Apollon

Celse affirme : “Le corps d’un Dieu n’use pas d’une voix comme la tienne, ni d’une pareille méthode de persuasion”. C’est là encore une objection sans valeur et absolument méprisable. Il suffira de lui répondre : APOLLON de Delphes et celui de Didymes, un dieu d’après la foi des Grecs, use d’une voix pareille, celle de la Pythie ou de la prophétesse de Milet : ce n’est pas pour les Grecs une raison de refuser la divinité d’APOLLON de Delphes ou de Didymes ou de tout autre dieu semblable établi en un lieu particulier. Mais combien il était plus excellent que Dieu usât d’une voix proférée avec puissance, faisant naître chez les auditeurs une persuasion indicible ! LIVRE I

Voyons encore ce que Celse dit ensuite, empruntant aux histoires des prodiges qui d’eux-mêmes semblent incroyables, mais auxquels il ne refuse point sa foi, à en juger du moins par la manière dont il s’exprime. Voici d’abord ceux d’Aristéas de Proconnèse, dont il dit : Ensuite, Aristéas, après avoir si miraculeusement disparu aux yeux des hommes, apparut de nouveau clairement, et beaucoup plus tard il visita maintes régions de la terre et raconta des choses étonnantes: malgré la recommandation d’APOLLON aux Mésapontins de placer Aristéas au rang des dieux, il n’est plus personne pour le croire dieu. Il semble avoir tiré l’histoire de Pindare et d’Hérodote. Mais il suffit de citer ici le passage d’Hérodote qui se trouve dans le quatrième livre des Histoires, et que voici : « J’ai dit d’où était Aristéas, l’auteur de ce poème. Je vais dire ce que j’ai entendu raconter de lui à Proconnèse et à Cyzique. Aristéas, dit-on, ne le cédait à aucun concitoyen pour la noblesse de sa famille. Étant entré, à Proconnèse, dans la boutique d’un foulon, il y mourut ; et le foulon, ayant fermé son atelier, se mit en route pour porter la nouvelle aux parents du défunt. Le bruit de la mort d’Aristéas s’était déjà répandu dans la ville, quand un homme qui venait de la ville d’Atarkè entra en contestation avec ceux qui le propageait : il avait, disait-il, en se rendant à Cyzique, rencontré Aristéas et conversé avec lui. Comme il le soutenait avec force en face de ses contradicteurs, les parents du défunt se présentèrent à la boutique du foulon avec un brancard pour enlever le corps ; on ouvrit la maison, et on n’y aperçut Aristéas ni mort ni vif. Sept ans après, il aurait reparu à Proconnèse, aurait composé ce poème que les Grecs appellent maintenant Arismaspées, et, le poème composé, aurait disparu pour la deuxième fois. Voilà ce qu’on raconte dans ces deux villes. Et voici ce que je sais être arrivé aux Métapontins, en Italie, deux cent quarante ans après la seconde disparition d’Aristéas, ainsi que mes calculs à Proconnèse et à Métaponte m’ont permis de le reconnaître. Les Métapontins racontent qu’Aristéas en personne leur apparut dans leur pays, qu’il leur ordonna d’élever un autel à APOLLON et de dresser auprès de cet autel une statue sous le nom d’Aristéas de Proconnèse ; il leur aurait dit qu’ils étaient les seuls Italiotes chez qui APOLLON était venu jusqu’alors ; et que lui, qui présentement était Aristéas, l’avait accompagné ; en ce temps-là, quand il accompagnait le dieu, il était un corbeau. Cela dit, il avait disparu et les Métapontins, à ce qu’ils disent, avaient envoyé à Delphes demander au Dieu ce qu’il fallait penser de l’apparition de cet homme. La Pythie leur aurait conseillé d’obéir à l’apparition, car s’ils obéissaient ils s’en trouveraient mieux. Et eux, ayant accueilli avec foi cette réponse, s’y seraient conformés. De fait, une statue qui porte le nom d’Aristéas se dresse aujourd’hui près du monument dédié à APOLLON ; tout autour, il y a des lauriers et le monument est érigé sur la place. Mais en voilà assez sur Aristéas. » LIVRE III

