Ensuite, comme s’il n’était pas le seul dont il est prophétisé qu’il rend la justice aux saints et châtie les pécheurs, comme s’il n’y avait aucune prédiction sur le lieu de sa naissance, la passion qu’il endurerait des Juifs, sa résurrection, les miracles prodigieux qu’il accomplirait, il dit : ” Pourquoi serait-ce à toi plutôt qu’à une infinité d’autres nés depuis la prophétie que s’appliquerait ce qui est prophétisé ? ” Je ne sais pourquoi il veut attribuer à d’autres la possibilité de conjecturer qu’ils sont eux-mêmes l’objet de cette prophétie, et ajoute : ” Les uns, fanatiques, les autres, mendiants, déclarent venir d’en haut en qualité de Fils de Dieu “. Je n’ai pas appris que ce soit un fait reconnu chez les Juifs. Il faut donc répondre d’abord que bien des prophètes ont fait des prédictions de bien des manières chez les Juifs sur le Christ : les uns en énigmes, les autres par ALLÉGORIE ou autres figures, et certains même littéralement. Il déclare ensuite dans le discours fictif du Juif aux croyants de son peuple : Les prophéties rapportées aux événements de sa vie peuvent aussi bien s’adapter à d’autres réalités, et il le dit avec une habileté malveillante ; j’en exposerai donc quelques-unes entre beaucoup d’autres ; et à leur sujet, qu’on veuille bien dire ce qui peut contraindre à les renverser et détourner de la foi les croyants à l’intelligence prompte. LIVRE I
Pour l’instant, il s’agit de réfuter l’ignorance de Celse, chez qui le Juif dit à ses compatriotes et aux Israélites qui ont cru en Jésus : « Quel malheur vous est donc survenu que vous ayez abandonné la loi de nos pères… » Mais dans quel sens ont-ils abandonné la loi de leurs pères, ceux qui blâment les gens qui refusent de l’entendre et leur disent : « Dites-moi, vous qui lisez la loi, n’entendez-vous pas la loi ? Il est écrit, en effet, qu’Abraham eut deux fils… » jusqu’à « Il y a là une ALLÉGORIE » et la suite. Dans quel sens ont-ils abandonné la loi de leurs pères ceux qui ne cessent dans leurs paroles d’en appeler à leurs ancêtres et disent : « La loi ne le dit-elle pas aussi ? C’est bien dans la loi de Moïse qu’il est écrit : Tu ne muselleras pas le boef qui foule le grain. Dieu se met-il en peine de boefs ? N’est-ce pas pour nous qu’il parle évidemment ? Oui, c’est pour nous que cela a été écrit » etc. De plus, avec quelle confusion le Juif de Celse parle de tout cela, alors qu’il aurait pu dire de façon plus plausible : certains d’entre vous ont abandonné ces coutumes, sous prétexte d’interprétations et d’ALLÉGORIEs ; d’autres, tout en leur donnant, comme vous le proclamez, une interprétation spirituelle, conservent néanmoins les coutumes de vos pères ; d’autres enfin n’interprètent rien ; et vous prétendez à la fois accepter Jésus comme objet de prophétie, et garder la loi de Moïse selon les coutumes de vos pères, comme si elle contenait dans sa lettre tout le sens spirituel ! Mais comment Celse eut-il pu élucider ce point : il rappelle, par la suite, des sectes athées et complètement étrangères à Jésus, et d’autres qui ont abandonné le Créateur, mais il n’a pas vu qu’il y a aussi des Israélites qui croient en Jésus sans avoir abandonné la loi de leurs pères ! Car il n’avait pas l’intention d’examiner loyalement l’ensemble de la question pour admettre ce qu’il trouverait de valable , mais s’il a écrit tout cela, c’est en ennemi, tout à la tâche de détruire ç mesure qu’il apprenait. LIVRE II
