les y force, ils se contentent de l’indispensable, même si beaucoup veulent partager avec eux et leur communiquer le superflu. Mais aujourd’hui peut-être où, vu la multitude de ceux qui adhèrent à la DOCTRINE, des riches, des gens élevés en dignité, des femmes distinguées et de haute naissance accueillent les messagers de la DOCTRINE, il se peut qu’on ose dire : c’est par gloriole que certains exposent en public l’enseignement chrétien. Assurément un tel soupçon n’eût été fondé au début, où un grave danger menaçait surtout les prédicateurs. Même aujourd’hui, le discrédit où ils tombent auprès du reste des hommes l’emporte sur leur prétendu crédit auprès de ceux qui ont mêmes croyances, crédit qui n’est même point accordé à tous. Il y a donc un mensonge flagrant à dire que si tous les hommes voulaient être chrétiens, les chrétiens ne le voudraient plus. LIVRE III
Ensuite, nouveau grief contre notre DOCTRINE, il nous reproche l’existence de sectes au sein du christianisme : « A peine se propagent-ils en multitude, ils se divisent et se séparent, et chacun veut avoir sa propre faction. » Et il déclare : ” Séparés de nouveau par l’effet de leur multitude, ils s’anathématisent les uns les autres; ils n’ont plus de commun, pour ainsi dire, que le nom, si tant est qu’ils l’aient encore ! C’est du moins la seule chose qu’ils aient eu honte d’abandonner; pour le reste chacun a embrassé une secte différente.” A quoi je réponds : il n’est pas de discipline dont l’institution soit sérieuse et utile à la vie qui n’ait vu naître des sectes différentes. LIVRE III
En effet, parce que la médecine est utile et nécessaire au genre humain, et qu’elle comporte bien des questions débattues sur la manière de soigner les corps, on trouve, pour cette raison, dans la médecine chez les Grecs des écoles assez nombreuses, de l’aveu de tous ; il en va de même, je suppose, chez les barbares, chez ceux du moins qui font profession de pratiquer la médecine. De son côté, la philosophie, promettant la vérité et la connaissance des êtres, prescrit comment il faut vivre et s’efforce d’enseigner ce qui est utile à notre race et l’objet de ses recherches présente une grande diversité ; pour cette raison, se sont constituées dans la philosophie des écoles si nombreuses, les unes célèbres, les autres moins. De plus, le judaïsme offrit le prétexte à la naissance de sectes dans l’interprétation différente donnée aux écrits de Moïse et aux discours prophétiques. Dès lors aussi, quand le christianisme prit sa valeur aux yeux des hommes, non seulement du ramassis d’esclaves que croit Celse, mais de nombreux lettrés grecs, inévitablement des sectes se formèrent, nullement du fait des rivalités et de l’esprit de querelle, mais parce que bon nombre de ces lettrés, eux aussi, s’efforçaient de comprendre les mystères du christianisme. Le résultat de leurs interprétations différentes des Écritures, que tous ensemble croyaient divines, fut la naissance de sectes patronnées par des auteurs que leur admiration pour l’origine de la DOCTRINE n’avait pas empêchés d’être incités d’une manière ou de l’autre, pour des raisons plausibles, à des vues divergentes. Mais il serait déraisonnable de fuir la médecine à cause de ses écoles ; déraisonnable aussi, si l’on vise au mieux, de haïr la philosophie en alléguant pour justifier cette antipathie la multitude de ses écoles ; déraisonnable de même, à cause des sectes du judaïsme, de condamner les livres sacrés de Moïse et des prophètes. LIVRE III
Et s’il y a là une vue cohérente, pourquoi ne pas justifier de même les sectes entre les chrétiens ? A leur sujet, Paul me paraît avoir dit de manière tout à fait admirable : « C’est qu’il faut qu’il y ait même chez vous des sectes, pour permettre aux hommes de vertu éprouvée de se manifester parmi vous. » De même en effet que pour être un médecin éprouvé, il faut, après l’expérience acquise dans les différentes écoles, un examen judicieux de leur grand nombre pour pouvoir choisir la meilleure ; de même que, pour être un philosophe éminent, il faut avoir eu connaissance de nombreux systèmes, se les être assimilés et s’être attaché au plus solide ; de la même façon, dirais-je, il faut avoir scruté avec soin les sectes du judaïsme et du christianisme pour être un chrétien d’une science très profonde. Et blâmer notre DOCTRINE, à cause des sectes, serait aussi bien blâmer l’enseignement de Socrate, parce que de son école sont issues beaucoup d’autres aux DOCTRINEs divergentes. De plus, on devrait blâmer les DOCTRINEs de Platon parce qu’Aristote a cessé de fréquenter son école pour en ouvrir une nouvelle, j’en ai parlé plus haut. Mais Celse me semble avoir eu connaissance de certaines sectes qui n’ont même pas en commun avec nous le nom de Jésus. Peut-être a-t-il entendu parler des « Ophites » et « Caïnites » ou de tout autre secte semblable qui a entièrement abandonné Jésus. D’ailleurs, il n’y aurait rien là qui mérite un blâme à la DOCTRINE chrétienne. LIVRE III
Après cela il déclare :” Leur société est d’autant plus étonnante qu’on peut mieux prouver qu’elle ne repose sur aucun fondement solide. Elle n’a de fondement solide que la révolte, l’avantage qu’on en espère et la crainte des étrangers : telle est l’assise de leur foi. ” A quoi je répliquerai : notre société est si bien établie sur un fondement, ou plutôt, non pas sur un fondement, mais sur l’action de Dieu, qu’elle a pour origine Dieu enseignant aux hommes, dans les prophètes, à espérer la venue du Christ pour sauver les hommes. Dans la mesure où cela n’est point véritablement réfuté, malgré les réfutations apparentes des incroyants, dans cette mesure même il est établi que cette DOCTRINE est la DOCTRINE de Dieu, et démontré que Jésus est le Fils de Dieu avant et après son incarnation. Mais je l’affirme, même depuis son incarnation, elle ne cesse d’être découverte, par ceux qui ont les yeux de l’âme très pénétrants, comme la plus divine, réellement descendue de Dieu vers nous, ne pouvant tirer son origine ni son développement de l’intelligence humaine, mais uniquement de l’apparition sensible de Dieu qui, dans la variété de sa sagesse et de ses miracles, a établi d’abord le judaïsme et après lui le christianisme. Ainsi se trouve réfuté le propos qu’il faut considérer la révolte et l’avantage qu’on en espère comme le principe de la DOCTRINE par laquelle tant d’hommes ont été convertis et rendus meilleurs. LIVRE III
Que ce ne soit pas non plus « la crainte des étrangers » qui maintienne notre société, la preuve en est dans le fait que, par la volonté de Dieu, elle a cessé voici longtemps déjà. Mais il est probable que la sécurité pour leur vie dont jouissent les croyants va cesser, lorsque de nouveau ceux qui calomnient de toute manière notre DOCTRINE penseront que la révolte, poussée au point où elle en est, a sa cause dans la multitude des croyants et le fait qu’ils ne sont plus persécutés par les gouverneurs comme au temps jadis. Nous avons appris en effet de l’Évangile en temps de paix à ne point nous relâcher ni nous abandonner à la mollesse, et dans la guerre que nous fait le monde, à ne point perdre courage ni nous écarter de l’amour qu’en Jésus-Christ nous portons au Dieu de l’univers. Nous montrons donc clairement le caractère sacré de notre origine, loin de le cacher comme le croit Celse : car nous inspirons à ceux qui viennent d’être initiés le mépris des idoles et de toutes les images, et en outre, élevant leurs pensées les détournant de servir les créatures plutôt que Dieu, nous les faisons monter vers le Créateur de l’univers. Nous mettons en pleine lumière Celui qui fut prophétisé, soit par les prophéties à son sujet qui sont nombreuses, soit par les Évangiles et les discours des apôtres soigneusement transmis par ceux qui sont capables les comprendre à fond. LIVRE III
Quel ramassis attirons-nous, quels contes terrifiants forgeons-nous, comme Celse l’écrit sans preuve, le montre qui voudra ! A moins que par contes terrifiants que nous forgeons Celse ne veuille entendre cet enseignement : que Dieu est juge et que les hommes sont jugés sur toutes leurs actions, ce que l’on établit d’une manière variée, à la fois par les Écritures et le raisonnement plausible. Il est vrai cependant, car j’aime la vérité, que Celse déclare vers la fin : « Dieu nous garde, eux, moi, et tout autre homme, de rejeter la DOCTRINE que les injustes seront punis et les justes jugés dignes de récompense. » Or si l’on excepte la DOCTRINE du jugement, quels sont donc ces contes terrifiants que nous forgeons pour attirer les hommes ? De plus, puisqu’il dit que, forgeant les déformations de l’antique tradition, nous commençons par étourdir les hommes aux sons de la flûte et de la musique, comme ceux qui battent du tambour autour gens qu’on initie aux rites des Corybantes, je lui répondrai : les déformations de quelle antique tradition ? De la tradition grecque, qui a enseigné aussi l’existence de tribunaux sous la terre ? De la tradition juive, qui a prédit entre autres l’existence d’une vie qui suit la vie présente ? je serait bien incapable de prouver que nous déformons la vérité, nous tous du moins qui nous efforçons d’avoir une foi réfléchie, quand nous accordons notre vie à de telles DOCTRINEs. LIVRE III
Ensuite, à propos des pratiques des Égyptiens, qui parlent avec respect même des animaux sans raison et affirment qu’ils sont des symboles de la divinité, ou quelque titre qu’il plaise à leurs prophètes de leur donner, il dit : Elles provoquent chez ceux qui ont acquis ce savoir l’impression que leur initiation ne fut pas vaine. Quant aux vérités que nous présentons à ceux qui ont une connaissance approfondie du christianisme dans nos discours faits sous l’influence de ce que Paul appelle « don spirituel », dans le discours de sagesse « grâce à l’Esprit », dans le discours de science « selon l’Esprit» », Celse semble n’en avoir pas la moindre idée. On le voit non seulement d’après ce qu’il vient de dire, mais encore d’après le trait qu’il lance plus tard contre la société des chrétiens quand il dit qu’ils excluent tout sage de la DOCTRINE de leur foi, mais se bornent à inviter les ignorants et les esclaves ; ce que nous verrons en son temps, en arrivant au passage. Il affirme même que nous nous moquons des Égyptiens. Cependant, ils proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, puisqu’ils enseignent que ce sont là des hommages rendus non à des animaux éphémères, comme le pense la foule, mais à des idées éternelles. Tandis que c’est une sottise de n’introduire dans les explications sur Jésus rien de plus vénérable que les boucs ou les chiens de l’Egypte. A quoi je répondrai : tu as raison, mon brave, de relever dans ton discours que les Égyptiens proposent bien des énigmes qui ne méritent pas le mépris, et des explications obscures sur leurs animaux ; mais tu as tort de nous accuser dans ta persuasion que nous ne disons que de méprisables sottises quand nous discutons en détail les mystères de Jésus, selon la sagesse du Logos, avec ceux qui sont parfaits dans le christianisme. Paul enseigne que de telles gens sont capables de comprendre la sagesse du christianisme quand il dit : « Pourtant c’est bien de sagesse que nous parlons parmi les parfaits, mais non d’une sagesse de ce siècle, ni des princes de ce siècle, qui vont à leur perte. Nous parlons au contraire d’une sagesse de Dieu, ensevelie dans le mystère, dès avant les siècles fixée par Dieu pour notre gloire, et qu’aucun des princes de ce siècle n’a connue. » LIVRE III
Je ne parle point encore d’un examen approfondi de tout le texte des Évangiles. Chacun d’eux renferme une DOCTRINE complexe et difficile à pénétrer, non seulement par la foule, mais encore par des gens avisés : par exemple l’explication des paraboles que Jésus raconte à ceux « de l’extérieur », réservant leur claire signification à ceux qui ont dépassé le stade des enseignements exotériques et s’approchent de lui en particulier « dans la maison ». On sera dans l’admiration en comprenant pourquoi certains sont dits « à l’extérieur » et d’autres « dans la maison ». Quelle émotion aussi pour qui est capable de considérer les divers aspects de Jésus, quand il gravit la montagne pour certains discours ou certaines actions, ou pour sa transfiguration, ou lorsque, en bas, il guérit les malades qui ne peuvent monter là où ses disciples le suivent. Mais il n’y a pas lieu d’exposer ici ce que les Évangiles ont de véritablement vénérable et divin, ni la pensée du Christ, c’est-à-dire de la Sagesse et du Logos, manifestée chez Paul. Voilà qui suffit pour répondre à la raillerie de Celse, indigne d’un philosophe, qui ose assimiler les plus profonds mystères de l’Église de Dieu aux chats, aux singes, aux crocodiles, aux boucs et aux chiens de l’Egypte. LIVRE III
Disons donc à ceux qui refusent de les considérer comme dieux : est-ce qu’ils n’existent plus du tout et, selon la pensée de certains sur la destruction immédiate de l’âme humaine, leur âme aussi est-elle détruite ? Ou bien, suivant l’opinion de ceux qui affirment sa survivance ou son immortalité, survivent-ils en fait, immortels, non comme des dieux mais comme des héros ? Ou sans être même des héros, sont-ils simplement des âmes ? Or, si vous pensez qu’ils ne sont plus, il nous faudra établir la DOCTRINE de l’âme, qui est de première importance. Mais s’ils existent, il n’en faut pas moins démontrer la DOCTRINE de l’immortalité, non seulement par ce que les Grecs en ont fort bien dit, mais aussi d’après le contenu des enseignements divins. Je montrerai qu’il est impossible que ces hommes soient parvenus au rang des dieux et se soient trouvés, après leur départ d’ici-bas, dans un lieu et une condition supérieurs, en rapportant à leur sujet les histoires où sont décrits la licence effrénée d’Héraclès et son esclavage efféminé auprès d’Omphale, et la manière dont Asclépios aurait été foudroyé par leur Zeus. Sur les Dioscures, on citera les vers : « Tantôt ils vivent, un jour sur deux, et tantôt ils sont morts : ils ont le même honneur que les dieux », eux qui meurent incessamment. Comment donc est-il possible de tenir raisonnablement l’un d’entre eux pour un dieu ou un héros ? LIVRE III
Mais nous, nous montrerons la vérité sur notre Jésus par les témoignages des prophètes, puis, en comparant son histoire avec les leurs, nous montrerons que nulle licence n’est rapportée à son sujet. Ceux qui, par inimitié contre lui, avaient cherché « un faux témoignage » pour l’accuser d’inconduite ne purent pas même trouver de fondement plausible à ce « faux témoignage ». De plus sa mort, résultat du complot des hommes, n’eut rien de comparable au foudroiement d’Asclépios. Et qu’a donc de vénérable la frénésie de Dionysos dans ses habits de femmes, pour qu’on l’adore comme un dieu ? Si les défenseurs de ces légendes cherchent refuge dans l’allégorie, il faut examiner d’une part s’il s’agit d’allégories saines, et de l’autre si des êtres déchirés par les Titans et précipités du trône céleste peuvent avoir une existence réelle et mériter les honneurs et l’adoration ? Mais notre Jésus, lorsque, pour employer l’expression de Celse, il apparut à ses propres sectateurs, il apparut réellement, et Celse calomnie l’Évangile en disant qu’il apparut comme une ombre. Comparons, cependant, les histoires de ces héros avec celle de Jésus ! Celse prétend-il que les premières sont vraies et les autres des fictions ? Mais elles renferment les détails rapportés par des témoins oculaires qui ont montré par leur conduite leur claire compréhension de Celui qu’ils avaient contemplé et ont manifesté leur disposition par l’empressement à souffrir pour sa DOCTRINE. Comment serait-ce répondre au dessein d’agir en tout raisonnablement que d’admettre à la légère les histoires des héros, et pour celle de Jésus, de se jeter sans enquête dans l’incrédulité ? LIVRE III
A cette histoire d’Aristéas, il faut répondre : si Celse l’avait citée comme une histoire sans indiquer qu’il l’avait acceptée comme vraie, autre eût été ma réponse à son argument. Mais, comme il affirme qu’Aristéas, après avoir disparu miraculeusement, apparut de nouveau clairement, visita maintes régions de la terre et raconta des choses étonnantes, et que de plus il cite, comme de son propre chef en y donnant son assentiment, l’oracle d’Apollon qui recommanda aux Métapontins de placer Aristéas au rang des dieux, voici l’argument que je lui oppose : comment, tu ne vois que fictions dans les miracles que les disciples de Jésus rapportent de lui, tu blâmes ceux qui y croient, et tu penses qu’il n’y a dans ces histoires-là ni prestiges ni fictions. Comment, quand tu accuses les autres de croire sans raison aux miracles de Jésus, peux-tu donner l’apparence d’ajouter foi à des histoires de cette taille sans donner à leur sujet la moindre démonstration ni la preuve qu’elles se sont réellement passées? Crois-tu Hérodote et Pindare incapables de mentir, tandis que ceux qui se sont exposés à la mort pour les enseignements de Jésus et qui ont laissé à la postérité, sur l’objet de leur foi, des écrits de cette valeur mèneraient pour des fictions, selon toi, des mythes et des prestiges le rude combat d’une vie précaire et d’une mort violente? Accepte d’être impartial entre les récits sur Aristéas et l’histoire de Jésus, et juge, aux résultats bienfaisants pour la réforme des moers et la piété envers le Dieu suprême, s’il n’y a pas lieu de dire : il faut croire l’action de Dieu impliquée dans l’histoire de Jésus, nullement dans celle d’Aristéas de Proconnèse. Dans quel dessein la Providence aurait-elle permis les prodiges d’Aristéas, quelle utilité pour le genre humain eut-elle visée dans l’exhibition de ces merveilles que tu lui prêtes, tu ne peux le dire ! Nous au contraire, lorsque nous racontons l’histoire de Jésus, nous apportons de sa réalité une justification valable : la volonté de Dieu d’établir par Jésus la DOCTRINE qui sauverait les hommes ; DOCTRINE qui repose sur les apôtres comme fondements de l’édifice du christianisme à sa fondation, mais qui se développe aux temps postérieurs où s’accomplissent, au nom de Jésus, bien des guérisons et d’autres manifestations non négligeables. LIVRE III
De plus, quel est cet Apollon qui recommande aux Métapontins de placer Aristéas au rang des dieux ? Dans quel dessein le fait-il, quel bien veut-il procurer aux Métapontins par ces honneurs divins, à supposer qu’ils regardent encore comme un dieu celui qui naguère n’était qu’un homme ? De cet Apollon qui, pour nous, est un démon ayant pour lot « libation et fumet de graisses », les recommandations sur Aristéas te semblent mériter considération ; tandis que celles du Dieu suprême et de ses saints anges, proclamées grâce aux prophètes non après la naissance de Jésus, mais avant qu’il vînt partager la vie des hommes, ne t’incitent à admirer ni ces prophètes capables de recevoir l’esprit divin, ni Celui qu’ils prophétisent ? Sa venue en cette vie s’est trouvée proclamée bien des années auparavant par de nombreux prophètes à tel point que la nation entière des Juifs, suspendue à l’attente de Celui dont elle espérait la venue, en arriva, après la venue de Jésus, à une controverse. Un très grand nombre reconnut le Christ et crut qu’il était celui qu’annonçaient les prophètes. Les autres, incrédules, méprisèrent la douceur de ceux qui, suivant les enseignements de Jésus, se refusèrent à susciter la moindre révolte ; et ils osèrent contre Jésus ces cruautés que les disciples ont décrites avec une sincérité loyale, sans retrancher secrètement de l’histoire miraculeuse ce qui semblerait aux yeux de la plupart tourner à la honte de la DOCTRINE chrétienne. LIVRE III
Les Égyptiens, formés au culte d’Antinoos, supporteraient qu’on lui compare Apollon ou Zeus, car c’est l’honorer que le mettre au même rang. Il y a donc, pour Celse, un mensonge manifeste à dire : Ils ne supporteraient pas qu’on lui compare Apollon ou Zeus. Les chrétiens ont appris que la vie éternelle consistait pour eux à connaître « le seul véritable Dieu » suprême, et « Celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ » ; ils savent que « tous les dieux des païens sont des démons » avides, rôdant autour des victimes, du sang et des exhalaisons des sacrifices, pour tromper ceux qui ne cherchent pas refuge auprès du Dieu suprême ; ils savent que les anges de Dieu, au contraire, divins et saints, sont de tout autre nature et caractère que les démons de la terre, et sont connus du très petit nombre de ceux qui ont fait de la question une étude intelligente et approfondie : ils ne supporteraient pas une telle comparaison avec Apollon, Zeus, ou tout autre qu’on adore par le fumet de la graisse, le sang et les victimes. Certains dans leur grande simplicité ne savent pas rendre raison de leur conduite, bien qu’ils gardent judicieusement le dépôt qu’ils ont reçu. Mais d’autres le font avec des raisons non pas insignifiantes mais profondes ou, dirait un Grec, ésotériques et époptiques. Elles contiennent une ample DOCTRINE sur Dieu, sur les êtres auxquels Dieu fait l’honneur, par son Logos, Fils unique de Dieu, de participer à sa divinité et par le fait même à son nom ; une ample DOCTRINE également sur les anges divins et sur ceux qui sont ennemis de la vérité pour s’être trompés et, par suite de leur erreur, se sont proclamés dieux, anges de Dieu, bons démons, héros qui doivent leur existence à la métamorphose de bonnes âmes humaines. Ces chrétiens établiront aussi que, comme en philosophie beaucoup se figurent être dans le vrai pour s’être laissés abuser par des raisons spécieuses ou avoir adhéré avec précipitation aux raisons, présentées ou découvertes par d’autres, de même parmi les âmes sorties des corps, les anges et les dénions, certains furent entraînés pour des raisons spécieuses à se proclamer dieux. Et parce que ces DOCTRINEs, chez les hommes, ne peuvent être découvertes avec une parfaite exactitude, il a été jugé sûr pour l’homme de ne se confier à personne comme à Dieu, sauf au seul Jésus-Christ modérateur suprême qui a contemplé ces très profonds secrets, et les communique à un petit nombre. LIVRE III
La foi en Antinoos ou l’un de est, si j’ose dire, due à la malchance. La foi en Jésus, elle, paraît soit due à la chance, soit la conclusion d’une étude sérieuse. Elle est due à la chance pour la multitude, elle est la conclusion d’une étude sérieuse pour le tout petit nombre. En disant qu’une foi est, à parler vulgairement, due à la chance, je n’en rapporte pas moins la raison à Dieu qui sait les causes du sort assigné à tous ceux qui viennent à l’existence humaine. D’ailleurs les Grecs diront que même pour ceux qu’on tient pour les plus sages, c’est à la chance qu’ils doivent le plus souvent par exemple d’avoir eu tels maîtres et rencontré les meilleurs, quand d’autres enseignaient les DOCTRINEs opposées, et d’avoir reçu leur éducation parmi l’élite. Car beaucoup ont leur éducation dans un tel milieu qu’il ne leur est pas même donné de recevoir une représentation des biens véritables, mais ils restent dès leur prime enfance avec les mignons d’hommes ou de maîtres licencieux, ou dans une autre condition misérable qui empêche leur âme de regarder vers le haut. Il est certes probable que la Providence a ses raisons pour permettre ces inégalités et il n’est guère facile de les mettre à la portée du commun. Voilà ce que j’ai cru devoir répondre dans l’intervalle en digression au reproche : Telle est la puissance de la foi qu’elle préjuge n’importe quoi. Il fallait, en effet, souligner que la différence d’éducation explique la diversité de la foi chez les hommes : leur foi est due à la chance ou à la malchance ; et conclure de là qu’il peut sembler que même pour les gens à l’esprit vif, ce qu’on nomme la chance et ce qu’on appelle la malchance contribuent à les faire paraître plus raisonnables et à leur faire donner aux DOCTRINEs une adhésion d’ordinaire plus raisonnable. Mais en voilà assez sur ce point. Il faut considérer les paroles suivantes où Celse dit que notre foi, s’emparant de notre âme, crée une telle adhésion à Jésus. Il est bien vrai que notre foi crée une telle adhésion. Mais vois si cette foi ne s’avère pas louable quand nous nous confions au Dieu suprême, en exprimant notre reconnaissance à Celui qui nous a conduits à une telle foi, en affirmant que ce n’est pas sans l’aide de Dieu qu’il a osé et accompli une telle entreprise. Nous croyons aussi à la sincérité des Evangélistes, que nous devinons à la piété et à la conscience manifestées dans leurs écrits, où il n’est trace d’inauthenticité, de tromperie, de fiction ou d’imposture. Car nous en avons l’assurance : des âmes qui n’ont point appris les procédés enseignés chez les Grecs par la sophistique artificieuse, fort spécieuse et subtile, et l’art oratoire en usage aux tribunaux, n’auraient pas été capables d’inventer des histoires pouvant d’elles-mêmes conduire à la foi et à la vie conforme à cette foi. Je pense aussi que Jésus a voulu avoir de tels hommes comme maîtres de DOCTRINE pour ne pas donner lieu d’y soupçonner de spécieux sophismes1, mais faire éclater aux yeux des gens capables de comprendre que la sincérité d’intention des écrivains unie, pour ainsi dire, à tant de simplicité, avait mérité une vertu divine bien plus efficace que ne semblent pouvoir être l’abondance oratoire, la composition des périodes, la fidélité aux divisions et aux règles de l’art grec. LIVRE III
Mais vois si les DOCTRINEs de notre foi, en parfaite harmonie dès l’origine avec les notions communes, ne transforment pas les auditeurs judicieux. Car même si la perversion, soutenue par une ample culture, a pu implanter dans la foule l’idée que les statues sont des dieux, et que les objets d’or, d’argent, d’ivoire, de pierre, sont dignes d’adoration, la notion commune exige de penser que Dieu n’est absolument pas une matière corruptible et ne peut être honoré sous les formes façonnées par les hommes dans des matières inanimées qui seraient « à son image » ou comme des symboles. Aussi, d’emblée, est-il dit des images qu’« elles ne sont pas des dieux » et de ces objets fabriqués qu’ils ne sont pas comparables au Créateur, étant si minimes par rapport au Dieu suprême qui créa, maintient et gouverne l’ensemble de l’univers. Et d’emblée, comme si elle reconnaissait sa parenté, l’âme raisonnable rejette ceux qui lui avaient jusque-là paru être des dieux, et recouvre son amour naturel pour le Créateur ; et, à cause de cet amour, elle accueille aussi Celui qui le premier a donné ces enseignements à toutes les nations, par les disciples qu’il a établis et envoyés avec puissance et autorité divines prêcher la DOCTRINE sur Dieu et sur son Règne. LIVRE III
Ensuite Celse rapporte les propos, absolument contraires à renseignement de Jésus, tenus par un tout petit nombre de soi-disant chrétiens, non spécialement intelligents, comme il le croit, mais des plus ignorants : Voici leurs mots d’ordre : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Autant de mauvaises recommandations à nos yeux ! Mais se trouve-t-il un ignorant, un insensé, un inculte, un petit enfant, qu’il approche hardiment ! En reconnaissant que de telles gens sont dignes de leur Dieu, ils montrent bien qu’ils ne veulent et ne peuvent convaincre que les gens niais, vulgaires, stupides: esclaves, bonnes femmes et jeunes enfants. A cela je réponds : si malgré l’enseignement de Jésus sur la continence : « Quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà, dans son coer, commis l’adultère avec elle », on voyait, parmi tant d’autres, quelques soi-disant chrétiens vivre dans la débauche, on aurait bien raison de les blâmer pour leur vie contraire à l’enseignement de Jésus, mais ce serait fort déraisonnable de faire porter sur l’Évangile le blâme qu’ils méritent. De même, si l’on constate que la DOCTRINE chrétienne plus que toute autre invite à la sagesse, il faudra blâmer ceux qui pour justifier leur ignorance, allèguent, non point les propos écrits par Celse, car on n’en trouve pas d’aussi éhontés même dans la bouche des simples et des ignorants, mais d’autres de bien moindre importance, capables de détourner de la pratique de la sagesse. LIVRE III