De plus, quel est cet APOLLON qui recommande aux Métapontins de placer Aristéas au rang des dieux ? Dans quel dessein le fait-il, quel bien veut-il procurer aux Métapontins par ces honneurs divins, à supposer qu’ils regardent encore comme un dieu celui qui naguère n’était qu’un homme ? De cet APOLLON qui, pour nous, est un démon ayant pour lot « libation et fumet de graisses », les recommandations sur Aristéas te semblent mériter considération ; tandis que celles du Dieu suprême et de ses saints anges, proclamées grâce aux prophètes non après la naissance de Jésus, mais avant qu’il vînt partager la vie des hommes, ne t’incitent à admirer ni ces prophètes capables de recevoir l’esprit divin, ni Celui qu’ils prophétisent ? Sa venue en cette vie s’est trouvée proclamée bien des années auparavant par de nombreux prophètes à tel point que la nation entière des Juifs, suspendue à l’attente de Celui dont elle espérait la venue, en arriva, après la venue de Jésus, à une controverse. Un très grand nombre reconnut le Christ et crut qu’il était celui qu’annonçaient les prophètes. Les autres, incrédules, méprisèrent la douceur de ceux qui, suivant les enseignements de Jésus, se refusèrent à susciter la moindre révolte ; et ils osèrent contre Jésus ces cruautés que les disciples ont décrites avec une sincérité loyale, sans retrancher secrètement de l’histoire miraculeuse ce qui semblerait aux yeux de la plupart tourner à la honte de la doctrine chrétienne. LIVRE III

APOLLON, donc, d’après Celse, et assemblées voulait que les Métapontins placent Aristéas au rang des dieux. Mais les Métapontins jugèrent que l’évidence qu’Aristéas était un homme, et peut-être sans vertu, l’emportait sur l’oracle qui le proclamait dieu ou digne des honneurs divins ; aussi refusèrent-ils d’obéir à APOLLON, et ainsi personne ne considère Aristéas comme dieu. Mais de Jésus voici ce qu’on peut dire : il était utile au genre humain de le recevoir comme Fils de Dieu, Dieu même venu dans une âme et un corps d’homme ; mais cela paraissait dommageable à la gourmandise des démons qui aiment les corps et à ceux qui les tiennent pour des dieux ; c’est pourquoi les démons terrestres, considérés comme dieux par ceux qui en ignorent la nature, aussi bien que leurs serviteurs ont voulu empêcher l’enseignement de Jésus de se répandre, car ils voyaient que cesseraient les libations et le fumet de graisses dont ils sont friands, si l’enseignement de Jésus prévalait. Mais Dieu qui avait envoyé Jésus déjoua toute la conspiration des démons. Il fit triompher l’Évangile de Jésus dans le monde entier pour la conversion et la réforme des hommes, il constitua partout des églises en opposition aux assemblées de gens superstitieux, désordonnés, injustes : car telles sont les multitudes qui partout constituent les assemblées politiques des citoyens. Et les églises de Dieu, instruites par le Christ, si on les compare aux assemblées du peuple avec qui elles voisinent, sont « comme des flambeaux dans le monde ». Qui donc refuserait d’admettre que même les membres les moins bons de ces églises, inférieurs, en comparaison des parfaits, sont bien supérieurs aux membres de ces assemblées politiques ? LIVRE III

Devant ces faits, comment n’est-il pas logique de penser que Jésus qui a pu instituer une si grande oevre, avait en lui une qualité divine exceptionnelle, mais non point Aristéas de Proconnèse, même si APOLLON veut le placer au rang des dieux, ni ceux que Celse énumère. Il dit : Personne ne considère comme dieu Abaris l’Hyperboréen doué du prodigieux pouvoir d’être porté sur une flèche. Dans quel dessein la divinité, si elle eût accordé la faveur à l’Hyperboréen Abaris d’être porté sur une flèche, lui eut-elle fait pareil don ? Quel bienfait en eût retiré le genre humain ? Et quel avantage pour cet Abaris que d’être porté sur une flèche ? Et cela, en admettant qu’il n’y eût là aucune fiction, mais le résultat de l’action d’un démon. Mais lorsqu’on dit que mon Jésus est élevé « en gloire », je vois l’économie providentielle : Dieu par la réalisation de cette merveille l’accréditait comme Maître dans l’esprit de ceux qui l’avaient contemplé, afin de les pousser à combattre de toutes leurs forces non pour des connaissances humaines, mais pour les enseignements divins, à se consacrer au Dieu suprême et à tout faire pour lui plaire, pour recevoir selon leurs mérites au tribunal de Dieu la sanction du bien et du mal faits en cette vie. LIVRE III

