La beauté divine n’est pas le resplendissement extérieur d’une figure ou d’une belle apparence ; elle consiste dans la BÉATITUDE indicible d’une vie parfaite. Aussi de même que les peintres, dans les couleurs qu’ils emploient pour représenter un personnage sur un tableau, arrangent leurs teintes selon la nature de l’objet pour faire passer dans le portrait la beauté du modèle, imaginez de même celui qui nous façonne : les couleurs en rapport avec sa beauté sont ici les vertus qu’il dépose et fait fleurir en son image pour manifester en nous le pouvoir qui est le sien. La gamme variée des couleurs qui sont en cette image et qui représentent vraiment Dieu n’a rien à voir avec le rouge, le blanc ou quelque mélange de couleurs, avec le noir qui sert à farder les sourcils et les yeux et dont certain dosage relève l’ombre creusée par les traits, ni en général avec ce que les peintres peuvent encore inventer. Au lieu de tout cela, songez à la pureté , à la liberté spirituelle, à la BÉATITUDE, à l’éloignement de tout mal, et à tout le reste par quoi prend forme en nous la ressemblance avec la Divinité. C’est avec de pareilles couleurs que l’auteur de sa propre image a dessiné notre nature. V
Selon l’Église, en quoi consiste la grandeur de l’homme? Non à porter la ressemblance de l’univers créé, mais à être à l’image de la nature de celui qui l’a fait. Quel est le sens de cette attribution d’« image » ? Comment, dira-t-on, l’incorporel est-il semblable au corps ? Comment ce qui est soumis au temps est-il semblable à l’éternel ? Ce qui se modifie à ce qui ne change pas ? À ce qui est libre et incorruptible ce qui est soumis aux passions et à la mort ? À ce qui ne connaît pas le vice ce qui en tout temps habite et grandit avec lui ? Il y a une grande différence entre le modèle et celui qui est « à l’image ». Or l’image ne mérite parfaitement son nom que si elle ressemble au modèle. Si l’imitation n’est pas exacte, on a affaire à quelque chose d’autre, mais non à une image. Comment donc l’homme, cet être mortel, soumis aux passions et qui passe vite, est-il image de la nature incorruptible, pure et éternelle ? Seul celui qui est la vérité sait clairement ce qu’il en est. Pour nous, selon notre capacité, par des conjectures et des suppositions, nous suivrons la vérité à la trace. Voici donc sur ces points ce que nous supposons : D’un côté, la parole divine ne ment pas, lorsqu’elle fait de l’homme l’image de Dieu ; de l’autre, la pitoyable misère de notre nature n’a pas de commune mesure avec la BÉATITUDE de la vie impassible. Il faut choisir : quand nous mettons en comparaison Dieu et notre nature, ou la divinité est soumise aux passions, ou l’humanité est établie dans la liberté de l’esprit, si l’on veut chez les deux à la fois parler de ressemblance. Mais si ni la divinité ne connaît les passions ni notre nature ne les exclut, avons-nous un moyen de vérifier l’exactitude de la parole divine : « L’homme a été fait à l’image de Dieu » ? Revenons à la divine Écriture elle-même pour voir si la suite du récit ne donnera pas à nos recherches quelque fil conducteur. Après la parole : « Faisons l’homme à notre image » et après avoir indiqué la fin de cette création, elle poursuit : « Dieu fit l’homme et Il le fit à son image. Il les fit mâle et femelle…». Déjà précédemment, on a vu que cette parole a été proférée à l’avance contre l’impiété des hérétiques, afin de nous apprendre que, si Dieu le Fils unique fit l’homme « à l’image de Dieu », il n’y a pas de différence à mettre entre la divinité du Père et celle du Fils, puisque la Sainte Écriture les appelle Dieu l’un et l’autre, celui qui a fait l’homme et celui à l’image de qui il a été fait. Mais laissons ce point pour revenir à notre sujet : Comment, si la divinité est heureuse et l’humanité malheureuse, se peut-il que l’Écriture dise celle-ci « à l’image » de celle-là ? XVI
Tous les patriarches qui entourent Abraham eurent le désir de voir la BÉATITUDE et ils ne cessèrent d’espérer la patrie céleste, comme dit l’Apôtre. Cependant ils demeurent encore dans l’espoir de ce bienfait, tandis que Dieu dispose les choses pour notre bien, selon la parole de l’Apôtre, afin, dit-il, qu’ils ne parviennent pas au terme sans nous. Si donc ceux qui viennent de loin supportent ce délai, si la seule vue de ces biens par la foi et l’espérance n’a pas empêché leur amour, selon l’Apôtre, et s’ils se reposent dans la certitude de la jouissance future sur la foi de la promesse, que doivent faire beaucoup d’entre nous, dont la vie ne manifeste guère l’espoir de ces biens supérieurs ? L’âme du prophète défaillait de désir et il avoue dans les Psaumes l’amour dont il est possédé, disant qu’il ne se tient plus d’être dans la maison du Seigneur, même si on doit le mettre à la dernière place. Car il préfère sans comparaison y être le dernier, plutôt que d’être le premier sous les tentes de ceux qui passent leur vie dans le péché. Pourtant il supportait ce délai, alors qu’il n’avait de bonheur que dans l’au-delà et aimait mieux quelques instants avec Dieu que mille années sur terre. « Un seul jour dans vos demeures vaut mieux que mille ans » , dit-il. Il ne trouvait pas mauvais le gouvernement nécessaire du monde et il lui paraissait suffisant au bonheur de l’humanité de ne l’avoir vu qu’en espérance. C’est pourquoi, à la fin de son Psaume, il dit : « Seigneur, Dieu des puissances, bienheureux l’homme qui espère en toi. » Nous non plus, nous ne devons pas resserrer nos coeurs, si la réalisation de nos espérances tarde un peu ; nous devons plutôt mettre tous nos soins à ne pas en être exclus. XXII