De plus il est probable que les paroles de Paul dans la Première aux Corinthiens, Grecs fort enflés de la sagesse grecque, ont conduit certains à croire que le Logos exclut les sages. Que celui qui aurait cette opinion comprenne bien. Pour blâmer des méchants, le Logos déclare qu’ils ne sont pas des sages relativement à l’intelligible, l’invisible, l’éternel, mais parce qu’ils ne s’occupent que du sensible, à quoi ils réduisent toutes choses, ils sont des sages de ce monde. De même, dans la multitude des DOCTRINEs, celles qui, prenant parti pour la matière et les corps, soutiennent que toutes les réalités fondamentales sont des corps, qu’en dehors d’eux il n’existe rien d’autre, ni « invisible », ni « incorporel », le Logos les déclare « sagesse de ce monde », vouée à la destruction, frappée de folie, sagesse de ce siècle. Mais il déclare « sagesse de Dieu » celles qui élèvent l’âme des choses d’ici-bas au bonheur près de Dieu et à « son Règne », qui enseignent à mépriser comme transitoire tout le sensible et le visible, à chercher avec ardeur l’invisible et tendre à ce qu’on ne voit pas. Et parce qu’il aime la vérité, Paul dit de certains sages grecs, pour les points où ils sont dans le vrai : « Ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâces. » Il rend témoignage à leur connaissance de Dieu. Il ajoute qu’elle ne peut leur venir sans l’aide de Dieu, quand il écrit : « Car Dieu le leur a manifesté. » Il fait allusion, je pense, à ceux qui s’élèvent du visible à l’invisible, quand il écrit : « Les oevres invisibles de Dieu, depuis la création du monde, grâce aux choses créées, sont perceptibles à l’esprit, et son éternelle puissance et sa divinité ; en sorte qu’ils sont inexcusables, puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont rendu comme à un Dieu ni gloire ni actions de grâce. » Mais il a un autre passage : « Aussi bien, frères, considérez votre appel. Il n’y a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de nobles. Mais ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qu’il y a de vil et qu’on méprise, Dieu l’a choisi ; ce qui n’est pas, pour réduire à rien ce qui est ; afin qu’aucune chair n’aille se glorifier devant lui. » Et peut-être à cause de ce passage, certains furent-ils incités à croire qu’aucun homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ne s’adonne à la DOCTRINE. A quoi je répondrai : on ne dit pas « aucun sage selon la chair », mais « pas beaucoup de sages selon la chair ». Et il est clair que, parmi les qualités caractéristiques des « évêques », quand il écrit ce que doit être l’évêque, Paul a fixé celle de didascale, en disant : il faut qu’il soit capable « de réfuter aussi les contradicteurs », afin que, par la sagesse qui est en lui, il ferme la bouche aux vains discoureurs et aux séducteurs. Et de même qu’il préfère pour l’épiscopat un homme marié une seule fois à l’homme deux fois marié, « un irréprochable » à qui mérite reproche, « un sobre » à qui ne l’est pas, « un tempérant » à l’intempérant, « un homme digne » à qui est indigne si peu que ce soit, ainsi veut-il que celui qui sera préféré pour l’épiscopat soit capable d’enseigner et puisse « réfuter les contradicteurs ». Comment donc Celse peut-il raisonnablement nous attaquer comme si nous disions : Arrière quiconque a de la culture, quiconque a de la sagesse, quiconque a du jugement ! Au contraire : Qu’il vienne l’homme qui a de la culture, de la sagesse, du jugement ! Et qu’il vienne de même, celui qui est ignorant, insensé, inculte, petit enfant ! Car le Logos, s’ils viennent, leur promet la guérison, et rend tous les hommes dignes de Dieu. LIVRE III
Il est également faux que les maîtres de la divine DOCTRINE ne veuillent convaincre que les gens niais, vulgaires, stupides : esclaves, bonnes femmes et jeunes enfants. Même eux, le Logos les appelle pour les améliorer ; mais il appelle aussi ceux qui leur sont bien supérieurs : car le Christ est « Sauveur de tous les hommes, et surtout des croyants », qu’ils soient intelligents ou simplets, « il est victime de propitiation devant son Père pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres mais pour ceux du monde entier ». Il est dès lors superflu de vouloir répondre à ces paroles de Celse : D’ailleurs, quel mal y a-t-il donc à être cultivé, à s’être appliqué aux meilleures DOCTRINEs, à être prudent et à le paraître ? Est-ce un obstacle à la connaissance de Dieu ? Ne serait-ce pas plutôt une aide et un moyen plus efficace de parvenir à la vérité ? Assurément, il n’y a pas de mal à être réellement cultivé : car la culture est le chemin vers la vertu. Cependant, compter au nombre des gens cultivés ceux qui professent des DOCTRINEs erronées, les sages mêmes de la Grèce n’y souscriraient pas. Par ailleurs, qui ne reconnaîtrait que c’est un bien de s’être appliqué aux meilleures DOCTRINEs? Mais qu’appellerons-nous les meilleures DOCTRINEs, sinon celles qui sont vraies et invitent à la vertu ? De plus, s’il est bien d’être prudent, ce ne l’est plus de le paraître, comme l’a dit Celse. Et loin d’être un obstacle à la connaissance de Dieu, c’est une aide que d’être cultivé, de s’être appliqué aux meilleures DOCTRINEs, d’être prudent. Plutôt qu’à Celse, c’est à nous qu’il revient de le dire, surtout si on le convainc d’épicurisme. LIVRE III
Car il est écrit dans la lettre de notre Paul aux Corinthiens, Grecs dont les moers n’étaient pas encore purifiées : « C’est du lait que je vous ai donné à boire et non une nourriture solide, vous ne pouviez pas encore la supporter. Et vous ne le pouvez pas encore à présent, car vous êtes encore charnels. Du moment qu’il y a parmi vous jalousie et dispute, n’êtes-vous pas charnels et votre conduite n’est-elle pas tout humaine ? » Et ce même apôtre, sachant que certaines vérités sont la nourriture de l’âme avancée en perfection, et que d’autres, celles des néophytes, sont comparables au lait des petits enfants, déclare : « Et vous en êtes venus à avoir besoin de lait, non de nourriture solide. De fait, quiconque en est encore au lait ignore la DOCTRINE de justice : ce n’est qu’un petit enfant. La nourriture solide est pour les parfaits, ceux qui, par l’habitude ont le sens moral exercé au discernement du bien et du mal. » Dès lors, ceux qui croient à la beauté de ces paroles supposeraient-ils qu’on ne traiterait jamais des beaux mystères du Logos dans une assemblée d’hommes prudents, mais que, si on apercevait des adolescents, une foule d’esclaves, un rassemblement d’imbéciles, on irait y proposer en public les mystères divins et vénérables, et en faire étalage devant de tels spectateurs? Au contraire, à scruter tout le dessein de nos Écritures, il est bien clair que, partageant la haine de la grossière populace pour la race des chrétiens, Celse profère sans examen de tels mensonges. LIVRE III
Vois donc, là encore, un exemple de ses sarcasmes contre nos maîtres de DOCTRINE. Eux qui s’efforcent d’élever l’âme de toute manière au Créateur de l’univers, en prouvant qu’il faut mépriser toutes ces choses sensibles, passagères et visibles, et tout faire pour obtenir la communion avec Dieu, la contemplation des réalités intelligibles et invisibles, la béatitude avec Dieu et les amis de Dieu, Celse les compare aux cardeurs qu’on voit dans les maisons particulières, aux cordonniers, aux foulons, aux plus grossiers des hommes, qui solliciteraient au mal des enfants en bas âge, des bonnes femmes, pour qu’ils s’éloignent du père et des précepteurs et les suivent. Mais de quel père sensé, de quels précepteurs aux enseignements sérieux éloignons-nous les enfants et les bonnes femmes ? Que Celse veuille bien l’établir ! Qu’il montre, par comparaison, si les enfants et les bonnes femmes qui embrassent notre DOCTRINE en avaient entendu de meilleures que la nôtre, et de quelle manière nous écartons enfants et bonnes femmes de leçons belles et vénérables pour les convier à des pires ? Il ne pourra en fournir la preuve . bien au contraire, nous détournons les bonnes femmes de l’impureté, de la perversion causée par leur entourage, de la folie du théâtre, de la superstition. Et les enfants arrives à la puberté, que gonflent les désirs de volupté, nous tâchons de les assagir en leur montrant non seulement la honte du pèche, mais encore l’état où ces fautes réduisent l’âme des méchants, les peines qu’elle devra subir, les supplices qui l’attendent. LIVRE III
Comme nous enseignons : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, et n’habitera pas dans un corps tributaire du péché », nous disons aussi : « Quiconque a les mains pures » et, pour cette raison, élève vers Dieu « des mains innocentes », et parce qu’offrant des sacrifices sublimes et célestes, peut dire : « L’élévation de mes mains est un sacrifice du soir » : qu’il vienne à nous ! Quiconque a la langue avisée, parce qu’il médite « jour et nuit » la loi du Seigneur, et que « ses facultés ont été formées par la pratique au discernement du bien et du mal », qu’il ne craigne pas d’en venir aux solides nourritures spirituelles qui conviennent aux athlètes de la piété et de toutes les vertus. Et comme « la grâce de Dieu est avec tous ceux qui aiment d’un amour incorruptible » le Maître qui enseigne l’immortalité, quiconque a les mains pures, non seulement de toute souillure, mais encore des fautes regardées comme plus légères, qu’il se fasse hardiment initier aux mystères de la religion de Jésus, qui ne sont raisonnablement transmis qu’aux saints et aux purs. Le myste de Celse peut dire : Que celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal vienne ; mais celui qui, selon Jésus, conduit les initiés à Dieu, dira à ceux dont l’âme est purifiée : Celui dont l’âme n’a conscience d’aucun mal depuis longtemps, et surtout depuis qu’il est venu se faire guérir par le Logos, que celui-là entende aussi ce que Jésus a découvert en particulier à ses véritables disciples. Ainsi donc, dans le contraste qu’il établit entre l’initiation des Grecs et celle que donnent les maîtres de la DOCTRINE de Jésus, Celse n’a pas vu la différence entre l’appel des méchants à la guérison de leurs âmes et l’appel des hommes déjà très purs à de plus profonds mystères. LIVRE III
Il croit que nous disons cela pour encourager les pécheurs, dans l’impuissance où nous serions d’attirer aucun homme réellement honnête et juste et que, pour cette raison, nous ouvrons les portes aux plus impies et aux plus dépravés. Mais nous, à considérer loyalement notre assemblée, nous pouvons présenter un plus grand nombre de gens convertis d’une vie non totalement misérable que de gens convertis des péchés les plus dépravés. Et en effet, il est tout naturel que ceux qui ont conscience de vivre une vie meilleure, souhaitent que notre prédication sur la récompense que Dieu réserve aux meilleurs soit véridique, s’empressent d’adhérer à nos paroles, plus que ceux dont la vie fut tout à fait désordonnée ; ces derniers sont empêchés par leur conscience même d’admettre qu’ils seront châtiés par le juge suprême, d’un châtiment proportionné à leurs crimes, et infligé selon la droite raison par le juge suprême. Mais il arrive parfois que même des gens fort dépravés, désireux d’admettre la DOCTRINE du châtiment, à cause de l’espérance promise au repentir, soient retenus par l’habitude du péché : comme imbibés par le vice, ils ne peuvent plus s’en défaire aisément pour mener une vie réglée conforme à la droite raison. Cela, Celse même l’a compris quand, je ne sais pourquoi, il ajoute : Certes, il est bien clair à chacun que ceux qui sont naturellement enclins à pécher et qui en ont l’habitude, personne ne pourrait totalement les changer, même par le châtiment, encore moins par la pitié. Il est très difficile de changer radicalement la nature. Ceux qui sont sans péché ont en partage une vie meilleure. LIVRE III
Et si pour certains il est très difficile de changer, il faut dire que la cause en est dans leur volonté qui répugne à admettre que le Dieu suprême est pour chacun le juste juge de toutes les actions de sa vie. Car, pour l’accomplissement d’actions qui semblent très difficiles, et, parlant en hyperbole, presque impossibles, la libre détermination et l’exercice sont de puissants moyens. La nature humaine veut-elle marcher sur une corde tendue en l’air au milieu du théâtre et y porter de lourds fardeaux ? Elle pourra, par l’exercice et l’application, accomplir ce genre d’exploit. Et si elle voulait vivre dans la vertu, elle ne le pourrait pas, eut-elle été auparavant très corrompue ? Considère, en outre, si ce n’est là un propos plus injurieux à la Nature créatrice de l’être raisonnable qu’à l’être créé : d’avoir créé la nature de l’homme capable d’actions si difficiles et sans utilité aucune, mais impuissante à l’égard de sa propre béatitude. Mais en voilà assez pour répondre à sa réflexion qu’il est très difficile de changer radicalement la nature. Il dit ensuite que ceux qui sont sans péché ont en partage une vie meilleure, sans indiquer clairement si ceux qu’il tient pour être sans péché le sont dès l’origine ou depuis leur conversion. Or, ils ne peuvent être exempts de péché dès l’origine. On en trouve rarement qui le soient depuis leur conversion, et ils ne deviennent tels que par l’accès à la DOCTRINE qui sauve. Mais ils ne sont pas tels au moment où ils accèdent à la DOCTRINE ; car, sans cette DOCTRINE, et cette DOCTRINE dans sa perfection, il est impossible qu’un homme vive sans péché. Ensuite, il répond d’avance à une affirmation qu’il nous prête : Dieu pourra tout. Il ne comprend pas ce qu’on veut dire, ni ce que désigne « tout », ni le sens de « il peut ». LIVRE III
Puis, comme de la bouche de notre maître de DOCTRINE, il énonce : Les sages repoussent ce que nous disons, égarés et entravés qu’ils sont par leur sagesse. A cela donc je répondrai : s’il est vrai que « la sagesse » est la science « des choses divines et humaines » et de leurs causes, ou comme la définit la parole divine : « le souffle de la puissance de Dieu, l’effusion toute pure de la gloire du Tout-Puissant, le reflet de la gloire éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, l’image de sa bonté », jamais un véritable sage ne repoussera ce que dit un chrétien qui a une vraie connaissance du christianisme, ni ne sera égaré et entravé par la sagesse. Car la vraie sagesse n’égare pas, mais bien l’ignorance, et la seule réalité solide est la science et la vérité qui proviennent de la sagesse. Si, contrairement à la définition de la sagesse, on donne le nom de sage à qui soutient par des sophismes n’importe quelle opinion, nous admettrons que celui que qualifie cette prétendue sagesse repousse les paroles de Dieu, égaré et entravé qu’il est par des raisons spécieuses et des sophismes. Mais d’après notre DOCTRINE, « la science du mal n’est pas la sagesse » ; « la science du mal » pour ainsi parler, réside en ceux qui tiennent des opinions fausses et sont abusés par des sophismes ; aussi dirai-je qu’elle est chez eux ignorance plutôt que sagesse. LIVRE III
Après cela, il insulte de nouveau le prédicateur du christianisme, lui reprochant d’exposer des choses ridicules mais sans désigner ni établir clairement ce qu’il entend par choses ridicules. Il continue ses insultes : Nul homme sensé ne croit à cette DOCTRINE, dont l’éloigné la foule de ses adeptes. Cela revient à dire : à cause de la foule des gens simples qui se laissaient mener par leurs lois, nul homme sensé n’obéit, par exemple, à Solon, Lycurgue, Zaleukos ou tout autre législateur, surtout si on entend par homme sensé un homme vertueux. En effet, dans ces exemples, les législateurs ont accompli ce qui leur parut bienfaisant en entourant leurs peuples d’une discipline et de lois particulières ; de même Dieu, légiférant en Jésus pour les hommes de partout, conduit même ceux qui n’ont pas de bon sens, dans la mesure où il est possible de les conduire au mieux. Telle était bien sa pensée, comme on l’a dit plus haut, quand il déclare par Moïse : « Ils m’ont rendu jaloux par ce qui n’est pas Dieu, ils m’ont irrité par leurs idoles, eh bien ! moi, je les rendrai jaloux par ce qui n’est pas un peuple, je les irriterai au moyen d’une nation inintelligente. » Telle était aussi la pensée de Paul : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages », appelant sages au sens large tous ceux que leur apparent progrès dans les sciences n’a pas empêchés de sombrer dans le polythéisme athée, puisque, « dans leur prétention à la sagesse, ils sont devenus fous, et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’homme corruptible, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles ». LIVRE III
Il ajoute : Celui qui enseigne la DOCTRINE chrétienne ressemble à celui qui promet la guérison des corps en détournant de consulter les médecins compétents de peur d’être alors convaincu par eux d’ignorance. Nous répliquerons : quels sont, d’après toi, les médecins dont nous détournons les simples ? Tu n’admets certes pas que notre exhortation à embrasser la DOCTRINE s’adresse aux philosophes pour croire qu’ils soient les médecins dont nous détournons ceux que nous appelons à la DOCTRINE divine ? Dès lors, ou il ne répond pas, incapable de désigner les médecins en question, ou il lui faut se rabattre sur les simples qui, eux aussi, célèbrent servilement le culte des dieux multiples et répètent toutes les erreurs vulgaires. Ainsi, dans les deux cas, on le convaincra d’avoir évoqué en pure perte celui qui détourne des médecins compétents. LIVRE III
Et quand bien même nous détournerions de la philosophie d’Épicure, et de ses adeptes les prétendus médecins épicuriens, les victimes de leurs tromperies ! N’est-ce pas un acte très raisonnable de les écarter de la grave maladie inoculée par les médecins de Celse qui fait nier la Providence et présenter le plaisir comme le bien? Admettons que nous écartons des autres médecins philosophes ceux que nous attirons à notre DOCTRINE : des Péripatéticiens, par exemple, qui nient la Providence à notre égard et la relation entre hommes et Dieu ; ne serait-ce point, de notre part, un acte de piété de préparer et de guérir ceux que nous avons attirés, en leur persuadant de se consacrer au Dieu suprême, et en libérant des profondes blessures causées par les DOCTRINEs des prétendus philosophes ceux que nous aurons persuadés ? De plus, accordons que nous en détournons d’autres encore des médecins stoïciens, qui présentent un dieu corruptible, lui donnent une essence corporelle, susceptible de changement intégral, d’altération, de transformation, pensent qu’un jour tout doit périr et Dieu subsister seul ; comment ne pas détourner d’aussi pernicieuses DOCTRINEs ceux qui nous croient, et ne pas les conduire à la pieuse DOCTRINE qui leur inculque l’adoration du Créateur, l’émerveillement devant l’auteur du dogme des chrétiens qui, dans son extrême amour pour les hommes, opère leur conversion et a pris soin de répandre ses instructions pour les âmes dans tout le genre humain ? Même si nous guérissons ceux qu’infesté la folie de la métensomatose, venant de médecins qui ravalent la nature raisonnable tantôt jusqu’à toute nature privée de raison, tantôt même jusqu’à celle qui est dénuée de représentation, ne rendons-nous pas meilleures les âmes de ceux qui croient à notre DOCTRINE ? Car elle n’enseigne pas que le méchant subira en guise de châtiment la perte de la sensibilité ou de la raison ; elle démontre que les peines et les châtiments infligés par Dieu aux méchants sont des remèdes pour produire la conversion. Voilà ce que pensent les chrétiens intelligents, bien qu’ils l’adaptent aux plus simples, comme font les pères aux tout petits enfants. LIVRE III
Nous ne cherchons donc pas refuge près de petits enfants et de rustres stupides en leur disant: Fuyez les médecins; nous ne disons pas : Prenez garde qu’aucun de vous n’acquière la science; nous n’affirmons pas : La science est un mal; nous ne sommes pas assez fous pour dire : La science fait perdre aux hommes la santé de l’âme. Nous ne dirions pas non plus qu’un homme ait jamais été perdu par la sagesse. Quand nous enseignons, nous ne déclarons pas : Attachez-vous à moi ! mais : Attachez-vous au Dieu de l’univers, et à Jésus le maître des enseignements divins. Et nul n’est hâbleur au point de dire aux disciples le propos que Celse met dans la bouche du maître : Moi seul vous sauverai. Vois donc tous les mensonges qu’il profère contre nous ! Et nous ne disons pas non plus des vrais médecins : Ils tuent ceux qu’ils promettent de guérir. Il apporte un second exemple contre nous, et affirme que celui qui enseigne notre DOCTRINE se conduit comme un homme ivre parmi des gens ivres, qui accuse les gens sobres d’être en état d’ivresse. Qu’il démontre alors, d’après les écrits de Paul par exemple, que l’apôtre de Jésus était ivre et que ses paroles n’étaient pas celles d’un homme sobre, ou bien d’après les écrits de Jean, que ses pensées ne respirent pas une parfaite tempérance bien éloignée de l’ivresse du mal ! Donc nul homme tempérant qui enseigne la DOCTRINE chrétienne n’est ivre, et c’est là une injure de Celse indigne d’un philosophe. Et quels gens sobres accusons-nous, nous les prédicateurs de la DOCTRINE chrétienne, à Celse de le dire ! Pour nous sont ivres tous ceux qui s’adressent à des choses inanimées comme à Dieu. Et que dis-je : ils sont ivres ? Ils sont fous, plutôt, ceux qui s’empressent de courir aux temples adorer comme dieux les statues et les animaux. Ils ne sont pas moins fous ceux qui s’imaginent que sont faits pour le culte des dieux véritables les objets façonnés par des artisans parfois les plus vils des hommes. LIVRE III
Ensuite, après tant de griefs contre nous, voulant laisser voir qu’il pourrait en formuler d’autres mais les passe sous silence, il s’exprime ainsi : Voilà mes accusations, et d’autres pareilles pour ne pas les énumérer toutes. J’affirme qu’ils offensent et insultent Dieu pour attirer des gens pervers par des espérances vaines et les persuader insidieusement de mépriser des biens supérieurs, sous prétexte qu’ils gagneront à s’en abstenir. On peut lui répondre : à voir ceux qui viennent au christianisme, ce ne sont pas tant des gens pervers qui sont attirés par la DOCTRINE que les simples ou – comme on dirait vulgairement -, les rudes. Ceux-là, la crainte des châtiments annoncés les pousse et les encourage à s’abstenir des actes qui les méritent. Ils s’efforcent de se donner à la piété qu’enseigne le christianisme, se laissent vaincre par la DOCTRINE jusqu’à mépriser, par crainte des châtiments que cette DOCTRINE qualifie d’éternels, toute torture imaginée contre eux par les hommes, et la mort au milieu de tourments innombrables : aucun homme sensé ne verrait là une conduite inspirée de motifs pervers. Comment, pour un motif pervers pratiquerait-on la tempérance et la sobriété, la libéralité et la bienfaisance ? On n’aurait pas même la crainte de Dieu, que l’Écriture recommande comme utile aux foules, à ceux qui sont encore incapables de regarder ce qui mérite par soi-même d’être choisi, et de le choisir comme le bien suprême qui dépasse toute promesse : cette crainte même ne peut naître en celui qui a choisi une vie perverse. LIVRE III
On imagine peut-être qu’il y a là plus de superstition que de perversion pour l’ensemble de ceux qui croient à la DOCTRINE, et on accusera notre DOCTRINE de faire des superstitieux. Nous répondrons par le mot du législateur à qui on demandait s’il avait donné à ses concitoyens les meilleures lois : pas les meilleures absolument, mais les meilleures qu’ils pouvaient recevoir. Ainsi le fondateur du christianisme pourrait dire : j’ai institué les meilleures lois et le meilleur enseignement que les foules pouvaient recevoir pour l’amendement de leurs moers, menaçant les pécheurs de peines et de châtiments non pas mensongers mais véritables, nécessairement infligés pour la réforme des pécheurs obstinés, même s’ils ne comprennent pas absolument l’intention de celui qui châtie ni l’effet de leurs peines. Cette DOCTRINE est bienfaisante, qu’on l’exprime dans sa vérité à découvert, ou s’il est utile, sous une forme voilée. Mais, en général, ce ne sont pas des gens pervers qu’attirent les prédicateurs du christianisme, et nous n’insultons pas Dieu : nous ne disons de lui que des choses vraies et qui semblent claires aux foules, bien qu’elles soient moins claires pour elles que pour l’élite exercée à comprendre philosophiquement les DOCTRINEs chrétiennes. LIVRE III
Comme Celse reproche aux chrétiens d’être attirés par de vaines espérances, je répondrai à ses attaques contre la DOCTRINE de la vie bienheureuse et de la communion avec Dieu : alors d’après toi, mon brave, ils sont attirés par des espérances vaines ceux qui ont accepté la DOCTRINE de Pythagore et de Platon sur l’âme naturellement faite pour monter à la voûte du ciel, et dans un lieu supracéleste contempler les mêmes spectacles que les bienheureux. Et pour toi, Celse, ceux là aussi qui, ayant admis la survie de l’âme, vivent de manière à devenir des héros et à partager le séjour des dieux, sont attirés par des espérances vaines. Et probablement, même ceux qui sont persuadés que l’esprit qui vient « du dehors » est immortel et sera seul à survivre, au dire de Celse sont attirés par des espérances vaines. Qu’il vienne donc, sans plus cacher à quelle secte il appartient, mais s’avouant épicurien, combattre les raisons solides données parmi les Grecs et les barbares sur l’immortalité de l’âme et sa survie, ou sur l’immortalité de l’esprit. Qu’il prouve que ce sont là des raisons qui trompent par des espérances vaines ceux qui les admettent ; tandis que les raisons de sa propre philosophie, au lieu d’espérances vaines, ou inspirent de bonnes espérances ou, ce qui est plus conforme à ses principes, n’inspirent aucune espérance puisque l’âme subit une destruction immédiate et totale. A moins que Celse et les Epicuriens refusent de considérer comme vaine l’espérance de leur fin, le plaisir, qui est pour eux le bien suprême, et n’est que le sain équilibre du corps et la confiance assurée que met en lui Épicure. LIVRE III
Qu’on ne me suspecte pas de désaccord avec la DOCTRINE chrétienne quand j’ai mobilisé contre Celse les philosophes partisans de l’immortalité et de la survie de l’âme : nous avons avec eux des positions communes. Je prouverai, en temps plus convenable, que la vie bienheureuse à venir n’appartiendra qu’à ceux qui ont adopté la religion de Jésus, et une piété à l’égard du Créateur de l’univers absolument pure et sans mélange avec quoi que ce soit de créé. Mais quels biens supérieurs persuadons-nous insidieusement les hommes de mépriser ? Le montre qui voudra ! Et qu’il leur confronte cette fin bienheureuse, selon nous, près de Dieu dans le Christ, c’est-à-dire le Logos, la Sagesse et toute vertu, cette fin qui surviendra à tous ceux qui ont vécu d’une manière pure et irréprochable, et ont reçu l’amour sans division ni séparation pour le Dieu de l’univers, cette fin accordée par un don de Dieu ! Qu’il la confronte avec la fin proposée par chaque école philosophique chez les Grecs et les barbares, ou promise par les mystères ! Qu’il montre que la fin présentée par l’un d’entre eux est supérieure à la nôtre, que c’est une conception convenable parce qu’elle est vraie, alors que la nôtre ne convient ni au don de Dieu, ni à ceux dont la vie fut vertueuse ; ou bien qu’elle n’a pas été révélée par l’Esprit divin qui avait rempli l’âme pure des prophètes ! Montre qui voudra que des DOCTRINEs reconnues par tous comme tout humaines sont supérieures à celles qui sont démontrées divines et proclamées par inspiration divine ! Mais encore, quels sont les biens supérieurs dont nous dirions qu’il est avantageux de s’abstenir ? En effet, sans prétention orgueilleuse, il apparaît d’emblée qu’on ne peut rien concevoir de supérieur à l’acte de se confier au Dieu suprême et de s’en remettre à l’enseignement qui détache de tout le créé pour conduire, par le Logos animé et vivant, qui est aussi Sagesse vivante et Fils de Dieu, au Dieu suprême. Mais comme le troisième livre de ma réponse au traité de Celse atteint ici une dimension suffisante, j’en arrêterai l’argumentation, pour combattre dans la suite ses objections ultérieures. LIVRE III