Les Égyptiens, formés au culte d’Antinoos, supporteraient qu’on lui compare APOLLON ou Zeus, car c’est l’honorer que le mettre au même rang. Il y a donc, pour Celse, un mensonge manifeste à dire : Ils ne supporteraient pas qu’on lui compare APOLLON ou Zeus. Les chrétiens ont appris que la vie éternelle consistait pour eux à connaître « le seul véritable Dieu » suprême, et « Celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ » ; ils savent que « tous les dieux des païens sont des démons » avides, rôdant autour des victimes, du sang et des exhalaisons des sacrifices, pour tromper ceux qui ne cherchent pas refuge auprès du Dieu suprême ; ils savent que les anges de Dieu, au contraire, divins et saints, sont de tout autre nature et caractère que les démons de la terre, et sont connus du très petit nombre de ceux qui ont fait de la question une étude intelligente et approfondie : ils ne supporteraient pas une telle comparaison avec APOLLON, Zeus, ou tout autre qu’on adore par le fumet de la graisse, le sang et les victimes. Certains dans leur grande simplicité ne savent pas rendre raison de leur conduite, bien qu’ils gardent judicieusement le dépôt qu’ils ont reçu. Mais d’autres le font avec des raisons non pas insignifiantes mais profondes ou, dirait un Grec, ésotériques et époptiques. Elles contiennent une ample doctrine sur Dieu, sur les êtres auxquels Dieu fait l’honneur, par son Logos, Fils unique de Dieu, de participer à sa divinité et par le fait même à son nom ; une ample doctrine également sur les anges divins et sur ceux qui sont ennemis de la vérité pour s’être trompés et, par suite de leur erreur, se sont proclamés dieux, anges de Dieu, bons démons, héros qui doivent leur existence à la métamorphose de bonnes âmes humaines. Ces chrétiens établiront aussi que, comme en philosophie beaucoup se figurent être dans le vrai pour s’être laissés abuser par des raisons spécieuses ou avoir adhéré avec précipitation aux raisons, présentées ou découvertes par d’autres, de même parmi les âmes sorties des corps, les anges et les dénions, certains furent entraînés pour des raisons spécieuses à se proclamer dieux. Et parce que ces doctrines, chez les hommes, ne peuvent être découvertes avec une parfaite exactitude, il a été jugé sûr pour l’homme de ne se confier à personne comme à Dieu, sauf au seul Jésus-Christ modérateur suprême qui a contemplé ces très profonds secrets, et les communique à un petit nombre. LIVRE III

Ensuite, livré pour ainsi dire uniquement à sa haine et à son animosité contre la doctrine des Juifs et des chrétiens, il dit : Les plus raisonnables des Juifs et des chrétiens allégorisent tout cela. Il ajoute : La honte qu’ils en ont leur fait chercher refuge dans l’allégorie. On pourrait lui dire : s’il faut appeler honteuses dans leur acception première les doctrines des mythes et des fictions, écrits avec une signification figurée ou de toute autre manière, à quelles histoires cette qualification s’impose-t-elle sinon aux histoires grecques ? Là, les dieux fils émasculent les dieux pères ; les dieux pères dévorent les dieux fils ; la déesse mère, à la place d’un fils, livre à celui qui est père « des dieux et des hommes », une pierre ; un père s’unit à sa fille ; une femme enchaîne son mari, prenant comme complices pour le mettre aux fers, le frère et la fille de celui qu’elle enchaîne. Mais pourquoi devrais-je énumérer les histoires absurdes des Grecs sur leurs dieux, manifestement honteuses même allégorisées ? Ainsi le passage où Chrysippe de Soles, qui passe pour avoir honoré le Portique par maints ouvrages pénétrants, explique un tableau de Samos où Héra était peinte commettant avec Zeus un acte obscène. Le grave philosophe dit dans son traité que la matière, ayant reçu les raisons séminales de Dieu, les garde en elle-même pour l’ordonnance de l’univers. Dans le tableau de Samos, Héra c’est la matière, et Zeus c’est Dieu. C’est pour cette raison et à cause des mythes de ce genre et d’une infinité d’autres, que nous refusons d’appeler, ne serait-ce que de nom, le Dieu suprême Zeus, le soleil APOLLON, et la lune Artémis. LIVRE IV