Qu’il faille comprendre allégoriquement les jeunes femmes et les jeunes servantes, ce n’est pas nous qui l’enseignons, mais nous l’avons appris des sages qui nous ont précédé. L’un d’eux disait, élevant l’auditeur au sens spirituel : « Dites-moi, vous qui voulez vous soumettre à la loi, n’entendez-vous pas la loi ? Il est écrit, en effet, qu’Abraham eut deux fils, l’un de l’esclave, l’autre de la femme libre. Mais celui de l’esclave est né selon la chair, celui de la femme libre, en vertu de la promesse. Il y a là une ALLÉGORIE : ces femmes représentent deux alliances, l’une, celle du mont Sina, enfante pour la servitude : c’est Agar. » Et, peu après : « Mais la Jérusalem d’en haut est libre, et elle est notre mère. » Et quiconque voudra prendre l’Épître aux Galates saura de quelle manière comprendre allégoriquement les passages sur les mariages et les unions avec les servantes, la volonté de l’Écriture étant que nous recherchions avec ardeur les actions de ceux qui les ont accomplies, non point dans leur apparence corporelle, mais, comme ont coutume de les nommer les apôtres de Jésus, dans leurs significations spirituelles. LIVRE IV
Ensuite, comme si le reproche atteignait les chrétiens, quand il accuse ceux qui appellent Dieu maudit le Dieu de Moïse et de sa loi, et s’imagine que ceux qui le disent sont des chrétiens, il ajoute : Peut-il y avoir sottise plus délirante que cette sagesse stupide ? Quelle erreur a donc commise le législateur des Juifs ? D’où vient alors que tu adoptes, grâce, dis-tu, à une ALLÉGORIE sommaire, sa cosmogonie ou la loi des Juifs et que tu loues bien malgré loi, ô très impie, le Créateur du monde, celui qui a tout promis aux Juifs, annonçant que leur race se multiplierait jusqu’aux extrémités de la terre et ressusciterait d’entre les morts avec la même chair et le même sang, et celui qui inspirait les prophètes; et qu’en même temps tu l’injuries ? Cependant, lorsque les Juifs le pressent, tu reconnais que tu adores le même Dieu; mais quand ton maître Jésus, et Moise, le maître des Juifs, établissent des lois contraires, tu cherches un autre dieu à la place de celui-ci, le Père. LIVRE VI
Il suffira de citer ici les passages du psaume trente-sixième sur la terre des justes : « Ceux qui attendent le Seigneur hériteront la terre » ; et peu après : « Les doux hériteront la terre et jouiront d’une abondante paix » ; et peu après : « Ceux qui le bénissent hériteront la terre » ; et de nouveau : « Les justes hériteront la terre et ils y habiteront pour toujours. » Et n’est-ce pas l’existence de la terre pure dans la partie pure du ciel qui est indiquée à ceux qui sont capables de comprendre ce que dit ce même psaume : « Attends le Seigneur, observe sa voie ; il t’exaltera pour que tu hérites la terre. » En outre, l’idée que l’éclat des pierres considérées ici-bas comme précieuses serait un reflet de celui des pierres de la terre supérieure, me paraît empruntée par Platon à la description faite par Isaïe de la cité de Dieu, dont il est écrit : « Je ferai tes créneaux de jaspe, tes pierres de cristal, ton enceinte de pierres précieuses » ; et encore : « Je ferai tes fondations de saphir ». » Or les partisans les plus sérieux du philosophe expliquent le mythe de Platon comme une ALLÉGORIE. Et les prophéties, auxquelles selon moi Platon a emprunté son mythe, c’est à ceux qui ont, sous l’inspiration divine, mené une vie pareille à celle des prophètes et consacré tout leur temps à scruter les saintes Écritures, de les exposer à ceux qui y sont préparés par la pureté de leur vie et leur désir d’apprendre les secrets de Dieu. LIVRE VI