Et s’il le sait, pourquoi ne réforme-t-il pas ? Nous faut-il expliquer pourquoi, bien qu’il le sache, il ne réforme pas? Alors que toi qui, dans ton ouvrage, ne te montres pas précisément comme épicurien, mais affectes de reconnaître la Providence, tu n’auras pas eu à dire également pourquoi Dieu, sachant tout ce qui se passe chez les hommes, ne réforme pas, et ne délivre point tous les hommes du mal par sa puissance divine. Mais nous n’avons pas honte de dire que Dieu envoie sans cesse des gens pour réformer les hommes : c’est par un don de Dieu que se trouvent dans l’humanité les DOCTRINEs qui les invitent aux plus hautes vertus. Or parmi les ministres de Dieu, il y a bien des différences : il en est peu qui prêchent dans toute sa pureté la DOCTRINE de la vérité et réalisent une parfaite réforme. Tels furent Moïse et les prophètes. Mais supérieure à leur oeuvre à tous est la réforme opérée par Jésus qui a voulu guérir, non seulement les habitants d’un coin de la terre, mais, autant qu’il dépendait de lui, ceux du monde entier ; car il est venu comme « Sauveur de tous les hommes ». LIVRE IV
Il ne peut pas comprendre la parole : « Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas, moi, dit le Seigneur ». Il ne voit pas que, selon la DOCTRINE des chrétiens, tous ensemble « nous avons en lui la vie, le mouvement et l’être » comme Paul l’a enseigné dans son discours aux Athéniens. Alors, même quand le Dieu de l’univers par sa propre puissance descend avec Jésus dans l’existence humaine, même quand le Logos, « au commencement près de Dieu » et Dieu lui-même, vient vers nous, il ne quitte pas sa place et n’abandonne pas son trône, comme s’il y avait d’abord un lieu vide de lui, puis un autre plein de lui, qui auparavant ne le contenait pas. Au contraire la puissance et la divinité de Dieu vient par celui qu’il veut et en qui il trouve une place, sans changer de lieu ni laisser sa place vide pour en remplir une autre. LIVRE IV
Si tu veux ma réponse aux plus ridicules propos de Celse, entends-le dire : Mais peut-être Dieu, méconnu parmi les hommes, et se jugeant par là diminué, voudrait-il être reconnu et mettre à l’épreuve les croyants et les incrédules, tout comme les parvenus avides d’ostentation ? C’est là prêter à Dieu une ambition excessive et trop humaine! Ma réponse est que Dieu, méconnu par la méchanceté des hommes, voudrait être reconnu, non qu’il s’en juge diminué, mais parce que sa connaissance délivre du malheur celui qui le reconnaît. De plus, ce n’est pas dans le dessein de mettre à l’épreuve les croyants ou les incrédules qu’il habite lui-même dans certains par sa mystérieuse et divine puissance ou leur envoie son Christ ; c’est pour écarter de tout malheur les croyants qui accueillent sa divinité et pour ôter aux incrédules l’occasion d’excuser leur manque de foi sous prétexte qu’ils n’ont pas entendu son enseignement. Dès lors, quel argument peut montrer que, dans la logique de notre DOCTRINE, Dieu serait d’après nous comme les parvenus avides d’ostentation ? Loin d’être avide d’ostentation à notre égard quand il désire nous faire connaître et comprendre son excellence, Dieu veut implanter en nous la félicité qui naît dans nos âmes du fait qu’il est connu de nous ; et il prend à coeur, par le Christ et l’incessante venue du Logos, de nous faire recevoir l’intimité avec lui. La DOCTRINE chrétienne ne prête donc à Dieu aucune ambition humaine. LIVRE IV
Or, malgré la négation de Celse, après de nombreux prophètes qui avaient réformé ce peuple d’Israël, le Christ est venu en réformateur du monde entier, sans avoir besoin, comme lors de la première économie, d’employer contre les hommes des fouets, des chaînes, des instruments de torture. Car, « lorsque le Semeur sortit pour semer », son enseignement suffit pour que la DOCTRINE fût partout semée. A supposer qu’il advienne un temps qui impose au monde une limite qui est nécessaire, puisqu’il a eu un commencement, et qu’il advienne aussi une fin pour le monde, et après la fin, un juste jugement universel, alors le philosophe devra établir les vérités de cette DOCTRINE par des preuves de toutes sortes, tirées des divines Écritures, ou déduites par raisonnements ; et la foule, incapable dans sa simplicité de suivre par la pensée les aspects très variés de la sagesse de Dieu, devra se confier à Dieu et au Sauveur de notre race, plus satisfaite de l’affirmation « Il l’a dit » que de toute autre raison. LIVRE IV
Il pense même que nous faisons cela pour effrayer les simples, nous gardant bien de dire la vérité sur les châtiments inévitables à ceux qui ont péché. Aussi nous compare-t-il aux mystagogues des initiations bacchiques évoquant spectres et fantômes. Aux Grecs de dire si les initiations aux mystères de Bacchus présentent ou non une DOCTRINE plausible ; à Celse et à ses adeptes de se mettre à leur école ! Pour nous, nous défendons ainsi la nôtre : notre but est de réformer le genre humain soit par les menaces de châtiments que nous croyons nécessaires à tout le monde, sans doute profitables à ceux qui doivent les subir, soit par les promesses à ceux dont la vie fut vertueuse, y compris celles de la béatitude dans le Royaume de Dieu pour ceux qui méritent de vivre sous sa royauté. LIVRE IV
Ensuite, il veut établir que nous ne disons rien de remarquable ni de neuf sur le déluge et l’embrasement, bien plus, que c’est pour avoir mal compris ce qu’on en dit chez les Grecs ou les barbares que nous avons cru au récit qu’en font nos Écritures, et il déclare : Pour avoir mal compris ces DOCTRINEs, il leur est venu l’idée qu’après des cycles de longues durées et des retours et des conjonctions d’étoiles ont lieu des embrasements et des déluges, et qu’après le dernier déluge au temps de Deucalion, le retour périodique selon l’alternance de l’univers exige un embrasement. De là vient l’opinion erronée qui leur faire dire: Dieu va descendre en bourreau armé de feu. Je répliquerai : je ne sais comment Celse, homme d’une ample lecture, montrant qu’il connaît beaucoup d’histoires, n’a point prêté attention à l’antiquité de Moïse, dont certains écrivains grecs entre bien d’autres : « Qu’est-ce qui a été ? ? Cela même qui sera. Qu’est-ce qui s’est fait ? ? Cela même qui se refera », etc., ce n’est pas le moment d’en traiter. Il suffit de remarquer simplement que Moïse et quelques-uns des prophètes, auteurs très anciens, n’ont pas emprunté à d’autres leur DOCTRINE de l’embrasement ; mais plutôt, en tenant compte des dates, les autres les ont mal compris et, faute de savoir exactement ce qu’ils avaient dit, ont imaginé dans chaque cycle des répétitions toutes semblables dans leurs caractéristiques essentielles et accidentelles. Pour nous, loin d’attribuer le déluge et l’embrasement aux cycles et aux retours périodiques des étoiles, nous leur donnons pour cause le débordement du vice, détruit par le déluge ou l’embrasement. Et les expressions prophétiques sur Dieu qui descend et dit : « Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas, moi ? dit le Seigneur », nous les entendons au figuré. Car Dieu descend de sa propre grandeur et majesté en prenant soin des affaires humaines et surtout des méchants. Et comme le langage usuel dit que les maîtres descendent au niveau des enfants, et les sages ou les progressants à celui des jeunes gens qui viennent de se tourner vers la philosophie, sans qu’il s’agisse d’une descente corporelle, de même, s’il est dit quelque part dans les saintes Écritures que Dieu descend, on le comprend d’après cet emploi habituel du terme ; et il en est de même pour monter. LIVRE IV
Est-ce que ces récits, surtout compris comme il faut, ne paraissent pas beaucoup plus dignes de respect que celui de Dionysos, trompé par les Titans, précipité du trône de Zeus et mis en pièces par eux, et ensuite reconstitué et semblant revenir à la vie et monter au ciel ? Est-il permis aux Grecs d’en faire l’application à la DOCTRINE de l’âme et de l’interpréter au figuré, tandis qu’on nous ferme la porte, nous interdisant une interprétation logique, concordante et harmonisée en tous points avec les Écritures inspirées par l’Esprit divin qui habite les âmes pures ? Celse n’a donc pas vu du tout l’intention de nos Écritures ; aussi est-ce sa propre interprétation qu’il attaque, et non celle des Écritures. S’il avait compris la destinée de l’âme dans l’éternelle vie future, et ce qu’impliquent son essence et son origine, il n’aurait point raillé de la sorte la venue de l’être immortel dans un corps mortel, expliquée non suivant la théorie platonicienne de la métensomatose, mais dans une perspective plus haute. Il aurait vu, au contraire, une descente extraordinaire due à un excès d’amour pour les hommes, en vue de ramener, suivant l’expression mystérieuse de la divine Écriture, « les brebis perdues de la maison d’Israël », descendues des montagnes, et vers lesquelles, le berger de certaines paraboles, « est descendu » laissant sur les montagnes celles qui ne s’étaient pas égarées. LIVRE IV
Je ne sais pourquoi il juge la destruction de la Tour de Babel comparable au déluge qui, selon la DOCTRINE des Juifs et des chrétiens, a purifié la terre. Car, à supposer que l’histoire de la Tour, dans la Genèse, ne contienne aucune signification cachée, mais soit claire par elle-même, comme le croit Celse, il ne semble pas si clair que cette destruction ait réalisé la purification de la terre. A moins peut-être qu’il ne voie une purification de la terre dans ce qu’on nomme la confusion des langues. Sur ce point, c’est aux gens compétents de donner des explications opportunes lorsqu’il sera question d’établir la signification littérale de l’histoire et son interprétation anagogique. LIVRE IV
Et je ne dis rien des autres vices des hommes, dont ne sont peut-être pas exempts ceux qui passent pour philosophes, car il y a bien des bâtards de la philosophie. Je n’insiste pas sur la présence fréquente de ces désordres chez ceux qui ne sont ni Juifs ni chrétiens. Mais, ou bien on ne les trouve absolument pas chez les chrétiens, à considérer strictement ce qu’est un chrétien, ou si on les rencontre, ce n’est certes pas chez ceux qui tiennent conseil, viennent aux prières communes et n’en sont pas exclus ; sauf peut-être l’un ou l’autre, dissimulé dans la foule. Nous ne sommes donc pas des vers formant assemblée, quand, nous dressant contre les Juifs au nom des Écritures qu’ils croient sacrées, nous montrons que Celui qu’annonçaient les prophètes est venu, qu’eux-mêmes, pour l’énormité de leurs fautes, ont été abandonnés, mais que nous, pour avoir accueilli le Logos, nous avons en Dieu les meilleures espérances, fondées sur notre foi en lui, et sur une vie capable de faire de nous ses familiers, purs de toute perversité et de tout vice. Donc, se proclamer Juif ou chrétien, ce n’est pas dire tout uniment : c’est pour nous surtout que Dieu a créé l’univers et le mouvement du ciel. Mais être, comme Jésus l’a enseigné, pur « de coeur », doux, pacifique, courageux à supporter les périls pour la piété, permet à juste titre de se confier à Dieu, et, quand on a compris la DOCTRINE des prophéties, d’aller jusqu’à dire : tout cela Dieu l’a révélé d’avance et prédit à nous les croyants. LIVRE IV
Peut-être Celse a-t-il mal compris une phrase de certains, qu’il a nommés vers : Il y a Dieu, et immédiatement après, nous. Méprise analogue à celle de reprocher à toute une école philosophique les propos d’un jeune inconsidéré qui, pour avoir fréquenté trois jours un philosophe, s’élève contre le reste des hommes pour leur nullité et leur manque de philosophie. Nous savons bien qu’il y a beaucoup d’êtres d’une plus haute valeur que l’homme. Nous avons lu : « Dieu s’est dressé dans l’assemblée des dieux », et non point des dieux qu’adorent les autres hommes, « car tous les dieux des nations sont des démons ». Nous avons lu encore : « Dieu, dressé dans l’assemblée des dieux, au milieu d’eux juge les dieux. » Nous le savons : « Bien qu’il y ait au ciel et sur la terre de prétendus dieux, comme il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs, pour nous du moins il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et par qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes. » Nous savons les anges à ce point supérieurs aux hommes que seuls les hommes parfaits deviennent semblables aux anges : « Car à la résurrection des morts, il n’y a plus ni maris, ni femmes, mais les justes sont comme les anges des cieux », et deviennent « les égaux des anges ». Nous savons que dans l’ordonnance de l’univers se trouvent des êtres nommés Trônes, d’autres Dominations, d’autres Principautés, d’autres Puissances. Nous le voyons, nous les hommes, laissés bien loin d’eux, nous avons l’espérance, fondée sur une vie vertueuse et une conduite en tout conforme au Logos, de nous élever jusqu’à leur devenir semblables à tous. Enfin, puisque « n’est pas encore apparu ce que nous serons, nous savons que, lorsque cela apparaîtra, nous serons semblables à Dieu, et nous le verrons tel qu’il est ». Que si l’on maintient les propos de certains qui, intelligents ou stupides, ont mal compris une saine DOCTRINE : Il y a Dieu, et immédiatement après, nous, même cela, je pourrais l’interpréter en disant : « nous » désigne les êtres raisonnables, et mieux encore les êtres raisonnables vertueux ; car selon nous, la même vertu appartient à tous les bienheureux, et par conséquent, la même vertu est à l’homme et à Dieu. Aussi nous instruit-on à devenir « parfaits comme notre Père céleste est parfait ». Concluons : aucun honnête homme n’est un vers nageant dans un bourbier, aucun homme pieux n’est une fourmi, aucun juste n’est une grenouille, aucun homme dont l’âme resplendit de l’éclatante lumière de la vérité ne peut raisonnablement être comparé à une chauve-souris. LIVRE IV
Puisqu’il n’est rien de stable dans la nature humaine, il était fatal que même ce régime peu à peu en vînt à dégénérer et à se corrompre. Mais la Providence, ayant apporté au vénérable système de leur DOCTRINE les changements qu’il fallait pour l’adapter comme il convient aux gens de tous les pays, accorda à tous les croyants de l’univers, à la place de celle des Juifs, la vénérable religion de Jésus. Et Jésus, gratifié non seulement d’intelligence, mais encore d’une condition divine, abolit la DOCTRINE sur les démons terrestres qui prennent plaisir à l’encens, aux exhalaisons de la graisse et au sang, et qui, comme les Titans et les Géants de la fable, détournaient les hommes de la notion de Dieu. Lui, sans souci de leurs menées, surtout dirigées contre les meilleurs, il a donné des lois qui assurent la félicité de ceux qui y conforment leur vie, s’abstiennent à tout prix de flatter les démons par des sacrifices et les méprisent absolument grâce au Logos de Dieu qui secourt ceux qui lèvent leurs regards vers Dieu. Et puisque Dieu voulait que la DOCTRINE de Jésus prévalût parmi les hommes, les démons ont perdu tout pouvoir, bien qu’ils aient mis en branle toutes les influences pour anéantir les chrétiens. Rois, Sénat, gouverneurs de chaque contrée, peuple même, inconscients des menées déraisonnables et perverses de ces démons, ils ont tout soulevé contre le Logos et ceux qui croient en Lui. Mais la Parole de Dieu est plus puissante qu’eux tous, et malgré les obstacles, se faisant des obstacles comme une nourriture pour croître, elle a poursuivi sa marche, et récolté un nombre croissant d’âmes : car telle était la volonté de Dieu. LIVRE IV
Et il lui aurait fallu montrer comment, en interprétant à notre manière aux ignorants et aux sots la signification de ces noms, nous trompons, à son avis, les auditeurs, alors que lui, qui se targue de n’être ni ignorant ni sot, en donne la véritable interprétation ! Il note incidemment, dans son propos sur ces noms auxquels les Juifs rattachent leur généalogie, qu’il n’y eut jamais, au cours de la longue période qui précède, de discussion à leur sujet, tandis qu’à présent les Juifs en discutent avec d’autres, qu’il s’est abstenu de nommer. Aussi, montre qui voudra ceux qui revendiquent et avancent le moindre argument plausible contre les Juifs pour établir, avec la vanité de la DOCTRINE des Juifs et des chrétiens sur les noms des personnages en question, que d’autres ont donné sur eux les explications les plus sages et les plus vraies ! Mais je suis certain que personne ne pourra le faire, puisqu’il est manifeste que les noms sont tirés de la langue hébraïque qu’on ne trouve que chez les Juifs. LIVRE IV
A la sentence qu’il porte sur le récit de Moïse : Impiété majeure que cette fiction où Dieu est si faible dès l’origine qu’il ne peut même convaincre le seul homme qu’il a lui-même modelé ! je répondrai qu’elle se rattache à la critique de l’existence même du mal, que Dieu n’a pu écarter d’un seul homme pour qu’au moins un seul homme quelconque s’en fût trouvé exempt dès l’origine. De même que sur ce point le souci de défendre la Providence fournit des justifications aussi nombreuses que valables, ainsi pour Adam et sa faute, on trouvera l’explication en sachant que, traduit en grec, le mot Adam signifie homme, et que, dans ce qui paraît concerner Adam, Moïse traite de la nature de l’homme. C’est que, dit l’Écriture, « en Adam tous meurent », et ils ont été condamnés « pour une transgression semblable à celle d’Adam », l’affirmation de la parole divine portant moins sur un seul individu que sur la totalité de la race. Et de fait, dans la suite des paroles qui semblent viser un seul individu, la malédiction d’Adam est commune à tous ; et il n’est pas de femme à laquelle ne s’applique ce qui est dit contre la femme. De plus, le récit de l’homme chassé du jardin avec sa femme, revêtu de « tuniques de peaux » que Dieu, à cause de la transgression des hommes, confectionna pour les pécheurs, contient un enseignement secret et mystérieux bien supérieur à la DOCTRINE de Platon sur la descente de l’âme qui perd ses ailes et est entraînée ici-bas « jusqu’à ce qu’elle se saisisse de quelque chose de solide ». LIVRE IV
Ensuite, livré pour ainsi dire uniquement à sa haine et à son animosité contre la DOCTRINE des Juifs et des chrétiens, il dit : Les plus raisonnables des Juifs et des chrétiens allégorisent tout cela. Il ajoute : La honte qu’ils en ont leur fait chercher refuge dans l’allégorie. On pourrait lui dire : s’il faut appeler honteuses dans leur acception première les DOCTRINEs des mythes et des fictions, écrits avec une signification figurée ou de toute autre manière, à quelles histoires cette qualification s’impose-t-elle sinon aux histoires grecques ? Là, les dieux fils émasculent les dieux pères ; les dieux pères dévorent les dieux fils ; la déesse mère, à la place d’un fils, livre à celui qui est père « des dieux et des hommes », une pierre ; un père s’unit à sa fille ; une femme enchaîne son mari, prenant comme complices pour le mettre aux fers, le frère et la fille de celui qu’elle enchaîne. Mais pourquoi devrais-je énumérer les histoires absurdes des Grecs sur leurs dieux, manifestement honteuses même allégorisées ? Ainsi le passage où Chrysippe de Soles, qui passe pour avoir honoré le Portique par maints ouvrages pénétrants, explique un tableau de Samos où Héra était peinte commettant avec Zeus un acte obscène. Le grave philosophe dit dans son traité que la matière, ayant reçu les raisons séminales de Dieu, les garde en elle-même pour l’ordonnance de l’univers. Dans le tableau de Samos, Héra c’est la matière, et Zeus c’est Dieu. C’est pour cette raison et à cause des mythes de ce genre et d’une infinité d’autres, que nous refusons d’appeler, ne serait-ce que de nom, le Dieu suprême Zeus, le soleil Apollon, et la lune Artémis. LIVRE IV
Mais je ne sais pourquoi, joignant deux sentiments incompatibles qui ne peuvent se trouver ensemble dans une nature humaine, il dit que ce livre mérite la pitié et la haine. Car on conviendra que celui dont on a pitié n’éveille pas la haine en même temps que la pitié, et que celui qui est haï n’éveille pas la pitié en même temps que la haine. Et la raison pour laquelle Celse dit n’avoir pas le propos d’en réfuter les inepties, c’est, croit-il, qu’il saute aux yeux de tous que, même avant une réfutation rationnellement conduite, le livre est nul et mérite la pitié et la haine. Mais j’invite le lecteur de cette apologie réfutant l’accusation de Celse, à supporter la lecture de nos livres, et autant que possible à rechercher l’intention, la conscience, et l’état d’esprit des écrivains : il y verra des hommes qui défendent avec ardeur ce qu’on leur a transmis, et que certains écrivent manifestement une histoire dont ils furent témoins et qu’ils considèrent comme miraculeuse et digne d’être rapportée pour le bien de ceux qui l’entendraient. Ou bien qu’on ose nier que la source et le principe de tout bien pour l’âme est de croire au Dieu de l’univers, d’accomplir toutes les actions en vue de lui plaire en quoi que ce soit, sans même garder une pensée qui lui déplaise, puisque non seulement les paroles et les actions mais les pensées mêmes seront jugées par lui ! Et quelle autre DOCTRINE serait plus efficace pour convertir et amener la nature humaine à une vie vertueuse que la foi ou la persuasion que le Dieu suprême voit toutes nos paroles, nos actions et même nos pensées ? Présente qui voudra une autre méthode qui à la fois convertisse et améliore non pas un ou deux individus seulement, mais encore autant que possible un très grand nombre ; alors la comparaison des deux méthodes fera comprendre exactement quelle DOCTRINE dispose à la vie vertueuse. LIVRE IV
Une fois qu’il a présenté les dieux comme créateurs de tous les corps, tandis que seule l’âme serait l’oeuvre de Dieu, s’il voulait répartir la multitude des oeuvres créées et l’attribuer à plusieurs dieux, ne devait-il pas établir par un argument valable les différences entre les dieux produisant, certains les corps des hommes, d’autres ceux des bestiaux, d’autres ceux des bêtes sauvages ? Voyant des dieux créateurs de dragons, d’aspics, de basilics, d’autres créateurs de chaque espèce d’insectes, d’autres de chaque espèce de plantes et d’herbes, il lui fallait donner les raisons de cette division du travail. Car peut-être s’il s’était livré à un examen précis de la question, ou bien il aurait maintenu qu’un seul Dieu est créateur de toutes choses et a fait chacune en vue d’une fin et pour une raison, ou bien, s’il ne le maintenait pas, il aurait vu la réplique à faire à l’objection que ce qui est corruptible est de sa propre nature matière indifférente, et qu’il n’y a aucune absurdité à soutenir que le monde, constitué d’éléments dissemblables, est l’oeuvre d’un unique Artisan qui établit les différences entre les espèces pour le bien du tout. Ou, finalement, s’il ne savait pas établir ce qu’il professait d’enseigner, il aurait dû ne pas faire connaître du tout son avis sur une DOCTRINE de cette importance ; à moins, par hasard, que lui qui se moque de ceux qui professent une foi simple ait voulu lui-même que nous ajoutions foi à ce qu’il avançait, bien qu’il ait prétendu non pas exprimer son avis, mais enseigner. LIVRE IV
Mais encore, Celse dit : « L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps. En fait, à cet égard, il n’y aura aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille ou d’homme ; car la matière est la même, de même espèce aussi leur principe de corruption. » A cet argument, il faut répondre : si vraiment, parce que la même matière est sous-jacente aux corps d’une chauve-souris, d’un ver, d’une grenouille, d’un homme, ces corps ne doivent différer en rien l’un de l’autre, il est évident que les corps de ces êtres ne différeront en rien du soleil, de la lune, des étoiles, du ciel, de n’importe quel autre être appelé chez les Grecs divinité sensible. Car la matière qui est sous-jacente à tous les corps est la même : elle est, à parler strictement, sans qualité ni forme, et je ne sais pas d’où elle reçoit ses qualités d’après Celse qui ne veut pas que rien de corruptible soit l’oeuvre de Dieu. Car, selon l’argument de Celse, le principe de corruption de quelque être que ce soit, provenant de la même matière qui les soutient, est nécessairement de même espèce. A moins qu’ici, devant la difficulté, Celse ne s’écarte de Platon qui fait sortir l’âme d’un certain cratère, et ne se réfugie vers Aristote et les Péripatéticiens qui affirment que l’éther est immatériel et d’une cinquième nature, autre que les quatre éléments : DOCTRINE à laquelle les Platoniciens et les Stoïciens se sont noblement opposés. Et nous aussi, malgré le mépris de Celse, nous nous opposerons à elle, puisqu’on nous demande d’exposer et de prouver ce qui est dit en ces termes chez le prophète : « Les cieux périront, mais tu resteras ; tous, comme un vêtement, s’useront, comme un habit tu les retourneras et ils seront changés. Mais toi, tu es toujours le même. » Cependant, ces paroles sont une réplique suffisante à l’assertion de Celse : L’âme est oeuvre de Dieu, mais autre est la nature du corps, argument ayant pour conséquence : Il n’y a aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille et le corps éthéré. LIVRE IV
Vois donc s’il faut prendre parti pour l’homme qui, avec de pareilles DOCTRINEs, accuse les chrétiens, et s’il faut abandonner une DOCTRINE qui explique la diversité par les qualités inhérentes aux corps ou qui leur sont extérieures. Nous savons, nous aussi, qu’il y a « des corps célestes et des corps terrestres » et que, autre est « l’éclat des corps célestes » et autre celui des « terrestres » ; et que, même entre « les corps célestes » il n’est pas identique, car « autre est l’éclat du soleil, autre l’éclat des étoiles » ; et que, parmi les étoiles, « une étoile diffère d’une étoile en éclat ». Et c’est pourquoi, comme nous attendons la résurrection des morts, nous disons que les qualités inhérentes « aux corps » changent ; certains d’entre eux, semés « dans la corruption, se lèvent dans l’incorruptibilité » ; semés « dans l’ignominie, ils se lèvent dans la gloire » ; semés « dans la faiblesse, ils se lèvent dans la puissance », semés corps psychiques, ils se lèvent spirituels. Que la matière fondamentale est capable de recevoir les qualités que veut le Créateur, nous tous qui avons admis la Providence, nous en sommes assurés : par la volonté de Dieu, quelle que soit la qualité actuelle de telle matière, elle sera dans la suite, disons-le, meilleure et supérieure. De plus, puisqu’il y a des lois établies concernant les changements qui s’effectuent dans les corps depuis le commencement jusqu’à la fin du monde, leur succédera peut-être une loi nouvelle et différente après la destruction du monde que nos Écritures nomment sa consommation. Aussi n’est-il pas étonnant que dès à présent, comme on le dit couramment, d’un cadavre d’homme soit formé un serpent venant de la moelle épinière, du boeuf une abeille, d’un cheval une guêpe, d’un âne un scarabée, et généralement de la plupart, des vers. Celse juge que cela peut fournir la preuve qu’aucun d’eux n’est oeuvre de Dieu, qu’au contraire, les qualités, déterminées pour je ne sais quelles raisons à changer d’un caractère à l’autre, ne sont pas l’oeuvre d’une raison divine qui ferait se succéder les qualités inhérentes à la matière. LIVRE IV