La question présente est donc de réfuter le passage que voici : ” Juifs et chrétiens, nul Dieu, nul Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre. Que si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont, dieux ou des êtres d’une autre espèce ? D’une autre espèce, sans doute, des démons.” Ces redites de Celse – car il l’a maintes fois déjà répété plus haut -, n’exigent pas une longue discussion : les réponses données suffiront. Je me bornerai entre bien d’autres à quelques remarques qui semblent être dans la ligne des précédentes, bien qu’elles n’aient pas cependant tout à fait le même sens. J’établirai donc que, dans sa thèse absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est jamais descendu vers les hommes, Celse réduit à néant les manifestations de Dieu généralement admises que lui-même avait mentionnées plus haut. En effet si, dans l’affirmation absolue que nul Dieu ou Fils de Dieu n’est descendu ni ne saurait descendre, Celse a dit la vérité, c’en est fait évidemment de toutes les descentes des dieux du ciel sur la terre pour prédire aux hommes ou les guérir par leurs oracles. Ni APOLLON de Pytho, ni Asclépios, ni aucun de ceux auxquels on attribue des actes pareils ne peut être un dieu descendu du ciel, si ce n’est peut-être un dieu dont le sort est de toujours habiter la terre, comme banni du séjour des dieux ou un des êtres incapables d’entrer en communion avec les dieux qui s’y trouvent. Ou bien APOLLON, Asclépios et tous ceux dont on vénère l’action sur la terre ne peuvent être des dieux, mais certains démons bien inférieurs aux hommes sages qui s’élèvent par la vertu jusqu’à la voûte du ciel. Remarque à quel point, dans son dessein de ruiner notre foi, on le prend, lui qui tout au long de son traité refuse de s’avouer épicurien, à passer en transfuge au camp d’Épicure. Le moment est venu pour toi, lecteur des arguments de Celse qui admets ce qui précède, ou bien de nier la présence de Dieu qui étend sa providence à tous les hommes individuellement, ou bien de l’admettre et de prouver que la doctrine de Celse est fausse. Nies-tu radicalement la Providence? Alors pour établir la vérité de ta position, tu prouveras la fausseté des raisons qui lui font admettre des dieux et une providence. Affirmes-tu néanmoins la providence, en refusant d’adhérer à l’assertion de Celse : Ni Dieu ni Fils de Dieu n’est descendu ou ne descend vers les hommes ? Alors pourquoi ne point examiner sérieusement, dans ce que j’ai dit de Jésus et dans les prophéties qui le concernent, quel est celui qu’il faut plutôt croire Dieu ou Fils de Dieu descendu vers les hommes : Jésus qui a mené à bien et accompli de si grandes oeuvres, ou ceux qui, sous prétexte d’oracles et de divinations, loin de réformer les m?urs de ceux qu’ils guérissent, vont jusqu’à éloigner du culte vénérable, pur et sans mélange dû au Créateur de l’univers et divisent l’âme de ceux qui s’attachent à eux, sous prétexte d’honneur à rendre à de multiples dieux au lieu de l’unique, seul manifeste et véritable Dieu ? Puis, comme si Juifs et chrétiens avaient répondu que ceux qui descendent vers les hommes sont des anges, il reprend : Si vous parlez d’anges, dites-nous quels ils sont : des dieux ou des êtres d’une autre espèce ? Et, supposant notre réponse, il ajoute : ? D’une autre espèce sans doute, les démons. Eh bien ! précisons ce point. D’un commun accord nous disons que les anges sont « des esprits chargés d’un ministère, envoyés en service pour le bien de ceux qui doivent hériter du salut ». Ils montent porter les supplications des hommes dans les régions célestes les plus pures du monde, ou même dans les supracélestes plus pures que celles-là. Ensuite, ils en descendent porter à chacun suivant son mérite une des grâces que Dieu leur enjoint de dispenser à ceux qui reçoivent ses faveurs. Eux donc, que nous avons appris à nommer anges à cause de leur fonction, nous les trouvons parfois aussi dans les saintes Écritures nommés dieux, parce qu’ils sont divins ; mais ils ne le sont pas au point qu’il nous soit ordonné de vénérer et d’adorer à la place de Dieu ceux qui nous dispensent et nous apportent les grâces de Dieu. Car il faut faire remonter toute demande, prière, supplication et action de grâce vers le Dieu suprême par le Souverain Prêtre qui est au-dessus de tous les anges, Logos vivant et Dieu. Et nous offrirons au Logos lui-même des demandes, des prières, des actions de grâce, et même des supplications, si nous sommes capables de discerner entre le sens absolu et le sens relatif du mot supplication. LIVRE V

Ensuite, à l’adresse de ceux qui, pratiquant la magie et la sorcellerie invoquent les noms barbares de certains démons, il dit que ces gens font la même chose que ceux qui font des prestiges en invoquant les mêmes démons devant ceux qui ignorent que les noms des démons sont différents chez les Grecs et chez les Scythes. Et il tire d’Hérodote l’affirmation que les Scythes appellent APOLLON Gongosyre, Poséidon Thagimasade, Aphrodite Argimpase, Hestia Tabiti. Aux gens compétents d’examiner si là encore Celse ne partage point la méprise d’Hérodote, car les Scythes n’ont pas les mêmes idées que les Grecs sur les prétendus dieux. Quelle vraisemblance y a t-il que chez les Scythes APOLLON soit appelé Gongosyre ? Je ne crois pas que traduit en grec le mot Gongosyre présente le même sens qu’APOLLON, ou qu’APOLLON traduit en langue scythe signifie Gongosyre. Ainsi des autres noms, on ne dira pas davantage qu’ils aient la même signification. Les Grecs et les Scythes, à partir de raisons et d’étymologies différentes, ont donné des noms différents à ceux qu’ils considéraient comme des dieux : de même pour les Perses et les Indiens, les Ethiopiens et les Libyens : chaque peuple donnait ainsi le nom qui lui plaisait parce qu’il n’avait pas gardé la pure conception originelle du Créateur de l’univers. Mais j’en ai suffisamment parlé dans les pages précédentes en tentant d’établir que Sabaoth n’est pas identique à Zeus, et en citant les passages des divines Écritures relatifs aux langues. Je laisse donc délibérément de côté ce point où Celse provoque aux redites. LIVRE VI