Mais nous, nous montrerons la vérité sur notre Jésus par les témoignages des prophètes, puis, en comparant son histoire avec les leurs, nous montrerons que nulle licence n’est rapportée à son sujet. Ceux qui, par inimitié contre lui, avaient cherché « un faux témoignage » pour l’accuser d’inconduite ne purent pas même trouver de fondement plausible à ce « faux témoignage ». De plus sa mort, résultat du complot des hommes, n’eut rien de comparable au foudroiement d’Asclépios. Et qu’a donc de vénérable la frénésie de Dionysos dans ses habits de femmes, pour qu’on l’adore comme un dieu ? Si les défenseurs de ces légendes cherchent refuge dans l’ALLÉGORIE, il faut examiner d’une part s’il s’agit d’ALLÉGORIEs saines, et de l’autre si des êtres déchirés par les Titans et précipités du trône céleste peuvent avoir une existence réelle et mériter les honneurs et l’adoration ? Mais notre Jésus, lorsque, pour employer l’expression de Celse, il apparut à ses propres sectateurs, il apparut réellement, et Celse calomnie l’Évangile en disant qu’il apparut comme une ombre. Comparons, cependant, les histoires de ces héros avec celle de Jésus ! Celse prétend-il que les premières sont vraies et les autres des fictions ? Mais elles renferment les détails rapportés par des témoins oculaires qui ont montré par leur conduite leur claire compréhension de Celui qu’ils avaient contemplé et ont manifesté leur disposition par l’empressement à souffrir pour sa doctrine. Comment serait-ce répondre au dessein d’agir en tout raisonnablement que d’admettre à la légère les histoires des héros, et pour celle de Jésus, de se jeter sans enquête dans l’incrédulité ? LIVRE III
A celui qui donne une interprétation allégorique profonde de ce passage, qu’il touche juste ou non dans l’ALLÉGORIE, nous dirons : est-ce aux seuls Grecs qu’il est permis de trouver des vérités philosophiques sous des significations cachées, ainsi qu’aux Égyptiens et à tous ceux des barbares qui prennent au sérieux la vérité de leurs mystères ; tandis que les seuls Juifs, leur Législateur et leurs écrivains t’ont paru les plus sots de tous les hommes, et que cette seule nation n’a reçu aucune part de la puissance divine, elle qui a été instruite à s’élever si magnifiquement jusqu’à la nature incréée de Dieu, à fixer les yeux sur lui seul, à placer en lui seul ses espérances ? Celse raille encore le passage sur le serpent qui se rebelle contre les prescriptions que Dieu fit à l’homme, tenant le propos pour un conte de bonnes femmes. Il s’abstient volontairement de mentionner le « jardin » et la manière dont il est dit que Dieu l’a planté « en Eden, au Levant », et qu’ensuite « il fit pousser du sol toute espèce d’arbres attrayants à voir et bons à manger, et l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal », puis les paroles qui s’y ajoutent, capables par elles-mêmes d’inciter le lecteur de bonne foi à voir que tout cela peut, sans inconvenance, être compris au sens figuré. Alors, comparons-lui les paroles de Socrate sur Amour dans le “Banquet” de Platon, et qu’on attribue à Socrate censé plus vénérable que tous ceux qui en traitent dans le “Banquet”. Voici le passage de Platon : « Le jour où naquit Aphrodite banquetaient les dieux, entre autres, le fils d’Invention, Expédient. Au sortir du festin s’en vint mendier Pauvreté, car on avait fait bombance, et elle se tenait à la porte. LIVRE IV
Ensuite, livré pour ainsi dire uniquement à sa haine et à son animosité contre la doctrine des Juifs et des chrétiens, il dit : Les plus raisonnables des Juifs et des chrétiens allégorisent tout cela. Il ajoute : La honte qu’ils en ont leur fait chercher refuge dans l’ALLÉGORIE. On pourrait lui dire : s’il faut appeler honteuses dans leur acception première les doctrines des mythes et des fictions, écrits avec une signification figurée ou de toute autre manière, à quelles histoires cette qualification s’impose-t-elle sinon aux histoires grecques ? Là, les dieux fils émasculent les dieux pères ; les dieux pères dévorent les dieux fils ; la déesse mère, à la place d’un fils, livre à celui qui