Voici ce qui me reste à dire contre l’affirmation de Celse que l’âme est oeuvre de Dieu, mais qu’autre est la nature du corps. Il a lancé une DOCTRINE de cette importance sans preuve, bien plus sans définir ses termes, sans avoir clairement indiqué si toute âme est oeuvre de Dieu, ou seule l’âme raisonnable. Je lui dirai donc : si toute âme est oeuvre de Dieu, évidemment celle des animaux sans raison, même les plus vils, l’est aussi, de façon que chaque corps ait une nature autre que celle de l’âme. En vérité, quand il dit plus loin que les animaux sans raison sont plus aimés de Dieu que nous, et ont de la divinité une notion plus pure, il a semblé établir que ce n’est pas seulement celle des hommes qui est oeuvre de Dieu, mais davantage encore l’âme des animaux sans raison ; c’est la conséquence de son propos qu’ils sont plus aimés de Dieu que nous. Et si seule l’âme raisonnable est l’oeuvre de Dieu, d’abord, il ne l’a pas dit clairement, ensuite, de sa manière confuse de parler de l’âme, d’après laquelle non pas toute âme, mais seule l’âme raisonnable serait oeuvre de Dieu, il résulte que pour tous les corps non plus la nature ne saurait être autre. Et si la nature de tous les corps ne peut être autre, et si chaque animal a un corps correspondant a son âme, il est clair que le corps dont l’âme est l’oeuvre de Dieu, l’emporte sur le corps où habite une âme qui n’est pas oeuvre de Dieu. Aussi est-ce un mensonge de dire qu’il n’y aura aucune différence entre un corps de chauve-souris, de ver, de grenouille, et le corps d’un homme. LIVRE IV
Mais je ne sais comment Celse peut, en admettant la Providence, autant qu’on en juge par les expressions de son livre, dire qu’il n’y a ni plus ni moins de mal, mais un mal en quelque sorte limité, et ruiner la très belle DOCTRINE que la malice est illimitée et le mal à strictement parler indéfini. La thèse qu’il n’y a eu, il n’y a, il n’y aura ni plus ni moins de mal, semble impliquer cette conséquence : de même que, pour ceux qui tiennent que le monde est incorruptible, l’équilibre des éléments est maintenu par la Providence, empêchant que l’un d’eux prédomine, pour éviter au monde de périr, de même une sorte de providence présiderait au mal, si multiplié soit-il, pour qu’il n’y en ait ni plus ni moins. LIVRE IV
A la lumière de ces faits et d’autres semblables Celse n’apparaît-il pas ridicule en déclarant qu’il ne saurait y avoir ni plus ni moins de mal ? En effet, même si la nature de l’univers est une et la même, il est absolument faux que l’origine du mal soit toujours la même. Car, bien que la nature d’un individu donné soit une et la même, il n’y a pas identité continuelle dans son esprit, dans sa raison, dans ses actions : il est un temps où il n’a pas reçu la raison, un autre où la raison s’accompagne de malice, et d’une malice plus ou moins étendue : tantôt il s’oriente vers la vertu et fait plus ou moins de progrès, tantôt il atteint la perfection et parvient à la vertu avec plus ou moins de contemplation. La même remarque s’impose à plus forte raison au sujet de la nature de l’univers ; bien qu’elle soit une et la même génériquement, les événements dans l’univers ne sont pas toujours les mêmes ni de même genre. Pas plus qu’il n’y a toujours de saisons fertiles ou stériles, abondance de pluie ou de sécheresse, pas davantage n’est déterminée l’abondance ou la disette d’âmes vertueuses, ou le flot croissant ou décroissant d’âmes vicieuses. La DOCTRINE qui s’impose quand on veut parler aussi exactement que possible, c’est que le mal ne subsiste pas toujours au même degré, parce que la Providence veille jalousement sur la terre, ou bien la purifie par les déluges et les embrasements, et peut-être pas seulement la terre, mais encore le monde entier, qui a besoin de purification chaque fois que la malice y surabonde. LIVRE IV
Mais je ne sais pourquoi Celse a jugé utile, en écrivant contre nous, de traiter à la légère une DOCTRINE qui demanderait une longue démonstration, au moins plausible, pour montrer dans la mesure du possible que la période des êtres mortels est semblable du commencement à la fin, et au cours des cycles déterminés, nécessairement ont été, sont et seront toujours les mêmes choses. Si cela était, c’en serait fait de notre liberté. Car si, au cours des cycles déterminés, nécessairement ont été, sont et seront toujours les mêmes choses dans la période des êtres mortels, il est clair que nécessairement toujours Socrate s’adonnera à la philosophie, sera accusé d’introduire des divinités nouvelles et de corrompre la jeunesse, et qu’Anytos et Mélétos toujours l’accuseront, et le Conseil dans l’Aéropage prononcera par décret contre lui la condamnation à mort par la ciguë. Nécessairement toujours aussi, au cours des périodes déterminées Phalaris sera tyran et Alexandre de Phères commettra les mêmes cruautés, et les condamnés au taureau de Phalaris mugiront toujours en lui. Qu’on admette cela, et je ne sais comment notre liberté sera sauvée, et comment on pourra raisonnablement mériter louange ou blâme. A l’hypothèse de Celse on opposera que, si la période des êtres mortels est toujours semblable du commencement à la fin, et que, au cours des cycles déterminés, nécessairement ont été, sont, et seront toujours les mêmes choses, alors au cours des périodes déterminées nécessairement toujours Moïse avec le peuple juif sort d’Egypte, et Jésus revient au monde pour faire les mêmes choses qu’il a faites non pas une fois, mais un nombre infini de fois au cours des périodes. De plus, les mêmes gens seront chrétiens dans les cycles déterminés et Celse, de nouveau, écrira ce livre qu’il a auparavant écrit une infinité de fois. LIVRE IV
De plus, les menaces sont des avertissements du sort réservé aux méchants. On pourrait aussi bien appeler menaces les paroles du médecin à ses patients : « Je t’appliquerai le fer et le feu si tu n’obéis pas à mes prescriptions et ne suis pas le régime et la règle de conduite que voici. » Dès lors, ce n’est point attribuer à Dieu des passions humaines, ni professer sur lui des opinions impies, ni se mettre dans l’erreur que de présenter les explications qui le concernent, à partir des Écritures elles-mêmes comparées entre elles. Il n’est pas d’autres tâches pour les prédicateurs avisés de la DOCTRINE que de détourner autant que possible les auditeurs de la sottise et de les rendre réfléchis. LIVRE IV
La question présente est donc de réfuter le passage que voici : ” Juifs et chrétiens, nul Dieu, nul Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre. Que si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont, dieux ou des êtres d’une autre espèce ? D’une autre espèce, sans doute, des démons.” Ces redites de Celse – car il l’a maintes fois déjà répété plus haut -, n’exigent pas une longue discussion : les réponses données suffiront. Je me bornerai entre bien d’autres à quelques remarques qui semblent être dans la ligne des précédentes, bien qu’elles n’aient pas cependant tout à fait le même sens. J’établirai donc que, dans sa thèse absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est jamais descendu vers les hommes, Celse réduit à néant les manifestations de Dieu généralement admises que lui-même avait mentionnées plus haut. En effet si, dans l’affirmation absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre, Celse a dit la vérité, c’en est fait évidemment de toutes les descentes des dieux du ciel sur la terre pour prédire aux hommes ou les guérir par leurs oracles. Ni Apollon de Pytho, ni Asclépios, ni aucun de ceux auxquels on attribue des actes pareils ne peut être un dieu descendu du ciel, si ce n’est peut-être un dieu dont le sort est de toujours habiter la terre, comme banni du séjour des dieux ou un des êtres incapables d’entrer en communion avec les dieux qui s’y trouvent. Ou bien Apollon, Asclépios et tous ceux dont on vénère l’action sur la terre ne peuvent être des dieux, mais certains démons bien inférieurs aux hommes sages qui s’élèvent par la vertu jusqu’à la voûte du ciel. Remarque à quel point, dans son dessein de ruiner notre foi, on le prend, lui qui tout au long de son traité refuse de s’avouer épicurien, à passer en transfuge au camp d’Épicure. Le moment est venu pour toi, lecteur des arguments de Celse qui admets ce qui précède, ou bien de nier la présence de Dieu qui étend sa providence à tous les hommes individuellement, ou bien de l’admettre et de prouver que la DOCTRINE de Celse est fausse. Nies-tu radicalement la Providence? Alors pour établir la vérité de ta position, tu prouveras la fausseté des raisons qui lui font admettre des dieux et une providence. Affirmes-tu néanmoins la providence, en refusant d’adhérer à l’assertion de Celse : Ni Dieu ni Fils de Dieu n’est descendu ou ne descend vers les hommes ? Alors pourquoi ne point examiner sérieusement, dans ce que j’ai dit de Jésus et dans les prophéties qui le concernent, quel est celui qu’il faut plutôt croire Dieu ou Fils de Dieu descendu vers les hommes : Jésus qui a mené à bien et accompli de si grandes oeuvres, ou ceux qui, sous prétexte d’oracles et de divinations, loin de réformer les m?urs de ceux qu’ils guérissent, vont jusqu’à éloigner du culte vénérable, pur et sans mélange dû au Créateur de l’univers et divisent l’âme de ceux qui s’attachent à eux, sous prétexte d’honneur à rendre à de multiples dieux au lieu de l’unique, seul manifeste et véritable Dieu ? Puis, comme si Juifs et chrétiens avaient répondu que ceux qui descendent vers les hommes sont des anges, il reprend : Si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont : des dieux ou des êtres d’une autre espèce ? Et, supposant notre réponse, il ajoute : ? D’une autre espèce sans doute, les démons. Eh bien ! précisons ce point. D’un commun accord nous disons que les anges sont « des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service pour le bien de ceux qui doivent hériter du salut ». Ils montent porter les supplications des hommes dans les régions célestes les plus pures du monde, ou même dans les supracélestes plus pures que celles-là. Ensuite, ils en descendent porter à chacun suivant son mérite une des grâces que Dieu leur enjoint de dispenser à ceux qui reçoivent ses faveurs. Eux donc, que nous avons appris à nommer anges à cause de leur fonction, nous les trouvons parfois aussi dans les saintes Écritures nommés dieux, parce qu’ils sont divins ; mais ils ne le sont pas au point qu’il nous soit ordonné de vénérer et d’adorer à la place de Dieu ceux qui nous dispensent et nous apportent les grâces de Dieu. Car il faut faire remonter toute demande, prière, supplication et action de grâce vers le Dieu suprême par le Souverain Prêtre qui est au-dessus de tous les anges, Logos vivant et Dieu. Et nous offrirons au Logos lui-même des demandes, des prières, des actions de grâce, et même des supplications, si nous sommes capables de discerner entre le sens absolu et le sens relatif du mot supplication. LIVRE V
Ce n’est certainement pas dénigrer ces immenses créatures de Dieu, ni non plus dire avec Anaxagore que le soleil, la lune et les étoiles ne sont que « des masses enflammées », que de professer notre DOCTRINE sur le soleil, la lune et les étoiles. C’est seulement comprendre la divinité de Dieu qui surpasse d’une indicible supériorité, et celle de son Fils unique qui dépasse tout le reste. Et quand on est persuadé que le soleil, la lune et les étoiles prient le Dieu suprême par son Fils unique, on juge qu’on ne doit pas prier des êtres qui prient : ils préfèrent eux-mêmes nous renvoyer vers Dieu qu’ils prient, plutôt que de nous abaisser vers eux ou de partager notre puissance de prière entre Dieu et eux-mêmes. LIVRE V
Voici ce qu’il dit : ” C’est une autre sottise de leur part de penser que quand Dieu tel un cuisinier appliquera le feu, toute autre race sera grillée, et qu’ils seront seuls à survivre: et non seulement les vivants d’alors mais même ceux qui seront morts depuis longtemps, qui surgiront de la terre avec la même chair que jadis absolument l’espérance des vers ! Quelle âme d’homme regretterait un corps putréfié? Alors que cette DOCTRINE n’est pas même admise par certains de vous et des chrétiens, et que son extrême impureté montre que c’est à la fois révoltant et impossible: quel corps, après une corruption complète, pourrait-il revenir à sa nature originelle et à cette même première constitution qu’il avait avant d’être dissous ? N’ayant rien à répondre, ils recourent à la plus absurde échappatoire: tout est possible à Dieu ! En vérité, Dieu ne peut rien faire de honteux et ne veut rien de contraire à la nature. Aurait-on une infâme convoitise dans la perversité de son c?ur, Dieu ne pourrait l’exaucer et il ne faut pas croire d’emblée qu’elle va être assouvie. Car Dieu n’est pas l’auteur de l’appétit déréglé ni de la licence effrénée, mais de la nature droite et juste. A l’âme il peut bien accorder une vie immortelle ; mais, comme dit Héraclite, « les cadavres sont plus à rejeter que le fumier ». Donc une chair, pleine de ce qu’on ne saurait décemment nommer, Dieu ne voudra ni ne pourra la rendre immortelle contre toute raison. Il est lui-même la raison de tout ce qui existe; il ne peut donc rien faire ni contre la raison ni contre lui-même.” LIVRE V
Vois donc tout d’abord comme il tourne en ridicule dans ce passage l’embrasement du monde, admis même par des philosophes grecs de valeur, lorsqu’il prétend qu’en admettant la DOCTRINE de l’embrasement, nous faisons de Dieu un cuisinier. Il n’a pas vu que, selon l’opinion de certains Grecs qui l’ont peut-être empruntée à la très ancienne nation des Hébreux, le feu est infligé en purification au monde et vraisemblablement aussi à chacun de ceux qui ont besoin d’être à la fois châtiés et guéris par le feu. Il brûle mais ne consume pas ceux en qui il n’y aurait pas de matière exigeant cette destruction par le feu, mais il brûle et consume ceux qui ont bâti, comme on dit au sens figuré, « en bois, en foin, en chaume », l’édifice de leurs actions, de leurs paroles, de leurs pensées. Les divines Écritures disent que le Seigneur visitera « comme le feu du fondeur, comme l’herbe du foulon » chacun de ceux qui ont besoin, à cause du mélange pour ainsi dire d’une malice mauvaise découlant du vice, – ont besoin, dis-je, du feu comme pour affiner les âmes mélangées d’airain, d’étain, de plomb. Voilà ce que n’importe qui peut apprendre du prophète Ézéchiel. On ne veut pas dire que Dieu applique le feu, tel un cuisinier, mais que Dieu agit en bienfaiteur de ceux qui ont besoin d’épreuve et de feu, et c’est ce que le prophète Isaïe attestera dans la sentence contre une nation pécheresse : « Puisque tu as des charbons de feu, assieds-toi sur eux, ils te seront un secours. » Le Logos, qui dispense des enseignements adaptés aux foules de ceux qui liront l’Écriture, dit avec une sagesse cachée des choses sévères pour effrayer ceux qui ne peuvent autrement se convertir du flot de leurs péchés. Même dans ces conditions, l’observateur perspicace trouvera une indication du but visé par ces châtiments sévères et douloureux à ceux qui les endurent : il suffit de citer ici le passage d’Isaïe : « A cause de mon nom, je te montrerai ma colère, et j’amènerai sur toi ma gloire pour ne pas t’exterminer. » J’ai été contraint de rapporter en termes obscurs les vérités dépassant la foi des simples qui ont besoin d’une instruction simple dans les termes ; je ne voulais point paraître laisser sans réfutation l’accusation de Celse qui dit : Lorsque Dieu, tel un cuisinier, appliquera le feu. De ce qu’on vient de dire ressortira pour les auditeurs intelligents la manière dont il faut répondre aussi à la parole : Toute autre race sera grillée, et ils seront les seuls à survivre. Rien d’étonnant que telle soit la pensée de ceux qui, parmi nous, sont appelés par l’Écriture : « Ce qu’il y a de fou dans le monde, ce qui est sans naissance et que l’on méprise, ce qui n’est pas, qu’il a plu à Dieu de sauver, eux qui croient en lui, par la folie de la prédication puisque le monde par le moyen de la sagesse n’a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu ». Ils ne peuvent pénétrer le sens du passage et ne veulent pas consacrer leurs loisirs à chercher le sens de l’Écriture, en dépit de la parole de Jésus : « Scrutez les Écritures » ; et ils ont conçu une telle idée du feu appliqué par Dieu et du sort destiné au pécheur. Et sans doute convient-il de dire aux enfants des choses proportionnées à leur condition puérile à dessein, si petits qu’ils soient, de les convertir au mieux ; ainsi, à ceux que l’Écriture nomme fous dans le monde, sans naissance, objets de mépris, convient l’interprétation obvie des châtiments, puisque seules la crainte et la représentation des châtiments peuvent les convertir et les éloigner de nombreux maux. Aussi, l’Écriture déclare-t-elle que seront les seuls à survivre, sans goûter le feu et les châtiments, ceux qui sont tout à fait purs dans leurs opinions, leurs m?urs, leur esprit ; tandis que ceux qui ne le sont pas, mais, selon leur mérite, ont besoin du ministère des châtiments par le feu, elle déclare qu’ils y seront soumis jusqu’à un certain terme qu’il convient à Dieu d’assigner à ceux qui ont été créés « à son image », et ont vécu contrairement à la volonté de la nature qui est « selon l’image ». Voilà ma réponse à sa remarque : Toute autre race sera grillée, et ils seront les seuls à survivre. LIVRE V
Il a longuement raillé la résurrection de la chair qui est prêchée dans les églises, mais plus nettement comprise par l’élite des penseurs. Inutile donc de redonner son texte déjà cité une fois. Mais puisque cette défense est écrite contre un homme étranger à notre foi, et à cause de ceux qui sont encore de tout petits enfants, ballottés par les flots et emportés « à tout vent de DOCTRINE par la piperie des hommes pour fourvoyer dans l’erreur », qu’on me permette, sur ce problème, d’exposer de mon mieux et d’établir quelques points adaptés aux besoins des lecteurs. Pas plus que les divines Écritures nous ne disons que ceux qui sont morts depuis longtemps, surgissant de terre, vivront avec la même chair sans qu’elle ait reçu d’amélioration ; en le prétendant, Celse nous calomnie. Car nous entendons aussi maints passages scripturaires qui traitent de la résurrection d’une manière digne de Dieu. Il suffît de citer ici le mot de Paul, de la Première aux Corinthiens : « Mais, dira-t-on, comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps reviennent-ils ? ? Insensé ! Ce que tu sèmes, toi, ne reprend vie, s’il ne meurt. Et ce que tu sèmes, ce n’est pas le corps à venir, mais un simple grain, de blé par exemple ou d’une des autres plantes ; et Dieu lui donne un corps à son gré, à chaque semence un corps qui lui est propre ». » Vois donc comment il indique ici que « ce n’est pas le corps à venir » qui est semé, mais qu’il y a comme une résurrection de la semence jetée nue en terre, Dieu donnant « à chaque semence un corps qui lui est propre » : de la semence jetée en terre se lève tantôt un épi, tantôt un arbre comme pour le grain de la moutarde, ou encore un arbre plus grand pour un noyau d’olive ou un des autres fruits. LIVRE V
Voilà un exposé partiel de notre DOCTRINE de la résurrection, dans les limites ici convenables, car j’en ai traité ailleurs par un examen approfondi du mystère. Il faut maintenant, comme il est raisonnable, combattre les , objections de Celse. Il n’a pas compris la signification de nos Écritures, incapable de juger qu’il ne faut pas penser que la signification de ces auteurs savants soit présentée par ceux qui ne professent rien de plus que la foi relativement à la DOCTRINE chrétienne. Essayons donc de montrer . que des opinions parfaitement absurdes ont été soutenues par des hommes remarquables pour leur spéculation rationnelle et leurs réflexions philosophiques. Et les propos qu’on peut railler pour leurs misérables inepties de bonnes femmes sont les leurs plus que les nôtres ! LIVRE V
Ainsi les hommes du Portique disent qu’après une période a lieu un embrasement de l’univers, et après lui, une ordonnance de l’univers tout à fait semblable à la précédente ordonnance. Ceux d’entre eux qui eurent honte de cette DOCTRINE ont bien admis un changement léger et tout à fait menu entre les événements d’une période et ceux de la précédente. Mais ces auteurs maintiennent qu’à la période suivante les choses seront pareilles : Socrate de nouveau sera fils de Sophronisque et athénien, et Phénarée, femme de Sophronisque, de nouveau l’enfantera. Donc, même s’ils n’emploient pas le terme de résurrection, ils en indiquent du moins la réalité en disant : Socrate de nouveau surgira, issu de la semence de Sophronisque, formé dans le sein de Phénarète ; après son éducation à Athènes, il s’adonnera à la philosophie qui, comme par une renaissance de sa philosophie antérieure, sera de même toute semblable à celle d’avant. De plus, Anytos comme Mélètos renaîtront eux aussi de nouveau comme accusateurs de Socrate, et le conseil de l’Aréopage condamnera Socrate. Et plus ridicule encore que cela, Socrate revêtira des habits tout semblables à ceux de la période précédente, et sera d’une pauvreté toute semblable, dans la ville d’Athènes toute semblable à celle de la période précédente. De nouveau Phalaris sera tyran, et son taureau d’airain mugira de la voix des victimes qui y sont enfermées, toutes semblables aux condamnés de la période précédente. Alexandre de Phères sera de nouveau tyran, avec une cruauté toute semblable à la précédente, et il condamnera les victimes toutes semblables aussi aux précédentes. Mais pourquoi faut-il que je passe en revue la DOCTRINE développée sur ces matières par les philosophes du Portique que Celse s’abstient de railler et peut-être qu’il vénère, puisque Zénon lui paraît plus sage que Jésus. LIVRE V
De plus, les disciples de Pythagore et de Platon, même s’ils semblent garder le monde incorruptible, tombent pourtant dans des aberrations analogues. Car les étoiles, après certaines périodes déterminées, prenant les mêmes positions et les mêmes relations mutuelles, toutes choses sur terre, assurent-ils, sont semblables à celles du moment où le monde comportait la même position relative des étoiles. D’après cette DOCTRINE, lorsque les étoiles après une longue période viennent à la même relation mutuelle qu’elles avaient au temps de Socrate, il est nécessaire que Socrate naisse de nouveau des mêmes parents, souffre les mêmes traitements, l’accusation d’Anytos et de Mélètos, la condamnation par le Conseil de l’Aréopage. De plus, les savants d’Egypte, parce qu’ils transmettent des DOCTRINEs pareilles, sont pour Celse et ses adeptes objet de vénération et non de raillerie. Et nous qui disons que l’univers est gouverné par Dieu, eu égard à la disposition des libertés de chacun, et autant que possible toujours conduit au mieux, qui savons que la nature de notre liberté est d’admettre des possibilités variées, car elle est incapable de recevoir l’immutabilité absolue de Dieu, ne paraissons-nous pas dire des choses dignes d’examen et de recherche ? Qu’on n’aille pas, à cause de cette explication, nous prendre pour ces gens qui, tout en se disant chrétiens, refusent la DOCTRINE des Écritures sur la résurrection ! En effet, dans la mesure où ils appliquent leurs principes, ils ne peuvent absolument pas prouver que « du grain de blé ou de quelque autre semence » ressuscite, pour ainsi dire, « un épi ou un arbre ». Mais nous, nous sommes persuadés que ce que l’on sème « ne reprend pas vie s’il ne meurt », et que « ce n’est pas le corps à venir » qui est semé. Car « Dieu lui donne un corps à son gré » : semé « dans la corruption, il le ressuscite « incorruptible », semé dans l’abjection, il le ressuscite « glorieux », semé « dans la faiblesse », il le ressuscite « plein de force », semé « corps psychique », il le ressuscite « corps spirituel ». Nous gardons et la DOCTRINE de l’Église du Christ et la grandeur de la promesse de Dieu. Que ce soit une chose possible, nous le prouvons non par une affirmation mais par un argument. Nous savons que même si le ciel et la terre avec tout ce qu’ils contiennent doivent passer, au contraire les paroles de chaque point de la DOCTRINE étant comme parties d’un tout ou espèces d’un genre, celles du Logos Dieu qui était « au commencement » Logos « près de Dieu », ne passeront nullement. Car il a dit et nous voulons l’entendre : « Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. » LIVRE V
A s’en tenir à la simplicité et au sens commun, la réponse donnée aux citations de Celse peut suffire. Mais je crois que certains esprits plus critiques liront ce traité ; je cours donc le risque de proposer des éléments de spéculation plus profonde, renfermant une théorie mystique et secrète sur l’attribution dès l’origine à différentes puissances tutélaires des différentes régions de la terre. Et je m’efforce de montrer autant que possible que notre DOCTRINE est exempte de cette suite d’absurdités. LIVRE V
Nous affirmons que Moïse, pour nous le prophète de Dieu et son véritable serviteur, retrace ainsi le partage des peuples de la terre dans le Cantique du Deutéronome : « Quand le Très-Haut divisait les nations, quand il répartissait les fils d’Adam, il fixa les limites des nations suivant le nombre d’anges de Dieu, mais le lot du Seigneur, ce fut son peuple Jacob, et le lot de son héritage Israël. » Sur la division des nations, le même Moïse, dans son livre de la Genèse, raconte sous la forme d’une histoire : « Et toute la terre n’avait qu’une langue, avec les mêmes mots pour tous. Et il advint que, se déplaçant du Levant, ils trouvèrent une plaine au pays de Sennaar et ils s’y établirent. » Et peu après : « Le Seigneur descendit voir la ville et la tour que les fils des hommes avaient bâtie. Et le Seigneur dit : ” Voici qu’ils ne forment qu’une seule race avec une seule langue pour tous. Ils ont commencé là leurs entreprises, et maintenant, ils n’auront de cesse qu’ils n’aient accompli tout ce qu’ils désirent. Allons ! Descendons ! Et là confondons leur langage, pour que chacun ne comprenne plus la parole de son voisin. ” Et le Seigneur les dispersa de là sur la face de toute la terre, et ils cessèrent de bâtir la ville et la tour. Voilà pourquoi on lui donna le nom de Confusion, car c’est là que le Seigneur confondit la langue de toute la terre, et c’est de là que le Seigneur les dispersa sur la face de toute la terre “. Dans le livre intitulé la Sagesse de Salomon traitant de la sagesse et de ceux qui vivaient lors de la confusion des langues, quand eut lieu le partage des peuples de la terre, il est ainsi parlé de la sagesse : « Et lorsque, unanimes en leur perversité, les nations eurent été confondues, c’est elle qui discerna le juste, le conserva sans reproche devant Dieu, et le garda fort contre sa tendresse pour son enfant.» Le sujet comporte une profonde DOCTRINE mystique à laquelle s’applique la parole : « Il est bon de cacher le secret du roi. » Il ne faut pas livrer aux oreilles profanes la DOCTRINE sur l’entrée des âmes dans le corps qui n’est pas due à la métensomatose ; il ne faut pas donner aux chiens les choses sacrées, ni jeter les perles aux pourceaux. Ce serait une impiété impliquant une trahison des secrets oracles de la sagesse de Dieu, d’après la belle sentence : « La sagesse n’entrera pas dans une âme perverse, elle n’habitera pas dans un corps tributaire du péché. » Pour les vérités cachées sous la forme d’une histoire, il suffît de les présenter selon la forme de cette histoire pour permettre à ceux qui le peuvent de dégager pour eux-mêmes la signification du passage. Qu’on se représente donc tous les peuples sur la terre, usant d’une même langue divine et, aussi longtemps du moins qu’ils vivent en accord les uns avec les autres, persistant à user de cette langue divine. Ils restent sans s’éloigner du Levant tant qu’ils ont l’esprit sensible aux effets de la lumière et du rayonnement « de la lumière éternelle ». Et quand, l’esprit rempli de préoccupations étrangères au Levant, ils se sont éloignés du Levant, ils trouvent « une plaine dans le pays de Sennaar », ce qui s’interprète ébranlement des dents pour indiquer symboliquement qu’ils ont perdu les moyens de se nourrir ; et ils y habitent. Ils veulent ensuite rassembler des matériaux et unir au ciel ce qui ne peut naturellement y être uni, pour conspirer avec la matière contre ce qui est immatériel. LIVRE V