Si APOLLON de Delphes était le dieu que croient les Grecs, qui devait-il choisir comme prophète sinon un sage ou, à son défaut, un homme en progrès vers la sagesse ? Pourquoi ne choisirait-il pas pour prophétiser un homme de préférence à une femme ? Et en admettant qu’il préférait le sexe féminin, parce qu’il n’avait peut-être ni pouvoir ni plaisir sinon dans le sein des femmes, comment ne devait-il pas choisir une vierge plutôt qu’une autre femme comme interprète de sa volonté ? Mais non ! APOLLON le Pythien, admiré par la Grèce, n’a attribué à aucun sage ni même à aucun homme l’honneur de ce qui passe aux yeux des Grecs pour la possession divine. Et parmi les femmes, il n’a pas choisi une vierge ou une femme formée à la sagesse par la philosophie, mais une femme vulgaire. Peut-être les meilleurs des humains étaient-ils supérieurs à l’influence de son inspiration. De plus, si vraiment il était dieu, il devait employer la prescience pour amorcer, si j’ose dire, la conversion, la guérison, la réforme morale des hommes. Or l’histoire ne nous transmet de lui rien de tel : même quand il a dit que Socrate était le plus sage de tous les hommes, il émoussait l’éloge en ajoutant sur Sophocle et Euripide : « Sophocle est sage, mais Euripide encore plus sage. » LIVRE VI

Je me souviens avoir lu, dans le livre d’un Pythagoricien qui traitait des doctrines exprimées symboliquement par le poète, que les paroles de Chrysès à APOLLON et la peste envoyée par lui aux Grecs montrent qu’Homère savait comment certains démons pervers, friands du fumet des graisses et des sacrifices, s’acquittent de leur dette envers ceux qui sacrifient, par la perte d’autres hommes si ceux-là le demandent. LIVRE VI

Peut-être même n’y a-t-il pas moins de danger à rabaisser le nom de Dieu et le nom du Bien à ce qu’on ne doit point, qu’à changer les noms disposés selon un principe mystérieux et appliquer les noms de ce qui est mal à ce qui est bien et de ce qui est bien à ce qui est mal. Et je laisse de côte le fait que le nom de Zeus évoque immédiatement le fils de Cronos et de Rhéa, époux d’Hera, frère de Poséidon, père d’Athénée et d’Artemis, séducteur de sa fille Persephone, ou que celui d’APOLLON évoque le fils de Letho et de Zeus, frère d’Artemis et demi-frère d’Hermès , et toutes les autres fictions des sages de Celse, auteurs de ces doctrines et antiques théologiens de la Grèce. Quelle distinction arbitraire que de lui donner comme nom propre Zeus, mais non Cronos pour père, ni Rhéa pour mère. Et les mêmes remarques peuvent s’appliquer aux autres prétendus dieux. Mais cette critique n’atteint nullement ceux qui, pour une raison mystérieuse, donnent à Dieu le nom de Sabaoth, d’Adonai, ou l’un des autres noms. LIVRE I

Mais, à l’adresse des Grecs qui ne croient pas que Jésus soit né d’une vierge, il faut ajouter : le Créateur a montré dans la naissance d’animaux variés que, ce qu’il fait pour un animal, il lui était possible, s’il le voulait, de le faire pour d’autres et pour les humains eux-mêmes. On trouve certaines femelles d’animaux qui n’ont pas commerce avec un mâle, comme les naturalistes le disent du vautour, et cet animal sauve la continuité de son espèce sans union sexuelle. Qu’y a-t-il donc d’extraordinaire que Dieu, ayant voulu envoyer un maître divin à la race humaine, au lieu de créer par un principe séminal résultant de l’union des mâles aux femelles, ait décidé que le principe de celui qui allait naître fût d’un autre ordre ? De plus, selon les Grecs eux-mêmes, tous les hommes ne sont pas nés d’un homme et d’une femme. Si, en effet, le monde a été créé, comme bien des Grecs l’ont admis, nécessairement les premiers hommes ne sont pas nés d’une union sexuelle, mais de la terre qui contenait les raisons séminales : ce que je trouve plus extraordinaire que la naissance de Jésus à demi semblable à celle du reste des hommes. Et à l’adresse des Grecs, il n’est pas déplacé de citer encore des histoires grecques, pour qu’ils ne paraissent pas les seuls à user de cette extraordinaire histoire. Certains ont jugé bon, à propos non plus d’anciennes légendes héroïques, mais d’événements d’hier ou avant-hier, d’écrire comme chose possible que Platon même fut né d’Amphictione alors qu’Ariston avait été empêché d’approcher d’elle avant qu’elle eût enfanté ce fils conçu d’APOLLON. Il s’agit là en réalité de mythes qui ont poussé à imaginer un prodige de ce genre au sujet d’un homme, parce que, jugeait-on, il était d’une sagesse et d’une puissance supérieures à celles de la plupart et il avait reçu de semences supérieures et divines le principe de sa constitution corporelle, comme il convient à ceux qui ont une grandeur plus qu’humaine. Mais quand Celse, après avoir introduit le Juif s’entretenant avec Jésus, crible de sarcasmes ce qu’il considère comme la fiction de sa naissance d’une vierge, et qu’il cite les mythes grecs de “Danaé”, “de Mélanippe”, “d’Auges et d’Antiope”, il faut dire que ces propos convenaient à un bouffon, non à un écrivain qui prend son message au sérieux. LIVRE I

