Je dirai donc d’abord : si celui qui refuse de croire en l’apparition du Saint-Esprit sous la forme d’une colombe était présenté comme épicurien, ou partisan de Démocrite, ou péripatéticien, le propos conviendrait au personnage. Mais en fait le très docte Celse n’a même pas vu qu’il attribuait une telle parole à un Juif qui croit en bien des récits des écritures prophétiques plus extraordinaires que l’histoire de la forme de la colombe. On pourrait dire en effet au Juif incrédule sur l’apparition, qui pense pouvoir l’accuser de fiction : mais toi, mon brave, comment pourrais-tu prouver que le Seigneur Dieu a dit à ADAM, Eve, Caïn, Noé, Abraham, Isaac, Jacob ce que la Bible atteste qu’il a dit à ces êtres humains ? Et pour comparer cette histoire à une autre, je dirais volontiers au Juif : Ton Ézéchiel aussi a écrit ces paroles : « Le ciel s’ouvrit et je vis une vision de Dieu » ; et après l’avoir racontée, il ajoute : « C’était la vision d’un aspect de la gloire du Seigneur, et il me parla. » Si ce que l’on relate de Jésus est faux, puisqu’à ton avis nous ne pouvons pas prouver avec évidence la vérité de ce qu’il a seul vu et entendu, ainsi que, comme tu semblés y tenir, « l’un des suppliciés », pourquoi ne dirions-nous point à plus juste titre qu’Ézéchiel lui aussi est victime d’un prestige quand il dit : « Le ciel s’ouvrit… etc. » ? De plus, lorsqu’Isaïe affirme : « Je vis le Seigneur des armées assis sur un trône très élevé ; les Séraphins se tenaient autour de lui, ayant six ailes l’un, six ailes l’autre…» etc., d’où tiens-tu la preuve qu’il l’a réellement vu ? Car tu as cru, Juif, que ces visions sont véridiques, et que le prophète, sous l’influence de l’Esprit de Dieu, les a non seulement vues, mais encore racontées et écrites. Mais qui donc est plus digne de foi quand il affirme que le ciel lui a été ouvert, et qu’il a entendu une voix ou qu’il a vu « le Seigneur des armées assis sur un trône très élevé » ? Isaïe, Ézéchiel, ou bien Jésus ? Des premiers on ne trouve aucune oeuvre aussi sublime, tandis que la bonté de Jésus pour les hommes ne s’est pas bornée à la seule période de son incarnation ; même jusqu’à ce jour sa puissance opère la conversion et l’amélioration des moeurs de ceux qui croient en Dieu par lui. Et la preuve manifeste qu’elles sont dues à sa puissance, comme il le dit lui-même et que l’expérience le montre, c’est, nonobstant le manque d’ouvriers qui travaillent à la moisson des âmes, la moisson si abondante de ceux qui sont récoltés et introduits dans les aires de Dieu partout répandues, les églises. LIVRE I
Ensuite, dans son propos de dénigrer la Bible, il raille aussi le passage : « Alors Dieu fit tomber un profond sommeil sur ADAM, qui s’endormit. Il prit une de ses côtes et reforma la chair à sa place. LIVRE IV
A la sentence qu’il porte sur le récit de Moïse : Impiété majeure que cette fiction où Dieu est si faible dès l’origine qu’il ne peut même convaincre le seul homme qu’il a lui-même modelé ! je répondrai qu’elle se rattache à la critique de l’existence même du mal, que Dieu n’a pu écarter d’un seul homme pour qu’au moins un seul homme quelconque s’en fût trouvé exempt dès l’origine. De même que sur ce point le souci de défendre la Providence fournit des justifications aussi nombreuses que valables, ainsi pour ADAM et sa faute, on trouvera l’explication en sachant que, traduit en grec, le mot ADAM signifie homme, et que, dans ce qui paraît concerner ADAM, Moïse traite de la nature de l’homme. C’est que, dit l’Écriture, « en ADAM tous meurent », et ils ont été condamnés « pour une transgression semblable à celle d’ADAM », l’affirmation de la parole divine portant moins sur un seul individu que sur la totalité de la race. Et de fait, dans la suite des paroles qui semblent viser un seul individu, la malédiction d’ADAM est commune à tous ; et il n’est pas de femme à laquelle ne s’applique ce qui est dit contre la femme. De plus, le récit de l’homme chassé du jardin avec sa femme, revêtu de « tuniques de peaux » que Dieu, à cause de la transgression des hommes, confectionna pour les pécheurs, contient un enseignement secret et mystérieux bien supérieur à la doctrine de Platon sur la descente de l’âme qui perd ses ailes et est entraînée ici-bas « jusqu’à ce qu’elle se saisisse de quelque chose de solide ». LIVRE IV