Je veux montrer à quel point Celse déraisonne en disant que chacun doit rendre un culte aux dieux particuliers de son pays. Il dit que les Ethiopiens qui habitent Méroé connaissent deux seuls dieux, Zeus et Dionysos, les seuls qu’ils adorent ; que les Arabes de même n’en adorent que deux seuls, Dionysos comme les Ethiopiens, et Uranie qui leur est propre. Et d’après ce qu’il rapporte, ni les Ethiopiens n’adorent Uranie, ni les Arabes Zeus. Dès lors, qu’un Ethiopien se trouve d’aventure chez les Arabes, qu’on le juge impie pour son refus d’adorer Uranie et de ce chef qu’il risque sa vie, cet homme devra-t-il mourir ou violer ses traditions et adorer Uranie ? S’il a le devoir de violer ses traditions, il commettrait une impiété d’après les arguments de Celse. Mais s’il était conduit au supplice, que Celse montre qu’il est raisonnable de choisir la mort. Je ne sais si la DOCTRINE des Ethiopiens leur enseigne à philosopher sur l’immortalité de l’âme et la récompense due à la piété quand ils adorent, conformément aux lois traditionnelles, de prétendus dieux. On dirait la même chose pour des Arabes venus par hasard vivre parmi les Ethiopiens qui habitent autour de Méroé. Eux aussi, formés à l’adoration des seuls Uranie et Dionysos, refuseraient d’adorer Zeus avec les Ethiopiens. Si alors, considérés comme impies, ils étaient conduits au supplice, que devraient-ils faire d’après la raison, à Celse de le dire ! Détailler les mythes d’Osiris et d’Isis serait ici un hors d’oeuvre superflu. Même interprétés allégoriquement, ils nous enseigneraient à adorer l’eau inanimée et la terre que foulent les hommes et tous les animaux : c’est ainsi qu’ils font, je crois, d’Osiris l’eau et d’Isis la terre. De Sérapis il existe une histoire longue et incohérente : il fut introduit hier ou avant-hier par certains sortilèges de Ptolémée, désireux de le présenter aux Alexandrins comme un dieu visible. J’ai lu chez le Pythagoricien Noumenios, à propos de la nature de Sérapis, qu’il participerait à l’être de tous les animaux et végétaux régis par la nature. Il paraît ainsi avoir été établi comme dieu grâce aux mystères profanes et aux pratiques de sorcellerie qui évoquent les démons : ce n’était pas seulement le fait des sculpteurs mais aussi des magiciens, des sorciers et des démons que charment leurs incantations. LIVRE V
Voyons aussi les paroles suivantes de Celse, dont très peu concernent les chrétiens et la plupart concernent les Juifs : ” Si donc, en vertu de ce principe, les Juifs gardaient jalousement leur propre loi on ne saurait les blâmer, mais bien plutôt ceux qui ont abandonné leurs traditions pour adopter celles des Juifs. Mais s’ils veulent s’enorgueillir d’une sagesse plus profonde et fuir la société des autres qu’ils estiment moins purs, ils ont déjà la réponse : même leur DOCTRINE sur le ciel ne leur est pas propre, mais, pour omettre tous les autres exemples, c’était aussi depuis longtemps la DOCTRINE des Perses, comme l’indique quelque part Hérodote: « Ils ont coutume de monter sur les plus hauts sommets pour offrir des sacrifices à Zeus, appelant Zeus tout le cercle du ciel. » Or je pense qu’il est indifférent d’appeler Zeus Très-Haut, Zen, Adonaï, Sabaoth, Amon comme chez les Égyptiens, Papaeos comme les Scythes. Et certainement les Juifs ne sont pas plus saints que les autres peuples pour être circoncis : les Égyptiens et les Colchidiens l’ont été avant eux ; ni pour s’abstenir des porcs: ainsi font les Égyptiens qui s’abstiennent en outre des chèvres, des brebis, des b?ufs et des poissons ; ainsi font Pythagore et ses disciples qui s’abstiennent de fèves et de tout être animé vivant. Il n’est pas du tout vraisemblable qu’ils jouissent de la faveur et de l’amour de Dieu à un plus haut degré que les autres, ni que des anges soient envoyés du ciel à eux seuls, comme s’ils avaient obtenu en partage une terre de bienheureux: nous voyons assez quel traitement ils ont mérité eux et leur pays. LIVRE V
Qu’il était beau, chez eux, d’être instruit dès le plus jeune âge à s’élever au-dessus de toute la nature sensible, à penser que Dieu ne réside nulle part en elle, et à le chercher au-dessus et au delà des corps ! Qu’il était grand d’être instruit, presque dès la naissance et la formation de la raison, de l’immortalité de l’âme, des tribunaux souterrains, des récompenses méritées par une vie vertueuse ! Ces vérités étaient alors prêchées sous la forme d’histoire à des enfants, parce qu’ils avaient l’intelligence des enfants. Mais bientôt, pour ceux qui cherchaient la DOCTRINE et voulaient y progresser, les histoires de naguère se transfiguraient pour ainsi dire en laissant voir la vérité qu’elles renfermaient. Et je pense qu’ils ont mérité d’être appelés la part de l’héritage de Dieu pour avoir méprisé toute divination comme une vaine fascination des hommes, venant de démons pervers plutôt que d’une nature supérieure, et pour avoir cherché à connaître l’avenir auprès d’âmes qui avaient obtenu par leur extrême pureté l’esprit du Dieu suprême. Faut-il dire à quel point la loi interdisant aux Juifs de maintenir en esclavage plus de six ans un coreligionnaire est conforme à la raison, et cela sans injustice ni pour le maître ni pour l’esclave ? Si donc les Juifs doivent garder jalousement leur propre loi, ce n’est pas en vertu des mêmes principes que les autres peuples. Ils mériteraient le blâme et le reproche d’être insensibles à la supériorité de leurs lois, s’ils croyaient qu’elles ont été écrites de la même manière que les lois des autres peuples. Et, en dépit de Celse, les Juifs ont une sagesse plus profonde non seulement que celle de la foule, mais que celle des hommes qui passent pour philosophes, car les philosophes, après leurs sublimes raisonnements philosophiques s’abaissent jusqu’aux idoles et aux démons, tandis que même le dernier des Juifs attache son regard au seul Dieu suprême. Et ils ont bien raison, pour cela au moins, de se glorifier et d’éviter la société des autres qu’ils jugent souillés et impies. Plût au ciel qu’ils n’aient point péché par leurs transgressions, d’abord en tuant les prophètes, ensuite en conspirant contre Jésus ! Nous aurions en eux un modèle de la cité céleste que Platon a cherché lui-même à décrire ; mais je ne sais s’il aurait pu accomplir tout ce que réalisèrent Moïse et ses successeurs qui ont fait l’éducation d’une « race choisie », « d’une nation sainte » et consacrée à Dieu, par des DOCTRINEs exemptes de toute superstition. LIVRE V
Puisque Celse entend assimiler les lois sacrées des Juifs aux lois de certains peuples, qu’on me laisse examiner encore ce point. Il pense que la DOCTRINE sur le ciel n’est pas différente de la DOCTRINE sur Dieu, et il dit que les Perses, comme les Juifs, offrent des sacrifices à Zeus, en montant sur les plus hauts sommets. Il ne voit pas que les Juifs ne reconnaissent qu’un seul Dieu, et de même n’ont qu’une sainte maison de la prière, qu’un autel des holocaustes, qu’un encensoir pour l’encens, qu’un grand-prêtre de Dieu. Les Juifs n’avaient donc rien de commun avec les Perses qui montent sur les plus hauts sommets qui sont en grand nombre, et accomplissent des sacrifices qui n’ont rien de comparable à ceux de la loi mosaïque. D’après celle-ci, les prêtres juifs célébraient un culte « qui était l’image et l’ombre des réalités célestes », mais exposaient en secret la signification de la loi sur les sacrifices et les réalités dont ils étaient les figures. Que les Perses appellent donc Zeus tout le cercle du ciel ; pour nous, nous déclarons que le ciel n’est ni Zeus, ni Dieu, car nous savons qu’il y a aussi des êtres inférieurs à Dieu, élevés au-dessus des cieux et de toute nature sensible. Voilà dans quel sens nous comprenons les paroles : « Louez Dieu, cieux des cieux, et eaux par-dessus les cieux : qu’ils louent le nom du Seigneur ! » LIVRE V
Après avoir répondu, autant que possible, aux accusations portées par Celse contre les Juifs et leur DOCTRINE, qu’on me permette, à propos du passage qui suit, de prouver qu’il n’y a pour nous aucune arrogance à prétendre connaître le Grand Dieu, et que nous n’avons pas été séduits, comme le croit Celse, par l’imposture de Moïse ou de notre Sauveur lui-même. Et c’est pour notre bien que nous écoutons Dieu qui parle par Moïse, et sur son témoignage qu’il est Dieu, nous avons accepté Jésus comme Fils de Dieu. Et nous espérons les plus belles espérances quand nous vivons selon sa parole. LIVRE V
Il continue : Même si cet ange est venu aux hommes, fut-il le premier à venir et le seul, ou y en eut-il d’autres auparavant ? Et il pense répondre à chaque membre de l’alternative par plusieurs arguments. En fait, aucun véritable chrétien ne dit que le Christ est le seul à être venu visiter le genre humain. Mais comme si on répondait qu’il fut le seul, Celse réplique que d’autres sont apparus aux hommes. Ensuite, il se réfute lui-même à sa guise : ” On est bien loin de dire qu’il est le seul à être venu au genre humain. Même ceux qui sous prétexte d’enseigner au nom de Jésus se sont écartés du Créateur comme d’un être inférieur, et sont allés comme à un être supérieur au Dieu et Père de celui qui est venu, reconnaissent que même avant lui quelques-uns sont venus d’auprès du Créateur visiter le genre humain.” Examinant loyalement la question, je dirai qu’Apelles, le disciple de Marcion, qui devint l’auteur d’une hérésie et regarde comme un mythe les Ecritures juives, affirme que seul Jésus est venu visiter le genre humain. Donc, à son affirmation que Jésus est le seul à être venu aux hommes de la part de Dieu, Celse ne pourrait logiquement opposer que d’autres encore sont venus, puisque Apelles, comme on l’a déjà dit, ne croit pas aux Ecritures juives rapportant les miracles : à bien plus forte raison refusera-t-il d’admettre le passage que Celse paraît avoir cité du livre d’Enoch sans l’avoir compris. Personne donc ne nous convainc de mensonge et de contradiction, comme si nous disions que notre Sauveur est venu seul et que cependant il en est souvent venu d’autres. C’est avec une confusion totale, quand il discute la venue des anges vers les hommes, qu’il cite des passages obscurs tirés du livre d’Enoch. Il ne semble ni l’avoir lu, ni avoir su que le livre intitulé Enoch n’est pas généralement tenu pour divin dans les églises ; on pourrait cependant croire qu’il en a tiré l’affirmation : Il en est descendu à la fois soixante et soixante-dix qui se sont pervertis. Mais accordons-lui généreusement ce qu’il n’a pas découvert du livre de la Genèse : « Les fils de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles et prirent pour femmes celles qu’ils avaient choisies entre toutes. » Néanmoins à ce sujet je persuaderai ceux qui sont capables de comprendre l’intention du prophète que, selon un de nos prédécesseurs, le passage concerne la DOCTRINE des âmes qui se trouvaient désireuses de vivre dans un corps humain et que, selon lui, on appelle au figuré « filles des hommes ». Mais quoi qu’il en soit du passage sur les fils de Dieu qui désirèrent les filles des hommes, il ne fournit à Celse aucun appui pour soutenir que Jésus ne fut pas le seul à venir comme un ange auprès des hommes, lui qui manifestement est le Sauveur et le bienfaiteur de tous ceux qui se sont convertis du flot du vice. Puis, brouillant et confondant ce qu’il a appris on ne sait quand, dans on ne sait quel texte, que ce soit tenu ou non comme DOCTRINE divine par les chrétiens, il dit que ceux qui sont descendus à la fois soixante ou soixante-dix ont été en punition enchaînés sous terre. Et il cite apparemment Enoch, mais sans le nommer : D’où vient que les sources chaudes sont leurs larmes, ce que l’on ne dit ni n’entend dans les églises de Dieu. Car personne n’est assez stupide pour se représenter matériellement comme des larmes d’hommes les larmes des anges descendus du ciel. Et, s’il était permis de répondre par une plaisanterie au sérieux des objections de Celse contre nous, on pourrait dire : personne, parlant des sources chaudes, dont la plupart sont de l’eau douce, ne les appellerait des larmes d’anges, puisque les larmes sont naturellement salées ; à moins peut-être que les anges de Celse ne pleurent des larmes d’eau douce ! LIVRE V
Après cela il ajoute, je ne sais pourquoi, car j’ignore quel avantage il en espère pour son propos : Il vint un ange auprès de Joseph pour expliquer la grossesse de Marie, puis de nouveau pour les faire fuir en Egypte en arrachant le bébé au complot qui le menaçait. Ce point a été de même discuté plus haut dans mes répliques à ses attaques. Mais quelle est l’intention de Celse en objectant que, d’après le récit des Écritures, des anges furent envoyés à Moïse et aux autres ? Cela ne me semble être d’aucun appui à son propos, pour cette raison surtout qu’aucun d’eux n’a lutté de toutes ses forces pour détourner le genre humain de ses péchés. Il est vrai que d’autres encore ont été envoyés de Dieu et que Jésus eut un message d’une autre importance ; que les Juifs étant en train de commettre des fautes, de falsifier la religion, d’accomplir des actions impies, le Règne de Dieu a été remis à « d’autres vignerons »; à ceux qui partout prenant soin d’eux dans les églises mettent tout en oeuvre afin d’en amener d’autres encore suivant l’enseignement de Jésus, par une vie pure et une DOCTRINE en accord avec la vie, au Dieu de l’univers. LIVRE V
Celse ajoute encore :” C’est donc le même Dieu qu’ont les Juifs et ces gens-là, ” évidemment les chrétiens. Et comme s’il tirait une conclusion qu’on ne saurait lui accorder, il dit :” C’est bien ce que reconnaissent ouvertement ceux de la grande Église qui reçoivent pour véridique la tradition courante parmi les Juifs sur la création du monde, par exemple sur les six jours et sur le septième. Ce jour-là,” dit l’Écriture, ” Dieu arrêta ses travaux, se retirant dans la contemplation de lui-même. Celse, ne remarquant pas ou ne comprenant pas ce qui est écrit, traduit se reposa, ce qui n’est pas écrit. Mais la création du monde et le repos sabbatique réservé après elle au peuple de Dieu offrent matière à une DOCTRINE ample, profonde et difficile à expliquer. Il me paraît ensuite gonfler son livre et lui donner quelque importance en ajoutant des traits au hasard, par exemple l’histoire du premier homme que nous disons identique à celui que nommèrent les Juifs; et la généalogie de ses descendants que nous déterminons comme eux. Quant au complot que les frères ont ourdi l’un contre l’autre, je l’ignore. Je connais celui de Caïn contre Abel et celui d’Esaü contre Jacob. Mais il n’y en eut pas d’Abel contre Caïn, ni de Jacob contre Esaü. S’il y en avait eu, Celse aurait raison de dire que nous racontons après les Juifs les mêmes complots que les frères ont ourdis l’un contre l’autre. Accordons encore que nous parlons, eux et nous, de la même descente en Egypte, et du même exode de ce pays, et non pas d’une fuite comme pense Celse. Y a-t-il là de quoi fonder une accusation contre nous ou contre les Juifs ? Quand il pensait nous ridiculiser par l’histoire des Hébreux, il parlait de fuite ; mais quand il s’agissait d’examiner l’histoire des plaies que Dieu infligea à l’Egypte, il a préféré se taire. S’il faut préciser ma réponse à Celse, pour qui nous avons les mêmes opinions que les Juifs sur ces questions, je dirai : nous reconnaissons comme eux que ces livres ont été écrits par inspiration divine, mais nous ne sommes plus d’accord sur l’interprétation de leur contenu. Nous ne vivons pas comme les Juifs, car nous pensons que le sens de la législation dépasse l’interprétation littérale des lois. Et nous disons : « Toutes les fois que Moïse est lu, un voile est étendu sur leur c?ur », car l’intention de la loi de Moïse est cachée à ceux qui ne sont pas engagés avec ardeur sur la voie indiquée par Jésus-Christ. Nous savons que, « quand on se convertit au Seigneur – et le Seigneur c’est l’Esprit -, le voile » tombe ; l’on réfléchit pour ainsi dire comme en un miroir « à visage découvert la gloire du Seigneur » qui est dans les pensées cachées sous la lettre, et l’on participe pour sa propre gloire à ce qu’on appelle la gloire divine. Le mot visage, employé au figuré, est tout simplement ce qu’on pourrait dire entendement, et tel est le visage « selon l’homme intérieur », rempli de lumière et de gloire par la vérité contenue dans ces lois. LIVRE V
Celse poursuit : ” Qu’on n’aille pas imaginer que je l’ignore: certains d’entre eux conviendront qu’ils ont le même Dieu que les Juifs, mais les autres pensent qu’il y a un dieu différent auquel le premier est opposé, et de qui est venu le Fils “. S’il croit que l’existence de plusieurs sectes parmi les chrétiens constitue un grief contre le christianisme, pourquoi ne verrait-on pas un grief analogue contre la philosophie dans le désaccord entre les écoles philosophiques, non pas sur des matières légères sans importance mais sur les questions capitales ? Il faudrait aussi accuser la médecine à cause des écoles qu’elle présente. Admettons que certains d’entre nous nient que notre Dieu soit le même que le Dieu des Juifs : ce n’est pourtant pas une raison d’accuser ceux qui prouvent par les mêmes Écritures qu’il y a un seul et même Dieu pour les Juifs et les Gentils. Paul le dit clairement, lui qui est passé du judaïsme au christianisme : « Je rends grâces à mon Dieu que je sers comme mes ancêtres avec une conscience pure. » Admettons encore qu’il y ait une troisième espèce, ceux qui nomment les uns psychiques, les autres pneumatiques. Je pense qu’il veut parler des disciples de Valentin. Quelle conclusion en tirer contre nous qui appartenons à l’Église, et condamnons ceux qui imaginent des natures sauvées en vertu de leur constitution ou perdues en vertu de leur constitution ? Admettons même que certains se proclament Gnostiques, à la façon dont les Epicuriens se targuent d’être philosophes. Mais ceux qui nient la Providence ne peuvent être véritablement philosophes, ni ceux qui introduisent ces fictions étranges désavouées par les disciples de Jésus être des chrétiens. Admettons enfin que certains acceptent Jésus, et c’est pour cela qu’ils se vantent d’être chrétiens, mais ils veulent encore vivre selon la loi des Juifs comme la foule des Juifs. Ce sont les deux sortes d’Ébionites : ceux qui admettent comme nous que Jésus est né d’une vierge, ceux qui ne le croient pas né de cette manière mais comme le reste des hommes. Quel grief tirer de tout cela contre les membres de l’Église que Celse a nommés ceux de la foule ? Il ajoute : Parmi eux, il y a encore des Sibyllistes, peut-être pour avoir compris de travers des gens qui blâment ceux qui croient au don prophétique de la Sibylle et les ont appelés Sibyllistes. Puis, déversant sur nous une masse de noms, il déclare connaître encore certains Simoniens qui vénèrent Hélène ou Hélénos leur maître et sont appelés Héléniens. Celse ignore que les Simoniens refusent absolument de reconnaître Jésus comme Fils de Dieu : ils affirment que Simon est une puissance de Dieu et racontent les prodiges de cet homme qui, en simulant les prodiges analogues à ceux que Jésus avait simulés, selon lui, avait cru qu’il aurait autant de pouvoir sur les hommes que Jésus parmi la foule. Mais il était impossible à Celse comme à Simon de comprendre la manière dont Jésus a pu ensemencer, en bon « laboureur » de la parole de Dieu, la majeure partie de la Grèce et la majeure partie de la barbarie, et remplir ces pays des paroles qui détournent l’âme de tout mal et la font monter au Créateur de l’univers. Celse connaît encore les Marcelliniens disciples de Marcellina, les Harpocratiens disciples de Salomé, d’autres disciples de Mariamme et d’autres disciples de Marthe. Malgré mon zèle à l’étude, non seulement pour scruter le contenu de notre DOCTRINE dans la variété de ses aspects, mais encore, autant que possible, pour m’enquérir sincèrement des opinions des philosophes, je n’ai jamais rencontré ces gens-là. Celse mentionne encore les Marcionites qui mettent à leur tête Marcion. Ensuite, pour donner l’apparence qu’il en connaît encore d’autres que ceux qu’il a nommés, il généralise à son habitude : Certains ont trouvé comme maître un chef et un démon, d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans d’épaisses ténèbres à perpétrer plus d’impiétés et de souillures que les thyases d’Egypte. En effleurant le sujet, il me paraît bien avoir dit quelque chose de vrai : certains ont trouvé comme chef un démon, et d’autres un autre, et ils errent misérablement et se roulent dans les épaisses ténèbres de l’ignorance. Mais j’ai déjà parlé d’Antinoos qu’il compare à notre Jésus et je n’y reviendrai pas. LIVRE V
Celse a mal compris, me semble-t-il, cette parole de l’Apôtre : « Dans les derniers temps, certains s’écarteront de la foi pour s’attacher à des esprits trompeurs et à des DOCTRINEs diaboliques, séduits par des menteurs hypocrites marqués au fer rouge dans leur conscience : ils interdisent le mariage et l’usage d’aliments que Dieu a créés pour être pris avec actions de grâce par les croyants. » Il a mal compris encore les gens qui citent ces paroles de l’Apôtre contre ceux qui altèrent les vérités du christianisme ; aussi dit-il que, parmi les chrétiens, certains sont appelés les cautères de l’oreille. Il ajoute que d’autres sont nommés énigmes, chose dont je ne sais rien. Il est vrai que l’expression pierre de scandale est fréquente dans les Écritures : on a coutume de l’appliquer à ceux qui détournent de la saine DOCTRINE les esprits simples et faciles à berner. Ce que désigne les Sirènes danseuses et séductrices qui scellent à la cire les oreilles de ceux qui leur obéissent et changent leurs télés en têtes de porc, je ne le sais, pas plus que personne, j’imagine, parmi ceux de notre DOCTRINE ni ceux des sectes. LIVRE V
Et puisqu’il dit : Tous ces gens si radicalement séparés, on les entendra répéter : Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde, je vais le convaincre de mensonge. Il y a des sectes qui ne reçoivent pas les Epîtres de l’Apôtre Paul : les Ébionites des deux sortes et ceux qu’on appelle Encratites. Ils ne citent donc pas l’Apôtre comme un bienheureux et un sage et ne sauraient dire : « Le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde. » Voilà encore un mensonge de Celse. Il a beau insister dans son accusation contre la différence des sectes, il n’a, me semble-t-il, aucune idée claire de ce qu’il dit, il n’a même pas sérieusement examiné ni compris la raison pour laquelle les chrétiens avancés dans les Écritures prétendent connaître plus de choses que les Juifs. Veut-il dire que tout en admettant les mêmes livres que les Juifs, ils les interprètent en sens contraire, ou qu’ils refusent d’admettre les livres des Juifs ? On pourrait en effet trouver ces deux attitudes dans les sectes. Après quoi il déclare : Eh bien ! même si leur religion n’a aucun fondement, examinons la DOCTRINE elle-même. Il faut d’abord dire tout ce qu’ils ont mal compris et gâté par l’ignorance, la présomption les faisant aussitôt trancher à tort et à travers sur les principes en des matières qu’ils ne connaissent pas. En voici des exemples. Et aussitôt, à certaines expressions continuellement sur les lèvres de ceux qui croient à la DOCTRINE chrétienne, il en oppose d’autres tirées des philosophes ; il prétend que celles des DOCTRINEs dont il reconnaît la beauté chez les chrétiens ont été exprimées avec plus de beauté et de clarté chez les philosophes ; il veut par là entraîner à la philosophie ceux que captivent ces DOCTRINEs par elles-mêmes resplendissantes de beauté et de piété. Mais terminons ici même ce cinquième livre, et commençons le sixième avec le passage qui suit. LIVRE V
Loin de moi la pensée de critiquer Platon : de lui aussi la grande foule des hommes a retiré des avantages ; mais je veux mettre en lumière l’intention de ceux qui ont dit : « Ma DOCTRINE et ma prédication n’avaient rien des discours persuasifs de la sagesse ; c’était une démonstration de l’Esprit et de la puissance, afin que notre foi reposât non point sur la sagesse des hommes mais sur la puissance de Dieu. » Le divin Logos déclare que prononcer un mot, fut-il en lui-même vrai et très digne de foi, n’est pas suffisant pour toucher l’âme humaine sans une puissance donnée par Dieu à celui qui parle et une grâce qui rayonne dans ses paroles, véritable don de Dieu à ceux dont la parole est efficace. C’est bien ce que dit le prophète dans le psaume soixante-septième : « Le Seigneur donnera sa parole à ceux qui prêchent avec grande puissance. » LIVRE VI
Celse cite un autre passage de la Lettre de Platon: « Si j’avais jugé qu’on dût l’écrire et le dire pertinemment à l’adresse du grand public, qu’aurais-je pu accomplir de plus beau dans ma vie que de rendre à l’humanité le grand service de l’écrire et de mettre pour tous en lumière le fond des choses ? » Qu’on me permette de le discuter brièvement. D’abord, Platon a-t-il eu oui ou non une DOCTRINE plus sage que celle qu’il a écrite et plus divine que celle qu’il a laissée, je laisse à chacun le soin de le rechercher de son mieux. Mais je montre que nos prophètes aussi ont eu dans l’esprit des pensées trop élevées pour être écrites et qu’ils n’ont pas écrites. Ainsi, Ézéchiel prend « un volume roulé, écrit au recto et au verso, où étaient des lamentations, des gémissements et des plaintes » et, sur l’ordre du Logos il mange le livre, afin qu’il ne soit ni transcrit ni livré aux indignes. Et il est rapporté que Jean a vu et fait des choses semblables. De plus, Paul « entendit des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de prononcer ». Jésus, qui leur est supérieur à tous, comme il est dit, « expliquait à ses disciples en particulier » la parole de Dieu, surtout dans la solitude ; mais ses paroles n’ont pas été écrites. C’est qu’ils n’ont pas jugé devoir l’écrire et le dire pertinemment à l’adresse du grand public. Et s’il n’est pas outrecuidant de dire la vérité sur de tels génies, j’affirme que, recevant leurs pensées par une grâce de Dieu, ils voyaient mieux que Platon ce qu’on devait écrire et comment l’écrire et ce qu’on ne devait absolument pas écrire pour le grand public, ce qu’on devait dire et ce qui était d’un autre ordre. C’est encore Jean qui nous enseigne la différence entre ce qu’on doit écrire et ce qu’on ne doit pas écrire, quand il dit avoir entendu sept tonnerres l’instruire de certains points, mais lui interdire de transmettre leurs paroles par écrit. LIVRE VI
Déjà chez Moïse et les prophètes, antérieurs non seulement à Platon mais encore à Homère et à l’invention de l’alphabet chez les Grecs, on trouve bien des passages répondant à la grâce que Dieu leur avait donnée et pleins de pensées sublimes. Ils étaient loin d’avoir dit cela pour avoir compris Platon de travers, comme le croit Celse : comment eussent-ils pu entendre celui qui n’était pas encore né ? Et pour appliquer le mot de Celse aux apôtres de Jésus, plus récents que Platon, vois s’il n’est pas d’emblée invraisemblable de dire que Paul le fabricant de tentes, Pierre le pêcheur, Jean qui a laissé les filets de son père, aient transmis une telle DOCTRINE sur Dieu pour avoir compris de travers les propos de Platon dans ses Lettres. Et, bien que souvent déjà Celse ait répété que nous demandons une foi immédiate, il l’affirme encore comme une nouveauté qui s’ajouterait à ses propos antérieurs ; mais la réponse déjà faite suffit. LIVRE VI