Et même si j’accordais qu’un démon médecin, du nom d’Asclépios, guérit les corps, je dirais à ceux qui admirent ce pouvoir comme la faculté divinatoire d’APOLLON : l’art de guérir les corps est chose indifférente, don qui peut échoir aux bons comme aux méchants ; indifférente aussi la prévision de l’avenir, car le voyant ne manifeste pas nécessairement de la vertu. Etablissez alors que ces guérisseurs et ces voyants n’ont aucune méchanceté, que, de toute manière, ils font preuve de vertu et ne sont pas loin d’être considérés comme dieux. Mais ils ne pourront pas montrer cette vertu des guérisseurs et des voyants, puisqu’on rapporte la guérison de bien des gens indignes de vivre qu’un sage médecin n’eût pas voulu guérir à cause de leur vie désordonnée. LIVRE III

Même dans les oracles d’APOLLON Pythien on trouverait des injonctions déraisonnables. J’en citerai deux exemples. Il ordonna que Cléomèdès, le pugiliste, je crois, reçût les honneurs divins, comme s’il voyait je ne sais quoi de vénérable dans l’art du pugilat ; mais il n’attribua ni à Pythagore ni à Socrate les mêmes honneurs qu’à ce pugiliste. En outre il a qualifié de « serviteur des Muses » Archiloque, auteur qui manifeste son talent poétique en un sujet d’une extrême grossièreté et impudeur, et révéla un caractère immoral et impur : en le qualifiant de « serviteur des Muses » qui passent pour des déesses, il proclamait sa piété. Or je ne sais si même le premier venu appellerait pieux l’homme qui n’est pas orné de toute modération et vertu, et si un homme honnête oserait dire les propos des ïambes inconvenants d’Archiloque. Mais s’il est flagrant que rien de divin ne caractérise la médecine d’Asclépios et la divination d’APOLLON, comment, même en concédant les faits, raisonnablement les adorer comme de pures divinités ? Et surtout lorsqu’APOLLON, l’esprit divinateur pur de toute corporalité terrestre, s’introduit par le sexe dans la prophétesse assise à l’ouverture de la grotte de Pytho. Nous ne croyons rien de pareil sur Jésus et sa puissance : son corps, né de la Vierge, était constitué d’une matière humaine, apte à subir blessures et mort d’homme. LIVRE III

A cette histoire d’Aristéas, il faut répondre : si Celse l’avait citée comme une histoire sans indiquer qu’il l’avait acceptée comme vraie, autre eût été ma réponse à son argument. Mais, comme il affirme qu’Aristéas, après avoir disparu miraculeusement, apparut de nouveau clairement, visita maintes régions de la terre et raconta des choses étonnantes, et que de plus il cite, comme de son propre chef en y donnant son assentiment, l’oracle d’APOLLON qui recommanda aux Métapontins de placer Aristéas au rang des dieux, voici l’argument que je lui oppose : comment, tu ne vois que fictions dans les miracles que les disciples de Jésus rapportent de lui, tu blâmes ceux qui y croient, et tu penses qu’il n’y a dans ces histoires-là ni prestiges ni fictions. Comment, quand tu accuses les autres de croire sans raison aux miracles de Jésus, peux-tu donner l’apparence d’ajouter foi à des histoires de cette taille sans donner à leur sujet la moindre démonstration ni la preuve qu’elles se sont réellement passées? Crois-tu Hérodote et Pindare incapables de mentir, tandis que ceux qui se sont exposés à la mort pour les enseignements de Jésus et qui ont laissé à la postérité, sur l’objet de leur foi, des écrits de cette valeur mèneraient pour des fictions, selon toi, des mythes et des prestiges le rude combat d’une vie précaire et d’une mort violente? Accepte d’être impartial entre les récits sur Aristéas et l’histoire de Jésus, et juge, aux résultats bienfaisants pour la réforme des moers et la piété envers le Dieu suprême, s’il n’y a pas lieu de dire : il faut croire l’action de Dieu impliquée dans l’histoire de Jésus, nullement dans celle d’Aristéas de Proconnèse. Dans quel dessein la Providence aurait-elle permis les prodiges d’Aristéas, quelle utilité pour le genre humain eut-elle visée dans l’exhibition de ces merveilles que tu lui prêtes, tu ne peux le dire ! Nous au contraire, lorsque nous racontons l’histoire de Jésus, nous apportons de sa réalité une justification valable : la volonté de Dieu d’établir par Jésus la doctrine qui sauverait les hommes ; doctrine qui repose sur les apôtres comme fondements de l’édifice du christianisme à sa fondation, mais qui se développe aux temps postérieurs où s’accomplissent, au nom de Jésus, bien des guérisons et d’autres manifestations non négligeables. LIVRE III

