BRAAC
Extrait de « Anges, astres et cieux : Figures de la destinée et du salut » [BTAAC]
La prudence des Proverbes a mis en garde « le méchant enclin à la rébellion » : son souverain lui enverra « un cruel messager » (Prov. 17,11). En version grecque la menace se précise : « Le Seigneur dépêchera contre lui un ange sans pitié. » Le verset : « La fureur du roi est messagère de mort » (Prov. 16,14) a inspiré aux Pharisiens le personnage du mal’âkh hamaveth, « l’Ange de la Mort ».
Cette figure peut prendre deux aspects bien distincts. Il peut s’agir de la Mort en général, personnifiée, envoyant à des hommes son image chargée d’effroi. Gilgamesh est à l’agonie :
Le Ravisseur s’est emparé de mes entrailles,
La Mort habite la chambre où je dors.
Enkidu, son ami, rêve d’un homme ténébreux :
À ceux d’Anzu ses traits étaient semblables.
Ses mains étaient des pattes de lion,
ses ongles, des serres d’aigle.
Me prenant par une touffe de cheveux il me tint en son pouvoir.
Ce monstre métamorphose sa victime en oiseau et l’entraîne aux Enfers. Le Ravisseur de Gilgamesh et d’Enkidu rend plus affreux le sort commun à tous les hommes. La Mort prend un tout autre sens lorsqu’elle m’apparaît comme ma mort, la mienne en particulier. « Ne proteste pas », disait Ani le sage Égyptien, « lorsque ton messager viendra te prendre, car tu ne connais pas ta mort. »
Dans le premier sens la Mort est le Mal, comme le Diable, et elle lui ressemble. Bélial, pour Qumrân, vient du « pays d’où l’on ne remonte pas », il est l’Envoyé (ou l’Ange) de la Perdition, de la Fosse, et ses démons sont « anges de la corruption », autant dire de la pourriture. « L’Ange de la Mort » a été nommé en tant que tel pour la première fois par l’Apocalypse_de_Baruch, au lendemain de la destruction du Temple, et il reste d’une généralité presque abstraite : « Refrène l’Ange de la Mort ! (…) Que le Shéol soit scellé ! » (2 Bar. 21,23). Le Talmud lui donne forme concrète, un cumul d’horreurs. Son corps en feu et vêtu de feu est couvert d’yeux, ses douze ailes sont d’envergure à couvrir le monde d’un bout à l’autre, il brandit sur la bouche de l’agonisant une épée d’où suinte une goutte de poison.
Dans le Testament_of_Abraham la Mort, sans perdre son caractère d’universalité, est en même temps « personnalisée » car elle change d’apparence selon l’âme qu’elle vient saisir. En tant que commune à tous les hommes elle « découvre sa pourriture ». Mais avant qu’elle ne visite le patriarche ami de Dieu, Mikhaël a reçu ordre de « parer la Mort avec grande magnificence ». Son hôte en est troublé, il ne peut soutenir du regard une telle gloire, il voit trop qu’elle n’est point de ce monde.
« Ne va pas croire, Abraham, que cette magnificence soit mienne, ni que je vienne sous cet aspect à n’importe quel homme. Non, mais pour celui qui est juste comme tu l’es, je me couronne ainsi et vais à lui. Mais aux pécheurs je vais en grande pourriture. De leur péché je fais une couronne pour ma tête et je les trouble de grand-peur, au point de les épouvanter. »
Abraham insiste, il veut voir la Mort sans fard ni parure. Alors elle exhibe ses deux têtes, « l’une à face de serpent, l’autre semblable à un glaive ».
La mort de tous n’est encore la mort de personne. Abraham pourrira et je pourrirai. Les cadavres ont tôt fait de n’avoir plus de nom. La Mort ne s’est pas ajustée à un corps, elle s’est accordée aux valeurs morales. Ainsi personnalisée à la ressemblance d’Abraham, elle n’est pas encore sa mort personnelle. Elle reste la Mort. Envoyée par Dieu à son ami, elle lui annonce qu’il va mourir. Elle agit en « ange de mort », ce n’est en rien l’Ange de la Mort, l’envoyée de la Fosse ni du Diable. Elle vient chercher Abraham. Si c’est pour conduire son âme dans l’au-delà, « l’ange de mort » se transforme en « ange psychopompe ».
LGAD
Extrait de « Génies, anges et démons » [LGAD]
La dernière grande figure angélique est celle de ’Izrâ’îl, « ange de la mort » (Cor. 32,11). C’est lui qui arrête le mouvement et sépare les âmes des corps. Selon Ka’b al-Ahbâr, il est dans le ciel inférieur ; mais ses pieds sont aux confins des terres et sa tête au ciel supérieur ; sa face est tournée vers la Tablette Conservée. Ses auxiliaires sont aussi nombreux que ceux qui meurent. Toutes les créatures sont devant ses yeux. Aucune âme n’est enlevée qu’après avoir joui de sa part dans l’existence et atteint le terme qui lui est fixé.