Puisqu’il cite encore un autre passage de Platon où il déclare que c’est en procédant par questions et par réponses qu’il illumine l’intelligence des adeptes de sa philosophie, qu’on me laisse prouver par les saintes Écritures que le Logos divin aussi nous invite à la dialectique. Tantôt Salomon dit : « L’instruction sans examen égare »; tantôt Jésus fils de Sirach qui nous a laissé le livre de la Sagesse déclare : «Science de l’insensé, paroles inconsidérées ». Aussi y a-t-il plus de réfutations bienveillantes chez nous, qui avons appris que le maître de la DOCTRINE doit être capable de « réfuter les contradicteurs ». Et même s’il en est de nonchalants qui négligent de s’appliquer aux divines lectures, de scruter les Écritures et, suivant l’ordre de Jésus, de chercher le sens des Écritures, d’en demander à Dieu l’intelligence, de frapper à leurs portes closes, l’Écriture n’en est point pour autant vide de sagesse. LIVRE VI
Nous sommes donc loin de déclarer à tout venant : Crois d’abord que celui que je te présente est le fils de Dieu. Mais nous présentons la DOCTRINE à chacun sous la forme qui convient à son caractère et à ses dispositions, car nous avons appris « à savoir répondre à chacun comme il se doit ». Il en est qui ne peuvent recevoir plus que l’exhortation à croire : c’est ce que nous leur prêchons. Avec d’autres, autant que faire se peut, nous traitons « par questions et réponses ». Mais nous ne disons pas, comme Celse d’un ton railleur nous l’attribue : Crois que celui que je te présente est le fils de Dieu, malgré des liens honteux et un supplice infamant, et bien qu’hier ou avant-hier on l’ail traité avec la dernière des ignominies aux yeux de tous. Et nous n’ajoutons pas : Raison de plus pour croire. Car nous nous efforçons de fournir à chacun plus d’arguments même que ceux que j’ai cités plus haut. LIVRE VI
Celse dit ensuite : Les uns – il veut dire les chrétiens – proposent celui-ci, les autres celui-là, et tous n’ont à la bouche qu’un mot: « Crois si tu veux être sauvé ou va-t-en ! » Que feront donc ceux qui désirent vraiment être sauvés ? Est-ce à un coup de dés qu’ils devineront de quel côté se tourner et à qui s’attacher ? A cela, pressé par l’évidence même, je réponds : si l’histoire attestait qu’il y en ait eu plusieurs comme Jésus à venir à l’existence humaine en se disant fils de Dieu, et que chacun d’eux ait attiré assez de disciples pour que, tous se proclamant fils de Dieu, il y ait incertitude sur celui à qui va le témoignage de ses fidèles, il y aurait lieu de dire : les uns proposent celui-ci, les autres celui-là, et tous n’ont à la bouche que ce mot : « Crois si tu veux être sauvé, ou va-t-en ! » etc. Mais en fait par toute la terre Jésus est prêché comme le seul Fils de Dieu venu au genre humain. Car ceux qui, comme Celse, le soupçonnent d’avoir usé de prestiges, et pour ce motif ont voulu en user à leur tour pour jouir eux aussi de la même puissance sur les hommes ont été convaincus de n’être rien : Simon le magicien de Samarie et Dosithée originaire du même pays, l’un s’affirmant la puissance de Dieu qu’on nomme la Grande, l’autre se disant lui-même Fils de Dieu. En aucun lieu de la terre, il n’y a de Simoniens ; et cependant, pour accroître le nombre de ses disciples, Simon écartait d’eux le risque de mort que les chrétiens ont appris à choisir, car suivant sa DOCTRINE l’idolâtrie était chose indifférente. LIVRE VI
Et puis après cela, comme s’il avait entendu parler de la DOCTRINE de l’humilité sans avoir pris soin de la comprendre, Celse veut décrier la nôtre. Il croit que c’est une contrefaçon de ce que Platon dit quelque part dans les Lois : « Voici que Dieu, suivant l’antique tradition, tient en mains le commencement, la fin et le milieu de tout ce qui est et, par la droite voie de Nature, en achève le cycle. LIVRE VI
S’il en est qui, n’ayant pu voir clairement, dans leur simplicité, la DOCTRINE de l’humilité, se livrent à de pareilles pratiques, il ne faut pas mettre en cause l’Évangile, mais pardonner à la simplicité de ces gens qui, avec les meilleures intentions, n’arrivent point à les réaliser à cause de leur naïveté même. Plus que le sage humble et rangé de Platon, est humble et rangé le juste : rangé, parce qu’il marche dans des chemins sublimes et admirables qui le dépassent ; humble, parce que, tout en suivant ces chemins, il s’humilie volontairement, non sous un homme quelconque, mais « sous la puissante main de Dieu », grâce à Jésus qui enseigne ces DOCTRINEs : « Il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais s’anéantit lui-même, prenant condition de serviteur », « et s’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort et à la mort sur une croix. » Telle est la grandeur de la DOCTRINE de l’humilité que, pour nous l’enseigner, nous n’avons pas n’importe quel maître, mais notre puissant Sauveur lui-même qui déclare : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. » LIVRE VI
Celse dit ensuite : Pour avoir mal compris les expressions platoniciennes, certains chrétiens exaltent le Dieu supracéleste et s’élèvent au-dessus du ciel des Juifs. Mais il ne précise pas s’ils s’élèvent même au-dessus du Dieu des Juifs, ou seulement du ciel par lequel jurent les Juifs. Or, le sujet présent n’est point de parler de ceux qui annoncent un autre Dieu que celui qui est aussi adoré par les Juifs, mais de nous défendre et de montrer que les prophètes des Juifs, reconnus parmi nous, ne peuvent avoir appris quelque chose de Platon : car ils étaient plus anciens que lui. Nous n’avons pas non plus emprunté à Platon le passage : « Autour du Roi de l’univers gravitent toutes choses ; c’est pour lui qu’elles sont toutes. » Mais nous avons appris des prophètes une DOCTRINE mieux exprimée que celle-là ; car Jésus et ses disciples ont clairement expliqué l’intention de l’Esprit qui était dans les prophètes, et qui n’est autre que l’Esprit du Christ. Et le philosophe n’est pas le premier à parler d’un lieu supracéleste : depuis longtemps David avait noté la profondeur et l’abondance des pensées sur Dieu que possèdent ceux qui s’élèvent au-dessus du sensible, en disant au livre des Psaumes : « Louez Dieu, cieux des cieux, et eaux de dessus les cieux ; qu’ils louent le nom du Seigneur ! » LIVRE VI
Ensuite, pour faire étalage de son érudition dans le traité qu’il nous oppose, Celse évoque certains mystères des Perses : C’est encore ce que laissent entendre la DOCTRINE des Perses et l’initiation mithriaque pratiquée chez eux. Là une figure représente les deux orbites célestes, l’une fixe, l’autre assignée aux planètes, et le passage de l’âme à travers elles. Et voici la figure: une échelle à sept portes, surmontée d’une huitième. La première est de plomb, la seconde d’étain la troisième de bronze, la quatrième de fer, la cinquième d’un alliage, la sixième d’argent, la septième d’or. On attribue la première à Cronos, symbolisant par le plomb la lenteur de cet astre; la seconde à Aphrodite en lui comparant le brillant et la mollesse de l’étain; la troisième à Zeus, celle à la base de bronze et solide; la quatrième à Hermès, le fer ainsi qu’Hermès étant jugés endurcis à tous les travaux, utiles au commerce, d’une endurance à toute épreuve; la cinquième, provenant d’un alliage, inégale et variée, à Ares; la sixième, d’argent, à la lune, et la septième, d’or, au soleil, dont ils imitent les couleurs. LIVRE VI
La DOCTRINE de la Géhenne n’a été connue ni des auteurs du diagramme ni de Celse : les premiers n’auraient pas gravement tracé figure et diagramme comme s’ils établissaient par eux la vérité ; et Celse, dans son traité contre les chrétiens, n’eût pas introduit dans ses griefs contre eux des opinions qui ne sont nullement leur fait, mais celui de sectaires qui peut-être n’existent même plus et ont totalement disparu, ou encore qui subsistent en un tout petit nombre facile à compter. De même que les Platoniciens n’ont pas à faire l’apologie d’Épicure et de ses DOCTRINEs impies, ainsi n’avons-nous pas à la faire pour le diagramme et les critiques que Celse lui adresse. Aussi je laisse de côté tout ce qu’il en dit comme superficiel et vain : j’aurais des critiques plus graves que les siennes à formuler si j’avais affaire à ceux qui ont été conquis par de telles DOCTRINEs. LIVRE VI
Après cela, comme s’il oubliait son propos d’écrire contre les chrétiens, il déclare avoir ouï dire à un certain Denys d’Egypte, musicien, que les pratiques de la magie n’ont de pouvoir que sur les gens sans culture et aux moeurs corrompues, mais restent sans effet sur les philosophes parce qu’ils ont à coeur de mener une vie saine. S’il était question pour moi de discuter ici de magie, j’aurais à ajouter quelques remarques à ce que j’en ai dit plus haut ; mais puisqu’il faut répondre du mieux possible au traité de Celse, je dis : pour savoir si même les philosophes sont séduits ou non par la magie, il n’y a qu’à lire ce qu’a écrit Méragène des mémoires d’Apollonius de Tyane, mage et philosophe. L’auteur, non chrétien mais philosophe, a observé que certains philosophes de valeur, séduits par le pouvoir magique d’Apollonius, étaient venus à lui le regardant comme un sorcier ; de ce nombre il mentionne, je crois, le fameux Euphratès et un Epicurien. Mais nous, nous affirmons avec énergie et savons par expérience que ceux qui servent le Dieu suprême selon la DOCTRINE chrétienne et vivent en conformité avec son Évangile, s’acquittant des prières prescrites continuellement et avec la révérence exigée de nuit et de jour, ne sont séduits ni par la magie ni par les démons. Car en vérité, « l’ange du Seigneur établit ses tentes autour de ceux qui le craignent et il les protège » de tout mal. Et les anges des petits enfants de l’Église, préposés à leur garde, est-il dit, « voient sans cesse la face du Père qui est au ciel », quel que soit le sens du mot « face » et le sens du mot « voir ». LIVRE VI
Aussitôt après, il veut indiquer les énigmes que nous aurions mal comprises dans notre DOCTRINE sur Satan et il ajoute : Les Anciens parlent en termes énigmatiques d’une guerre divine. Héraclite s’exprime ainsi: « Il faut savoir que le conflit est communauté, la justice discorde, tout devient par discorde et par nécessité. » Et Phérécyde, bien plus ancien qu’Héraclite, raconte le mythe d’une armée rangée contre une armée, dont l’une a pour chef Cronos et l’autre Ophionée. Il narre leurs défis, leurs combats, la convention intervenue que celui des deux partis qui tomberait dans l’Océan serait vaincu, et celui qui l’aurait chassé et vaincu posséderait le ciel. Telle est, dit-il, la signification que renferment les mystères traitant de la guerre des Titans et des Géants contre les dieux, et en Egypte, les mystères de Typhon, Horus et Osiris. LIVRE VI
Après la citation, sans expliquer comment ces mythes contiennent une DOCTRINE supérieure, et comment nos DOCTRINEs les travestissent, il continue à nous injurier : Ces mythes ne sont pas la même chose que leur DOCTRINE du démon adversaire ou, dirait-on avec plus de vérité, du sorcier rival. Ainsi comprend-il encore Homère insinuant les mêmes vérités qu’Héraclite, Phérécyde, et ceux qui introduisent les mystères des Titans et des Géants, dans ces paroles d’Héphaïstos à Héra : « Une fois déjà j’ai voulu te défendre : il m’a pris par le pied et lancé loin du seuil sacré. » De même, dans ces paroles de Zeus à Héra : « As-tu donc oublié le jour où tu étais suspendue dans les airs. J’avais à les pieds accroché deux enclumes et jeté autour de tes mains une chaîne d’or infrangible; et tu étais là, suspendue en plein éther, en pleins nuages. LIVRE VI
Vois donc si manifestement il ne s’égare pas lui-même quand il nous accuse de nous égarer dans une impiété extrême très loin des énigmes divines : il n’a pas remarqué que les écrits de Moïse, bien antérieurs non seulement à Héraclite et Phérécyde mais encore à Homère, ont introduit la DOCTRINE de cet esprit pervers tombé du ciel. Car cette DOCTRINE est suggérée par l’histoire du serpent, origine de l’Ophionée de Phérécyde, serpent qui provoqua l’expulsion de l’homme du Paradis de Dieu : il avait trompé la femme en lui promettant la divinité et les biens supérieurs, et on nous dit que l’homme l’avait suivie. Et l’Exterminateur dont parle l’Exode de Moïse, quel autre peut-il être sinon celui qui cause la perte de ceux qui lui obéissent sans résister à sa malice ni la combattre ? Et le bouc émissaire du Lévitique, nommé par l’écriture hébraïque Azazel, c’est encore lui : il fallait que celui sur qui était tombé le sort fût chassé et offert en sacrifice expiatoire dans le désert ; tous ceux en effet qui par leur malice font partie du mauvais lot, ennemis de ceux qui forment l’héritage de Dieu, sont désertés de Dieu. Et « les fils de Bélial », dans les Juges, de quel autre sinon de lui sont-ils dits les fils à cause de leur perversité ? Outre tous ces exemples, dans le livre de Job, plus ancien que Moïse lui-même, il est dit clairement que « le diable » s’est présenté à Dieu et a demandé la puissance sur Job, afin de lui infliger de très lourdes épreuves : la première, la perte de tous ses biens et de ses enfants, la seconde, de couvrir tout le corps de Job d’une cruelle éléphantiasis, comme on appelle cette maladie». Je laisse de côté les récits évangéliques des tentations que le diable fit subir au Sauveur, je ne veux pas sembler prendre dans les Écritures plus récentes les arguments de la discussion avec Celse. Mais encore dans les dernières pages de Job, où du milieu de l’ouragan et des nuées le Seigneur adressa à Job le discours rapporté au livre qui porte son nom, il est possible de prendre plusieurs renseignements sur le dragon. Et je ne parle pas encore des indications tirées d’Ézéchiel, comme sur « Pharaon ou Nabuchodonosor » ou le prince de Tyr ; ou d’Isaïe où on se lamente sur le roi de Babylone ; on peut en tirer bien des renseignements sur la malice, son origine et son commencement, et la manière dont cette malice résulta de ce que certains êtres perdirent leurs ailes et prirent la suite du premier qui avait perdu ses ailes. LIVRE VI
Voilà quelques réflexions que j’ai eu l’audace et la témérité de confier à cet écrit inutilement peut-être. Si on avait le loisir, en examinant les saintes Écritures, de réunir en un seul corps la DOCTRINE partout éparse sur la malice, son origine, la manière dont elle est détruite, on verrait que la pensée de Moïse et des prophètes sur Satan n’a été aperçue même en songe ni par Celse ni par aucun de ceux dont l’âme est précipitée par ce démon mauvais et emportée loin de Dieu et de sa notion droite et loin de son Logos. LIVRE VI
Celse rejette encore notre DOCTRINE sur « l’Antéchrist », sans avoir lu ce qu’en disent Daniel et Paul, ni ce que le Sauveur prédit dans les Évangiles au sujet de sa Parousie; il faut en traiter brièvement. « Pas plus que ne se ressemblent leurs visages, les coeurs des hommes ne se ressemblent. » Il est clair que des différences peuvent se trouver entre les coeurs des hommes : soit entre ceux qui ont opté pour le bien, mais n’ont pas tous également et de même manière été marqués et transformés dans leur élan vers lui ; soit entre ceux qui méprisent le bien et se précipitent en sens contraire. Car parmi eux le débordement du vice est violent chez les uns et moindre chez les autres. LIVRE VI
Ensuite, en se bornant à les énoncer, il amasse les différences des opinions sur l’origine du monde et des hommes, soutenues par les Anciens et dit que Moïse et les prophètes qui ont laissé nos écrits, dans l’ignorance de la nature du monde et des hommes ont composé les pires balivernes. Or, s’il avait dit en quel sens les divines Écritures lui paraissent les pires balivernes, j’aurais essayé de réfuter les arguments plausibles qui lui semblaient prouver que ce sont là les pires balivernes. En fait, usant du même procédé, je dirai en badinant que Celse, dans son ignorance de la nature du sens et de la DOCTRINE chez les prophètes, a composé les pires balivernes, qu’il a intitulées par vantardise Discours véritable. LIVRE VI
Il n’y a pas lieu ici d’exposer la DOCTRINE sur les êtres intelligibles et les êtres sensibles, et la manière dont les natures des jours ont été réparties entre ces deux espèces, ni à examiner les textes en détail. LIVRE VI
Ensuite il mélange les sectes, je pense, et ne précise pas les DOCTRINEs d’une secte et celles d’une autre. Ce sont nos propres critiques à Marcion qu’il nous oppose ; peut-être les a-t-il mal comprises de la bouche de certains qui s’en prennent à la DOCTRINE d’une manière vulgaire et triviale, et assurément sans aucune intelligence. Il cite donc les attaques faites à Marcion et, omettant d’indiquer qu’il parle contre lui, il déclare : Pourquoi envoyer secrètement détruire les oeuvres du démiurge ? Pourquoi l’irruption clandestine, la séduction, la tromperie? Pourquoi ramener les âmes que, d’après vous, le démiurge a condamnées ou maudites, et les dérober comme un marchand d’esclave ? Pourquoi leur enseigner à se soustraire à leur Seigneur ? Pourquoi, à fuir leur Père ? Pourquoi les adopter contre la volonté du Père? Pourquoi se proclamer le Père d’enfants étrangers ? A quoi il ajoute, feignant la surprise : Le beau dieu, en vérité, qui désire être le père de pécheurs condamnés par un autre, d’indigents ou, comme ils disent eux-mêmes, de déchets ! Le dieu incapable de reprendre et de punir celui qu’il a envoyé pour les dérober ! Après quoi, comme s’il s’adressait à nous qui confessons que ce monde n’est pas l’oeuvre d’un dieu étranger ou hostile, il déclare : Si ces oeuvres sont de Dieu, comment pouvait-il créer le mal ? Comment est-il incapable de persuader, de réprimander ? Comment peut-il, quand les hommes sont devenus ingrats et pervers, se repentir, blâmer et haïr son oeuvre, menacer et détruire ses propres enfants ? Sinon, où donc peut-il les reléguer hors de ce monde qu’il a lui-même créé ? Là encore, faute d’élucider la question du mal, alors que même parmi les Grecs il y a plusieurs écoles sur le bien et le mal, il me semble bien faire une pétition de principe : de notre affirmation que même ce monde est l’oeuvre du Dieu suprême, il conclut que, d’après nous, Dieu serait l’auteur du mal. LIVRE VI
Mais, à prendre le terme au sens impropre de maux physiques et extérieurs, on accorde que parfois Dieu en crée un certain nombre qu’il fait servir à la conversion. Et qu’y a-t-il d’absurde dans cette DOCTRINE ? Si l’on entend par maux au sens impropre les peines qu’infligent les pères, les maîtres et les pédagogues à ceux qu’ils éduquent, ou les médecins à ceux qu’ils amputent ou cautérisent pour les guérir, on peut dire que le père fait mal à ses enfants comme les maîtres, les pédagogues ou les médecins, sans accuser le moins du monde ceux qui frappent ou qui amputent. Ainsi, la DOCTRINE n’a-t-elle rien d’absurde quand l’Écriture dit que Dieu applique de pareils traitements pour convertir et guérir ceux qui ont besoin de ces peines, ni quand elle dit que « les maux descendent d’auprès du Seigneur contre les portes de Jérusalem », puisque ces maux consistent dans des peines infligées par les ennemis pour la conversion ; ou qu’il châtie « avec la verge les iniquités » de ceux qui ont transgressé la loi de Dieu, et « leurs péchés avec les fouets » ; ou quand Dieu dit : « Tu as des charbons de feu ; assieds-toi sur eux, ce sera ton secours. » De cette manière aussi nous expliquons : « C’est moi qui fais la paix et qui crée le mal. » Il crée les maux physiques et extérieurs pour purifier et pour élever ceux qui ont refusé l’éducation par une DOCTRINE et un enseignement sains. Voilà pour répondre à sa question : Comment Dieu pouvait-il créer le mal ? LIVRE VI
Il est vrai que Dieu ne participe pas à l’être. Il est participé plutôt qu’il ne participe, et il est participé par ceux qui ont « l’Esprit de Dieu ». Et notre Sauveur ne participe pas à la justice mais, étant « justice », il est participé par les justes. Cependant il y aurait à élaborer une DOCTRINE profonde et ardue sur l’essence, surtout sur l’essence proprement dite, permanente et incorporelle ; et cela, pour découvrir si Dieu « est au delà de l’essence en dignité et en pouvoir » et fait participer à l’essence ceux qu’il rend participants selon son Logos et son Logos lui-même ; ou bien s’il est lui-même une essence, bien qu’il soit dit invisible par sa nature dans la parole qui affirme du Sauveur : « IL est l’image du Dieu invisible », et où ce mot « invisible » signifie qu’il est incorporel. Il resterait à chercher si le Fils unique, Premier-né de toute créature, doit être dit essence des essences, idée des idées, et principe, tandis que Dieu son Père est au-dessus de tout cela. LIVRE VI
Celse n’a donc pas compris la DOCTRINE sur l’Esprit de Dieu ; « l’homme psychique, en effet, n’accueille pas ce qui est de l’Esprit de Dieu : c’est folie pour lui et il ne peut le connaître, car c’est par l’Esprit qu’on en juge. » C’est pourquoi il tire cette conclusion gratuite que, en disant que Dieu est esprit nous n’avons sur ce point aucune différence avec les Stoïciens parmi les Grecs, qui affirment que Dieu est un esprit pénétrant tout et contenant tout en lui-même. Car la surveillance et la providence de Dieu s’étendent bien à tout, mais non pas comme l’esprit des Stoïciens. La providence contient tout ce à quoi elle pourvoit et elle le comprend, non pas à la manière d’un corps qui contient son contenu quand il est aussi un corps, mais comme une puissance divine qui comprend ce qu’elle contient. LIVRE VI
C’est donc par ignorance de la DOCTRINE sur l’Esprit de Dieu que Celse fait cette remarque vaine : Puisque le Fils est un esprit venu de Dieu né dans un corps humain, le Fils de Dieu lui-même ne peut être immortel. LIVRE VI
Il revient ensuite au système de Marcion déjà maintes fois abordé, et en donne un exposé en partie fidèle, en partie déformé. Il n’est pas nécessaire d’y répondre ou même de le réfuter. Il reprend à sa guise les arguments pour et contre Marcion, disant : Ils échappent à certaines critiques, mais tombent sous d’autres. Et quand il veut appuyer la DOCTRINE affirmant que Jésus a été prédit, pour attaquer Marcion et ses disciples il déclare sans ambages : Comment prouverait-on, après qu’il a enduré de pareils supplices, qu’il est le Fils de Dieu, à moins que ses souffrances n’aient été prédites ? LIVRE VI
Ce sont là, dira-t-il, des inventions qui ne diffèrent en rien des fables, tout comme les autres histoires des miracles de Jésus. A cela on a longuement répondu dans les pages qui précèdent. Mais la DOCTRINE a encore une signification plus mystérieuse : elle annonce que les différentes formes de Jésus étaient en relation avec la nature du Logos divin. Car il n’apparaît point de la même manière à la foule et à ceux qui sont capables de le suivre sur la haute montagne dont on a parlé. LIVRE VI
En outre la venue de Jésus, apparemment dans un seul coin de terre, avait ses raisons : il fallait que celui qui fut prophétisé vînt à ceux qui ont appris qu’il y a un seul Dieu, qui lisent ses prophètes et apprennent l’annonce du Christ et qu’il vînt au moment opportun où la DOCTRINE allait d’un seul coin se répandre sur toute la terre. Et c’est pourquoi il n’était pas besoin qu’il existât partout un grand nombre de corps et un grand nombre d’esprits tels que Jésus, pour que toute la terre des hommes fût illuminée par le Logos de Dieu. Il suffisait que le Logos unique « levé comme un soleil de justice », envoyât de la Judée ses rayons jusqu’aux âmes de ceux qui veulent l’accueillir Désire-t-on voir un grand nombre de corps remplis de l’esprit divin, à l’imitation de ce Christ unique, se dévouer en tous lieux au salut des hommes ? Que l’on considère ceux qui en tous lieux vivent dans la pureté et la droiture enseignent la DOCTRINE de Jésus, et sont eux aussi appelés « christs » par les divines Écritures : « Ne touchez pas à mes christs, ne faites point de mal à mes prophètes ! » LIVRE VI
J’ignore comment il a pu dire de Dieu : Bien qu’omniscient, il n’a pas su qu’il envoyait son Fils à des méchants qui allaient pécher et le punir. Il semble oublier ici volontairement notre DOCTRINE, qui tient que toutes les souffrances qu’endurerait le Christ Jésus, les prophètes de Dieu les ont vues d’avance par l’Esprit divin et les ont prédites. Ce que contredit son propos : Dieu n’a pas su qu’il envoyait son Fils à des méchants qui allaient pécher et le punir. Cependant il ajoute aussitôt que notre défense consiste à dire : Depuis longtemps c’était prédit. LIVRE VI
Il dit donc : Des oracles prononcés par la Pythie, les prêtresses de Dodone, le dieu de Claros, chez les Branchides, au temple d’Ammon, et par mille autres devins, sous l’impulsion desquels sans doute toute la terre a été colonisée, ils ne tiennent aucun compte. Au contraire, les prédictions des habitants de la Judée, faites à leur manière, dites réellement ou non, et suivant un usage encore en vigueur aujourd’hui chez les gens de Phénicie et de Palestine, voilà ce qui leur paraît merveilleux et irréfragable ! A propos des oracles énumérés, disons qu’on pourrait tirer d’Aristote et des Péripatéticiens bien des arguments pour ruiner son estime de la Pythie et des autres oracles. On pourrait aussi, en citant les paroles d’Épicure et de ceux qui ont embrassé sa DOCTRINE sur ce point, montrer que même des Grecs rejettent les oracles reçus et admirés dans toute la Grèce. Mais accordons que les réponses de la Pythie et des autres oracles ne sont pas l’invention de gens qui simulent l’inspiration divine. Et voyons si, même dans ce cas, à l’examen sincère des faits, on ne peut pas montrer que, tout en acceptant ces oracles, on n’est pas contraint d’y reconnaître la présence de certains dieux. Ce sont au contraire des mauvais démons et des esprits hostiles au genre humain qui empêchent l’âme de s’élever, de marcher sur le chemin de la vertu et de rétablir la piété véritable envers Dieu. Ainsi on rapporte de la Pythie, dont l’éclat semble éclipser tous les oracles, qu’assise auprès de la crevasse de Castalie, la prophétesse d’Apollon en reçoit un esprit par ses organes féminins ; et quand elle en est remplie, elle débite ce qu’on regarde comme de vénérables oracles divins. Ne voilà-t-il point la preuve du caractère impur et vicié de cet esprit ? Il s’insinue dans l’âme de la devineresse non par des pores clairsemés et imperceptibles, bien plus purs que les organes féminins, mais par ce qu’il n’est point permis à l’homme chaste de regarder et encore moins de toucher. Et cela non pas une ou deux fois, ce qui peut-être eût paru admissible, mais autant de fois qu’on croit qu’elle prophétise sous l’influence d’Apollon. Bien plus, ce passage à l’extase et à la frénésie de la prétendue prophétesse, allant jusqu’à la perte de toute conscience d’elle-même, n’est pas l’?uvre de l’Esprit divin. La personne que saisit l’Esprit divin devrait en effet, bien avant quiconque, apprendre de ses oracles ce qui sert à mener une vie modérée et conforme à la nature, en retirer la première de l’aide pour son utilité ou son avantage et se trouver plus perspicace, surtout au moment où la divinité s’unit à elle. LIVRE VI
Je ne sais du reste pourquoi à ses mots, les prédictions des habitants de la Judée, faites à leur manière, Celse ajoute : dites réellement ou non ; comme si, dans son incrédulité, il affirmait qu’il est possible qu’elles n’aient pas même été dites et qu’on a peut-être écrit ce qui n’a pas été dit. Il ignorait les dates et ne savait pas que, faisant mille prédictions bien des années auparavant, ils ont aussi parlé de la venue du Christ. Il ajoute, dans le dessein de jeter le discrédit sur les anciens prophètes, qu’ils ont prédit suivant un usage encore en vigueur aujourd’hui chez les gens de Phénicie et de Palestine. Il n’a pas montré s’il parle de gens étrangers à la DOCTRINE des Juifs et des chrétiens, ou de gens qui prophétisent à la manière juive dans le style des prophètes. Mais quoi qu’il veuille dire, on le convainc de mensonge. LIVRE VI