est père « des dieux et des hommes », une pierre ; un père s’unit à sa fille ; une femme enchaîne son mari, prenant comme complices pour le mettre aux fers, le frère et la fille de celui qu’elle enchaîne. Mais pourquoi devrais-je énumérer les histoires absurdes des Grecs sur leurs dieux, manifestement honteuses même allégorisées ? Ainsi le passage où Chrysippe de Soles, qui passe pour avoir honoré le Portique par maints ouvrages pénétrants, explique un tableau de Samos où Héra était peinte commettant avec Zeus un acte obscène. Le grave philosophe dit dans son traité que la matière, ayant reçu les raisons séminales de Dieu, les garde en elle-même pour l’ordonnance de l’univers. Dans le tableau de Samos, Héra c’est la matière, et Zeus c’est Dieu. C’est pour cette raison et à cause des mythes de ce genre et d’une infinité d’autres, que nous refusons d’appeler, ne serait-ce que de nom, le Dieu suprême Zeus, le soleil Apollon, et la lune Artémis. LIVRE IV
J’ai quelque peu développé l’argument, dans le dessein de montrer que Celse ne pouvait avoir raison de dire : Les plus raisonnables des Juifs et des chrétiens tentent d’en donner une interprétation allégorique; mais il en est qui ne peuvent admettre l’ALLÉGORIE et sont manifestement des fables de la plus sotte espèce. Combien plus, en effet, les histoires des Grecs sont-elles des fables de l’espèce non seulement la plus sotte, mais encore la plus impie ! Car les nôtres ont en vue aussi la foule des simples, ce qu’ont négligé de faire les auteurs des fictions grecques. Aussi n’est-ce point par simple mauvais vouloir que Platon expulse de sa République les mythes et les poèmes de cette espèce. LIVRE IV
A supposer qu’on ait recours à l’ALLÉGORIE en disant qu’Athènè est la Sagesse, il faut montrer qu’elle a une existence personnelle et une nature qui fonde cette interprétation allégorique. Mais si Athènè est un être humain ayant vécu autrefois, si elle a été honorée d’un culte par l’action de ceux qui désiraient voir son nom chanté parmi les hommes comme celui d’une déesse et ont transmis à leurs inférieurs ses mystères et ses initiations, il nous est permis beaucoup moins encore de bénir et glorifier Athènè comme une déesse, puisqu’il nous est interdit, même si nous le bénissons, d’adorer le soleil dans sa splendeur. LIVRE VIII
Un examen des faits montre que Jésus osa une entreprise qui dépasse la nature humaine et que ce qu’il osa, il l’accomplit. Dès l’origine, tout s’opposait à la diffusion de sa doctrine par toute la terre : les empereurs successifs, leurs généraux et chefs d’armées, en un mot tous ceux qui détenaient une autorité quelconque, et en outre les gouverneurs de chaque cité, les soldats, le peuple. Il fut vainqueur, puisqu’il était par nature, en tant que Logos de Dieu, impossible à arrêter, et, plus fort que ces puissants adversaires, il a conquis toute la Grèce, et, plus encore, la barbarie, et converti des âmes innombrables à la religion qu’il enseignait. Or il était inévitable, dans la foule de ceux qui étaient conquis par la doctrine, où “les gens simples et illettrés” sont plus nombreux que les gens formés par la culture, que les gens simples et illettrés fussent plus nombreux que les intelligents. Mais Celse ne veut pas le comprendre. Il pense que l’amour du Logos pour l’humanité, qui s’étend à chaque âme depuis le lever du soleil, “est simple et, à cause de sa simplicité et de son manque absolu de culture, n’a conquis que les simples”. Pourtant, même Celse ne dit pas que les seuls gens simples aient été conduits par cette doctrine à la religion selon Jésus, car il avoue :” Il y a aussi parmi eux des gens modérés, raisonnables, intelligents et prêts à comprendre l’ALLÉGORIE”. LIVRE I