« Comment fais-tu, aurait demandé le patriarche Abraham à l’ange de la mort, quand une âme se trouve en Orient et une autre en Occident et quand une épidémie sévit dans une région et un tremblement de terre dans une autre ? — J’appelle les âmes, répondit-il, par l’autorisation de Dieu, et elles se présentent entre ces doigts-ci. »
Wahb b. Munabbih raconte que Salomon, fils de David, souhaita voir l’ange de la mort, afin de lier amitié avec lui. A peine eut-il exprimé ce souhait que l’ange se présenta à lui, sortant d’en dessous de son trône. « Qui es-tu, demanda Salomon ? L’ange de la mort », répondit-il. Salomon s’évanouit ; l’ange pria Dieu de lui donner la force de le voir. Dieu lui révéla de mettre la main sur sa poitrine. Sitôt fait, Salomon revint à lui-même et dit : « O ange de la mort, je vois que tu es d’une stature géante ; est-ce que tous les anges de Dieu te ressemblent ? — Mon pied, répondit l’ange, repose sur les épaules d’un ange dont la tête traverse les sept cieux et les dépasse d’une distance de mille ans de marche, alors que ses pieds traversent la couche inférieure de la terre et la dépassent d’une distance de cinq cents ans de marche. Il a la bouche ouverte, la voix élevée, les mains étendues ; si Dieu permettait qu’il rapprochât ses lèvres, sa bouche engloberait ce qui existerait entre le ciel et la terre. — Mais, tu décris là une chose énorme, dit Salomon ! — O Prophète de Dieu, continua l’ange, que dirais-tu si je te décrivais d’autres anges d’immense stature, ou plutôt, que dirais-tu si tu me voyais sous la forme que je revêts quand je viens me saisir des âmes des infidèles ? — Es-tu venu à moi comme visiteur ou comme ravisseur, demanda Salomon ? — Comme visiteur, dit l’ange. » Salomon devint l’ami de l’ange de la mort qui venait s’asseoir chez lui tous les jeudis jusqu’au coucher du soleil. Un jour Salomon lui dit : « Je vois que tu n’es pas équitable envers les gens ; tu prends celui-ci et tu laisses celui-là. » L’ange répondit : « Le questionné n’est pas plus informé que le questionneur ; en effet, il existe des livres où sont inscrits les noms de ceux qui sont à prendre. L’inscription sur ces livres a lieu chaque année à la Nuit de la Sentence58, tombant au milieu du mois de Sha’bân. Ceux qui professent l’unicité de Dieu, je saisis leur âme par ma main droite ; elle est recueillie dans une étoffe de soie trempée dans le musc, puis elle est élevée à ’Illiyyûn (cf. Cor. 83, 18-19.) Quant aux infidèles, je saisis leur âme par ma main gauche ; enveloppée de résine, elle descend à Sijjîn » (cf. ib. 7-8).
Un autre récit de la légende de Salomon illustre l’idée courante que l’on ne peut pas fuir son destin : Au cours de l’une de ses visites à Salomon, l’ange de la mort regardait fixement l’un de ses familiers. A son départ, l’homme s’informa de son identité ; ayant appris que c’était l’ange de la mort, il pensa qu’il le recherchait ; alors il demanda à Salomon de le délivrer de lui en ordonnant au vent de le transporter jusqu’aux extrémités de l’Inde ; ce fut fait. Quand l’ange de la mort retourna auprès de Salomon, ce dernier lui dit : « J’ai remarqué, la dernière fois, que tu regardais fixement l’un de mes familiers. — Oui, répondit l’ange ; j’étais étonné de le voir ici alors que j’avais reçu l’ordre de me saisir prochainement de son âme aux extrémités de l’Inde ! »
Exécuteur implacable des ordres divins, Izrâ’îl semble cependant se laisser toucher par la pitié. Wahb b. Munabbih raconte que les anges lui demandèrent, un jour qu’il revenait au ciel après avoir enlevé l’âme à un puissant de la terre : « De qui as-tu eu le plus pitié parmi ceux que tu as fait mourir ? » Il répondit : « Ordre me fut donné d’enlever l’âme à une femme se trouvant dans un lieu désert ; je me présente et je trouve qu’elle venait de donner le jour à un enfant ; j’ai eu pitié d’elle , en raison de son éloignement de son pays, et j’ai eu pitié de son fils, en raison de son jeune âge et du lieu où il se trouvait sans espoir de soutien. » Les anges lui dirent : « Ce puissant que tu viens d’arracher à la vie, c’est lui l’enfant dont tu as eu pitié ! » (Qazwînî, 58s.).