Il semble bien par ces mots avoir soupçonné la force de persuasion qu’aurait pour les auditeurs l’argument que Jésus a été prophétisé, et il essaie d’en ruiner la valeur par une autre raison plausible en affirmant : On n’a donc point à examiner s’ils l’ont prédit ou non. Or s’il voulait opposer à l’affirmation une raison non point captieuse mais apodictique, il aurait dû dire : il faut donc prouver qu’ils n’ont pas prédit, ou que les prophéties sur le Christ n’ont pas été accomplies en Jésus comme ils l’ont prédit, et il aurait dû ajouter la preuve qui lui semblait bonne. Ainsi on aurait vu ce que disent les prophéties que nous rapportons à Jésus et la manière dont il réfute notre interprétation ; et on aurait reconnu s’il réfute honnêtement les textes de prophètes que nous appliquons à la DOCTRINE sur Jésus, ou s’il est surpris à vouloir impudemment faire violence à la vérité évidente comme si elle n’était pas la vérité. LIVRE VI
Il n’y a donc qu’un point où Celse dise la vérité : Mais les prophètes n’ont pu le prédire : c’est un mal et une impiété. Que veut-il dire d’autre sinon que le grand Dieu subirait l’esclavage et la mort ? Au contraire, elle est bien digne de Dieu l’annonce faite par les prophètes qu’une certaine « splendeur et image » » de la nature divine viendrait vivre associée à l’âme sainte de Jésus qui prend un corps humain, afin de répandre une DOCTRINE faisant participer à l’amitié du Dieu de l’univers quiconque la recevrait et cultiverait dans son âme, et amenant tout homme à la fin, à condition qu’il garde en soi-même la puissance de ce Dieu Logos qui devait habiter dans un corps et une âme d’homme. De cette façon, ses rayons ne seraient pas enfermés en lui seul et on ne pourrait penser que la lumière source de ces rayons, le Dieu Logos, n’existe nulle part ailleurs. LIVRE VI
Celse, qui prétend tout savoir, tombe ici dans une erreur fort grossière à propos du sens des Écritures. Il croit que dans la Loi et les Prophètes il n’y a pas de DOCTRINE plus profonde que le sens littéral des expressions. C’est faute de voir que le Logos n’aurait pu promettre de façon si manifestement invraisemblable la richesse matérielle à qui mène une vie vertueuse : car on peut montrer que des gens très justes ont vécu dans une pauvreté extrême. Ainsi les prophètes, que la pureté de leur vie avait disposés à recevoir l’Esprit divin, « ont mené une vie vagabonde, vêtus de peaux de moutons ou de chèvres, dénués de tout, persécutés, maltraités, errant dans les déserts, les montagnes, les cavernes et les antres de la terre ». Car au dire du Psalmiste « innombrables sont les tribulations des justes ». LIVRE VI
De la même manière que la richesse, on doit interpréter la puissance qui permet, au dire de l’Écriture, à un juste de poursuivre un millier d’ennemis, et à deux de mettre en fuite des myriades. Si tel est le sens des paroles sur la richesse, vois s’il n’est pas conforme à la promesse de Dieu que l’homme qui est riche en toute DOCTRINE, toute science, toute sagesse, toute ?uvre bonne puisse prêter de sa richesse en DOCTRINE, en sagesse, en science, à de nombreuses nations, ainsi que put faire Paul à toutes les nations qu’il avait visitées quand il rayonna de Jérusalem jusqu’en Illyrie, menant à bien la prédication de l’Évangile du Christ. Comme son âme se trouvait illuminée par la divinité du Logos, les secrets divins se faisaient connaître à lui par révélation : il n’empruntait rien et n’avait nul besoin qu’on lui transmît la DOCTRINE. LIVRE VI
Parce qu’elle est maudite, toute la terre « produira des épines et des chardons tous les jours de la vie » pour quiconque en Adam a été chassé du paradis terrestre ; et tout homme mange son pain « à la sueur de son visage jusqu’à ce qu’il retourne à la terre d’où il a été tiré. » Tout ce passage contient une ample DOCTRINE qu’on peut élaborer pour en élucider les termes. Mais ici je me contenterai de brèves remarques, pour réfuter l’erreur qui applique à la terre de Judée ce qui est dit de la bonne terre promise par Dieu aux justes. LIVRE VI
Mon propos était uniquement de montrer que notre DOCTRINE sur la terre sainte ne doit rien aux Grecs ni à Platon. Ce sont eux qui, venus bien après le très ancien Moïse et même la plupart des prophètes, ont ainsi parlé de la terre supérieure, soit qu’ils aient mal compris certains termes énigmatiques employés par eux à ce sujet, soit qu’ils aient lu et plagié les saintes Écritures. Bien plus, Aggée établit une distinction manifeste entre le sol ferme et la terre, en appelant sol ferme cette terre que nous foulons. Il dit : « Une fois encore j’ébranlerai le ciel et la terre, le sol ferme et la mer. » LIVRE VI
Celse renvoie à plus tard l’explication du mythe de Platon qui se trouve dans le Phédon : Mais que veut-il indiquer par là ? Il n’est pas facile à tout le monde de le savoir, à moins qu’on puisse comprendre ce que signifie ce qu’il dit : « La faiblesse et la lenteur nous rendent incapables de parvenir à la limite de l’air ; si notre nature était capable de soutenir cette contemplation, on reconnaîtrait là le vrai ciel et la véritable lumière. » A son exemple moi aussi, pensant qu’il n’est pas de mon propos actuel d’élucider le thème de la terre sainte et bonne, de la cité de Dieu qui s’y trouve, je renvoie aux Commentaires des prophètes, ayant en partie expliqué autant que je pouvais la cité de Dieu dans mes études sur le quarante-cinquième et le quarante-septième psaumes. Mais la très ancienne DOCTRINE de Moïse et des prophètes savait que les réalités véritables ont toutes le même nom que les choses plus communes d’ici-bas : par exemple, il y a une lumière véritable et un ciel qui est différent du firmament, et le soleil de justice est autre que le soleil sensible. Bref, en contraste avec les choses sensibles dont aucune n’est véritable, elle déclare : « Dieu dont les ?uvres sont véritables » ; elle met au rang des réalités véritables les ?uvres de Dieu, et au rang des choses inférieures « les ?uvres de ses mains ». LIVRE VI
Celse n’a pas compris notre DOCTRINE de la résurrection, DOCTRINE riche, difficile à exposer, requérant plus qu’aucune autre un interprète fort avancé pour montrer combien cette DOCTRINE est digne de Dieu et sublime : d’après elle, il y a une raison séminale dans ce que l’Écriture appelle la tente de l’âme, dans laquelle les justes gémissent accablés ; et ils voudraient non « s’en dévêtir, mais revêtir par-dessus un autre vêtement ». Celse, parce qu’il en a entendu parler par des gens simples, incapables de l’étayer d’aucune raison, tourne en dérision ce qu’on affirme. Il sera utile d’ajouter à ce que j’en ai dit plus haut cette simple observation sur la DOCTRINE : ce n’est pas, comme le croit Celse, pour avoir compris de travers la DOCTRINE de la métensomatose que nous parlons de résurrection; c’est parce que nous savons que l’âme, qui par sa propre nature est incorporelle et invisible, a besoin, lorsqu’elle se trouve dans un lieu corporel quelconque, d’un corps approprié par sa nature à ce lieu. Ce corps, elle le porte d’abord après avoir quitté le vêtement autrefois nécessaire, mais superflu pour un second état, ensuite après l’avoir revêtu au-dessus de celui qu’elle avait d’abord, parce qu’elle a besoin d’un vêtement meilleur pour parvenir aux régions plus pures, éthérées et célestes. Elle a quitté, en naissant au monde, le placenta qui était utile à sa formation dans le sein de sa mère tant qu’elle y était ; elle a revêtu sous lui ce qui était nécessaire à un être qui allait vivre sur terre. LIVRE VI
De plus, comme il y a une demeure terrestre de la tente, qui est nécessaire en quelque sorte à la tente, les Écritures déclarent que la demeure terrestre de la tente sera détruite, mais que la tente revêtira « une demeure qui n’est pas faite de main d’homme, éternelle dans le ciel ». Et les hommes de Dieu disent : « Cet être corruptible revêtira l’incorruptibilité », qui est différente de ce qui est incorruptible, « cet être mortel revêtira l’immortalité », qui est autre que ce qui est immortel. En effet, le même rapport que la sagesse a avec ce qui est sage, la justice avec ce qui est juste, la paix avec ce qui est pacifique, existe également entre l’incorruptibilité et ce qui est incorruptible, entre l’immortalité et ce qui est immortel. Vois donc à quoi nous exhorte l’Écriture en disant que nous revêtirons l’incorruptibilité et l’immortalité ; comme des vêtements pour celui qui en a été revêtu et qui en est entouré, elles ne permettent pas que celui qui en est enveloppé subisse la corruption ou la mort. Voilà ce que j’ai osé dire parce qu’il n’a pas compris ce qu’on entend par la résurrection, et qu’il en prend occasion pour tourner en dérision une DOCTRINE qu’il ne connaît pas. LIVRE VI
Que Celse n’ait pas su la différence entre la position des chrétiens et celle des inventeurs de ces fables, qu’il pense que les griefs à leur faire s’appliquent à nous et qu’il nous les oppose sans qu’ils nous concernent, ressort clairement de ces mots : voilà donc la grande imposture, et ces conseillers admirables, et les paroles merveilleuses à l’adresse du lion, de l’amphibie à tête d’âne, et des autres portiers divins dont vous avez misérablement appris les noms par coeur, pour lesquels, ô infortunés, on vous tourmente cruellement, on vous traîne au supplice, on vous crucifie ! A coup sûr il ignore qu’aucun de ceux qui prennent pour les portiers de la voie montante les démons à forme de lion et à tête d’âne, et l’amphibie, ne résiste jusqu’à la mort, même pour ce qui lui paraît la vérité. Mais l’excès de piété pour ainsi dire qui nous livre à tout genre de mort et à la crucifixion, il l’attribue à ceux qui ne supportent rien de pareil. Et c’est à nous qui sommes crucifiés pour la religion qu’il reproche leur fable de démons à figure de lion, d’amphibie et autres. Ce n’est pas Celse qui nous détourne de cette DOCTRINE sur le démon à forme de lion et autres : jamais nous n’avons rien admis de pareil. C’est à l’enseignement de Jésus que nous nous conformons en disant le contraire de ce qu’ils disent, et en refusant d’admettre que Michel, ou aucun de ceux qui viennent d’être énumérés ait une telle forme de visage. LIVRE VI
Mais voyons ce qu’il prétend nous enseigner, si jamais nous sommes capables de le suivre, quand il nous déclare étroitement rivés à la chair, alors que, si nous menons une vie droite suivant la DOCTRINE de Jésus, nous écoutons la parole : « Vous n’êtes pas dans la chair, mais dans l’Esprit, si vraiment l’Esprit de Dieu habite en vous. » Il ajoute que notre regard n’a rien de pur, nous qui cependant nous efforçons jusque dans nos pensées d’éviter la souillure des suggestions du mal et disons dans notre prière : « Mon Dieu, crée en moi un coeur pur, et renouvelle au-dedans de moi un esprit droit », afin de pouvoir contempler Dieu d’un coeur pur, le seul qui soit capable de le voir. LIVRE VI
Mais ceux qu’ils méprisent pour leur manque de culture et qu’ils traitent de fous et d’esclaves, du seul fait qu’ils se confient à Dieu après avoir reçu l’enseignement de Jésus, s’abstiennent de l’immoralité, de l’impureté et de toute l’indécence de l’union charnelle, au point que, comme les prêtres parfaits qui se sont interdits toute union, beaucoup d’entre eux se tiennent non seulement à l’écart de toute relation charnelle, mais dans une pureté parfaite. Sans doute chez les Athéniens il y a un hiérophante qui, se jugeant incapable de maîtriser sa virilité et de la dominer à sa guise, amortit par la ciguë sa virilité, et qu’on juge assez pur pour vaquer au culte traditionnel des Athéniens. Mais chez les chrétiens on peut voir des hommes qui n’ont pas besoin de ciguë pour servir Dieu dans la pureté ; au lieu de la ciguë, il leur suffit de la DOCTRINE pour qu’ils servent Dieu dans la prière et chassent de leur pensée toute convoitise. Auprès des autres dieux prétendus, des vierges en tout petit nombre, gardées ou non par des hommes, il n’y a pas lieu de le chercher ici, semblent passer leur vie dans la pureté pour honorer la divinité. Chez les chrétiens, ce n’est pas les honneurs humains, ri un salaire ou des dons en argent, ni la gloriole qui leur font observer une virginité parfaite ; et comme « elles se sont plu à retenir la vraie connaissance de Dieu », Dieu les garde dans un esprit qui lui plaît et « pour faire ce qui convient », remplies de toute justice et toute bonté. LIVRE VI
Celse n’a donc pas expliqué comment l’erreur accompagne la génération, ni montré ce qu’il voulait dire pour que nous le comprenions en confrontant ses idées avec les nôtres. Mais les prophètes suggèrent une sage DOCTRINE sur le sujet de la génération : ils disent qu’un sacrifice « pour le péché » est offert même pour les nouveau-nés, parce qu’ils ne sont pas purs de péché. LIVRE VI
C’est sans doute qu’il n’y a aucune différence entre faire du tort aux autres et commettre l’injustice ? Tu dis vrai. Il ne faut donc ni répondre à l’injustice par l’injustice, ni faire tort à personne quoi qu’on en subisse ? » Tel est l’avis de Platon. Et il reprend : « Examine donc bien, toi aussi, avec attention, si tu es de mon sentiment et partages mon avis, et si, dans notre délibération, nous parlons de ce principe qu’il n’est jamais bien ni de commettre l’injustice, ni de répondre à l’injustice par l’injustice, ni de résister au tort en rendant le mal pour le mal. Ou bien cesses-tu d’être d’accord et de même sentiment sur le principe ? Pour moi, c’est depuis longtemps mon avis, et je le tiens aujourd’hui encore. » Telle est donc la DOCTRINE de Platon. Et déjà auparavant elle avait été soutenue par des hommes divins. Mais sur ce point, comme sur les autres qu’ils altèrent, il faut s’en tenir à ce qui vient d’être dit. Qui désire en chercher d’autres exemples les trouvera. LIVRE VI
Sur cette maxime et toutes les autres citées par Celse qui, ne pouvant résister à leur vérité, affirme qu’elles avaient été dites par les Grecs, voici ce qu’il faut dire. Que la DOCTRINE soit bienfaisante et de sens raisonnable, qu’elle soit enseignée chez les Grecs par Platon ou l’un de leurs sages, chez les Juifs par Moïse ou l’un des prophètes, chez les chrétiens dans les paroles évangéliques de Jésus ou les discours des apôtres : on ne doit pas juger blâmable une affirmation des Juifs et des chrétiens du fait qu’elle a été dite aussi chez les Grecs, surtout quand est démontrée l’antériorité des écrits des Juifs par rapport à ceux des Grecs. On ne doit pas juger non plus la même DOCTRINE revêtue de la beauté du style grec absolument supérieure à celle qui est énoncée dans un style plus vulgaire et en des termes plus simples chez les Juifs et chez les chrétiens. Cependant, le texte original des Juifs dans lequel les prophètes nous ont laissé leurs livres a été écrit en langue hébraïque avec l’art de composition littéraire de leur langue. LIVRE VI
Cet exemple bien compris, il faut l’appliquer à la qualité de la nourriture spirituelle des êtres raisonnables. Vois si Platon et les sages de la Grèce avec leurs belles sentences ne ressemblent pas aux médecins qui ont réservé leur sollicitude aux gens qui passent pour distingués et méprisé la foule des hommes. Au contraire, les prophètes de Judée et les disciples de Jésus ont renoncé à l’art de la composition littéraire et, comme dit l’Écriture faisant allusion au langage, « à la sagesse des hommes, à la sagesse charnelle » : ils sont comparables à des gens qui ont eu soin de préparer et d’apprêter des aliments très sains de la même qualité, grâce à une composition littéraire à la portée des foules humaines, non étrangère à leur langage, qui ne les détourne pas, pour une étrangeté et un caractère insolite, d’écouter de tels entretiens. Puisqu’on effet le but des aliments spirituels, si je puis dire, est de rendre endurant et doux celui qui les consomme, comment ne pas considérer une DOCTRINE qui produit dans les foules endurance et douceur, ou du moins progrès vers ces vertus, comme mieux apprêtée que celle qui ne les donne, en admettant qu’elle les donne, qu’à fort peu de personnes dont le compte est facile. LIVRE VI
Si Platon avait voulu aider par de saines DOCTRINEs ceux qui parlent l’égyptien ou le syrien, il aurait pris soin d’avance, étant Grec, d’apprendre les langues de ses auditeurs et, selon l’expression des Grecs, de parler barbare pour rendre meilleurs les Égyptiens et les Syriens, plutôt que de ne pouvoir, restant Grec, rien dire d’utile aux Égyptiens et aux Syriens. De même la nature divine, qui pourvoyait d’avance au bien non seulement de ceux qu’on regardait comme formés à la culture grecque, mais aussi du reste des hommes, a condescendu à l’ignorance des foules d’auditeurs. Ainsi, usant de tours qui leur sont familiers, elle a gagné l’audience de la foule des simples : ils pourront aisément, une fois leur initiation faite, aspirer à saisir jusqu’aux plus profondes pensées cachées dans les Écritures. Car il est clair, même à une première lecture, que bien des passages peuvent comporter un sens plus profond que celui qui apparaît d’emblée. Ce sens devient clair à ceux qui se vouent à l’examen de la DOCTRINE, et d’une clarté proportionnée à l’étude qu’on fait de la DOCTRINE et du zèle qu’on met à la pratiquer. LIVRE VI
Il est donc bien établi qu’en disant en termes plus vulgaires, d’après Celse : « Si on te frappe une joue, présente encore l’autre » ; « Si on veut te citer en justice et prendre ta tunique, laisse encore ton manteau », Jésus a traduit et présenté sa DOCTRINE d’une manière plus utile à la vie sous cette forme que sous la forme que Platon lui donne dans le Criton. Car loin d’être à la portée des simples, Platon est à peine compris de ceux qui ont reçu la culture générale avant d’aborder la vénérable philosophie des Grecs. Il faut noter aussi que le sens de cette endurance n’est pas altéré par la vulgarité des expressions de Jésus, mais que là encore Celse calomnie l’Écriture quand il dit : Mais sur ce point, comme sur les autres qu’ils altèrent, il faut s’en tenir à ce qui vient d’être dit. Qui désire en chercher d’autres exemples les trouvera. LIVRE VI
Ensuite Celse dit des chrétiens : Ils conviendront bien que ces statues sont destinées à honorer certains êtres semblables ou différents de forme, mais ils pensent que ces êtres à qui elles sont consacrées ne sont pas des dieux, mais des démons, et qu’on ne doit pas rendre un culte aux démons quand on adore Dieu. Mais s’il avait connu la DOCTRINE sur les démons et ce que chacun exécute, évoqué par les gens experts dans cet art ou se livrant volontairement à l’activité qu’il désire et peut exécuter, et s’il avait pénétré cette DOCTRINE sur les démons ample et difficile à comprendre à la nature humaine, il ne nous aurait pas fait grief de soutenir qu’on ne doit pas rendre un culte aux démons quand on adore le Dieu suprême. Nous sommes même si loin de rendre un culte aux démons que par des prières et des formules tirées des saintes Écritures nous les chassons des âmes humaines, des lieux où ils sont établis, et parfois même des animaux ; car souvent les démons travaillent à leur perte. LIVRE VI
Sa justification nous conduit à une profonde et mystérieuse DOCTRINE au sujet des dieux et des seigneurs. Car la divine Écriture sait que le souverain Seigneur est « au-dessus de tous les dieux ». Par le mot dieux, nous n’entendons pas ceux qui sont adorés par les païens, car nous avons appris que « tous les dieux des païens sont des démons. » Il s’agit de dieux qui, d’après la parole prophétique, forment une sorte d’assemblée : le Dieu suprême les juge, assignant à chacun son ” oeuvre propre. Car « Dieu se tient dans l’assemblée des dieux, et au milieu d’eux il jugera les dieux. » De plus, « le Seigneur est Dieu des dieux », c’est lui qui, par son Fils « a appelé la terre du levant au couchant » ; et nous avons l’ordre de « confesser le Dieu des dieux », sachant aussi que Dieu « n’est pas le Dieu des morts mais des vivants ». Voilà ce qu’affirment non seulement ces passages mais encore une infinité d’autres. LIVRE VIII
Telles sont les idées concernant le Seigneur et les seigneurs que les divines Écritures proposent à notre recherche et à notre réflexion, disant ici : « Célébrez le Dieu des dieux, car sa pitié est éternelle, célébrez le Seigneur des seigneurs », et là : « Dieu est Roi des rois et Seigneur des seigneurs ». Et l’Écriture distingue les prétendus dieux de ceux qui le sont en effet, qu’ils en aient ou non le titre. Paul enseigne la même DOCTRINE sur les seigneurs authentiques ou non : « Bien qu’il y ait au ciel et sur la terre de prétendus dieux, et de fait il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs.» Puis, comme «le Dieu des dieux », par Jésus, appelle du levant et du couchant ceux qu’il veut à son héritage, comme le Christ de Dieu qui est Seigneur prouve qu’il est supérieur à tous les seigneurs, du fait qu’il a pénétré les territoires de tous et qu’il appelle à lui les gens de tous ces territoires, Paul, parce qu’il savait tout cela, dit après le passage cité : « Mais pour nous il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe et par qui nous sommes. » Et, percevant là une DOCTRINE admirable et mystérieuse, il ajoute : « Mais tous n’en ont pas la science. » Or, en disant : « Mais pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui tout existe », il désigne par « nous » lui-même et tous ceux qui se sont élevés jusqu’au suprême Dieu des dieux et au Seigneur des seigneurs. On s’est élevé jusqu’au Dieu suprême lorsqu’on l’adore sans séparation, division ni partage, par son Fils, Logos de Dieu et Sagesse que l’on contemple en Jésus, qui seul Lui amène ceux qui s’efforcent en toutes manières de s’unir au Créateur de l’univers par la qualité de leurs paroles, de leurs actions et de leurs pensées. Pour cette raison, je crois, et d’autres semblables, le Prince de ce monde, se transformant en ange de lumières, a fait écrire : « A sa suite vient toute une armée de dieux et de démons, répartis en onze sections », dans l’ouvrage où à propos de lui-même et des philosophes il dit : « Nous sommes, nous, avec Zeus, et d’autres sont avec d’autres démons. » LIVRE VIII
De plus, si nous refusons de servir un autre que Dieu par son Logos et sa Vérité, ce n’est point parce que Dieu subirait un tort comme paraît en subir l’homme dont le serviteur sert encore un autre maître. C’est pour ne pas subir de tort nous-mêmes en nous séparant de la part d’héritage du Dieu suprême, où nous menons une vie qui participe à sa propre béatitude par un exceptionnel esprit d’adoption. Grâce à sa présence en eux, les fils du Père céleste prononcent dans le secret, non en paroles mais en réalité, ce cri sublime : « Abba, Père ! » Sans doute, les ambassadeurs de Lacédémone refusèrent d’adorer le roi de Perse, malgré la vive pression des gardes, par révérence pour leur unique seigneur, la loi de Lycurgue. Mais ceux qui s’acquittent pour le Christ d’une ambassade bien plus noble et plus divine refuseraient d’adorer aucun prince de Perse, de Grèce, d’Egypte ou de toute autre nation, malgré la volonté qu’ont les démons, satellites de ces princes et messagers du diable, de les contraindre à le faire et de les persuader de renoncer à Celui qui est supérieur à toutes les lois terrestres. Car le Seigneur de ceux qui sont en ambassade pour le Christ, c’est le Christ dont ils sont les ambassadeurs, le Logos qui est « au commencement », qui est près de Dieu, qui est Dieu. Celse a cru bon ensuite d’avancer, parmi les opinions qu’il fait siennes, une DOCTRINE très profonde sur les héros et certains démons. Ayant remarqué, à propos des relations de service entre les hommes, que ce serait infliger un tort au premier maître qu’on veut servir que de consentir à en servir un second, il ajoute qu’il en irait de même pour les héros et les démons de ce genre. Il faut lui demander ce qu’il entend par les héros et quelle nature il attribue aux démons de ce genre, pour que le serviteur d’un héros déterminé doive éviter d’en servir un autre, et celui d’un de ces démons, d’en servir encore un autre : comme si le premier démon subissait un tort comme font les hommes quand on passe de leur service à celui d’autres maîtres. Qu’il établisse en outre le tort qu’il juge ainsi causé aux héros et aux démons de ce genre ! Il lui faudra alors répéter son propos en tombant dans un océan de niaiseries et réfuter ce qu’on a dit ou, s’il se refuse aux niaiseries, avouer ne connaître ni les héros, ni la nature des démons. Et quand il dit des hommes que les premiers subissent un tort du service rendu à un second, il faut demander comment il définit le tort subi par le premier quand son serviteur consent à en servir un autre. En effet, s’il entendait par là, comme un homme vulgaire et sans philosophie, un tort concernant les biens que nous appelons extérieurs, on le convaincrait de méconnaître la belle parole de Socrate : « Anytos et Mélètos peuvent me faire mourir, mais non me faire du tort ; car il n’est point permis que le supérieur subisse un tort de la part de l’inférieur. » S’il définit ce tort par une motion ou un état concernant le vice, il est évident, puisqu’aucun tort de ce genre n’existe pour les sages, qu’on peut servir deux sages vivant en des lieux séparés. Et quand ce raisonnement ne serait pas plausible, c’est en vain qu’il argue de cet exemple pour critiquer la parole : « Nul ne peut servir deux maîtres » : et elle n’aura que plus de force si on l’applique au service du Dieu de l’univers par son Fils qui nous conduit à Dieu. De plus, nous ne rendons pas un culte à Dieu dans la pensée qu’il a en besoin et qu’il se chagrinerait qu’on ne le lui rende pas, mais pour l’avantage que nous retirons de ce culte rendu à Dieu, étant libérés de chagrin et de passion en servant Dieu par son Fils unique Logos et Sagesse. LIVRE VIII
Puis Celse reprend : Qu’on leur enseigne que Jésus n’est pas son Fils, mais que Dieu est le père de tous et le seul qu’il faille véritablement adorer: ils s’y refusent, à moins de lui adjoindre celui qui est leur chef de parti. Ils l’ont même nommé Fils de Dieu, non pour offrir à Dieu une suprême adoration mais à celui-ci une suprême exaltation. Or nous avons appris ce qu’est le Fils de Dieu : « le rayonnement de sa gloire et l’empreinte de sa substance » ; « le souffle de la puissance de Dieu, la pure effusion de la gloire du Tout-Puissant ; le rayonnement de la lumière éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, l’image de sa bonté » ; nous savons que Jésus est le Fils sorti de Dieu et que Dieu est son Père. Il n’y a rien d’inconvenant dans cette DOCTRINE, rien d’incompatible avec Dieu à ce qu’il donne naissance à un tel Fils unique. Et personne ne parviendrait à nous ôter la persuasion que Jésus est Fils du Dieu inengendré et Père. LIVRE VIII
Que Celse ait pu se méprendre sur le refus de certains d’identifier le Fils de Dieu avec celui du Créateur de cet univers, cela le regarde lui et les adeptes de cette DOCTRINE. Jésus n’est donc pas un chef de parti, mais l’auteur de toute paix, lui a qui a dit à ses disciples : « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix ». Ensuite, comme il savait la guerre que nous feraient les hommes qui sont du monde et non pas de Dieu, il ajoute : « Ce n’est pas comme le monde vous donne la paix que je vous donne ma paix. » Aussi, dans toutes les tribulations que nous fait subir le monde, notre confiance repose en Celui qui dit : « Dans le monde vous aurez de la tribulation, mais ayez confiance, moi j’ai vaincu le monde, » C’est lui que nous proclamons Fils de Dieu, mais pour reprendre les termes de Celse, du Dieu à qui nous offrons une suprême adoration, et nous savons que c’est son Père qui lui a donné une suprême exaltation. LIVRE VIII