Est-ce donc que l’aigle était divinateur, alors que le serpent, animal pourtant dont se servent les augures, n’était pas divinateur ? Mais pourquoi, s’il est facile de prouver que la distinction est arbitraire, ne peut-on prouver aussi que ni l’un ni l’autre n’étaient divinateurs? Car si le serpent avait été divinateur, ne se serait-il pas gardé de souffrir ainsi des atteintes de l’aigle? Et on trouverait encore d’innombrables exemples de ce genre prouvant que les animaux n’ont pas en eux-mêmes une âme divinatrice ; mais, selon le poète et la plupart des hommes, « il fut appelé à la lumière par le dieu même de l’Olympe », et c’est en un sens figuré qu’APOLLON aussi emploie comme messager l’épervier, car, dit-on, « l’épervier est le prompt messager d’APOLLON ». LIVRE IV

Il cite d’autres paroles de Platon, expliquant que le Bien est connaissable à un petit nombre, parce que c’est avec un injuste mépris, pleins d’un espoir hautain et inconsistant, comme s’ils avaient appris des secrets sublimes, que la plupart présentent comme vrai n’importe quoi. Il ajoute : Platon l’avait dit, cependant, il ne donne pas dans le merveilleux, il ne ferme pas la bouche à ceux qui veulent s’enquérir de ce qu’il promet, il n’exige pas aussitôt de croire que Dieu est tel, qu’il a tel Fils, que celui-ci est descendu s’entretenir avec moi. A quoi je réponds : de Platon Aristandre, je crois, a écrit qu’il n’était pas fils d’Ariston, mais d’un être qui, apparaissant sous les traits d’APOLLON, s’approcha d’Amphictione ; et plusieurs autres platoniciens l’ont répété dans la biographie de Platon. Faut-il évoquer Pythagore et tous ses récits merveilleux, qui, dans une assemblée solennelle des Grecs, montra sa cuisse d’ivoire et prétendit reconnaître le bouclier dont il s’était servi lorsqu’il était Euphorbe et apparut, dit-on, dans deux villes le même jour ? Comme trait de merveilleux à critiquer dans l’histoire de Platon et de Socrate, on citera encore le cygne qui s’était montré à Socrate durant son sommeil et la parole du maître quand on lui présenta le jeune homme : « Le cygne c’était donc lui ! » Encore un trait de merveilleux, ce troisième oeil que Platon se flattait de posséder. Mais aux gens mal disposés, acharnés à décrier les apparitions reçues par ceux qui sont supérieurs à la foule, jamais la calomnie et la diffamation ne feront défaut : il y en aura même pour se moquer du démon de Socrate comme d’une fiction. LIVRE VI