L’explication sur le bois de la vie viendrait plus à propos dans un commentaire sur le paradis de Dieu, décrit dans la Genèse comme planté par lui. Mais souvent déjà Celse s’est moqué de la résurrection qu’il ne comprend pas. Ici, non content de ce qu’il a déjà dit, il ajoute qu’il est question de la résurrection de la chair par le bois, faute d’entendre, je pense, l’expression figurée : c’est par le bois que vint la mort, et par le bois la vie ; la mort en ADAM, la vie dans le Christ. LIVRE VI
Celse donc suppose que notre idée d’une autre terre, meilleure et bien supérieure à celle-ci, nous l’avons empruntée à certains hommes des anciens temps qu’il juge divins, et surtout à Platon qui, dans le Phédon, avait spéculé sur la terre pure qui se trouve dans la partie pure du ciel. Il ne voit pas que Moïse, bien antérieur même à l’alphabet grec, a représenté Dieu promettant la terre sainte « bonne et spacieuse où coulent le lait et le miel » pour ceux qui auraient vécu selon sa loi. Cette bonne terre n’est point, comme certains le pensent, la Judée d’ici-bas qui se trouve, elle aussi, sur la terre maudite dès l’origine à cause des ?uvres de la transgression d’ADAM. Car la sentence : « La terre est maudite à cause de tes ?uvres : c’est à force de peines que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie », s’applique à la terre entière dont tout homme, mort en ADAM, tire sa nourriture à force de peines, c’est-à-dire de travaux, et cela tous les jours de sa vie. LIVRE VI
Parce qu’elle est maudite, toute la terre « produira des épines et des chardons tous les jours de la vie » pour quiconque en ADAM a été chassé du paradis terrestre ; et tout homme mange son pain « à la sueur de son visage jusqu’à ce qu’il retourne à la terre d’où il a été tiré. » Tout ce passage contient une ample doctrine qu’on peut élaborer pour en élucider les termes. Mais ici je me contenterai de brèves remarques, pour réfuter l’erreur qui applique à la terre de Judée ce qui est dit de la bonne terre promise par Dieu aux justes. LIVRE VI
Et ils ajoutent : « J’ai été conçu dans l’iniquité, ma mère m’a enfanté dans le péché ». » De plus, ils déclarent que « les pécheurs sont devenus étrangers dès le sein de leur mère », et font cette remarque étonnante : « Ils se sont égarés dès le sein, ils ont dit des mensonges. » Mais nos sages ont un tel dédain pour la nature des choses sensibles qu’ils qualifient les corps tantôt de vanité : « Car la création fut soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de Celui qui l’a soumise avec l’espérance » ; tantôt, de vanité de vanités, selon le mot de l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Où trouver un tel discrédit jeté sur la vie de l’âme humaine ici-bas que chez l’auteur qui dit : « Vanité cependant que toutes choses, que tout homme vivant ! » Il ne met pas en doute la différence pour l’âme entre la vie d’ici-bas et la vie hors de ce monde, il ne dit pas : « Qui sait si vivre n’est pas mourir, et si mourir n’est pas vivre ? » Mais il a le courage de la vérité dans ces paroles : « Notre âme a été humiliée dans la poussière » ; « Tu m’as fait descendre dans la poussière de la mort ». Et comme il est dit : « Qui me délivrera de ce corps de mort ? » ainsi encore : « Qui transformera notre corps de misère ? » Il y a aussi la parole du prophète : « Tu nous a humiliés dans un lieu d’affliction », où « lieu d’affliction désigne le lieu terrestre dans lequel vient ADAM, qui est l’homme, après avoir été pour son péché expulsé du paradis. Et considère la profondeur de vue que possédait sur la condition de vie différente pour les âmes celui qui a dit : « Aujourd’hui nos voyons dans un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face » ; et encore : « Tant que nous demeurons dans ce corps, nous vivons en exil loin du Seigneur », aussi « préférons-nous déloger de ce corps et aller demeurer près du Seigneur ». LIVRE VI