Après cela, Celse continue : Pour montrer que cette opinion ne s’écarte pas du but, je citerai leurs paroles mêmes. Dans un passage du Dialogue céleste, ils s’expriment en ces termes : « Si le Fils de Dieu est plus puissant, et si le Fils de l’homme est son Maître ( et quel autre dominera le Dieu souverain ? ), pourquoi tant de gens autour du puits et personne pour y descendre ? Pourquoi au terme d’une si longue route manquer d’audace ? – Erreur! J’ai du courage et une épée. » Ainsi leur dessein n’est pas d’adorer le Dieu supracéleste, mais le Père qu’ils ont donné à celui autour duquel ils se sont rassemblés : sous prétexte que ce serait lui le Grand Dieu, ils rendent un culte à celui-là seul qu’ils prennent comme chef, le Fils de l’homme qu’ils proclament plus puissant que le Dieu souverain et son Maître. De là chez eux, cette défense de servir deux maîtres pour maintenir leur faction groupée autour de lui seul. Le voilà encore qui emprunte à je ne sais quelle secte très obscure ce dont il fait grief à tous les chrétiens. Si je dis très obscure, c’est que même après tant de controverses avec les fauteurs de sectes, je ne puis voir clairement la DOCTRINE à laquelle il a emprunté ses propos ; du moins s’il s’agit d’un emprunt et non pas d’une invention ou d’une conclusion de sa part. Nous affirmons clairement en effet, nous pour qui même le monde sensible est l’oeuvre du Créateur de toutes choses, que le Fils n’est pas plus puissant que le Père, mais qu’il lui est inférieur ; et nous le disons parce que nous croyons en la parole : « Le Père qui m’a envoyé est plus grand que moi. » LIVRE VIII
Par ailleurs, les divines Écritures ont une manière mystérieuse d’enseigner la DOCTRINE de la résurrection à ceux qui sont capables d’entendre avec une oreille plus divine les paroles de Dieu. En disant que le temple sera reconstruit de pierres vivantes et très précieuses, elles insinuent que chacun de ceux à qui le même Logos inspire de tendre à la piété qu’il enseigne est une pierre précieuse intégrée au temple de Dieu. C’est la déclaration de Pierre : « Mais vous êtes édifiés, tels des pierres vivantes et une maison spirituelle, en un sacerdoce saint, en vue d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ. » C’est celle de Paul : « Vous êtes édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, et la pierre d’angle est Jésus-Christ notre Seigneur. » C’est le sens mystérieux renfermé dans le passage d’Isaïe adressé à Jérusalem : « Voici que je vais te préparer comme pierre de l’escarboucle et comme fondations du saphir, je ferai tes créneaux de rubis, tes portes de cristal, ton enceinte de pierres précieuses ; tous tes fils seront instruits par Dieu ; tes enfants habiteront dans une grande paix, et tu seras édifiée dans la justice. » LIVRE VIII
Certains des justes donc sont de l’escarboucle, d’autres du saphir, d’autres du rubis, d’autres du cristal ; et ainsi les justes forment l’ensemble des pierres choisies et précieuses. Mais ce n’est pas ici le lieu d’expliquer la signification des pierres, la DOCTRINE concernant leur nature, les catégories d’âmes auxquelles on peut attribuer le nom de chaque pierre précieuse. Il suffisait de rappeler brièvement le sens que nous donnons aux temples et celui de l’unique temple de Dieu fait de pierres précieuses. En effet, si les habitants de chaque cité se vantaient de leurs prétendus temples par comparaison avec les autres, dans leur fierté d’avoir des temples plus précieux, ils vanteraient l’excellence des leurs pour prouver l’infériorité des autres. Ainsi, pour répondre à ceux qui critiquent notre refus d’adorer la divinité dans des temples insensibles, nous opposons à ceux-ci les temples tels que nous les concevons ; et nous montrons, à ceux du moins qui ne sont pas insensibles et semblables à leurs dieux insensibles, qu’il n’y a aucune comparaison possible : ni entre nos statues et les statues des nations ; ni entre nos autels et les parfums, si l’on peut dire, qui montent de leurs autels et les graisses et le sang qui y sont offerts ; ni même entre les temples que nous avons indiqués et les temples des êtres insensibles qu’admirent des hommes insensibles qui n’ont pas la moindre idée du sens divin par lequel on atteint Dieu, ses statues, les temples et les autels qui conviennent à Dieu. Ce n’est donc point pour observer un mot d’ordre convenu de notre association secrète et mystérieuse que nous évitons d’édifier des autels, des statues et des temples ; mais parce que nous avons trouvé, grâce à l’enseignement de Jésus, la forme de la piété envers la divinité, nous évitons les attitudes qui sous l’apparence de la piété rendent impies ceux qui s’éloignent de la piété qui a pour médiateur Jésus-Christ : Lui seul est la voie de la piété, puisqu’il dit avec vérité : « Je suis la Voie, la Vérité, la Vie. » LIVRE VIII
Il faut pourtant savoir que les Juifs, pensant comprendre la loi de Moïse, veillent attentivement à n’user que des aliments considérés comme purs et à s’abstenir des impurs et, en outre, à ne pas faire entrer dans leur nourriture ni le sang des animaux ni les animaux saisis par les fauves et bien d’autres : matière d’une ample DOCTRINE qu’il n’est donc pas opportun d’examiner ici. Mais Jésus dans son enseignement voulait amener tous les hommes à la pure adoration de Dieu et éviter qu’une législation trop sévère sur les aliments n’écartât un grand nombre de gens dont les m?urs pourraient être améliorées par le christianisme. LIVRE VIII
Libre à chacun de croire à la DOCTRINE de Celse et de montrer comment l’administration de tout ce qu’on a dit relève non pas des anges divins de Dieu, mais des démons dont la race entière est perverse. Nous aussi, nous disons que c’est sous la dépendance pour ainsi dire d’invisibles agriculteurs et autres êtres, administrant non seulement les plantes qui poussent de la terre, mais encore toute l’eau de source et tout l’air, que la terre produit ce qu’on dit régi par la nature ; que l’eau tombe en pluie et coule dans les sources et les fleuves qui en naissent ; que l’air garde sa pureté et apporte la vie à ceux qui le respirent. Mais nous ne disons certes pas que ces êtres invisibles sont des démons. S’il faut se hasarder à dire quelles sont, hormis celles-là, les oeuvres des démons, nous dirons que ce sont les famines, les stérilités de la vigne ou des arbres et même la corruption de l’air, cause de dommage pour les fruits, parfois de mort pour les animaux et de peste pour les hommes. LIVRE VIII
Alors je ne sais pourquoi Celse, faisant état du courage de ceux qui luttent jusqu’à la mort pour ne point abjurer le christianisme, ajoute, comme s’il assimilait nos DOCTRINEs à celles que professent les initiateurs et les mystagogues : Par dessus tout, mon brave, comme tu crois à des châtiments éternels, les interprètes des mystères sacrés, initiateurs et mystagogues, y croient aussi. Les menaces que tu adresses aux autres, ils te les adressent à toi-même. Il est permis d’examiner lesquelles des deux sont les plus vraies ou plus puissantes. Car en paroles chacun affirme avec une égale énergie la vérité de ses DOCTRINEs propres. Mais quand il faut des preuves, les autres en montrent un grand nombre de manifestes, présentent des oeuvres de certaines puissances démoniaques et d’oracles, et résultant de toutes sortes de divinations. Il prétend donc par là que notre DOCTRINE sur les châtiments éternels est la même que celle des initiateurs aux mystères, et veut examiner laquelle des deux est la plus vraie. Or je puis dire qu’est vraie la DOCTRINE capable de mettre les auditeurs dans la disposition de vivre conformément à ses principes. Et telle est bien la disposition des Juifs et des chrétiens, relativement à ce qu’ils nomment le siècle à venir avec ses récompenses pour les justes, ses châtiments pour les pécheurs. Que Celse donc ou tout autre montre ceux à qui les initiateurs et les mystagogues inspirent de telles dispositions par rapport aux châtiments éternels ! Il est probable que l’intention de l’auteur de cette DOCTRINE n’est pas seulement de donner lieu aux sacrifices expiatoires et aux discours sur les châtiments, mais encore de disposer les auditeurs à faire tout leur possible pour se garder eux-mêmes des actes qui sont la cause des châtiments. De plus, la lecture attentive des prophéties me paraît capable, par la prévision de l’avenir qu’elles contiennent, de persuader le lecteur intelligent et de bonne foi que l’Esprit de Dieu était présent en ces hommes. A ces prophéties on ne peut comparer le moins du monde aucune des oeuvres démoniaques que l’on exhibe, ni des actions miraculeuses dues aux oracles, ni des divinations. LIVRE VIII
Voyons encore les paroles que Celse nous adresse ensuite : De plus, n’est-ce point de votre part une conduite absurde : d’une part de désirer le corps et d’espérer que ce même corps ressuscitera, comme s’il n’y avait pour vous rien de meilleur ni de plus précieux que cela, et en revanche de l’exposer aux supplices comme une chose méprisable. Mais avec des hommes imbus de telles opinions et rivés au corps, celte discussion ne vaut pas la peine: ce sont des gens par ailleurs grossiers et impurs qui, sans raison aucune, sont contaminés par la révolte. Mais bien sûr, je discuterai avec ceux qui espèrent l’éternité près de Dieu pour leur âme ou leur intelligence, qu’ils veuillent l’appeler principe spirituel, esprit intelligent, saint et bienheureux, âme vivante, rejeton céleste et incorruptible de la nature divine et incorporelle, ou de quelque nom qu’il leur plaise de lui donner. Ils ont au moins celte opinion droite que ceux qui ont mené une vie vertueuse seront heureux, mais que les gens injustes seront pour toujours accablés de maux éternels. C’est une DOCTRINE que ni eux ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. LIVRE VIII
Après cela il approuve ceux qui espèrent l’éternité et l’identité près de Dieu pour l’âme ou l’intelligence, ce qu’on appelle chez eux principe spirituel, esprit raisonnable, intelligent, saint et bienheureux, âme vivante. Il admet comme une opinion juste la DOCTRINE selon laquelle ceux qui ont mené une vie vertueuse seront heureux, mais les gens injustes seront pour toujours accablés de maux éternels. En outre, je trouve admirables plus que tout ce qu’a jamais écrit Celse, ces mots qui concluent les remarques précédentes : c’est une DOCTRINE que ni eux ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. Mais Celse écrivait contre les chrétiens, dont la foi repose toute entière sur Dieu et sur les promesses du Christ aux justes et ses enseignements sur le châtiment des injustes : il aurait dû voir qu’un chrétien qui accepte les arguments de Celse contre les chrétiens et abandonne le christianisme, en même temps qu’il rejette l’Évangile rejette aussi probablement cette DOCTRINE que, d’après Celse lui-même, ni les chrétiens ni personne d’autre ne doivent jamais abandonner. LIVRE VIII
Je trouve que dans son ” Art de guérir les passions ” Chrysippe procède avec plus d’humanité que Celse. Il veut guérir les passions qui oppriment et troublent l’âme humaine, principalement par les DOCTRINEs qu’il juge saines, mais aussi, en second et troisième lieu, par les DOCTRINEs étrangères à ses maximes. « A supposer qu’il y ait trois espèces de biens, dit-il, même alors il faut soigner les passions. Ce n’est pas au moment de leur paroxysme qu’on insiste sur la DOCTRINE occupant l’esprit de ceux qui en sont troublés. On risquerait en s’attardant hors de propos à réfuter les DOCTRINEs qui avaient pris possession de l’âme, de laisser passer la guérison qui est encore possible. » Et il ajoute : « A supposer que le plaisir soit le Souverain Bien et que telle fût la pensée de celui qui se laisse dominer par la passion, il faudrait néanmoins le secourir et lui montrer que, même quand on admet le plaisir comme le Souverain Bien et la Fin, toute passion est condamnable. » LIVRE VIII
Pour nous, ce que nous voulons principalement, à cause des raisons innombrables qui nous ont persuadés de vivre selon le christianisme, c’est familiariser tous les hommes autant que possible avec toutes les DOCTRINEs chrétiennes. Mais nous arrive-t-il d’en trouver qui soient circonvenus par la calomnie contre les chrétiens au point de s’imaginer que les chrétiens ne sont pas religieux, et de refuser même d’entendre ceux qui professent enseigner les mystères du divin Logos ? Alors notre amour de l’humanité nous porte à employer toutes nos forces pour établir les thèses au sujet du châtiment éternel réservé aux impies, et pour en inculquer la DOCTRINE même à ceux qui ne veulent pas vivre en chrétiens. LIVRE VIII
Après avoir tant insisté là-dessus, voyons encore un autre passage de Celse que voici : Les hommes naissent liés à un corps, soit en raison de l’économie de l’univers, soit en expiation de leur faute, soit parce que l’âme est chargée de passions jusqu’à ce qu’elle soit purifiée à des périodes déterminées. Car, selon Empédocle, il faut que « pendant mille ans erre loin des bienheureux l’âme des mortels changeant de forme avec le temps ». Il faut donc croire que les hommes ont été confiés à la garde de certains geôliers de cette prison. Observe ici encore qu’en de si graves questions, il hésite d’une manière bien humaine, et il fait preuve de prudence en citant les théories de nombreux auteurs sur la cause de notre naissance, sans oser affirmer que l’une d’elles soit fausse. Mais une fois décidé à ne pas donner son assentiment à la légère et à ne pas opposer un refus téméraire aux opinions des Anciens, ne parvenait-il pas à cette conséquence logique : s’il ne voulait pas croire à la DOCTRINE des Juifs énoncée par leurs prophètes ni à Jésus, il devait rester hésitant et admettre comme probable que ceux qui ont rendu leur culte au Dieu de l’univers et qui, pour l’honneur qui lui est dû et pour l’observation des lois qu’ils croyaient tenir de lui, se sont exposés maintes fois à des dangers sans nombre et à la mort, n’ont pas encouru le mépris de Dieu, mais qu’une révélation leur a été faite à eux aussi : car ils ont dédaigné les statues produites par l’art humain et ont tâché de monter par le raisonnement jusqu’au Dieu suprême lui-même. Ils auraient dû considérer que le Père et Créateur commun de tous les êtres, qui voit tout, entend tout, et juge selon son mérite la détermination de quiconque à le chercher et à vouloir vivre dans la piété, accorde à ceux-là aussi le fruit de sa protection, pour qu’ils progressent dans l’idée de Dieu qu’ils ont une fois reçue. Réfléchissant sur ce point, Celse et ceux qui haïssent Moïse et les prophètes parmi les Juifs, Jésus et ses véritables disciples qui se dépensent pour sa parole, n’auraient pas insulté de la sorte Moïse et les prophètes, Jésus et ses apôtres. Ils ne mettraient pas les seuls Juifs au-dessous de toutes les nations de la terre, en les disant inférieurs même aux Égyptiens qui, par superstition ou toute autre cause ou erreur, ravalent autant qu’ils peuvent jusqu’à des animaux sans raison l’honneur qu’ils doivent à la divinité. LIVRE VIII
Toutes ces remarques sont faites, non point pour induire certains à douter de la DOCTRINE du christianisme, mais pour établir qu’il serait préférable, pour ceux qui injurient si témérairement la DOCTRINE des chrétiens, d’hésiter au moins à en parler et de ne pas dire avec tant d’audace de Jésus et ses disciples ce qu’ils ignorent, et qu’ils affirment sans ce qu’on appelle chez les Stoïciens « une représentation compréhensive », ni aucun autre critère par lequel chaque école philosophique a établi, comme il lui a paru bon, la réalité d’un phénomène donné. LIVRE VIII
Celse croit qu’on s’acquitte du culte dû en cette vie, jusqu’à ce que les hommes soient délivrés de leurs liens, quand on offre des sacrifices d’après les coutumes des peuples à chacun des dieux reconnus dans chaque cité. C’est méconnaître le véritable devoir exigé par la piété authentique. Nous, nous disons qu’on s’acquitte du culte de façon convenable en cette vie quand, en se souvenant du Créateur et des actes qui lui sont agréables, on fait tout pour plaire à Dieu. Celse veut encore que nous ne soyons pas ingrats envers les démons d’ici-bas, croyant qu’on leur doit des sacrifices d’action de grâce. Mais nous, en élucidant la DOCTRINE de l’action de grâce, nous disons qu’à refuser de sacrifier à des êtres qui ne nous font aucun bien, mais se dressent contre nous, il n’y a pas d’ingratitude de notre part. Nous refusons seulement d’être ingrats envers Dieu qui nous comble de bienfaits, puisque nous sommes ses créatures, objets de sa Providence, quel que soit le sort dont elle nous a jugés dignes, et que nous attendons, après cette vie, l’accomplissement des espérances qu’il nous a données. Nous avons même comme signe de notre gratitude envers Dieu le pain nommé « Eucharistie ». LIVRE VIII
Ainsi donc Celse tente de soumettre notre âme aux démons, comme s’ils avaient obtenu la charge de nos corps. Il soutient que chacun préside à une partie de notre corps. Il veut que nous croyons à ces démons qu’il mentionne, et que nous leur rendions un culte pour être en bonne santé plutôt que malade, pour avoir une vie heureuse plutôt que misérable et, dans toute la mesure du possible, échapper aux tortures. Il méconnaît l’honneur indivise et indivisible qui s’adresse au Dieu de l’univers, jusqu’à ne pas croire que Dieu seul, adoré et hautement honoré suffît à fournir à qui l’honore, et par le fait même de cette adoration, un pouvoir qui arrête les attaques des démons contre le juste. Car il n’a pas vu comment la formule « au nom de Jésus », prononcée par les authentiques croyants, a guéri maintes personnes de maladies, de possessions diaboliques et d’autres afflictions. Il est bien probable que nous ferons rire un partisan de Celse en disant : « Au nom de Jésus tout genou fléchira au ciel, sur terre, aux enfers, et toute langue est tenue de confesser que Jésus-Christ est Seigneur pour la gloire de DieuDieu le Père. » Mais ce rire ne peut empêcher notre invocation d’avoir des preuves de son efficacité plus manifestes que ce qu’il raconte à propos des noms de Chnoumen, Chnachoumen, Knat, Sikat et les autres de la liste égyptienne, dont l’invocation guérirait les maladies des diverses parties du corps. Vois en outre de quelle façon, en nous détournant de croire au Dieu de l’univers par Jésus-Christ, il nous invite à croire, pour guérir notre corps, en trente-six démons barbares que les magiciens d’Egypte sont seuls à invoquer en nous promettant je ne sais quelles merveilles. D’après lui, il serait temps pour nous d’être magiciens et sorciers plutôt que chrétiens, de croire à un nombre infini de démons plutôt que de croire au Dieu suprême de lui-même évident, vivant et manifeste, par Celui qui avec une grande puissance a répandu la pure DOCTRINE de la religion par tout le monde des hommes et même, ajouterai-je sans mentir, le monde des autres êtres raisonnables qui ont besoin de réforme, de guérison et de conversion du péché. LIVRE VIII
L’institution des rois et des princes offre matière à une ample DOCTRINE : à cet égard s’ouvre un vaste champ de recherche, à cause de ceux qui ont régné en exerçant la cruauté et la tyrannie, ou pour qui le pouvoir fut l’occasion de s’abandonner à la mollesse et à la volupté. Aussi renoncerai-je à traiter ici la question. Pourtant, nous ne jurons point par la fortune de l’empereur, ni par aucun autre qu’on regarderait comme un dieu. En effet, ou bien, comme certains l’on dit, la fortune de l’empereur n’est qu’un mot comme les mots opinion ou divergence, et nous ne jurons pas sur ce qui n’a aucune existence comme si c’était un dieu ou un être réellement existant et doté d’une puissance effective ; car nous ne voulons pas utiliser à des fins interdites la puissance du serment. Ou bien, suivant la pensée des auteurs pour qui jurer par la fortune de l’empereur de Rome est jurer par son démon, ce qu’on nomme fortune de l’empereur, c’est son démon ; dès lors, nous devons mourir plutôt que de jurer par un démon pervers et perfide qui souvent pèche avec l’homme auquel il a été préposé, ou pèche même plus que lui. LIVRE VIII
Puis de nouveau Celse, semblable à ceux qui reviennent parfois de la possession diabolique et puis retombent, comme s’il était en période de sagesse, s’exprime dans ce sens : Assurément, s’il arrive qu’adorateur de Dieu, on reçoive l’ordre de commettre une impiété ou de dire quelque autre chose de honteux, il ne faut absolument pas obéir, mais au contraire s’endurcir à toutes les épreuves et endurer mille morts, plutôt que de dire ou même de penser la moindre impiété envers Dieu. Puis de nouveau, par ignorance de notre DOCTRINE, et en outre, parce qu’il confond tout, il dit : Mais si l’on t’ordonne de bénir le soleil ou de chanter avec enthousiasme un beau péan en l’honneur d’Athènè, il paraîtra d’autant mieux que tu adores le grand Dieu quand tu les chantes. Car la piété envers Dieu est plus parfaite quand elle s’étend à toutes choses. LIVRE VIII
Celse déclare ensuite : On ne doit pas refuser créance à l’auteur ancien qui a jadis proclamé : « Qu’un seul soit roi, celui à qui le fils de Cronos le fourbe aura octroyé de l’être ! » Si tu refuses cette DOCTRINE, il est probable que l’empereur te punira. En effet, que tous les hommes fassent comme toi, rien n’empêchera que l’empereur ne reste seul et abandonné, que tous les biens de la terre ne deviennent la proie des barbares très iniques et très sauvages, et qu’on n’entende plus parler sur la terre ni de ta religion ni de la véritable sagesse. Oui certes, qu’il y ait un seul chef, un seul roi ! Non pas celui à qui le fils de Cronos aura octroyé de l’être, mais l’homme à qui l’a octroyé Celui qui établit les rois et les dépose, et qui suscite au bon moment sur la terre le chef utile. Ce n’est pas le fils de Cronos, lequel a précipité son père au Tartare, au dire des mythes grecs, après l’avoir chassé du trône, qui établit les rois, même si l’on donnait une interprétation allégorique de l’histoire : mais c’est Dieu qui, gouvernant l’ensemble de l’univers, sait ce qu’il fait en ce qui concerne l’institution des rois. LIVRE VIII
Nous refusons donc la DOCTRINE d’une royauté octroyée par le fils de Cronos le fourbe, persuadés que Dieu ou le Père de Dieu ne veut rien de fourbe ni de tortueux. Mais nous ne refusons pas la DOCTRINE de la Providence et des choses produites par elle soit principalement soit par voie de conséquence. De plus, il n’est pas probable qu’un empereur nous punirait pour notre affirmation que ce n’est pas le fils de Cronos le fourbe qui lui a octroyé de régner, mais Celui qui établit les rois et les dépose. Oui donc, que tous les hommes fassent comme moi, qu’ils refusent la DOCTRINE d’Homère, mais qu’ils gardent la DOCTRINE sur l’empereur et pratiquent le commandement : « Honorez l’empereur ! » Alors certes, l’empereur ne sera point laissé seul et abandonné, et les biens de la terre ne deviendront pas la proie des barbares très iniques et très sauvages. A supposer, comme le dit Celse, que tous les hommes fassent comme moi, il est évident que les barbares, eux aussi, convertis à la parole de Dieu, seront très soumis aux lois et très civilisés ; que tous les cultes seront abandonnés et que seul le culte des chrétiens sera en vigueur : oui, seul un jour il sera en vigueur puisque le Logos conquiert sans cesse un plus grand nombre d’âmes. LIVRE VIII
Il se demande ce qui arriverait si les Romains étaient convaincus par la DOCTRINE chrétienne, négligeaient les honneurs à rendre aux prétendus dieux et les coutumes autrefois en usage chez les hommes, et adoraient le Très-Haut. Qu’il entende notre opinion sur ce point. Nous disons : « Si deux ou trois d’entre vous s’accordent sur la terre à demander quoi que ce soit, cela sera accordé par le Père des justes qui est dans les cieux. » Car Dieu prend plaisir à l’accord des êtres raisonnables et se détourne de leur désaccord. Que faut-il penser pour le cas où l’accord existerait non seulement comme aujourd’hui entre très peu de personnes mais dans tout l’empire romain ? Alors ils prieront le Logos qui autrefois dit aux Hébreux poursuivis par les Égyptiens : « Le Seigneur combattra pour vous et vous n’aurez qu’à vous taire. » Et l’ayant prié d’un accord total, ils pourront détruire un bien plus grand nombre d’ennemis lancés à leur poursuite que n’en détruisit la prière de Moïse poussant des cris vers Dieu en même temps que ceux qui étaient avec lui. Si les promesses de Dieu à ceux qui observent la loi ne sont pas réalisées, ce n’est pas que Dieu aurait menti, mais que les promesses étaient faites sous cette condition qu’ils garderaient la loi et y conformeraient leur vie. Et si les Juifs qui avaient reçu ces promesses conditionnelles n’ont plus ni feu ni lieu, il faut en accuser toutes leurs transgressions de la loi et singulièrement leur faute contre Jésus. Mais, comme Celse le suppose, que tous les Romains, convaincus, se mettent à prier, ils triompheront de leurs ennemis ; ou plutôt, ils n’auront même plus de guerre du tout, car ils seront protégés par la puissance divine qui avait promis, pour cinquante justes, de garder intactes cinq villes entières. Car les hommes de Dieu sont le sel du monde assurant la consistance des choses de la terre, et les choses terrestres se maintiennent tant que le sel ne s’affadit pas : « Car si le sel perd sa saveur, il n’est plus bon ni pour la terre, ni pour le fumier, mais on le jette dehors et les hommes le foulent aux pieds. Que celui qui a des oreilles entende » le sens de cette parole. Pour nous, quand Dieu, laissant la liberté au Tentateur, lui donne tout pouvoir de nous persécuter, nous sommes persécutés. Mais lorsqu’il veut nous soustraire à cette épreuve, en dépit de la haine du monde qui nous entoure, nous jouissons d’une paix miraculeuse, nous confiant en Celui qui a dit : « Courage, moi j’ai vaincu le monde. » En toute vérité, il a vaincu le monde, et le monde n’a de force que dans la mesure où le veut son vainqueur qui tient de son Père sa victoire sur le monde. Notre courage repose sur sa victoire. LIVRE VIII
Et si Celse veut nous voir aussi servir comme stratèges pour la défense de la patrie, qu’il le sache, nous le faisons aussi, mais non pour attirer le regard des hommes et obtenir d’eux par cette conduite une gloire futile. Nos prières sont faites dans le secret à l’intime de l’âme et montent comme celles des prêtres pour le salut de nos compatriotes. Les chrétiens sont même plus utiles aux patries que le reste des hommes : ils éduquent leurs concitoyens, leur enseignent la piété envers Dieu gardien de la cité ; ils font monter vers une cité céleste et divine ceux qui ont mené une vie honnête dans les plus petites cités. On pourrait leur dire : tu as été fidèle dans une cité toute petite, arrive maintenant dans la grande, où « Dieu se dresse dans l’assemblée des dieux et, au milieu d’eux, juge les dieux » ; il accepte de te compter parmi eux à condition que tu ne veuilles plus mourir à la façon d’un homme, ni tomber « comme un de leurs princes. » Celse nous convie encore à prendre part au gouvernement de la patrie s’il en est besoin pour la défense des lois et de la piété. Mais, sachant que derrière chaque cité se trouve un autre genre de patrie établie par le Logos de Dieu, nous appelons à gouverner les églises ceux que leur DOCTRINE et leur sainteté de vie rendent aptes à ce gouvernement. Récusant ceux qui aspirent au pouvoir, nous contraignons ceux qui, dans l’excès de leur modestie, répugnent à assumer hâtivement le souci commun de l’Église de Dieu. Et ceux qui nous gouvernent sagement, après avoir été ainsi contraints, gouvernent sous les ordres du grand Roi qui le leur impose, lui que nous croyons Logos Dieu, Fils de Dieu. Et choisis ou contraints, si les gouvernants dans l’Église gouvernent sagement la patrie selon Dieu, je veux dire l’Église, ils gouvernent selon les ordres de Dieu sans violer en rien pour cela les lois établies. LIVRE VIII