Il dit donc : Des oracles prononcés par la Pythie, les prêtresses de Dodone, le dieu de Claros, chez les Branchides, au temple d’Ammon, et par mille autres devins, sous l’impulsion desquels sans doute toute la terre a été colonisée, ils ne tiennent aucun compte. Au contraire, les prédictions des habitants de la Judée, faites à leur manière, dites réellement ou non, et suivant un usage encore en vigueur aujourd’hui chez les gens de Phénicie et de Palestine, voilà ce qui leur paraît merveilleux et irréfragable ! A propos des oracles énumérés, disons qu’on pourrait tirer d’Aristote et des Péripatéticiens bien des arguments pour ruiner son estime de la Pythie et des autres oracles. On pourrait aussi, en citant les paroles d’Épicure et de ceux qui ont embrassé sa doctrine sur ce point, montrer que même des Grecs rejettent les oracles reçus et admirés dans toute la Grèce. Mais accordons que les réponses de la Pythie et des autres oracles ne sont pas l’invention de gens qui simulent l’inspiration divine. Et voyons si, même dans ce cas, à l’examen sincère des faits, on ne peut pas montrer que, tout en acceptant ces oracles, on n’est pas contraint d’y reconnaître la présence de certains dieux. Ce sont au contraire des mauvais démons et des esprits hostiles au genre humain qui empêchent l’âme de s’élever, de marcher sur le chemin de la vertu et de rétablir la piété véritable envers Dieu. Ainsi on rapporte de la Pythie, dont l’éclat semble éclipser tous les oracles, qu’assise auprès de la crevasse de Castalie, la prophétesse d’APOLLON en reçoit un esprit par ses organes féminins ; et quand elle en est remplie, elle débite ce qu’on regarde comme de vénérables oracles divins. Ne voilà-t-il point la preuve du caractère impur et vicié de cet esprit ? Il s’insinue dans l’âme de la devineresse non par des pores clairsemés et imperceptibles, bien plus purs que les organes féminins, mais par ce qu’il n’est point permis à l’homme chaste de regarder et encore moins de toucher. Et cela non pas une ou deux fois, ce qui peut-être eût paru admissible, mais autant de fois qu’on croit qu’elle prophétise sous l’influence d’APOLLON. Bien plus, ce passage à l’extase et à la frénésie de la prétendue prophétesse, allant jusqu’à la perte de toute conscience d’elle-même, n’est pas l’?uvre de l’Esprit divin. La personne que saisit l’Esprit divin devrait en effet, bien avant quiconque, apprendre de ses oracles ce qui sert à mener une vie modérée et conforme à la nature, en retirer la première de l’aide pour son utilité ou son avantage et se trouver plus perspicace, surtout au moment où la divinité s’unit à elle. LIVRE VI

Puis après cela, sans l’avoir entendu dire par aucun chrétien, sinon par un chrétien de la foule, étranger à nos lois et à notre culture, il déclare : Les Chrétiens disent : voici que je me tiens devant la statue de Zeus, d’APOLLON ou de quelque autre dieu, je l’injurie et le frappe, et il ne se venge pas de moi. C’est ne pas connaître la prescription de la Loi : « Tu ne diras pas de mal des dieux », pour que notre bouche ne s’habitue point à dire du mal de qui que ce soit, car nous connaissons le précepte : « Bénissez, ne maudissez pas », et nous recevons l’enseignement : « Les calomniateurs n’hériteront pas le royaume de Dieu. » Y a-t-il chez nous quelqu’un d’assez stupide pour dire cela sans voir que ce genre de propos est absolument inapte à détruire l’opinion qu’on a des prétendus dieux ? Car ceux qui professent l’athéisme radical et nient la Providence, et qui par leurs doctrines perverses et impies ont donné naissance à une école de soi-disant philosophes, n’ont eux-mêmes rien eu à souffrir de ce que la foule tient pour des maux, pas plus que ceux qui ont embrassé leurs doctrines ; mais ils ont au contraire richesse et santé corporelle. Que si l’on recherche le dommage qu’ils ont subi, on verra que c’est un dommage dans l’intelligence. Car quel dommage plus grand que de ne pas comprendre à partir de l’ordre du monde Celui qui l’a fait ? Et quelle misère pire que l’aveuglement de l’intelligence empêchant de voir le Créateur et père de toute intelligence ? LIVRE VIII

Quelque forme que prenne notre prédication du châtiment, nous convertissons beaucoup d’hommes de leurs péchés en leur enseignant le châtiment. Mais considérons ce qu’au dire de Celse répond le prêtre d’APOLLON ou de Zeus: « Lentement tournent les meules des dieux, dit-il, même sur les fils des fils qui naîtront dans l’avenir. » Vois combien est supérieur ce qu’on enseigne : « Les pères ne seront pas mis à mort pour les enfants, ni les fils mis à mort pour les pères, chacun sera mis à mort pour son péché » ; « Tout homme qui mangera des raisins verts, ses dents seront agacées » ; « Le fils ne portera pas l’iniquité du père, le père ne portera pas l’iniquité du fils ; la justice du juste sera sur lui, la méchanceté du méchant sera sur lui. » Et si, comme équivalent au vers : « Sur les fils des fils qui naîtront dans l’avenir », on cite le texte : « Punissant l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération pour ceux qui me haïssent », qu’on apprenne que c’est là un proverbe cité dans Ézéchiel lorsqu’il reprend ceux qui disent : « Les pères ont mangé des raisins verts et les dents des fils ont été agacées. » A quoi il ajoute : « Je suis vivant, dit le Seigneur, chacun mourra pour son péché. » Mais il n’est pas opportun d’expliquer maintenant ce que signifie la parabole sur les péchés qui sont punis jusqu’à la troisième et quatrième génération. LIVRE VIII